Année 2013

Transcription

Année 2013
Revue annuelle composée pour le Noël des Anciens de
Coublanc
Année 2013
Numéro 18
Prix minimum : 4,00 €
Samedi 15 décembre 2012b
En ce Temps-là 2013
ISSN 1964 - 812 X
Page 1
Éditorial
de Bernard Berthier
président de l’association
du Noël des Anciens de Coublanc
et rédacteur en chef d’En ce Temps-là
Sommaire
• Le latin de notre enfance, « Venite adore-
•
Chers lecteurs,
Pourquoi cette revue, depuis tant d’années ? Le premier but est évidemment le partage de souvenirs entre anciens du pays.
Le second, dont l’efficacité s’est manifestée peu à
peu, est la transmission à des lecteurs plus jeunes
d’une information vivante sur les modes de vie de
jadis.
Une troisième ambition vient de m’apparaître clairement à la lecture d’un entretien de Martin Hirsch
dans La Vie du 22 novembre dernier : « La mort
n’existe pas tant que le souvenir reste. Tant qu’on
se souvient de quelqu’un, il est vivant. Être vivant,
c’est être reconnu par quelqu’un, que ce soit un
ami, un descendant, ou un inconnu de passage. »
Notre revue rend vivants nos ancêtres, quand nous
les évoquons. Elle nous rendra vivants, quand nos
descendants, reprenant d’anciens numéros, liront
nos souvenirs après notre mort. En recueillant la
mémoire des uns et des autres, je découvre des personnages pittoresques ou sympathiques, qui deviennent pour moi de nouveaux amis disparus avant ma
naissance ! Aussi suis-je toujours triste quand nul
ne peut plus me nommer telle ou telle personne sur
une photo : un visage est présenté, mais la personne
a définitivement disparu. Je lance donc un SOS :
sauvons nos aïeux ! Bonne lecture !
Joyeux Noël 2012
et
Heureuse Année 2013
Dessin de la couverture
Nadège Demont, devenue charliendine, continue sa collaboration à notre revue, en interprétant à sa façon une très vieille carte postale de
l’entrée nord du Bourg. On y voit, à gauche,
devant la ferme André aujourd’hui disparue, le
tas de pierres qui allait servir à la construction
de la Poste, achevée en 1913. La carte postale
date donc probablement de 1912. Un siècle !
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mus »
par Bernard Berthier, page 3.
Le Vitrail de l’ange Raphaël et du jeune
Tobie, ou l’âme et son ange gardien
par Régis Déal, page 4.
Julien Martin et Angéline Buchet, mes parents
par Germaine Sambardier, page 7.
La menuiserie Christophe de Saint-Ignyde-Roche,
par Noëlle Christophe, page 13.
Nos voisins vers 1940
par Victoire Buchet, page 17.
Le Domaine André (II)
d’après le site Coublanc-71, page 19.
Cahier Jules Dubuy. Être missionnaire en
Papouasie
par Philippe Séveau, MSC, page 25.
Biographie de René Berthier, prêtre
par Bernard Berthier, page 31.
Mon père Rémy Berthier, de La Roche à la
ville
par Patrick Berthier, page 33.
La passion de la mécanique. Retour sur
mon enfance
par Claudien Accary, page 35.
La Constance
par Simone Bouchery, page 38.
On s’en souviendra,
par Bernard Berthier, page 42.
Mon village, Poème
de Simone Thévenet, page 44.
Les autres rubriques, liste des Anciens, des décès, naissances, mariages, contributions des élèves des écoles, mots
croisés, sont à peu près à leur place habituelle...
Projets coublandis
Sur nos trois projets de 2012, un seul a été réalisé,
brillamment : la conférence de Gérard Vaginay sur
le père Dubuy et la Papouasie. Cf. page 25.
Restent, pour 2013 ou 2014 :
- Un projet de diaporama sur l’histoire de la Grotte
de Lourdes de Coublanc. Envoyez-nous vos photos !
- Un projet de publication d’un livret de tous les
textes de Claude Chevreton parus dans les numéros
d’En ce Temps-là. Si vous connaissez d’autres textes de lui, prévenez Bernard Berthier.
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Le latin de notre enfance
Venite adoremus
C’est entre 1836 et 1839 que le père Nicolas Lambert a fait construire l’église Saint-André de Chauffailles, avec des plans de l’architecte départemental
Claude Berthier, le même qui, quinze ans plus tard,
dessinera la nouvelle église de Coublanc pour le
père Nobis. Cette vaste basilique domine une place
qui a servi et sert encore de lieu de rencontre pour
les habitants du canton, notamment les vendredis
matin.
Nos ancêtres de Coublanc s’y sont rendus régulièrement à pied, en vélo, en voiture à cheval, en guimbarde comme celle, vers 1930, de M. Collet, ou en
minibus, comme celui que conduisait Jackie Druère
pour transporter les personnes de la Maison des Anciens il y a une vingtaine d’années.
S’ils levaient les yeux vers le fronton triangulaire de
l’église, au-dessus du porche, ils pouvaient y voir
une invitation gravée en latin : VENITE ADOREMUS.
Ces mots, toujours présents, signifient « Venez,
adorons ». Ils sont une double citation.
D’abord, ce sont les premiers mots du verset 6 du
psaume biblique 94 : « Venite adoremus et curvemur, flectamus genua ante faciem Domini factoris
nostri » (Venez, adorons, inclinons-nous, fléchissons les genoux devant la face du Seigneur qui nous
a faits).
Mais la même invitation à l’adoration apparaît, plus
connue du grand public des fidèles de l’époque de
la liturgie en latin – jusqu’en 1963 – dans le refrain
du cantique de Noël célèbre sous le titre de « Adeste
fideles » :
Crédits iconographiques
Fonds Claudien Accary (pp. 35-37)
Bernard Berthier (pp. 13 à 16, 31-34 et 36)
Collection Mélanie Berthier (p. 4-5)
Nadège Demont (p. 1)
Fonds Jules Dubuy MSC et/ou musée d’Issoudun et/ou alii (pp. 25-26)
Fonds Franckart (p. 12 et 44)
Fonds Marthe Pothier (p. 14-15)
Fonds Maurice Poyet (p. 1 et 17)
Fonds Germaine Sambardier-Martin (pp. 712)
Fonds Philippe Séveau (pp. 27 et 30)
Internet sans indication de droits d’auteur
(pp. 6, 20)
Adeste fideles læti triumphantes,
Venite, venite in Bethlehem.
Natum videte Regem angelorum.
Venite adoremus (ter)
Dominum.
Il a été traduit depuis longtemps dans beaucoup de
langues (en anglais : « O come, all ye faithful »), et
nous le chantons encore dans le temps de Noël sous
le titre « Peuple fidèle » avec, comme refrain à peu
près équivalent à Venite adoremus (ter) Dominum,
« En lui vient reconnaître » (ter) « ton Dieu, ton
Sauveur ».
Son origine est discutée : on remonte sans certitude
jusqu’à saint Bonaventure (XIIIe siècle) pour les paroles. D’autres ont été ajoutées par la suite. La musique est attribuée tantôt au roi de Portugal Jean IV
(XVIIe siècle) ou au musicien anglais John Francis
Wade (1743).
« Venite adoremus ». Venez, adorons. Ces mots invitent à entrer dans l’église, avec ce double impératif, qui unit la première et la seconde personnes du
pluriel, celui qui donne l’ordre (l’invitation) et ceux
qui le reçoivent, à la tête desquels le premier se met.
Cette succession des impératifs crée un puissant effet d’entraînement.
Mais on conçoit mal aujourd’hui de recevoir l’ordre
d’adorer Dieu, et bien peu « obéissent ». En revanche, pas de problème pour la publicité : vous adorerez ce chocolat (« Je suis fou du chocolat Lanvin ! », cette robe, ce jeu vidéo ! Et les vieux chrétiens un peu ulcérés disent aux jeunes générations :
« On n’adore que Dieu seul ! » Ont-ils raison ?
Étymologiquement, oui. « Adorer » vient du latin
« ad orare », qui signifie « adresser des prières à ».
Je me vois mal adresser des prières à une boîte de
chocolat ou à un jeu vidéo… Il est déjà plus normal
d’adorer une jolie fille : on peut avoir quelques demandes (plus ou moins honnêtes), voire quelques
louanges à lui faire. Mais dans l’adoration, il y a l’idée d’un émerveillement absolu que seul l’absolu
peut justifier, le créateur bien plus que la créature.
Cependant, je pense qu’il vaut mieux abuser un peu
de l’adoration plutôt que de la détestation, de la vénération plutôt que du mépris, de l’engouement plutôt que du dénigrement, et ne pas jouer au désabusé : on trouve plus de joie dans l’admiration.
Venez, adorons Dieu, ou la vie !
Bernard Berthier (La Place)
N.B. On peut se demander si la présence des mots VENITE ADOREMUS au fronton de l’église de Chauffailles a
contribué à placer la « grande paroisse » de Chauffailles
sous le signe de la « Nativité ». Le père Grobot ou le père
Lapalus sauront-ils nous le dire ?
Proposez-nous l’expression latine de l’an prochain. Merci !
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Saint Raphaël
et le jeune Tobie
Ou
L’âme et son ange gardien
par Régis Déal
Voici un vitrail qui présente une particularité par rapport à ceux qui l’entourent dans notre église de Coublanc. Il est en effet le seul à puiser son sujet dans
l’Ancien Testament.
Il s’agit de l’archange Raphaël, identifié par ses ailes
blanches, guidant le jeune Tobie.
Nous trouvons cet épisode dans Le Livre de Tobit. Le
texte original de ce petit roman juif rédigé initialement
en hébreu ou en araméen a été perdu, mais il nous est
connu par des traductions grecques antiques. Ce livre,
absent de la bible hébraïque et considéré comme apocryphe par les protestants, figure seulement dans les
bibles catholique et orthodoxe, parmi les textes dits
« deutérocanoniques ». Ce qui, dans ce vitrail, montre
la récupération de la légende par l’église catholique se
matérialise par l’auréole entourant la tête de l’archange, le classant parmi les saints. Sa fête liturgique
date du XIIe siècle ; elle est célébrée le 24 octobre.
Une histoire romanesque
Rappelons l’histoire : Raphaël a été envoyé par Dieu
en réponse aux prières de Tobit, juif pieux déporté à
Ninive, qui a été frappé de cécité après avoir reçu de la
fiente d’oiseau dans les yeux et réduit à la misère. Son
fils, appelé du nom presque semblable Tobie (celui de
notre vitrail), part alors pour un long voyage sous la
protection de Raphaël afin de recouvrer une dette de
son père. En chemin Raphaël incite Tobie à pêcher un
poisson dont le fiel, le cœur et le foie serviront à préparer un remède pour guérir son père au retour et aussi à
chasser le démon de Sarra, jeune femme rencontrée
lors du voyage, plusieurs fois veuve et donc supposée
victime d’un mauvais démon : le jeune Tobie l’épousera finalement et s’en sortira indemne et heureux !
Vitrail de saint Raphaël et Tobie
Église de Coublanc, bas-côté nord,
septième vitrail à gauche en entrant.
Photographie de Mélanie Berthier.
Si l’on place en parallèle ces aventures et la signification de son nom « Aide, Guérison de Dieu », nous
comprendrons que Raphaël est tout à la fois considéré
comme le patron et le conseiller des fiancés ; qu’en Allemagne, au Moyen Âge, il est le patron des pharmaciens dont les devantures s’ornaient toutes d’un Ange
d’or et que pour les catholiques il reste le patron des
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« voyageurs sur terre, sur mer et dans les airs ». Notons que les marins de Venise lui demandaient de les
protéger des tempêtes et qu’à Florence chaque adolescent partant en voyage se mettait sous sa protection.
ciel. Cela est sans cesse rappelé dans l’Ancien Testament ; de même qu’en réponse à cette intervention
nous sont mentionnées la dévotion et la piété de Tobit et de sa famille, rendues ici par les mains jointes,
comme en prière, du jeune garçon.
C’est ce dernier élément qui doit nous ramener à notre vitrail. En effet si nous reprenons l’histoire liant
Raphaël et Tobie, l’intéressant sera de comparer le
texte et ce que nous donne à voir son illustration
dans le vitrail, pour en déterminer le message et l’enseignement.
Pour ce qui est du décor, les personnages se trouvent
dans des rochers faisant songer à une montagne. Cet
aspect est conforme au texte d’origine puisqu’ils
sont censés atteindre la ville d’Ecbatane, située dans
les montagnes de Médie.
Tout d’abord en ce qui concerne l’image même de
l’archange, voici ce que nous en dit le texte lorsque
Tobie le rencontre (chapitre 5) :
Tobie, étant sorti, trouva un beau jeune homme, debout et ceint, comme disposé à se mettre en route.
L’image est plus ambiguë en proposant avec ce vitrail une version plutôt androgyne de Raphaël ; cela
peut également être une interprétation de l’idée de
beauté ou la transcription du questionnement sur le
genre sexuel des anges. Mais ne prolongeons pas
trop dans cette voie sous peine d’être accusé de discuter du sexe des anges, autrement dire d’entretenir
une discussion un tantinet oiseuse…
Notons plutôt que Raphaël se présente à lui sous une
fausse identité en se prétendant être Azarias, fils du
grand Ananie. Il ne s’agit bien sûr pas de tromper
Tobie mais bien de lui cacher l’origine divine de son
aide. Et c’est d’ailleurs au chapitre 12 que l’archange
va se faire connaître, quand tout a été accompli. Il
dévoile sa véritable nature au vieux Tobit :
Parce que tu étais agréable à Dieu, il a fallu que la
tentation t’éprouvât. Maintenant, le Seigneur m’a
envoyé pour te guérir, et pour délivrer du démon
Sarra, la femme de ton fils. Je suis l’ange Raphaël,
un de sept qui nous tenons en présence du Seigneur.
Les ailes et l’auréole sont ici représentées pour permettre aux fidèles de reconnaître Raphaël mais ne
correspondent pas à l’apparence de l’archange dans
le texte. Par ailleurs, pour rappeler et mettre en valeur l’idée d’une influence divine omniprésente,
nous pouvons observer les rayonnements venus du
Le vitrail traduit cette idée de marche, les deux personnages sont montrés en mouvement, une jambe
plus avancée que l’autre, et du côté de l’ascension.
Ils progressent donc vers le haut.
Retenons ainsi le double mouvement : Dieu allant
auprès des hommes, Raphaël invitant les hommes à
s’engager en direction de dieu.
Le serpent sans pouvoir
Mais maintenant, si nous voulions jouer au jeu des
erreurs, nous commencerions sans doute par la présence du serpent. En effet, dans la légende de départ,
nous l’avons dit, il est question d’un poisson. Le serpent est sans doute plus parlant pour les fidèles pour
évoquer le mal qui guette, surtout qu’il est placé à
gauche du vitrail, sur la gauche du chemin de Tobie,
côté du diable. Il renvoie à toutes les idées de tentation que l’on trouve dans les récits bibliques et religieux.
Les marcheurs ne sont absolument pas préoccupés
par le reptile, notamment parce que Raphaël indique
une tout autre direction de son doigt de la main
droite, côté divin. Il est celui qui guide ; mais il ne
semble pas vraiment indiquer un chemin terrestre
puisque son doigt est pointé vers le ciel.
Pour en finir sur le chapitre animalier, nous pouvons
faire la comparaison avec les représentations picturales de cette légende, comme celle de Botticelli, ou
celle de Sogliani (1515) reproduite ci-dessous : sur
de nombreuses toiles, nous voyons le jeune Tobie
portant à la main le poisson qu’il a péché, et il est
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également accompagné de son
chien, symbole de fidélité, la fidélité déjà évoquée de Tobie envers Dieu.
D’autant que cette idée du
mal, de la tentation, associée à
un décor assez dépouillé, proche d’une image de désert,
confirment bien l’idée d’une
mise à l’épreuve du jeune Tobie ou tout du moins d’une
initiation. Une épreuve bien
encadrée, sous la protection
bienveillante de Raphaël entourant les épaules de Tobie
de son bras gauche.
Nous pouvons supposer que si le
vitrail de Coublanc choisit de s’éloigner du texte et de l’imagerie
traditionnels, c’est d’abord pour
le christianiser, pour ne pas trop
coller à l’Ancien Testament ; ensuite c’est sans doute aussi parce
que cette légende n’est pas jugée
assez connue qu’il la rend encore
moins identifiable ; cette représentation plus simple, détachée
du texte, se focalise alors sur un
enseignement moral et également
spirituel – aspect sur lequel nous
reviendrons – , aux dimensions
plus universelles.
Pour le versant « moral », l’histoire que choisit de
nous raconter le vitrail, c’est celle d’un jeune garçon, exemplaire, qui reçoit une bonne éducation.
Notons à ce titre l’aube blanche de Tobie, qui peut
tout aussi bien évoquer l’innocence du jeune communiant que celui de l’élève, candide, qui est prêt à
recevoir l’enseignement du maître, en l’occurrence
ici, les sages paroles de Raphaël visant à
« délivrer » du mal.
Hommage
à Christian Dessertine
Christian Dessertine
est né le 12 août 1954
à Roanne. Il est décédé
prématurément le 3 décembre 2011.
Quoique « exilé » à
Fleury-les-Aubrais,
près d’Orléans, il recherchait, depuis qu’il
avait hérité en 1969
d’une attestation indiquant que Barthélémy
Dessertine, sergent au
e
77 régiment d’infanterie, avait reçu la médaille de
Saint-Hélène, les traces de ses ancêtres dans notre
région en général et à Coublanc en particulier. Il
avait retrouvé plus de 2 000 ancêtres, dont le curé
Renard au XVIIIe siècle, ou plutôt le frère du curé,
Maintenant, en ce qui
concerne
le
versant
«spirituel », voire mystique,
appuyons-nous sur un commentateur d’un vitrail que
l’on trouve dans l’église de
Bugarach (dans l’Aude), assez similaire à celui de Coublanc : il indique que l’on doit remarquer la taille
des personnages : Raphaël semble un géant. Tobie
serait alors à voir comme l’image de tout homme à
protéger et à guider, pour qu’il conserve une âme
pure comme celle d’un enfant, grâce à son ange gardien. Pour beaucoup de Coublandis qui n’ont pas lu
le Livre de Tobie, c’est ce que représente ce vitrail.
Mais les deux interprétations ne s’excluent pas.
Régis Déal (Vitry-sur-Seine)
et la base généalogique qu’il avait constituée était
d’environ 25 000 fiches.
Sa contribution à l’histoire de Coublanc est capitale,
et ses diverses monographies sont devenues accessibles grâce au site Internet Coublanc-71, en particulier dans la partie intitulée « Monographie de Coublanc ».
Son épouse Danièle continue son travail historique
et généalogique, en collaboration avec le webmaster
du site Coublanc-71, ce qui a fait passer la base généalogique à 35 000 fiches, dont tous les « poilus »
du Monument aux Morts, et ce qui permet au webmaster de Coublanc d’aider gracieusement ceux qui
le désirent à réaliser l’arbre généalogique de leurs
ancêtres, sachant que la loi autorise uniquement la
consultation des actes antérieurs à 1935. Quelques
Coublandis en ont déjà bénéficié, et sont repartis
avec leur 3 ou 4 m d’arbre sur papier !
Poursuivant des enquêtes en partie similaires sur le
passé de Coublanc, la revue En ce Temps-là profite
de la richesse documentaire de Site et lui rend service en lui fournissant des documents nouveaux.
Contact : [email protected]
En ce Temps-là 2013
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Angéline & Julien Martin
mes parents
par Germaine Sambardier
L’ascendance d’Angéline Buchet
Mon grand-père maternel, Auguste Buchet, était
d’une famille nombreuse. C’était une famille de
tisseurs. Parmi ses frères et sœurs, il y a eu une
religieuse dont je n’ai pas beaucoup entendu parler, et un frère mariste qui a été je crois, en Amérique. La famille habitait aux Pins, sur la commune
de Saint-Igny, une ferme dont les ruines mêmes
ont disparu, à gauche de la route en allant vers
l’est. Auguste, mon grand-père était né le 21 septembre 1874.
Son épouse, ma grand-mère maternelle était Véronique Grapeloup. Les parents de Véronique
avaient acheté la maison familiale de La Place
Nord (ou des Remparts, elle est entre les deux
quartiers) vers l’époque de sa naissance, le 3 mars
1876. Ils avaient quelques vaches, et Véronique,
qui devint ma marraine et que tout le monde appelait « la marraine », tissait, à l’étage, dans la chambre, la soie naturelle sur un métier à main : il ne
fallait pas beaucoup de place, le métier manuel
était beaucoup plus petit qu’un métier électrique,
même si l’on faisait agir sans cesse ses quatre
membres, pour actionner le métier et mettre en
marche les navettes. Et parfois, l’on berçait un
bébé à côté ! Comment ? Peut-être le mouvement
du métier entraînait-il le berceau ? Sur ces métiers
à main, on pouvait réaliser les plus beaux articles.
Mais je n’ai pas vu moi-même ce métier à main.
Je ne sais pas comment Auguste et Véronique ont
fait connaissance. Ils se sont mariés le
28 novembre 1901, âgés respectivement de 27 et
25 ans.
Ils louèrent un appartement dans la maison des
Remparts qui est celle aujourd’hui de Mme Hervé,
du côté de l’escalier extérieur. C’est là que sont
nées en 1902 Victorine, future épouse de Claudius
Grapeloup, et vraisemblablement ma mère Angéline, le 1er février 1904. Elle fut baptisée le lendemain. Quelques années plus tard, Auguste Buchet
achète aux Lacôte/Auclair à La Place une maison
en construction, inachevée, la fait finir, puis construit perpendiculairement, dans la cour, une cabine
pour quatre métiers, qui existe encore, mais a depuis changé d’utilisation. C’est à La Place sans
doute que sont nés Théodore-Claudius en 1907
(Théodore d’abord, pour ne pas confondre avec
Claudius Grapeloup) et Joseph en 1910. Mon oncle Théodore aura sa fille Michelle en 1951, à
44 ans. C’est par elle que la maison deviendra
« Chervier ».
Malgré son âge et ses quatre enfants, Auguste fut
mobilisé un temps durant la Grande Guerre, mais
vraisemblablement on ne l’envoya pas sur le front.
Cela devait être à la fin de la guerre. À cette époque, ma grand-mère allait de temps en temps à
pied à Chauffailles recevoir une allocation de
femme de soldat, un petit pécule. Son mari n’a pas
été blessé.
Mon grand-père Auguste, qui lui aussi avait dû
tisser à la main, cultivait des patates, un potager, et
dans de petites terres dispersées un peu de blé,
qu’il battait en gerbes encore au fléau, à l’écossou
– en patois. Il passait ensuite le grain à travers un
tarare (qu’on appelle aussi chez nous « vannoir »
ou « moulin ») pour séparer le grain du « biou ». Il
fauchait ses petits prés au dard, avec l’aide des
hommes de la parenté. Avec ce foin, il pouvait
nourrir trois ou quatre vaches, et il avait de plus
des lapins et des poules. Cela fournissait un peu de
viande ; on en achetait aussi de temps en temps à
la boucherie de La Place, surtout quand la vente
d’un veau, à la même boucherie, permettait d’améliorer l’ordinaire...
Auguste et Véronique allaient à tour de rôle à la
grand-messe. L’autre était allé à la première
messe, et revenait pour garder la maison et faire
cuire le « bouilli », le pot-au-feu. Ils avaient beau
s’attarder un moment au bourg après la messe, ils
déjeunaient plus tôt le dimanche qu’en semaine.
Auguste Buchet a vécu jusqu’à 75 ans, sans avoir
pris de retraite : il n’y en avait pas. Il est mort de la
grippe, le 16 janvier 1949. Il s’est couché, et n’a
pas voulu faire venir le médecin... En ce tempslà...
Ma grand-mère est restée veuve assez longtemps,
puisqu’elle est morte en janvier 1971, dans la mai-
En ce Temps-là 2013
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son de La Place, où elle prenait ses repas avec
Théodore et sa femme Marie, née Feugère et originaire de Saint-Alban-les-Eaux.
L’ascendance de Julien Martin
carrelages, chambres indépendantes ; une maison
vraiment fonctionnelle pour l’époque. Quand j’étais petite fille, j’y suis souvent allée en vacances,
une sizaine d’années. La maison a été vendue à
André Lamure, dont la fille s’est mariée avec
Charles Tachet : ce sont les propriétaires d’aujourd’hui.
Mon grand-père Félix, homme toujours souriant,
est mort en 1948, à 88 ans, ce qui était rare à l’époque. Ma grand-mère Benoîte est morte avant lui,
à Saint-Igny en 1943, à 78 ans. Ils reposent au cimetière de Saint-Igny.
La vie de mes parents
Victorine et Angéline Buchet habitèrent donc de
La Place et vécurent à Coublanc la vie normale
des fillettes, descendant au Bourg pour l’école et
l’église. Leur vie était au rythme des métiers à tisMon grand-père paternel Félix Martin, plus âgé
que mon grand-père Buchet, est né en 1860, à
Coublanc, mais a vécu l’essentiel de sa vie et est
enterré à Saint-Igny-de-Roche. Aux Combes était
la maison de mon arrière-grand-père. C’était une
famille d’agriculteurs. Je ne sais pas comment Félix a fait la connaissance de son épouse, BenoîteMarie Lachassagne, de cinq ans plus jeune que lui,
qui habitait à Cadolon, à droite en montant sur la
route d’Écoche, dans la maison aujourd’hui Aubonnet. En tous cas, Cadolon n’est pas bien éloigné des Combes. Ils ont dû se marier vers 1890, et
ont eu comme enfants, successivement, Augustin,
qui périt à la guerre de 14, et dont le nom figure
sur le monument aux morts de Saint-Igny-deRoche (né à Coublanc le 10 avril 1893, tué le 20
août 1914 au Donon ; l’acte est transcrit à SaintIgny) ; Joseph, né à Coublanc, et qui plus tard a
habité à Saint-Germain-la-Montagne ; Élise (18981980), une fille née à Saint-Igny et décédée célibataire, enterrée à Saint-Igny ; Julien, mon père, né à
Saint-Igny le 19 novembre 1900, baptisé le lendemain ; et enfin Robert, né à Saint-Igny en 1905,
qui épousera Thérèse Martin (une cousine) et sera
le père de Monique Bénas entre autres ; c’est Robert qui m’a raconté ce qui suit.
Félix, qui habitait avant, paraît-il, vers la vieille
cure, fit construire une maison, début 1900, au
Montet (commune de Saint-Igny) – une belle maison toute en pierre. Il y contribua en se levant souvent à 3h du matin, pour transporter, avec son
tombereau tiré par des vaches, des pierres neuves
ou des pierres de récupération d’une démolition
peut-être, je ne sais. La conception de cette maison
était en avance sur son temps, pour la campagne :
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ser à main. Dans le quartier, il y avait d’autres filles, qui ont pu être leurs amies, Germaine Buisson
(au premier rang, à gauche, sur la photo des conscrites de 1924) et Bénédicte Montbernier (au premier rang, à droite). Angéline est en haut à droite.
Angéline, ma mère a réussi son certificat d’étude,
puis a travaillé à l’usine de la Place avant de revenir à l’atelier familial des Buchet : il n’y avait pas
loin de la maison paternelle à la cabine de son
grand-père à La Place. Elle racontait que sa grande
sœur Victorine (déjà mariée avec le Claudius à la
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Grappe de Bonnefonds) et
elle y avaient subi la tornade du 11 août 1927 (Cf.
l’article de Ferdinand Barriquand « Un cyclone à Coublanc » dans En ce Tempslà n°1, 1995). Tandis que
les éléments déchaînés faisaient tomber les vitres de
la verrière et cassaient les
chaînes, les deux sœurs s’étaient réfugiées sous les métiers.
Je ne sais pas comment Angéline a fait la connaissance de Julien Martin. Quand j’étais petite, je
m’entendais souvent dire : « Tu es trop curieuse ».
Il y avait une grande séparation entre le monde des
enfants, et celui des adultes. Les relations familiales étaient bien différentes de celles d’aujourd’hui.
Et puis, du grand matin jusque tard le soir, jusqu’à
la soupe, les métiers électriques tissaient et retentissaient dans la maison ; cela faisait de grandes
journées de travail, et l’on ne pouvait pas se parler
facilement ni beaucoup.
Toujours est-il que le 28 septembre 1929, Angéline épousa Julien, avec lequel elle était vaguement cousine, par les Lachassagne – ce qui a peutêtre été une raison de leur rencontre, et ils s’installèrent dans la maison de mes arrière-grandsparents Grapeloup, entre La Place et les Remparts,
non loin de la fabrique de limonade « La Régionale ».
Tous les deux ont été tisseurs, lui à la cabine de La
Place, chez son beau-père Auguste Buchet, ce qui
fait qu’il n’était pas souvent à la maison ; elle, Angéline, à la maison. J’ai été bercé au son du métier,
toute la journée. En même temps qu’elle tisse, Angéline vaque aux multiples tâches ménagères. Elle
s’arrête de tisser de temps en temps, pour la naissance de ses enfants : moi, Germaine, l’aînée, en
1930, Augustin, en 1933, Bernadette, en 1936, et
Joseph, né le 14 mai 1940.
En mai 1940, quelques jours après Pâques, mon
père fut mobilisé, malgré ses quarante ans, et ses
presque quatre enfants : Joseph allait naître quelques jours après son départ. Auguste a été mobilisé en même temps que deux autres Coublandis,
Marcel Alix, et Joanny Dubouis, qui était de la
classe 19 et avait deux enfants. C’est sa fille Marie-Louise et son gendre Louis Laurent qui me
donnent les renseignements suivants : ces trois
Coublandis n’ont pas été au front. Ils étaient plutôt
ce qu’on appelait des « affectés spéciaux » ; ils
sont partis en vélo travailler à l’Arsenal de
Roanne, à fabriquer des obus. Ils logeaient à côté
de l’Arsenal, à la ferme Crétin. Soudain les Allemands arrivent dans la région ; pour ralentir leur
avance, on fait sauter le pont d’Aiguilly. La
femme de Joanny Dubouis voit de chez elle la fumée dans le ciel : elle a envie d’aller à Roanne
pour se renseigner sur le sort de son mari. Nos
trois Coublandis, pas tout à fait soldats, reçoivent
l’ordre ou le conseil d’un supérieur : « Partez
vite ! » Ils prennent leur vélo, et partent vers le
sud. Ils sont passés en Ardèche par Lanarce, village connu pour son « auberge rouge de Peyrebeille », et par le beau village voisin de Pradelles,
en Haute-Loire. Puis ils sont rentrés, toujours en
vélo et tous les trois, à la fin de juillet....
Pendant l’absence de son mari, Angéline mettait
donc au monde, seule, son dernier-né, et voyait
tout le pays troublé, et des gens en exode sur les
routes à Chauffailles ou à Charlieu. Des Coublandis parlaient de partir vers le sud. Ma mère était
fermement décidée à rester chez elle, mais à tout
hasard, au cas où une séparation aurait été imposée, elle avait écrit nos noms au crayon encre sur
un morceau de tissu attaché à un cordon : elle nous
avait étiquetés ! À l’époque, bien peu de gens
avaient une carte d’identité !
Vers la fin de la période de l’Occupation, le travail
a manqué ; les usines ne travaillaient que trois
jours par semaine : les matières premières faisaient
En ce Temps-là 2013
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défaut. Alors mon père profitait de ce temps libre
non voulu pour travailler au bois, à Écoche, afin
de remplir notre bûcher.
Comme tout le monde, nous avons vécu cette période dans les
privations, et
c’est le moment où nous
avons eu des
ennuis de santé. Dans l’hiver 1940, mes
trois frères et
sœur ont attrapé la coqueluche : on
a même cru
l’état de ma
sœur désespéré. Ils étaient
soignés par le
docteur Robert de Charlieu – on ne faisait pas souvent appel
au docteur. Et il a fallu le rappeler pour mon père,
atteint au printemps 1941 d’une jaunisse, en fait
une hépatite qui a désormais miné sa santé. Il lui a
fallu faire un régime pour le foie, et je me souviens d’être allée à Saint-Denis-de-Cabane faire la
queue à la boutique de M. Petit, qui était spécialisé
dans la fabrication de biscottes. C’était durant la
période des cartes de rationnement, qui a duré
même après la fin de la guerre : mon père devait
Photo prise le 30 janvier 1944
par notre voisin Émile Labrosse
On voit au fond la maison Dessertine, aujourd’hui
maison Guichard et derrière les enfants,
l’extrémité du mur de notre maison.
De gauche à droite, Germaine (1930), Augustin
(1933), Bernadette (1936),
et Joseph (1940) au centre en bas.
En ce Temps-là 2013
consommer des biscottes sans sel.
Je me souviens bien de ces cartes de rationnement.
Heureusement, nous avions un petit jardin potager,
quelques poules et quelques lapins. Ce n’était pas
suffisant. Je me souviens d’avoir aidé mon père,
une veillée, à ramener en catimini, dans un « petit
barrau », des pommes de terre de chez Julien Chevreton (le « Julien à Pierre-Marie »), qui habitait à
Carthelier (maison Roy aujourd’hui). Et une autre
fois, toujours de nuit, cinquante kilogrammes de
blé, de chez Clément Berthier de la Faverie. Ce
grain, ma mère le faisait griller un peu, le faisait
cuire à l’eau : c’était notre petit déjeuner à Augustin et à moi. Nous avions faim ; alors nous trouvions cela bon : ça calait l’estomac. Mais nous
lorgnions le cacao des deux plus jeunes. Nous
avions aussi parfois des matefaims de sarrasin, du
sarrasin cultivé par l’oncle Joseph Martin de SaintGermain-la-Montagne, apporté par l’oncle en voiture à cheval ou par mon père en vélo, je ne sais.
Pour le lait, nous allions chez le grand-père, à La
Place, et après la guerre, à la ferme des Lauriot.
Près de chez nous, de l’autre côté de la route, dans
la maison Dessertine (aujourd’hui Guichard) alors
inoccupée, la municipalité avait fait installer deux
familles de réfugiés luxembourgeois, des parents
et deux ou trois jeunes filles ; ils ne sont pas restés
très longtemps : après l’armistice, ils ont dû retourner au Luxembourg, laissant la maison en piteux état..
Même après la guerre, nous n’avons pas été bien
riches. Mes parents n’ont jamais eu de voiture, ni à
cheval, ni automobile. Il n’y en avait d’ailleurs
guère à Coublanc. Les plus proches étaient celles
des Montchanin et d’Émile Labrosse, qui en
avaient avant la guerre. À La Place, il y avait aussi
celle de M. Jolivet, le directeur de l’usine, et celle
du père Delomier. Mes parents avaient chacun un
vélo, sans dérailleur, acheté dans leur jeunesse, ce
qui leur permettait d’aller à Charlieu ou à Chauffailles. Ma mère n’était pas à l’aise sur son vieux
vélo noir sans dérailleur et donc sans vitesses : elle
en descendait quand ça montait, et le montait
quand ça descendait... Moi aussi je me suis servi
de ce vélo. Pendant la guerre, les pneus de ce vélo
étaient rapiécés, et quand on partait, on ne savait
jamais si l’on arriverait à destination.
Avant la guerre, quand nous voulions aller faire
des courses à Charlieu à plusieurs, il fallait utiliser
le « transport en commun » de l’époque : c’était la
guimbarde de M. Collet, de La Place, une voiture
à moteur avec trois places devant et une plateforme avec des bancs derrière. Il faisait office de
taxi, et assurait un service régulier pour Charlieu
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une table devant le métier. Le métier était précisément éclairé par deux lampes électriques, l’une
derrière la chaîne, l’autre sur la « façure », la por-
tion de tissu qui fait face au tisseur du peigne à
l’enroulage, mais cela n’éclairait pas beaucoup le
Photo prise le 7 avril 1947 à Bonnefonds
par Augustin Grapeloup,
Ma grand-mère Véronique Buchet
et ma mère Angéline tricotent debout
Véronique a un bonnet, un tablier et des sabots.
Ma mère a un chignon : son père n’aimait pas les cheveux coupés pour une femme,
et elle les avait très longs.
Elle porte une blouse sur sa robe,
son gilet et des pantoufles.
Je n’ai jamais vu ma grand-mère chaussée autrement
qu’en pantoufles ou en sabots, sauf le dimanche, pour
aller à la messe et aux vêpres.
le mardi et le vendredi après-midi, et pour Chauffailles le vendredi matin. C’est qu’on allait à Charlieu quand on avait besoin d’une paire de chaussures, pour mettre le dimanche. Les autres jours, on
mettait des sabots – j’en ai mis moi-même – ou
des galoches à tige et semelle de bois en hiver, et
des sandales l’été. À Coublanc, on pouvait trouver
des sabots chez Berthier au Bourg, chez Grapeloup à Bonnefonds, ou chez Montbernier, sabotier
travaillant à l’étage de la Coopé. Collin, à la Place,
se contentait de faire des réparations, ou bien de
clouer des plaques métalliques sous les chaussures
pour en retarder l’usure : il en mettait aux deux
bouts stratégiques, sous les orteils et sous le talon.
La vie familiale se déroulait essentiellement dans la
cuisine, qui était assez grande, mais encombrée par
la cuisinière, une commode, le métier à tisser et
reste de la pièce. C’est à cette faible lumière que je
lisais, près du métier. On n’achetait pas de livres, et
je profitais des vieux manuels de lectures scolaires,
même des livres de vocabulaire, donnés par la
grand-mère Buchet ; et quand j’en demandais d’autres, disant que je les avais lu deux fois déjà : « Eh
bien, tu les liras une troisième fois ! », me répondait ma mère. Seuls les adultes pouvaient bénéficier de la bibliothèque paroissiale qui était dans la
salle des catéchismes, et que l’institutrice privée
tenait après la messe. Je m’en suis moi-même occupée, plus tard, quand j’ai été institutrice à Coublanc. Cette collection était alimentée par la paroisse sous la surveillance du curé.
Mes parents lisaient L’Écho du Roannais, et le
journal du dimanche – ou qu’ils ne lisaient que le
dimanche –, intitulé Le Nouvelliste. Ils l’achetaient
au Bourg, ou à La Place, je ne peux pas dire ; ou
bien le facteur le leur apportait-il, car le facteur
faisait une tournée le dimanche !
Si l’on avait l’électricité, qui avait permis de changer de métiers, on n’avait pas l’eau au robinet : il
fallait aller la chercher au puits. On faisait la lessive dans une lessiveuse qui chauffait sur la cuisinière. On rinçait la lessive au creux, dont l’eau,
bénéficiant d’une source et d’un écoulement, était
assez claire. L’hiver, parfois, on cassait la glace.
L’eau courante n’arriva aux Remparts que vers
1965.
Comme tout le monde, nous allions à la messe, la
première messe de 7h l’été et 7h30 l’hiver, ou la
grand-messe de 9h l’été et 9h30 l’hiver. Mon père
et ma mère alternaient entre les deux messes,
comme mes grands-parents, par souci de parité !
Puis on allait aux vêpres, moins fréquentées, à 14h
ou 14h30 : c’était tôt !
Après les vêpres, habituellement on passait le
temps en famille, à la maison, ou chez des parents.
On allait à pied à Cadolon, ou bien chez des cousins, ou chez les grands-parents de Saint-Igny, en
partant directement après la messe, pour y déjeuner, ou chez Grapeloup, où il y avait eu un jeu de
boules et un café. Je me souviens qu’on m’y avait
fait boire de la bière, (ou en avais-je demandé, par
curiosité?) ; j’en ai trouvé le goût exécrable, et
cela m’en a dégoûté pour des décennies. L’été, on
faisait un tour à travers la campagne.
Mes parents étaient des gens calmes, sans passions, ni la pêche, ni la chasse. Ils jouaient à la
En ce Temps-là 2013
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manille à deux, et avec nous au jeu des sept familles. Plus tard nous pratiquâmes la belote, mais pas
le tarot.
Puis les aînés se marièrent et quittèrent la maison
familiale. Vers 1960, où un peu avant, mes parents
avaient transformé l’ancienne grange – où l’on
cuisait les patates pour les poules – en atelier où
ils avaient trois métiers à tisser.
Après deux attaques qui l’avaient diminué, et obligé à prendre une demi-retraite, mon père est mort
d’une troisième attaque, le 14 février 1965, à l’époque des fiançailles de Joseph... Augustin, Bernadette et moi
n’étions plus à
la maison ; seul
Joseph
restait
avec les parents,
lui qui s’est marié en mai 1965,
et qui travaillait
à l’usine de La
Place, comme sa
future
épouse
Suzanne.
Angéline avait
une bonne santé, et elle a vécu longtemps dans sa
maison, où elle a continué de travailler deux ou
trois ans, avant de prendre sa retraite. Elle avait
une petite retraite, mais dépensait peu et menait
une vie tranquille.
Mon père et elle s’étaient acheté une radio en 1955
– encouragés par Bernadette. Quand Angéline fut
veuve, le voisin Émile Labrosse, qui avait une télé,
invitait ma mère et sa voisine madame Marie Déchavanne née Dessertine, qui habitait la maison
aujourd’hui Giraud, à venir voir certaines émissions du soir, surtout des variétés. Les deux dames
prirent goût à la télé, et s’en achetèrent bientôt
une !
Angéline marchait d’un bon pas, mais moins que
sa sœur Victorine cependant, qui n’avait pas de
vélo et allait toujours à pied, par exemple à Charlieu avec son fils Augustin (Cf. En ce Temps-là
2012). Certains dimanches, ma mère, accompagnée de madame Marie Puillet, de La Place, allait
à pied me voir à Saint-Maurice, où j’étais au Pensionnat avec Hélène Puillet. Les deux dames passaient par Tancon, par les coursières vers les Landières, le Poirier Muscat et Châteauneuf. Maman
m’apportait du linge propre, et reprenait le sale.
Point n’était besoin de marches organisées, à l’époque !
Angéline, veuve, participait au repas des anciens,
et au club, qui à l’époque réunissait jusqu’à cent
En ce Temps-là 2013
personnes peut-être. Elle faisait les sorties du club,
voyages d’un jour, mais ne partait pas en expédition avec le père Gay, curé de Coublanc.
De toute sa vie, elle n’a fait qu’un grand voyage,
un pèlerinage diocésain à Lourdes, que nous lui
avions offert pour ses 80 ans. Elle est partie en
train, avec le groupe de Chauffailles et avec les
demoiselles Desportes, de Saint-Igny, qui s’étaient
bien occupées d’elle.
Ma mère a pu rester chez elle, bénéficiant de l’aide
de ses enfants et de la visite des habitants de la
maison voisine, successivement les parents du
docteur Iracane, avec une visite quotidienne de la
mère du docteur ; puis presque tous les jours aussi,
de madame Michaud, qui vivait avec sa mère madame Passé, centenaire, dans la maison naguère
occupée par les Iracane
Ce n’est qu’à l’âge de 92 ans, en 1996 qu’elle a dû
entrer à la Maison des Anciens, où elle est morte
le 18 novembre 2000. Elle repose auprès de son
mari au cimetière de Coublanc.
Germaine Sambardier
Propos recueillis par Bernard Berthier à La Croixdu-Lièvre en novembre 2012
La maison d’Auguste Buchet et de son fils Théodore
avant restauration, à La Place
La maison Martin vers la Croix des Remparts.
À droite les dépendances
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La menuiserie Christophe
à Saint-Igny-de-Roche
par Noëlle Christophe
Les frontières des villages n’étant pas hermétiques, notre
revue a déjà publié dans ses numéros précédents les souvenirs de deux habitants de Saint-Igny : René Fillon et
Robert Ray. Voici ceux de Noëlle Christophe, elle aussi
bien connue à Coublanc.
Mon père s’appelait Joannès Christophe. Il était
d’une famille de Saint-Igny ; son père était ouvrier
en soierie. Joannès était né le 22 décembre 1900. Il
a eu un frère, Alexandre (1901), et qui a été marguillier à Saint-Igny, et une sœur, Anne (1904), qui
est morte à 20 ans. En 1927, il a épousé Laurence
Forestier, née comme lui en 1900, qui avait une
tante, une sœur de sa mère, à Chauffailles, rue
Louis Martin ; c’était madame Molette, dont le
mari était cordonnier rue Achaintre, qui l’avait
élevée. Sa famille était de La Chapelle-sousDun. Ma mère avait un frère, Louis, et une
sœur, Marie.
Mon père et ma mère se sont mariés en 1927,
après la tornade d’août, et ont eu quatre enfants, quatre filles, dont j’étais la deuxième :
- Anne-Marie, née en 1928 et morte en 1999.
Elle a été couturière, ayant appris son métier
chez la fille Buisson, de Cadolon. Puis elle a
travaillé à l’usine à Chauffailles. Dans les
deux cas, elle rentrait tous les soirs à la maison, où elle a toujours vécu avec moi, sauf à la
fin, quand j’ai dû m’arrêter et qu’il a fallu qu’elle
aille à la Maison des Anciens de Coublanc.
- moi, Noëlle, née en 1929, qui suis restée travailler
à la maison avec mes parents.
- Marie-Louise, née en 1931, qui s’est mariée jeune
avec Henri Bonnot, un agriculteur habitant Tancon.
- Marthe, née en 1933, qui épousa l’électricien Pothier, de Mardore, travaillant alors à Chauffailles ;
elle est veuve depuis quelques années et vit dans la
maison héritée de la tante…
En famille, nous nous entendions tous très bien, et
mon père y veillait avec autorité et sourire.
La menuiserie
Mon père était menuisier ébéniste. Il avait été apprenti plusieurs années chez Mottin, à Chauffailles,
puis s’était établi à Saint-Igny.
Il avait commencé de travailler au Bourg, en face
de l’église, louant une grande salle et un apparte-
ment dans la maison qui fut plus tard celle des demoiselles Desportes, juste après l’atelier de René
Fillon, en allant vers Cadolon.
Quelqu’un qui plaçait ses économies en prêtant de
l’argent, à une époque où on ne mettait pas encore
son argent à la banque, lui suggéra de faire construire et lui fit un prêt. Mon père s’y est mis en
1928 ou 1929, faisant bâtir la carcasse, pour ainsi
dire, ou les murs, par Chassignolle, maçon dans le
village : une maison d’habitation, la cuisine, avec
l’atelier accolé, ce qui serait interdit aujourd’hui ;
mais par-derrière, du côté opposé à la route, il n’avait fait faire que le toit, pour protéger son stock de
planches afin que le séchage se fasse normalement.
Ce n’est que plus tard que nous avons bâti des
murs pour faire des pièces complémentaires, dont
l’atelier de literie où travaillait ma mère, puis moi
avec elle. Mon père a fait creuser du même coup un
puits, qui me fournit aujourd’hui encore assez
d’eau, et qui, à une époque, durant les étés secs, en
fournissait au besoin aux gens du voisinage. Dans
la cour, un bassin recevait l’eau assez abondante
drainée dans le jardin : il permettait de rincer la
lessive.
Mon père travaillait rarement seul. Il avait des apprentis, un ou deux, mais en général un seul, qui
venait du voisinage, car sinon il aurait fallu le loger. De plus, mon père a eu presque tout le temps
un ouvrier ; c’était souvent un apprenti qui restait
quelque temps. Il y a eu, comme ouvrier ou comme
apprenti, Louis Druère, de Montbernier ; Georges
Chetaille, de Saint-Igny, Marius Desgoutte, un
Coublandi habitant du côté des Pins, André Mercier et Paul Ducruy et Marcel Sarnin, d’Écoche, et
le dernier, René Vaginay, de Saint-Igny, Les apprentis s’en allaient pour se perfectionner et s’établir...
Comme tous les menuisiers, mon père faisait les
huisseries et les meubles. Il a réalisé les boiseries
En ce Temps-là 2013
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du chœur et les stalles de l’église de
Le problème était que les pieds
Saint-Igny. Mon père faisait de beaux
des meubles le coinçaient
et grands meubles, et bien souvent
quand il se dilatait, ce qui poudes chambres à l’occasion de mariavait créer des bosses. Je le glisges. C’est lui qui a fait nos meubles,
sais sous les plinthes, pour disici. Il y a encore de ses meubles dans
simuler le manque de revêtebien des maisons de Coublanc. Nous,
ment en bordure.
ses filles, nous l’aidions pour les finiLa menuiserie marchait bien, et
tions : nous passions la teinte, polisnous eûmes toujours une bonne
sions et cirions les meubles.
clientèle, dans le village et tous
Mon père ne tournait pas lui-même
les alentours, jusqu’à Chaufles pièces en colonne : il les faisait
failles, malgré des concurrents,
faire. Mais il sculptait les parties qui
avec qui nous nous entendions
avaient besoin de reliefs ; il m’a apd’ailleurs très bien : Benoît
pris à sculpter, et j’ai travaillé à décoDéverchère au Bourg de Saintrer ses meubles. Pour sculpter, j’ai
Igny, les Chavanon et Livet à
appris à dessiner auprès de
Cadolon, Claude Auvolat vers
M. Roncoli, un immigré italien de la
le bourg de Coublanc, Alrégion lyonnaise, qui durant deux ans
phonse Labrosse à Tancon...
tailla la pierre pour le marbrier BousDans presque toutes les comsand à Chauffailles et sculpta, entre
munes, il y avait un ou pluautres œuvres, les deux tympans des
sieurs menuisiers.
Dossier de pied de lit
petites portes de l’église de Saintsculpté par Noëlle Christophe
Igny. J’ai suivi son cours public, et
L’atelier de literie
quand il sut que je voulais sculpter, il
Ma mère était tisseuse de formation. Elle n’avait
me donna des cours particuliers.
pas choisi de se mettre à travailler dans la literie.
Mon père n’avait pas de garçon : je l’ai aidé
Le patron de Chauffailles chez qui elle travaillait
comme si j’étais son fils. Mon père disait très souavait dit : « Si vous vous mariez, si vous partez de
vent : « Ah bin, ma fî ! » Ce qui fait que ses comChauffailles, ramenez votre métier à tisser chez
mis lui donnaient le surnom de « Maffy ». Voulaitvous, à Saint-Igny. » Mais mon papa n’a pas vouil dire « ma foi » ou « ma fille » ?
lu : il n’y avait pas la place, dans notre maison,
Mon père m’a aussi appris à poser le linoléum ou pour un métier mécanique. Alors, un collègue de
le balatum. Je l’ai regardé faire, puis j’ai travaillé mon père, de Saint-Denis-de-Cabane lui a dit :
avec lui, puis je l’ai fait à sa place. Le balatum est « Moi je fais des matelas, je vais apprendre à ta
une matière à la fois dure et fragile, cassante, faci- femme à les faire ; je vais lui montrer. » C’est
lement déchirable, qui nous était livrée en rouleaux comme cela qu’elle a démarré. Elle a appris assez
de deux mètres de large, ce qui fait que c’était rapidement, et c’était une activité qui allait bien
lourd – même si les clients m’aidaient. Il faut poser avec le travail de mon père, qui menuisait les lits.
les lés côte à côte, et coller un adhésif dessous le Aussi son entreprise a-t-elle eu beaucoup de sucjoint. Je préparais mes découpes à l’atelier, en pre- cès. Si elle aimait son métier, la question ne se ponant soin de laisser un centimètre sur chaque côté sait pas : elle n’y était pas malheureuse. Et moide la pièce, pour que le balatum puisse « jouer ». même, je n’ai jamais demandé ce que je voulais
faire. Je n’ai pas choisi : je suis restée tout naturellement avec mes parents, pour les aider. J’ai commencé à les aider vers quinze ans, avant d’être employée. Je savais peut-être mieux que mes sœurs ce
que mes parents voulaient... Je n’ai pas été malheureuse, je ne me suis jamais posé la question. Ça ne
me déplaisait pas. On n’avait pas de questions à se
poser, en ce temps-là. J’avais du travail à la maison, je n’avais pas de raisons d’en chercher ailleurs.
J’étais déclarée par mes parents, et j’ai cotisé pour
la retraite quand cela a été obligatoire.
L’atelier
En ce Temps-là 2013
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Ma mère et moi faisions des matelas à la demande
des clients : laine, crin, ou les deux mélangés : une
couche de crin prise entre deux couches de laine.
Nous faisions aussi couvertures, édredons, rideaux,
tout ce qui allait avec l’ameublement.
Ma mère, à une époque – celle où les clients n’avaient pas encore de voitures, dans les années 50 –
avait commencé à aller travailler à domicile, chez
les clients, quand la toile était déchirée ou que le
matelas était écrasé, notamment à Chauffailles, où
elle laissait une petite cardeuse chez sa tante (la
cardeuse était montée sur deux roues), tandis
qu’elle allait à Chauffailles et rentrait à la maison à
bicyclette. Nous, les enfants, nous n’aimions pas
cela : notre maman était alors absente toute la journée. Ça a été une époque à traverser. Pour ma part,
je n’ai jamais travaillé à domicile.
Parfois, les clients apportaient leur matelas le matin, et, s’il y avait urgence – s’ils n’avaient pas
d’autres lits – , on y travaillait et ils pouvaient venir
le reprendre le soir.
saient à l’atelier prendre commande et apporter le
colis quelque temps plus tard.
Nous aussi, à la literie, avions besoin de fournitures, que nous entreposions dans le magasin, la
pièce du côté de la route. Des représentants passaient avec des livres cartonnés dans lesquels des
échantillons de tissus de qualités et de couleurs
variées étaient collés sur de grandes pages. Nous
étions démarchées par de grandes entreprises spécialisées dans le tissu de literie, notamment une
grosse usine située dans le Nord de la France. On
nous livrait des pièces de toile de 70 mètres. Le
tissu était plié un peu comme en accordéon, puis
roulé, et replié dans l’autre sens pour finir par faire
un colis maniable, mais fort lourd. La toile de matelas, c’est un tissu très spécial, qu’on ne trouvait
pas chez les couturiers, par exemple.
Il n’y avait pas que la toile à matelas. Nous faisions
Transport et fournitures
Mes parents n’ont jamais conduit de voiture : mon
père n’a jamais voulu apprendre à conduire. Pour
ma part, j’ai passé le permis avant 30 ans, et j’ai eu
une 2CV : ainsi je pouvais aller chercher les matelas, et mon père me faisait transporter ses meubles,
souvent en pièces détachées pour les armoires démontables, que le client ou lui remontait à l’arrivée. Pour les lits, les gens se débrouillaient pour les
remonter.
J’allais chercher les matelas des gens qui ne pouvaient pas se déplacer, et qui m’appelaient.
Plus tard, et plus souvent, c’était les clients qui venaient chez nous, en voiture à cheval puis en automobile, pour emporter le meuble qu’ils avaient
commandé. Comme il n’y avait pas le téléphone,
les communications se faisaient directement, le
plus souvent au marché de Chauffailles, où le client
passait commande et où mon père le prévenait que
le meuble était fini. Sur tout le secteur, on avait une
bonne clientèle.
La voiture a changé la façon de vivre des gens.
Tout ce qui avait rapport avec le travail, le commerce, le transport, la vie en général, tout eut un
nouvel essor qui transforma le société entière. Et
nous, nous avons apprécié de ne pas avoir à aller
courir.
Un menuisier a besoin de quincaillerie : mon père
allait chercher en vélo la quincaillerie ordinaire
dans les magasins de Charlieu ou de Chauffailles,
mais pour la quincaillerie des meubles, des représentants de commerce de diverses entreprises pas-
Joannès Christophe & Laurence Forestier
lors de leur mariage en 1927
aussi des couvertures piquées et des édredons. Il
nous fallait de la satinette, et du duvet, qui nous
était livré par sacs d’un kilogramme, par là. Des
moments, il en fallait plusieurs sacs pour un édredon.
Tout cela nous était livré par des camions à moteur
– l’époque des camions à cheval, je ne m’en souviens pas.
Mes études
J’avais été, comme mes sœurs, à l’école à SaintIgny. J’ai réussi, à Chauffailles, le certificat d’études à 13 ans. Puis nous sommes toutes passées, en
nous succédant, au pensionnat du Sacré-Cœur, à
Saint-Maurice. Il était tenu par des sœurs de la
congrégation de Chauffailles. Le Pensionnat, école
libre privée, était situé en face du vieux cimetière
de Saint-Maurice. J’y suis restée deux ou trois ans.
Ce Pensionnat, à la différence de l’école communale, où j’aurais pu rester, menait les élèves jus-
En ce Temps-là 2013
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Une particularité de la maison Christophe :
« Nos parents avaient fait maçonner une niche sur
la façade, pour y placer, à l’abri d’une vitre qui
depuis n’a jamais été brisée, une statuette de la
Vierge : ils étaient très croyants.
Un jour, deux hommes à vélo, rentrant de Chauffailles, passent devant notre maison, notre maman
étant dehors. Un des deux se met à sourire ironiquement en direction de notre Vierge, mais il perd
l’équilibre et tombe dans le fossé !...
Souvenir de Marthe Pothier, née Christophe
qu’au brevet, que je n’ai pas passé parce que je
n’en sentais pas le besoin, et qu’on était quatre à la
maison... J’y étais en même temps que des filles de
Coublanc, Germaine Martin (pas dans ma division)
et Hélène Puillet (avec qui j’étais en classe, et qui
était bonne élève). Nous étions une quinzaine de
filles par classe de même niveau. C’était l’Occupation, et certains parents, en ces temps de restriction,
vers la fin de la guerre, mettaient leur fille au Pensionnat, parce que la nourriture y était plus abondante !
La musique et les temps libres
Mon père aimait bien chanter, à l’église, avec les
autres. Ma mère jouait de la mandoline. Mes sœurs
et moi avons pratiqué le chant au pensionnat de
Saint-Maurice, où l’on pouvait aussi faire un peu
de théâtre, puisqu’il y avait une représentation en
fin d’année scolaire ; Hélène Puillet jouait un rôle.
Moi, j’étais dans le groupe de chant. Mon père
avait acheté un petit harmonium, qui était placé
dans le magasin. Mes sœurs sont allées apprendre à
en jouer chez les Sœurs de Chauffailles. Moi, j’ai
aimé m’amuser sur l’harmonium, j’ai appris la musique par moi-même, en pratiquant à la maison.
En ce Temps-là 2013
Mes sœurs ont joué à l’église, pour accompagner la
messe. Puis elles sont parties quand elles se sont
mariées.
Je devais avoir entre 22 et 25 ans, quand je rencontre un jour dans le village le curé Lacroix. Il me
dit : « Dimanche prochain, comme il n’y a plus
personne, je te demande de m’accompagner à l’église. » Je lui réponds : « Mais vous rêvez pas,
père ? » Il me répond : « Je ne te demande pas si tu
veux, je te demande de jouer. » Le dimanche suivant, j’ai accompagné certains chants et je ne me
suis pas trop mal débrouillée : voilà comment j’ai
commencé. « Tu pourras continuer », m’a dit le
père Lacroix. C’était le début d’une carrière de près
de soixante ans, sous différents curés, qui vient de
s’achever – comme celle de fleuriste de l’église –
sur les conseils du père Grobot ! Sans doute le curé
Lacroix m’avait-il entendue jouer, en passant devant chez nous chaque jour pour aller chercher son
lait à l’Alouette – au carrefour de la route de
Chauffailles –, où il y avait une ferme qui vendait
du lait et faisait boucherie en même temps.
Dans mon enfance, et même plus tard, nous sortions rarement. Et toujours à pied, quand c’était
tous ensemble. Nous allions à pied à la fête à
Chauffailles ; un moment chez la tante, puis un
petit tour dans la fête, et nous rentrions.
Nous sommes un peu parents, je ne sais pas comment, avec les Berthier de La Roche à Coublanc,
un peu cousins avec Pétrus. Quand il allait à pied
au marché de Chauffailles, il s’arrêtait chez nous.
Nous allions de temps en temps le voir le dimanche, lui, sa femme et ses enfants à peu près de notre
âge. C’était l’occasion, en chemin, de saluer des
clients rencontrés devant leurs maisons. Nous passions en général par les Pins. Plus tard, inversement, quand mon père était à la retraite, et que Pétrus Berthier venait le voir, lui qui courait les routes et les chemins malgré sa hanche handicapée,
qui le faisait boiter, mon père le regardait remonter
le chemin pentu des Pins, qui, à l’époque, était
moins caché dans les arbres. Mon père était rassuré
quand Pétrus et sa canne étaient arrivés en haut. La
belle-fille de Pétrus, Germaine Berthier, vient encore me voir avec Martine.
Ma mère est morte de maladie en 1977. Mon père
lui a survécu quelques années ; il vivait ici avec
moi – il avait pris sa retraite –, jusqu’à sa mort à
l’hôpital de Roanne en février 1981. Joannès et
Laurence reposent au cimetière de Saint-Igny.
Propos recueillis par Bernard Berthier, auprès de
Noëlle Christophe, à Saint-Igny-de-Roche,
à partir du vendredi 16 novembre 2012
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Dans notre voisinage
par Victoire Buchet
(suite des souvenirs publiés en 2011)
Dans nos environs de la Place nord, il y avait les
Montbernier, Antoine, qu’on appelait le Toine, et sa
femme la Julie, une Lamure de Saint-Igny. Pour
vivre, ils avaient un potager, des lapins, des poules,
deux vaches et un métier à tisser à la main, peut-être
ensuite un métier électrique.
Tout le monde à Coublanc est passé des métiers à
tisser à la main aux métiers électriques, à part une
autre de nos voisines, l’Yvonne Dessertine, qui a
habité vers la croix des Remparts, puis du côté du
Victor Chambrade, où elle demeurait, vieille fille,
avec son père et son oncle. Après leur mort, elle
s’est mariée, vers 1936, avec un bonhomme de
Saint-Denis-de-Cabane, un plombier, et elle est allée habiter chez lui ; mais elle revenait nous voir, à
pied de Saint-Denis, et du même coup revoir sa
maison.
Le Toine et la Julie avaient une fille, Bénédicte, que
l’on appelait « la Béné », qui a épousé ensuite Jules
Déchavanne. Dans la maison Montbernier, qui est
aujourd’hui celle d’Hubert Déchavanne, il y avait
deux appartements : le Toine et la Julie habitaient
face à la cour, en bas, et le Jules et la Béné logeaient dans les pièces desservies par une porte du
côté du chemin, qui existe encore.
Puis, comme ils étaient tout de même à l’étroit, les
parents de Béné sont descendus habiter non loin de
chez nous, dans une maison au-dessus de la limonaderie, celle d’Anaïs Montbernier, sœur du Toine et
vieille fille. C’est à sa mort qu’ils y sont descendus.
L’Anaïs, comme de nombreux Coublandis en ce
temps-là, avait vécu de peu : un jardinet, des poules
et des lapins, un métier à tisser à main peut-être. Je
me souviens qu’à l’occasion des processions de la
Fête-Dieu, elle nous donnait, à nous, Antonie, Maria et moi, ses petites voisines, des roses coupées à
ses rosiers, tandis qu’à nos autres camarades elle
donnait seulement la permission de ramasser les
pétales tombés au pied des rosiers...
Je me souviens du Jules et de la Béné. J’en ai gardé
le souvenir de la période quand ils se fréquentaient.
J’étais jalouse du Jules, – mon Dieu que je n’aimais
pas ce Jules qui venait voir la Béné – parce qu’il
nous enlevait une amie plus âgée que nous de dix
ou quinze ans, mais qui s’occupait souvent de nous,
comme elle était fille unique, et que nous l’avions
toute à nous. Nous allions chez elle, elle venait chez
nous chercher le lait, nous nous voyions souvent.
Comme il n’y avait pas de poste, pas de télé, en ce
temps-là, on mangeait souvent ensemble, dehors,
dans les cours, de travers, on vivait souvent ensemble, tous, jeunes et vieux. Alors que maintenant...
Ça fait quatre ans que je n’ai pas vu ma voisine !...
Donc le Jules fréquentait la Béné. Il venait les dimanches après-midi, à pied, de son quartier de
l’Orme, où il habitait avec sa sœur Yvonne la maison qui est aujourd’hui celle de Carole Danière,
fleuriste (Yvonne étant l’arrière-grand-mère de Carole) ; et tous les deux se promenaient, pas bien
loin, et souvent
accompagnés par
un tiers, la mère
Julie sans doute,
sur les chemins,
ou passaient du
temps chez les
Montbernier.
Je me souviens
aussi de leur mariage, mais pas
trop. À l’époque,
le mariage était
une affaire très
Jules Déchavanne
familiale, la céréfootballeur à l’USC..
monie religieuse
Photo de la Béné page 8, en
avait lieu le samebas, à droite.
di matin, avec
seulement
les
gens de la noce. Un déjeuner était servi dans la maison de la mariée ; dans l’après-midi, on allait danser
dans un bistrot ; puis on reprenait un repas le soir
dans la maison de la mariée.
Le Jules et la Béné avaient des métiers à tisser.
Quand l’électricité est venue, on a pu en avoir plusieurs. Le Jules avait appris par lui-même à couper
les cheveux : il faisait le coiffeur pour hommes,
pour hommes seulement, le samedi, toute la journée, dans sa maison. Aussi ne l’ai-je jamais vu
faire, mais c’était une distraction de voir les hommes aller et venir : la maison était en face de la nôtre. Les résultats étaient inégaux, des fois c’était un
peu loupé, mais il ne faisait pas payer bien cher. Il
rectifiait aussi les barbes des quelques barbus de
l’époque, où tous les hommes étaient au moins
moustachus. On ne faisait pas bien attention aux
barbus, mais je me souviens du père Billard, au
Bourg, un oncle marié avec la sœur de ma mère, et
du père Boiraud, à Génillon.
À la mort des Montbernier, le Jules et la Béné n’ont
pas gardé les vaches. Ils sont morts après mon mariage, en laissant deux garçons, le Gaston, marié à
Germaine Ducarre, de Mars, et le Joseph, marié à
Raymonde Ducarre aussi, la cousine de la précédente.
En ce Temps-là 2013
Page 17
Nous avons eu aussi comme voisins, mais un peu
plus loin, et pas très longtemps, le Pétrus et sa
femme Clotilde, dans la maison qui est aujourd’hui
celle de Geneviève et Daniel Larue ; c’est là qu’ils
ont eu leur premier enfant, le Joanny. Auparavant,
la maison appartenait aux Marchand, qui l’avaient
donnée à M. Rémi Joly, le maire de Coublanc, et
leur cousin, parce que leur unique fils et descendant
était mort à la guerre, en 1917. Après le Pétrus, les
Lauriot sont venus s’y installer.
La limonaderie
Je passais devant la limonaderie chaque jour, pour
aller à l’école, vers 1930. Je me souviens qu’en remontant, nous mettions souvent le nez sur la fenêtre
de l’atelier. Il y avait un jeune homme, le Pierrot,
qui y travaillait. Il prenait un siphon, il ouvrait la
petite vitre (il n’y en avait qu’une qui s’ouvrait, la
petite, elle existe peut-être encore), et il nous arrosait : on se dépêchait de fuir. C’était quasi tous les
jours, cette comédie. C’était de l’eau sous pression.
Ils appelaient cela « le siphon ». C’était comme une
grosse bouteille...
À l’époque, c’était le père Lacroix qui s’occupait de
la limonaderie. Il était marié avec la Léonie. Leur
fille, Léa, future mère d’Alice Lachat, était plus
âgée que moi, et elle habitait avec ses parents. Elle
épousa Monchanin, qui venait de Saint-Nizier, et
qui prit la direction de la fabrique après le père Lacroix.
Il y avait de l’activité à la limonaderie. On y fabriquait bien sûr de la limonade, « La Régionale »,
mais on y vendait aussi de la bière. On y trouvait
encore de cette eau gazeuse appelée « siphon », en
assez grosses bouteilles cubiques avec une espèce
de robinet en haut. Et puis, Monchanin-Lacroix produisait à partir de je ne sais quelle énergie, de l’électricité sans doute à partir de 1926 (arrivée de l’électricité à La Place), des pains de glace. Des bouchers de Cours, en voitures à cheval d’abord (je les
ai vues), et plus tard en camions automobiles, venaient en chercher. Et nous-mêmes, nos parents
nous envoyaient acheter, une fois par semaine,
quand on faisait le beurre avec la baratte, l’été, un
gros pain de glace que l’on transportait avec un petit
tombereau. C’était pour rafraîchir la crème. On mettait le pain de glace à la cave, il fondait assez vite,
bien sûr... mais il était gros et durait quelques jours.
On pouvait aussi descendre le beurre dans le puits.
Plus tard, j’ai acheté de la limonade, mais pas de
l’eau gazeuse. L’eau gazeuse des « siphons », c’était pour les cafés, je pense. Je ne sais pas d’où venait leur bière.
C’était important, La Place – même si la limonaderie faisait partie des Theurots.
En ce Temps-là 2013
Les charivaris
Quand un veuf ou une veuve se remariait, on faisait
une charivari 1. J’en ai connu au moins trois, et si je
pouvais, je ne les ratais pas !
Il y a eu celle pour les noces du Joseph Druère, qui
s’est marié avec Joséphine Druère après avoir été veuf
d’une autre Joséphine Druère. Cette dernière, qui était
issue des Druère de la Masoierie, au Bourg, était
morte d’un cancer, à Lyon, aux alentours de 1944. Le
veuf avait épousé en secondes noces sa cousine Joséphine Druère, de la Croix des Remparts.
La charivari avait lieu le samedi précédent les noces,
durant la veillée et la nuit, et y allaient tous ceux qui le
voulaient, aux frais des mariés : on mangeait des gâteaux, on buvait, on dansait, on mettait des fagots pour
cacher je ne sais plus quoi avant d’en faire un feu de
joie ; on chansonnait les fiancés, on leur lançait des
bêtises, des moqueries, des lazzis. Cela se passait dans
la maison de l’un ou de l’autre, en l’occurrence celle
qui est aujourd’hui celle de Robert Druère, aux Remparts.
Ma deuxième charivari, ce fut pour le remariage de
Germaine, née Gaillard, issue d’une maison du Pont
des Rigolles, près du garage de Ferdinand Barriquand,
du même côté de la route. Elle s’était d’abord mariée
avec Paul Collet ; c’est lui qui faisait le transport de
Coublanc à Chauffailles, tandis qu’elle tenait l’épicerie-café de la Place ; elle était donc de nos voisins. Je
me souviens que pendant la guerre, ils avaient reçu un
colis de gâteaux sans sucre ; nous, on lui avait tout
mangé ses gâteaux... Le Paul Collet est mort pendant
la guerre. Elle s’est remariée avec Joseph Duperron,
du Paradis, et elle a quitté la place et son épicerie, reprise par Maria Longère, pour aller vivre au Paradis,
dans la maison où ont vécu, dans un autre appartement, à l’étage, Louise et Jeanne Duperron, sœurs du
Joseph, demeurées vieilles filles. On a été toute une
bande pour faire leur charivari, à l’épicerie de la Place.
Mais à l’époque, mon frère Claude n’aimait pas trop la
rigolade ; d’ailleurs, il était au Séminaire à Autun et ne
s’occupait pas des charivaris.
Ma troisième charivari est plus récente : ce fut pour
les noces de Julien Buchet, plus très jeune, avec une
veuve pas de Coublanc, qui habitait la Maison des
Anciens. Julien habitait la Raterie la maison des Dusseau aujourd’hui. Leur charivari, peut-être la dernière
à Coublanc, a eu lieu à l’épicerie-café de La Place.
Propos de Victoire Buchet,
recueillis aux Bruyères
par Bernard Berthier, vendredi 10 février 2012
1. Féminin à Coublanc, ce mot est masculin d’après le
dictionnaire Robert, qui précise qu’il vient soit d’une
onomatopée, soit du grec « caribaria », signifiant
« mal de tête ». Ndlr
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Le domaine André
II. Les aléas d’une donation
Nous avons vu l’an dernier comment en quelques
décennies la famille André avait arrondi son domaine par des acquisitions incessantes. Mais pas de
descendants, pas d’héritiers quand Claude, déjà
veuf, cesse d’être vif le 11 septembre 1850. Il ne
reste de sa famille que son frère, Jean-Claude, curé
à Saint-Julien-de-Cray, qui aussitôt songe à se dégager du souci des biens familiaux de Coublanc.
Il envisage des générosités (dons de vêtements aux
pauvres...) selon la volonté de son frère, le don de
l’ensemble de ses immeubles à la Fabrique de l’église de Coublanc, à charge qu’elle lui reverse
1000 F par an, avec quelques autres conditions,
comme de dire des messes pour son frère à perpétuité. Mais les conditions essentielles seraient que la
maison principale, mitoyenne au presbytère, accueille des sœurs enseignantes pour les « filles pauvres » dont une « hospitalière » pour les « malades
pauvres » de la commune, et qu’on subventionne un
lit pour les infirmes pauvres de Coublanc à l’hôpital
de Chauffailles.
L’acte de donation, qui fera référence pour régler
tous les problèmes qui surgiront ensuite, est signé
deux ans plus tard, le 26 mai 1857. Le préfet autorise la donation à la Commune le 1er décembre
1857. Le notaire de Chauffailles devant qui est signé l’acte est Maître Rochon. Le maire chargé des
opérations au nom de la Commune et de la Fabrique
est Claude Joly.
Il est visible que le curé André a eu des intentions
nettement philanthropiques, tout en préservant ses
intérêts. Mais il donne beaucoup plus qu’il ne
garde.
Il a prévu que si l’école qu’il institue devait être
supprimée, les revenus de la donation seraient partagés annuellement, moitié aux plus indigents de la
commune et moitié à l’hospice de Chauffailles,
pour soigner les malades pauvres de Coublanc.
Le curé André meurt en 1874, et la réalisation de
son testament commence en 1876 : deux religieuses
recommandées par l’évêché sont installées, institutrices « congréganistes » pour les filles dans une
école considérée comme « publique » – puisque la
Commune s’en occupe. L’une d’elle est aussi infirmière pour les pauvres. Dès la première année, il y
a 130 filles à l’école, car Coublanc compte alors
2042 habitants.
En 1877, un autre legs, celui d’Antoinette Dessertine, pousse la municipalité à la création d’un Bu-
reau de bienfaisance, dirigée par sept membres élus
par cooptation pour quelques années.
Par suite de cette création, la Commune sera nuepropriétaire des immeubles de la donation, le Bureau de bienfaisance devenant bénéficiaire et comptable des revenus générés par le fermage du domaine.
Cela fonctionne sans accroc, jusqu’au 30 juin 1897,
où le maire Auguste Joly reçoit la décision préfectorale de laïciser l’école de filles.
Le conseil, qui prend en considération les services
rendus par les sœurs durant vingt-six ans, et qui se
rebiffe contre les décisions politiques venues d’en
haut, demande l’autorisation de transformer l’école
publique congréganiste en école libre et, en 1902,
veut maintenir la sœur hospitalière.
C’est vers cette époque qu’une sombre bataille va
se dérouler entre la Mairie et le Bureau de bienfaisance. La Mairie considère qu’elle va dans le sens
du curé André et de son frère Claude, en continuant
l’instruction des filles pauvres par d’autres moyens
– l’école libre ayant toujours comme enseignantes
des sœurs. Le Bureau s’oppose à cette pratique, et
notamment au prélèvement par la mairie d’une part
du revenu des locations pour entretenir les bâtiments, au détriment du service des pauvres.
En fait, deux intentions charitables s’opposent, et
cela est d’autant plus cocasse que le Maire est d’office président de la commission administrative du
Bureau de bienfaisance.
Un procès s’ensuit le 8 juin 1905 au Tribunal civil
de Charolles, qui tranche entre les deux parties
d’une manière qui permet la réconciliation après de
coûteuses années de dissensions (la justice n’est pas
gratuite !).
Et voici qu’une nouvelle affaire va inquiéter le nouveau maire, Jean-Nicolas Auclair, avec l’apparition
de lointains héritiers, la famille Alamartine de Semur-en-Brionnais, qui prétexte que les conditions
du legs André n’étant plus respectées, le legs devient invalide...
Le livre électronique que j’ai tenté de résumer, et dont je
laisse lire la suite et fin sur le site Coublanc-71, a été
écrit par le webmestre de ce site. Il donne tous les documents manuscrits de cette aventure du legs André, et il
les transcrit pour nous.
Une dernière partie présente le détail des soucis donnés
à la municipalité par l’entretien de la ferme André, construite en 1809, (voir son image sur la page de garde,
devant l’église), ferme qu’il a fallu louer, voir sous-louer
habilement, entretenir et aménager plusieurs fois, jusqu’à y faire un local pour le corbillard, avant sa destruction en 1989.
Bernard Berthier
En ce Temps-là 2013
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Les grandes joies de la vie
Dix naissances d’enfants domiciliés à Coublanc (à savoir 3 garçons et 7 filles) ont été
enregistrées à la Mairie en 2012 :
Mathilde CRASNIER-GUÉRIS
Félicien PLASSARD
Laurine POYET
Sara NERI
Nolan LIVET
Tessa BARILLE
Lylou GENTIL-PERRET
Ulrik DEMURE
Inaya KEBLI
Émeline PERRIN
7 février
de Sandrine GUÉRIS et Nicolas GRASNIER
8 février
de Marie-Line BOYER et François PLASSARD
25 février de Christine PERACHE et Mickaël POYET
21 mars
de Vanessa PERRUDIN et Alexandre NERI
3 avril
de Nathalie BOURGOGNE et Éric LIVET
3 mai
de Carole DANIÈRE et Fabien BARILLE
26 juin
de Céline MONDILLON et Nicolas GENTY-PERRET
14 septembre d’Angélique MOREIRA et François DEMURE
27 septembre de Mélissa DUTRÈVE et Djamel KEBLI
18 novembre de Mathilde VOUILLON et Laurent PERRIN
Bois Gauthay
La Raterie
L’Orme
Cadolon
Montrond
L’Orme
Montbernier
Le Plat
Pont des Rigolles
L’Orme
Ces bébés sont nés à Roanne, sauf Nolan, Ulrik et Inaya, nés à Paray-le-Monial
Sept mariages ont été enregistrés en 2012 à Coublanc :
Marielle CHIGNIER et Julien VIDAL
Morgane RENAULT et Jean-François LINOIS
Béatrice PHILIPS et Philippe VERNAY
Anne-Laure BONTEMPS et Matthieu DEGUT
Nathalie BOURGOGNE et Éric LIVET
Céline GELOT et Sylvain BACHELET
Delphine BLANCHARD et Christophe CHAVANON
Vers Roche (Saint-Igny)
La Machine (Nièvre)
Carthelier
Bonne (Haute-Savoie)
Montrond
Pont des Rigolles
La Charmaillerie
12 mai 2012
9 juin 2012
16 juin 2012
23 juin 2012
14 juillet 2012
14 juillet 2012
8 septembre 2012
Tous nos vœux d’heureuse vie aux uns et aux autres !
Détail d’un tableau de Gustav Klimt
En ce Temps-là 2013
Edmund Blair Leighton, La Marche nuptiale
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Nos deuils en 2012
Parmi les Anciens de Coublanc (7 = 1+6)
Marie ROLLAND, née DANIÈRE
Marguerite BRISE, née COMTE
Jérémie THIVIND
Marie VILLARD, née DANIÈRE
Pierrette T ARGARONA, née FUENTES
Henri GARCIA
Françoise CHEVÉ née MÉGARD
Le Bourg
Carthelier
L’Orme
La Place
Le Bourg
La Raterie
Le Foron
01/09/1906 - 16/03/2012
03/04/1911 - 01/06/2012
28/10/1912 - 03/05/2012
14/09/1913 - 28/11/2012
16/12/1927 - 12/12/2011
28/02/1936 - 22/08/2012
01/09/1937 - 25/05/2012
à 105 ans
à 101 ans
à 99 ans
à 99 ans
à 83 ans
à 76 ans
à 74 ans
À la Maison des Anciens, venant d’autres communes (1)
Marie BONNETAIN
Chauffailles
22/08/1917 - 30/05/2012
à 93 ans
Parmi les Coublandis de moins de soixante-quatorze ans (2)
Jean-François GOEPFERT
Noël VILLARD
Cadolon
La Place
15/04/1945 - 26/03/2012
25/12/1946 - 15/04/2012
à 66 ans
à 65 ans
Parmi les Coublandis résidants hors de Coublanc (2)
Julien LEMPEREUR
Suzanne BASSEUIL
Cadolon/Chauffailles
Saint-Nizier
21/09/1920 - 01/03/2012
05/03/1923 - 24/07/2012
à 91 ans
à 89 ans
Nos condoléances aux familles dans la tristesse
La mort, une rencontre
La mort, c’est la rencontre prodigieuse,
éblouissante, de l’Infini, de l’Éternel, de l’Amour. Alors qu’à tout amour humain est mêlée
la souffrance de savoir que, voulant se donner,
on ne se donne jamais en plénitude et, voulant
recevoir, on ne connaît jamais l’aimé en plénitude. […] Avec la mort, celui qui nous quitte
va commencer à nous connaître, dans le plus
intime de nous-même, à travers la connais-
sance que Dieu a de nous.
Alors vous comprenez, je pense, mon impatience. Même si j’ai des remords et des regrets,
je n’ai pas peur de mourir. […] Quand on a
mis sa main dans la main des pauvres, on
trouve la main de Dieu dans son autre main.
[…] Je sais que la mort est un rendez-vous
longtemps retardé avec un ami. L’attente comblée.
Abbé Pierre, Testament, Éditions Bayard, 1994
En ce Temps-là 2013
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Liste des Anciens
Dans la période de restrictions budgétaires
généralisées que nous vivons, notre comité a
décidé d’en revenir à l’âge de 75 ans pour commencer à recevoir le cadeau de Noël.
Les listes qui suivent ne correspondent pas
exactement aux données de l’état-civil. Quand
un Coublandi est obligé de quitter la commune, il
n’est pas rayé automatiquement de nos listes.
Mais, bénéficiant en général d’un cadeau dans
la commune où il s’est installé, il ne recevra plus
le cadeau des Coublandis, mis à part la revue.
Cinq d’entre vous, dont les noms sont écrits
en italique, vivent à la Maison des Anciens de
Coublanc (MA). En italique aussi, le nom du hameau d’origine de ceux qui ne résident plus à
Coublanc. Nous indiquons la ville ou le village où
ils se trouvent à notre connaissance.
Si nous avons commis des erreurs, nous
vous prions de nous les signaler, pour que nous
les corrigions l’an prochain. Merci.
Née en 1909
Marie-J. BRISSAUD
Cadolon
Née en 1917
Marie-Rose DÉAL
L’Orme
Belmont
Nées en 1919
Marguerite AUCLAIR
Germaine LAMURE
Cadolon
L’Orme
MA
Chauffailles
Née en 1920
Victoire BUCHET
Les Bruyères
Nés en 1921
Maria AUCLAIR
Juliette BUCHET
Clotilde FOREST
Renée RONDEL
Yvonne VILLARD
La Place
Le Bourg
La Place
Le Bourg
La Place
Maurice BARRIQUAND
Jacques RONDEL
Jeanne SAMBARDIER
Montbernier
Le Bourg
Montbernier
Née en 1923
Andrée CHERVIER
Les Génillons
Nés en 1924
Germaine BERTHIER
Marie-Rose CHEVRETON
Germaine COLLONGE
Julienne DESMURS
L’Orme
La Place
Cadolon
Le Perret
Nés en 1925
Simone BOUCHERY
Marie LACÔTE
Henri SAMBARDIER
Le Bourg
Montbernier
La Croix du Lièvre
Nés en 1926
Joanny BERTHIER,
Marie-Laure CHASSIGNOLLE
Marie-Louise CHAVANON
La Roche
Cadolon
Charmaillerie
Nés en 1927
Jeanne BERTHIER
Gisèle MATHERON
Maurice VOUILLON
La Roche
Les Genillons
L’Orme
Nées en 1928
Jeannine LARUELLE
Juliette VOUILLON
Montbernier
L’Orme
Nés en 1929
Jeannine DEQUATRE
Augustin GRAPELOUP
Marguerite GRAPELOUP
Louis LAURENT
La Charmaillerie
Bonnefond
Bonnefond
La Charmaillerie
Nés en 1930
Claudien ACCARY
Simone ALLOIN
L’Orme
La Bourgogne
Nés en 1922
En ce Temps-là 2013
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Chauffailles
Chauffailles
MA
MA
MA
Charlieu
Madeleine BARRIQUAND
Germaine DÉCHAVANNE
Jean LARUELLE
Marie-Louise LAURENT
Hélène NEVERS
Marcelle PERRIN
Germaine SAMBARDIER
Montbernier
La Place
Montbernier
Charmaillerie
Cadolon
Cadolon
La Croix du Lièvre
Nés en 1931
Maurice ACCARY
René DANTON
Zahara ASKI
Le Foron
Cadolon
Le Perret
Nés en 1932
Josette-Simone BRISE
Geneviève CROZET
Marie-Antoinette DEMONT
Odette GRAPELOUP
Jean MERCIER
Urbain PANAFIEU
Carthelier
Cadolon
Les Génillons
La Place
La Serve
Les Remparts
Nés en 1933
André BUCHET
Claude CHAMBONNIER
Jeanne CHAMBONNIER
Suzanne DANTON
Raymonde DÉCHAVANNE
Henri VAGINAY
La Place
Cadolon
Cadolon
Cadolon
Montbernier
Bois Gauthay
Nés en 1934
Monique MATHERON
Josette PANAFIEU
Georges PIQUAND
Albert PROVILLARD
René VERMOREL
Simone VERMOREL
Les Génillons
Les Remparts
Montbernier
Carthelier
Cadolon
Cadolon
Nés en 1935
Marie AUBONNET
Jean VERNAY
Simone RODRIGUES
Cadolon
Cadolon
Cadolon
Nés en 1936
Marie BERTILLOT
Maurice BERTILLOT
André BOURDON
Joseph GAILLARD
Josette GAY
Josiane GONDARD
Joseph LACÔTE
Colette PIQUAND
Jean POYET
Cadolon
Cadolon
Le Perret
Les Espaliers
Cadolon
La Grande Terre
Le Bourg
Montbernier
Montbernier
Josette CHAVANON
Gabrielle PREHER
Marie-France VERNAY
L’Orme
Terre des Chambres
Cadolon
Nés en 1937
Chauffailles
Pouilly-sous-Charlieu
MA
On peut ajouter à cette liste des personnes depuis longtemps en résidence secondaire à Coublanc, parfois
inscrites sur les listes électorales, ou répertoriées par nos listes précédentes, ou même qui écrivent dans
notre revue. Si vous connaissez d’autres personnes dans leur cas, faites-le-nous savoir gentiment...
Né en 1925
Nées en 1928
Née en 1929
Pierre BERTHIER
Renée BERTHIER-LAPLANCHE
Claude BELLON
Antoinette BERTHIER-GUILLAUME
Lyon et La Place
La Faverie et Fontenay-sous-Bois
Le Moulin de l’Orme et Lyon
La Faverie et Fontenay-aux-Roses
En ce Temps-là 2013
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Né en 1929
Né en 1932
Nés en 1933
Née en 1936
Roger FOUILLANT
Jean GAVET
Gaston BENHAMOU
Bernard BUCHET
Jean-Claude DUCLAY
Geneviève LACÔTE
Irène DUCLAY
Le Foron et Roanne
Le Bois Gauthay et Roanne
Les Épalis et Aubervilliers
Croix du Lièvre et Saint-Raphaël
L’Orme et ?
Cadolon et Roanne
L’Orme et ?
Le Comité du Noël des Anciens, qui a préparé le cadeau 2012 ainsi que cette revue 2013, est
composé de Bernard Berthier (président et rédacteur de la revue En ce Temps-là), Marie-Thérèse Jarroux-Chavanon (trésorière), Danielle Berthier-Duperron, Anne-Marie Déal, Renée Druère et Denise
Déal.
Nos subsides proviennent pour une part des anciens eux-mêmes lors de la distribution du colis, et
de particuliers à l’occasion d’événements familiaux (qu’ils en soient chaleureusement remerciés) ;
mais pour l’essentiel du CCAS de Coublanc, donc de la commune. Nous avons aussi reçu des contributions volontaires pour encourager le colis et la revue En ce Temps-là. Notre reconnaissance va à
tous et à chacun, mais en particulier, cette année encore à quelques donateurs extérieurs.
Nous saluons et remercions Anne-Claire Millord, notre efficace présidente de 2007 à 2012, qui
est partie habiter Arcinges et a donc préféré céder sa place à un Coublandi.
Points de vente du numéro 2012
- Michèle Bernillon (café-épicerie de Coublanc)
- Brigitte et Bruno Chevreton (boucherie à Chauffailles)
- Maison de la Presse (Chauffailles)
- Aurélie et Jérôme Besançon (boulangerie de
Saint-Maurice)
- Ginette et Philippe Desmurs (garage de Maizilly)
- Pierre Zeimetz (épicerie de Saint-Igny)
- Louis-Frédéric Blanchardon (épicerie de Mars)
Ont cessé leur activité en 2012 :
- Anne-Marie et Aurélien Chassignol (boulangerie
de Cadolon)
- Patricia et Serge Demont (garage à Chauffailles)
Un grand merci à ces diffuseurs bénévoles !
Nous comptons sur eux
et éventuellement sur d’autres nouveaux
pour ce numéro 2013 !
Ce numéro 18 a été conçu et composé par Bernard Berthier et le Conseil d’administration de
l’association du Noël des Anciens de Coublanc, avec l’aide, pour la relecture, la recherche et la
fourniture de documents, de photos anciennes et de souvenirs, de Marie-France Jacotey, secrétaire
de la mairie de Coublanc, Danielle Berthier-Duperron, Marie-Thérèse Jarroux-Chavanon, Renée
Druère, Anne-Marie Déal, Geneviève Le Hir, Marie-Jo Dufour, Philippe Séveau, François Millord,
Martine Berthier, Simone Bouchery, Victoire Buchet, Patrick Berthier, Marie-Hélène Sigaut,
Claude Franckart et Coublanc-71, Régis Déal, Gérard Vaginay, Simone Thévenet, Germaine et
Henri Sambardier, Noëlle Christophe et Marthe Pothier, Claudien Accary, Bernard et Chantal Dumaitre, Bernadette Lacôte, Danièle Dessertine, Maurice Barriquand, Bernard Magnin, Joëlle Courot
et Lionel Simond avec les enfants des écoles. Photo du vitrail par Mélanie Berthier. Dessin de couverture de Nadège Demont. Aux uns et aux autres nos remerciements.
Voir l’ensemble des « Crédits iconographiques » à la page 3.
En ce Temps-là 2013
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Cahiers Jules Dubuy
Conférence du 8 novembre
à Coublanc
Environ 80 personnes de Coublanc et des villages
voisins formaient, jeudi soir 8 novembre 2012 à la
Salle pour Tous de Coublanc, le public attentif et
séduit d’une conférence sur la Papouasie et sur le
P. Jules Dubuy (Coublanc, 1887- Ononghé, 1952).
Parmi ces personnes, le maire de Coublanc et Charles Dubuy, neveu du missionnaire et ancien maire
de Saint-Nizier-sous-Charlieu.
Didier Boussarie, vétérinaire et naturaliste venu de
Laon (Aisne), mais qui a des ascendants au Bois
Gauthay, voyageur à plusieurs reprises en Papouasie, a efficacement présenté la géographie, l’histoire, la faune et la flore, ainsi que quelques ethnies
de la grande île.
Gérard Vaginay, organisateur de la soirée, lui aussi
originaire du Bois Gauthay et grand voyageur, a
projeté et commenté deux de ses diaporamas.
Le premier offrait la quintessence de son voyage en
Papouasie en septembre et octobre 2011 (cf. son
article dans En ce Temps-là 2012), à la conquête
des principaux sommets de la Papouasie Nouvelle
Guinée, et à la recherche des traces de Jules Dubuy
dans la « station » d’Ononghé. Le second, d’une
très grande qualité, résumait en neuf minutes étincelantes la vie et l’œuvre de Jules Dubuy, missionnaire du Sacré-Coeur d’Issoudun, arrivé en Papouasie il y a un siècle (janvier 1913) et dont nous célébrons le 60e anniversaire de la mort accidentelle en
1952.
Enfin le P. Philippe Séveau, missionnaire de la
même congrégation, travaillant en Papouasie de
1971 à 1995, au service de villages peu éloignés de
celui du P. Dubuy, a pris la parole en dernier. Il a
évoqué de manière très pédagogique, avec l’aide
des jeunes Dorian et Ophélie, la vie et les mœurs
traditionnelles des Papous et le travail éducatif, sanitaire, spirituel que faisaient avec eux les missionnaires, dans des conditions de communication et de
confort très difficiles. Une partie de son propos a
été mis en image par des extraits d’un film introuvable qui a été tourné en Papouasie sur le P. Jules Dubuy, vingt ans après sa disparition, intitulé Mains
d’hier, terres d’aujourd’hui. Paysages étonnants et
rudes, mœurs exotiques (épouillage et allaitement
de petits cochons par des femmes, danses rituelles,
etc.).
Pour finir, les voyageurs ont montré quelques objets
étranges typiquement papous : pipes de bambou,
colliers de canines de chiens ou de cochons ou d’élytres de coléoptères, pectoraux de plumes multicolores d’oiseaux divers.
Cette soirée instructive invitera à continuer les recherches sur Jules Dubuy, et donnera peut-être envie à des Coublandis de visiter la Papouasie et de
renouer des liens avec Ononghé, où notre concitoyen n’est pas oublié, au point que « Jules Dubuy », prononcé « Youle Douby », est devenu un
prénom usuel.
À quand un jumelage Coublanc/Ononghé ?
Entretien avec
le P. Philippe Séveau, MSC
Le P. Philippe Séveau, missionnaire du SacréCœur, venu évoquer la mission de Papouasie à
Coublanc le 8 novembre 2012, sait ce dont il parle :
il a été lui-même sur le terrain de 1971 à 1995,
dans trois postes différents, successivement Jongai,
Fané et Kubuna, dont les deux premiers sont voisins
d’Ononghé. Il a donc visité à plusieurs reprises la
station créée par Jules Dubuy quelques décennies
plus tôt. On le voit même fugitivement dans le film
tourné par le père Taphanel intitulé « Mains d’hier,
terres de demain », consacré au P. Dubuy.
En ce Temps-là : – Quelles pouvaient être les motivations d’un « candidat » coublandi à la mission en
Papouasie (si, 60 ans avant vous, l’on choisissait
son "poste") : le désir d’aller porter la parole jusqu’aux extrémités de la terre (= foi), l’ambition de
"civiliser" des sauvages (= sorte de charité) ou,
plus prosaïquement, le désir d’aventure chez un
jeune homme dont on peut imaginer qu’il a lu Jules
Verne ?...
P. Séveau : – Le P. Dubuy est arrivé en Papouasie
Nouvelle Guinée le 1er janvier 1913, presque 28 ans
après la célébration de la première messe en terre
En ce Temps-là 2013
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papoue, sur l’île de Yule, le 4 juillet 1885. Il avait
choisi la Congrégation des Missionnaires du SacréCœur ; dans le livre de vie de cette Congrégation,
on peut lire au n°147 : « Pour l’apostolat missionnaire à l’étranger, nul ne sera envoyé sans son acceptation. » Le jeune prêtre a donc demandé de partir en Papouasie et sa demande fut acceptée.
Pourquoi le P. Dubuy a-t-il fait la demande de partir
en Papouasie ? Je pense qu’il y a eu trois motivations.
L’idée lui est venue, je pense, à la lecture des Annales de Notre-Dame du Sacré-Cœur d’abord. Cette
revue, la plus ancienne du genre en France, commença en janvier 1866, donc avant la naissance de
notre missionnaire. Dans cette revue, chaque mois,
un missionnaire, dans de longues lettres, parlait de
son apostolat avec ses joies et ses difficultés au milieu de ces populations qu’à cette époque on appelait « sauvages ». Déjà, en 1887, année de la naissance du petit Jules, on peut lire des articles sur la
Mélanésie et la Micronésie.
Ensuite, des rencontres avec des missionnaires
n’ont fait qu’augmenter son désir de
partir. Après sa
première profession religieuse, le
4 octobre 1905, à
Glastonbury,
en
Angleterre, le nouvel MSC commence son scolasticat (= son grand
séminaire) à Fribourg, en Suisse.
Les missionnaires du Pacifique ne manquaient jamais, pendant leurs vacances, de passer voir les jeunes MSC dans leurs lieux d’études pour les motiver
et les inviter à partir en mission.
Enfin, le P. Augustin Auclair, né à Coublanc le
5 novembre 1875, donc de 12 ans l’aîné de Jules
Dubuy, ne doit pas être étranger à la vocation de
son compatriote et à son entrée chez les Missionnaires du Sacré-Cœur.
ECTL : – De quelle préparation le candidat missionnaire bénéficiait-il (en Europe, en Australie,
sur place) ?
Ph. S. : – Là encore, il faut distinguer, pour notre
Coublandi, trois sortes de préparation.
Une vie physique assez dure durant son enfance
dans la maison natale fut la meilleure de ses préparations. Il vivait au contact de tous les animaux
d’une ferme de Coublanc : du cheval à la poule.
En ce Temps-là 2013
Une ancienne de La Place se souvient encore l’avoir
vu descendre à la messe sur son cheval. On comprend pourquoi un de ses premiers soucis en Papouasie fut de tracer des sentiers pour caravanes
depuis Ononghé jusqu’à Popolé (deux jours de marche en passant au mont Tafa qui dépasse les
3000 mètres).
Ensuite, la congrégation favorisait grandement la
formation technique des étudiants : certainement, le
séminariste Dubuy n’était pas différent de ses
condisciples. Si nous ne trouvons rien dans ses
écrits à ce sujet, je peux donner l’exemple d’Henri
Verjus, le premier MSC à débarquer en Papouasie :
« Son bonheur est de travailler avec les Frères coadjuteurs. Avec eux et comme eux, il manie le rabot et
la varlope, mais encore la machine à coudre. Il apprend à faire une soutane, à faire des souliers, à fabriquer des chaises. Rien n’est petit de ce qui peut
contribuer à la civilisation chrétienne et à l’évangélisation des âmes... En vue des Missions, il demande l’autorisation d’aller aux hôpitaux pour y
apprendre à connaître les maladies et à soigner les
malades. Ô mon Dieu, écrit-il, que ce spectacle est
navrant ! Là un enfant qui s’est déchiré les entrailles
en tombant sur des éclats de verre ; là un homme
jeune qui s’est brûlé les mains et la figure dans une
chaudière bouillante. Ici, un amputé ; là un moribond… J’ai vu tous les instruments qui servent aux
opérations… Je suis sorti de plus en plus persuadé
que le vrai missionnaire ne doit rien ignorer. 1 »
Jules Dubuy a eu le même souci ; pour cela il est
revenu à Coublanc et a demandé à Victor Thévenet
de lui apprendre le métier de menuisier.
Et puis, il y a aussi la préparation intellectuelle que
le jeune Dubuy trouve dans les Annales de la Propagation de la foi : une revue fondée le 3 mai 1822
par quelques Lyonnais qui reprennent et élargissent
les initiatives de Pauline Jaricot pour soutenir les
missions catholiques.
ECTL : – Quelles étaient les principales difficultés
que risquait de rencontrer, et qu’a affrontées le
P. Dubuy ?
Ph. S : – En 1913, le premier obstacle à l’évangélisation reste celui de la distance. Si les tout-premiers
missionnaires ont mis presque huit mois pour arriver à Yule Island depuis Marseille, le P. Dubuy mit
environ trois mois pour arriver à Port Moresby, la
capitale de la Papouasie. Quelques jours à la Procure (une maison servant d’accueil et de dépôt pour
les missionnaires), puis il s’embarque pour l’île de
Yule. Normalement on saluait les autorités religieuses (évêque et supérieur) et l’autorité civile en la
1. Monseigneur Henri Verjus – sa vie, par le P. Jean
Vaudon – Desclée de Brouwer, 1924.
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personne du gouverneur. Après quelques jours, une
barge emmenait les missionnaires sur la grande
terre jusqu’à l’Arapokina et de là, départ pour
Ononghé. Avec la caravane de chevaux et de porteurs, il fallait compter six jours de voyage.
La Papouasie est un pays aux multiples langues
(plus de 800 reconnues par les Nations Unies), variant parfois d’une vallée à l’autre. On peine à imaginer comment le P. Dubuy a pu communiquer avec
les habitants des hautes montagnes. Il célébra la
première messe le 11 février 1913, en latin bien sûr.
Les indigènes n’ont commencé à comprendre les
paroles de la messe qu’après 1963, lorsque le
Concile de Vatican II a autorisé l’emploi de la langue vernaculaire dans la liturgie ; Jules Dubuy était
mort depuis onze ans ! Le célébrant lisait l’épître et
l’évangile en latin et devait ensuite les traduire dans
la langue indigène. Les chants, au début – selon le
principe de Grignion de Montfort – étaient des paroles indigènes sur des airs très connus en France,
comme « Je suis chrétien », « Au ciel, au ciel, au
ciel », « Il est né le divin enfant... » – des chants
utilisés encore aujourd’hui, que je n’avais pas de
difficultés à suivre. La langue indigène – le parler
de tous les jours – s’apprend en six mois environ
mais pour les paroles abstraites ou liturgiques, c’est
un véritable casse-tête. On n’imagine pas les noms
qui ne signifiaient rien pour un Papou des montagnes au début du siècle dernier : comment traduire
et expliquer ce que c’est que du vin ou de la vigne,
des loups et des agneaux, du levain dans la pâte ou
de l’huile pour une lampe ? De plus, les langues
papoues sont mal adaptées à l’expression des idées.
Par exemple dans la prière de l’Ave Maria, nous
disons au début : « Je vous salue, Marie » ; dans la
langue d’Ononghé, on a traduit : « Marie, je te vois
et je te parle. » À la fin de cette prière, on dit : « et à
l’heure de notre mort » ce qui donne pour les montagnards : « quand nous tomberons dans la mort ».
Pour ouvrir les yeux et l’esprit de ses montagnards,
le P. Dubuy n’hésitait pas à passer des films fixes
de la Bonne Presse sur la vie de Jésus et l’Église ou
même, par un ingénieux système utilisant les rayons
du soleil, à projeter de petits films animés sur des
pays d’Europe ou sur les Esquimaux, ce qui étonnait les Papous qui n’avaient jamais vu de neige.
Notre missionnaire a dû bien sûr affronter les difficultés dues au climat (heureusement au temps du
P. Dubuy, le paludisme n’était pas encore apparu
dans les montagnes), au manque de nourriture équilibrée, à l’isolement, surtout dans les stations secondaires où le père était, pendant trois semaines, le
seul blanc dans un village. Mgr de Boismenu, évêque de Yule, recommandait à ses missionnaires de
partir trois semaines dans leurs villages de brousse
mais de se retrouver ensemble une semaine ou dix
jours à la station principale. Un détail qui a son importance : à la station centrale d’Ononghé, on avait
de vrais lits, qui permettaient un meilleur repos que
le hamac ou le plancher des huttes indigènes. Pour
lutter contre l’isolement, J. Dubuy faisait son courrier, des traductions et lisait, du début à la fin, l’Écho du Roannais, même avec six mois de retard. Il
le donnait ensuite aux Papous qui s’en servaient
pour rouler leurs cigarettes.
Le travail manuel présentait également d’énormes
difficultés. Aujourd’hui, nous avons tous les engins
et instruments modernes : l’aérodrome d’Ononghé a
été fait en grande partie avec un bulldozer, vers
1990 ; il est aujourd’hui à l’abandon... Mais du
temps du P. Dubuy tout se faisait à la main, avec
des pelles, des barres à mine et des forets pour percer des trous dans les rochers avant d’y mettre la
dynamite. Dans une lettre de 1948, le P. Dubuy
écrit : « Pourriez-vous me faire une commande de
fers de rabot chez Peugeot : 500 fers de 36m/m de
largeur. » Celui qui a eu l’expérience d’utiliser une
scie de long pour faire des planches comprendra
facilement pourquoi le P. Dubuy s’est empressé de
construire une scierie dont la lame était actionnée
par une roue à eau. « Sachant par expérience que le
grand obstacle à son apostolat et à celui de ses vicaires était le manque de moyens de communication, il devint un spécialiste des constructions de
routes dont il déterminait minutieusement le tracé,
préférant une route longue à pente régulière (jamais
Le Père Philippe Séveau et un bébé papou
plus de 5% quand c’était possible pour ne pas fatiguer les chevaux lourdement chargés) à toute route
courte mais à pente excessive. 2 »
Une dernière difficulté – je l’ai vécue moi-même
bien souvent – tenait dans l’incapacité d’échanger
sérieusement ou de discuter avec les indigènes. J’imagine facilement le P. Dubuy lisant quelque chose
2. Cent ans chez les Papous , par Georges Delbos - Fraternité NDSC - 541 pages - 1984
En ce Temps-là 2013
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de technique ou de spirituel et interrompu par la
venue d’un villageois : « Qu’est-ce que tu fais,
Père ? - Tu vois, je lis – Tu lis quoi ? - Un livre sur
la vie d’un missionnaire en Afrique – Ça dit quoi ,
etc. ». Comment expliquer où est l’Afrique, comment leur faire comprendre que la terre tourne autour du soleil et non le contraire ? Avant mon départ
en vacances en France, les gens venaient m’apporter de la nourriture en disant : « C’est pour manger
avec tes parents, ce soir ».
Enfin, le P. Dubuy, comme tous les missionnaires, a
certainement eu plusieurs fois pendant ses 39 ans de
présence envie de tout laisser tomber et de repartir
en Europe. On en a assez de manger tous les jours
les patates douces, on ne supporte plus la saleté des
gens qui nous entourent, on est désespéré par la lenteur de leur progrès vers la civilisation ou découragé par un « bon » chrétien qui prend une deuxième
femme. Alors si un missionnaire n’a pas une vraie
et solide vie de prière, il ne pourra pas rester dans
ce pays. Cela arrive toujours aujourd’hui et l’on voit
malheureusement certains d’entre eux se laisser
prendre par l’alcool ou les femmes. Tel n’était pas
son cas puisque, par exemple, « pendant la guerre
de 14-18, par suite du manque de personnel et de
ressources, on décide d’abandonner le district d’Ononghé, le dernier fondé ; le P. Dubuy supplie son
évêque de le laisser seul, loin de tout confrère, au
milieu de populations belliqueuses et sauvages. »
Quelqu’un d’autre aurait tout laissé tomber quand
en 1917 « un incendie détruisit en deux heures toute
sa station. Ce drame, au lieu de l’abattre, semble
l’exalter. Il se remet au travail avec plus d’ardeur et
avec le souci de refaire vite et mieux ».
ECTL : – Dans le domaine religieux, quels étaient
les problèmes : différences de point de vue entre
missionnaires ou désaccord avec la hiérarchie ?
Doutes ? Rivalités avec les protestants ? Sentiment
d’échec face aux survivances des conceptions et
pratiques ancestrales (d’où déviations religieuses et
à-peu-près moraux), gênes dues à des contraintes
liturgiques (latin, pain, vin) ou théologiques
(problème du vocabulaire chrétien) ?
Ph. S : – Les problèmes, en effet, sont de plusieurs
sortes.
Depuis le début du XIXe siècle, la Société Missionnaire de Londres (L.M.S.) avait établi un plan d’occupation de la Nouvelle Guinée. Quand les Missionnaires du Sacré-Cœur arrivent dans le pays, la
L.M.S. commence déjà à étendre son influence dans
la région où ils vont s’installer. La L.M.S. profite
des avantages du premier occupant et des privilèges
d’une administration compatriote et, la plupart du
temps, coreligionnaire, qui tend à la favoriser. Le
premier évêque, Mgr Navarre n’acceptera jamais
cette « politique des sphères d’influence » ; ce sera
En ce Temps-là 2013
d’ailleurs la source de nombreuses difficultés et
d’animosités regrettables.
Le P. Dubuy ne parle pas beaucoup de sorcellerie et
pourtant il a été confronté à plusieurs sorciers. Certainement moins virulents que ceux de la côte, ils
sont connus et craints par toute la population. J’étais
d’ailleurs bien embêté quand ils venaient me demander le pardon de Dieu ! Le sorcier se vante de
son pouvoir et rien ne peut détourner l’opinion populaire de le croire. J’ai constaté moi-même des
faits qu’humainement, je ne pouvais expliquer. Pour
les Papous, la maladie et la mort, sauf celle des
vieillards ou des petits bébés, ne sont pas des faits
naturels : tous les malheurs, à moins qu’ils ne soient
causés par les mauvais esprits, arrivent par les sorciers. Notre missionnaire comme beaucoup d’autres
a pu balancer cette influence néfaste et la réduire
considérablement. Au petit hôpital que j’avais pu
construire grâce à mes bienfaiteurs, j’autorisais le
sorcier à venir près d’un malade à condition qu’il ne
lui donne rien à manger ou à boire. Il se contentait
de faire des gestes « magiques » en retirant du corps
du malade une pierre ou un éclat de verre. La médecine européenne jointe à la magie faisait des merveilles.
Il est impossible de comparer l’enseignement du
christianisme du temps du P. Dubuy à celui que l’on
enseigne aujourd’hui. Les plus anciens habitants de
Coublanc se souviennent sans aucun doute de leur
catéchisme, où il était souvent question d’enfer, de
péché mortel, de punition ; ils se souviennent aussi
sans doute des affiches représentant le jugement
dernier, le Paradis et l’enfer. Aujourd’hui on parle
beaucoup plus de l’amour de Dieu « qui veut que
tous les hommes soient sauvés ». Le premier livre
de Benoît XVI ne s’intitule-t-il pas : « Dieu est
Amour » ! Le P. Dubuy comme tous les missionnaires de son temps, avec l’aide de catéchistes laïcs
qu’il avait formés, enseignait le catéchisme avec le
système de questions et de réponses.
Les plus anciens d’entre nous se souviennent encore
des « deux écoles d’apostolat dans les montagnes de
Papouasie : celle du P. Dubuy et celle du
P. Bachelier. Le premier prônait l’exigence de la
formation chrétienne. Les catéchumènes n’étaient
admis au baptême qu’après une longue préparation
et une sérieuse épreuve. Le P. Dubuy se défiait de
tous les comprimés de doctrine. En bon psychologue, il soutenait qu’on peut demander beaucoup à
un catéchumène sérieux, tandis qu’on ne peut rien
obtenir d’un chrétien médiocre et ignorant. Il était
contre toute méthode de facilité, au spirituel comme
au matériel. Il visait à la formation d’une chrétienté
bien instruite et pratiquante. Le P. Dupeyrat écrit :
« Au premier mois de son installation en 1913, le
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P. Dubuy accueillait chez lui une dizaine de pensionnaires qui formèrent son premier noyau chrétien. En 1916, les constructions faites, il ouvrait une
école organisée, qui compta bientôt une cinquantaine d’enfants. Mais jusqu’ici, les résultats n’ont
pas été aussi rapides ni si constants qu’à Kuni. La
race qui peuple cette haute altitude est beaucoup
plus farouche et bien moins portée vers la religion
que celle de la basse montagne. Le village chrétien
fondé en 1918 pour prolonger, dans la famille, les
bienfaits de l’école, a échoué. De plus, les jeunes
gens qui ont fini leurs années scolaires se montrent
peu disposés à se consacrer au service de l’apostolat, malgré l’impulsion que, sur les instances de
Mgr de Boismenu, le P. Dubuy a donnée à son
école pour qu’elle fournisse des catéchistes au district. Un bon nombre d’entre eux restent cependant
jusqu’à un âge assez avancé auprès du missionnaire
qui, tout en perfectionnant leur vie chrétienne, en
fait de bons ouvriers, spécialement des charpentiers
et des menuisiers. Dès le début, en effet, le
P. Dubuy a mis l’accent sur le travail manuel, non
seulement pour se former une aide indigène dans
cette lointaine haute montagne, si complètement
isolée, mais aussi pour secouer, par l’habitude du
travail uni à la prière, l’apathie des gens d’Ononghé
envers les choses de la religion, alors que ces pauvres gens restent encore si vibrants aux appels d’un
paganisme grossier et d’une sombre sauvagerie. 3 »
Son voisin, le P. Bachelier, curé de la station de
Fané, à deux jours de marche d’Onongé posa lui
aussi les fondements d’une chrétienté difficile. Il
commença par une école qui comptait une vingtaine
de garçons et autant de filles, peut-être dans le souci
plus prononcé qu’ailleurs d’y former des catéchistes
‘professionnels’. À la suite des révélations de la
Vierge à Marie-Thérèse Noblet, la fondatrice des
Ancelles de Notre-Seigneur, qui aurait dit à cette
religieuse que les gens de Fané étaient prêts à devenir chrétiens, les prêtres de Fané, entre 1925 à 1930,
après vingt années d’efforts apparemment stériles,
ont donné des centaines de baptêmes. Mais assez
vite, ils ont réalisé le besoin de cadres fermes pour
soutenir et développer la vie chrétienne partout répandue mais encore chétive en raison de la rapidité
de son expansion. Il semble que l’évêque soutenait
davantage le P. Bachelier, beau parleur, que le
P. Dubuy qui préférait les mettre à l’ouvrage. Nous
disions entre nous que les gens de Fané étaient des
artistes tandis que ceux d’Ononghé étaient des travailleurs. Le P. Dubuy se moquait des statistiques
demandées par Rome ! Il voulait avant de donner le
baptême que les catéchumènes soient sérieusement
3. André Dupeyrat, msc – Papouasie – Histoire de la
Mission (1885 – 1935) p. 421.
préparés au contraire du P. Bachelier qui se fiait
davantage à la grâce de Dieu. Le P. Dubuy avait
raison ; il suivait déjà les directives des évêques
d’aujourd’hui qui demandent par exemple qu’un
adulte suive d’abord trois ans de catéchuménat
avant de recevoir le baptême et que les parents d’un
bébé suivent cinq instructions avant que leur enfant
devienne chrétien.
En conclusion de ce que je viens de dire, j’aimerais
citer intégralement la lettre que le P. Dubuy écrivait
à son supérieur en France, le P. Théophile Cadoux,
un mois jour pour jour avant sa mort. Cette lettre
peut-être considérée comme le testament spirituel
de ce grand missionnaire.
ECTL : – La mode étant à la sauvegarde écologique des sociétés traditionnelles, que répondre, par
exemple, à l’accusation d’"ethnocide culturel"
avancée par certains contre les missionnaires ?
Ph. S : – Les missionnaires de Papouasie ne peuvent accepter de telles accusations. Certes les
mœurs étaient sauvages à leur arrivée, et les missionnaires ont réussi à les adoucir. Par ailleurs, les
guerres, les enlèvements et les camps de concentration d’hier et d’aujourd’hui n’ont pas l’excuse du
primitivisme. Il faut mettre un terme à l’hypocrisie
des prétendus civilisés.
Les missionnaires, à la différence des colons ou des
capitaines d’industrie, ont sauvegardé en partie la
culture papoue : l’ethnologie a toujours fait partie
intégrante de l’activité pastorale des missionnaires.
Pour insérer la foi dans le tissu de la vie indigène,
ne faut-il pas avant tout le connaître ? Trois ans
avant l’arrivée du P. Dubuy, Mgr de Boismenu écrivait : « Cette année une belle activité a été déployée
pour étudier les coutumes des indigènes et maîtriser
leur langue... Que les enquêtes visent surtout ce qui,
dans les coutumes indigènes, aurait figure de superstition. 4 » La tâche des missionnairesethnologues n’est pas toujours facile. Le Papou est
naturellement méfiant, surtout lorsqu’il sait que celui qui l’observe juge ses coutumes, dans le but de
discriminer celles qui lui sont funestes de celles qui
constituent une originalité à conserver. Je me souviens avoir demandé, lors d’une réunion de catéchistes où l’on se sentait vraiment soudés : « Quand
vous êtes seuls sur un sentier canaque, à quoi pensez-vous ? » Ce fut un grand silence et finalement
Andrew osa dire : « Père, nous pensons à nos cochons. » Quand on connaît l’importance du cochon
dans tous les événements importants de la vie d’un
Papou, on ne sourit pas !
Il importe aujourd’hui de distinguer avec soin les
transformations de la technique, qui sont rapides et
4. Lettre pastorale de 1910.
En ce Temps-là 2013
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peuvent changer en une seule génération (l’usage
d’allumettes au lieu du tison que l’on transportait
partout avec soi, la lampe tempête au lieu d’un
flambeau de bambous secs, la médecine européenne
au lieu de feuilles et de racines) et les changements
de mentalité qui, eux, sont extrêmement lents.
ECTL : – Qu’est-ce qui avait changé dans la mission quand vous êtes arrivé en Papouasie en 1971,
ou durant votre séjour ?
Ph. S : – Il y a d’abord ce qu’on voit : comme les
habits, les ustensiles de cuisine, les radios dont les
piles ne sont pas, hélas, de longue durée, etc. L’évolution matérielle a été trop rapide. Le Papou est
passé en quelques décennies de la hache de pierre à
l’ordinateur, sans passer par la roue, la vapeur, l’électricité. Les Pères ont construit avec eux des routes, des turbines hydroélectriques, de petits terrains
d’aviation. Aujourd’hui à Ononghé, on ne peut plus
utiliser la route à cause des avalanches, des ponts
emportés et de la végétation qui a repris sa place ; la
Direction de l’Aviation civile (DCA) a fermé le petit aérodrome trop dangereux et mal entretenu ; la
nuit, il faut revenir à la lampe Coleman (D = dotée
d’un manchon, ce type de lampe est alimenté à l’essence sous pression et produit une lumière blanche
très vive) ou à la lampe tempête parce que la turbine
ou le générateur ne marchent plus. Cela va prendre
encore quelques années avant que les montagnards
réalisent que les routes s’entretiennent, que les pistes d’atterrissage doivent être sans trous et sans cochons, que les générateurs ont besoin d’huile et de
révisions. Si le P. Dubuy revenait maintenant, il
referait des routes pour qu’un tracteur puisse aller
dans les jardins ou au cœur de la forêt. Plusieurs
pourraient le conduire et ainsi ils comprendraient
bien vite que c’est moins fatigant de mettre un arbre
ou un filet plein de nourriture dans la remorque plutôt que de crouler sous le poids.
Un autre changement visible serait le nombre des
enfants. Avec la multiplication des dispensaires et
des petits hôpitaux dans les stations principales,
avec les vaccinations, les patrouilles des infirmiers
ou infirmières, il y a beaucoup moins de mortalité
infantile, la longévité progresse et les longues maladies comme la tuberculose diminuent.
Mentionnons également l’éducation. Même si elle
régresse dans les villages de brousse parce que les
instituteurs veulent rester dans les villes (un peu
comme les médecins en France) , on dénombre bon
nombres d’adultes sachant lire et écrire, capables de
faire des lectures et de donner des intentions au
cours de la liturgie.
On commence à apercevoir quelques tôles ondulées,
surtout sur la côte, pour couvrir les maisons. De
moins en moins les missionnaires s’occupent de
En ce Temps-là 2013
petits magasins pour fournir à la population quelques produits de première nécessité comme du sel,
du pétrole, des clous, etc.
Notons aussi un changement dans les mentalités. La
vie familiale conserve dans l’ensemble son aspect
traditionnel même si parfois la bigamie persiste
dans les montagnes. La condition de la femme tend
de plus en plus à s’améliorer. Les jeunes répugnent
à l’antique sujétion. Les filles à marier veulent désormais choisir librement leur fiancé. J’ai vu des
petites de CM1 qui savaient déjà qui serait leur mari ! Il y a maintenant des élections avec un semblant
de démocratie dans les montagnes.
Le choc des cultures est trop brutal. Les Papous,
surtout des montagnes, ne sont pas préparés, ou
mal, à passer brusquement de la brousse à la ville,
de la tribu au quartier ; de l’esprit de clan à l’individualisme, de la nature à la technique et surtout d’un
spiritualisme à un matérialisme grossier qui dépouille le Papou de ses valeurs traditionnelles.
Sur le plan religieux, un syncrétisme s’établit souvent dans la religion des Papous, quand ils ont
adopté le christianisme – ce qui est le cas pour plus
de 90% d’entre eux, toutes confessions confondues.
En vertu du principe de sagesse populaire que deux
sûretés valent mieux qu’une, ils joueront souvent
sur les deux tableaux, la foi et la superstition 5. Par
exemple, au moment de planter des ignames, on va
voler un peu d’eau bénite à l’église et on fera les
prières soi-disant magiques pour la croissance de ce
gros tubercule.
Sur tous les plans, une
transformation est en
cours, même si son importance varie considérablement d’une région
à une autre, d’un milieu
social à un autre.
N’a-t-il pas fallu six
siècles, et en plus les
invasions barbares, pour
convertir la Gaule au fin
fond des campagnes ? Il
en sera de même pour la
Papouasie
Nouvelle
Guinée. Laissons le
temps faire son œuvre.
Bossuet ne disait-il pas
« qu’il faut laisser le
passé dans l’oubli et
ccl’avenir à la ProviVierge papoue,
les seins nus,
ccdence ».
Vêtue d’un simple pagne.
Novembre 2012
5. Cent ans chez les Papous ; cf. supra.
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René Berthier, prêtre
Paray-le-Monial, 28 mai 1927 – Autun, 20 mars 2012
Beaucoup de Coublandis et d’habitants des villages voisins ont connu ce prêtre issu d’une souche de chez nous
et plusieurs étaient à ses funérailles à Loché. En ce
Temps-là évoque rarement les disparitions récentes,
mais parmi les enfants de notre village, René Berthier a
eu tant de rayonnement qu’il est devenu une figure de
proue de l’Église de France du XXe siècle et qu’il mérite
que l’on retrace sa carrière. Nous reparlerons plus tard
de l’homme privé.
C’est au séminaire d’Autun, où il était entré pour faire
plaisir aux siens, à son père Rémy Berthier, tailleur, et
surtout à sa mère Maria Joly, commerçante en tissus,
Coublandis installés à Paray, qu’à 17 ans, dans un moment de prière solitaire, il éprouve l’appel pressant de
Dieu et rencontre le Christ Jésus pour ne plus le quitter.
Dès le séminaire, il fait preuve d’originalité et d’esprit
critique, dans les épreuves orales publiques qui font
partie des études. Ses capacités lui font terminer ces
études à Rome ; son sens du monde réel le pousse à
descendre travailler quelques mois à la mine du côté
du Creusot. Il se déplace en moto, ce qui est mal vu,
surtout qu’il lui arrive d’emmener derrière lui telle ou
telle jeune fille au besoin !
Dès après son ordination en 1951, il est nommé par
l’évêque vicaire d’Autun, et en même temps aumônier
du lycée public d’Autun, qui était mixte. Il crée de
durables amitiés avec ses élèves.
Vers 1960, l’Église l’appelle à Paris, dans ses instances nationales ; il devient Directeur Adjoint de l’Enseignement religieux en France. Son supérieur, Michel
Saudreau, sera en 1974 le premier évêque du Havre.
René publie – coup d’essai, coup de maître – un catéchisme par fiche (Vivre, c’est le Christ), qui se vend si
bien que le voilà riche ! Cette richesse (non héritée et
relative !) est un atout qui lui permet l’indépendance,
mais un inconvénient qui le distingue et l’écarte un
peu de ses confrères... Avec Yves Beccaria, de
Bayard-Presse, il crée le fameux Pomme d’Api. Il est
la cheville ouvrière de deux grands projets de vulgarisation chrétienne de l’époque, Aujourd’hui la Bible,
dont la publication par fascicule s’étendra sur plusieurs années à partir de 1969 puis L’Encyclopédie du
christianisme, à partir de 1975.
Il est nommé ensuite secrétaire général de l’Office
Catholique Français du Cinéma, avec mission d’assurer une présence d’Église dans les médias, en étoffant
les deux offices existant : cinéma et radio-télévision.
Ce qu’il fit en créant plusieurs autres offices (le Livre,
la Presse, la Publicité...) et en associant les Centres
diocésains de l’Information. L’OCFC deviendra sous
sa houlette la FOCS (Fédération des Organismes de
Communication Sociale). Il ne se contente pas de coter les films, ni de fréquenter le festival de Cannes,
mais il lit Mac Luhan et comprend avant beaucoup
d’autres dans l’Église l’importance croissante des médias.
Grand animateur, il s’associe plusieurs dames, dont
des ex-religieuses de Paray qu’il fait monter de leur
Saône-et-Loire à Paris. Il n’a jamais été un grand partisan des monastères et de la vie cloîtrée. Et, pour lui,
la meilleure façon de bien vivre le célibat, c’est d’être
entouré de présences féminines...
Il multiplie à cette époque (les années 70 et 80) les
amitiés avec les artistes et les personnages des médias,
ce qui lui donne l’idée de créer, avec Olivier Clément,
Bernard Clavel, Claude Vigée et André Chouraqui,
l’Association des Écrivains Croyants d’Expression
Française, qui regroupe des juifs, des chrétiens et des
musulmans. Cette association délivre depuis 1979 et
aujourd’hui encore un prix annuel à la meilleure œuvre valorisant la spiritualité et le dialogue interreligieux.
Ses tâches officielles terminées selon les rythmes imposés par l’Église, il reste à Paris et se met à son
compte. Comme il est auteur, le plus simple est de
devenir éditeur. Il crée plusieurs maisons d’édition,
dont Univers-Media, et il anime la tâche de collaborateurs et collaboratrices (dont Jeanne Faure et la très
fidèle Marie-Hélène Sigaut) et de dessinateurs, dont
François Bourgeon, qui a commencé sa carrière chez
René, en dessinant son premier album, Maître Guillaume, bâtisseur de cathédrale (1978), avant de passer
chez Glénat pour ses fameux Passagers du vent. L’équipe soudée autour de René Berthier publie l’Évangile, le vie de saint Paul puis la Bible en bandes dessinées. René en serait-il, avec Dieu, le coauteur des scénarii ? Non, comme souvent, autour de lui, c’est un
travail d’équipe. On fait ensemble, avec le dessinateur,
le découpage des albums. Marie-Hélène Sigaut écrit
En ce Temps-là 2013
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un premier scénario qui est relu et discuté par le
groupe. Puis le dessinateur se met au travail.
Après quoi René publie, toujours en bandes dessinées,
des dizaines de vies de saints. Cela pourrait paraître un
travail mécanique et un bon filon financier, mais il y a
derrière l’idée que l’enseignement du christianisme
réellement vécu par les saints vaudrait mieux pour la
catéchèse que l’étude des prophètes Amos et Osée : à
ses yeux, l’Ancien Testament est survalorisé depuis
Vatican II. Volontiers, il réduirait le nombre des lectures à la messe, et ne garderait que les passages qui ont
une importance et une évidence indiscutables. Aussi at-il publié pour le grand public – son obsession – La
Bible en dix leçons (1975).
Après les vies de saints, l’équipe produit une collection : Chrétiens en... (Champagne, Bourgogne, etc.),
sur l’histoire religieuse dans les régions.
Sensible à la déchristianisation qui s’accélère, René
propose en 1985 Un Plan ORSEC pour l’Église de
France, sans convaincre d’assez nombreux évêques,
parmi lesquels cependant certains l’écoutent, comme
Jean-Charles Thomas (Corse, puis Versailles). Il s’est
engagé depuis longtemps et pour de longues années de
la plume et de la voix : chroniqueur chrétien du dimanche matin 14 ans sur RTL, puis 13 ans sur Europe 1, il est alors le prêtre le plus écouté de France.
Beaucoup de lecteurs d’En ce Temps-là s’en souviennent.
Il avait participé à la création en 1968 de la revue Notre Temps. Lorsqu’il voit qu’elle cesse d’être suffisamment chrétienne, il lance Vermeil. Conscient par là
du problème du vieillissement, il publie des ouvrages
religieux imprimés en gros caractères.
Il a comme amis proches le pasteur André Dumas et
l’orthodoxe Olivier Clément, mais aussi des juifs, et
plus surprenant, beaucoup de francs-maçons, dont il
dit à qui veut l’entendre et contre le préjugé catholique
que ce sont des gens qui ont une spiritualité non négligeable. Cette réhabilitation de la franc-maçonnerie est
un combat qu’il mènera jusqu’au bout.
Mais, pour ne pas perdre le contact avec la réalité du
terrain, il demande la charge d’une cure pour les ouiquendes, et on lui confie deux villages de Seine-&Marne successivement, Rampillon et Bombon (où
Lénine résida avant 1917).
En 1987, à soixante ans, ayant vendu Univers-media à
Fleurus, il prend une première retraite, mais c’est pour
mieux se relancer. Il s’installe à Loché, près de la gare
TGV de Mâcon, pour garder le contact avec Paris, et
entre les deux fleuves, dit-il, que sont la Sâone (qui
symbolise pour lui la pêche à la ligne, son unique loisir sportif) et le vignoble du Mâconnais – il devient
alors lui-même producteur de Pouilly-Loché... Il est
nommé curé modérateur successivement de deux entités de paroisses nouvelles, autour de Matour, puis autour de Crèches-sur-Saône.
Mieux encore, René contribue de ses finances et de
En ce Temps-là 2013
son énergie à la création d’une maison d’accueil pour
personnes en difficultés psychiques entre Loché et
Mâcon : c’est la Chevanière (ouverte en 1994).
En 2001, à 74 ans, il prend sa deuxième retraite, quittant la responsabilité de sa paroisse. Il le fait un an
avant la limite forcée dans l’Église, afin, dit la légende
familiale, de donner l’exemple à l’évêque d’Autun,
qui a passé l’âge ; mais en vain...
Mais la retraite est un mot malséant à ses oreilles. René cesse peu à peu d’enregistrer des chroniques et de
s’occuper d’édition, mais il continue encore d’animer,
jusqu’à Dijon, des groupes de réflexion, notamment
avec des entrepreneurs chrétiens, et d’organiser et guider des voyages culturels et religieux pour les lecteurs
de Vermeil. Il travaille encore à la publication annuelle
d’un Agenda et d’un Semainier chrétien. Des ennuis
de santé lui font chercher des successeurs : pour le
Semainier, Geneviève Le Hir, sa nièce de Coublanc,
lui succède durant quatre ans (2006-2009) avant qu’il
soit capable de reprendre le collier. Pour l’Agenda, il
est, jusqu’à aujourd’hui encore, confié au jeune Régis
Déal, professeur de français issu de Coublanc, notre
rédacteur de la chronique des vitraux de l’église paroissiale.
René Berthier a passé ses dernières années dans une
résidence pour personnes âgées à Dijon, espérant encore communiquer Dieu à ses voisins de résidence,
animant encore un groupe de réflexion, travaillant
inlassablement au Semainier.
Car la réflexion, reposant sur des lectures immenses et
incessantes de livres religieux de toutes spécialités, est
restée jusqu’au bout un de ses deux soucis. L’autre,
l’essentiel peut-être, était l’obsession de la communication de la foi. Le langage de bois et le ronronnement
de la liturgie, l’inactualité voire l’indécence, à ses
yeux, de certaines prières, les écrans que l’Église multiplie ou tolère entre le message évangélique et le
monde réel lui étaient insupportables. Il voulait initier,
et en partie réaliser, la traduction nécessaire de la foi
non pas de façon simpliste, mais d’une manière audible pour les francophones d’aujourd’hui, il voulait
prendre conscience, faire prendre conscience de ce qui
ne va pas, de ce qui est contre-productif dans l’Église,
de ce qui empêche les gens de croire. D’où un de ses
derniers titres : Un audit personnel sur l’Église catholique en France (2005).
Bref, il avait tout ce qu’il faut d’indépendance et d’excès de personnalité pour ne jamais être appelé à l’épiscopat, et tout ce qu’il faut d’audace pour déplaire aux
traditionalistes ; cependant, quelqu’un de lucide
comme le cardinal de Lyon Philippe Barbarin avait
actuellement avec lui un projet en chantier pour accompagner les parents qui ont demandé le baptême
pour leur enfant, et René s’était rapproché du nouvel
évêque d’Autun, Mgr Benoît Rivière.
Bernard Berthier
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Rémy Berthier
de la Roche
(5 mai 1916 – 13 juin 1995)
Un enfant de Coublanc
quitte la terre
et « part à la ville »
Rémy Berthier est
né à Écoche dans
le hameau de Juin,
le 5 mai 1916. Ses
parents Louis Berthier et Stéphanie
Élisa Berthier née
Laurent vivaient
alors chez les parents d’Élisa, à
Juin, où son père
exerçait le métier
de cordonnier en complément de son travail d’agriculteur. Rémy Berthier est le fruit d’une permission
de Louis Berthier et des entrailles de celle qui deviendra pour tous « la Mané » : Stéphanie Élisa.
Claudien Berthier son frère aîné avait déjà trois ans,
il était né juste avant la « Grande Guerre » ; puis
vinrent, la guerre finie, Hélène (1920), Denise
(1923) et Gabrielle (1928). Rémy fréquenta l’école
communale de Coublanc jusqu’à douze ans. Un incident survenu en 1929 entre l’instituteur
« communiste » (dont la famille n’a pas gardé le
nom, était-il du village ? du département ?) et le
Louis Berthier, qui était un fervent défenseur de la
foi catholique – Louis aurait défenestré l’instituteur
renégat – a valu une interruption précoce de scolarité (il n’y avait qu’une école laïque alors) pour le fils
aîné Claudien et pour le cadet Rémy. Si l’aîné Claudien était en âge de travailler à la ferme et dans
l’entreprise familiale de maçonnerie, cela valut
l’exil pour Rémy. Il quitta les écrevisses du Pontbrenon, ce petit affluent du Sornin né à Écoche, qui
passe sous l’Orme et le Foron, les craux et leur
guernoyes (grenouilles), la ferme et le bourg, pour
se faire instruire. C’est ainsi qu’il alla au pensionnat
du petit Séminaire de Paray-le-Monial, puis entra au
grand séminaire à Louvain (Belgique). Les revenus
de la ferme et de l’entreprise familiale de maçonnerie, quoique modestes, permettront cette formation.
Il y restera deux ans et il portera même la soutane
lors de ses retours en famille. Il évoquait souvent
cette époque de sa vie et la dernière étape de ces
voyages, de Charlieu à Coublanc, parfois à pied, en
vélo ou en voiture à cheval et cela nous paraissait
un exploit alors qu’en automobile nous empruntions
la même route pour rendre visite à ses parents et à
nos grands-parents lors des réunions de famille. Il
fit ensuite son service militaire (classe mai 36) et fut
affecté dans un régiment de spahis en Tunisie puis
en Algérie ; il ne sera démobilisé à Alger que le
28 août 1940 ; entre temps étaient survenus le Front
populaire, le réarmement de l’Allemagne, la mobilisation suivant l’envahissement de la Pologne et la
défaite de l’armée française. La mobilisation et les
quatre ans de service militaire eurent raison de sa
vocation religieuse première… pour notre plus
grand bonheur (?).
Les obscurités de la guerre
Démobilisé, il s’engagea dans les Chantiers de Jeunesse, on pourrait dire « comme en 40 », puis aux
Compagnons de France où il était chef de bailliage
à Brioude (Haute-Loire) ; il rayonnait et militait
pour recruter sur les départements de la Haute-Loire
et du Puy-de-Dôme ; en 1942/43 il entra à la Jeunesse de France et d’Outre-Mer qu’il quitta en
1943/44 (il exerça son activité à Clermont-Ferrand
et Vichy). S’en suivra une période obscure
(clandestine ?) où, disait-on à Coublanc, il se serait
engagé dans la Milice Française, ce qui lui vaudra
un emprisonnement préventif à partir d’avril 1945
et pendant dix-huit mois à Riom près de ClermontFerrand, pour intelligence avec l’ennemi. Le commissaire du gouvernement 1 malgré une longue enquête ne put apporter les preuves de son appartenance et de son activité au sein de la Milice ; il fut
jugé une première fois à Riom ; et après un supplément d’information, il fut acquitté de toutes charges
pesant contre lui le 16 septembre 1946 devant la
Cour de Justice d’Angers 2
Les migrations dans l’espace national
Rémy a épousé Arlette Masson en 1941, une Normande qui vivait à Caen ; le mariage a eu lieu au
Puy et ils sortirent de l’église sous une haie d’honneur faite par les « Compagnons de France ». Ils
vécurent jusqu’à la fin de la guerre à Brioude puis à
1. Le commissariat du gouvernement était une instance
mise en place par le Général de Gaulle en novembre
1944 pour instruire les faits de collaboration afin de
mettre un terme à l’épuration sauvage suivant la chute
du gouvernement de Vichy.
2. Le dossier 7UA/136 (Archives départementales du
Maine-et-Loir d’Angers) sera consultable à partir du
16 septembre 2021 compte tenu du délai de prescription, les membres de la famille pouvant le consulter
mais ne pouvant pas communiquer à ce sujet.
En ce Temps-là 2013
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Clermont-Ferrand. Un premier
fils Patrick (1942) et un
deuxième Jacques (1945) naîtront de cette union ; il aura
cinq petits-enfants et il aurait
eu trois arrière-petits-enfants
s’il avait vécu jusqu’à 96 ans.
Au sortir de la guerre, après
avoir été employé comme ingénieur au Comité des Moulins et
Farines à Paris, il travaillera,
jusqu’en 1952, aux NMPP une
agence de distribution de la
presse ; la famille résidait alors
à Bellevue dans la commune de
Meudon. Céline, l’écrivain, y
vivait aussi, mais curieusement
celui-ci n’a jamais fait partie de
la proximité ni de la culture
littéraire familiale.
En 1952 Rémy s’établira avec
sa famille à Bordeaux où il sera
responsable d’agence des Établissements Gillet, une entreprise de vente de machines à écrire et de machines à calculer. Ce n’est
que trente-cinq ans plus tard qu’arriveront les premiers ordinateurs portables.
Rémy a toujours gardé des liens proches avec sa
famille : il revenait fréquemment au pays voir ses
parents. Nous nous souvenons (mon frère et moi)
des interminables voyages de week-ends en 2 CV
de Bordeaux à Coublanc (plus de dix heures nonstop) avant de les connaître en traction avant puis
ID19 (la DS, c’était pour le patron). Sa retraite officielle, vers 1981, mettra fin à sa carrière de VRP
(voyageur, représentant, placier) qu’il termina à
Tarbes, y ayant rencontré une nouvelle compagne.
En 1983 il mettra, d’un commun accord, fin à un
mariage de 41 ans. Il consacrera la fin de ses jours à
des recherches généalogiques familiales et à sa dernière compagne, Fernande, d’origine uruguayenne.
Il mourut à son domicile en 1995, après plusieurs
passages en milieu hospitalier à la suite de différents cancers ; une rupture de l’aorte mettra fin brutalement à son existence. Il est enterré à Tarbes auprès de sa deuxième épouse. Sa première femme,
notre mère, était décédée cinq ans avant lui.
*
Personne généreuse, fidèle en amitié et convictions,
nous n’avons pas gardé le souvenir d’un père autoritaire, au sens d’arbitraire. Mais c’était un redoutable bretteur ; il adorait discuter, savait se montrer
convaincant, sinon convaincu (il le fallait bien pour
vendre des machines pas toujours fiables). Il gardait
de ses « humanités » de solides connaissances du
En ce Temps-là 2013
latin et du grec classique et dans
ces littératures, indéniablement sa
préférence intellectuelle allait aux
sophistes. Plus tard avec ses petits-enfants il développa sans modération le versant autoritaire qu’il
tenait de son père, le Louis Berthier. Il aura toute sa vie des amis
très fidèles mais peu à Coublanc,
en dehors de sa famille. D’autre
part il restera profondément engagé, sociable et séducteur, mais
sans le côté bon vivant qu’avait
son frère Claudien. C’était un
homme toujours pressé de
convaincre, de conclure. Après
son engagement politique au service de la jeunesse, disait-il, pendant la guerre 39-45, avec des fortunes diverses, il se retira des affaires politiques pour se consacrer
à une survie laborieuse et sans
gloire, mais restera fidèle à ses
engagements politiques. Attaché au terroir dans lequel il avait ses racines, il y revenait fréquemment
s’y « ressourcer » même après le décès de ses parents. On ne lui connaît aucune distinction, ni francisque, ni mérite du travail, mais il restera toujours
fier de son titre de capitaine acquis à la fin des années 50, qui signifiait pour lui, après l’épisode de la
guerre auprès du gouvernement de Vichy, une réhabilitation complète de son honneur.
Nous gardons tous l’image d’une figure cultivée,
élégante… séductrice et intraitable : en voilà un qui
n’a jamais cédé sur son conatus, pour reprendre
l’expression de Spinoza, conatus voulant
dire l’aptitude d’une
personne à persévérer
dans son être, son
existence. Ainsi émergeant à la conscience
politique et discutant
avec lui de Le Pen et
Tixier-Vignancourt, je me souviens qu’il trouvait
ces personnages trop à gauche… à son goût ; mais,
pour lui, en bon sophiste qu’il était, « les extrêmes
finissaient toujours par se toucher ».
Patrick Berthier (Blois)
Article à suivre.
L’article « Rémy Berthier : Un enfant de Coublanc
dans la tourmente de la guerre 1939/1945 » ne pourra être publié qu’à partir du 16 septembre 2021...
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