Année 2013
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Année 2013
Revue annuelle composée pour le Noël des Anciens de Coublanc Année 2013 Numéro 18 Prix minimum : 4,00 € Samedi 15 décembre 2012b En ce Temps-là 2013 ISSN 1964 - 812 X Page 1 Éditorial de Bernard Berthier président de l’association du Noël des Anciens de Coublanc et rédacteur en chef d’En ce Temps-là Sommaire • Le latin de notre enfance, « Venite adore- • Chers lecteurs, Pourquoi cette revue, depuis tant d’années ? Le premier but est évidemment le partage de souvenirs entre anciens du pays. Le second, dont l’efficacité s’est manifestée peu à peu, est la transmission à des lecteurs plus jeunes d’une information vivante sur les modes de vie de jadis. Une troisième ambition vient de m’apparaître clairement à la lecture d’un entretien de Martin Hirsch dans La Vie du 22 novembre dernier : « La mort n’existe pas tant que le souvenir reste. Tant qu’on se souvient de quelqu’un, il est vivant. Être vivant, c’est être reconnu par quelqu’un, que ce soit un ami, un descendant, ou un inconnu de passage. » Notre revue rend vivants nos ancêtres, quand nous les évoquons. Elle nous rendra vivants, quand nos descendants, reprenant d’anciens numéros, liront nos souvenirs après notre mort. En recueillant la mémoire des uns et des autres, je découvre des personnages pittoresques ou sympathiques, qui deviennent pour moi de nouveaux amis disparus avant ma naissance ! Aussi suis-je toujours triste quand nul ne peut plus me nommer telle ou telle personne sur une photo : un visage est présenté, mais la personne a définitivement disparu. Je lance donc un SOS : sauvons nos aïeux ! Bonne lecture ! Joyeux Noël 2012 et Heureuse Année 2013 Dessin de la couverture Nadège Demont, devenue charliendine, continue sa collaboration à notre revue, en interprétant à sa façon une très vieille carte postale de l’entrée nord du Bourg. On y voit, à gauche, devant la ferme André aujourd’hui disparue, le tas de pierres qui allait servir à la construction de la Poste, achevée en 1913. La carte postale date donc probablement de 1912. Un siècle ! En ce Temps-là 2013 • • • • • • • • • • • mus » par Bernard Berthier, page 3. Le Vitrail de l’ange Raphaël et du jeune Tobie, ou l’âme et son ange gardien par Régis Déal, page 4. Julien Martin et Angéline Buchet, mes parents par Germaine Sambardier, page 7. La menuiserie Christophe de Saint-Ignyde-Roche, par Noëlle Christophe, page 13. Nos voisins vers 1940 par Victoire Buchet, page 17. Le Domaine André (II) d’après le site Coublanc-71, page 19. Cahier Jules Dubuy. Être missionnaire en Papouasie par Philippe Séveau, MSC, page 25. Biographie de René Berthier, prêtre par Bernard Berthier, page 31. Mon père Rémy Berthier, de La Roche à la ville par Patrick Berthier, page 33. La passion de la mécanique. Retour sur mon enfance par Claudien Accary, page 35. La Constance par Simone Bouchery, page 38. On s’en souviendra, par Bernard Berthier, page 42. Mon village, Poème de Simone Thévenet, page 44. Les autres rubriques, liste des Anciens, des décès, naissances, mariages, contributions des élèves des écoles, mots croisés, sont à peu près à leur place habituelle... Projets coublandis Sur nos trois projets de 2012, un seul a été réalisé, brillamment : la conférence de Gérard Vaginay sur le père Dubuy et la Papouasie. Cf. page 25. Restent, pour 2013 ou 2014 : - Un projet de diaporama sur l’histoire de la Grotte de Lourdes de Coublanc. Envoyez-nous vos photos ! - Un projet de publication d’un livret de tous les textes de Claude Chevreton parus dans les numéros d’En ce Temps-là. Si vous connaissez d’autres textes de lui, prévenez Bernard Berthier. Page 2 Le latin de notre enfance Venite adoremus C’est entre 1836 et 1839 que le père Nicolas Lambert a fait construire l’église Saint-André de Chauffailles, avec des plans de l’architecte départemental Claude Berthier, le même qui, quinze ans plus tard, dessinera la nouvelle église de Coublanc pour le père Nobis. Cette vaste basilique domine une place qui a servi et sert encore de lieu de rencontre pour les habitants du canton, notamment les vendredis matin. Nos ancêtres de Coublanc s’y sont rendus régulièrement à pied, en vélo, en voiture à cheval, en guimbarde comme celle, vers 1930, de M. Collet, ou en minibus, comme celui que conduisait Jackie Druère pour transporter les personnes de la Maison des Anciens il y a une vingtaine d’années. S’ils levaient les yeux vers le fronton triangulaire de l’église, au-dessus du porche, ils pouvaient y voir une invitation gravée en latin : VENITE ADOREMUS. Ces mots, toujours présents, signifient « Venez, adorons ». Ils sont une double citation. D’abord, ce sont les premiers mots du verset 6 du psaume biblique 94 : « Venite adoremus et curvemur, flectamus genua ante faciem Domini factoris nostri » (Venez, adorons, inclinons-nous, fléchissons les genoux devant la face du Seigneur qui nous a faits). Mais la même invitation à l’adoration apparaît, plus connue du grand public des fidèles de l’époque de la liturgie en latin – jusqu’en 1963 – dans le refrain du cantique de Noël célèbre sous le titre de « Adeste fideles » : Crédits iconographiques Fonds Claudien Accary (pp. 35-37) Bernard Berthier (pp. 13 à 16, 31-34 et 36) Collection Mélanie Berthier (p. 4-5) Nadège Demont (p. 1) Fonds Jules Dubuy MSC et/ou musée d’Issoudun et/ou alii (pp. 25-26) Fonds Franckart (p. 12 et 44) Fonds Marthe Pothier (p. 14-15) Fonds Maurice Poyet (p. 1 et 17) Fonds Germaine Sambardier-Martin (pp. 712) Fonds Philippe Séveau (pp. 27 et 30) Internet sans indication de droits d’auteur (pp. 6, 20) Adeste fideles læti triumphantes, Venite, venite in Bethlehem. Natum videte Regem angelorum. Venite adoremus (ter) Dominum. Il a été traduit depuis longtemps dans beaucoup de langues (en anglais : « O come, all ye faithful »), et nous le chantons encore dans le temps de Noël sous le titre « Peuple fidèle » avec, comme refrain à peu près équivalent à Venite adoremus (ter) Dominum, « En lui vient reconnaître » (ter) « ton Dieu, ton Sauveur ». Son origine est discutée : on remonte sans certitude jusqu’à saint Bonaventure (XIIIe siècle) pour les paroles. D’autres ont été ajoutées par la suite. La musique est attribuée tantôt au roi de Portugal Jean IV (XVIIe siècle) ou au musicien anglais John Francis Wade (1743). « Venite adoremus ». Venez, adorons. Ces mots invitent à entrer dans l’église, avec ce double impératif, qui unit la première et la seconde personnes du pluriel, celui qui donne l’ordre (l’invitation) et ceux qui le reçoivent, à la tête desquels le premier se met. Cette succession des impératifs crée un puissant effet d’entraînement. Mais on conçoit mal aujourd’hui de recevoir l’ordre d’adorer Dieu, et bien peu « obéissent ». En revanche, pas de problème pour la publicité : vous adorerez ce chocolat (« Je suis fou du chocolat Lanvin ! », cette robe, ce jeu vidéo ! Et les vieux chrétiens un peu ulcérés disent aux jeunes générations : « On n’adore que Dieu seul ! » Ont-ils raison ? Étymologiquement, oui. « Adorer » vient du latin « ad orare », qui signifie « adresser des prières à ». Je me vois mal adresser des prières à une boîte de chocolat ou à un jeu vidéo… Il est déjà plus normal d’adorer une jolie fille : on peut avoir quelques demandes (plus ou moins honnêtes), voire quelques louanges à lui faire. Mais dans l’adoration, il y a l’idée d’un émerveillement absolu que seul l’absolu peut justifier, le créateur bien plus que la créature. Cependant, je pense qu’il vaut mieux abuser un peu de l’adoration plutôt que de la détestation, de la vénération plutôt que du mépris, de l’engouement plutôt que du dénigrement, et ne pas jouer au désabusé : on trouve plus de joie dans l’admiration. Venez, adorons Dieu, ou la vie ! Bernard Berthier (La Place) N.B. On peut se demander si la présence des mots VENITE ADOREMUS au fronton de l’église de Chauffailles a contribué à placer la « grande paroisse » de Chauffailles sous le signe de la « Nativité ». Le père Grobot ou le père Lapalus sauront-ils nous le dire ? Proposez-nous l’expression latine de l’an prochain. Merci ! En ce Temps-là 2013 Page 3 Saint Raphaël et le jeune Tobie Ou L’âme et son ange gardien par Régis Déal Voici un vitrail qui présente une particularité par rapport à ceux qui l’entourent dans notre église de Coublanc. Il est en effet le seul à puiser son sujet dans l’Ancien Testament. Il s’agit de l’archange Raphaël, identifié par ses ailes blanches, guidant le jeune Tobie. Nous trouvons cet épisode dans Le Livre de Tobit. Le texte original de ce petit roman juif rédigé initialement en hébreu ou en araméen a été perdu, mais il nous est connu par des traductions grecques antiques. Ce livre, absent de la bible hébraïque et considéré comme apocryphe par les protestants, figure seulement dans les bibles catholique et orthodoxe, parmi les textes dits « deutérocanoniques ». Ce qui, dans ce vitrail, montre la récupération de la légende par l’église catholique se matérialise par l’auréole entourant la tête de l’archange, le classant parmi les saints. Sa fête liturgique date du XIIe siècle ; elle est célébrée le 24 octobre. Une histoire romanesque Rappelons l’histoire : Raphaël a été envoyé par Dieu en réponse aux prières de Tobit, juif pieux déporté à Ninive, qui a été frappé de cécité après avoir reçu de la fiente d’oiseau dans les yeux et réduit à la misère. Son fils, appelé du nom presque semblable Tobie (celui de notre vitrail), part alors pour un long voyage sous la protection de Raphaël afin de recouvrer une dette de son père. En chemin Raphaël incite Tobie à pêcher un poisson dont le fiel, le cœur et le foie serviront à préparer un remède pour guérir son père au retour et aussi à chasser le démon de Sarra, jeune femme rencontrée lors du voyage, plusieurs fois veuve et donc supposée victime d’un mauvais démon : le jeune Tobie l’épousera finalement et s’en sortira indemne et heureux ! Vitrail de saint Raphaël et Tobie Église de Coublanc, bas-côté nord, septième vitrail à gauche en entrant. Photographie de Mélanie Berthier. Si l’on place en parallèle ces aventures et la signification de son nom « Aide, Guérison de Dieu », nous comprendrons que Raphaël est tout à la fois considéré comme le patron et le conseiller des fiancés ; qu’en Allemagne, au Moyen Âge, il est le patron des pharmaciens dont les devantures s’ornaient toutes d’un Ange d’or et que pour les catholiques il reste le patron des En ce Temps-là 2013 Page 4 « voyageurs sur terre, sur mer et dans les airs ». Notons que les marins de Venise lui demandaient de les protéger des tempêtes et qu’à Florence chaque adolescent partant en voyage se mettait sous sa protection. ciel. Cela est sans cesse rappelé dans l’Ancien Testament ; de même qu’en réponse à cette intervention nous sont mentionnées la dévotion et la piété de Tobit et de sa famille, rendues ici par les mains jointes, comme en prière, du jeune garçon. C’est ce dernier élément qui doit nous ramener à notre vitrail. En effet si nous reprenons l’histoire liant Raphaël et Tobie, l’intéressant sera de comparer le texte et ce que nous donne à voir son illustration dans le vitrail, pour en déterminer le message et l’enseignement. Pour ce qui est du décor, les personnages se trouvent dans des rochers faisant songer à une montagne. Cet aspect est conforme au texte d’origine puisqu’ils sont censés atteindre la ville d’Ecbatane, située dans les montagnes de Médie. Tout d’abord en ce qui concerne l’image même de l’archange, voici ce que nous en dit le texte lorsque Tobie le rencontre (chapitre 5) : Tobie, étant sorti, trouva un beau jeune homme, debout et ceint, comme disposé à se mettre en route. L’image est plus ambiguë en proposant avec ce vitrail une version plutôt androgyne de Raphaël ; cela peut également être une interprétation de l’idée de beauté ou la transcription du questionnement sur le genre sexuel des anges. Mais ne prolongeons pas trop dans cette voie sous peine d’être accusé de discuter du sexe des anges, autrement dire d’entretenir une discussion un tantinet oiseuse… Notons plutôt que Raphaël se présente à lui sous une fausse identité en se prétendant être Azarias, fils du grand Ananie. Il ne s’agit bien sûr pas de tromper Tobie mais bien de lui cacher l’origine divine de son aide. Et c’est d’ailleurs au chapitre 12 que l’archange va se faire connaître, quand tout a été accompli. Il dévoile sa véritable nature au vieux Tobit : Parce que tu étais agréable à Dieu, il a fallu que la tentation t’éprouvât. Maintenant, le Seigneur m’a envoyé pour te guérir, et pour délivrer du démon Sarra, la femme de ton fils. Je suis l’ange Raphaël, un de sept qui nous tenons en présence du Seigneur. Les ailes et l’auréole sont ici représentées pour permettre aux fidèles de reconnaître Raphaël mais ne correspondent pas à l’apparence de l’archange dans le texte. Par ailleurs, pour rappeler et mettre en valeur l’idée d’une influence divine omniprésente, nous pouvons observer les rayonnements venus du Le vitrail traduit cette idée de marche, les deux personnages sont montrés en mouvement, une jambe plus avancée que l’autre, et du côté de l’ascension. Ils progressent donc vers le haut. Retenons ainsi le double mouvement : Dieu allant auprès des hommes, Raphaël invitant les hommes à s’engager en direction de dieu. Le serpent sans pouvoir Mais maintenant, si nous voulions jouer au jeu des erreurs, nous commencerions sans doute par la présence du serpent. En effet, dans la légende de départ, nous l’avons dit, il est question d’un poisson. Le serpent est sans doute plus parlant pour les fidèles pour évoquer le mal qui guette, surtout qu’il est placé à gauche du vitrail, sur la gauche du chemin de Tobie, côté du diable. Il renvoie à toutes les idées de tentation que l’on trouve dans les récits bibliques et religieux. Les marcheurs ne sont absolument pas préoccupés par le reptile, notamment parce que Raphaël indique une tout autre direction de son doigt de la main droite, côté divin. Il est celui qui guide ; mais il ne semble pas vraiment indiquer un chemin terrestre puisque son doigt est pointé vers le ciel. Pour en finir sur le chapitre animalier, nous pouvons faire la comparaison avec les représentations picturales de cette légende, comme celle de Botticelli, ou celle de Sogliani (1515) reproduite ci-dessous : sur de nombreuses toiles, nous voyons le jeune Tobie portant à la main le poisson qu’il a péché, et il est En ce Temps-là 2013 Page 5 également accompagné de son chien, symbole de fidélité, la fidélité déjà évoquée de Tobie envers Dieu. D’autant que cette idée du mal, de la tentation, associée à un décor assez dépouillé, proche d’une image de désert, confirment bien l’idée d’une mise à l’épreuve du jeune Tobie ou tout du moins d’une initiation. Une épreuve bien encadrée, sous la protection bienveillante de Raphaël entourant les épaules de Tobie de son bras gauche. Nous pouvons supposer que si le vitrail de Coublanc choisit de s’éloigner du texte et de l’imagerie traditionnels, c’est d’abord pour le christianiser, pour ne pas trop coller à l’Ancien Testament ; ensuite c’est sans doute aussi parce que cette légende n’est pas jugée assez connue qu’il la rend encore moins identifiable ; cette représentation plus simple, détachée du texte, se focalise alors sur un enseignement moral et également spirituel – aspect sur lequel nous reviendrons – , aux dimensions plus universelles. Pour le versant « moral », l’histoire que choisit de nous raconter le vitrail, c’est celle d’un jeune garçon, exemplaire, qui reçoit une bonne éducation. Notons à ce titre l’aube blanche de Tobie, qui peut tout aussi bien évoquer l’innocence du jeune communiant que celui de l’élève, candide, qui est prêt à recevoir l’enseignement du maître, en l’occurrence ici, les sages paroles de Raphaël visant à « délivrer » du mal. Hommage à Christian Dessertine Christian Dessertine est né le 12 août 1954 à Roanne. Il est décédé prématurément le 3 décembre 2011. Quoique « exilé » à Fleury-les-Aubrais, près d’Orléans, il recherchait, depuis qu’il avait hérité en 1969 d’une attestation indiquant que Barthélémy Dessertine, sergent au e 77 régiment d’infanterie, avait reçu la médaille de Saint-Hélène, les traces de ses ancêtres dans notre région en général et à Coublanc en particulier. Il avait retrouvé plus de 2 000 ancêtres, dont le curé Renard au XVIIIe siècle, ou plutôt le frère du curé, Maintenant, en ce qui concerne le versant «spirituel », voire mystique, appuyons-nous sur un commentateur d’un vitrail que l’on trouve dans l’église de Bugarach (dans l’Aude), assez similaire à celui de Coublanc : il indique que l’on doit remarquer la taille des personnages : Raphaël semble un géant. Tobie serait alors à voir comme l’image de tout homme à protéger et à guider, pour qu’il conserve une âme pure comme celle d’un enfant, grâce à son ange gardien. Pour beaucoup de Coublandis qui n’ont pas lu le Livre de Tobie, c’est ce que représente ce vitrail. Mais les deux interprétations ne s’excluent pas. Régis Déal (Vitry-sur-Seine) et la base généalogique qu’il avait constituée était d’environ 25 000 fiches. Sa contribution à l’histoire de Coublanc est capitale, et ses diverses monographies sont devenues accessibles grâce au site Internet Coublanc-71, en particulier dans la partie intitulée « Monographie de Coublanc ». Son épouse Danièle continue son travail historique et généalogique, en collaboration avec le webmaster du site Coublanc-71, ce qui a fait passer la base généalogique à 35 000 fiches, dont tous les « poilus » du Monument aux Morts, et ce qui permet au webmaster de Coublanc d’aider gracieusement ceux qui le désirent à réaliser l’arbre généalogique de leurs ancêtres, sachant que la loi autorise uniquement la consultation des actes antérieurs à 1935. Quelques Coublandis en ont déjà bénéficié, et sont repartis avec leur 3 ou 4 m d’arbre sur papier ! Poursuivant des enquêtes en partie similaires sur le passé de Coublanc, la revue En ce Temps-là profite de la richesse documentaire de Site et lui rend service en lui fournissant des documents nouveaux. Contact : [email protected] En ce Temps-là 2013 Page 6 Angéline & Julien Martin mes parents par Germaine Sambardier L’ascendance d’Angéline Buchet Mon grand-père maternel, Auguste Buchet, était d’une famille nombreuse. C’était une famille de tisseurs. Parmi ses frères et sœurs, il y a eu une religieuse dont je n’ai pas beaucoup entendu parler, et un frère mariste qui a été je crois, en Amérique. La famille habitait aux Pins, sur la commune de Saint-Igny, une ferme dont les ruines mêmes ont disparu, à gauche de la route en allant vers l’est. Auguste, mon grand-père était né le 21 septembre 1874. Son épouse, ma grand-mère maternelle était Véronique Grapeloup. Les parents de Véronique avaient acheté la maison familiale de La Place Nord (ou des Remparts, elle est entre les deux quartiers) vers l’époque de sa naissance, le 3 mars 1876. Ils avaient quelques vaches, et Véronique, qui devint ma marraine et que tout le monde appelait « la marraine », tissait, à l’étage, dans la chambre, la soie naturelle sur un métier à main : il ne fallait pas beaucoup de place, le métier manuel était beaucoup plus petit qu’un métier électrique, même si l’on faisait agir sans cesse ses quatre membres, pour actionner le métier et mettre en marche les navettes. Et parfois, l’on berçait un bébé à côté ! Comment ? Peut-être le mouvement du métier entraînait-il le berceau ? Sur ces métiers à main, on pouvait réaliser les plus beaux articles. Mais je n’ai pas vu moi-même ce métier à main. Je ne sais pas comment Auguste et Véronique ont fait connaissance. Ils se sont mariés le 28 novembre 1901, âgés respectivement de 27 et 25 ans. Ils louèrent un appartement dans la maison des Remparts qui est celle aujourd’hui de Mme Hervé, du côté de l’escalier extérieur. C’est là que sont nées en 1902 Victorine, future épouse de Claudius Grapeloup, et vraisemblablement ma mère Angéline, le 1er février 1904. Elle fut baptisée le lendemain. Quelques années plus tard, Auguste Buchet achète aux Lacôte/Auclair à La Place une maison en construction, inachevée, la fait finir, puis construit perpendiculairement, dans la cour, une cabine pour quatre métiers, qui existe encore, mais a depuis changé d’utilisation. C’est à La Place sans doute que sont nés Théodore-Claudius en 1907 (Théodore d’abord, pour ne pas confondre avec Claudius Grapeloup) et Joseph en 1910. Mon oncle Théodore aura sa fille Michelle en 1951, à 44 ans. C’est par elle que la maison deviendra « Chervier ». Malgré son âge et ses quatre enfants, Auguste fut mobilisé un temps durant la Grande Guerre, mais vraisemblablement on ne l’envoya pas sur le front. Cela devait être à la fin de la guerre. À cette époque, ma grand-mère allait de temps en temps à pied à Chauffailles recevoir une allocation de femme de soldat, un petit pécule. Son mari n’a pas été blessé. Mon grand-père Auguste, qui lui aussi avait dû tisser à la main, cultivait des patates, un potager, et dans de petites terres dispersées un peu de blé, qu’il battait en gerbes encore au fléau, à l’écossou – en patois. Il passait ensuite le grain à travers un tarare (qu’on appelle aussi chez nous « vannoir » ou « moulin ») pour séparer le grain du « biou ». Il fauchait ses petits prés au dard, avec l’aide des hommes de la parenté. Avec ce foin, il pouvait nourrir trois ou quatre vaches, et il avait de plus des lapins et des poules. Cela fournissait un peu de viande ; on en achetait aussi de temps en temps à la boucherie de La Place, surtout quand la vente d’un veau, à la même boucherie, permettait d’améliorer l’ordinaire... Auguste et Véronique allaient à tour de rôle à la grand-messe. L’autre était allé à la première messe, et revenait pour garder la maison et faire cuire le « bouilli », le pot-au-feu. Ils avaient beau s’attarder un moment au bourg après la messe, ils déjeunaient plus tôt le dimanche qu’en semaine. Auguste Buchet a vécu jusqu’à 75 ans, sans avoir pris de retraite : il n’y en avait pas. Il est mort de la grippe, le 16 janvier 1949. Il s’est couché, et n’a pas voulu faire venir le médecin... En ce tempslà... Ma grand-mère est restée veuve assez longtemps, puisqu’elle est morte en janvier 1971, dans la mai- En ce Temps-là 2013 Page 7 son de La Place, où elle prenait ses repas avec Théodore et sa femme Marie, née Feugère et originaire de Saint-Alban-les-Eaux. L’ascendance de Julien Martin carrelages, chambres indépendantes ; une maison vraiment fonctionnelle pour l’époque. Quand j’étais petite fille, j’y suis souvent allée en vacances, une sizaine d’années. La maison a été vendue à André Lamure, dont la fille s’est mariée avec Charles Tachet : ce sont les propriétaires d’aujourd’hui. Mon grand-père Félix, homme toujours souriant, est mort en 1948, à 88 ans, ce qui était rare à l’époque. Ma grand-mère Benoîte est morte avant lui, à Saint-Igny en 1943, à 78 ans. Ils reposent au cimetière de Saint-Igny. La vie de mes parents Victorine et Angéline Buchet habitèrent donc de La Place et vécurent à Coublanc la vie normale des fillettes, descendant au Bourg pour l’école et l’église. Leur vie était au rythme des métiers à tisMon grand-père paternel Félix Martin, plus âgé que mon grand-père Buchet, est né en 1860, à Coublanc, mais a vécu l’essentiel de sa vie et est enterré à Saint-Igny-de-Roche. Aux Combes était la maison de mon arrière-grand-père. C’était une famille d’agriculteurs. Je ne sais pas comment Félix a fait la connaissance de son épouse, BenoîteMarie Lachassagne, de cinq ans plus jeune que lui, qui habitait à Cadolon, à droite en montant sur la route d’Écoche, dans la maison aujourd’hui Aubonnet. En tous cas, Cadolon n’est pas bien éloigné des Combes. Ils ont dû se marier vers 1890, et ont eu comme enfants, successivement, Augustin, qui périt à la guerre de 14, et dont le nom figure sur le monument aux morts de Saint-Igny-deRoche (né à Coublanc le 10 avril 1893, tué le 20 août 1914 au Donon ; l’acte est transcrit à SaintIgny) ; Joseph, né à Coublanc, et qui plus tard a habité à Saint-Germain-la-Montagne ; Élise (18981980), une fille née à Saint-Igny et décédée célibataire, enterrée à Saint-Igny ; Julien, mon père, né à Saint-Igny le 19 novembre 1900, baptisé le lendemain ; et enfin Robert, né à Saint-Igny en 1905, qui épousera Thérèse Martin (une cousine) et sera le père de Monique Bénas entre autres ; c’est Robert qui m’a raconté ce qui suit. Félix, qui habitait avant, paraît-il, vers la vieille cure, fit construire une maison, début 1900, au Montet (commune de Saint-Igny) – une belle maison toute en pierre. Il y contribua en se levant souvent à 3h du matin, pour transporter, avec son tombereau tiré par des vaches, des pierres neuves ou des pierres de récupération d’une démolition peut-être, je ne sais. La conception de cette maison était en avance sur son temps, pour la campagne : En ce Temps-là 2013 ser à main. Dans le quartier, il y avait d’autres filles, qui ont pu être leurs amies, Germaine Buisson (au premier rang, à gauche, sur la photo des conscrites de 1924) et Bénédicte Montbernier (au premier rang, à droite). Angéline est en haut à droite. Angéline, ma mère a réussi son certificat d’étude, puis a travaillé à l’usine de la Place avant de revenir à l’atelier familial des Buchet : il n’y avait pas loin de la maison paternelle à la cabine de son grand-père à La Place. Elle racontait que sa grande sœur Victorine (déjà mariée avec le Claudius à la Page 8 Grappe de Bonnefonds) et elle y avaient subi la tornade du 11 août 1927 (Cf. l’article de Ferdinand Barriquand « Un cyclone à Coublanc » dans En ce Tempslà n°1, 1995). Tandis que les éléments déchaînés faisaient tomber les vitres de la verrière et cassaient les chaînes, les deux sœurs s’étaient réfugiées sous les métiers. Je ne sais pas comment Angéline a fait la connaissance de Julien Martin. Quand j’étais petite, je m’entendais souvent dire : « Tu es trop curieuse ». Il y avait une grande séparation entre le monde des enfants, et celui des adultes. Les relations familiales étaient bien différentes de celles d’aujourd’hui. Et puis, du grand matin jusque tard le soir, jusqu’à la soupe, les métiers électriques tissaient et retentissaient dans la maison ; cela faisait de grandes journées de travail, et l’on ne pouvait pas se parler facilement ni beaucoup. Toujours est-il que le 28 septembre 1929, Angéline épousa Julien, avec lequel elle était vaguement cousine, par les Lachassagne – ce qui a peutêtre été une raison de leur rencontre, et ils s’installèrent dans la maison de mes arrière-grandsparents Grapeloup, entre La Place et les Remparts, non loin de la fabrique de limonade « La Régionale ». Tous les deux ont été tisseurs, lui à la cabine de La Place, chez son beau-père Auguste Buchet, ce qui fait qu’il n’était pas souvent à la maison ; elle, Angéline, à la maison. J’ai été bercé au son du métier, toute la journée. En même temps qu’elle tisse, Angéline vaque aux multiples tâches ménagères. Elle s’arrête de tisser de temps en temps, pour la naissance de ses enfants : moi, Germaine, l’aînée, en 1930, Augustin, en 1933, Bernadette, en 1936, et Joseph, né le 14 mai 1940. En mai 1940, quelques jours après Pâques, mon père fut mobilisé, malgré ses quarante ans, et ses presque quatre enfants : Joseph allait naître quelques jours après son départ. Auguste a été mobilisé en même temps que deux autres Coublandis, Marcel Alix, et Joanny Dubouis, qui était de la classe 19 et avait deux enfants. C’est sa fille Marie-Louise et son gendre Louis Laurent qui me donnent les renseignements suivants : ces trois Coublandis n’ont pas été au front. Ils étaient plutôt ce qu’on appelait des « affectés spéciaux » ; ils sont partis en vélo travailler à l’Arsenal de Roanne, à fabriquer des obus. Ils logeaient à côté de l’Arsenal, à la ferme Crétin. Soudain les Allemands arrivent dans la région ; pour ralentir leur avance, on fait sauter le pont d’Aiguilly. La femme de Joanny Dubouis voit de chez elle la fumée dans le ciel : elle a envie d’aller à Roanne pour se renseigner sur le sort de son mari. Nos trois Coublandis, pas tout à fait soldats, reçoivent l’ordre ou le conseil d’un supérieur : « Partez vite ! » Ils prennent leur vélo, et partent vers le sud. Ils sont passés en Ardèche par Lanarce, village connu pour son « auberge rouge de Peyrebeille », et par le beau village voisin de Pradelles, en Haute-Loire. Puis ils sont rentrés, toujours en vélo et tous les trois, à la fin de juillet.... Pendant l’absence de son mari, Angéline mettait donc au monde, seule, son dernier-né, et voyait tout le pays troublé, et des gens en exode sur les routes à Chauffailles ou à Charlieu. Des Coublandis parlaient de partir vers le sud. Ma mère était fermement décidée à rester chez elle, mais à tout hasard, au cas où une séparation aurait été imposée, elle avait écrit nos noms au crayon encre sur un morceau de tissu attaché à un cordon : elle nous avait étiquetés ! À l’époque, bien peu de gens avaient une carte d’identité ! Vers la fin de la période de l’Occupation, le travail a manqué ; les usines ne travaillaient que trois jours par semaine : les matières premières faisaient En ce Temps-là 2013 Page 9 défaut. Alors mon père profitait de ce temps libre non voulu pour travailler au bois, à Écoche, afin de remplir notre bûcher. Comme tout le monde, nous avons vécu cette période dans les privations, et c’est le moment où nous avons eu des ennuis de santé. Dans l’hiver 1940, mes trois frères et sœur ont attrapé la coqueluche : on a même cru l’état de ma sœur désespéré. Ils étaient soignés par le docteur Robert de Charlieu – on ne faisait pas souvent appel au docteur. Et il a fallu le rappeler pour mon père, atteint au printemps 1941 d’une jaunisse, en fait une hépatite qui a désormais miné sa santé. Il lui a fallu faire un régime pour le foie, et je me souviens d’être allée à Saint-Denis-de-Cabane faire la queue à la boutique de M. Petit, qui était spécialisé dans la fabrication de biscottes. C’était durant la période des cartes de rationnement, qui a duré même après la fin de la guerre : mon père devait Photo prise le 30 janvier 1944 par notre voisin Émile Labrosse On voit au fond la maison Dessertine, aujourd’hui maison Guichard et derrière les enfants, l’extrémité du mur de notre maison. De gauche à droite, Germaine (1930), Augustin (1933), Bernadette (1936), et Joseph (1940) au centre en bas. En ce Temps-là 2013 consommer des biscottes sans sel. Je me souviens bien de ces cartes de rationnement. Heureusement, nous avions un petit jardin potager, quelques poules et quelques lapins. Ce n’était pas suffisant. Je me souviens d’avoir aidé mon père, une veillée, à ramener en catimini, dans un « petit barrau », des pommes de terre de chez Julien Chevreton (le « Julien à Pierre-Marie »), qui habitait à Carthelier (maison Roy aujourd’hui). Et une autre fois, toujours de nuit, cinquante kilogrammes de blé, de chez Clément Berthier de la Faverie. Ce grain, ma mère le faisait griller un peu, le faisait cuire à l’eau : c’était notre petit déjeuner à Augustin et à moi. Nous avions faim ; alors nous trouvions cela bon : ça calait l’estomac. Mais nous lorgnions le cacao des deux plus jeunes. Nous avions aussi parfois des matefaims de sarrasin, du sarrasin cultivé par l’oncle Joseph Martin de SaintGermain-la-Montagne, apporté par l’oncle en voiture à cheval ou par mon père en vélo, je ne sais. Pour le lait, nous allions chez le grand-père, à La Place, et après la guerre, à la ferme des Lauriot. Près de chez nous, de l’autre côté de la route, dans la maison Dessertine (aujourd’hui Guichard) alors inoccupée, la municipalité avait fait installer deux familles de réfugiés luxembourgeois, des parents et deux ou trois jeunes filles ; ils ne sont pas restés très longtemps : après l’armistice, ils ont dû retourner au Luxembourg, laissant la maison en piteux état.. Même après la guerre, nous n’avons pas été bien riches. Mes parents n’ont jamais eu de voiture, ni à cheval, ni automobile. Il n’y en avait d’ailleurs guère à Coublanc. Les plus proches étaient celles des Montchanin et d’Émile Labrosse, qui en avaient avant la guerre. À La Place, il y avait aussi celle de M. Jolivet, le directeur de l’usine, et celle du père Delomier. Mes parents avaient chacun un vélo, sans dérailleur, acheté dans leur jeunesse, ce qui leur permettait d’aller à Charlieu ou à Chauffailles. Ma mère n’était pas à l’aise sur son vieux vélo noir sans dérailleur et donc sans vitesses : elle en descendait quand ça montait, et le montait quand ça descendait... Moi aussi je me suis servi de ce vélo. Pendant la guerre, les pneus de ce vélo étaient rapiécés, et quand on partait, on ne savait jamais si l’on arriverait à destination. Avant la guerre, quand nous voulions aller faire des courses à Charlieu à plusieurs, il fallait utiliser le « transport en commun » de l’époque : c’était la guimbarde de M. Collet, de La Place, une voiture à moteur avec trois places devant et une plateforme avec des bancs derrière. Il faisait office de taxi, et assurait un service régulier pour Charlieu Page 10 une table devant le métier. Le métier était précisément éclairé par deux lampes électriques, l’une derrière la chaîne, l’autre sur la « façure », la por- tion de tissu qui fait face au tisseur du peigne à l’enroulage, mais cela n’éclairait pas beaucoup le Photo prise le 7 avril 1947 à Bonnefonds par Augustin Grapeloup, Ma grand-mère Véronique Buchet et ma mère Angéline tricotent debout Véronique a un bonnet, un tablier et des sabots. Ma mère a un chignon : son père n’aimait pas les cheveux coupés pour une femme, et elle les avait très longs. Elle porte une blouse sur sa robe, son gilet et des pantoufles. Je n’ai jamais vu ma grand-mère chaussée autrement qu’en pantoufles ou en sabots, sauf le dimanche, pour aller à la messe et aux vêpres. le mardi et le vendredi après-midi, et pour Chauffailles le vendredi matin. C’est qu’on allait à Charlieu quand on avait besoin d’une paire de chaussures, pour mettre le dimanche. Les autres jours, on mettait des sabots – j’en ai mis moi-même – ou des galoches à tige et semelle de bois en hiver, et des sandales l’été. À Coublanc, on pouvait trouver des sabots chez Berthier au Bourg, chez Grapeloup à Bonnefonds, ou chez Montbernier, sabotier travaillant à l’étage de la Coopé. Collin, à la Place, se contentait de faire des réparations, ou bien de clouer des plaques métalliques sous les chaussures pour en retarder l’usure : il en mettait aux deux bouts stratégiques, sous les orteils et sous le talon. La vie familiale se déroulait essentiellement dans la cuisine, qui était assez grande, mais encombrée par la cuisinière, une commode, le métier à tisser et reste de la pièce. C’est à cette faible lumière que je lisais, près du métier. On n’achetait pas de livres, et je profitais des vieux manuels de lectures scolaires, même des livres de vocabulaire, donnés par la grand-mère Buchet ; et quand j’en demandais d’autres, disant que je les avais lu deux fois déjà : « Eh bien, tu les liras une troisième fois ! », me répondait ma mère. Seuls les adultes pouvaient bénéficier de la bibliothèque paroissiale qui était dans la salle des catéchismes, et que l’institutrice privée tenait après la messe. Je m’en suis moi-même occupée, plus tard, quand j’ai été institutrice à Coublanc. Cette collection était alimentée par la paroisse sous la surveillance du curé. Mes parents lisaient L’Écho du Roannais, et le journal du dimanche – ou qu’ils ne lisaient que le dimanche –, intitulé Le Nouvelliste. Ils l’achetaient au Bourg, ou à La Place, je ne peux pas dire ; ou bien le facteur le leur apportait-il, car le facteur faisait une tournée le dimanche ! Si l’on avait l’électricité, qui avait permis de changer de métiers, on n’avait pas l’eau au robinet : il fallait aller la chercher au puits. On faisait la lessive dans une lessiveuse qui chauffait sur la cuisinière. On rinçait la lessive au creux, dont l’eau, bénéficiant d’une source et d’un écoulement, était assez claire. L’hiver, parfois, on cassait la glace. L’eau courante n’arriva aux Remparts que vers 1965. Comme tout le monde, nous allions à la messe, la première messe de 7h l’été et 7h30 l’hiver, ou la grand-messe de 9h l’été et 9h30 l’hiver. Mon père et ma mère alternaient entre les deux messes, comme mes grands-parents, par souci de parité ! Puis on allait aux vêpres, moins fréquentées, à 14h ou 14h30 : c’était tôt ! Après les vêpres, habituellement on passait le temps en famille, à la maison, ou chez des parents. On allait à pied à Cadolon, ou bien chez des cousins, ou chez les grands-parents de Saint-Igny, en partant directement après la messe, pour y déjeuner, ou chez Grapeloup, où il y avait eu un jeu de boules et un café. Je me souviens qu’on m’y avait fait boire de la bière, (ou en avais-je demandé, par curiosité?) ; j’en ai trouvé le goût exécrable, et cela m’en a dégoûté pour des décennies. L’été, on faisait un tour à travers la campagne. Mes parents étaient des gens calmes, sans passions, ni la pêche, ni la chasse. Ils jouaient à la En ce Temps-là 2013 Page 11 manille à deux, et avec nous au jeu des sept familles. Plus tard nous pratiquâmes la belote, mais pas le tarot. Puis les aînés se marièrent et quittèrent la maison familiale. Vers 1960, où un peu avant, mes parents avaient transformé l’ancienne grange – où l’on cuisait les patates pour les poules – en atelier où ils avaient trois métiers à tisser. Après deux attaques qui l’avaient diminué, et obligé à prendre une demi-retraite, mon père est mort d’une troisième attaque, le 14 février 1965, à l’époque des fiançailles de Joseph... Augustin, Bernadette et moi n’étions plus à la maison ; seul Joseph restait avec les parents, lui qui s’est marié en mai 1965, et qui travaillait à l’usine de La Place, comme sa future épouse Suzanne. Angéline avait une bonne santé, et elle a vécu longtemps dans sa maison, où elle a continué de travailler deux ou trois ans, avant de prendre sa retraite. Elle avait une petite retraite, mais dépensait peu et menait une vie tranquille. Mon père et elle s’étaient acheté une radio en 1955 – encouragés par Bernadette. Quand Angéline fut veuve, le voisin Émile Labrosse, qui avait une télé, invitait ma mère et sa voisine madame Marie Déchavanne née Dessertine, qui habitait la maison aujourd’hui Giraud, à venir voir certaines émissions du soir, surtout des variétés. Les deux dames prirent goût à la télé, et s’en achetèrent bientôt une ! Angéline marchait d’un bon pas, mais moins que sa sœur Victorine cependant, qui n’avait pas de vélo et allait toujours à pied, par exemple à Charlieu avec son fils Augustin (Cf. En ce Temps-là 2012). Certains dimanches, ma mère, accompagnée de madame Marie Puillet, de La Place, allait à pied me voir à Saint-Maurice, où j’étais au Pensionnat avec Hélène Puillet. Les deux dames passaient par Tancon, par les coursières vers les Landières, le Poirier Muscat et Châteauneuf. Maman m’apportait du linge propre, et reprenait le sale. Point n’était besoin de marches organisées, à l’époque ! Angéline, veuve, participait au repas des anciens, et au club, qui à l’époque réunissait jusqu’à cent En ce Temps-là 2013 personnes peut-être. Elle faisait les sorties du club, voyages d’un jour, mais ne partait pas en expédition avec le père Gay, curé de Coublanc. De toute sa vie, elle n’a fait qu’un grand voyage, un pèlerinage diocésain à Lourdes, que nous lui avions offert pour ses 80 ans. Elle est partie en train, avec le groupe de Chauffailles et avec les demoiselles Desportes, de Saint-Igny, qui s’étaient bien occupées d’elle. Ma mère a pu rester chez elle, bénéficiant de l’aide de ses enfants et de la visite des habitants de la maison voisine, successivement les parents du docteur Iracane, avec une visite quotidienne de la mère du docteur ; puis presque tous les jours aussi, de madame Michaud, qui vivait avec sa mère madame Passé, centenaire, dans la maison naguère occupée par les Iracane Ce n’est qu’à l’âge de 92 ans, en 1996 qu’elle a dû entrer à la Maison des Anciens, où elle est morte le 18 novembre 2000. Elle repose auprès de son mari au cimetière de Coublanc. Germaine Sambardier Propos recueillis par Bernard Berthier à La Croixdu-Lièvre en novembre 2012 La maison d’Auguste Buchet et de son fils Théodore avant restauration, à La Place La maison Martin vers la Croix des Remparts. À droite les dépendances Page 12 La menuiserie Christophe à Saint-Igny-de-Roche par Noëlle Christophe Les frontières des villages n’étant pas hermétiques, notre revue a déjà publié dans ses numéros précédents les souvenirs de deux habitants de Saint-Igny : René Fillon et Robert Ray. Voici ceux de Noëlle Christophe, elle aussi bien connue à Coublanc. Mon père s’appelait Joannès Christophe. Il était d’une famille de Saint-Igny ; son père était ouvrier en soierie. Joannès était né le 22 décembre 1900. Il a eu un frère, Alexandre (1901), et qui a été marguillier à Saint-Igny, et une sœur, Anne (1904), qui est morte à 20 ans. En 1927, il a épousé Laurence Forestier, née comme lui en 1900, qui avait une tante, une sœur de sa mère, à Chauffailles, rue Louis Martin ; c’était madame Molette, dont le mari était cordonnier rue Achaintre, qui l’avait élevée. Sa famille était de La Chapelle-sousDun. Ma mère avait un frère, Louis, et une sœur, Marie. Mon père et ma mère se sont mariés en 1927, après la tornade d’août, et ont eu quatre enfants, quatre filles, dont j’étais la deuxième : - Anne-Marie, née en 1928 et morte en 1999. Elle a été couturière, ayant appris son métier chez la fille Buisson, de Cadolon. Puis elle a travaillé à l’usine à Chauffailles. Dans les deux cas, elle rentrait tous les soirs à la maison, où elle a toujours vécu avec moi, sauf à la fin, quand j’ai dû m’arrêter et qu’il a fallu qu’elle aille à la Maison des Anciens de Coublanc. - moi, Noëlle, née en 1929, qui suis restée travailler à la maison avec mes parents. - Marie-Louise, née en 1931, qui s’est mariée jeune avec Henri Bonnot, un agriculteur habitant Tancon. - Marthe, née en 1933, qui épousa l’électricien Pothier, de Mardore, travaillant alors à Chauffailles ; elle est veuve depuis quelques années et vit dans la maison héritée de la tante… En famille, nous nous entendions tous très bien, et mon père y veillait avec autorité et sourire. La menuiserie Mon père était menuisier ébéniste. Il avait été apprenti plusieurs années chez Mottin, à Chauffailles, puis s’était établi à Saint-Igny. Il avait commencé de travailler au Bourg, en face de l’église, louant une grande salle et un apparte- ment dans la maison qui fut plus tard celle des demoiselles Desportes, juste après l’atelier de René Fillon, en allant vers Cadolon. Quelqu’un qui plaçait ses économies en prêtant de l’argent, à une époque où on ne mettait pas encore son argent à la banque, lui suggéra de faire construire et lui fit un prêt. Mon père s’y est mis en 1928 ou 1929, faisant bâtir la carcasse, pour ainsi dire, ou les murs, par Chassignolle, maçon dans le village : une maison d’habitation, la cuisine, avec l’atelier accolé, ce qui serait interdit aujourd’hui ; mais par-derrière, du côté opposé à la route, il n’avait fait faire que le toit, pour protéger son stock de planches afin que le séchage se fasse normalement. Ce n’est que plus tard que nous avons bâti des murs pour faire des pièces complémentaires, dont l’atelier de literie où travaillait ma mère, puis moi avec elle. Mon père a fait creuser du même coup un puits, qui me fournit aujourd’hui encore assez d’eau, et qui, à une époque, durant les étés secs, en fournissait au besoin aux gens du voisinage. Dans la cour, un bassin recevait l’eau assez abondante drainée dans le jardin : il permettait de rincer la lessive. Mon père travaillait rarement seul. Il avait des apprentis, un ou deux, mais en général un seul, qui venait du voisinage, car sinon il aurait fallu le loger. De plus, mon père a eu presque tout le temps un ouvrier ; c’était souvent un apprenti qui restait quelque temps. Il y a eu, comme ouvrier ou comme apprenti, Louis Druère, de Montbernier ; Georges Chetaille, de Saint-Igny, Marius Desgoutte, un Coublandi habitant du côté des Pins, André Mercier et Paul Ducruy et Marcel Sarnin, d’Écoche, et le dernier, René Vaginay, de Saint-Igny, Les apprentis s’en allaient pour se perfectionner et s’établir... Comme tous les menuisiers, mon père faisait les huisseries et les meubles. Il a réalisé les boiseries En ce Temps-là 2013 Page 13 du chœur et les stalles de l’église de Le problème était que les pieds Saint-Igny. Mon père faisait de beaux des meubles le coinçaient et grands meubles, et bien souvent quand il se dilatait, ce qui poudes chambres à l’occasion de mariavait créer des bosses. Je le glisges. C’est lui qui a fait nos meubles, sais sous les plinthes, pour disici. Il y a encore de ses meubles dans simuler le manque de revêtebien des maisons de Coublanc. Nous, ment en bordure. ses filles, nous l’aidions pour les finiLa menuiserie marchait bien, et tions : nous passions la teinte, polisnous eûmes toujours une bonne sions et cirions les meubles. clientèle, dans le village et tous Mon père ne tournait pas lui-même les alentours, jusqu’à Chaufles pièces en colonne : il les faisait failles, malgré des concurrents, faire. Mais il sculptait les parties qui avec qui nous nous entendions avaient besoin de reliefs ; il m’a apd’ailleurs très bien : Benoît pris à sculpter, et j’ai travaillé à décoDéverchère au Bourg de Saintrer ses meubles. Pour sculpter, j’ai Igny, les Chavanon et Livet à appris à dessiner auprès de Cadolon, Claude Auvolat vers M. Roncoli, un immigré italien de la le bourg de Coublanc, Alrégion lyonnaise, qui durant deux ans phonse Labrosse à Tancon... tailla la pierre pour le marbrier BousDans presque toutes les comsand à Chauffailles et sculpta, entre munes, il y avait un ou pluautres œuvres, les deux tympans des sieurs menuisiers. Dossier de pied de lit petites portes de l’église de Saintsculpté par Noëlle Christophe Igny. J’ai suivi son cours public, et L’atelier de literie quand il sut que je voulais sculpter, il Ma mère était tisseuse de formation. Elle n’avait me donna des cours particuliers. pas choisi de se mettre à travailler dans la literie. Mon père n’avait pas de garçon : je l’ai aidé Le patron de Chauffailles chez qui elle travaillait comme si j’étais son fils. Mon père disait très souavait dit : « Si vous vous mariez, si vous partez de vent : « Ah bin, ma fî ! » Ce qui fait que ses comChauffailles, ramenez votre métier à tisser chez mis lui donnaient le surnom de « Maffy ». Voulaitvous, à Saint-Igny. » Mais mon papa n’a pas vouil dire « ma foi » ou « ma fille » ? lu : il n’y avait pas la place, dans notre maison, Mon père m’a aussi appris à poser le linoléum ou pour un métier mécanique. Alors, un collègue de le balatum. Je l’ai regardé faire, puis j’ai travaillé mon père, de Saint-Denis-de-Cabane lui a dit : avec lui, puis je l’ai fait à sa place. Le balatum est « Moi je fais des matelas, je vais apprendre à ta une matière à la fois dure et fragile, cassante, faci- femme à les faire ; je vais lui montrer. » C’est lement déchirable, qui nous était livrée en rouleaux comme cela qu’elle a démarré. Elle a appris assez de deux mètres de large, ce qui fait que c’était rapidement, et c’était une activité qui allait bien lourd – même si les clients m’aidaient. Il faut poser avec le travail de mon père, qui menuisait les lits. les lés côte à côte, et coller un adhésif dessous le Aussi son entreprise a-t-elle eu beaucoup de sucjoint. Je préparais mes découpes à l’atelier, en pre- cès. Si elle aimait son métier, la question ne se ponant soin de laisser un centimètre sur chaque côté sait pas : elle n’y était pas malheureuse. Et moide la pièce, pour que le balatum puisse « jouer ». même, je n’ai jamais demandé ce que je voulais faire. Je n’ai pas choisi : je suis restée tout naturellement avec mes parents, pour les aider. J’ai commencé à les aider vers quinze ans, avant d’être employée. Je savais peut-être mieux que mes sœurs ce que mes parents voulaient... Je n’ai pas été malheureuse, je ne me suis jamais posé la question. Ça ne me déplaisait pas. On n’avait pas de questions à se poser, en ce temps-là. J’avais du travail à la maison, je n’avais pas de raisons d’en chercher ailleurs. J’étais déclarée par mes parents, et j’ai cotisé pour la retraite quand cela a été obligatoire. L’atelier En ce Temps-là 2013 Page 14 Ma mère et moi faisions des matelas à la demande des clients : laine, crin, ou les deux mélangés : une couche de crin prise entre deux couches de laine. Nous faisions aussi couvertures, édredons, rideaux, tout ce qui allait avec l’ameublement. Ma mère, à une époque – celle où les clients n’avaient pas encore de voitures, dans les années 50 – avait commencé à aller travailler à domicile, chez les clients, quand la toile était déchirée ou que le matelas était écrasé, notamment à Chauffailles, où elle laissait une petite cardeuse chez sa tante (la cardeuse était montée sur deux roues), tandis qu’elle allait à Chauffailles et rentrait à la maison à bicyclette. Nous, les enfants, nous n’aimions pas cela : notre maman était alors absente toute la journée. Ça a été une époque à traverser. Pour ma part, je n’ai jamais travaillé à domicile. Parfois, les clients apportaient leur matelas le matin, et, s’il y avait urgence – s’ils n’avaient pas d’autres lits – , on y travaillait et ils pouvaient venir le reprendre le soir. saient à l’atelier prendre commande et apporter le colis quelque temps plus tard. Nous aussi, à la literie, avions besoin de fournitures, que nous entreposions dans le magasin, la pièce du côté de la route. Des représentants passaient avec des livres cartonnés dans lesquels des échantillons de tissus de qualités et de couleurs variées étaient collés sur de grandes pages. Nous étions démarchées par de grandes entreprises spécialisées dans le tissu de literie, notamment une grosse usine située dans le Nord de la France. On nous livrait des pièces de toile de 70 mètres. Le tissu était plié un peu comme en accordéon, puis roulé, et replié dans l’autre sens pour finir par faire un colis maniable, mais fort lourd. La toile de matelas, c’est un tissu très spécial, qu’on ne trouvait pas chez les couturiers, par exemple. Il n’y avait pas que la toile à matelas. Nous faisions Transport et fournitures Mes parents n’ont jamais conduit de voiture : mon père n’a jamais voulu apprendre à conduire. Pour ma part, j’ai passé le permis avant 30 ans, et j’ai eu une 2CV : ainsi je pouvais aller chercher les matelas, et mon père me faisait transporter ses meubles, souvent en pièces détachées pour les armoires démontables, que le client ou lui remontait à l’arrivée. Pour les lits, les gens se débrouillaient pour les remonter. J’allais chercher les matelas des gens qui ne pouvaient pas se déplacer, et qui m’appelaient. Plus tard, et plus souvent, c’était les clients qui venaient chez nous, en voiture à cheval puis en automobile, pour emporter le meuble qu’ils avaient commandé. Comme il n’y avait pas le téléphone, les communications se faisaient directement, le plus souvent au marché de Chauffailles, où le client passait commande et où mon père le prévenait que le meuble était fini. Sur tout le secteur, on avait une bonne clientèle. La voiture a changé la façon de vivre des gens. Tout ce qui avait rapport avec le travail, le commerce, le transport, la vie en général, tout eut un nouvel essor qui transforma le société entière. Et nous, nous avons apprécié de ne pas avoir à aller courir. Un menuisier a besoin de quincaillerie : mon père allait chercher en vélo la quincaillerie ordinaire dans les magasins de Charlieu ou de Chauffailles, mais pour la quincaillerie des meubles, des représentants de commerce de diverses entreprises pas- Joannès Christophe & Laurence Forestier lors de leur mariage en 1927 aussi des couvertures piquées et des édredons. Il nous fallait de la satinette, et du duvet, qui nous était livré par sacs d’un kilogramme, par là. Des moments, il en fallait plusieurs sacs pour un édredon. Tout cela nous était livré par des camions à moteur – l’époque des camions à cheval, je ne m’en souviens pas. Mes études J’avais été, comme mes sœurs, à l’école à SaintIgny. J’ai réussi, à Chauffailles, le certificat d’études à 13 ans. Puis nous sommes toutes passées, en nous succédant, au pensionnat du Sacré-Cœur, à Saint-Maurice. Il était tenu par des sœurs de la congrégation de Chauffailles. Le Pensionnat, école libre privée, était situé en face du vieux cimetière de Saint-Maurice. J’y suis restée deux ou trois ans. Ce Pensionnat, à la différence de l’école communale, où j’aurais pu rester, menait les élèves jus- En ce Temps-là 2013 Page 15 Une particularité de la maison Christophe : « Nos parents avaient fait maçonner une niche sur la façade, pour y placer, à l’abri d’une vitre qui depuis n’a jamais été brisée, une statuette de la Vierge : ils étaient très croyants. Un jour, deux hommes à vélo, rentrant de Chauffailles, passent devant notre maison, notre maman étant dehors. Un des deux se met à sourire ironiquement en direction de notre Vierge, mais il perd l’équilibre et tombe dans le fossé !... Souvenir de Marthe Pothier, née Christophe qu’au brevet, que je n’ai pas passé parce que je n’en sentais pas le besoin, et qu’on était quatre à la maison... J’y étais en même temps que des filles de Coublanc, Germaine Martin (pas dans ma division) et Hélène Puillet (avec qui j’étais en classe, et qui était bonne élève). Nous étions une quinzaine de filles par classe de même niveau. C’était l’Occupation, et certains parents, en ces temps de restriction, vers la fin de la guerre, mettaient leur fille au Pensionnat, parce que la nourriture y était plus abondante ! La musique et les temps libres Mon père aimait bien chanter, à l’église, avec les autres. Ma mère jouait de la mandoline. Mes sœurs et moi avons pratiqué le chant au pensionnat de Saint-Maurice, où l’on pouvait aussi faire un peu de théâtre, puisqu’il y avait une représentation en fin d’année scolaire ; Hélène Puillet jouait un rôle. Moi, j’étais dans le groupe de chant. Mon père avait acheté un petit harmonium, qui était placé dans le magasin. Mes sœurs sont allées apprendre à en jouer chez les Sœurs de Chauffailles. Moi, j’ai aimé m’amuser sur l’harmonium, j’ai appris la musique par moi-même, en pratiquant à la maison. En ce Temps-là 2013 Mes sœurs ont joué à l’église, pour accompagner la messe. Puis elles sont parties quand elles se sont mariées. Je devais avoir entre 22 et 25 ans, quand je rencontre un jour dans le village le curé Lacroix. Il me dit : « Dimanche prochain, comme il n’y a plus personne, je te demande de m’accompagner à l’église. » Je lui réponds : « Mais vous rêvez pas, père ? » Il me répond : « Je ne te demande pas si tu veux, je te demande de jouer. » Le dimanche suivant, j’ai accompagné certains chants et je ne me suis pas trop mal débrouillée : voilà comment j’ai commencé. « Tu pourras continuer », m’a dit le père Lacroix. C’était le début d’une carrière de près de soixante ans, sous différents curés, qui vient de s’achever – comme celle de fleuriste de l’église – sur les conseils du père Grobot ! Sans doute le curé Lacroix m’avait-il entendue jouer, en passant devant chez nous chaque jour pour aller chercher son lait à l’Alouette – au carrefour de la route de Chauffailles –, où il y avait une ferme qui vendait du lait et faisait boucherie en même temps. Dans mon enfance, et même plus tard, nous sortions rarement. Et toujours à pied, quand c’était tous ensemble. Nous allions à pied à la fête à Chauffailles ; un moment chez la tante, puis un petit tour dans la fête, et nous rentrions. Nous sommes un peu parents, je ne sais pas comment, avec les Berthier de La Roche à Coublanc, un peu cousins avec Pétrus. Quand il allait à pied au marché de Chauffailles, il s’arrêtait chez nous. Nous allions de temps en temps le voir le dimanche, lui, sa femme et ses enfants à peu près de notre âge. C’était l’occasion, en chemin, de saluer des clients rencontrés devant leurs maisons. Nous passions en général par les Pins. Plus tard, inversement, quand mon père était à la retraite, et que Pétrus Berthier venait le voir, lui qui courait les routes et les chemins malgré sa hanche handicapée, qui le faisait boiter, mon père le regardait remonter le chemin pentu des Pins, qui, à l’époque, était moins caché dans les arbres. Mon père était rassuré quand Pétrus et sa canne étaient arrivés en haut. La belle-fille de Pétrus, Germaine Berthier, vient encore me voir avec Martine. Ma mère est morte de maladie en 1977. Mon père lui a survécu quelques années ; il vivait ici avec moi – il avait pris sa retraite –, jusqu’à sa mort à l’hôpital de Roanne en février 1981. Joannès et Laurence reposent au cimetière de Saint-Igny. Propos recueillis par Bernard Berthier, auprès de Noëlle Christophe, à Saint-Igny-de-Roche, à partir du vendredi 16 novembre 2012 Page 16 Dans notre voisinage par Victoire Buchet (suite des souvenirs publiés en 2011) Dans nos environs de la Place nord, il y avait les Montbernier, Antoine, qu’on appelait le Toine, et sa femme la Julie, une Lamure de Saint-Igny. Pour vivre, ils avaient un potager, des lapins, des poules, deux vaches et un métier à tisser à la main, peut-être ensuite un métier électrique. Tout le monde à Coublanc est passé des métiers à tisser à la main aux métiers électriques, à part une autre de nos voisines, l’Yvonne Dessertine, qui a habité vers la croix des Remparts, puis du côté du Victor Chambrade, où elle demeurait, vieille fille, avec son père et son oncle. Après leur mort, elle s’est mariée, vers 1936, avec un bonhomme de Saint-Denis-de-Cabane, un plombier, et elle est allée habiter chez lui ; mais elle revenait nous voir, à pied de Saint-Denis, et du même coup revoir sa maison. Le Toine et la Julie avaient une fille, Bénédicte, que l’on appelait « la Béné », qui a épousé ensuite Jules Déchavanne. Dans la maison Montbernier, qui est aujourd’hui celle d’Hubert Déchavanne, il y avait deux appartements : le Toine et la Julie habitaient face à la cour, en bas, et le Jules et la Béné logeaient dans les pièces desservies par une porte du côté du chemin, qui existe encore. Puis, comme ils étaient tout de même à l’étroit, les parents de Béné sont descendus habiter non loin de chez nous, dans une maison au-dessus de la limonaderie, celle d’Anaïs Montbernier, sœur du Toine et vieille fille. C’est à sa mort qu’ils y sont descendus. L’Anaïs, comme de nombreux Coublandis en ce temps-là, avait vécu de peu : un jardinet, des poules et des lapins, un métier à tisser à main peut-être. Je me souviens qu’à l’occasion des processions de la Fête-Dieu, elle nous donnait, à nous, Antonie, Maria et moi, ses petites voisines, des roses coupées à ses rosiers, tandis qu’à nos autres camarades elle donnait seulement la permission de ramasser les pétales tombés au pied des rosiers... Je me souviens du Jules et de la Béné. J’en ai gardé le souvenir de la période quand ils se fréquentaient. J’étais jalouse du Jules, – mon Dieu que je n’aimais pas ce Jules qui venait voir la Béné – parce qu’il nous enlevait une amie plus âgée que nous de dix ou quinze ans, mais qui s’occupait souvent de nous, comme elle était fille unique, et que nous l’avions toute à nous. Nous allions chez elle, elle venait chez nous chercher le lait, nous nous voyions souvent. Comme il n’y avait pas de poste, pas de télé, en ce temps-là, on mangeait souvent ensemble, dehors, dans les cours, de travers, on vivait souvent ensemble, tous, jeunes et vieux. Alors que maintenant... Ça fait quatre ans que je n’ai pas vu ma voisine !... Donc le Jules fréquentait la Béné. Il venait les dimanches après-midi, à pied, de son quartier de l’Orme, où il habitait avec sa sœur Yvonne la maison qui est aujourd’hui celle de Carole Danière, fleuriste (Yvonne étant l’arrière-grand-mère de Carole) ; et tous les deux se promenaient, pas bien loin, et souvent accompagnés par un tiers, la mère Julie sans doute, sur les chemins, ou passaient du temps chez les Montbernier. Je me souviens aussi de leur mariage, mais pas trop. À l’époque, le mariage était une affaire très Jules Déchavanne familiale, la céréfootballeur à l’USC.. monie religieuse Photo de la Béné page 8, en avait lieu le samebas, à droite. di matin, avec seulement les gens de la noce. Un déjeuner était servi dans la maison de la mariée ; dans l’après-midi, on allait danser dans un bistrot ; puis on reprenait un repas le soir dans la maison de la mariée. Le Jules et la Béné avaient des métiers à tisser. Quand l’électricité est venue, on a pu en avoir plusieurs. Le Jules avait appris par lui-même à couper les cheveux : il faisait le coiffeur pour hommes, pour hommes seulement, le samedi, toute la journée, dans sa maison. Aussi ne l’ai-je jamais vu faire, mais c’était une distraction de voir les hommes aller et venir : la maison était en face de la nôtre. Les résultats étaient inégaux, des fois c’était un peu loupé, mais il ne faisait pas payer bien cher. Il rectifiait aussi les barbes des quelques barbus de l’époque, où tous les hommes étaient au moins moustachus. On ne faisait pas bien attention aux barbus, mais je me souviens du père Billard, au Bourg, un oncle marié avec la sœur de ma mère, et du père Boiraud, à Génillon. À la mort des Montbernier, le Jules et la Béné n’ont pas gardé les vaches. Ils sont morts après mon mariage, en laissant deux garçons, le Gaston, marié à Germaine Ducarre, de Mars, et le Joseph, marié à Raymonde Ducarre aussi, la cousine de la précédente. En ce Temps-là 2013 Page 17 Nous avons eu aussi comme voisins, mais un peu plus loin, et pas très longtemps, le Pétrus et sa femme Clotilde, dans la maison qui est aujourd’hui celle de Geneviève et Daniel Larue ; c’est là qu’ils ont eu leur premier enfant, le Joanny. Auparavant, la maison appartenait aux Marchand, qui l’avaient donnée à M. Rémi Joly, le maire de Coublanc, et leur cousin, parce que leur unique fils et descendant était mort à la guerre, en 1917. Après le Pétrus, les Lauriot sont venus s’y installer. La limonaderie Je passais devant la limonaderie chaque jour, pour aller à l’école, vers 1930. Je me souviens qu’en remontant, nous mettions souvent le nez sur la fenêtre de l’atelier. Il y avait un jeune homme, le Pierrot, qui y travaillait. Il prenait un siphon, il ouvrait la petite vitre (il n’y en avait qu’une qui s’ouvrait, la petite, elle existe peut-être encore), et il nous arrosait : on se dépêchait de fuir. C’était quasi tous les jours, cette comédie. C’était de l’eau sous pression. Ils appelaient cela « le siphon ». C’était comme une grosse bouteille... À l’époque, c’était le père Lacroix qui s’occupait de la limonaderie. Il était marié avec la Léonie. Leur fille, Léa, future mère d’Alice Lachat, était plus âgée que moi, et elle habitait avec ses parents. Elle épousa Monchanin, qui venait de Saint-Nizier, et qui prit la direction de la fabrique après le père Lacroix. Il y avait de l’activité à la limonaderie. On y fabriquait bien sûr de la limonade, « La Régionale », mais on y vendait aussi de la bière. On y trouvait encore de cette eau gazeuse appelée « siphon », en assez grosses bouteilles cubiques avec une espèce de robinet en haut. Et puis, Monchanin-Lacroix produisait à partir de je ne sais quelle énergie, de l’électricité sans doute à partir de 1926 (arrivée de l’électricité à La Place), des pains de glace. Des bouchers de Cours, en voitures à cheval d’abord (je les ai vues), et plus tard en camions automobiles, venaient en chercher. Et nous-mêmes, nos parents nous envoyaient acheter, une fois par semaine, quand on faisait le beurre avec la baratte, l’été, un gros pain de glace que l’on transportait avec un petit tombereau. C’était pour rafraîchir la crème. On mettait le pain de glace à la cave, il fondait assez vite, bien sûr... mais il était gros et durait quelques jours. On pouvait aussi descendre le beurre dans le puits. Plus tard, j’ai acheté de la limonade, mais pas de l’eau gazeuse. L’eau gazeuse des « siphons », c’était pour les cafés, je pense. Je ne sais pas d’où venait leur bière. C’était important, La Place – même si la limonaderie faisait partie des Theurots. En ce Temps-là 2013 Les charivaris Quand un veuf ou une veuve se remariait, on faisait une charivari 1. J’en ai connu au moins trois, et si je pouvais, je ne les ratais pas ! Il y a eu celle pour les noces du Joseph Druère, qui s’est marié avec Joséphine Druère après avoir été veuf d’une autre Joséphine Druère. Cette dernière, qui était issue des Druère de la Masoierie, au Bourg, était morte d’un cancer, à Lyon, aux alentours de 1944. Le veuf avait épousé en secondes noces sa cousine Joséphine Druère, de la Croix des Remparts. La charivari avait lieu le samedi précédent les noces, durant la veillée et la nuit, et y allaient tous ceux qui le voulaient, aux frais des mariés : on mangeait des gâteaux, on buvait, on dansait, on mettait des fagots pour cacher je ne sais plus quoi avant d’en faire un feu de joie ; on chansonnait les fiancés, on leur lançait des bêtises, des moqueries, des lazzis. Cela se passait dans la maison de l’un ou de l’autre, en l’occurrence celle qui est aujourd’hui celle de Robert Druère, aux Remparts. Ma deuxième charivari, ce fut pour le remariage de Germaine, née Gaillard, issue d’une maison du Pont des Rigolles, près du garage de Ferdinand Barriquand, du même côté de la route. Elle s’était d’abord mariée avec Paul Collet ; c’est lui qui faisait le transport de Coublanc à Chauffailles, tandis qu’elle tenait l’épicerie-café de la Place ; elle était donc de nos voisins. Je me souviens que pendant la guerre, ils avaient reçu un colis de gâteaux sans sucre ; nous, on lui avait tout mangé ses gâteaux... Le Paul Collet est mort pendant la guerre. Elle s’est remariée avec Joseph Duperron, du Paradis, et elle a quitté la place et son épicerie, reprise par Maria Longère, pour aller vivre au Paradis, dans la maison où ont vécu, dans un autre appartement, à l’étage, Louise et Jeanne Duperron, sœurs du Joseph, demeurées vieilles filles. On a été toute une bande pour faire leur charivari, à l’épicerie de la Place. Mais à l’époque, mon frère Claude n’aimait pas trop la rigolade ; d’ailleurs, il était au Séminaire à Autun et ne s’occupait pas des charivaris. Ma troisième charivari est plus récente : ce fut pour les noces de Julien Buchet, plus très jeune, avec une veuve pas de Coublanc, qui habitait la Maison des Anciens. Julien habitait la Raterie la maison des Dusseau aujourd’hui. Leur charivari, peut-être la dernière à Coublanc, a eu lieu à l’épicerie-café de La Place. Propos de Victoire Buchet, recueillis aux Bruyères par Bernard Berthier, vendredi 10 février 2012 1. Féminin à Coublanc, ce mot est masculin d’après le dictionnaire Robert, qui précise qu’il vient soit d’une onomatopée, soit du grec « caribaria », signifiant « mal de tête ». Ndlr Page 18 Le domaine André II. Les aléas d’une donation Nous avons vu l’an dernier comment en quelques décennies la famille André avait arrondi son domaine par des acquisitions incessantes. Mais pas de descendants, pas d’héritiers quand Claude, déjà veuf, cesse d’être vif le 11 septembre 1850. Il ne reste de sa famille que son frère, Jean-Claude, curé à Saint-Julien-de-Cray, qui aussitôt songe à se dégager du souci des biens familiaux de Coublanc. Il envisage des générosités (dons de vêtements aux pauvres...) selon la volonté de son frère, le don de l’ensemble de ses immeubles à la Fabrique de l’église de Coublanc, à charge qu’elle lui reverse 1000 F par an, avec quelques autres conditions, comme de dire des messes pour son frère à perpétuité. Mais les conditions essentielles seraient que la maison principale, mitoyenne au presbytère, accueille des sœurs enseignantes pour les « filles pauvres » dont une « hospitalière » pour les « malades pauvres » de la commune, et qu’on subventionne un lit pour les infirmes pauvres de Coublanc à l’hôpital de Chauffailles. L’acte de donation, qui fera référence pour régler tous les problèmes qui surgiront ensuite, est signé deux ans plus tard, le 26 mai 1857. Le préfet autorise la donation à la Commune le 1er décembre 1857. Le notaire de Chauffailles devant qui est signé l’acte est Maître Rochon. Le maire chargé des opérations au nom de la Commune et de la Fabrique est Claude Joly. Il est visible que le curé André a eu des intentions nettement philanthropiques, tout en préservant ses intérêts. Mais il donne beaucoup plus qu’il ne garde. Il a prévu que si l’école qu’il institue devait être supprimée, les revenus de la donation seraient partagés annuellement, moitié aux plus indigents de la commune et moitié à l’hospice de Chauffailles, pour soigner les malades pauvres de Coublanc. Le curé André meurt en 1874, et la réalisation de son testament commence en 1876 : deux religieuses recommandées par l’évêché sont installées, institutrices « congréganistes » pour les filles dans une école considérée comme « publique » – puisque la Commune s’en occupe. L’une d’elle est aussi infirmière pour les pauvres. Dès la première année, il y a 130 filles à l’école, car Coublanc compte alors 2042 habitants. En 1877, un autre legs, celui d’Antoinette Dessertine, pousse la municipalité à la création d’un Bu- reau de bienfaisance, dirigée par sept membres élus par cooptation pour quelques années. Par suite de cette création, la Commune sera nuepropriétaire des immeubles de la donation, le Bureau de bienfaisance devenant bénéficiaire et comptable des revenus générés par le fermage du domaine. Cela fonctionne sans accroc, jusqu’au 30 juin 1897, où le maire Auguste Joly reçoit la décision préfectorale de laïciser l’école de filles. Le conseil, qui prend en considération les services rendus par les sœurs durant vingt-six ans, et qui se rebiffe contre les décisions politiques venues d’en haut, demande l’autorisation de transformer l’école publique congréganiste en école libre et, en 1902, veut maintenir la sœur hospitalière. C’est vers cette époque qu’une sombre bataille va se dérouler entre la Mairie et le Bureau de bienfaisance. La Mairie considère qu’elle va dans le sens du curé André et de son frère Claude, en continuant l’instruction des filles pauvres par d’autres moyens – l’école libre ayant toujours comme enseignantes des sœurs. Le Bureau s’oppose à cette pratique, et notamment au prélèvement par la mairie d’une part du revenu des locations pour entretenir les bâtiments, au détriment du service des pauvres. En fait, deux intentions charitables s’opposent, et cela est d’autant plus cocasse que le Maire est d’office président de la commission administrative du Bureau de bienfaisance. Un procès s’ensuit le 8 juin 1905 au Tribunal civil de Charolles, qui tranche entre les deux parties d’une manière qui permet la réconciliation après de coûteuses années de dissensions (la justice n’est pas gratuite !). Et voici qu’une nouvelle affaire va inquiéter le nouveau maire, Jean-Nicolas Auclair, avec l’apparition de lointains héritiers, la famille Alamartine de Semur-en-Brionnais, qui prétexte que les conditions du legs André n’étant plus respectées, le legs devient invalide... Le livre électronique que j’ai tenté de résumer, et dont je laisse lire la suite et fin sur le site Coublanc-71, a été écrit par le webmestre de ce site. Il donne tous les documents manuscrits de cette aventure du legs André, et il les transcrit pour nous. Une dernière partie présente le détail des soucis donnés à la municipalité par l’entretien de la ferme André, construite en 1809, (voir son image sur la page de garde, devant l’église), ferme qu’il a fallu louer, voir sous-louer habilement, entretenir et aménager plusieurs fois, jusqu’à y faire un local pour le corbillard, avant sa destruction en 1989. Bernard Berthier En ce Temps-là 2013 Page 19 Les grandes joies de la vie Dix naissances d’enfants domiciliés à Coublanc (à savoir 3 garçons et 7 filles) ont été enregistrées à la Mairie en 2012 : Mathilde CRASNIER-GUÉRIS Félicien PLASSARD Laurine POYET Sara NERI Nolan LIVET Tessa BARILLE Lylou GENTIL-PERRET Ulrik DEMURE Inaya KEBLI Émeline PERRIN 7 février de Sandrine GUÉRIS et Nicolas GRASNIER 8 février de Marie-Line BOYER et François PLASSARD 25 février de Christine PERACHE et Mickaël POYET 21 mars de Vanessa PERRUDIN et Alexandre NERI 3 avril de Nathalie BOURGOGNE et Éric LIVET 3 mai de Carole DANIÈRE et Fabien BARILLE 26 juin de Céline MONDILLON et Nicolas GENTY-PERRET 14 septembre d’Angélique MOREIRA et François DEMURE 27 septembre de Mélissa DUTRÈVE et Djamel KEBLI 18 novembre de Mathilde VOUILLON et Laurent PERRIN Bois Gauthay La Raterie L’Orme Cadolon Montrond L’Orme Montbernier Le Plat Pont des Rigolles L’Orme Ces bébés sont nés à Roanne, sauf Nolan, Ulrik et Inaya, nés à Paray-le-Monial Sept mariages ont été enregistrés en 2012 à Coublanc : Marielle CHIGNIER et Julien VIDAL Morgane RENAULT et Jean-François LINOIS Béatrice PHILIPS et Philippe VERNAY Anne-Laure BONTEMPS et Matthieu DEGUT Nathalie BOURGOGNE et Éric LIVET Céline GELOT et Sylvain BACHELET Delphine BLANCHARD et Christophe CHAVANON Vers Roche (Saint-Igny) La Machine (Nièvre) Carthelier Bonne (Haute-Savoie) Montrond Pont des Rigolles La Charmaillerie 12 mai 2012 9 juin 2012 16 juin 2012 23 juin 2012 14 juillet 2012 14 juillet 2012 8 septembre 2012 Tous nos vœux d’heureuse vie aux uns et aux autres ! Détail d’un tableau de Gustav Klimt En ce Temps-là 2013 Edmund Blair Leighton, La Marche nuptiale Page 20 Nos deuils en 2012 Parmi les Anciens de Coublanc (7 = 1+6) Marie ROLLAND, née DANIÈRE Marguerite BRISE, née COMTE Jérémie THIVIND Marie VILLARD, née DANIÈRE Pierrette T ARGARONA, née FUENTES Henri GARCIA Françoise CHEVÉ née MÉGARD Le Bourg Carthelier L’Orme La Place Le Bourg La Raterie Le Foron 01/09/1906 - 16/03/2012 03/04/1911 - 01/06/2012 28/10/1912 - 03/05/2012 14/09/1913 - 28/11/2012 16/12/1927 - 12/12/2011 28/02/1936 - 22/08/2012 01/09/1937 - 25/05/2012 à 105 ans à 101 ans à 99 ans à 99 ans à 83 ans à 76 ans à 74 ans À la Maison des Anciens, venant d’autres communes (1) Marie BONNETAIN Chauffailles 22/08/1917 - 30/05/2012 à 93 ans Parmi les Coublandis de moins de soixante-quatorze ans (2) Jean-François GOEPFERT Noël VILLARD Cadolon La Place 15/04/1945 - 26/03/2012 25/12/1946 - 15/04/2012 à 66 ans à 65 ans Parmi les Coublandis résidants hors de Coublanc (2) Julien LEMPEREUR Suzanne BASSEUIL Cadolon/Chauffailles Saint-Nizier 21/09/1920 - 01/03/2012 05/03/1923 - 24/07/2012 à 91 ans à 89 ans Nos condoléances aux familles dans la tristesse La mort, une rencontre La mort, c’est la rencontre prodigieuse, éblouissante, de l’Infini, de l’Éternel, de l’Amour. Alors qu’à tout amour humain est mêlée la souffrance de savoir que, voulant se donner, on ne se donne jamais en plénitude et, voulant recevoir, on ne connaît jamais l’aimé en plénitude. […] Avec la mort, celui qui nous quitte va commencer à nous connaître, dans le plus intime de nous-même, à travers la connais- sance que Dieu a de nous. Alors vous comprenez, je pense, mon impatience. Même si j’ai des remords et des regrets, je n’ai pas peur de mourir. […] Quand on a mis sa main dans la main des pauvres, on trouve la main de Dieu dans son autre main. […] Je sais que la mort est un rendez-vous longtemps retardé avec un ami. L’attente comblée. Abbé Pierre, Testament, Éditions Bayard, 1994 En ce Temps-là 2013 Page 21 Liste des Anciens Dans la période de restrictions budgétaires généralisées que nous vivons, notre comité a décidé d’en revenir à l’âge de 75 ans pour commencer à recevoir le cadeau de Noël. Les listes qui suivent ne correspondent pas exactement aux données de l’état-civil. Quand un Coublandi est obligé de quitter la commune, il n’est pas rayé automatiquement de nos listes. Mais, bénéficiant en général d’un cadeau dans la commune où il s’est installé, il ne recevra plus le cadeau des Coublandis, mis à part la revue. Cinq d’entre vous, dont les noms sont écrits en italique, vivent à la Maison des Anciens de Coublanc (MA). En italique aussi, le nom du hameau d’origine de ceux qui ne résident plus à Coublanc. Nous indiquons la ville ou le village où ils se trouvent à notre connaissance. Si nous avons commis des erreurs, nous vous prions de nous les signaler, pour que nous les corrigions l’an prochain. Merci. Née en 1909 Marie-J. BRISSAUD Cadolon Née en 1917 Marie-Rose DÉAL L’Orme Belmont Nées en 1919 Marguerite AUCLAIR Germaine LAMURE Cadolon L’Orme MA Chauffailles Née en 1920 Victoire BUCHET Les Bruyères Nés en 1921 Maria AUCLAIR Juliette BUCHET Clotilde FOREST Renée RONDEL Yvonne VILLARD La Place Le Bourg La Place Le Bourg La Place Maurice BARRIQUAND Jacques RONDEL Jeanne SAMBARDIER Montbernier Le Bourg Montbernier Née en 1923 Andrée CHERVIER Les Génillons Nés en 1924 Germaine BERTHIER Marie-Rose CHEVRETON Germaine COLLONGE Julienne DESMURS L’Orme La Place Cadolon Le Perret Nés en 1925 Simone BOUCHERY Marie LACÔTE Henri SAMBARDIER Le Bourg Montbernier La Croix du Lièvre Nés en 1926 Joanny BERTHIER, Marie-Laure CHASSIGNOLLE Marie-Louise CHAVANON La Roche Cadolon Charmaillerie Nés en 1927 Jeanne BERTHIER Gisèle MATHERON Maurice VOUILLON La Roche Les Genillons L’Orme Nées en 1928 Jeannine LARUELLE Juliette VOUILLON Montbernier L’Orme Nés en 1929 Jeannine DEQUATRE Augustin GRAPELOUP Marguerite GRAPELOUP Louis LAURENT La Charmaillerie Bonnefond Bonnefond La Charmaillerie Nés en 1930 Claudien ACCARY Simone ALLOIN L’Orme La Bourgogne Nés en 1922 En ce Temps-là 2013 Page 22 Chauffailles Chauffailles MA MA MA Charlieu Madeleine BARRIQUAND Germaine DÉCHAVANNE Jean LARUELLE Marie-Louise LAURENT Hélène NEVERS Marcelle PERRIN Germaine SAMBARDIER Montbernier La Place Montbernier Charmaillerie Cadolon Cadolon La Croix du Lièvre Nés en 1931 Maurice ACCARY René DANTON Zahara ASKI Le Foron Cadolon Le Perret Nés en 1932 Josette-Simone BRISE Geneviève CROZET Marie-Antoinette DEMONT Odette GRAPELOUP Jean MERCIER Urbain PANAFIEU Carthelier Cadolon Les Génillons La Place La Serve Les Remparts Nés en 1933 André BUCHET Claude CHAMBONNIER Jeanne CHAMBONNIER Suzanne DANTON Raymonde DÉCHAVANNE Henri VAGINAY La Place Cadolon Cadolon Cadolon Montbernier Bois Gauthay Nés en 1934 Monique MATHERON Josette PANAFIEU Georges PIQUAND Albert PROVILLARD René VERMOREL Simone VERMOREL Les Génillons Les Remparts Montbernier Carthelier Cadolon Cadolon Nés en 1935 Marie AUBONNET Jean VERNAY Simone RODRIGUES Cadolon Cadolon Cadolon Nés en 1936 Marie BERTILLOT Maurice BERTILLOT André BOURDON Joseph GAILLARD Josette GAY Josiane GONDARD Joseph LACÔTE Colette PIQUAND Jean POYET Cadolon Cadolon Le Perret Les Espaliers Cadolon La Grande Terre Le Bourg Montbernier Montbernier Josette CHAVANON Gabrielle PREHER Marie-France VERNAY L’Orme Terre des Chambres Cadolon Nés en 1937 Chauffailles Pouilly-sous-Charlieu MA On peut ajouter à cette liste des personnes depuis longtemps en résidence secondaire à Coublanc, parfois inscrites sur les listes électorales, ou répertoriées par nos listes précédentes, ou même qui écrivent dans notre revue. Si vous connaissez d’autres personnes dans leur cas, faites-le-nous savoir gentiment... Né en 1925 Nées en 1928 Née en 1929 Pierre BERTHIER Renée BERTHIER-LAPLANCHE Claude BELLON Antoinette BERTHIER-GUILLAUME Lyon et La Place La Faverie et Fontenay-sous-Bois Le Moulin de l’Orme et Lyon La Faverie et Fontenay-aux-Roses En ce Temps-là 2013 Page 23 Né en 1929 Né en 1932 Nés en 1933 Née en 1936 Roger FOUILLANT Jean GAVET Gaston BENHAMOU Bernard BUCHET Jean-Claude DUCLAY Geneviève LACÔTE Irène DUCLAY Le Foron et Roanne Le Bois Gauthay et Roanne Les Épalis et Aubervilliers Croix du Lièvre et Saint-Raphaël L’Orme et ? Cadolon et Roanne L’Orme et ? Le Comité du Noël des Anciens, qui a préparé le cadeau 2012 ainsi que cette revue 2013, est composé de Bernard Berthier (président et rédacteur de la revue En ce Temps-là), Marie-Thérèse Jarroux-Chavanon (trésorière), Danielle Berthier-Duperron, Anne-Marie Déal, Renée Druère et Denise Déal. Nos subsides proviennent pour une part des anciens eux-mêmes lors de la distribution du colis, et de particuliers à l’occasion d’événements familiaux (qu’ils en soient chaleureusement remerciés) ; mais pour l’essentiel du CCAS de Coublanc, donc de la commune. Nous avons aussi reçu des contributions volontaires pour encourager le colis et la revue En ce Temps-là. Notre reconnaissance va à tous et à chacun, mais en particulier, cette année encore à quelques donateurs extérieurs. Nous saluons et remercions Anne-Claire Millord, notre efficace présidente de 2007 à 2012, qui est partie habiter Arcinges et a donc préféré céder sa place à un Coublandi. Points de vente du numéro 2012 - Michèle Bernillon (café-épicerie de Coublanc) - Brigitte et Bruno Chevreton (boucherie à Chauffailles) - Maison de la Presse (Chauffailles) - Aurélie et Jérôme Besançon (boulangerie de Saint-Maurice) - Ginette et Philippe Desmurs (garage de Maizilly) - Pierre Zeimetz (épicerie de Saint-Igny) - Louis-Frédéric Blanchardon (épicerie de Mars) Ont cessé leur activité en 2012 : - Anne-Marie et Aurélien Chassignol (boulangerie de Cadolon) - Patricia et Serge Demont (garage à Chauffailles) Un grand merci à ces diffuseurs bénévoles ! Nous comptons sur eux et éventuellement sur d’autres nouveaux pour ce numéro 2013 ! Ce numéro 18 a été conçu et composé par Bernard Berthier et le Conseil d’administration de l’association du Noël des Anciens de Coublanc, avec l’aide, pour la relecture, la recherche et la fourniture de documents, de photos anciennes et de souvenirs, de Marie-France Jacotey, secrétaire de la mairie de Coublanc, Danielle Berthier-Duperron, Marie-Thérèse Jarroux-Chavanon, Renée Druère, Anne-Marie Déal, Geneviève Le Hir, Marie-Jo Dufour, Philippe Séveau, François Millord, Martine Berthier, Simone Bouchery, Victoire Buchet, Patrick Berthier, Marie-Hélène Sigaut, Claude Franckart et Coublanc-71, Régis Déal, Gérard Vaginay, Simone Thévenet, Germaine et Henri Sambardier, Noëlle Christophe et Marthe Pothier, Claudien Accary, Bernard et Chantal Dumaitre, Bernadette Lacôte, Danièle Dessertine, Maurice Barriquand, Bernard Magnin, Joëlle Courot et Lionel Simond avec les enfants des écoles. Photo du vitrail par Mélanie Berthier. Dessin de couverture de Nadège Demont. Aux uns et aux autres nos remerciements. Voir l’ensemble des « Crédits iconographiques » à la page 3. En ce Temps-là 2013 Page 24 Cahiers Jules Dubuy Conférence du 8 novembre à Coublanc Environ 80 personnes de Coublanc et des villages voisins formaient, jeudi soir 8 novembre 2012 à la Salle pour Tous de Coublanc, le public attentif et séduit d’une conférence sur la Papouasie et sur le P. Jules Dubuy (Coublanc, 1887- Ononghé, 1952). Parmi ces personnes, le maire de Coublanc et Charles Dubuy, neveu du missionnaire et ancien maire de Saint-Nizier-sous-Charlieu. Didier Boussarie, vétérinaire et naturaliste venu de Laon (Aisne), mais qui a des ascendants au Bois Gauthay, voyageur à plusieurs reprises en Papouasie, a efficacement présenté la géographie, l’histoire, la faune et la flore, ainsi que quelques ethnies de la grande île. Gérard Vaginay, organisateur de la soirée, lui aussi originaire du Bois Gauthay et grand voyageur, a projeté et commenté deux de ses diaporamas. Le premier offrait la quintessence de son voyage en Papouasie en septembre et octobre 2011 (cf. son article dans En ce Temps-là 2012), à la conquête des principaux sommets de la Papouasie Nouvelle Guinée, et à la recherche des traces de Jules Dubuy dans la « station » d’Ononghé. Le second, d’une très grande qualité, résumait en neuf minutes étincelantes la vie et l’œuvre de Jules Dubuy, missionnaire du Sacré-Coeur d’Issoudun, arrivé en Papouasie il y a un siècle (janvier 1913) et dont nous célébrons le 60e anniversaire de la mort accidentelle en 1952. Enfin le P. Philippe Séveau, missionnaire de la même congrégation, travaillant en Papouasie de 1971 à 1995, au service de villages peu éloignés de celui du P. Dubuy, a pris la parole en dernier. Il a évoqué de manière très pédagogique, avec l’aide des jeunes Dorian et Ophélie, la vie et les mœurs traditionnelles des Papous et le travail éducatif, sanitaire, spirituel que faisaient avec eux les missionnaires, dans des conditions de communication et de confort très difficiles. Une partie de son propos a été mis en image par des extraits d’un film introuvable qui a été tourné en Papouasie sur le P. Jules Dubuy, vingt ans après sa disparition, intitulé Mains d’hier, terres d’aujourd’hui. Paysages étonnants et rudes, mœurs exotiques (épouillage et allaitement de petits cochons par des femmes, danses rituelles, etc.). Pour finir, les voyageurs ont montré quelques objets étranges typiquement papous : pipes de bambou, colliers de canines de chiens ou de cochons ou d’élytres de coléoptères, pectoraux de plumes multicolores d’oiseaux divers. Cette soirée instructive invitera à continuer les recherches sur Jules Dubuy, et donnera peut-être envie à des Coublandis de visiter la Papouasie et de renouer des liens avec Ononghé, où notre concitoyen n’est pas oublié, au point que « Jules Dubuy », prononcé « Youle Douby », est devenu un prénom usuel. À quand un jumelage Coublanc/Ononghé ? Entretien avec le P. Philippe Séveau, MSC Le P. Philippe Séveau, missionnaire du SacréCœur, venu évoquer la mission de Papouasie à Coublanc le 8 novembre 2012, sait ce dont il parle : il a été lui-même sur le terrain de 1971 à 1995, dans trois postes différents, successivement Jongai, Fané et Kubuna, dont les deux premiers sont voisins d’Ononghé. Il a donc visité à plusieurs reprises la station créée par Jules Dubuy quelques décennies plus tôt. On le voit même fugitivement dans le film tourné par le père Taphanel intitulé « Mains d’hier, terres de demain », consacré au P. Dubuy. En ce Temps-là : – Quelles pouvaient être les motivations d’un « candidat » coublandi à la mission en Papouasie (si, 60 ans avant vous, l’on choisissait son "poste") : le désir d’aller porter la parole jusqu’aux extrémités de la terre (= foi), l’ambition de "civiliser" des sauvages (= sorte de charité) ou, plus prosaïquement, le désir d’aventure chez un jeune homme dont on peut imaginer qu’il a lu Jules Verne ?... P. Séveau : – Le P. Dubuy est arrivé en Papouasie Nouvelle Guinée le 1er janvier 1913, presque 28 ans après la célébration de la première messe en terre En ce Temps-là 2013 Page 25 papoue, sur l’île de Yule, le 4 juillet 1885. Il avait choisi la Congrégation des Missionnaires du SacréCœur ; dans le livre de vie de cette Congrégation, on peut lire au n°147 : « Pour l’apostolat missionnaire à l’étranger, nul ne sera envoyé sans son acceptation. » Le jeune prêtre a donc demandé de partir en Papouasie et sa demande fut acceptée. Pourquoi le P. Dubuy a-t-il fait la demande de partir en Papouasie ? Je pense qu’il y a eu trois motivations. L’idée lui est venue, je pense, à la lecture des Annales de Notre-Dame du Sacré-Cœur d’abord. Cette revue, la plus ancienne du genre en France, commença en janvier 1866, donc avant la naissance de notre missionnaire. Dans cette revue, chaque mois, un missionnaire, dans de longues lettres, parlait de son apostolat avec ses joies et ses difficultés au milieu de ces populations qu’à cette époque on appelait « sauvages ». Déjà, en 1887, année de la naissance du petit Jules, on peut lire des articles sur la Mélanésie et la Micronésie. Ensuite, des rencontres avec des missionnaires n’ont fait qu’augmenter son désir de partir. Après sa première profession religieuse, le 4 octobre 1905, à Glastonbury, en Angleterre, le nouvel MSC commence son scolasticat (= son grand séminaire) à Fribourg, en Suisse. Les missionnaires du Pacifique ne manquaient jamais, pendant leurs vacances, de passer voir les jeunes MSC dans leurs lieux d’études pour les motiver et les inviter à partir en mission. Enfin, le P. Augustin Auclair, né à Coublanc le 5 novembre 1875, donc de 12 ans l’aîné de Jules Dubuy, ne doit pas être étranger à la vocation de son compatriote et à son entrée chez les Missionnaires du Sacré-Cœur. ECTL : – De quelle préparation le candidat missionnaire bénéficiait-il (en Europe, en Australie, sur place) ? Ph. S. : – Là encore, il faut distinguer, pour notre Coublandi, trois sortes de préparation. Une vie physique assez dure durant son enfance dans la maison natale fut la meilleure de ses préparations. Il vivait au contact de tous les animaux d’une ferme de Coublanc : du cheval à la poule. En ce Temps-là 2013 Une ancienne de La Place se souvient encore l’avoir vu descendre à la messe sur son cheval. On comprend pourquoi un de ses premiers soucis en Papouasie fut de tracer des sentiers pour caravanes depuis Ononghé jusqu’à Popolé (deux jours de marche en passant au mont Tafa qui dépasse les 3000 mètres). Ensuite, la congrégation favorisait grandement la formation technique des étudiants : certainement, le séminariste Dubuy n’était pas différent de ses condisciples. Si nous ne trouvons rien dans ses écrits à ce sujet, je peux donner l’exemple d’Henri Verjus, le premier MSC à débarquer en Papouasie : « Son bonheur est de travailler avec les Frères coadjuteurs. Avec eux et comme eux, il manie le rabot et la varlope, mais encore la machine à coudre. Il apprend à faire une soutane, à faire des souliers, à fabriquer des chaises. Rien n’est petit de ce qui peut contribuer à la civilisation chrétienne et à l’évangélisation des âmes... En vue des Missions, il demande l’autorisation d’aller aux hôpitaux pour y apprendre à connaître les maladies et à soigner les malades. Ô mon Dieu, écrit-il, que ce spectacle est navrant ! Là un enfant qui s’est déchiré les entrailles en tombant sur des éclats de verre ; là un homme jeune qui s’est brûlé les mains et la figure dans une chaudière bouillante. Ici, un amputé ; là un moribond… J’ai vu tous les instruments qui servent aux opérations… Je suis sorti de plus en plus persuadé que le vrai missionnaire ne doit rien ignorer. 1 » Jules Dubuy a eu le même souci ; pour cela il est revenu à Coublanc et a demandé à Victor Thévenet de lui apprendre le métier de menuisier. Et puis, il y a aussi la préparation intellectuelle que le jeune Dubuy trouve dans les Annales de la Propagation de la foi : une revue fondée le 3 mai 1822 par quelques Lyonnais qui reprennent et élargissent les initiatives de Pauline Jaricot pour soutenir les missions catholiques. ECTL : – Quelles étaient les principales difficultés que risquait de rencontrer, et qu’a affrontées le P. Dubuy ? Ph. S : – En 1913, le premier obstacle à l’évangélisation reste celui de la distance. Si les tout-premiers missionnaires ont mis presque huit mois pour arriver à Yule Island depuis Marseille, le P. Dubuy mit environ trois mois pour arriver à Port Moresby, la capitale de la Papouasie. Quelques jours à la Procure (une maison servant d’accueil et de dépôt pour les missionnaires), puis il s’embarque pour l’île de Yule. Normalement on saluait les autorités religieuses (évêque et supérieur) et l’autorité civile en la 1. Monseigneur Henri Verjus – sa vie, par le P. Jean Vaudon – Desclée de Brouwer, 1924. Page 26 personne du gouverneur. Après quelques jours, une barge emmenait les missionnaires sur la grande terre jusqu’à l’Arapokina et de là, départ pour Ononghé. Avec la caravane de chevaux et de porteurs, il fallait compter six jours de voyage. La Papouasie est un pays aux multiples langues (plus de 800 reconnues par les Nations Unies), variant parfois d’une vallée à l’autre. On peine à imaginer comment le P. Dubuy a pu communiquer avec les habitants des hautes montagnes. Il célébra la première messe le 11 février 1913, en latin bien sûr. Les indigènes n’ont commencé à comprendre les paroles de la messe qu’après 1963, lorsque le Concile de Vatican II a autorisé l’emploi de la langue vernaculaire dans la liturgie ; Jules Dubuy était mort depuis onze ans ! Le célébrant lisait l’épître et l’évangile en latin et devait ensuite les traduire dans la langue indigène. Les chants, au début – selon le principe de Grignion de Montfort – étaient des paroles indigènes sur des airs très connus en France, comme « Je suis chrétien », « Au ciel, au ciel, au ciel », « Il est né le divin enfant... » – des chants utilisés encore aujourd’hui, que je n’avais pas de difficultés à suivre. La langue indigène – le parler de tous les jours – s’apprend en six mois environ mais pour les paroles abstraites ou liturgiques, c’est un véritable casse-tête. On n’imagine pas les noms qui ne signifiaient rien pour un Papou des montagnes au début du siècle dernier : comment traduire et expliquer ce que c’est que du vin ou de la vigne, des loups et des agneaux, du levain dans la pâte ou de l’huile pour une lampe ? De plus, les langues papoues sont mal adaptées à l’expression des idées. Par exemple dans la prière de l’Ave Maria, nous disons au début : « Je vous salue, Marie » ; dans la langue d’Ononghé, on a traduit : « Marie, je te vois et je te parle. » À la fin de cette prière, on dit : « et à l’heure de notre mort » ce qui donne pour les montagnards : « quand nous tomberons dans la mort ». Pour ouvrir les yeux et l’esprit de ses montagnards, le P. Dubuy n’hésitait pas à passer des films fixes de la Bonne Presse sur la vie de Jésus et l’Église ou même, par un ingénieux système utilisant les rayons du soleil, à projeter de petits films animés sur des pays d’Europe ou sur les Esquimaux, ce qui étonnait les Papous qui n’avaient jamais vu de neige. Notre missionnaire a dû bien sûr affronter les difficultés dues au climat (heureusement au temps du P. Dubuy, le paludisme n’était pas encore apparu dans les montagnes), au manque de nourriture équilibrée, à l’isolement, surtout dans les stations secondaires où le père était, pendant trois semaines, le seul blanc dans un village. Mgr de Boismenu, évêque de Yule, recommandait à ses missionnaires de partir trois semaines dans leurs villages de brousse mais de se retrouver ensemble une semaine ou dix jours à la station principale. Un détail qui a son importance : à la station centrale d’Ononghé, on avait de vrais lits, qui permettaient un meilleur repos que le hamac ou le plancher des huttes indigènes. Pour lutter contre l’isolement, J. Dubuy faisait son courrier, des traductions et lisait, du début à la fin, l’Écho du Roannais, même avec six mois de retard. Il le donnait ensuite aux Papous qui s’en servaient pour rouler leurs cigarettes. Le travail manuel présentait également d’énormes difficultés. Aujourd’hui, nous avons tous les engins et instruments modernes : l’aérodrome d’Ononghé a été fait en grande partie avec un bulldozer, vers 1990 ; il est aujourd’hui à l’abandon... Mais du temps du P. Dubuy tout se faisait à la main, avec des pelles, des barres à mine et des forets pour percer des trous dans les rochers avant d’y mettre la dynamite. Dans une lettre de 1948, le P. Dubuy écrit : « Pourriez-vous me faire une commande de fers de rabot chez Peugeot : 500 fers de 36m/m de largeur. » Celui qui a eu l’expérience d’utiliser une scie de long pour faire des planches comprendra facilement pourquoi le P. Dubuy s’est empressé de construire une scierie dont la lame était actionnée par une roue à eau. « Sachant par expérience que le grand obstacle à son apostolat et à celui de ses vicaires était le manque de moyens de communication, il devint un spécialiste des constructions de routes dont il déterminait minutieusement le tracé, préférant une route longue à pente régulière (jamais Le Père Philippe Séveau et un bébé papou plus de 5% quand c’était possible pour ne pas fatiguer les chevaux lourdement chargés) à toute route courte mais à pente excessive. 2 » Une dernière difficulté – je l’ai vécue moi-même bien souvent – tenait dans l’incapacité d’échanger sérieusement ou de discuter avec les indigènes. J’imagine facilement le P. Dubuy lisant quelque chose 2. Cent ans chez les Papous , par Georges Delbos - Fraternité NDSC - 541 pages - 1984 En ce Temps-là 2013 Page 27 de technique ou de spirituel et interrompu par la venue d’un villageois : « Qu’est-ce que tu fais, Père ? - Tu vois, je lis – Tu lis quoi ? - Un livre sur la vie d’un missionnaire en Afrique – Ça dit quoi , etc. ». Comment expliquer où est l’Afrique, comment leur faire comprendre que la terre tourne autour du soleil et non le contraire ? Avant mon départ en vacances en France, les gens venaient m’apporter de la nourriture en disant : « C’est pour manger avec tes parents, ce soir ». Enfin, le P. Dubuy, comme tous les missionnaires, a certainement eu plusieurs fois pendant ses 39 ans de présence envie de tout laisser tomber et de repartir en Europe. On en a assez de manger tous les jours les patates douces, on ne supporte plus la saleté des gens qui nous entourent, on est désespéré par la lenteur de leur progrès vers la civilisation ou découragé par un « bon » chrétien qui prend une deuxième femme. Alors si un missionnaire n’a pas une vraie et solide vie de prière, il ne pourra pas rester dans ce pays. Cela arrive toujours aujourd’hui et l’on voit malheureusement certains d’entre eux se laisser prendre par l’alcool ou les femmes. Tel n’était pas son cas puisque, par exemple, « pendant la guerre de 14-18, par suite du manque de personnel et de ressources, on décide d’abandonner le district d’Ononghé, le dernier fondé ; le P. Dubuy supplie son évêque de le laisser seul, loin de tout confrère, au milieu de populations belliqueuses et sauvages. » Quelqu’un d’autre aurait tout laissé tomber quand en 1917 « un incendie détruisit en deux heures toute sa station. Ce drame, au lieu de l’abattre, semble l’exalter. Il se remet au travail avec plus d’ardeur et avec le souci de refaire vite et mieux ». ECTL : – Dans le domaine religieux, quels étaient les problèmes : différences de point de vue entre missionnaires ou désaccord avec la hiérarchie ? Doutes ? Rivalités avec les protestants ? Sentiment d’échec face aux survivances des conceptions et pratiques ancestrales (d’où déviations religieuses et à-peu-près moraux), gênes dues à des contraintes liturgiques (latin, pain, vin) ou théologiques (problème du vocabulaire chrétien) ? Ph. S : – Les problèmes, en effet, sont de plusieurs sortes. Depuis le début du XIXe siècle, la Société Missionnaire de Londres (L.M.S.) avait établi un plan d’occupation de la Nouvelle Guinée. Quand les Missionnaires du Sacré-Cœur arrivent dans le pays, la L.M.S. commence déjà à étendre son influence dans la région où ils vont s’installer. La L.M.S. profite des avantages du premier occupant et des privilèges d’une administration compatriote et, la plupart du temps, coreligionnaire, qui tend à la favoriser. Le premier évêque, Mgr Navarre n’acceptera jamais cette « politique des sphères d’influence » ; ce sera En ce Temps-là 2013 d’ailleurs la source de nombreuses difficultés et d’animosités regrettables. Le P. Dubuy ne parle pas beaucoup de sorcellerie et pourtant il a été confronté à plusieurs sorciers. Certainement moins virulents que ceux de la côte, ils sont connus et craints par toute la population. J’étais d’ailleurs bien embêté quand ils venaient me demander le pardon de Dieu ! Le sorcier se vante de son pouvoir et rien ne peut détourner l’opinion populaire de le croire. J’ai constaté moi-même des faits qu’humainement, je ne pouvais expliquer. Pour les Papous, la maladie et la mort, sauf celle des vieillards ou des petits bébés, ne sont pas des faits naturels : tous les malheurs, à moins qu’ils ne soient causés par les mauvais esprits, arrivent par les sorciers. Notre missionnaire comme beaucoup d’autres a pu balancer cette influence néfaste et la réduire considérablement. Au petit hôpital que j’avais pu construire grâce à mes bienfaiteurs, j’autorisais le sorcier à venir près d’un malade à condition qu’il ne lui donne rien à manger ou à boire. Il se contentait de faire des gestes « magiques » en retirant du corps du malade une pierre ou un éclat de verre. La médecine européenne jointe à la magie faisait des merveilles. Il est impossible de comparer l’enseignement du christianisme du temps du P. Dubuy à celui que l’on enseigne aujourd’hui. Les plus anciens habitants de Coublanc se souviennent sans aucun doute de leur catéchisme, où il était souvent question d’enfer, de péché mortel, de punition ; ils se souviennent aussi sans doute des affiches représentant le jugement dernier, le Paradis et l’enfer. Aujourd’hui on parle beaucoup plus de l’amour de Dieu « qui veut que tous les hommes soient sauvés ». Le premier livre de Benoît XVI ne s’intitule-t-il pas : « Dieu est Amour » ! Le P. Dubuy comme tous les missionnaires de son temps, avec l’aide de catéchistes laïcs qu’il avait formés, enseignait le catéchisme avec le système de questions et de réponses. Les plus anciens d’entre nous se souviennent encore des « deux écoles d’apostolat dans les montagnes de Papouasie : celle du P. Dubuy et celle du P. Bachelier. Le premier prônait l’exigence de la formation chrétienne. Les catéchumènes n’étaient admis au baptême qu’après une longue préparation et une sérieuse épreuve. Le P. Dubuy se défiait de tous les comprimés de doctrine. En bon psychologue, il soutenait qu’on peut demander beaucoup à un catéchumène sérieux, tandis qu’on ne peut rien obtenir d’un chrétien médiocre et ignorant. Il était contre toute méthode de facilité, au spirituel comme au matériel. Il visait à la formation d’une chrétienté bien instruite et pratiquante. Le P. Dupeyrat écrit : « Au premier mois de son installation en 1913, le Page 28 P. Dubuy accueillait chez lui une dizaine de pensionnaires qui formèrent son premier noyau chrétien. En 1916, les constructions faites, il ouvrait une école organisée, qui compta bientôt une cinquantaine d’enfants. Mais jusqu’ici, les résultats n’ont pas été aussi rapides ni si constants qu’à Kuni. La race qui peuple cette haute altitude est beaucoup plus farouche et bien moins portée vers la religion que celle de la basse montagne. Le village chrétien fondé en 1918 pour prolonger, dans la famille, les bienfaits de l’école, a échoué. De plus, les jeunes gens qui ont fini leurs années scolaires se montrent peu disposés à se consacrer au service de l’apostolat, malgré l’impulsion que, sur les instances de Mgr de Boismenu, le P. Dubuy a donnée à son école pour qu’elle fournisse des catéchistes au district. Un bon nombre d’entre eux restent cependant jusqu’à un âge assez avancé auprès du missionnaire qui, tout en perfectionnant leur vie chrétienne, en fait de bons ouvriers, spécialement des charpentiers et des menuisiers. Dès le début, en effet, le P. Dubuy a mis l’accent sur le travail manuel, non seulement pour se former une aide indigène dans cette lointaine haute montagne, si complètement isolée, mais aussi pour secouer, par l’habitude du travail uni à la prière, l’apathie des gens d’Ononghé envers les choses de la religion, alors que ces pauvres gens restent encore si vibrants aux appels d’un paganisme grossier et d’une sombre sauvagerie. 3 » Son voisin, le P. Bachelier, curé de la station de Fané, à deux jours de marche d’Onongé posa lui aussi les fondements d’une chrétienté difficile. Il commença par une école qui comptait une vingtaine de garçons et autant de filles, peut-être dans le souci plus prononcé qu’ailleurs d’y former des catéchistes ‘professionnels’. À la suite des révélations de la Vierge à Marie-Thérèse Noblet, la fondatrice des Ancelles de Notre-Seigneur, qui aurait dit à cette religieuse que les gens de Fané étaient prêts à devenir chrétiens, les prêtres de Fané, entre 1925 à 1930, après vingt années d’efforts apparemment stériles, ont donné des centaines de baptêmes. Mais assez vite, ils ont réalisé le besoin de cadres fermes pour soutenir et développer la vie chrétienne partout répandue mais encore chétive en raison de la rapidité de son expansion. Il semble que l’évêque soutenait davantage le P. Bachelier, beau parleur, que le P. Dubuy qui préférait les mettre à l’ouvrage. Nous disions entre nous que les gens de Fané étaient des artistes tandis que ceux d’Ononghé étaient des travailleurs. Le P. Dubuy se moquait des statistiques demandées par Rome ! Il voulait avant de donner le baptême que les catéchumènes soient sérieusement 3. André Dupeyrat, msc – Papouasie – Histoire de la Mission (1885 – 1935) p. 421. préparés au contraire du P. Bachelier qui se fiait davantage à la grâce de Dieu. Le P. Dubuy avait raison ; il suivait déjà les directives des évêques d’aujourd’hui qui demandent par exemple qu’un adulte suive d’abord trois ans de catéchuménat avant de recevoir le baptême et que les parents d’un bébé suivent cinq instructions avant que leur enfant devienne chrétien. En conclusion de ce que je viens de dire, j’aimerais citer intégralement la lettre que le P. Dubuy écrivait à son supérieur en France, le P. Théophile Cadoux, un mois jour pour jour avant sa mort. Cette lettre peut-être considérée comme le testament spirituel de ce grand missionnaire. ECTL : – La mode étant à la sauvegarde écologique des sociétés traditionnelles, que répondre, par exemple, à l’accusation d’"ethnocide culturel" avancée par certains contre les missionnaires ? Ph. S : – Les missionnaires de Papouasie ne peuvent accepter de telles accusations. Certes les mœurs étaient sauvages à leur arrivée, et les missionnaires ont réussi à les adoucir. Par ailleurs, les guerres, les enlèvements et les camps de concentration d’hier et d’aujourd’hui n’ont pas l’excuse du primitivisme. Il faut mettre un terme à l’hypocrisie des prétendus civilisés. Les missionnaires, à la différence des colons ou des capitaines d’industrie, ont sauvegardé en partie la culture papoue : l’ethnologie a toujours fait partie intégrante de l’activité pastorale des missionnaires. Pour insérer la foi dans le tissu de la vie indigène, ne faut-il pas avant tout le connaître ? Trois ans avant l’arrivée du P. Dubuy, Mgr de Boismenu écrivait : « Cette année une belle activité a été déployée pour étudier les coutumes des indigènes et maîtriser leur langue... Que les enquêtes visent surtout ce qui, dans les coutumes indigènes, aurait figure de superstition. 4 » La tâche des missionnairesethnologues n’est pas toujours facile. Le Papou est naturellement méfiant, surtout lorsqu’il sait que celui qui l’observe juge ses coutumes, dans le but de discriminer celles qui lui sont funestes de celles qui constituent une originalité à conserver. Je me souviens avoir demandé, lors d’une réunion de catéchistes où l’on se sentait vraiment soudés : « Quand vous êtes seuls sur un sentier canaque, à quoi pensez-vous ? » Ce fut un grand silence et finalement Andrew osa dire : « Père, nous pensons à nos cochons. » Quand on connaît l’importance du cochon dans tous les événements importants de la vie d’un Papou, on ne sourit pas ! Il importe aujourd’hui de distinguer avec soin les transformations de la technique, qui sont rapides et 4. Lettre pastorale de 1910. En ce Temps-là 2013 Page 29 peuvent changer en une seule génération (l’usage d’allumettes au lieu du tison que l’on transportait partout avec soi, la lampe tempête au lieu d’un flambeau de bambous secs, la médecine européenne au lieu de feuilles et de racines) et les changements de mentalité qui, eux, sont extrêmement lents. ECTL : – Qu’est-ce qui avait changé dans la mission quand vous êtes arrivé en Papouasie en 1971, ou durant votre séjour ? Ph. S : – Il y a d’abord ce qu’on voit : comme les habits, les ustensiles de cuisine, les radios dont les piles ne sont pas, hélas, de longue durée, etc. L’évolution matérielle a été trop rapide. Le Papou est passé en quelques décennies de la hache de pierre à l’ordinateur, sans passer par la roue, la vapeur, l’électricité. Les Pères ont construit avec eux des routes, des turbines hydroélectriques, de petits terrains d’aviation. Aujourd’hui à Ononghé, on ne peut plus utiliser la route à cause des avalanches, des ponts emportés et de la végétation qui a repris sa place ; la Direction de l’Aviation civile (DCA) a fermé le petit aérodrome trop dangereux et mal entretenu ; la nuit, il faut revenir à la lampe Coleman (D = dotée d’un manchon, ce type de lampe est alimenté à l’essence sous pression et produit une lumière blanche très vive) ou à la lampe tempête parce que la turbine ou le générateur ne marchent plus. Cela va prendre encore quelques années avant que les montagnards réalisent que les routes s’entretiennent, que les pistes d’atterrissage doivent être sans trous et sans cochons, que les générateurs ont besoin d’huile et de révisions. Si le P. Dubuy revenait maintenant, il referait des routes pour qu’un tracteur puisse aller dans les jardins ou au cœur de la forêt. Plusieurs pourraient le conduire et ainsi ils comprendraient bien vite que c’est moins fatigant de mettre un arbre ou un filet plein de nourriture dans la remorque plutôt que de crouler sous le poids. Un autre changement visible serait le nombre des enfants. Avec la multiplication des dispensaires et des petits hôpitaux dans les stations principales, avec les vaccinations, les patrouilles des infirmiers ou infirmières, il y a beaucoup moins de mortalité infantile, la longévité progresse et les longues maladies comme la tuberculose diminuent. Mentionnons également l’éducation. Même si elle régresse dans les villages de brousse parce que les instituteurs veulent rester dans les villes (un peu comme les médecins en France) , on dénombre bon nombres d’adultes sachant lire et écrire, capables de faire des lectures et de donner des intentions au cours de la liturgie. On commence à apercevoir quelques tôles ondulées, surtout sur la côte, pour couvrir les maisons. De moins en moins les missionnaires s’occupent de En ce Temps-là 2013 petits magasins pour fournir à la population quelques produits de première nécessité comme du sel, du pétrole, des clous, etc. Notons aussi un changement dans les mentalités. La vie familiale conserve dans l’ensemble son aspect traditionnel même si parfois la bigamie persiste dans les montagnes. La condition de la femme tend de plus en plus à s’améliorer. Les jeunes répugnent à l’antique sujétion. Les filles à marier veulent désormais choisir librement leur fiancé. J’ai vu des petites de CM1 qui savaient déjà qui serait leur mari ! Il y a maintenant des élections avec un semblant de démocratie dans les montagnes. Le choc des cultures est trop brutal. Les Papous, surtout des montagnes, ne sont pas préparés, ou mal, à passer brusquement de la brousse à la ville, de la tribu au quartier ; de l’esprit de clan à l’individualisme, de la nature à la technique et surtout d’un spiritualisme à un matérialisme grossier qui dépouille le Papou de ses valeurs traditionnelles. Sur le plan religieux, un syncrétisme s’établit souvent dans la religion des Papous, quand ils ont adopté le christianisme – ce qui est le cas pour plus de 90% d’entre eux, toutes confessions confondues. En vertu du principe de sagesse populaire que deux sûretés valent mieux qu’une, ils joueront souvent sur les deux tableaux, la foi et la superstition 5. Par exemple, au moment de planter des ignames, on va voler un peu d’eau bénite à l’église et on fera les prières soi-disant magiques pour la croissance de ce gros tubercule. Sur tous les plans, une transformation est en cours, même si son importance varie considérablement d’une région à une autre, d’un milieu social à un autre. N’a-t-il pas fallu six siècles, et en plus les invasions barbares, pour convertir la Gaule au fin fond des campagnes ? Il en sera de même pour la Papouasie Nouvelle Guinée. Laissons le temps faire son œuvre. Bossuet ne disait-il pas « qu’il faut laisser le passé dans l’oubli et ccl’avenir à la ProviVierge papoue, les seins nus, ccdence ». Vêtue d’un simple pagne. Novembre 2012 5. Cent ans chez les Papous ; cf. supra. Page 30 René Berthier, prêtre Paray-le-Monial, 28 mai 1927 – Autun, 20 mars 2012 Beaucoup de Coublandis et d’habitants des villages voisins ont connu ce prêtre issu d’une souche de chez nous et plusieurs étaient à ses funérailles à Loché. En ce Temps-là évoque rarement les disparitions récentes, mais parmi les enfants de notre village, René Berthier a eu tant de rayonnement qu’il est devenu une figure de proue de l’Église de France du XXe siècle et qu’il mérite que l’on retrace sa carrière. Nous reparlerons plus tard de l’homme privé. C’est au séminaire d’Autun, où il était entré pour faire plaisir aux siens, à son père Rémy Berthier, tailleur, et surtout à sa mère Maria Joly, commerçante en tissus, Coublandis installés à Paray, qu’à 17 ans, dans un moment de prière solitaire, il éprouve l’appel pressant de Dieu et rencontre le Christ Jésus pour ne plus le quitter. Dès le séminaire, il fait preuve d’originalité et d’esprit critique, dans les épreuves orales publiques qui font partie des études. Ses capacités lui font terminer ces études à Rome ; son sens du monde réel le pousse à descendre travailler quelques mois à la mine du côté du Creusot. Il se déplace en moto, ce qui est mal vu, surtout qu’il lui arrive d’emmener derrière lui telle ou telle jeune fille au besoin ! Dès après son ordination en 1951, il est nommé par l’évêque vicaire d’Autun, et en même temps aumônier du lycée public d’Autun, qui était mixte. Il crée de durables amitiés avec ses élèves. Vers 1960, l’Église l’appelle à Paris, dans ses instances nationales ; il devient Directeur Adjoint de l’Enseignement religieux en France. Son supérieur, Michel Saudreau, sera en 1974 le premier évêque du Havre. René publie – coup d’essai, coup de maître – un catéchisme par fiche (Vivre, c’est le Christ), qui se vend si bien que le voilà riche ! Cette richesse (non héritée et relative !) est un atout qui lui permet l’indépendance, mais un inconvénient qui le distingue et l’écarte un peu de ses confrères... Avec Yves Beccaria, de Bayard-Presse, il crée le fameux Pomme d’Api. Il est la cheville ouvrière de deux grands projets de vulgarisation chrétienne de l’époque, Aujourd’hui la Bible, dont la publication par fascicule s’étendra sur plusieurs années à partir de 1969 puis L’Encyclopédie du christianisme, à partir de 1975. Il est nommé ensuite secrétaire général de l’Office Catholique Français du Cinéma, avec mission d’assurer une présence d’Église dans les médias, en étoffant les deux offices existant : cinéma et radio-télévision. Ce qu’il fit en créant plusieurs autres offices (le Livre, la Presse, la Publicité...) et en associant les Centres diocésains de l’Information. L’OCFC deviendra sous sa houlette la FOCS (Fédération des Organismes de Communication Sociale). Il ne se contente pas de coter les films, ni de fréquenter le festival de Cannes, mais il lit Mac Luhan et comprend avant beaucoup d’autres dans l’Église l’importance croissante des médias. Grand animateur, il s’associe plusieurs dames, dont des ex-religieuses de Paray qu’il fait monter de leur Saône-et-Loire à Paris. Il n’a jamais été un grand partisan des monastères et de la vie cloîtrée. Et, pour lui, la meilleure façon de bien vivre le célibat, c’est d’être entouré de présences féminines... Il multiplie à cette époque (les années 70 et 80) les amitiés avec les artistes et les personnages des médias, ce qui lui donne l’idée de créer, avec Olivier Clément, Bernard Clavel, Claude Vigée et André Chouraqui, l’Association des Écrivains Croyants d’Expression Française, qui regroupe des juifs, des chrétiens et des musulmans. Cette association délivre depuis 1979 et aujourd’hui encore un prix annuel à la meilleure œuvre valorisant la spiritualité et le dialogue interreligieux. Ses tâches officielles terminées selon les rythmes imposés par l’Église, il reste à Paris et se met à son compte. Comme il est auteur, le plus simple est de devenir éditeur. Il crée plusieurs maisons d’édition, dont Univers-Media, et il anime la tâche de collaborateurs et collaboratrices (dont Jeanne Faure et la très fidèle Marie-Hélène Sigaut) et de dessinateurs, dont François Bourgeon, qui a commencé sa carrière chez René, en dessinant son premier album, Maître Guillaume, bâtisseur de cathédrale (1978), avant de passer chez Glénat pour ses fameux Passagers du vent. L’équipe soudée autour de René Berthier publie l’Évangile, le vie de saint Paul puis la Bible en bandes dessinées. René en serait-il, avec Dieu, le coauteur des scénarii ? Non, comme souvent, autour de lui, c’est un travail d’équipe. On fait ensemble, avec le dessinateur, le découpage des albums. Marie-Hélène Sigaut écrit En ce Temps-là 2013 Page 31 un premier scénario qui est relu et discuté par le groupe. Puis le dessinateur se met au travail. Après quoi René publie, toujours en bandes dessinées, des dizaines de vies de saints. Cela pourrait paraître un travail mécanique et un bon filon financier, mais il y a derrière l’idée que l’enseignement du christianisme réellement vécu par les saints vaudrait mieux pour la catéchèse que l’étude des prophètes Amos et Osée : à ses yeux, l’Ancien Testament est survalorisé depuis Vatican II. Volontiers, il réduirait le nombre des lectures à la messe, et ne garderait que les passages qui ont une importance et une évidence indiscutables. Aussi at-il publié pour le grand public – son obsession – La Bible en dix leçons (1975). Après les vies de saints, l’équipe produit une collection : Chrétiens en... (Champagne, Bourgogne, etc.), sur l’histoire religieuse dans les régions. Sensible à la déchristianisation qui s’accélère, René propose en 1985 Un Plan ORSEC pour l’Église de France, sans convaincre d’assez nombreux évêques, parmi lesquels cependant certains l’écoutent, comme Jean-Charles Thomas (Corse, puis Versailles). Il s’est engagé depuis longtemps et pour de longues années de la plume et de la voix : chroniqueur chrétien du dimanche matin 14 ans sur RTL, puis 13 ans sur Europe 1, il est alors le prêtre le plus écouté de France. Beaucoup de lecteurs d’En ce Temps-là s’en souviennent. Il avait participé à la création en 1968 de la revue Notre Temps. Lorsqu’il voit qu’elle cesse d’être suffisamment chrétienne, il lance Vermeil. Conscient par là du problème du vieillissement, il publie des ouvrages religieux imprimés en gros caractères. Il a comme amis proches le pasteur André Dumas et l’orthodoxe Olivier Clément, mais aussi des juifs, et plus surprenant, beaucoup de francs-maçons, dont il dit à qui veut l’entendre et contre le préjugé catholique que ce sont des gens qui ont une spiritualité non négligeable. Cette réhabilitation de la franc-maçonnerie est un combat qu’il mènera jusqu’au bout. Mais, pour ne pas perdre le contact avec la réalité du terrain, il demande la charge d’une cure pour les ouiquendes, et on lui confie deux villages de Seine-&Marne successivement, Rampillon et Bombon (où Lénine résida avant 1917). En 1987, à soixante ans, ayant vendu Univers-media à Fleurus, il prend une première retraite, mais c’est pour mieux se relancer. Il s’installe à Loché, près de la gare TGV de Mâcon, pour garder le contact avec Paris, et entre les deux fleuves, dit-il, que sont la Sâone (qui symbolise pour lui la pêche à la ligne, son unique loisir sportif) et le vignoble du Mâconnais – il devient alors lui-même producteur de Pouilly-Loché... Il est nommé curé modérateur successivement de deux entités de paroisses nouvelles, autour de Matour, puis autour de Crèches-sur-Saône. Mieux encore, René contribue de ses finances et de En ce Temps-là 2013 son énergie à la création d’une maison d’accueil pour personnes en difficultés psychiques entre Loché et Mâcon : c’est la Chevanière (ouverte en 1994). En 2001, à 74 ans, il prend sa deuxième retraite, quittant la responsabilité de sa paroisse. Il le fait un an avant la limite forcée dans l’Église, afin, dit la légende familiale, de donner l’exemple à l’évêque d’Autun, qui a passé l’âge ; mais en vain... Mais la retraite est un mot malséant à ses oreilles. René cesse peu à peu d’enregistrer des chroniques et de s’occuper d’édition, mais il continue encore d’animer, jusqu’à Dijon, des groupes de réflexion, notamment avec des entrepreneurs chrétiens, et d’organiser et guider des voyages culturels et religieux pour les lecteurs de Vermeil. Il travaille encore à la publication annuelle d’un Agenda et d’un Semainier chrétien. Des ennuis de santé lui font chercher des successeurs : pour le Semainier, Geneviève Le Hir, sa nièce de Coublanc, lui succède durant quatre ans (2006-2009) avant qu’il soit capable de reprendre le collier. Pour l’Agenda, il est, jusqu’à aujourd’hui encore, confié au jeune Régis Déal, professeur de français issu de Coublanc, notre rédacteur de la chronique des vitraux de l’église paroissiale. René Berthier a passé ses dernières années dans une résidence pour personnes âgées à Dijon, espérant encore communiquer Dieu à ses voisins de résidence, animant encore un groupe de réflexion, travaillant inlassablement au Semainier. Car la réflexion, reposant sur des lectures immenses et incessantes de livres religieux de toutes spécialités, est restée jusqu’au bout un de ses deux soucis. L’autre, l’essentiel peut-être, était l’obsession de la communication de la foi. Le langage de bois et le ronronnement de la liturgie, l’inactualité voire l’indécence, à ses yeux, de certaines prières, les écrans que l’Église multiplie ou tolère entre le message évangélique et le monde réel lui étaient insupportables. Il voulait initier, et en partie réaliser, la traduction nécessaire de la foi non pas de façon simpliste, mais d’une manière audible pour les francophones d’aujourd’hui, il voulait prendre conscience, faire prendre conscience de ce qui ne va pas, de ce qui est contre-productif dans l’Église, de ce qui empêche les gens de croire. D’où un de ses derniers titres : Un audit personnel sur l’Église catholique en France (2005). Bref, il avait tout ce qu’il faut d’indépendance et d’excès de personnalité pour ne jamais être appelé à l’épiscopat, et tout ce qu’il faut d’audace pour déplaire aux traditionalistes ; cependant, quelqu’un de lucide comme le cardinal de Lyon Philippe Barbarin avait actuellement avec lui un projet en chantier pour accompagner les parents qui ont demandé le baptême pour leur enfant, et René s’était rapproché du nouvel évêque d’Autun, Mgr Benoît Rivière. Bernard Berthier Page 32 Rémy Berthier de la Roche (5 mai 1916 – 13 juin 1995) Un enfant de Coublanc quitte la terre et « part à la ville » Rémy Berthier est né à Écoche dans le hameau de Juin, le 5 mai 1916. Ses parents Louis Berthier et Stéphanie Élisa Berthier née Laurent vivaient alors chez les parents d’Élisa, à Juin, où son père exerçait le métier de cordonnier en complément de son travail d’agriculteur. Rémy Berthier est le fruit d’une permission de Louis Berthier et des entrailles de celle qui deviendra pour tous « la Mané » : Stéphanie Élisa. Claudien Berthier son frère aîné avait déjà trois ans, il était né juste avant la « Grande Guerre » ; puis vinrent, la guerre finie, Hélène (1920), Denise (1923) et Gabrielle (1928). Rémy fréquenta l’école communale de Coublanc jusqu’à douze ans. Un incident survenu en 1929 entre l’instituteur « communiste » (dont la famille n’a pas gardé le nom, était-il du village ? du département ?) et le Louis Berthier, qui était un fervent défenseur de la foi catholique – Louis aurait défenestré l’instituteur renégat – a valu une interruption précoce de scolarité (il n’y avait qu’une école laïque alors) pour le fils aîné Claudien et pour le cadet Rémy. Si l’aîné Claudien était en âge de travailler à la ferme et dans l’entreprise familiale de maçonnerie, cela valut l’exil pour Rémy. Il quitta les écrevisses du Pontbrenon, ce petit affluent du Sornin né à Écoche, qui passe sous l’Orme et le Foron, les craux et leur guernoyes (grenouilles), la ferme et le bourg, pour se faire instruire. C’est ainsi qu’il alla au pensionnat du petit Séminaire de Paray-le-Monial, puis entra au grand séminaire à Louvain (Belgique). Les revenus de la ferme et de l’entreprise familiale de maçonnerie, quoique modestes, permettront cette formation. Il y restera deux ans et il portera même la soutane lors de ses retours en famille. Il évoquait souvent cette époque de sa vie et la dernière étape de ces voyages, de Charlieu à Coublanc, parfois à pied, en vélo ou en voiture à cheval et cela nous paraissait un exploit alors qu’en automobile nous empruntions la même route pour rendre visite à ses parents et à nos grands-parents lors des réunions de famille. Il fit ensuite son service militaire (classe mai 36) et fut affecté dans un régiment de spahis en Tunisie puis en Algérie ; il ne sera démobilisé à Alger que le 28 août 1940 ; entre temps étaient survenus le Front populaire, le réarmement de l’Allemagne, la mobilisation suivant l’envahissement de la Pologne et la défaite de l’armée française. La mobilisation et les quatre ans de service militaire eurent raison de sa vocation religieuse première… pour notre plus grand bonheur (?). Les obscurités de la guerre Démobilisé, il s’engagea dans les Chantiers de Jeunesse, on pourrait dire « comme en 40 », puis aux Compagnons de France où il était chef de bailliage à Brioude (Haute-Loire) ; il rayonnait et militait pour recruter sur les départements de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme ; en 1942/43 il entra à la Jeunesse de France et d’Outre-Mer qu’il quitta en 1943/44 (il exerça son activité à Clermont-Ferrand et Vichy). S’en suivra une période obscure (clandestine ?) où, disait-on à Coublanc, il se serait engagé dans la Milice Française, ce qui lui vaudra un emprisonnement préventif à partir d’avril 1945 et pendant dix-huit mois à Riom près de ClermontFerrand, pour intelligence avec l’ennemi. Le commissaire du gouvernement 1 malgré une longue enquête ne put apporter les preuves de son appartenance et de son activité au sein de la Milice ; il fut jugé une première fois à Riom ; et après un supplément d’information, il fut acquitté de toutes charges pesant contre lui le 16 septembre 1946 devant la Cour de Justice d’Angers 2 Les migrations dans l’espace national Rémy a épousé Arlette Masson en 1941, une Normande qui vivait à Caen ; le mariage a eu lieu au Puy et ils sortirent de l’église sous une haie d’honneur faite par les « Compagnons de France ». Ils vécurent jusqu’à la fin de la guerre à Brioude puis à 1. Le commissariat du gouvernement était une instance mise en place par le Général de Gaulle en novembre 1944 pour instruire les faits de collaboration afin de mettre un terme à l’épuration sauvage suivant la chute du gouvernement de Vichy. 2. Le dossier 7UA/136 (Archives départementales du Maine-et-Loir d’Angers) sera consultable à partir du 16 septembre 2021 compte tenu du délai de prescription, les membres de la famille pouvant le consulter mais ne pouvant pas communiquer à ce sujet. En ce Temps-là 2013 Page 33 Clermont-Ferrand. Un premier fils Patrick (1942) et un deuxième Jacques (1945) naîtront de cette union ; il aura cinq petits-enfants et il aurait eu trois arrière-petits-enfants s’il avait vécu jusqu’à 96 ans. Au sortir de la guerre, après avoir été employé comme ingénieur au Comité des Moulins et Farines à Paris, il travaillera, jusqu’en 1952, aux NMPP une agence de distribution de la presse ; la famille résidait alors à Bellevue dans la commune de Meudon. Céline, l’écrivain, y vivait aussi, mais curieusement celui-ci n’a jamais fait partie de la proximité ni de la culture littéraire familiale. En 1952 Rémy s’établira avec sa famille à Bordeaux où il sera responsable d’agence des Établissements Gillet, une entreprise de vente de machines à écrire et de machines à calculer. Ce n’est que trente-cinq ans plus tard qu’arriveront les premiers ordinateurs portables. Rémy a toujours gardé des liens proches avec sa famille : il revenait fréquemment au pays voir ses parents. Nous nous souvenons (mon frère et moi) des interminables voyages de week-ends en 2 CV de Bordeaux à Coublanc (plus de dix heures nonstop) avant de les connaître en traction avant puis ID19 (la DS, c’était pour le patron). Sa retraite officielle, vers 1981, mettra fin à sa carrière de VRP (voyageur, représentant, placier) qu’il termina à Tarbes, y ayant rencontré une nouvelle compagne. En 1983 il mettra, d’un commun accord, fin à un mariage de 41 ans. Il consacrera la fin de ses jours à des recherches généalogiques familiales et à sa dernière compagne, Fernande, d’origine uruguayenne. Il mourut à son domicile en 1995, après plusieurs passages en milieu hospitalier à la suite de différents cancers ; une rupture de l’aorte mettra fin brutalement à son existence. Il est enterré à Tarbes auprès de sa deuxième épouse. Sa première femme, notre mère, était décédée cinq ans avant lui. * Personne généreuse, fidèle en amitié et convictions, nous n’avons pas gardé le souvenir d’un père autoritaire, au sens d’arbitraire. Mais c’était un redoutable bretteur ; il adorait discuter, savait se montrer convaincant, sinon convaincu (il le fallait bien pour vendre des machines pas toujours fiables). Il gardait de ses « humanités » de solides connaissances du En ce Temps-là 2013 latin et du grec classique et dans ces littératures, indéniablement sa préférence intellectuelle allait aux sophistes. Plus tard avec ses petits-enfants il développa sans modération le versant autoritaire qu’il tenait de son père, le Louis Berthier. Il aura toute sa vie des amis très fidèles mais peu à Coublanc, en dehors de sa famille. D’autre part il restera profondément engagé, sociable et séducteur, mais sans le côté bon vivant qu’avait son frère Claudien. C’était un homme toujours pressé de convaincre, de conclure. Après son engagement politique au service de la jeunesse, disait-il, pendant la guerre 39-45, avec des fortunes diverses, il se retira des affaires politiques pour se consacrer à une survie laborieuse et sans gloire, mais restera fidèle à ses engagements politiques. Attaché au terroir dans lequel il avait ses racines, il y revenait fréquemment s’y « ressourcer » même après le décès de ses parents. On ne lui connaît aucune distinction, ni francisque, ni mérite du travail, mais il restera toujours fier de son titre de capitaine acquis à la fin des années 50, qui signifiait pour lui, après l’épisode de la guerre auprès du gouvernement de Vichy, une réhabilitation complète de son honneur. Nous gardons tous l’image d’une figure cultivée, élégante… séductrice et intraitable : en voilà un qui n’a jamais cédé sur son conatus, pour reprendre l’expression de Spinoza, conatus voulant dire l’aptitude d’une personne à persévérer dans son être, son existence. Ainsi émergeant à la conscience politique et discutant avec lui de Le Pen et Tixier-Vignancourt, je me souviens qu’il trouvait ces personnages trop à gauche… à son goût ; mais, pour lui, en bon sophiste qu’il était, « les extrêmes finissaient toujours par se toucher ». Patrick Berthier (Blois) Article à suivre. L’article « Rémy Berthier : Un enfant de Coublanc dans la tourmente de la guerre 1939/1945 » ne pourra être publié qu’à partir du 16 septembre 2021... Page 34