Analyse du film
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Analyse du film
! ( " # ) * $ % + , & - . / ' 0 1 2 Mardi 9 juin 1998 Il était une fois au Danemark, dans un petit village du Jutland, deux soeurs, Martine et Philippa, qui entretenaient la mémoire de leur père, pasteur luthérien, grave figure autour qui avait longtemps dominé la communauté. Arrive un jour chez elles la française Babette, qui a fui la répression contre les communards, et qui est recommandée par un chanteur d'opéra, ancien amoureux de Martine. Elle devient la servante des deux soeurs. Quatorze ans plus tard, elle apprend qu'elle a gagné à la loterie. Elle décide alors, pour célébrer le centième anniversaire de la naissance du pasteur, d'offrir à ses bienfaitrices et à toute la communauté "un vrai dîner français". Le festin de Babette a reçu l'oscar du meilleur film étranger en 1988. Il est surtout la très fidèle adaptation d'un conte de Karen Blixen, auteur très prisé par le cinéma, puisque un autre conte du même recueil, L'éternelle histoire, a été adapté par Orson Welles luimême sous le titre Une histoire immortelle, et que son roman largement autobiographique, La ferme africaine, est devenu un grand succès hollywoodien réalisé par Sydney Pollack, avec Robert Redford et Meryl Streep, Out of Africa. Ce succès auprès des cinéastes est dû entre autres à une constante de son oeuvre, pourtant ample et diverse : la jubilation à raconter des histoires. C'est du moins l'un des traits essentiels du film de Gabriel Axel. film. Son titre ne se réfère en effet qu'à sa dernière partie. Avant le festin proprement dit, plusieurs histoires se mêlent, liées les unes aux autres mais possédant chacune leur autonomie propre. La composition du film est semblable à celle d'un repas, avec ses deux entrées parallèles, les amours avortés de Lorenz Löwenhielm pour Martine, puis de Achille Papin pour Philippa, le plat principal avec l'arrivée de Babette, son installation au village, et le rebondissement de son énorme gain à la loterie, et enfin le dessert, avec la scène féérique de ce dîner miraculeux. Il faut également porter au crédit de Gabriel Axel une originalité par rapport à la nouvelle de Blixen, celle de la séquence initiale qui nous met d'ores et déjà en présence de Babette dans ses fonctions de cuisinières, et qui, pour ainsi dire, aiguise notre appétit en attirant notre attention sur elle avant la série de flash-backs qui constitue en fait le récit. Gabriel Axel nous peint, dans cette narration complexe mais avec un style aussi simple et sobre que peut l'être le mode de vie des deux soeurs, les destins croisés des cinq personnages principaux (et plus encore avec les villageois qui participent au dîner). Dernier élément qui accentue la nature de conte de ce film, la voix off narrative (celle de l'excellent Michel Bouquet), qui se tait d'ailleurs définitivement peu après l'arrivée de Babette dans le village, manière de lui laisser à elle seule la place principale, à plus d'un titre, nous allons le voir. Deux mondes. La tension dramatique réside Le plaisir de conter Le résumé ci-dessus ne permet dans les rapports entre les habitants pas de rendre compte de l'habile et du village (théâtre principal de l'accomplexe structure narrative du tion) et les trois personnages venus Mardi prochain Il y aura finalement une dernière séance la semaine prochaine, 16 juin. Grâce à la recette de la semaine du cinéma espagnol, les tarifs sont exceptionnels puisque l’entrée est à 10 F et qu’elle est gratuite pour les membres du COF. Nous passerons L’Ange exterminateur de Buñuel. Film mexicain en couleurs. 1962. A la fin d’un dîner dans la haute société mexicaine, les invités ne parviennent pas à s’en aller. Le groupe passe la nuit sur les tapis du salon et organise sa survie dans un climat de folie de l'extérieur, à savoir successivement Löwenhielm, Papin et Babette. L'opposition est manifeste entre les valeurs de piété, de simplicité, de sévérité qui régissent la communauté et sont défendues par le pasteur puis par ses filles et le monde de la représentation, du luxe, de l'artifice incarné par les trois personnages cités : Löwenhielm, jeune officier décidé à briller dans le grand monde, Papin, chanteur d'opéra et Babette, dont on apprend tardivement que sans en faire réellement partie, elle avait une place de choix dans cette haute société où évoluent les deux autres. La première partie du film dépeint la fascination des deux raffinés étrangers pour les deux soeurs, qui deviennent pour eux l'incarnation d'une pureté perdue, pour eux qui vivent dans le monde de la vanité et du luxe superflu. Après leur inévitable échec pour s'intégrer à cette communauté, avec sa sévère éthique luthérienne qui proscrit tous les plaisirs, ceux de la table comme ceux de l'amour, ils retournent au monde extérieur y retrouver leur place, mais profondément et à jamais marqués par cette expérience. Ainsi le village est-il dans cette première partie objet de fascination et facteur de transformation pour les deux hommes, un havre de pureté dont le réalisateur nous dépeint sobrement la vie quotidienne. L'arrivée de Babette représente une charnière dans le récit, où les points de vue vont s'inverser. Jusqu'alors objets de fascination, c'est au tour des deux soeurs, et à travers elles de tous les villageois, d'être charmées et intriguées par la nouvelle venue. Dès lors le regard se fait plus objectif sur une commuanuté dont le bonheur humble ne paraît plus aussi parfait, et la simplicité des moeurs confiner à celle de l'esprit. L'humour, déjà présent avec les comportement décalés des deux amoureux, des réactions d'inquiétude et de frayeur des villageois devant les mystérieux préparatifs de Babette, leur voeu pieux avant le festin, et la transformation progressive de leur terreur en plaisir puis en euphorie, à l'encontre de tous leurs dogmes. Babette accède à un statut de personnage surnaturel, capable de réussir l'impossible. Elle est la fée de ce conte. qu'on découvre parfois les yeux mouillés de larmes. Sa nature féérique s'affirme enfin pendant la préparation du repas, qui déclenche chez la pauvre Martine un cauchemar délirant où Babette est une sorcière. Penchée sur ses marmites, tandis que la caméra suit avec gourmandise le moindre geste de ses mains, elle réussit le miracle de la réconciliation entre les deux mondes, entre la chair et l'esprit. Une grande artiste C'est le titre du dernier chapitre du conte de Karen Bllixen, qui introduit une dimension essentielle de ce conte aux multiples significations possibles, l'exaltation de l'artiste et de l'art comme principe de plaisir. Le festin de Babette est certes moral, acte de reconnaissance pour ses deux bienfaitrices, mais il est aussi et surtout une oeuvre d'art. Elle le dit ellemême aux deux soeurs : "C'est aussi pour moi que je l'ai fait", pleinement consciente des immenses pouvoirs de La magicienne On a déjà souligné que c'était son art. Elle a réussi, par son génie, Gabriel Axel qui avait placé Babette et pour une soirée, ce miracle de la au centre du récit, là où elle est à reconciliation universelle, dont prend peine présente dans la nouvelle, si ce soudain conscience le général Lön'est par ses gestes, et par leurs résul- wenhielm, alors même que le début tats, toujours bénéfiques pour ses du film contait l'impossibilité de ce deux bienfaitrices. Axel a conservé rapprochement entre des mondes et cette magie qui émane de la cuisi- des êtres trop différents. Remarquons nière française, mais il a effacé son à cet égard que les deux amoureux ne caractère revêche, pour en faire un sont pas exactement sur le même plan personnage lumineux. Il a choisi : Papin est un chanteur, donc lui aussi pour cela la merveilleuse Stéphane un artiste ; Löwenhielm est un jouisAudran, qui démontre son immense seur, un homme de plaisir. Or c'est talent dans un rôle à mille lieues des Papin qui envoie Babette aux deux charnelles bourgeoises provinciales soeurs. Au delà de l'opposition déjà qu'elle avait l'habitude d'incarner soulignée qui sépare les personnages dans les films de son ex-mari Claude du récit en deux groupes, villageois et Chabrol. Sa radieuse beauté, son personnages extérieurs, se fait jour un sourire, et son regard énigmatique nouvel ensemble, transversal aux rendent tangibles pour le spectateur deux autres, celui des personnages arla magie qu'elle exerce dans ce vil- tistes, Papin, Babette et Philippa, la lage qui se soumet à son charme diva manquée, à aui reviennet les dercomme il l'était aux commandements niers mots du film, et qui répète à Bade feu le pasteur. Ce caractère surna- bette les paroles mêmes que lui turel vient aussi du mystère qui l'en- avaient écrites Papin. Gabriel Axel est toure, elle dont on ne sait quasiment l'auteur d'un véritable hymne à l'arrien, sinon, par la lettre d'Achille Pa- tiste, capable par ses dons surnaturels pin, qu'elle "sait faire la cuisine"et de réunir le plaisir physique (Löwenhielm) et l'esprit (les villageois). Le festin de Gabriel Le film chante les pouvoirs de l'art même sur ceux qui ne le connaissent pas, et qui le repoussent par ignorance, de par le principe de plaisir. Il est lui-même à proprement parler imprégné d'art, de littérature, d'abord, par les vertus de l'adaptation, de musique, ensuite, avec les chants religieux, la présence du grand chanteur lyrique Jean-Philippe Lafon dans le rôle d'Achille Papin, et la scène magnifique où il interprète avec Philippa le duo de Don Giovanni et Zerlina, extrait de l'opéra de Mozart. Mais il faut souligner aussi la grande qualité picturale des plans, tant par leur composition que par l'extraordinaire lumière qui baigne tout le film. En le voyant, on pense très souvent à des toiles de grands maîtres, Vermeer pour ce portrait de Babette dans sa cuisine, Friedrich pour cette vision de Papin pensif au bord d'une falaise. On ne peut qu'admirer l'art avec lequel sont filmés les visages, particulièrement ceux des villageois au fur et à mesure que le festin avance. Dès lors la métaphore du film par le festin devient lumineuse ; Gabriel Axel, comme le faisait Karen Bllixen, s'assimile à Babette, à cette grande artiste qui, pour reprendre les paroles du général Löwenhielm, sait "transformer un repas en une espèce d'affaire d'amour qui ne fait plus la distinction entre appétit physique et appétit spirituel". Renaud Pasquier.