L`appe ll dee laa mer - Le Lycée Maritime de Boulogne sur Mer

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L`appe ll dee laa mer - Le Lycée Maritime de Boulogne sur Mer
10 Focus sur la pêche en Nord - Pas-de-Calais
CAHIER SPÉCIAL MARDI 16 JUIN 2015
L’appel de la mer
Autrefois, les pêcheurs l’étaient de père en fils. Mais la crise du secteur dans les années 1990
est passée par là. Reportage au Portel où le lycée maritime forme au métier de pêcheur des gamins
(et quelques filles) de 15 ans. Des gamin(e)s que ce métier dur et beau fait toujours rêver.
«Q
uand j’ai embarqué pour la
première fois en
1977, on m’a
dit : “Dans dixhuit mois, le métier est fini. Qu’estce que tu viens faire là mon garçon ?” Eh bien, j’ai navigué vingt-huit
ans, commencé comme mousse et
terminé capitaine. Moi, je dis qu’il
y a encore de l’avenir. Qu’il faudra
se battre. » Voilà ce que raconte
Pierre-Marie Coppin aux gamins
qui passent chaque année dans
son atelier au lycée maritime, sur
les hauteurs du Portel, face à la
Manche.
L’ancien marin leur apprend le
ramendage, les techniques de
pêche, le matelotage, mais avant
tout ça, « la réalité du métier » .
« Je leur dis : “Attention les gars,
c’est pas du tout un métier facile.” »
Des paroles sages face aux « fantasmes » que ce travail suscite
chez les jeunes de 15 ans qui débarquent au lycée.
En dix ans d’enseignement, ce
professeur aux allures de vieux
loup de mer et à la voix tonnante
a vu le changement : autrefois is-
sus de longues lignées de marinspêcheurs, ses élèves – ils sont
120 inscrits en CAP pêche au
Portel –, en grande majorité, ne
viennent plus aujourd’hui du milieu marin. Certains ne sont
même jamais montés sur un bateau de pêche. « Mais s’ils sont là,
c’est qu’ils ont un peu l’appel de la
Je dis aux élèves :
« Attention les gars,
c’est pas du tout
un métier facile ».
PIERRE-MARIE COPPIN,
PROFESSEUR AU LYCÉE MARITIME
mer », estime Pierre-Marie Coppin.
Parfois, l’appel ne résiste pas aux
premiers stages au large, aux
premières marées, brisé sur les
récifs de la réalité de ce métier
qui, « même si les techniques ont
beaucoup évolué avec le temps, reste
dangereux et difficile ». Et dont
l’avenir économique peut faire
peur. Au point que dans les familles de pêcheurs, on n’a pas
toujours envie d’envoyer ses enfants au large, essuyer les tempêtes.
DES VOCATIONS CONTRARIÉES
La crise des vocations ne date pas
d’aujourd’hui. Éliane Maheut situe son origine dans les années
1990, quand a débuté la crise de
la pêche, « quand on a commencé à
parler gestion des stocks, prix du
carburant... L’attractivité du métier
a commencé à baisser. C’est moins
emballant d’aller sur un secteur en
crise. Les mouvements sociaux, très
durs à l’époque, n’ont pas non plus
montré la pêche sous son meilleur
jour. C’était violent. Les gens ne
pouvaient plus vivre de leur travail ».
La directrice du lycée maritime
du Portel en sait quelque chose :
épouse de marin-pêcheur, elle a
« traversé la crise de manière émotionnelle très forte. En tant que parents, on estimait que le métier
n’avait plus d’avenir. C’est là qu’a
débuté une crise du recrutement
qu’il est difficile d’inverser. Mais au-
jourd’hui, on sent un frémissement,
que ça revient et, depuis les années
2000, un changement avec plus de
jeunes venus de milieux qui
n’étaient pas celui de la mer ».
Parallèlement, les lycées maritimes – une douzaine en France –
ont élargi leur vocation initiale et
formé à d’autres voies que la
pêche. Le Portel a suivi le même
mouvement mais est le dernier
qui compte encore autant de
jeunes inscrits dans sa filière
pêche. Le poids d’une tradition,
d’une culture, particulièrement
forte sur la côte d’Opale. Même si
les jeunes lycéens sont parfois recrutés jusqu’à Marseille, Amiens,
en région parisienne... Sans parler de la formation continue pour
des adultes « qu’on retrouve parce
que leurs parents n’ont pas voulu, à
l’époque, qu’ils deviennent pêcheurs
et qui reviennent passer les diplômes
nécessaires pour pouvoir embarquer ». Des vocations contrariées,
« souvent dans des familles de marins-pêcheurs » que l’appel de la
mer aura patiemment et irrésistiblement pris dans ses filets.
ANNE-SOPHIE HACHE
Sur un bateau, ils se sentent « libres »
Willy, Lucas, Djimmy,
Quentin, quatre garçons
de 15 ans. Ils ont en commun
d’aimer la mer et d’avoir
décidé que plus tard,
ils seraient pêcheurs. Comme
leur père ou leur grand-père.
Ou pas. Mais dans la bouche
de ces adolescents aux mots
comptés, comme gagnés déjà
par le silence du grand large,
un mot revient
avec une merveilleuse
récurrence : « libre ».
Pour eux, ce métier,
c’est d’abord se sentir libre.
A.-S. H.
PHOTOS GUY DROLLET
illy, 15 ans, vit à Étaples. Fils de patron de pêche, il
W
avait 7 ans la première fois qu’il a embarqué avec
son père sur son bateau, le François-Willy. Cette première
fois l’a rendu malade. Mais ça ne l’a pas empêché de tomber amoureux de la mer. Il ne le dit pas comme ça, il parle
peu, mais pour rares que soient ses mots, ils racontent
beaucoup. Ainsi, demandez-lui ce qu’il aime dans la
pêche : « Tout », dit-il avec le léger haussement d’épaules
de celui qui répond à une question qui lui paraît franchement bête. Insistez un peu, il a cette réplique merveilleuse : « Parce qu’on est seul au monde. » Ouvrant,
sans le savoir, les vannes de notre imagination. Au début,
son père ne voulait pas l’envoyer sur la mer. « Pas trop,
comme dit Willy, et puis après, il m’a laissé. » « J’ai toujours voulu faire ça, depuis que je suis tout petit » et sans
doute ce qui a fini par faire chavirer son père, il faudrait lui
demander. Willy veut devenir patron de pêche, comme
son père. Mécanicien en mer est aussi une option.
SV10.
est un enfant de la mer : petit-fils de pêcheur, un
Lsurucas
père patron de pêche, sa mère qui vend leurs poissons
le quai du port de Boulogne-sur-Mer, une enfance à
Wimereux. Il fait partie de ces désormais rares enfants de
famille de pêcheurs qui veulent continuer le métier. Ses
parents étaient d’accord, ils sont même « plutôt
contents », dit pudiquement Lucas. Lucas n’est pas non
plus un bavard mais entre deux silences, il livre quand
même son rêve : reprendre plus tard le bateau de son
père, le Séverine-Magalie. C’est sur ce trémailleur que
l’enfant a découvert les flots, découvert qu’il aimait ce métier, découvert que c’était une évidence. La dureté du travail ? « Ça ne me gêne pas. » « Se sentir libre », « toucher
le poisson, le voir », c’est comme ça qu’il explique l’appel
de la mer. Il va faire un bac pro pêche et commerce.