Les vertus de l`habitat groupé hL`avis du notaire Jacques Delouvroy

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Les vertus de l`habitat groupé hL`avis du notaire Jacques Delouvroy
Opinion
SEMAINE DU 27 MAI AU 2 JUIN 2010 LIBRE IMMO
3
l Opinion
Les vertus de l’habitat groupé
Avant même d’être reconnu par le droit, le concept d’habitat groupé présente pas mal d’avantages.
dans le secteur de la construc­
tion) ouvre une nouvelle voie
pour la résolution des conflits ,
voire la solution, de la crise du
logement.
L’habitat groupé s’écarte
d’une part de la cohabitation
avec partage des charges, pro­
pre à la communauté (vie com­
mune), et d’autre part de la
maîtrise foncière avec réparti­
tion des charges, propre aux
coopérative et copropriété.
Même si c’est à l’image fragile
d’une famille utopiquement
dépouillée de ses contraintes,
sa structuration simplifiée,
souple (déclaration, pacte ou
charte,..) et transparente inter­
pelle les habitants des immeu­
bles collectifs. Parés chacun de
leur propre dignité, propriétai­
res et habitants disposent dés
lors chacun d’un outil pour
humaniser l’édifice par leur
responsabilisation respective
grâce à une meilleure distribu­
tion des rôles et intérêts.
h L’avis du notaire Jacques Delouvroy suite au
LE LOGEMENT EST EN CRISE,
on le sait. Cela est vrai pour le
“logement social” mais aussi
pour le reste du secteur et en
particulier dans les grandes
villes où le malaise affecte sur­
tout le logement en apparte­
ments qui concerne une pro­
portion exponentielle des ha­
bitants du royaume (1/3 de la
population selon les exposés
préalables de la loi ci­après). La
dernière réforme de la loi
(8/7/1924) introduisant la co­
propriété dans le code civil
(art.577bis) date seulement du
30 juin 1994. Rien d’étonnant
dés lors que la crise du loge­
ment
s’accompagne
aujourd’hui d’une crise de
l’habitat. Celle­ci résulte es­
sentiellement de l’urbanisa­
tion croissante du logement en
appartements devenu majori­
tairement locatif (70% à
Bruxelles) et qui s’exprime
donc conflictuellement (co­
propriétaires, occupants et
syndics) dans un abondant
contentieux de copropriété.
La politique quantitative (so­
ciale) du logement doit désor­
mais composer avec une politi­
que qualitative (bien­être) de
l’habitat avec laquelle elle en­
tre d’ailleurs parfois en conflit
(droit au logement, expulsion
des logements insalubres par
exemple). L’ampleur de ces
conflits soulève la question du
lien de causalité entre ces deux
crises. Faut­il imputer le mé­
contentement des habitants au
manque de logement ou l’in­
verse ? A Bruxelles il manque
actuellement 50 000 loge­
ments sociaux mais 30000 ha­
bitations (sans compter les bu­
reaux) sont vides. Alors que le
marché immobilier survit bien
à la crise financière, on peut
s’étonner des raisons qui pous­
sent les propriétaires à négli­
ger la mise en location de ces
logements déjà trop rares.
L’harmonie et la cohésion so­
ciale au sein des nouvelles for­
mes d’établissements humains
(HLM, immeubles à apparte­
ments…) semblent faire défaut
à tel point qu’il est parfois plus
facile d’abandonner ceux­ci à
la spéculation ou, pire encore,
à l’infamante squatérisation.
Les troubles de voisinage et les
perturbations de la vie privée
sont tels que se multiplient
alors, comme par contagion,
les contentieux locatifs et/ou
de copropriété préjudiciables
au développement durable de
l’ensemble du secteur.
L’impact de cette agitation
dans la sphère domestique de
nos grandes villes s’exprime
surtout au niveau économique
(loyers) dans le chef des pro­
priétaires (privés ou publics)
qui souffrent d’un manque à
gagner important. Il serait
néanmoins illusoire de s’en te­
nir à cet aspect du problème.
Les responsables de la politi­
que du logement social l’ont
bien compris dans la mesure
où ils s’emploient depuis quel­
ques années déjà et dans nos
trois régions à promouvoir la
dite cohésion sociale (PCS) aux
sein des immeubles dont ils
ont eux­mêmes la gestion. La
socialisation de cette politique
ne résulte donc plus seule­
ment de l’état de besoin de ses
bénéficiaires (allocataires so­
ciaux) mais concerne parado­
xalement les méthodes de ges­
tion pratiquées en la matière.
La mise en place de conseils
consultatifs de locataires pour
favoriser la participation, voire
assurer la formation des usa­
gers, en est un exemple évi­
dent
parmi
d’autres
(AIS,woonkantoren..).
Le malaise ainsi révélé par
l’exaspération d’une relation
somme toute purement ju­
ridico­économique
est
d’autant plus profond qu’il af­
fecte en réalité la dimension
sociétale de ce qu’il est dès lors
urgent de qualifier d’habitat
pour dépasser la dimension
purement acquisitive du loge­
ment. Dans son remarquable
petit livre “J’habite donc je
suis” Nicolas Bernard précise
très justement que “Pour se
protéger de la menace immé­
diate, l’homme peut se contenter
de se loger, s’abriter. Mais pour
s’épanouir pleinement dans son
lieu de vie,il doit, en outre, pou­
voir habiter son logement… ”. Ce
pouvoir d’habiter suppose pré­
cisément une plus grande fa­
culté d’appropriation du lieu
de vie dans le chef de l’occu­
ALEXIS HAULOT
Copie destinée à [email protected]
vote de la nouvelle loi sur la copropriété.
pant (usager), propriétaire ou
non. D’ordre sociétale quant à
elle, cette exigence s’impose à
tous les titulaires d’un droit
réel sur le bien occupé, qu’il
soit privé ou public (social ou
“moyen”). Ceux­ci partagent
en cette qualité avec ceux­là
leur mission de gouvernance
dont, les premiers, ils se sont
progressivement chargés. La
“responsabilité sociétale” qui
en résulte suppose, outre la
dite satisfaction providentielle
de besoins , le renforcement
(“empowerment”) dans le chef
du bénéficiaire de sa capacité
(droit) d’y pourvoir lui­même
dans un esprit de subsidiarité
(subsidiarisation), ce qui appa­
raît aujourd’hui comme la
“bonne gouvernance”. Epris
tous deux de développement
durable, propriétaires publics
et privés se familiarisent ainsi
mutuellement avec des con­
cepts nouveaux tels que parti­
cipation, diversification, coha­
bitation (ou PACS) tous impré­
gnés d’intégration et de
globalisation. Au risque de tra­
hir sa nouvelle finalité sociale
incontournable, le sacro­saint
droit (individuel et exclusif) de
propriété collatérale (art.544
CC) doit céder le pas au champ
investi par l’habitat pris entre
le voisinage et l’intimité (“pri­
vacy”) et donc davantage li­
néaire.
La convergence des trois cri­
ses contribue à l’émergence
d’un concept déjà perçu
comme un élément commun
de solution avant même d’être
reconnu par le droit. A l’instar
des coopération, co(auto)ges­
tion , colocation et cohabita­
tion (légale ou non), l’habitat
groupé apparaît désormais
comme un mode de renforce­
ment des acteurs du dévelop­
pement dans leur capacité de
maîtriser leur propre environ­
nement immédiat. Après la
gouvernance étatique ou lo­
cale, de quartier ou d’entre­
prise, il s’agit à présent de dé­
couvrir les vertus de la gouver­
nance de l’habitat, en
particulier lorsqu’il est groupé.
A partir des problèmes signa­
lés au sein des logements so­
ciaux, le sens de l’habitat qui se
développe de toutes parts
(“wooncultuur” en région fla­
mande, culture de l’habitat
Cet aménagement structurel
alternatif des établissements
humains s’inscrit dans la ten­
dance déjà ancienne mais tou­
jours révolutionnaire de re­
liance et d’ouverture interper­
sonnelles et devrait pouvoir se
réaliser sans autre initiative
que celle des habitants eux­
mêmes au sein de leur propre
champ d’action. L’urgence de
solutions aux crises sous­
jacentes justifie néanmoins
une initiative parlementaire
pour encourager le recours à
l’habitat groupé par sa labelli­
sation, voire sa stimulation.
Votée in extremis ce 6 mai
2010, la toute récente loi fédé­
rale sur la modernisation du
fonctionnement des copro­
priétés vient d’entrouvrir dis­
crètement cette porte en ali­
gnant l’ancien droit d’habita­
tion sur ceux qui mettent leurs
titulaires en mesure de partici­
per à ce fonctionnement, dont
les “habitants” concernés fe­
ront donc désormais partie. La
dimension plus personnelle
(besoin individuel ou familial)
de ce droit (art.633­634 CC)
renvoie néanmoins aux matiè­
res personnalisables comprises
dans les domaines de compé­
tence attribués aux commu­
nautés et régions à qui il ap­
partient dés lors de prendre le
relais pour veiller à l’humani­
sation des immeubles collec­
tifs de logement (conseil des
habitants par exemple) .
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