Vie Consacrée en Afrique: Opportunités et Défis1
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Vie Consacrée en Afrique: Opportunités et Défis1
Vie Consacrée en Afrique: Opportunités et Défis1 Père Richard Kuuia Baawobr, m.afr. 1. Colonisateurs et Personnes Consacrées: Quelle différence? Parmi les Dagara du Nord Ouest Ghana il y a un dicton populaire qui dit: "Comment peut-on faire la différence entre un homme blanc et un Père?" En effet, tous étaient blancs, les prêtres et les religieux comme aussi les colonisateurs. De prime abord, on ne pouvait pas faire la différence entre les deux. C'est seulement après un certain temps que les gens ont pu distinguer un groupe de l'autre. Au début de la colonisation en Afrique, le pouvoir colonial et l'Eglise ont souvent coopéré, pour le meilleur ou pour le pire2, avec la conséquence qu'au moment de l'indépendance politique en Afrique, certains ont considéré que l'heure était aussi venue pour l'indépendance religieuse. La Vie Consacrée a eu ses racines en Afrique. Elle s'est déplacée vers l'Europe et l'Amérique avant de revenir sur le continent africain. La présence d'hommes et de femmes venus de l'Ouest (Européens et Américains) célibataires et vivant en communauté a stupéfié beaucoup de personnes. C'était le premier contact avec la vie consacrée3. Je me rappelle la curiosité de beaucoup de personnes au moment de l'ordination du premier prêtre Dagari au Nord Ouest Ghana. Les personnes consacrées que les gens avaient vues étaient tous des blancs (Missionnaires d'Afrique, Sœurs Notre Dame d'Afrique, Franciscaines Missionnaires de Marie). Pendant plusieurs années, le séminariste, plus tard Cardinal Peter Porekuu Dery, avait vécu avec les M.Afr. et s'était mis à leur école, et on savait qu'il voulait être prêtre. Les gens s'attendaient à ce que, une fois ordonné prêtre, sa couleur de peau change et devienne blanche. Un grand nombre de curieux sont allés à l'ordination sacerdotale en attente de ce moment magique où il serait transformé d'une personne noire en une personne blanche. Une fois l'ordination terminée, et sans cette transformation, certains se demandaient s'il était vraiment prêtre comme les autres. Avec le temps, d'autres jeunes gens sont entrés au séminaire, et des jeunes filles au couvent. Une fois la formation terminée, suivie de l'ordination ou de la profession perpétuelle, il n'y avait pas de changement radical de peau. Les gens ont donc réalisé que la vie consacrée est plus profonde que la couleur de peau. 1 Le titre italien proposé était “La Vita Consacrata come stato permanente di vita nella Chiesa: fondamenti, processi in atto, problematiche”. 2 Oborji, Francis Anekwe. "Catholic Mission in Africa", in Bevans, Stephen B., (éditeur), A Century of Catholic Mission. Roman Catholic Missiology 1910 to the Present, (Regnum Edinburgh Centenary Series), Cornwall, Regnum Books, 2013, p. 13-15; Aylward Shorter, Léo Volker. Architecte de l'Aggiornamento 1957-1967, M. Afr, Rome 2013, p. 27. 3 Comme membre d'une Société missionnaire de Vie Apostolique, j'utilise le terme dans un sens général pour référer aux prêtres, sœurs et frères des Congrégations ou Sociétés de Vie Apostolique. Pour une personne ordinaire, il est souvent difficile de différencier l'un de l'autre. 1 Dans plusieurs parties de l'Afrique, la Vie Consacrée comme état de vie permanent dans l'Eglise, la Famille de Dieu, a été perçue initialement comme une réalité étrangère. Cela était pour des étrangers qui parlaient la langue locale, les servaient, les aimaient, mais sans être vraiment intégrés, parce qu'ils ne connaissaient pas et ne valorisaient pas toutes les valeurs et connaissances locales. Etre une personne consacrée revenait souvent à mettre de côté sa propre culture pour adopter une nouvelle culture et un nouveau style de vie. La nourriture, le vêtement et la langue faisaient partie de leur nouvelle identité, laquelle était souvent admirée par les gens, mais les distinguait, plutôt qu'elle ne les intégrait à la population. Aujourd'hui, il y a des personnes consacrées partout en Afrique et la Vie Consacrée n'y est plus étrangère. Il reste cependant un certain dilemme. Les choses se détériorent quand les personnes consacrées se considèrent elles-mêmes différentes de la population, et abandonnent ou dédaignent leurs propres pratiques culturelles en pensant que celles du nouveau groupe sont supérieures. Comme dit le dicton: "on peut faire sortir une personne de son village, mais on ne peut pas enlever le village du cœur de la personne". Comment pouvons-nous, comme personnes africaines consacrées en Afrique, faire en sorte que notre identité africaine ne soit pas en contradiction avec notre engagement permanent envers le Christ, mais au contraire devienne le fondement sur lequel on doit construire. Comment pouvons-nous nous approprier et apprécier le caractère sacré de la culture africaine? C'est ce que je me propose d'explorer en examinant les ressources / tremplins de la Vie Consacrée en Afrique et les défis que la Vie Consacrée pose à l'Afrique aujourd'hui. 2. D'une Théologie d'“Adaptation” à une Théologie d' “Unification” en Afrique Depuis Vatican II, Ia réflexion théologique s'est rapidement développée sur le continent Africain. Quelques expressions ont été utilisées pour qualifier cet effort. Il y a eu trois courants principaux4: une théologie d'“adaptation”5, une théologie d'“incarnation”6 et une théologie 'd'“inculturation”7. La Vie Consacrée également est passée par ces courants et doit relever le défi de se sentir à l'aise en Afrique et dans la culture Africaine. Récemment, dans un atelier tenu à Nairobi, Eunice Karanja Kamara, une professeure Kenyan, a retracé l'évolution de la Théologie en Afrique et est arrivée à une quatrième 4 Cf. Eunice Karanja Kamara, “No Longer Truly African, but Not Fully Christian: In Search of a New African Spirituality and Religious Synthesis”, in Agbonkhiangemeghe E. Orobator, (editor), Theological Reimagination. Conversations on Church, Religion, and Society in Africa (Nairobi, Paulines Publications, Africa, 2014), pp. 90-91. 5 C'est le terme qui a d'abord été populaire après Vatican II. 6 SCEAM en 1974 insiste sur la valeur d'avoir été créé à l'image de Dieu avec la conséquence que nous avons tous la même valeur. 7 Parmi les théologiens, nous pouvons mentionner Aylward Shorter (Towards a Theology of Inculturation, London, Geoffrey Chapman, 1988) Charles Nyamiti, Laurenti Magesa, et autres. Malheureusement, l'inculturation a souvent été associée avec les manifestations externes des valeurs dans la liturgie, le vêtement et la musique, etc. 2 catégorie, celle de l'“unification “. Cela éclaire mon affirmation que la culture Africaine offre des ressources et des fondements pour la Vie Consacrée et que nous devons sérieusement les envisager comme un don que nous apportons à l'Eglise universelle. Depuis le défi lancé par le Pape Paul VI à l'Eglise Africaine, quand il a affirmé que l'Eglise en Afrique a le droit d'être Africaine, quelques théologiens et philosophes africains ont essayé d'étudier ce que cela implique. En parlant aux évêques au Symposium des Conférences Episcopales d'Afrique et de Madagascar (SCEAM) le 31 juillet 1969 à Kampala, Ouganda, le Pape Paul VI a dit: “Le langage et la façon de manifester cette unique foi peuvent être multiples … Un certain pluralisme est non seulement légitime, mais désirable. Vous pouvez et vous devez avoir un Christianisme Africain. En effet, vous avez des valeurs humaines et des caractéristiques culturelles spécifiques qui peuvent atteindre la perfection, dans le but de trouver dans et pour le Christianisme une vraie plénitude supérieure, et en arriver à exprimer la richesse de son expression unique à l'Afrique”8 Si, comme Kamara, nous essayons de regarder les choses non de manière dualiste, mais d'unifier les perspectives "Africain" et "Chrétien", la question d'identité peut alors être perçue différemment. Et cela a des implications sur la Vie Consacrée comme état de vie permanent dans l'Eglise. Etre vraiment Africain, c'est être vraiment Chrétien. Cela signifie que la Vie Consacrée n'a pas à s'adapter, à s'incarner ou à "inculturer" les valeurs africaines. Ce n'est pas une question de valeurs chrétiennes qui sont reprises en Afrique, mais des valeurs de la culture qui sont vécues pleinement de telle sorte qu'elles sont en elles-mêmes l'Evangile de Jésus dans la culture Africaine. Kamara, dans une perspective théologique, affirme que "ce qui définit l'Africanité authentique n'est pas tant la couleur de peau, la langue ou la culture en général, mais plutôt son caractère”9. Ce caractère est ce qui donne l'identité à l'Africain et est le fondement de la foi chrétienne, et j'ajouterais: et de la Vie Consacrée. Kamara exprime cela dans les termes suivants: “Dans la société africaine indigène, être vraiment Africain, cela signifie: se laisser guider par la philosophie utu, apprécier la dignité de la personne humaine, la vie communautaire l'éthique de la vie, et la valeur centrale des relations. Si une personne agit contrairement à cela, elle n'est plus considérée comme Africaine. Dans presque toutes les sociétés, une personne qui brise sérieusement ce code d'éthique n'est plus considérée comme un être humain et serait excommuniée.”10. La théologie de Kamara sur l'“unification” a quelque chose à nous offrir. Par unification, elle signifie "une unité de l'identité chrétienne et de l'identité africaine dans un tout qui est 8 Acta Apostolicae Sedis LXI, 1969, pp. 576-578, cité par Chidi Denis Isizoh, The Attitude of the Catholic Church towards African Traditional Religion and Cultue. 100 Excerpts from the Magisterial et d'autres documents importants de l'Eglise, Roma, Tipografica Leberit, 1998, pp. 28-29. 9 Eunice Karanja Kamara, “No Longer Truly African, but Not Fully Christian, p. 86. 10 Eunice Karanja Kamara, “No Longer Truly African, but Not Fully Christian, p. 87. 3 manifesté par la valeur interne de l'amour et qui est exprimé extérieurement dans les actes de partage”11. Deux valeurs principales de l'identité africaine sont le respect de la dignité humaine et l'unité avec la création, qui sont exprimées à travers l'importance donnée aux relations dans la communauté. Ce sont des valeurs essentielles et non négociables de la société Africaine. Elles seront exprimées ou vécues différemment selon les contextes, mais seront toujours présentes. Elles sont reliées aux valeurs chrétiennes fondamentales de l'amour de Dieu, du prochain et de la justice pour tous, spécialement pour ceux dans le besoin. Quand il y a respect de la dignité de chaque personne créée à l'image et ressemblance de Dieu, l'amour et la relation justes deviennent partie intégrante du vécu. Il est vrai qu'il est difficile aujourd'hui de trouver une société africaine indigène pure, à cause des différents facteurs intervenus dans la vie des gens depuis la colonisation, la période qui a suivi et la venue des temps modernes avec l'impact de la technologie Internet et de la globalisation. Certaines pratiques ont changé ou sont en cours de changement dans plusieurs endroits pour tenir compte des contraintes de la vie moderne. Parfois ces changements sont pour le mieux, mais pas toujours. En effet, il est vrai que “cinquante ans après Vatican II, et en tenant compte du défi du Pape Paul VI, il est temps de faire un pas en avant pour souligner les valeurs et l'ethos indigènes”. D'où la proposition suivante: “L'Eglise ne devrait pas se contenter d'adopter seulement les simples manifestations externes de la culture africaine. Mais, et cela est beaucoup plus important, elle devrait purifier, solidifier et élever les valeurs africaines intérieures, afin de fortifier l'Eglise universelle, en vue de la plénitude dans l'unité”12. Cette vision nous rend conscients des ressources offertes, et en même temps du défi de taille que l'Afrique lance à la vie Consacrée. 3. Quelques Ressources pour la Vie Consacrée en Afrique Il y a des éléments de la vie africaine qui offrent déjà un terrain fertile sur lequel peut prospérer la Vie Consacrée comme état permanent. 3.1 L'Omniprésence de Dieu En Afrique, la croyance en Dieu est évidente13 à tel point que, s'il y a un endroit où Dieu est invoqué dans les salutations et dans les bénédictions (et aussi dans les malédictions), c'est bien dans les sociétés africaines. Dans certains endroits, quand on arrive ou quand on part, il n'y a pas de salutations courtes et simples, mais des moments de bénédiction mutuelle, Une rencontre est une célébration de la présence de Dieu parmi nous. Dieu est le Dieu de la vie qui est vécue, célébrée et partagée. Les Croyants de la Religion Traditionnelle, du Christianisme et de l'Islam reconnaissent à leur façon la présence et l'action de Dieu dans leurs vies personnelles, dans leurs familles et dans la société en général. La référence 11 Eunice Karanja Kamara, “No Longer Truly African, but Not Fully Christian, p. 91. Eunice Karanja Kamara, “No Longer Truly African, but Not Fully Christian, p. 91. 13 Cf. John S. Mbiti, Introduction to African Religion, Johannesburg, Heinemann Publishers, 21991, pp. 45-59. 4 12 constante à Dieu le place au centre de l'existence. La Vie Consacrée consiste précisément en cela: mettre Dieu comme fondement de notre vie. Cela doit être approfondi et purifié à travers notre prière personnelle et communautaire, par une étude constante et en priant les Saintes Ecritures. 3.2 La Dignité de la Vie de chaque Personne Il y a une conscience commune que la vie vient de Dieu et que nous la recevons dans le but de la transmette avec respect à la prochaine génération.14. La Vie Consacrée est enracinée dans l'expérience personnelle que chaque personne fait d'être aimée par Jésus de façon unique, et d'être personnellement choisie par Dieu15. Cette relation est source de vie pour la personne, pour le reste de la communauté et pour toute la société en général. Le don et la promotion de la vie sont des valeurs très importantes dans les sociétés africaines. Promouvoir la vie ne se limite pas à la procréation physique, mais inclut aussi la promotion et la protection des valeurs de la Société. Certaines personnes sont choisies comme gardiens de ces valeurs au nom du reste de la société et elles sont connues et respectées comme telles. Ce type de témoignage pourrait se comparer au témoignage des personnes consacrées dans l'Eglise. De ce point de vue, la Vie Consacrée a un fondement sur lequel construire. C'est dans la mesure où une personne aime sa propre vie qu'elle sentira le besoin de la partager avec les autres. La vie, comme nous le reconnaissons tous, est le don de Dieu le plus précieux pour chacun de nous. 3.3 Relations et Vie Communautaire Dans la famille africaine, la vie communautaire est normalement prise pour un acquis. Le fait de vivre et de manger ensemble, de jouer ou de souffrir ensemble, affermit les liens dans la communauté. L'individu est toujours identifié comme membre d'une famille ou d'un clan et non pas seulement reconnu pour lui-même / elle-même ou pour ses réalisations. Ceci est une valeur fondamentalement chrétienne qui fait référence à la source de la vie dans le Dieu Trinitaire. Dieu est une communauté ouverte et source de vie. Chaque personne existe en relation à l'autre, mais elle est aussi distincte, et a un rôle défini dans l'histoire du salut. Le fait que des personnes de différentes cultures écoutent le même appel et choisissent de s'entraider à répondre à cet appel en vivant en communauté est une force. Et c'est le premier témoignage que la Vie Consacrée donne au monde16. La philosophie africaine utu et le sens de solidarité qu'elle signifie offre donc un terrain fertile à la Vie Consacrée et doit 14 Cf. John S. Mbiti, Introduction to African Religion, pp. 112-115. L'Instruction de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et Sociétés de Vie Apostolique en 2002 est adéquatement intitulée Starting Afresh from Christ. A Renewed Commitment to Consecrated Life in the Third Millennium. Benoit XVI a rappelé à l'Eglise en Afrique qu'une Nouvelle Evangélisation est possible seulement à la suite d'une rencontre personnelle avec Jésus et non avec une idée. Cf. Esortazione Apostolica Postsinodale Africae munus, del Santo Padre Benedetto XVI All’episcopato, al clero, alle persone consacrate e ai fedeli laici sulla Chiesa in Africa al servizio della riconciliazione, della giustizia et della pace, Vatican, Editrice Vaticana, 2011, n° 165. 16 Cf. Benedict XVI, Africae munus, n° 108-112. 5 15 être encouragée quand c'est possible. La Solidarité est une forme d'amour ou d'affection pour les membres de la société qui ressemble à celle des membres d'une même famille. Si la Vie Consacrée est ouverte à tous les peuples, elle doit être enracinée dans cette valeur africaine. En théologie nous définissons le péché comme la violation des relations existant entre les hommes et Dieu, de celles qui relie les hommes entre eux, et aussi profondément dans le cœur de la personne. Un manque de respect pour la vie ou pour les bonnes relations interpersonnelles déshumanise, et implique une coupure d'avec la communauté qui est pourtant l'instrument choisi par Dieu pour partager sa vie avec nous. C'est pourquoi, dans de telles circonstances, la personne n'est plus vraiment considérée comme un être humain. Plus le mal est grand, plus le péché est sérieux! La réconciliation dans et par Jésus rétablit la relation avec les autres et avec soi-même. 3.4 Justice pour le Faible de la Société La vie et le dévouement des mères africaines pour leurs enfants, et leur esprit d'amour dans le service montrent qu'on doit prendre soin du faible et du vulnérable dans la société. Comme dans la Bible (Dt 10,17), la société africaine , dans son aspect positif, protège le pauvre, l'étranger, l'orphelin, etc. Il est interdit de profiter de l'étranger ou d'un pauvre, ou encore de refuser au voyageur un endroit pour dormir ou de quoi boire et manger. Cette attention aux faibles est au centre de la Vie Consacrée et correspond au désir de suivre et d'imiter Jésus qui y a invité ses disciples. Cette forme d'attention à l'autre d'une manière désintéressée est une valeur évangélique que nous approfondissons dans une vie enracinée dans l'Evangile. 4. Défis de la Vie Consacrée en Afrique La Vie Consacrée en Afrique fait face à des défis. Quelques uns sont particuliers au continent, alors que d'autres découlent de la Vie Consacrée elle-même comme état de vie permanent dans la Famille de Dieu, où que ce soit dans le monde. 4.1 Discrimination Interne Lorsque les communautés religieuses étaient composées en majorité d'étrangers, nous n'étions pas toujours conscients des divisions et des luttes internes. Par contre, dans la configuration actuelle des communautés, il y a parfois la tentation, dans certains cas, que des membres prennent le parti de personnes de leur pays ou de leur tribu ou clan, sans se demander si c'est en faveur du bien commun ou non. Dans ces cas, ce n'est plus l'obéissance à la Parole de Dieu et la vie comme famille de Jésus qui prime (Mt 12:46-50), mais plutôt l'origine physique de la personne. C'est seulement notre adhérence quotidienne à la Parole de Dieu qui nous permet de vivre ce nouveau lien avec Jésus dans la communauté et dans notre témoignage. 6 4.2 Individualisme et consumérisme La soif de développement personnel peut, et parfois arrive, à mener une personne à agir seule, selon ses ambitions et désirs personnels. On peut facilement se laisser influencer par ce qui est à la mode et tomber dans une attitude de consommateur. L'épanouissement personnel devient plus important que le but commun à atteindre dans notre participation à la mission de Dieu. Dans ce cas, la personne n'est plus consacrée à Dieu, mais à elle-même. Cela affecte la qualité du témoignage et le courage pour parler au nom de Dieu, que ce soit pour montrer le chemin à suivre ou pour dénoncer ce qui n'est pas conforme à l'Evangile. 4.3 Prendre Avantage du Statut Social Dans plusieurs de nos sociétés africaines, les personnes consacrées se situent à un niveau social élevé. Elles ont eu accès à l'éducation, aux voyages et aux soins médicaux, aux frais des différentes familles religieuses ou diocèses. Cela crée parfois, volontairement ou non, un complexe de supériorité chez certains qui se distancient de leur entourage et inversent les rôles; Ils veulent être servis plutôt que servir. Cela peut entrainer une incapacité de mettre en place les moyens aptes à répondre aux besoins des gens, parce qu'ils ne connaissent plus "l'odeur du mouton" et ne peuvent donc plus les accompagner dans leur croissance de foi. Le complexe de supériorité est un grand danger pour la Vie Consacrée, et va contre les valeurs évangéliques de service dans les pas de notre Seigneur et Maitre qui est venu pour servir et non pour être servi et donner sa vie pour nous (Mc 10,44-45). Comment cela témoigne-t-il de notre engagement envers Jésus, pauvre, chaste et obéissant au service de tous? Dans certains cas, il nous faut insister plus clairement sur Jésus le Serviteur que sur Jésus le Chef! Nous devons rechercher des moyens pour partager vraiment la vie des gens et spécialement des pauvres et des marginalisés. 4.4 “Il n'y a pas de situation permanente” “Il n'y a pas de situation permanente”. Ce slogan que nous lisons sur des véhicules au Ghana peut être appliqué aux différents états de vie aujourd'hui. La Société moderne traverse une période de "crise" en ce qui concerne l'engagement à long terme. Les engagements qui étaient considérés pour la vie ne sont plus nécessairement permanents. On en change quand on croit qu'il y a une meilleure opportunité ailleurs, ou quand on sent qu'on n'est plus valorisé dans son engagement. Dans certains cas, les engagements à court terme portent des fruits et il faut les prendre au sérieux. Cependant, les engagements à court terme peuvent saper certaines institutions comme le mariage qui a définitivement besoin de stabilité pour bien fonctionner. Ils affectent aussi la Vie Consacrée. 4.5 La Culture comme “Bouc émissaire” pour justifier l'échec de vivre selon les Conseils Evangéliques Parfois la culture peut être utilisée comme bouc émissaire ou excuse pour ne pas vivre pleinement l'appel radical de l'Evangile et l'engagement au célibat consacré, à la pauvreté et à l'obéissance. Par exemple, en disant que les Africains aiment la vie, on affirme que le 7 célibat est contre la culture africaine, et que la promiscuité sexuelle est permise. Et pourtant, c'est opposé à la culture parce que, en fait, la culture ne soutient pas cela. C'est la promiscuité sexuelle qui devrait être reconnue comme étrangère et non le célibat consacré. Un sens profond de la valeur évangélique de l'oblation totale de la consécration et du don de soi est nécessaire pour ne pas suivre deux chemins en même temps, ce qui conduit à une double vie. L'exemple de la Bienheureuse Anuarite du RD Congo montre qu'il y a un prix à payer pour la fidélité à un engagement. Quand il est question des obligations familiales, la culture peut être une pierre d'achoppement. Un attachement excessif à la famille et à son soutien matériel peut conduire une personne à perdre une partie de sa liberté dans ses décisions. On peut succomber à la pression familiale et se sentir obligé de répondre aux besoins de la famille et même de la famille élargie. Cela a des implications sur l'appel à vivre la pauvreté évangélique pour la Mission de Dieu. Jésus nous avertit au sujet de ces tendances (Lk 9,57-62). Comme Institution aussi, nous avons le défi de vivre la pauvreté parmi les gens où nous sommes envoyés, tout en investissant pour le futur de nos Instituts. Comment trouver l'équilibre entre le partage avec le pauvre d'aujourd'hui et l'investissement pour nos membres de demain. De la même façon, comment partageons nous avec les pauvres tout en travaillant à nous auto suffire comme Institut? 4.6 Quelques Défis pour nos Institutions Il y a deux types de défis: un défi externe et un défi interne. Au niveau externe, Il semble, quelquefois, que les autorités locales (Evêques et pasteurs) ne connaissent pas et n'apprécient pas toujours le charisme spécifique que les personnes consacrées apportent à l'Eglise locale. Elles sont considérés comme une bonne ressource de personnel dans l'Eglise, peu importe si cela correspond au charisme du Fondateur. Les consacrés répondent à un besoin de personnel de l'Eglise locale qui compte sur eux pour remplir cette fonction. Comment s'assurer, comme dit le Pape François, que "les charismes des différents ordres religieux soient respectés et encouragés parce qu'ils sont nécessaires dans les diocèses”17? Au niveau interne, il y a le défi pour l'Institution d'actualiser le charisme du Fondateur dans le contexte d'aujourd'hui, non pas comme une réalité venue de l'étranger, mais en tant que Chrétiens Africains. Ainsi la consécration n'est pas perçue comme étrangère, mais comme résultant d'une fidélité aux valeurs et à l'ethos de la culture africaine. Dans son adresse aux Supérieurs Généraux Masculins en novembre 2013, le Pape François leur a donné un défi en disant: 17 Pope Francis with Antonio Spadaro, My Door is always Open. A Conversation on Faith, Hope and the Church in a Time of Change. Translated from the Italian by Shaun Whiteside (London, New Delhi, Bloomsbury, 2014) p. 161. 8 “Le charisme n'est pas une bouteille d'eau minérale. Il doit être vécu énergiquement et redéfini culturellement. De cette façon, il y a le danger de commettre des erreurs. C'est dangereux. Certainement, nous ferons toujours des erreurs. Mais ceci ne devrait pas nous arrêter, parce que nous pourrions commettre de plus graves erreurs. … Je ne parle pas d'adaptations folkloriques ou de coutumes… c'est une question de mentalité et de façon de penser”18. Le Cardinal Lavigerie a fondé les Missionnaires d'Afrique (1868) et les Sœurs Missionnaires de Notre Dame d'Afrique (1869) pour la mission ad Gentes en Afrique. Sa devise était "Caritas" et il encourageait ses fils et filles à vivre selon l'enseignement de Saint Paul "Tout à Tous" (1 Cor 9,22). Comment actualisons-nous ce charisme sans tomber dans le piège du fanatisme qui nous ferait croire que nous devons sauver le monde? Conclusion La Vie Consacrée n'est plus un produit étranger importé en Afrique. Elle fait intégralement partie de notre vie et peut vraiment grandir à partir de nos "valeurs et ethos" transmis par nos parents, et ainsi produire des fruits d'amour total et radical de Dieu et de notre prochain, nous conduisant au partage et à la justice. La vie consacrée ne devrait plus se limiter à adapter, incarner ou inculturer des valeurs africaines, mais plutôt à susciter une unité de caractère et une identité comme Chrétien africain. Ces valeurs, et d'autres aussi, sont ce que le Christ veut que nous vivions pour obtenir la vie en plénitude en lui. Dans le but d'atteindre cette vie en plénitude, nous devons aussi être conscients des pierres d'achoppement et, avec Jésus les transformer en tremplins! Le programme de formation initiale et de formation permanente qui sont offerts aux nouveaux membres et aux membres actuels est important. Ce programme doit être contextualisé et en lien le plus étroit possible avec l'Evangile et la culture africaine parce que, comme le dit le Pape François: " les Religieux doivent être des hommes et des femmes capables de réveiller le monde”19. Le défi devant nous est grand, mais pas impossible si nous prenons notre vocation au sérieux et la vivons dans la joie du Seigneur.20 Question pour discussion Selon votre expérience, quels sont les ressources et les défis de la Vie Consacrée en Afrique? 18 Pope Francis with Antonio Spadaro, My Door is always Open, p. 151. Pope Francis with Antonio Spadaro, My Door is always Open, p. 146. 20 Cf. Congregation for Institutes of Consecrated Life and Societies of Apostolic Life. Year of Consecrated Life. November 2014-2015. Une lettre aux personnes consacrées. Un message des enseignements du Pape François. 19 9