Vie Consacrée en Afrique: Opportunités et Défis1

Transcription

Vie Consacrée en Afrique: Opportunités et Défis1
Vie Consacrée en Afrique: Opportunités et Défis1
Père Richard Kuuia Baawobr, m.afr.
1. Colonisateurs et Personnes Consacrées: Quelle différence?
Parmi les Dagara du Nord Ouest Ghana il y a un dicton populaire qui dit: "Comment peut-on
faire la différence entre un homme blanc et un Père?" En effet, tous étaient blancs, les
prêtres et les religieux comme aussi les colonisateurs. De prime abord, on ne pouvait pas
faire la différence entre les deux. C'est seulement après un certain temps que les gens ont
pu distinguer un groupe de l'autre. Au début de la colonisation en Afrique, le pouvoir
colonial et l'Eglise ont souvent coopéré, pour le meilleur ou pour le pire2, avec la
conséquence qu'au moment de l'indépendance politique en Afrique, certains ont considéré
que l'heure était aussi venue pour l'indépendance religieuse.
La Vie Consacrée a eu ses racines en Afrique. Elle s'est déplacée vers l'Europe et l'Amérique
avant de revenir sur le continent africain. La présence d'hommes et de femmes venus de
l'Ouest (Européens et Américains) célibataires et vivant en communauté a stupéfié
beaucoup de personnes. C'était le premier contact avec la vie consacrée3.
Je me rappelle la curiosité de beaucoup de personnes au moment de l'ordination du premier
prêtre Dagari au Nord Ouest Ghana. Les personnes consacrées que les gens avaient vues
étaient tous des blancs (Missionnaires d'Afrique, Sœurs Notre Dame d'Afrique, Franciscaines
Missionnaires de Marie). Pendant plusieurs années, le séminariste, plus tard Cardinal Peter
Porekuu Dery, avait vécu avec les M.Afr. et s'était mis à leur école, et on savait qu'il voulait
être prêtre. Les gens s'attendaient à ce que, une fois ordonné prêtre, sa couleur de peau
change et devienne blanche. Un grand nombre de curieux sont allés à l'ordination
sacerdotale en attente de ce moment magique où il serait transformé d'une personne noire
en une personne blanche. Une fois l'ordination terminée, et sans cette transformation,
certains se demandaient s'il était vraiment prêtre comme les autres. Avec le temps, d'autres
jeunes gens sont entrés au séminaire, et des jeunes filles au couvent. Une fois la formation
terminée, suivie de l'ordination ou de la profession perpétuelle, il n'y avait pas de
changement radical de peau. Les gens ont donc réalisé que la vie consacrée est plus
profonde que la couleur de peau.
1
Le titre italien proposé était “La Vita Consacrata come stato permanente di vita nella Chiesa:
fondamenti, processi in atto, problematiche”.
2
Oborji, Francis Anekwe. "Catholic Mission in Africa", in Bevans, Stephen B., (éditeur), A Century
of Catholic Mission. Roman Catholic Missiology 1910 to the Present, (Regnum Edinburgh
Centenary Series), Cornwall, Regnum Books, 2013, p. 13-15; Aylward Shorter, Léo Volker.
Architecte de l'Aggiornamento 1957-1967, M. Afr, Rome 2013, p. 27.
3
Comme membre d'une Société missionnaire de Vie Apostolique, j'utilise le terme dans un sens
général pour référer aux prêtres, sœurs et frères des Congrégations ou Sociétés de Vie Apostolique.
Pour une personne ordinaire, il est souvent difficile de différencier l'un de l'autre.
1
Dans plusieurs parties de l'Afrique, la Vie Consacrée comme état de vie permanent dans
l'Eglise, la Famille de Dieu, a été perçue initialement comme une réalité étrangère. Cela était
pour des étrangers qui parlaient la langue locale, les servaient, les aimaient, mais sans être
vraiment intégrés, parce qu'ils ne connaissaient pas et ne valorisaient pas toutes les valeurs
et connaissances locales. Etre une personne consacrée revenait souvent à mettre de côté sa
propre culture pour adopter une nouvelle culture et un nouveau style de vie. La nourriture,
le vêtement et la langue faisaient partie de leur nouvelle identité, laquelle était souvent
admirée par les gens, mais les distinguait, plutôt qu'elle ne les intégrait à la population.
Aujourd'hui, il y a des personnes consacrées partout en Afrique et la Vie Consacrée n'y est
plus étrangère. Il reste cependant un certain dilemme. Les choses se détériorent quand les
personnes consacrées se considèrent elles-mêmes différentes de la population, et
abandonnent ou dédaignent leurs propres pratiques culturelles en pensant que celles du
nouveau groupe sont supérieures.
Comme dit le dicton: "on peut faire sortir une personne de son village, mais on ne peut pas
enlever le village du cœur de la personne". Comment pouvons-nous, comme personnes
africaines consacrées en Afrique, faire en sorte que notre identité africaine ne soit pas en
contradiction avec notre engagement permanent envers le Christ, mais au contraire
devienne le fondement sur lequel on doit construire. Comment pouvons-nous nous
approprier et apprécier le caractère sacré de la culture africaine? C'est ce que je me propose
d'explorer en examinant les ressources / tremplins de la Vie Consacrée en Afrique et les défis
que la Vie Consacrée pose à l'Afrique aujourd'hui.
2. D'une Théologie d'“Adaptation” à une Théologie d' “Unification” en
Afrique
Depuis Vatican II, Ia réflexion théologique s'est rapidement développée sur le continent
Africain. Quelques expressions ont été utilisées pour qualifier cet effort. Il y a eu trois
courants principaux4: une théologie d'“adaptation”5, une théologie d'“incarnation”6 et une
théologie 'd'“inculturation”7. La Vie Consacrée également est passée par ces courants et
doit relever le défi de se sentir à l'aise en Afrique et dans la culture Africaine.
Récemment, dans un atelier tenu à Nairobi, Eunice Karanja Kamara, une professeure
Kenyan, a retracé l'évolution de la Théologie en Afrique et est arrivée à une quatrième
4
Cf. Eunice Karanja Kamara, “No Longer Truly African, but Not Fully Christian: In Search of a New
African Spirituality and Religious Synthesis”, in Agbonkhiangemeghe E. Orobator, (editor), Theological
Reimagination. Conversations on Church, Religion, and Society in Africa (Nairobi, Paulines
Publications, Africa, 2014), pp. 90-91.
5
C'est le terme qui a d'abord été populaire après Vatican II.
6
SCEAM en 1974 insiste sur la valeur d'avoir été créé à l'image de Dieu avec la conséquence que
nous avons tous la même valeur.
7
Parmi les théologiens, nous pouvons mentionner Aylward Shorter (Towards a Theology of
Inculturation, London, Geoffrey Chapman, 1988) Charles Nyamiti, Laurenti Magesa, et autres.
Malheureusement, l'inculturation a souvent été associée avec les manifestations externes des
valeurs dans la liturgie, le vêtement et la musique, etc.
2
catégorie, celle de l'“unification “. Cela éclaire mon affirmation que la culture Africaine offre
des ressources et des fondements pour la Vie Consacrée et que nous devons sérieusement
les envisager comme un don que nous apportons à l'Eglise universelle.
Depuis le défi lancé par le Pape Paul VI à l'Eglise Africaine, quand il a affirmé que l'Eglise en
Afrique a le droit d'être Africaine, quelques théologiens et philosophes africains ont essayé
d'étudier ce que cela implique. En parlant aux évêques au Symposium des Conférences
Episcopales d'Afrique et de Madagascar (SCEAM) le 31 juillet 1969 à Kampala, Ouganda, le
Pape Paul VI a dit:
“Le langage et la façon de manifester cette unique foi peuvent être multiples … Un
certain pluralisme est non seulement légitime, mais désirable. Vous pouvez et vous
devez avoir un Christianisme Africain. En effet, vous avez des valeurs humaines et des
caractéristiques culturelles spécifiques qui peuvent atteindre la perfection, dans le but
de trouver dans et pour le Christianisme une vraie plénitude supérieure, et en arriver à
exprimer la richesse de son expression unique à l'Afrique”8
Si, comme Kamara, nous essayons de regarder les choses non de manière dualiste, mais
d'unifier les perspectives "Africain" et "Chrétien", la question d'identité peut alors être
perçue différemment. Et cela a des implications sur la Vie Consacrée comme état de vie
permanent dans l'Eglise. Etre vraiment Africain, c'est être vraiment Chrétien. Cela signifie
que la Vie Consacrée n'a pas à s'adapter, à s'incarner ou à "inculturer" les valeurs africaines.
Ce n'est pas une question de valeurs chrétiennes qui sont reprises en Afrique, mais des
valeurs de la culture qui sont vécues pleinement de telle sorte qu'elles sont en elles-mêmes
l'Evangile de Jésus dans la culture Africaine. Kamara, dans une perspective théologique,
affirme que "ce qui définit l'Africanité authentique n'est pas tant la couleur de peau, la
langue ou la culture en général, mais plutôt son caractère”9. Ce caractère est ce qui donne
l'identité à l'Africain et est le fondement de la foi chrétienne, et j'ajouterais: et de la Vie
Consacrée. Kamara exprime cela dans les termes suivants:
“Dans la société africaine indigène, être vraiment Africain, cela signifie: se laisser guider par
la philosophie utu, apprécier la dignité de la personne humaine, la vie communautaire
l'éthique de la vie, et la valeur centrale des relations. Si une personne agit contrairement à
cela, elle n'est plus considérée comme Africaine. Dans presque toutes les sociétés, une
personne qui brise sérieusement ce code d'éthique n'est plus considérée comme un être
humain et serait excommuniée.”10.
La théologie de Kamara sur l'“unification” a quelque chose à nous offrir. Par unification, elle
signifie "une unité de l'identité chrétienne et de l'identité africaine dans un tout qui est
8
Acta Apostolicae Sedis LXI, 1969, pp. 576-578, cité par Chidi Denis Isizoh, The Attitude of the
Catholic Church towards African Traditional Religion and Cultue. 100 Excerpts from the Magisterial et
d'autres documents importants de l'Eglise, Roma, Tipografica Leberit, 1998, pp. 28-29.
9
Eunice Karanja Kamara, “No Longer Truly African, but Not Fully Christian, p. 86.
10
Eunice Karanja Kamara, “No Longer Truly African, but Not Fully Christian, p. 87.
3
manifesté par la valeur interne de l'amour et qui est exprimé extérieurement dans les actes
de partage”11. Deux valeurs principales de l'identité africaine sont le respect de la dignité
humaine et l'unité avec la création, qui sont exprimées à travers l'importance donnée aux
relations dans la communauté. Ce sont des valeurs essentielles et non négociables de la
société Africaine. Elles seront exprimées ou vécues différemment selon les contextes, mais
seront toujours présentes. Elles sont reliées aux valeurs chrétiennes fondamentales de
l'amour de Dieu, du prochain et de la justice pour tous, spécialement pour ceux dans le
besoin. Quand il y a respect de la dignité de chaque personne créée à l'image et
ressemblance de Dieu, l'amour et la relation justes deviennent partie intégrante du vécu. Il
est vrai qu'il est difficile aujourd'hui de trouver une société africaine indigène pure, à cause
des différents facteurs intervenus dans la vie des gens depuis la colonisation, la période qui a
suivi et la venue des temps modernes avec l'impact de la technologie Internet et de la
globalisation. Certaines pratiques ont changé ou sont en cours de changement dans
plusieurs endroits pour tenir compte des contraintes de la vie moderne. Parfois ces
changements sont pour le mieux, mais pas toujours. En effet, il est vrai que “cinquante ans
après Vatican II, et en tenant compte du défi du Pape Paul VI, il est temps de faire un pas en
avant pour souligner les valeurs et l'ethos indigènes”. D'où la proposition suivante:
“L'Eglise ne devrait pas se contenter d'adopter seulement les simples manifestations
externes de la culture africaine. Mais, et cela est beaucoup plus important, elle
devrait purifier, solidifier et élever les valeurs africaines intérieures, afin de fortifier
l'Eglise universelle, en vue de la plénitude dans l'unité”12.
Cette vision nous rend conscients des ressources offertes, et en même temps du défi de
taille que l'Afrique lance à la vie Consacrée.
3. Quelques Ressources pour la Vie Consacrée en Afrique
Il y a des éléments de la vie africaine qui offrent déjà un terrain fertile sur lequel peut
prospérer la Vie Consacrée comme état permanent.
3.1 L'Omniprésence de Dieu
En Afrique, la croyance en Dieu est évidente13 à tel point que, s'il y a un endroit où Dieu est
invoqué dans les salutations et dans les bénédictions (et aussi dans les malédictions), c'est
bien dans les sociétés africaines. Dans certains endroits, quand on arrive ou quand on part,
il n'y a pas de salutations courtes et simples, mais des moments de bénédiction mutuelle,
Une rencontre est une célébration de la présence de Dieu parmi nous. Dieu est le Dieu de la
vie qui est vécue, célébrée et partagée. Les Croyants de la Religion Traditionnelle, du
Christianisme et de l'Islam reconnaissent à leur façon la présence et l'action de Dieu dans
leurs vies personnelles, dans leurs familles et dans la société en général. La référence
11
Eunice Karanja Kamara, “No Longer Truly African, but Not Fully Christian, p. 91.
Eunice Karanja Kamara, “No Longer Truly African, but Not Fully Christian, p. 91.
13
Cf. John S. Mbiti, Introduction to African Religion, Johannesburg, Heinemann Publishers, 21991, pp.
45-59.
4
12
constante à Dieu le place au centre de l'existence. La Vie Consacrée consiste précisément en
cela: mettre Dieu comme fondement de notre vie. Cela doit être approfondi et purifié à
travers notre prière personnelle et communautaire, par une étude constante et en priant les
Saintes Ecritures.
3.2 La Dignité de la Vie de chaque Personne
Il y a une conscience commune que la vie vient de Dieu et que nous la recevons dans le but
de la transmette avec respect à la prochaine génération.14. La Vie Consacrée est enracinée
dans l'expérience personnelle que chaque personne fait d'être aimée par Jésus de façon
unique, et d'être personnellement choisie par Dieu15. Cette relation est source de vie pour la
personne, pour le reste de la communauté et pour toute la société en général. Le don et la
promotion de la vie sont des valeurs très importantes dans les sociétés africaines.
Promouvoir la vie ne se limite pas à la procréation physique, mais inclut aussi la promotion
et la protection des valeurs de la Société. Certaines personnes sont choisies comme gardiens
de ces valeurs au nom du reste de la société et elles sont connues et respectées comme
telles. Ce type de témoignage pourrait se comparer au témoignage des personnes
consacrées dans l'Eglise. De ce point de vue, la Vie Consacrée a un fondement sur lequel
construire. C'est dans la mesure où une personne aime sa propre vie qu'elle sentira le besoin
de la partager avec les autres. La vie, comme nous le reconnaissons tous, est le don de Dieu
le plus précieux pour chacun de nous.
3.3 Relations et Vie Communautaire
Dans la famille africaine, la vie communautaire est normalement prise pour un acquis. Le fait
de vivre et de manger ensemble, de jouer ou de souffrir ensemble, affermit les liens dans la
communauté. L'individu est toujours identifié comme membre d'une famille ou d'un clan et
non pas seulement reconnu pour lui-même / elle-même ou pour ses réalisations. Ceci est
une valeur fondamentalement chrétienne qui fait référence à la source de la vie dans le Dieu
Trinitaire. Dieu est une communauté ouverte et source de vie. Chaque personne existe en
relation à l'autre, mais elle est aussi distincte, et a un rôle défini dans l'histoire du salut. Le
fait que des personnes de différentes cultures écoutent le même appel et choisissent de
s'entraider à répondre à cet appel en vivant en communauté est une force. Et c'est le
premier témoignage que la Vie Consacrée donne au monde16. La philosophie africaine utu et
le sens de solidarité qu'elle signifie offre donc un terrain fertile à la Vie Consacrée et doit
14
Cf. John S. Mbiti, Introduction to African Religion, pp. 112-115.
L'Instruction de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et Sociétés de Vie Apostolique
en 2002 est adéquatement intitulée Starting Afresh from Christ. A Renewed Commitment to
Consecrated Life in the Third Millennium. Benoit XVI a rappelé à l'Eglise en Afrique qu'une Nouvelle
Evangélisation est possible seulement à la suite d'une rencontre personnelle avec Jésus et non avec
une idée. Cf. Esortazione Apostolica Postsinodale Africae munus, del Santo Padre Benedetto XVI
All’episcopato, al clero, alle persone consacrate e ai fedeli laici sulla Chiesa in Africa al servizio della
riconciliazione, della giustizia et della pace, Vatican, Editrice Vaticana, 2011, n° 165.
16
Cf. Benedict XVI, Africae munus, n° 108-112.
5
15
être encouragée quand c'est possible. La Solidarité est une forme d'amour ou d'affection
pour les membres de la société qui ressemble à celle des membres d'une même famille. Si la
Vie Consacrée est ouverte à tous les peuples, elle doit être enracinée dans cette valeur
africaine.
En théologie nous définissons le péché comme la violation des relations existant entre les
hommes et Dieu, de celles qui relie les hommes entre eux, et aussi profondément dans le
cœur de la personne. Un manque de respect pour la vie ou pour les bonnes relations
interpersonnelles déshumanise, et implique une coupure d'avec la communauté qui est
pourtant l'instrument choisi par Dieu pour partager sa vie avec nous. C'est pourquoi, dans de
telles circonstances, la personne n'est plus vraiment considérée comme un être humain. Plus
le mal est grand, plus le péché est sérieux! La réconciliation dans et par Jésus rétablit la
relation avec les autres et avec soi-même.
3.4 Justice pour le Faible de la Société
La vie et le dévouement des mères africaines pour leurs enfants, et leur esprit d'amour dans
le service montrent qu'on doit prendre soin du faible et du vulnérable dans la société.
Comme dans la Bible (Dt 10,17), la société africaine , dans son aspect positif, protège le
pauvre, l'étranger, l'orphelin, etc. Il est interdit de profiter de l'étranger ou d'un pauvre, ou
encore de refuser au voyageur un endroit pour dormir ou de quoi boire et manger. Cette
attention aux faibles est au centre de la Vie Consacrée et correspond au désir de suivre et
d'imiter Jésus qui y a invité ses disciples. Cette forme d'attention à l'autre d'une manière
désintéressée est une valeur évangélique que nous approfondissons dans une vie enracinée
dans l'Evangile.
4. Défis de la Vie Consacrée en Afrique
La Vie Consacrée en Afrique fait face à des défis. Quelques uns sont particuliers au
continent, alors que d'autres découlent de la Vie Consacrée elle-même comme état de vie
permanent dans la Famille de Dieu, où que ce soit dans le monde.
4.1 Discrimination Interne
Lorsque les communautés religieuses étaient composées en majorité d'étrangers, nous
n'étions pas toujours conscients des divisions et des luttes internes. Par contre, dans la
configuration actuelle des communautés, il y a parfois la tentation, dans certains cas, que
des membres prennent le parti de personnes de leur pays ou de leur tribu ou clan, sans se
demander si c'est en faveur du bien commun ou non. Dans ces cas, ce n'est plus l'obéissance
à la Parole de Dieu et la vie comme famille de Jésus qui prime (Mt 12:46-50), mais plutôt
l'origine physique de la personne. C'est seulement notre adhérence quotidienne à la Parole
de Dieu qui nous permet de vivre ce nouveau lien avec Jésus dans la communauté et dans
notre témoignage.
6
4.2 Individualisme et consumérisme
La soif de développement personnel peut, et parfois arrive, à mener une personne à agir
seule, selon ses ambitions et désirs personnels. On peut facilement se laisser influencer par
ce qui est à la mode et tomber dans une attitude de consommateur. L'épanouissement
personnel devient plus important que le but commun à atteindre dans notre participation à
la mission de Dieu. Dans ce cas, la personne n'est plus consacrée à Dieu, mais à elle-même.
Cela affecte la qualité du témoignage et le courage pour parler au nom de Dieu, que ce soit
pour montrer le chemin à suivre ou pour dénoncer ce qui n'est pas conforme à l'Evangile.
4.3 Prendre Avantage du Statut Social
Dans plusieurs de nos sociétés africaines, les personnes consacrées se situent à un niveau
social élevé. Elles ont eu accès à l'éducation, aux voyages et aux soins médicaux, aux frais
des différentes familles religieuses ou diocèses. Cela crée parfois, volontairement ou non, un
complexe de supériorité chez certains qui se distancient de leur entourage et inversent les
rôles; Ils veulent être servis plutôt que servir. Cela peut entrainer une incapacité de mettre
en place les moyens aptes à répondre aux besoins des gens, parce qu'ils ne connaissent
plus "l'odeur du mouton" et ne peuvent donc plus les accompagner dans leur croissance de
foi.
Le complexe de supériorité est un grand danger pour la Vie Consacrée, et va contre les
valeurs évangéliques de service dans les pas de notre Seigneur et Maitre qui est venu pour
servir et non pour être servi et donner sa vie pour nous (Mc 10,44-45). Comment cela
témoigne-t-il de notre engagement envers Jésus, pauvre, chaste et obéissant au service de
tous? Dans certains cas, il nous faut insister plus clairement sur Jésus le Serviteur que sur
Jésus le Chef! Nous devons rechercher des moyens pour partager vraiment la vie des gens et
spécialement des pauvres et des marginalisés.
4.4 “Il n'y a pas de situation permanente”
“Il n'y a pas de situation permanente”. Ce slogan que nous lisons sur des véhicules au Ghana
peut être appliqué aux différents états de vie aujourd'hui. La Société moderne traverse une
période de "crise" en ce qui concerne l'engagement à long terme. Les engagements qui
étaient considérés pour la vie ne sont plus nécessairement permanents. On en change
quand on croit qu'il y a une meilleure opportunité ailleurs, ou quand on sent qu'on n'est plus
valorisé dans son engagement. Dans certains cas, les engagements à court terme portent
des fruits et il faut les prendre au sérieux. Cependant, les engagements à court terme
peuvent saper certaines institutions comme le mariage qui a définitivement besoin de
stabilité pour bien fonctionner. Ils affectent aussi la Vie Consacrée.
4.5 La Culture comme “Bouc émissaire” pour justifier l'échec de vivre
selon les Conseils Evangéliques
Parfois la culture peut être utilisée comme bouc émissaire ou excuse pour ne pas vivre
pleinement l'appel radical de l'Evangile et l'engagement au célibat consacré, à la pauvreté et
à l'obéissance. Par exemple, en disant que les Africains aiment la vie, on affirme que le
7
célibat est contre la culture africaine, et que la promiscuité sexuelle est permise. Et
pourtant, c'est opposé à la culture parce que, en fait, la culture ne soutient pas cela. C'est la
promiscuité sexuelle qui devrait être reconnue comme étrangère et non le célibat consacré.
Un sens profond de la valeur évangélique de l'oblation totale de la consécration et du don de
soi est nécessaire pour ne pas suivre deux chemins en même temps, ce qui conduit à une
double vie. L'exemple de la Bienheureuse Anuarite du RD Congo montre qu'il y a un prix à
payer pour la fidélité à un engagement.
Quand il est question des obligations familiales, la culture peut être une pierre
d'achoppement. Un attachement excessif à la famille et à son soutien matériel peut
conduire une personne à perdre une partie de sa liberté dans ses décisions. On peut
succomber à la pression familiale et se sentir obligé de répondre aux besoins de la famille et
même de la famille élargie. Cela a des implications sur l'appel à vivre la pauvreté évangélique
pour la Mission de Dieu. Jésus nous avertit au sujet de ces tendances (Lk 9,57-62).
Comme Institution aussi, nous avons le défi de vivre la pauvreté parmi les gens où nous
sommes envoyés, tout en investissant pour le futur de nos Instituts. Comment trouver
l'équilibre entre le partage avec le pauvre d'aujourd'hui et l'investissement pour nos
membres de demain. De la même façon, comment partageons nous avec les pauvres tout en
travaillant à nous auto suffire comme Institut?
4.6 Quelques Défis pour nos Institutions
Il y a deux types de défis: un défi externe et un défi interne.
Au niveau externe, Il semble, quelquefois, que les autorités locales (Evêques et pasteurs) ne
connaissent pas et n'apprécient pas toujours le charisme spécifique que les personnes
consacrées apportent à l'Eglise locale. Elles sont considérés comme une bonne ressource de
personnel dans l'Eglise, peu importe si cela correspond au charisme du Fondateur. Les
consacrés répondent à un besoin de personnel de l'Eglise locale qui compte sur eux pour
remplir cette fonction. Comment s'assurer, comme dit le Pape François, que "les charismes
des différents ordres religieux soient respectés et encouragés parce qu'ils sont nécessaires
dans les diocèses”17?
Au niveau interne, il y a le défi pour l'Institution d'actualiser le charisme du Fondateur dans
le contexte d'aujourd'hui, non pas comme une réalité venue de l'étranger, mais en tant que
Chrétiens Africains. Ainsi la consécration n'est pas perçue comme étrangère, mais comme
résultant d'une fidélité aux valeurs et à l'ethos de la culture africaine. Dans son adresse aux
Supérieurs Généraux Masculins en novembre 2013, le Pape François leur a donné un défi en
disant:
17
Pope Francis with Antonio Spadaro, My Door is always Open. A Conversation on Faith, Hope and
the Church in a Time of Change. Translated from the Italian by Shaun Whiteside (London, New Delhi,
Bloomsbury, 2014) p. 161.
8
“Le charisme n'est pas une bouteille d'eau minérale. Il doit être vécu énergiquement
et redéfini culturellement. De cette façon, il y a le danger de commettre des erreurs.
C'est dangereux. Certainement, nous ferons toujours des erreurs. Mais ceci ne
devrait pas nous arrêter, parce que nous pourrions commettre de plus graves
erreurs. … Je ne parle pas d'adaptations folkloriques ou de coutumes… c'est une
question de mentalité et de façon de penser”18.
Le Cardinal Lavigerie a fondé les Missionnaires d'Afrique (1868) et les Sœurs Missionnaires
de Notre Dame d'Afrique (1869) pour la mission ad Gentes en Afrique. Sa devise était
"Caritas" et il encourageait ses fils et filles à vivre selon l'enseignement de Saint Paul "Tout à
Tous" (1 Cor 9,22). Comment actualisons-nous ce charisme sans tomber dans le piège du
fanatisme qui nous ferait croire que nous devons sauver le monde?
Conclusion
La Vie Consacrée n'est plus un produit étranger importé en Afrique. Elle fait intégralement
partie de notre vie et peut vraiment grandir à partir de nos "valeurs et ethos" transmis par
nos parents, et ainsi produire des fruits d'amour total et radical de Dieu et de notre
prochain, nous conduisant au partage et à la justice. La vie consacrée ne devrait plus se
limiter à adapter, incarner ou inculturer des valeurs africaines, mais plutôt à susciter une
unité de caractère et une identité comme Chrétien africain. Ces valeurs, et d'autres aussi,
sont ce que le Christ veut que nous vivions pour obtenir la vie en plénitude en lui. Dans le
but d'atteindre cette vie en plénitude, nous devons aussi être conscients des pierres
d'achoppement et, avec Jésus les transformer en tremplins! Le programme de formation
initiale et de formation permanente qui sont offerts aux nouveaux membres et aux
membres actuels est important. Ce programme doit être contextualisé et en lien le plus
étroit possible avec l'Evangile et la culture africaine parce que, comme le dit le Pape
François: " les Religieux doivent être des hommes et des femmes capables de réveiller le
monde”19.
Le défi devant nous est grand, mais pas impossible si nous prenons notre vocation au sérieux
et la vivons dans la joie du Seigneur.20
Question pour discussion
Selon votre expérience, quels sont les ressources et les défis de la Vie Consacrée en Afrique?
18
Pope Francis with Antonio Spadaro, My Door is always Open, p. 151.
Pope Francis with Antonio Spadaro, My Door is always Open, p. 146.
20
Cf. Congregation for Institutes of Consecrated Life and Societies of Apostolic Life. Year of
Consecrated Life. November 2014-2015. Une lettre aux personnes consacrées. Un message des
enseignements du Pape François.
19
9