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Algérie-Japon Une page de l'histoire qui reste à écrire
Tokyo / Par Le Dr Mohamed Meziane
«A des siècles ou à des millénaires d'intervalle, la flamme repasse là où elle a brillé
jadis.»
Fernand Braudel
Au Japon, beaucoup d'intellectuels se sont saisis de la question colonialiste, en particulier lors
de la guerre d'Algérie. Parmi eux, ceux qui se réclament toujours des valeurs de Novembre et
qui n'en sont pas à leur coup d'essai. Ils affichent encore un anticolonialisme total en ce sens
qu'ils ont rejeté le système colonialiste dans ses fondements. Tel est le sens de cette
contribution qui constitue l'ossature du récit que je voudrais réserver à une partie de
l'intelligentsia nipponne, pour tenter de pénétrer son rôle de soutien à l'Algérie combattante.
Si le Japon demeure bien un partenaire économique important de l'Algérie, le soutien moral de
certains de ses fils durant la guerre de libération est par contre peu connu.
C'est plus exactement à l'occasion de la célébration du 54e anniversaire du déclenchement de
la Révolution du 1er novembre 1954 et de la prochaine célébration de l'anniversaire de
l'empereur Akihito et de la fête nationale du Japon le 23 décembre que je ressens le besoin
d'évoquer cette histoire commune, qui unit dans l'amitié le Japon et l'Algérie.
C'est suivant l'occurrence d'un tel souhait que l'ambassadeur Shin Watanabe racontait que ce
devoir d'écrire cette page a été un vœu exprimé, avant son décès, par Nokuma Utsunomiya, qui
a été à la fois le président de l'Association Japon - Algérie et l'Ami sincère de notre pays. En
hommage à son action, l'ancien ambassadeur d'Algérie à Tokyo, M. Abdelmalek Benhabyles,
avait écrit une longue évocation, intitulée «La mort d'un des derniers compagnons de voyage»,
parue en septembre 2000, sur les colonnes du journal algérien «La Nouvelle République».
Abderrahmane Kiouane a cité, de son côté, dans son livre «Les débuts d'une diplomatie de
guerre» (1956-1962), quelques exemples de l'engagement politique de Nokuma Utsunomiya.
Dans ce registre, il y a lieu de noter aussi les deux articles, intitulés «Les 50 ans de l'Algérie» et
«La guerre d'Algérie a un demi-siècle», publiés par le japonais Tanigushi Susumu,
respectivement dans «Yomiuri choken quaterly» et la revue trimestrielle «The Arab». Cette
histoire commune est un sujet partiellement connu, certes, mais constamment renouvelé. Si
ses facettes sont multiples, beaucoup d'éléments restent encore méconnus. Si j'ai évoqué
longuement, dans un article consacré à Susumi Tanigushi, des faits historiques assez lointains
ayant trait à l'apport de l'intelligentsia nipponne à la lutte du peuple algérien pour
l'indépendance, c'est parce qu'ils sont à la base des principaux liens relatifs au sentiment assez
général des Japonais vis-à-vis de l'Algérie, que j'aimerais qualifier de «respectueux». En
analysant la littérature historique, on peut dire que l'histoire du Japon et de l'Algérie a été avare
de cet épisode glorieux, qui est révélateur de l'engagement de ces hommes de justice, dont
l'enseignement peut éclairer le sens de l'histoire. Ce qui est important dans cette optique, c'est
que les historiens et autres experts aient à leur disposition les témoignages d'acteurs japonais
et algériens, encore vivants, plus ou moins connaisseurs du travail de la représentation du FLN
à Tokyo, de la lutte de libération nationale au plan diplomatique ; ces professionnels pourront
alors, en s'appuyant sur les documents et, si c'est possible, les archives auxquels l'accès est
aisé, au fur et à mesure reconstituer une histoire du FLN à Tokyo qui donne à l'intelligentsia
japonaise toute la place qu'elle mérite.
Au moins dix Japonais sont particulièrement connus pour leur apport moral considérable à la
représentation du FLN au Japon. Il s'agit de Nokuma Utsunomiya (député LDP, fondateur de la
société Minofaguen), de Tokutaro Kitamura (député LDP, ancien ministre des Finances et
président de la banque commerciale Shinwadont), de MM. Michihiko Suzuki, de Yukitatsu Kato
et Susumo Taniguchi, qui formaient le réseau du FLN à Tokyo, représenté notamment de
Choaib Taleb, Moustapha Neggadi, Abdelmalek Benhabiles, Abderrahmane Kiouane
Le député socialiste Kanjyu Kato, ancien ministre du Travail, et membre de l'Association
japonaise de l'Afrique du Nord, plus connue sous le nom plus populaire de «l'Association
japonaise du Maghreb» (AJM), née spécialement pour soutenir l'Algérie combattante,
Tokusaburo Dan, journaliste-écrivain, organisateur inlassable du mouvement en faveur des
mouvements de libération nationale, qui était à l'époque secrétaire général du comité japonais
de la solidarité afro-asiatique, Nagano Kunisuke, président de l'AJM et avocat très connu, ont
participé tous à maintes actions de sensibilisation en faveur du FLN.
On pourrait également citer Asaya Foujita, l'auteur de la pièce de théâtre «L'ombre du soleil» et
d'une autre pièce intitulée «La Question», qui a été puisée du livre portant le même titre d'Henri
Alleg, de Yoshiyuki Fukuda, un autre dramaturge, auteur d'une pièce de théâtre sur la lutte de
libération algérienne intitulée «Nous allons plus loin», dont la manifestation de leurs souvenirs
témoigne de leur engagement sans faille en faveur des causes justes et à l'infaillibilité des
règles de conduite, auxquelles nous sommes sensibles. Un éminent penseur disait autrefois :
«Nous entrons dans l'avenir à reculons». Ce qui est important dans l'esprit de cette citation,
c'est le sens de l'engagement de ces hommes, un sens riche de justice, de solidarité et d'amitiés.
Sans céder à l'apparat ou aux grandiloquences qui, pourtant, ne dépareilleraient pas la
solennité de l'événement, force est de constater que ces hommes, et bien d'autres, ont eu à
réagir, et nombre d'entre eux ont apporté leur appui effectif, en dépit de l'ampleur des
problèmes intérieurs qui les absorbaient.
S'il fallait penser les relations entre le Japon et l'Algérie, alors pourquoi ne pas commencer par
revisiter cette histoire, faite par ces hommes de bonne volonté. Il s'agit de permettre l'amorce
d'un véritable travail historique, en y faisant se conjoindre remarques d'experts et témoignages
des acteurs, créant ainsi une symbiose entre «historiens et historiographes». Cette démarche
est à analyser en plusieurs termes. En ce qui concerne l'évolution du mouvement national, elle
indique quelle a été la place occupée par le FLN à Tokyo dans la lutte diplomatique : l'historien
rassemble les documents, voire les archives et les témoignages, présente les faits, souligne les
enjeux de l'époque. En ce qui concerne la dimension historiographique, elle indique, par le biais
des témoignages des acteurs, japonais et algériens, encore vivants, la manière dont a été
conçue l'action militante et vécue cette période, en pariant sur l'investissement des acteurs
dans la connaissance de la lutte diplomatique que mena le FLN et les orientations dominantes
à l'époque au Japon, pourvu que cet investissement soit défini et précisé. Plusieurs
témoignages soulignent que la délégation du FLN à Tokyo était écoutée avec beaucoup d'intérêt
et les assurances de sympathie pour la cause algérienne étaient la règle dominante.
Aujourd'hui encore, trop souvent, l'évocation de la guerre d'indépendance algérienne et les
retrouvailles avec les amis de l'Algérie prennent plus d'intensité émotionnelle, quand il s'agit de
citer le travail de ceux qui, directement ou de loin, avaient aidé à la réussite de la mission de la
délégation du FLN à Tokyo.
Et c'est précisément pour leur rendre hommage que je désire ardemment que cette page
glorieuse de l'histoire de nos amis japonais soit connue, et qu'elle sert de prérequis pour l'avenir.
Plus fondamentalement, la prise de conscience de cette histoire commune, de sa dimension, de
l'importance qu'elle va revêtir dans notre devenir, devraient coïncider avec le devoir
pédagogique de l'histoire, qui ne peut que donner aux esprits éclairés quelques-unes des clefs
indispensables pour aborder une nouvelle ère, celle où voulaient nous conduire les compagnons
de Nokuma Utsunomiya.