Artículo final francia

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Artículo final francia
Published in MORICEAU, Jean-Marc (dir.), Vivre avec le loup? Trois mille ans de conflict.
Actes du Symposium (9-12 octobre 2013), Paris, Éditions Tallandier, 2014, pp. 270-277, ISBN :
979-10-210-0524-2-
L´image du loup dans l´Espagne du XVIII siècle. Une Analyse à travers les livres d´Histoire
Naturelle1.
Francisco Javier Macias Cárdenas
Universidad de Cádiz
Resumen: Tout au long du XVII siècle, Canis lupus avait acquis une image néfaste dans les
royaumes espagnols, image néfaste que des auteurs comme Ferrer de Valdecebro ou Cortés
n’allaient faire qu’accroître, en s’appuyant sur des auteurs de l’Antiquité comme Pline ou Saint
Ambroise et en racontant des histoires ayant eu lieu dans les différents royaumes de la Péninsule et
mettant en scène un loup se comportant comme il savait si bien le faire: dévorant et agissant avec
mauvaise foi.
La nature emblématique
Depuis l’Antiquité Classique, l’image de la nature était marquée par le symbolisme. Il
faudrait attendre la deuxième moitié du XVIIe siècle pour que cette vision symbolique de la nature
commence à laisser place à une image plus descriptive, entendons «positiviste» de celle-ci, qui
culminerait avec le triomphe de la biologie aux XVIIIe et XIXe siècles. Ce qui intéressait la cosmovision zoologique symbolique, qui connut sa splendeur maximale entre 1560 et 1650, ce n’était pas
connaître l’anatomie d’un animal à la perfection mais bien appréhender les diverses perceptions et
valeurs qui étaient véhiculées à chaque animal (perceptions humaines susceptibles d’évoluer au fil
du temps), ses représentations au cours de l’histoire, soit par le biais des fables, soit de la
mythologie - antique ou hiéroglyphique (cette dernière allait être en vogue dans l’Europe de la
Renaissance suite à la parution de l’oeuvre d’Horapole, Hieroglyphica). Dans cette vision
1
Traduction réalisée par Céline Mees.
1
emblématique de la nature, il était fait référence aux animaux au moyen d’un langage complexe,
chargé de symboles, de métaphores, d’emblèmes, etc., et quelques-uns des moyens pour les
connaître étaient les différentes significations de leurs noms, leur association avec les plantes et les
étoiles ainsi que les relations qu’ils entretenaient avec les autres animaux. Bien sûr, la religion
jouait un rôle très important à l’heure de comprendre l’explication selon laquelle l’homme, maître
de la création, avait le droit de disposer de la nature et d’utiliser tous les animaux pour son bénéfice
personnel 2.
A côté des nombreuses traductions et commentaires des auteurs de l’Antiquité, tels que
Pline, Eliano ou Plutarque qui furent florissants tout au long de la Renaissance, au même titre que
les commentaires de Historia animalium de Aristote, l’on rencontre une série d’auteurs qui
illustrent parfaitement cette vision naturelle dont nous venons de parler. Déjà Ashworth, dans son
article intitulé Natural History and the Emblematic World, allait faire de Conrad Gesner
(1516-1565), auteur d’une magnifique Historia animalium en quatre volumes et d’un cinquième
dédié aux serpents, un des meilleurs représentants de la littérature emblématique naturelle.
Foucault, quant-à-lui, suggérerait que cette recherche de similitudes était le principal guide de la
pensée de la Renaissance et que Gesner pouvait être dans le juste. Ulisses Aldrovandi (1522-1605),
médecin de Bologne qui élabora une oeuvre excellente sur l’ensemble des animaux, encore plus
développée que celle de Gesner et qui incluait beaucoup de nouvelles espèces découvertes au
Nouveau Monde, est un autre représentant européen notable de la nature symbolique. Enfin, un
auteur allait marquer un changement de tendance; il s’agit de Jon Jonston (1603-1675), injustement
déprécié par les chercheurs ‑ ceux-ci le considérant comme un simple imitateur de Gesner et de
Aldrovandi ‑, son oeuvre ayant éliminé tout élément symbolique, se concentrant dès lors sur les
descriptions des animaux.
Les livres espagnols d’Histoire Naturelle du XVIIe siècle.
Au même titre que le reste de l’Occident européen, l’Histoire Naturelle espagnole était non
seulement marquée par la vision symbolique, mais aussi par l’influence des auteurs classiques et
médiévaux. Néanmoins, une série de paramètres la différencient. Le premier, d’une certaine
manière fondamental, est la découverte du Nouveau Monde et tout ce que cela suppose au niveau
2
Pour plus d’informations, il convient de consulter l’oeuvre de Keith Thomas, plus particulièrement son livre intitulé
Man and the Natural World. Changing attitudes in England 1500-1800 (1983).
2
scientifique. Ainsi, déjà très tôt, les auteurs espagnols de la discipline ci-dessus mentionnée (qui
constitue un des versants les plus importants de l’activité scientifique espagnole du XVIe siècle 3 )
allaient s’efforcer d’incorporer ces nouvelles découvertes, concernant les animaux comme les
plantes, les groupes humains, etc., à la science européenne. L’énorme quantité d’oeuvres dédiées
aux nombreuses découvertes d’Amérique fit que les traités consacrés aux animaux déjà connus du
Vieux Monde n’étaient pas très abondants et pour cause: ces mêmes animaux avaient déjà été
décrits à de nombreuses occasions et rien de neuf ne pouvait réellement être fait, hormis l’imitation
des auteurs antiques. Un autre paramètre tout aussi significatif est la méconnaissance partielle que
les auteurs de traités espagnols avaient des oeuvres écrites par les grandes figures de l’Histoire
Naturelle symbolique des XVIe et XVII siècles (les déjà mentionnés Conrad Gesner et Ulises
Aldrovandi). Ces auteurs de traités allaient principalement appuyer leurs théories sur les classiques,
la présence d’écrivains contemporains à eux étant quasi nulle.
Parmi les divers traités dédiés à l’Histoire Naturelle, et en particulier aux animaux, nous
avons décidé de choisir quelques-uns des plus représentatifs pour analyser la figure de Canis lupus.
Nous commencerons par parler de Jerónimo Gómez de la Huerta (1573-1643). Ce médecin
carmélite est l’auteur de la première traduction en espagnol de la Historia natural de Pline le
Vieux, qui commencerait à être publié en 1599. Son travail magnifique lui rapporterait les faveurs
royales et, en 1624, il serait sacré Médecin du Roi et familier de l´Inquisition par Philippe IV.
Cependant, nous sommes surtout intéressés par ses commentaires sur les animaux qui, en plus de
s’insérer dans une vision symbolique de la nature, nous donne des indices que de la Huerta connut
les oeuvres de Gesner de Aldrovandi et que, par conséquent, il était d’une certaine manière plus en
contact avec l’Histoire Naturelle qui s’élaborait en Europe. Les traités espagnols fondamentaux du
XVIIe siècle forment le noyau de notre corpus de sources. Parmi ces traités, l’on trouve le Libro y
tratado de los animales terrestres y volátiles, de Jerónimo Cortés (-/1615), publié en 1658, et El
gobierno general, moral y político, hallado en las fieras y animales silvestres, publié en 1658, et
une des oeuvres d’Andrés Ferrer de Valdecebro (1620-1680), dominicain et calificador del Santo
Oficio, disposant d’une ample formation théologique et nommé professeur de théologie morale au
Collège Santo Tomás (Madrid) en 1675. Ferrer de Valdecebro est l’auteur d’une des oeuvres les
plus représentatives de la vision emblématique espagnole des animaux. Pour finir, mentionnons le
traitement du loup dans un des écrits les plus importants pour la langue espagnole, le Tesoro de la
3
LÓPEZ PIÑERO, José María, Ciencia y técnica en la sociedad española de los siglos XVI y XVII, Barcelona, Labor
Universitaria, 1979, p. 279.
3
lengua castellana o española de Sebastián de Covarrubias, publié pour la première fois en 1611. A
première vue, il est surprenant qu’un dictionnaire de langue puisse avoir une utilité pour notre étude
mais, selon Arturo Morgado, «su obra puede ser considerada un buen exponente de la cosmovisión
que un hombre culto y letrado, dotado de una educación libresca en la cual el componente clásico
seguía teniendo una importancia fundamental, y en la que la referencia a la autoridad era todavía
inexcusable, podía tener en la España de inicios del siglo XVII. Y, más particularmente, del mundo
animal, que será objeto de este trabajo, siendo partícipe, básicamente de una visión simbólica
plenamente operativa»4.
L’image du loup dans les traités espagnols d’Histoire Naturelle
L’image culturelle du loup, qui commença à être conçue à partir de l’Antiquité Classique,
allait finalement se cristalliser à partir des XIe et XIIe siècles. Le Moyen-Age allait hériter de la
vision symbolique et moraliste du monde classique. Selon les bestiaires médiévaux, le loup est un
animal terrible qui menace les hommes, les dévore et que tout le monde doit craindre. Cependant,
la peur du loup n’est pas propre au Haut Moyen-Age (XIIe et XIIIe siècles)5, elle se retrouve aussi
aux siècles suivants et serait liée aux moments de crise et non à ceux de prospérité et d’essor
démographique. Le destin du loup était donc scellé ‑ glouton, carnassier et terrifiant ‑; il serait
inséré dans le bestiaire maléfique et cette image déplorable durerait tout au long des Temps
Modernes, époque à laquelle l’homme entrerait vraiment en guerre contre cet animal6 , conduisant
presque à son extinction dans des pays comme la France. Le siècle des Lumières et les avancées
faites dans le domaine de l’Histoire Naturelle allaient conduire au progressif abandon de la vision
symbolique en faveur d’une vision que l’on appelle «positiviste» mais n’apporteraient pas
d’amélioration concernant l’image de Canis lupus, comme le démontre Buffon, grand représentant
de l’Histoire Naturelle au XVIIIe siècle, qui termine sa dissertation sur le loup (remplie de clichés
négatifs provenant des siècles antérieurs) de la manière suivante: «Enfin, désagréable en tout, la
mine basse, l´aspect sauvage, la voix effrayante, l´odeur insupportable, la nature perverse, les
moeurs féroces, il est odieux, nuisible de son vivant, inutile après sa mort.»
4
MORGADO GARCIA, Arturo, «La visión del mundo animal en la España del siglo XVII: El Bestiario de
Covarrubias» en Cuaderno de Historia moderna 2011, p. 77.
5
PASTOREAU, Michel, El oso. Historia de un rey destronado, Barcelona, Ediciones Paidós, 2007, p. 188.
6
MORIECEAU, Jean-Marc, L´homme contre le loup. Une guerre de deux mille ans, Paris, Éditions Fayard, 2011.
4
Cette image négative du loup est celle que nous retrouvons dans les traités consacrés aux
animaux de l’Espagne du Siècle d’Or. L’idée d’un loup glouton apparaît continuellement chez les
quatre auteurs que nous prétendons analyser. En effet, l’entrée consacrée au loup dans le Tesoro de
la lengua castellana o española, qui commence par ces mots «animales conocidos, y perniciosos»,
se centre sur les proverbes en lien avec cet animal et tous ont avoir avec son appétit vorace et ses
attaques constantes du bétail, «oveja de muchos, lobos se la comen, esperar del lobo carne o
encomendar las ovejas al lobo». Il s’agit de quelques-uns des dictons associés à Canis lupus dans
l’Espagne des Temps Modernes et nous pouvons vérifier que tous tournent autour de la même idée.
Cette image d’animal vorace remonte à l’Antiquité et au Moyen-Age, où le loup des exempla était
connu précisément pour son énorme appétit (entre autres caractéristiques). Tant les bestiaires
comme les encyclopédies médiévales se chargeraient de répandre cette image déplorable. A titre
d’exemple, lisons les mots de Bartholomeus Anglicus selon qui, le loup «Es tan arrebatado y cruel
que desea sangre continuamente, el cual por su rabia y crueldad mata cuando encuentra algo y
está rabioso. Y no basta con matar una [oveja] para comer, sino que mata todas las del ganado».
Jerónimo Cortés suit cette tradition et nous parle d’un «animal atrevido, tragón y voraz, no come
otra cosa que carne y a vuelta, y media, que dicen, se la engulle, tragándose los pedazos enteros».
De plus, Cortés profite de l’insatiable appétit du loup pour parler du péché de gourmandise,
dissertation qui commence avec ces mots: «Por no haber notado, ni hallado en el lobo virtud o
condición alguna buena de que alabarle, sino vicio y muy grande que vituperarle, como es ser
voraz y tragón, me ha parecido decir algo de la gula y que cosa fea, con autoridad de hombres
doctos, graves y santos». Valdecebro fait aussi référence à sa voracité en disant que «tan glotón y
voraz lo juzgaron algunos, que escrivieron que comía (faltándole el robo), tierra» ou que «son tan
carniceros y voraces, que se comen los huesos y la lana de los carneros y ovejas, de donde nace
estar siempre ahítos y flacos». Dans son commentaire sur le loup que nous trouvons dans la
traduction de Pline, Jerónimo Gómez de la Huerta, quant-à-lui, nous décrit Canis lupus comme un
animal vorace qu’il qualifie de «grande comedor», qui «nunca se ve harto», allant parfois jusqu’à
être malade. Cette gloutonnerie dont le loup faisait montre dans ces traités ne faisait qu’accentuer sa
mauvaise image, dans la mesure où, ne l’oublions pas, la gourmandise était, et est toujours, un des
sept péchés capitaux de l’Eglise catholique. Avec cette image d’animal vorace et glouton, l’on
retrouve celle de cannibalisme, caractéristique on ne peut plus négative qui était aussi attribuée à
Canis lupus. A un tel point que Valdecebro raconte dans son traité une curieuse habitude de ces
animaux: «cuando llegan los rigores del invierno y los lobos no tienen que comer y como son
voraces y famélicos [...] usan esta estratagema para alimentarse. Juntasen hasta veinte o más en
5
forma de círculo redondo, anda dando vueltas y siguiendo el círculo, a breve rato lo desbaratan y
corren, el que sale desvanecida la cabeza, cae, a este se abalanzan y le comen, repitiendo el círculo
hasta contentar el hambre» .
Cette rage dont parlait déjà Bartholomeus Anglicus au XIIIe siècle est une autre des
caractéristiques principales attribuées au loup par les auteurs espagnols que nous étudions. Ferrer de
Valdecebro définirait les caractéristiques du loup à travers des explications au sens moralisant,
imitant ainsi les exempla médiévaux. De cette manière, cet écrivain insère Canis lupus dans les
définitions d’ennemi, de femme et de voleur, définitions qu’il utiliserait pour expliquer les
propriétés du loup. En effet, l’élection de l’ennemi, de la femme et du voleur n’est pas innocente
puisque les trois sujets ont des connotations hautement négatives et, à part celui de la femme, ils
correspondent assez bien à l’image néfaste que l’homme moderne avait du loup. Dans la définition
du terme ennemi, le dominicain décrit le loup comme un animal vorace et surtout enragé, qui mange
le bétail et qui est l’ennemi du genre humain . La description du Libro y tratado de los animales
terrestres y volátiles n’est pas étrangère à la rage dont Canis lupus fait montre et les histoires que le
livre raconte sur lui illustrent ce constat. Gómez de la Huerta qualifie aussi le loup d’animal enragé,
selon ses dires, «son siempre feroces y aunque hayan criado alguno en casa desde pequeño, si está
comiendo, no tiene respeto ni amor a nadie, tanto que aún se enojan de que los miren» .
A côté de la description plus symbolique de Canis lupus, les oeuvres étudiées et en
particulier le commentaire de Pline le Vieux de Gómez de la Huerta tentent aussi de réaliser une
description plus positiviste et plus dans la lignée de ce que serait l’Histoire Naturelle européenne de
la deuxième moitié du XVIIe siècle. Les deux caractéristiques physiques du loup qui attirent le plus
l’attention (et qui apparaissent dans toutes les oeuvres où l’on parle de Canis lupus) sont ses
hurlements et l’éclat de ses yeux dans la nuit. Bien sûr, ces deux caractéristiques ne sont pas
exemptes de symbolisme, d’ailleurs, dès le Moyen-Age, elles commenceraient à être considérées
comme des attributs du malin. De cette manière, pour Cortés, «tiene [el lobo] un aullar espantoso y
temeroso» et Gómez de la Huerta nous parle du fait que «tiene este animal muy aguda vista,
principalmente de noche y aunque no haya luna, sus ojos le alumbran», tandis que Ferrer de
Valdecebro avance que «Diole la naturaleza viveza tanta en la vista, que vence las más oscuras
tinieblas de la noche y en la más tempestiva, las tiene en los ojos, y le sirven de antorchas para
buscar la presa, que a estas horas de ordinario persigue». A beaucoup d’occasions, l’éclat des yeux
du loup fut associé au feu de l’enfer, lieu auquel appartenait cette créature depuis son insertion dans
6
le bestiaire maléfique du Moyen-Âge. Ces deux caractéristiques ne faisaient qu’alimenter la peur
qu’on avait du loup mais dans ces oeuvres apparaissaient aussi de nombreuses autres
caractéristiques purement biologiques comme le temps de gestation des louves (ici Gómez de la
Huerta inclut une donnée intéressante qui concerne l’amour des louves pour leurs louveteaux,
atténuant quelque peu l’image d’un animal cruel), les habitudes de chasse (aspect par lequel le loup
se détache et qui est associé à sa ruse, qui a de nouveau des connotations négatives), les
comparaisons avec le chien, etc. Les trois traités développent de plus une caractéristique
importante, ce qu’on appelle lupus est in fabulae, qui signifie que si un homme voit un loup avant
que celui-ci puisse percevoir sa présence, le loup perdrait toute sa férocité. Et si le contraire se
passe, l’homme perdrait sa voix. Enfin, les livres de Valdecebro et de la Huerta partagent deux
caractéristiques qui les rapprochent de leurs cousins européens: la liste des différentes races que
nous pouvons rencontrer ainsi qu’une série de formules médicales.
Pour leur contenu symbolique et moraliste, il est également intéressant d’analiser deux des
trois histoires qui sont inclues dans le traité de Jerónimo Cortés (l’auteur y insère une troisième, la
légende très connue de Romulus et Rémus). Les deux histoires qui nous intéressent ont Canis lupus
pour protagoniste et pour dénominateur commun, leur intention moralisatrice par le biais de la
critique de cet animal. La première histoire se passe dans le royaume de Valence et fait référence à
un certain Fenollar, de la maison de Penaguila, qui, en allant à la chasse, se trouva nez-à-nez avec
une portée de louveteaux et en prit un, tuant les autres. Le loup fut élevé dans la maison et devint
domestique et docile, le meilleur gardien de la demeure, comme si c’était un chien. Mais il arriva
que, son maître parti à la chasse avec tous ses domestiques, le loup entra dans l’étable, dévora un
âne et s’enfuit. L’intention de cette histoire est claire: bien qu’il puisse ressembler à un chien ou à
un animal de compagnie, le loup portera toujours préjudice à l’homme et sera toujours un animal
carnassier aux bas instincts qui n’hésitera pas à tuer ou à dévorer tout ce qui est à sa portée, comme
l’indiquait déjà Jerónimo Gómez de la Huerta dans son commentaire de Pline. La deuxième histoire
raconte que, en Catalogne, il arriva que, se faisant tard pour poursuivre la marche et par peur des
hurlements de loup que l’on entendait, un aveugle et un jeune guide, les deux jouant respectivement
de la flûte et du tambour de villages en villages, décidèrent de se réfugier dans une cour de ferme à
deux étages. Ils étaient là depuis un certain temps quand arrivèrent des loups qui furent pris au
piège à l’intérieur de la cour. L’aveugle et le jeune homme commencèrent à jouer de la flûte et du
tambour, provoquant tant de panique chez les loups que ceux-ci se dépecèrent les uns les autres.
C’est l’histoire que Cortés nous raconte des loups en Catalogne mais, à l’égale de celle qui a lieu à
7
Valence, nous ne pouvons affirmer qu’elle soit sûre. De nouveau, cette image néfaste de Canis
lupus apparaît, faisant de lui un animal enragé qui, face à la peur que provoque chez lui la musique,
finit par s’attaquer à ses pairs dans une démonstration de cruauté dont lui seul est capable. La
finalité de ces histoires est limpide: par le biais d’exemples supposés réels, Jerónimo Cortés veut
démontrer à quel point le loup est préjudiciable; de plus, beaucoup de caractéristiques concernant
cet animal et figurant dans les traités d’animaux sont inclues dans les deux histoires. L’auteur avait
les idées claires, le loup, une créature détestable, était l’ennemi de l’homme.
Ces traités espagnols d’animaux que nous avons vus au cours de notre étude allaient
marquer l’image que l’homme a du loup en Espagne. A tel point que son influence est encore
visible dans les divers écrits sur la chasse qui furent publiés dans ce pays tout au long du XVIIIe
siècle.
De cette manière, El cazador instruido (1745) de Juan Manuel de Arellano et El
experimentado cazador (1790) de DJMGM continueraient à donner cette image négative de Canis
lupus, tout en consacrant un article à sa chasse.
Conclusions
L’histoire naturelle espagnole du XVIIe siècle, qui récupéra beaucoup des doctrines
médiévales et l’usage des exempla, continua à confectionner une image négative du loup. Comme
partout en Europe, Canis lupus était décrit comme un animal néfaste qui aurait une image de
glouton vorace et cruel répandue par les naturalistes espagnols tout au long des Temps Modernes.
Les journaux de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle mantiendraient encore cette
image très négative, comme c’est le cas du Semanario de agricultura y artes dirigido a los
párrocos, paru pour la première fois à Madrid en 1797 pour instruire le peuple sur les travaux des
champs, l’économie rurale, les arts et les offices et, de cette manière, pour relancer l’agriculture, les
arts et l’industrie nationale. Rappelons-nous comment commençaient leurs dissertations sur le loup
Ferrer de Valdecebro et Jerónimo Cortés, informateurs fidèles de ce que serait le loup pour
l’homme, «Es tan conocido este animal en nuestra España, como pernicioso y nocivo para los
ganados» et «fraudulento y engañoso, atrevido, tragón y voraz».
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Bibliographie
- ANGLICUS, Bartholomeus, De proprietatibus rerum, Toulouse, 1491, (pages sans spécifier)
- ASHWORTH JR., William B., “Natural History and the Emblematic World View”, en HELLYER,
Marcus (ed.), The Scientific Revolution. The Essential Readings, Oxford, 2003, 132-157p.
- CORTÉS, Jerónimo, Tratado y libro de los animales volátiles y terrestres, Valencia, 1672, 531p.
- COVARRUBIAS, Sebastián, Tesoro de la lengua castellana o española, Madrid, 1611, 1403p.
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fieras y animales silvestres, Barcelona, 1696, 398p.
- GÓMEZ DE LA HUERTA, Jerónimo, Historia natural de Cayo Plinio Segundo (traducción),
Madrid, 1624, 907p.
- GUIZARD-DUCHAMP, Fabrice, Le loup en Europe du Moyen âge à nos jours. Valenciennes,
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- LÓPEZ PIÑERO, José María, Ciencia y técnica en la sociedad española de los siglos XVI y XVII,
Barcelona, 1979, 511p.
- MORGADO GARCIA, Arturo, «La visión del mundo animal en la España del siglo XVII: El
Bestiario de Covarrubias» en Cuaderno de historia moderna, nº36, 2011, pp.67-88.
- MORICEAU, Jean-Marc, L´homme contre le loup. Une guerre de deux mille ans, Paris, 2011,
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- PASTOUREAU, Michel, Bestiaires du Moyen Âge, Paris, 2011, 235p.
- PASTOUREAU, Michel, El oso. Historia de un rey destronado, Barcelona, 2007, 396p.
- THOMAS, Keith, Man and the Natural World. Changing attitudes in England 1500-1800,
London, 1984, 432p.
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