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HUGUES FACORAT EDITION Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur. Toute reproduction ou copie, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon et serait passible des sanctions prévues par le code français de la propriété intellectuelle et les conventions internationales en vigueur sur la protection des droits d’auteur. © 2015, Hugues Facorat Edition 24 avenue Charles Rouxel 77340 Pontault-Combault ISBN : 979-10-93198-11-8 Patricia Hass Nivoix La mémoire endormie Hugues Facorat Édition Remerciements. J’affectionne tout particulièrement ce roman parce que j’ai eu la joie de travailler avec mon fils, Ludovic Nivoix qui a réalisé la maquette et ma belle-fille, Inès Bartoli qui a posé comme modèle. Je tiens à les remercier pour leur collaboration, leur patience et leur soutien. Je suis heureuse qu’ils fassent partie de cette nouvelle aventure. CHAPITRE 1 Comme tous les matins de la semaine, l’alarme du réveil retentit. Il est six heures trente. Instinctivement, sans ouvrir les yeux, Christina tend mollement le bras à tâtons et parvient à l’éteindre du bout de ses doigts fins. Elle a beaucoup de mal à émerger de son sommeil. Rien d’étonnant ! Elle s’est couchée à trois heures du matin. La journée risque d’être éprouvante, car d’ordinaire, elle a besoin d’au moins huit heures de sommeil pour être au mieux de sa forme. Ses paupières semblent peser une tonne et résistent à s’ouvrir. Un bâillement s’extirpe de sa bouche, elle étire son corps encore somnolent et engourdi de fatigue. Elle redresse son buste sans vigueur, passe la main dans ses cheveux. Elle scrute furtivement d’un oeil entr’ouvert les chiffres rouges du cadran qui, imperturbables, changent au fur et à mesure qu’elle tente de sortir de l’état de léthargie dans lequel elle se trouve. “ Déjà six heures quarante, il faut vraiment que je me secoue,” murmure Christina. Elle se frotte délicatement les yeux, sensibles aux rayons du soleil qui percent à travers les persiennes. Elle se retourne vers Quim qui dort toujours profondément. D’un revers de la main, elle repousse en douceur la couette et saute du lit. Elle se dirige vers la baie vitrée, tire sur la poignée pour ouvrir la porte coulissante. Elle pousse les volets en bois bleu gitane. Le parfum enivrant du jasmin en fleurs grimpant le long de la façade lui chatouille les narines. Elle aime l’odeur agréable qu’il 7 dégage ; un effluve de vanille mélangé de senteurs d'agrumes. Elle s’accoude à la balustrade du balcon et admire le jardin. Dix années auparavant, Quim avait dessiné les plans de la maison, une maison qui leur ressemblait. Il lui avait laissé carte blanche pour l’aménagement intérieur et extérieur de la villa. Elle avait créé un jardin familial où les enfants pouvaient jouer en toute quiétude. Elle avait imaginé un espace à vivre convivial doté d'une grande piscine enterrée, entourée de haies de bambou protégeant de cette façon leur intimité, des regards indiscrets. Elle avait jeté son dévolu sur des végétaux robustes tels que les yuccas et les oliviers qui s'harmonisent parfaitement dans ce lieu provençal aux senteurs de lavande, de thym, de romarin et de laurier. Un véritable petit coin de paradis où il fait bon de se prélasser. Christina lève les yeux vers le ciel. Il est d’un bleu azur, parfait sans l’ombre d’un nuage. Le mistral ne souffle plus. Elle entend le gazouillement des oiseaux perchés dans l’olivier. Elle prend une bouffée d’air pur et regagne la chambre. Sans se soucier de Quim, elle se dirige vers la salle de bain adjacente à la pièce. Elle laisse glisser le long de son corps svelte sa nuisette de soie blanche et file sous la douche. L’eau chaude presque brûlante coule sur sa peau fine. Pour son hygiène quotidienne, elle utilise un savon d'Alep, à base d'huile d'olive et de baies de laurier. Reconnu pour ses propriétés nourrissantes et naturelles, il préserve la tonicité et le velouté de son grain de peau si fragile. Elle savonne son corps en douceur puis le rince soigneusement. Elle termine sa toilette par un jet glacé. L’eau froide tonifiante active son flux sanguin, cela lui procure une sensation de bien-être. Rien de tel pour commencer la journée. Une fois sortie de la douche, elle 8 se sèche et s'enveloppe dans un immense peignoir, bien trop grand pour elle. Elle enroule sa longue chevelure mouillée dans une serviette, montée en turban. Elle essuie d’une main le miroir encore embué. Elle fait une petite moue devant son image qui lui renvoie, un visage vanné. Les traits tirés et de vilaines poches sous les yeux l’irritent. Elle passe le bout des doigts sur son front, ses joues parsemées de taches de rousseur, son cou long et fin, pour remonter doucement et s’attarder sur les quelques ridules logées autour de ses grands yeux en forme d’amande, d’un joli vert. Elle fait deux ou trois mouvements de gymnastique faciale puis elle finit cette petite séance de mimiques par une grimace flegmatique. Elle détache la ceinture de son peignoir, dégage ses épaules carrées et fixe sa poitrine. Elle arbore un petit sourire de satisfaction. En dépit des années, de ses deux grossesses, de l’allaitement, ses seins n’ont pas été abîmés. Quim se complait à lui seriner qu'elle a toujours les “lolos” d'une jeune fille, bien ronds, fermes, droits. Ils ne sont ni trop gros ni trop petits. Ses tétons pointent. Elle effleure de l’index celui de son sein droit, érigé, conquérant, digne, attestant son éternelle jeunesse. Aujourd’hui, Christina est réconciliée avec son corps. À une certaine époque de sa vie, il la révulsait. Par conséquent, elle ne l’a pas ménagé et lui en a fait voir de toutes les couleurs. Elle l’a meurtri, amaigri, détesté, puni, oublié… Elle applique sa crème antirides sur son visage, son cou et son décolleté. Puis elle retire la serviette qui emprisonne ses cheveux. Sa crinière rousse tombe sur ses épaules pour redescendre jusqu’à la chute de ses reins. Elle illumine son visage, donne de l’éclat à son teint de porcelaine. Sa rousseur flamboyante semblable à la couleur des feuilles de l'automne, sied parfaitement 9 avec son tempérament fougueux, passionné. Elle est un atout indéniable de sa séduction. Aussi consciente de cette carte maîtresse, elle en prend le plus grand soin. Elle démêle ses cheveux à l'aide d'une brosse en poils de sanglier. Les mouvements sont structurés, soignés. Faute de temps, pour faire un brushing, elle les sèche à la main, elle les portera en chignon pour une fois. Après quoi, elle s'enduit le corps d’un lait pour peau sèche puis réintègre la chambre. Elle jette un œil du côté du lit. Quim n'a pas bougé une oreille. Comme à son habitude, elle va être obligée de le réveiller. Elle fouille dans le dressing à la recherche de sous-vêtements. Elle fait glisser un à un les cintres sur la tringle. Elle hésite entre plusieurs tenues et tout bien considéré, opte pour un tailleur vert. Elle pose les dessous et le deux-pièces choisis sur le fauteuil et s’approche du lit. Elle s’allonge sur lui, ses mains se promènent le long de ce corps masculin. Sa crinière d'amazone caresse son visage. Il fait semblant de ne rien remarquer. Elle lui mordille le lobe de l’oreille en effleurant son torse du bout des doigts. Elle devine son excitation. Le corps inanimé réagit, émoustillé au contact de sa peau. Quim sort de sa torpeur lâchant des gémissements de plaisir. C’est un appel à la chair, au désir sexuel. Christina n’est pas dupe, mais l'heure tourne, elle n’a pas le temps de répondre à ses attentes. Elle se dérobe et commence à s’habiller. Elle passe un string blanc en dentelle et enferme ses seins dans un soutien-gorge du même coloris. Elle s’assoit au bord du lit pour enfiler sa paire de bas. Elle se cambre en avant, se jette en arrière pour la faire glisser le long de ses cuisses. Elle sent le regard de Quim posé sur elle. Elle devine qu’à ce moment précis, il la dévore des yeux, qu’il a envie d’elle. Elle s’en amuse. Flairant ses pensées érotiques, ses pulsions matinales, elle se retourne vers lui et lui adresse 10 un sourire coquin. Elle survole l’oeil gourmand, l’anatomie de son beau ténébreux, qu’elle connait par coeur. Il reconnait immédiatement, l’air affamé de sa belle. Il ne lui en faut pas plus pour se jeter sur elle, feindre de la prendre là, en urgence, comme si c’était une question de vie ou de mort. Elle essaie de se dégager, mais il l’en empêche en lui maintenant les mains. Elle est à sa merci. Le corps athlétique étendu sur elle l’immobilise complètement. Il lui susurre à l'oreille : — J'ai envie de toi. Tu m'as ouvert l'appétit. — Nous n'avons plus le temps de batifoler. Nous ne sommes pas en avance, tu devrais déjà être sous la douche. — Au diable, le boulot, tu ne vois pas dans quel état je suis. C’est trop tard maintenant, tu ne peux pas m'échapper, ma beauté. Elle ne tente plus de lui résister. Elle se sent bien dans ses bras : apaisée, épanouie, protégée. Elle attrape sa tignasse noire entre les mains. Il caresse sa peau blanche, fine, délicatement parfumée. Il passe sa langue dans son cou, tripote ses tétons dressés. Elle sent des frissons parcourir tout son être. Impatient, Quim passe une main dans son string, l’effleure et lui retire en douceur. Il approche sa bouche chaude de celle de Christina, l'entr'ouvre pour y mettre goulument la langue. Leurs deux corps se frôlent, s'entrelacent, s'emboitent pour faire plus qu'un. D'un regard, il demande son approbation pour la posséder. Elle aime la petite étincelle qui brille dans ses yeux lorsqu’il la convoite, lorsqu'il veut lui faire l'amour. Ses yeux de braise, braqués sur elle, la rendent unique, incroyablement désirable. Elle s'abandonne, l’autorisant à la transporter de plaisir. Christina avait rencontré Quim une vingtaine d’années auparavant, lors d’un séjour à Porto, au Portugal. C’était la période estivale, il travaillait comme guide pour financer ses études d’architecte. 11 Le beau Portugais à la peau mate, aux yeux noirs, pourvu d’une chevelure bouclée et dense dégageait une impression de force, de charisme, qui avaient immédiatement subjugué la jeune femme. À compter de ce jour, ils ne se sont plus quittés et depuis vivent en parfaite harmonie. Néanmoins avec le temps, le couple change inéluctablement, il n'échappe pas à cette évolution. La routine s’installe, les qualités exceptionnelles se transforment peu à peu en défauts insupportables. À croire que Quim et Christina ont trouvé l’authentique recette de la vie à deux. En dépit des aléas de la vie, du quotidien, du stress, des enfants, ils ont réussi à sauvegarder leur entente amoureuse et sexuelle. Au cours de ces vingt dernières années, leur libido n’a jamais connu de baisse de régime. Ils n'ont jamais cessé de faire l'amour, d’avoir envie l’un de l’autre. Quim ne s'est jamais rassasié du corps de Christina, de sa peau sur sa peau, de son sexe dans son corps. Quant à elle, en devenant mère, elle a su préserver sa place de maîtresse auprès de son mari. Elle a fait en sorte qu’il voit en elle la mère de ses enfants, mais aussi une femme, celle qu'il a choisie pour être son amante, sa confidente, son amie. Tous deux ont compris que rien n’est jamais acquis. L’amour s’entretient tous les jours. Il implique une complicité, des compromissions, un partage, des besoins de l’autre, une écoute mutuelle. Ils ont mis à profit cette philosophie durant leurs années de vie commune. Lorsque Quim se dégage de Christina, il constate que ses yeux sont humides. Gênée, elle se lève rapidement, mais il la retient par le bras. — Pourquoi ces larmes ? questionne-t-il, en la regardant, l’air surpris. — Je ne sais pas, je n’ai pas pu les retenir. Ne t’inquiète pas, ce sont des larmes d’émotion. Tu me connais, je suis trop sensible. J’aimerais arrêter le temps, pour que tu m’aimes toujours ainsi. 12 — Mais je t’aimerais toujours ainsi Christina, répond Quim d’une voix douce. Je n’imagine pas ma vie sans toi et je ne me souviens pas d’elle, avant toi. Elle sourit, touchée, par ces belles paroles et sèche ses larmes du bout des doigts. Il se lève et se dirige, nu comme un ver, en direction de la salle de bain. Elle se retourne vers lui et le suit du regard. — Comment peux-tu le savoir ? Qui peut dire ce que l’avenir nous réserve ? La vie peut basculer d’un jour à l’autre. Qui sait ? Un jour, tu me quitteras peut-être pour une jeunette. Il se retourne vers elle d’humeur taquine et ironise : — Mieux, imagine que je deviens gay ou curé. — Je suis sérieuse, chéri. Arrête de te moquer de moi ! — Mais je n’ai pas envie de t’entendre polémiquer sur l’avenir à une heure si matinale. Tu remets tout en cause. Je n’en ai rien à foutre d’une jeunette, d’une blonde, d’une brune... Arrête de flipper comme cela. Ce n’est pas parce qu’Hervé a tout plaqué et s’est tiré avec une jeune que je vais faire la même chose. Sais-tu au moins quel jour nous sommes ? Évidemment, tu le sais. Tous les ans, le jour J, c’est la même chose. Je comprends mieux maintenant toutes tes interrogations… Il fait un geste de la main en guise d’exaspération et entre dans la salle de bain. Christina conçoit qu’il est contrarié. Chaque fois, c’est la même rengaine. Elle se recroqueville dans le lit. Elle déteste quand il la rabroue comme cela. Mais elle ne veut pas en rester là. — Oh ! Par pitié, ne me le rappelle pas. J'essaie à tout prix de me le sortir de la tête, clame-t-elle. En disant ces derniers mots, elle sent une chair de poule parcourir ses bras. Elle frissonne, son sang se glace dans les veines. Il passe la tête dans l’encadrement de la porte. Il ne remarque pas le trouble qui vient d’envahir sa femme. Il dirige les yeux sur les aiguilles du réveil pour s’assurer 13 qu’ils ne sont pas en retard. Sans lui prêter attention, il lui lance : — Quelquefois, tu es vraiment puérile. Ta réaction est excessive, j’ai du mal à te comprendre. Fais un effort, nom d’un chien. Les paroles de Quim sont blessantes. Il se ravise aussitôt, regrettant ces sarcasmes, ce n’est pas le jour. Toujours pelotonnée sur le lit, Christina tripote nerveusement le bout de la couette. Elle prend un air de chien battu. — Désolée, je sais que je te saoule avec cela. Il s’avance vers elle, lui tend la main pour l’aider à se relever. Elle se blottit contre lui. Il sent son corps fébrile sous ses mains. — Je sais que tu as raison, admet Christina. Mais ne m’en veux pas. Je n'y peux rien, ne me demande pas pourquoi, c’est comme cela. Je n’ai qu’une seule envie : d’être à demain. — Que tu le veuilles ou non, c’est un jour important. Bon anniversaire, ma chérie. Christina capitule. Elle sait qu’elle n’aura pas le dernier mot, cette fois. Elle lève les yeux vers lui et il l’embrasse tendrement. Puis elle se met à la recherche de son string jeté lors de leur étreinte. — Au fait, j’espère que tu n’as pas organisé quelque chose à l’extérieur ce soir. Je n’ai vraiment pas envie de sortir deux soirs de suite, précise-t-elle sur un ton suppliant. — Non, ne t’inquiète pas. C’est vrai que le pot de départ à la retraite de Martin est assez mal tombé. Mais je ne me voyais pas refuser d’y aller sous prétexte qu’aujourd’hui, on fête ton anniversaire. N’oublie pas que lorsque j’ai débuté dans le cabinet d’architecture, c’est le premier de la boîte qui s’est intéressé à mes projets. Il m’a soutenu dès le début de ma carrière. — C’est vrai, je me le rappelle. C’est un chic type. Je 14 l’aime beaucoup. Il va certainement beaucoup te manquer. Comme le temps passe, quand on songe qu’il part déjà à la retraite. Mon Dieu, cela ne nous rajeunit pas. J’ai l’impression que c’était hier que tu as été engagé dans cette entreprise. — Oui, mais n’essaie pas de détourner la conversation. Reparlons de ton anniversaire. Ce soir, nous allons passer une bonne soirée en famille. Je me suis occupé de tout avec les enfants. J’ai commandé chez le traiteur. Fais-moi plaisir, souris un peu. Que tu prennes un an de plus n’altère en rien ta beauté, tu es toujours aussi irrésistible à mes yeux. Et sache que je t’aimerais même lorsque tu seras une vieille femme avec de la moustache. — Oh ! Quim, tu te crois drôle. — J’essaie simplement de te faire comprendre que cela ne m’effraie pas de te voir vieillir. C’est une étape normale de la vie. OK, je concède que c’est peut-être plus angoissant de vieillir pour une femme que pour un homme. Mais c’est dans l’ordre des choses. Il faut l’accepter et relativiser la chose. Il ne faut pas que cela devienne une obsession. Et puis cela a du bon, il faut voir le bon côté des choses. Lorsque nous serons à la retraite, nous pourrons faire l’amour toute la journée sans nous préoccuper d’avoir peur d’arriver en retard au boulot. Christina éclate de rire. Il a enfin réussi à la détendre. Elle pointe son index dans sa direction et lui jette un oreiller. — Tu es vraiment insupportable, tu ne peux pas être sérieux deux minutes. — Mais je ne plaisante pas, je suis rationnel, c’est un fait. J’aime faire l’amour avec toi ! proclame-t-il. Tous les couples ne peuvent pas en dire autant, après vingt ans de vie commune. Nous sommes des petits veinards, croismoi. Christina le fouille du regard et hoche la tête, les 15 sourcils froncés. — J’adore quand tu me jettes ce regard. Tu es craquante. Je sais, je sais... Je vais essayer de surveiller mon langage. Comme tu me le répètes si souvent, je dois donner le bon exemple aux enfants, pas de gros mots dans les murs de cette maison. Elle acquiesce de la tête et poursuit sa recherche pour trouver son sous-vêtement. — Craquante, peut-être, mais terriblement en retard si je continue à discuter avec toi. Je ne suis pas encore habillée. Dépêche-toi de filer sous la douche. — À vos ordres, Madame ! — Au fait maintenant que j’y pense, m’as-tu acheté un cadeau d’anniversaire ? — Ah ! Petite coquine, tu ne veux pas entendre parler de ton anniversaire, mais tu veux un cadeau. Tu devras patienter jusqu’à ce soir. As-tu des maisons à faire visiter ? — Oui, j’ai deux rendez-vous à l’extérieur. Je ne serais pas de retour avant dix-neuf heures, dix-neuf heures trente, ce soir. — C’est parfait. Cela me laisse du temps pour… — Pour quoi ? — Tu verras... D’un léger revers de tête, il lui désigne le string, tombé sous le fauteuil, et regagne la salle de bain. Christina l’entend siffler sous la douche. Elle enfile sa jupe en lin et son bustier de soie vert pâle, un ton plus clair que son tailleur. Elle s’avance devant le miroir rectangulaire sur pied pour refaire son chignon. Elle s’y reprend à plusieurs fois sans parvenir à se coiffer comme elle le souhaite. — Zut, alors ! graille-t-elle, un brin exaspéré. Elle s’énerve et jette le pique-fleur sur la table de chevet. Une boule dans la poitrine l’oppresse. Elle manque d’air. Elle va sur le balcon et inspire 16 profondément. Des larmes pointent à ses yeux. Elle se contrôle pour les refouler. Elle se pince les lèvres et étouffe un sanglot. Reprends-toi Christina, tu ne vas pas flancher. Cette journée va vite passer, songe-t-elle. Elle rentre, tape les oreillers, tire la couette sur le drap. Elle ramasse sa pince. Moins tendue, elle fait une dernière tentative pour remonter ses cheveux en chignon. Essai réussi. Elle sort de la chambre et tambourine à la porte de Manon puis à celle de Ugo. Ensuite, elle descend préparer le petit déjeuner pour toute la famille. Dix minutes plus tard, comme chaque matin de la semaine sauf le week-end, c’est le branle-bas de combat à l'étage. Manon s’est enfermée dans la salle de bain et son frère martèle à la porte comme un damné pour la faire sortir. — Sors ! J’ai envie de faire pipi, hurle Ugo à pleins poumons. — Lâche-moi un peu, tu veux ! Va voir ailleurs si j’y suis. Devant la porte fermée, il commande à Manon de s’activer. La petite fille qui voulait épouser son papa a bien grandi. Elle est devenue une jolie jeune fille de quinze ans. Elle a troqué sa baguette de princesse contre un téléphone portable et un MP4, greffé sur les oreilles. Ce chahut incessant est habituel, Quim intervient. Mais rien n’y fait. L’adolescente a pris d’assaut les lieux et ne compte pas déposer les armes. Ugo se résout à descendre suivi de son père, tous deux séduits par l’odeur des toasts grillés émanant de la cuisine. Christina aime ses chamailleries matinales. Même si les voir grandir, évoluer n'est pas aisé à gérer, sa famille est son oxygène, sa raison de vivre. Ugo déboule dans la pièce, de mauvais poil. Il est excédé de ne pas avoir trouvé son tee-shirt de football. — Tu en fais une tête, mon grand, tu t’es levé du mauvais pied ? interroge Christina. 17 — Je ne trouve pas mon tee-shirt de foot. — S’il n’est pas dans ton placard, il ne peut être que dans le panier de linge sale. Je n’ai pas eu le temps de faire toutes les machines, répond-elle. — Mais tu sais que je le mets pour aller à l’entrainement aujourd’hui, braille-t-il. — Tu en mettras un autre. Ce n’est pas grave si pour une fois tu ne portes pas celui-là. Ugo va répliquer quand Quim le rappelle à l’ordre: — Baisse d’un ton mon bonhomme. Va le chercher, je vais le mettre en machine. Il va faire beau, je le suspendrai dehors, il aura le temps de sécher d’ici à ce que tu ailles au sport. — Merci Pa ! — Ne t'emballe pas, c'est donnant donnant. Ce weekend, tu ranges ta chambre. Au fait, n’as-tu pas oublié de faire quelque chose ? Quim lance un oeil dans la direction de Christina qui leur tourne le dos, accaparée à faire des sandwichs. Ugo porte la main à la bouche, confus de son oubli. Comme si Christina pressent quelque chose, elle se retourne vers lui, l’air enjoué. Le jeune garçon s’avance vers elle, se hisse sur la pointe des pieds et l'embrasse tendrement. — Bon anniversaire, maman ! — Merci, mon chéri. Tu vois Quim, j'aime lorsque mon anniversaire est considéré comme un jour comme les autres sans tra la la... Ugo vole un toast sur la table et file chercher son teeshirt. Il croise Manon dans les escaliers, qui ne peut s’empêcher de le rembarrer gentiment comme à son accoutumée. — Ça y est, il a fait son pipi le petit à sa maman, cingle l’adolescente. — Et toi, tu t'es peint les yeux avec une boite de cirage ? contre-attaque le garçonnet, de plus en plus arrogant. 18 Et vlan, elle l'a bien mérité celle-là, pense-t-il en montant les marches quatre à quatre. Lorsque Manon pénètre dans la cuisine, son téléphone portable à la main, Quim soupire, exaspéré. D’un ton persifleur, elle annonce directement la couleur. — Papa, ce n'est pas la peine de me rappeler quel jour nous sommes. Depuis des années, maman veut zapper le jour où elle vieillit d’un an donc je la soutiens à 100 %. C’est vrai qu’après trente ans, il n’y a rien de fun à fêter son anniversaire. Assis à table, Quim se beurre un toast. Il lève les yeux vers elle, abasourdi par l’aplomb, l’audace de sa fille, qui ne mâche pas ses mots. Christina vient embrasser Manon en signe d’approbation. Mais il ne se laisse pas déstabiliser par son insolence. Il ne va pas en rester là et ne s'avoue pas vaincu de la connivence entre la mère et la fille. Il rebondit aussitôt. — Ma parole, vous êtes de mèche toutes les deux. Par conséquent, je présume que tu ne lui as pas acheté un cadeau d’anniversaire pour ne pas la contrarier. — Exactement, je respecte son choix, riposte Manon d’une voix désinvolte. — De plus, cela ferait un trou dans ton budget du mois. — Déjà que je n'aie pas grand-chose, rétorque la jeune fille. — Et ça y est, elle va remettre cela sur le tapis. Je suis la seule… et patati et patata... C’est le même topo toutes les semaines. Tu sais que tu es en âge de faire du babysitting, ma grande. Je connais deux ou trois collègues qui pourraient être intéressés. Veux-tu que je me renseigne ? Manon prend place à table. Elle le fixe l’air farouche. Sans répondre à sa question, elle se sert un verre de jus d’orange et des céréales dans un bol. Elle sent le regard insistant de son père, braqué sur elle. Un brin irrité par son attitude impertinente, il finit par lui lâcher : 19 — C'est quoi ce maquillage ? Christina, tu as vu ta fille ? — C’est du mascara papa, toutes les filles en mettent. Et encore, je ne suis presque pas maquillée, comparée aux autres. Quim simule de s’étouffer en buvant son café. L’adolescente ne bouge pas d’un pouce sentant le stratagème à plein nez. Il continue de la tarabuster. Et c’est comme cela tous les matins, c’est à celui qui aura le dernier mot. — Et alors, il faut que tu fasses comme les autres. Le voisin vient de s’acheter une Porsche, ce n’est pas pour autant que je vais en acheter une. — Ah, ah ! Très drôle. De toute façon, tu n’as pas les moyens. Fier de sa boutade, il fait un clin d’oeil à Christina qui lève les yeux au ciel en hochant la tête. Manon et lui aiment s’asticoter : c’est leur façon de communiquer. — Les enfants, il faut vraiment que je file. Désolée de ne pouvoir faire l'arbitre, le match promet d'être palpitant, mais je n'ai plus le temps, s’exclame Christina tout en fouillant dans son sac. Zut, il faut que je remonte. J’ai oublié mon rouge à lèvres dans la salle de bain. Ses talons claquent sur le carrelage du couloir. Elle remonte les escaliers et croise Ugo qui redescend avec son tee-shirt de foot dans une main et son sac de classe dans l’autre. Elle ébouriffe ses cheveux bouclés, d’un geste affectueux et, lui envoie un baiser de la main. Trois minutes plus tard, elle est sur le départ. — À ce soir Chérie, passe une bonne journée, lâche Quim. J'essaie de t'appeler dans la matinée. — Appelle sur le portable, j'ai un rendez-vous à l'extérieur à dix heures. Presse-toi un peu Manon, crie-telle en claquant la porte derrière elle. Doté d’une situation financière confortable, le couple 20