Wagner, Bruckner, Hitler : la musique peut

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Wagner, Bruckner, Hitler : la musique peut
Joachim Forlani 3MS2
Wagner, Bruckner, Hitler : la musique peut-elle être
dangereuse ?
Parsifal ou la rédemption universelle
Maître responsable : Jean-Claude Bossel
Gymnase Auguste Piccard, novembre 2006
Table des matières
Introduction------------------------------------------------------------------------------------------3
Synopsis-----------------------------------------------------------------------------------------------4
Le Graal, mythe chrétien ou païen ?------------------------------------------------------------8
Les récits médiévaux
8
La christianisation jusqu’à Wagner
9
Amfortas et la blessure du Christ--------------------------------------------------------------- 10
Kundry, le chemin de la rédemption------------------------------------------------------------12
Ses trois natures
12
Un rôle à part
16
Les sources de Wagner
16
Klingsor, lorsqu’un pécheur en punit d’autres----------------------------------------------- 19
Gurnemanz, le narrateur------------------------------------------------------------------------- 20
Par la pitié instruit ou l’éducation spirituelle------------------------------------------------- 21
Parsifal, un nom hérité de Wagner--------------------------------------------------------------23
Parsifal et le Christ--------------------------------------------------------------------------------- 24
L’enchantement du Vendredi-Saint et l’allégorie biblique
24
Les influences du bouddhisme et de Schopenhauer----------------------------------------- 24
L’action rédemptrice de l’art-------------------------------------------------------------------- 26
Montsalvat et l’Allemagne hitlérienne--------------------------------------------------------- 27
Conclusion : le culte de Bayreuth--------------------------------------------------------------- 28
Notes---------------------------------------------------------------------------------------------------31
Bibliographie-----------------------------------------------------------------------------------------33
2
Introduction
Anton Bruckner, Richard Wagner et Adolf Hitler. Si les deux derniers sont connus de chacun,
Bruckner l’est beaucoup moins. Compositeur et organiste autrichien, il est principalement
connu pour ses neuf symphonies (numérotées de 0 à 8 plus une dixième restée inachevée) et
sa musique religieuse. De onze ans le cadet de Wagner et l’un de ses plus fervents
admirateurs, il est présent lors de la création de Parsifal à Bayreuth en 1882. A la mort de
Wagner, alors qu’il en était à la lettre W de la partition de sa Septième Symphonie, il termine
le mouvement en majeur, rendant ainsi hommage au Maître. Sa Troisième Symphonie est par
ailleurs dédiée à ce dernier. Pourtant, bien qu’il soit souvent nommé le « symphoniste
wagnérien », ses œuvres qui consistent en de gigantesques constructions musicales aux longs
thèmes restent généralement fidèles aux formes classiques.
Le sujet de ce travail de maturité mentionne implicitement l’influence qu’a pu avoir Wagner
sur la politique du troisième Reich. J’ai choisi de ne pas m’occuper ici de Bruckner car celuici, si l’on retrouve dans ses œuvres une certaine influence wagnérienne, n’est en réalité qu’un
admirateur du maître de Bayreuth comme le sera Hitler plus tard mais pour d’autres raisons…
J’ai donc choisi de concentrer mes efforts sur Wagner et plus précisément sur une œuvre qui
sera chère au Führer car elle comporte de nombreux éléments correspondant à sa théorie sur la
pureté de la race aryenne, je veux parler de Parsifal.
Dernier opéra de Wagner, Parsifal est écrit spécifiquement pour l’acoustique du Festspielhaus
de Bayreuth, théâtre construit en 1876 par le compositeur sur une colline dominant la petite
ville bavaroise. L’intrigue est basée sur les anciens contes du Saint Graal, principalement le
roman du poète allemand du 13e siècle Wolfram von Eschenbach. Pour écrire son Parzival, ce
dernier s’était inspiré du récit du français Chrétien de Troyes Perceval ou le Roman du Graal.
Créée lors du deuxième festival en 1882, une année avant la mort de Wagner, l’œuvre est
désignée par celui-ci comme un « Bühnenweihfestspiel » ou « festival scénique sacré. » La
version du mythe que nous présente Wagner avec Parsifal est largement inspirée des textes
qui ont suivi ceux des deux auteurs précités. Or, au moyen âge, la religion chrétienne n’a pas
tardé à s’emparer du Graal, et ce qui n’était à la base qu’une pierre est progressivement
devenu le calice dans lequel avait bu Jésus-Christ lors de la Sainte Cène et dans lequel avait
été recueilli son sang pendant la crucifixion.
Le fait que le Graal soit la coupe du Christ est une occasion pour Wagner de faire de l’un de
ses thèmes favoris le pilote de l’action, à savoir la rédemption. Cela m’a amené à faire une
analyse des personnages principaux qui sont concernés par cette omniprésence du Christ,
notamment concernant leur rapport avec le Graal dans l’opéra. Je les ai également comparés
aux héros leur correspondant dans les romans de Chrétien et Wolfram.
La religion chrétienne n’étant pas la seule à avoir une importance dans Parsifal, une étude des
principales influences extérieures suit.
Enfin j’ai inséré une réflexion sur les rapports entre la symbolique de Parsifal et la
propagande antisémite nazie, l’analyse de l’opéra lui-même occupant l’essentiel du travail.
Afin de faciliter la compréhension de ce qui va suivre, je me permets de commencer par
donner un résumé de l’opéra Parsifal, la version wagnérienne du mythe du Graal, cette
dernière étant le centre du travail. Wagner avait l’habitude de brouiller les pistes en se servant
de plusieurs histoires différentes pour en faire un tout mais la trame de l’opéra est tout de
même en grande partie fidèle à l’histoire de Parsifal racontée par Chrétien de Troyes et
3
Wolfram von Eschenbach et devrait donner un bon aperçu de la légende à qui ne la connaîtrait
pas, l’idéal étant bien entendu de lire les œuvres de ces deux derniers.
Synopsis
Personnages
Amfortas, roi du Graal
Titurel, son père
Gurnemanz, chevalier du Graal
Parsifal
Klingsor, magicien
Kundry, messagère du Graal
Chevaliers du Graal, Ecuyers
Les filles-fleurs de Klingsor, fleurs changées en jeunes filles
1er Acte
Dans le domaine du Graal
Forêt ombragée et grave, mais non sombre. Au milieu, une clairière. On supposera que le
chemin sur la gauche monte vers la forteresse du Graal. Au centre, au fond de la scène, le sol
s’abaisse vers un lac situé en contrebas dans la forêt. Aurore.1
Gurnemanz et ses deux écuyers dorment à la lisière de la Forêt. L’appel matinal sonne au loin,
ils se réveillent. Deux autres chevaliers entrent, précédant le roi qui se fait conduire chaque
matin à un lac pour y baigner une plaie qui ne se referme pas. Kundry, une messagère
d’aspect sauvage entre précipitamment, rapportant un baume pour soulager Amfortas de sa
douleur. Le cortège du roi arrive; celui-ci souhaite vainement mourir pour ne plus devoir
supporter les souffrances occasionnées par sa blessure. Gurnemanz le convainc d’essayer le
baume et le cortège se remet en route.
Kundry qui est restée à terre, refusant même les remerciements d’Amfortas, se fait railler par
deux écuyers. Gurnemanz les gronde doucement en leur rappelant qu’elle les a toujours
fidèlement servis et que c’est lorsqu’elle n’était pas là que le malheur s’est abattu sur eux.
Titurel, père d’Amfortas, l’avait trouvée sans connaissance dans la forêt lorsqu’il construisait
le château de Montsalvat. Une nuit, une armée d’anges lui avait confié la garde de la coupe
dans laquelle avait bu le Christ lors de la sainte cène et ou avait été recueilli son sang quand la
lance d’un soldat romain avait transpercé son flanc. Ces deux reliques constituent le saint
Graal, gardé par les chevaliers habitant Montsalvat et dont la seule vue donne la vie éternelle.
Sur la demande des écuyers, Gurnemanz raconte alors ce qui s’est passé ensuite.
Un certain Klingsor avait essayé d’entrer dans la confrérie des chevaliers protecteurs du Graal
mais cet honneur lui avais été refusé à cause de sa trop grande tendance pour le péché de la
chair. Klingsor s’était alors châtré, pensant ainsi en être guéri mais le péché ne l’en
tourmentait que plus et le Graal l’avait repoussé une seconde fois. Il avait alors tiré de sa
castration un pouvoir magique et construit un château enchanté de l’autre côté des montagnes
où des fleurs métamorphosées en jeunes filles séduisaient les chevaliers qui voulaient s’en
approcher. Lorsque Titurel avait transmis ses fonctions royales à Amfortas, celui-ci avait
décidé de mettre fin à l’enchantement en attaquant le château armé de la sainte lance. Mais
pendant la bataille, distrait par une femme formidablement belle, il s’était fait dérober la lance
4
par Klingsor qui la lui avait plongée dans le flanc; et parce qu’il avait profané la sainte lance
en l’utilisant comme une arme guerrière, il avait été condamné à souffrir éternellement de sa
blessure, ne pouvant mourir car il devait assumer ses fonctions et présenter régulièrement le
Graal à l’assemblée des chevaliers. Une nuit pourtant, alors que le roi priait, une lumière avait
illuminé le Graal et il avait entendu une voix lui prédire qu’un « pur innocent, par la pitié
instruit » le guérirait de son mal.
A ce stade, le récit de Gurnemanz est interrompu par des cris. Des chevaliers arrivent traînant
un jeune homme (Parsifal) qui a tué un cygne dans ce lieu ou toute vie est sacrée. Gurnemanz
l’interroge sur ses origines mais Parsifal ignore jusqu’à son nom, il peut seulement parler de
sa mère qu'il dit avoir quitté un jour pour suivre des chevaliers. Kundry se dresse alors, lui
annonce que sa mère est morte…et manque de se faire étrangler. Soudain elle semble être
soumise à un charme qui la force à s’endormir. Visiblement en proie à la terreur, elle y
succombe et s’affaisse derrière des buissons. Gurnemanz convie alors le jeune garçon à
assister au repas sacré des chevaliers, reconnaissant en lui le futur sauveur d’Amfortas.
Changement de décor et l’on se retrouve dans la forteresse du Graal, une vaste salle dont les
colonnes supportent une coupole recouvrant l’espace destiné aux repas. Des portes s’ouvrent
au fond, des deux côtés.2
Les chevaliers se réunissent pour y recevoir l’hostie et le vin, symboles de la sainte cène, et y
contempler le Graal afin de renouveler leurs forces vitales. Titurel, un pied dans la tombe,
utilise ce moyen pour se maintenir en vie. On amène Amfortas qui voudrait ne plus voir le
Graal afin de pouvoir mourir et commence par refuser de le dévoiler. Mais le fait de le garder
couvert ne fait qu’augmenter ses souffrances et il finit par céder et accomplir son office en
présentant la coupe à l’assemblée. On distribue le pain et le vin, Gurnemanz fait signe à
Parsifal de prendre part au repas mais celui-ci qui avait porté la main à son cœur en un geste
de souffrance lors de la plainte d’Amfortas reste comme pétrifié. L’assemblée se dissout à la
fin du repas et les chevaliers s’en vont, emmenant Amfortas et le Graal.
Gurnemanz vient alors vers Parsifal très mécontent et lui demande : « Sais-tu ce que tu as
vu ? » Devant le geste négatif de Parsifal, il entre en colère, le prie de poursuivre son chemin,
de laisser les cygnes tranquilles et de se trouver une femme avant de le jeter dehors. C’est
alors que l’on entend des voix célestes répéter la prophétie. Gurnemanz les écoute et,
apparemment très calme, quitte la salle.
2ème Acte
Le château magique de Klingsor qu’on supposera situé sur le versant sud du même massif et
orienté vers l’Espagne maure. Pièce à l’intérieur d’une tour ouverte vers le haut. Des
marches de pierre mènent vers le bord crénelé de la muraille. Le plancher de scène
représente une saillie de muraille, de laquelle on peut accéder à un sombre souterrain.
Instruments divers servant à la magie et à la nécromancie.3
Klingsor est assis devant un miroir magique; il allume des parfums qui remplissent la salle
d’une fumée bleue et réveille Kundry sous son deuxième aspect, celui d’une femme d’une
grande beauté. Elle doit aujourd’hui séduire Parsifal qui s’approche du château. Devant son
refus, Klingsor lui rappelle que l’homme qui lui résisterait pourrait la libérer de son influence;
qu’elle essaie avec celui-ci. Tout en sachant qu’elle est irrésistible, Kundry cède. Klingsor
ordonne tout d’abord à ses chevaliers (probablement des anciens serviteurs de Montsalvat)
d’attaquer Parsifal, mais il semble qu’ils ne soient pas de taille à lutter contre lui. Kundry est
saisie d’un rire hystérique et disparaît pour aller le rejoindre.
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Changement de décor et l’on se retrouve à l’intérieur des murailles. Végétation tropicale,
fleurs splendides et luxuriantes; au fond, le décor est limité par la muraille crénelée du
château contre laquelle s’adossent en saillie des terrasses et d’autres parties du palais, le
tout en un riche style mauresque.4
Les filles-fleurs arrivent précipitamment en déplorant les blessures de leurs chevaliers et
invectivent Parsifal lorsque celui-ci apparaît sur la muraille, mais voyant qu’il ne leur veut pas
de mal abandonnent bien vite leur jeu pour celui de la séduction. Absolument insensible à
leurs charmes et vite agacé par leurs avances, Parsifal veut s’en aller lorsque la voix de
Kundry qui l’appelle par son nom le fige sur place. Il reconnaît le nom que lui donnait sa
mère, se retourne et voit apparaître Kundry allongée sur un lit de fleurs. Celle-ci congédie les
filles-fleurs qui retournent au château soigner leurs amants.
Kundry lui conte alors sa jeunesse. Elle a connu son père, Gamuret, qu’elle a vu expirer le
nom de Parsifal sur les lèvres, elle a vu sa mère Herzeleide élever son enfant dans la crainte
que celui-ci devienne chevalier et connaisse le sort de son père. Lorsque Parsifal l’a quittée
pour suivre un groupe de chevaliers, elle est morte de chagrin, ne le voyant plus revenir.
Profitant alors de la souffrance de Parsifal à l’annonce de cette nouvelle, elle l’attire
graduellement vers elle et pose sa bouche sur la sienne en un long baiser.
Pourtant, ce baiser censé achever de séduire Parsifal lui fait tout comprendre à la fois et il
s’écarte de Kundry. Il a compris la douleur d’Amfortas qui est moins causée par la blessure de
la lance que par la honte d’avoir succombé au péché; il comprend d’où venait la plainte
(inaudible pour les autres personnes présentes, spectateurs compris) qui l’a fait porter les
mains à son cœur lors du banquet : le Christ lui-même le suppliait de l’enlever de « mains
impies. » (celles d’Amfortas). Il comprend donc qu’il a manqué son occasion de mettre fin à
la souffrance des habitants de Montsalvat. Tombant à genoux, il supplie le Christ de lui
indiquer comment réparer sa faute.
Kundry essaie à nouveau de l’embrasser et il revit tandis qu’elle se penche vers lui ce qu’a
vécu Amfortas lorsqu’il a perdu la lance. Effrayé, il la repousse encore une fois.
Commence alors la scène la plus impressionnante de l’opéra : Kundry est contrainte par les
pouvoirs de Klingsor à séduire Parsifal et en même temps, elle sait que lui seul pourrait lui
résister et la délivrer de sa malédiction. Cette malédiction, comme elle le lui explique, dure
depuis qu’elle a ri à la face du Christ lors de la montée au calvaire. A partir de cet instant, elle
se réincarne systématiquement dans le corps d’une pécheresse jusqu’à ce que le Rédempteur
recroise son chemin. Elle l’a reconnu en Parsifal et le supplie de s’unir à elle. Lui a compris
de son côté que s’il lui cède, ils seront damnés tous les deux et qu’il ne pourra plus sauver ni
elle ni Montsalvat. Il lui promet la rédemption si elle le mène devant Amfortas mais elle
refuse qu’il honore de sa pitié un homme qu’elle a raillé pour être tombé entre ses bras. Dans
une dernière tentative pour le séduire, elle le supplie de s’unir à elle pendant une heure et
alors elle lui montrera le chemin de Montsalvat. Comme elle essaie à nouveau de l’embrasser,
il la repousse une troisième fois et veut fuir.
Folle de rage, Kundry maudit les chemins qui pourraient les éloigner l’un de l’autre et appelle
Klingsor à l’aide. Celui-ci apparaît sur les remparts, armé de la sainte lance qu’il projette en
direction de Parsifal. Miraculeusement, la lance interrompt la course et plane au-dessus de sa
tête. Parsifal s’en saisit et fait le signe de la croix. Avec un épouvantable fracas, le château
s’effondre et l’endroit se change en un désert aride. Kundry tombe à terre avec un hurlement.
Parsifal lui lance : « Tu sais où tu peux me retrouver. » et s’éloigne tandis qu’elle se soulève
péniblement et le suit des yeux.
6
3ème Acte
Dans le domaine du Graal.
Paysage printanier, dégagé et riant; une prairie fleurie monte en pente douce vers le lointain.
Le premier plan est occupé par l’orée de la forêt qui s’étend vers la droite, sur une pente
rocheuse. Au premier plan, côté forêt, une source; en face de la source, une très simple hutte
d’ermite, sise un peu plus bas et adossée à un bloc de rocher. Nous sommes à l’aube.5
Des années ont passé. Gurnemanz, très vieilli, est devenu ermite et vit à l’orée de la forêt non
loin d’une source. Alerté par un sourd gémissement, il découvre Kundry inanimée dans un
buisson. Lorsque la vie revient en elle, elle pousse un cri de terreur et adopte aussitôt une
attitude prostrée. Elle ne réussit à articuler que « servir… servir » d’une voix pitoyable. Ce
seront ses seules paroles au troisième acte. Un chevalier en armure noire apparaît alors, armé
d’une lance. Gurnemanz le réprimande de porter des armes en ce jour; nous sommes en effet
un Vendredi-Saint. L’homme ôte son armure, plante la lance dans le sol et se met à prier avec
ferveur. Gurnemanz le reconnaît alors comme le jeune homme stupide qu’il avait chassé
autrefois. Parsifal se souvient de lui également. Après des années d’errances et de combats
lors desquels il n’osait se servir de la lance de peur de la profaner, il a enfin retrouvé le
royaume de Montsalvat. L’arme qui est plantée là dans le sol est en effet la sainte lance du
Graal.
Gurnemanz, de son côté, a de bien tristes nouvelles : Amfortas, n’en pouvant plus de souffrir
a espéré forcer la mort en laissant le Graal couvert d’un voile. Privés de sa vue, les chevaliers
vieillissent et faiblissent, personne ne leur confie plus de mission et Titurel est mort,
impuissant à prolonger sa vie encore. Pressentant que la fin de leurs maux est proche,
Gurnemanz décide de baptiser Parsifal afin de le laver de toute faute. Kundry lui lave les
pieds et les essuie avec ses cheveux tandis que le vieil homme le bénit et le salue comme leur
nouveau roi. Sans que Gurnemanz le remarque, Parsifal puise de l’eau à la source et baptise
également Kundry. La nature se réveille alors et exalte toutes ses splendeurs. Dans un long
monologue, Gurnemanz décrit l’enchantement du Vendredi-Saint tandis que Kundry pleure à
chaudes larmes; Parsifal la baise doucement sur le front. Les cloches de Montsalvat sonnent
midi au loin. Gurnemanz invite ses compagnons a se rendre au château car lors de
l’enterrement de Titurel, Amfortas a promis de dévoiler le Graal une dernière fois.
Changement de décor, on se retrouve à nouveau dans la grande salle de la forteresse du
Graal mais sans les tables destinées au repas. Eclairage sombre.6
Les chevaliers entrent portant le cercueil de Titurel et la litière d’Amfortas au son d’une
longue marche funèbre. On ouvre le cercueil et tous poussent un cri de douleur.
Amfortas se soulève un peu et déplore encore une fois les conséquences de son péché. Pire, il
a tué son père en voulant mourir lui-même. Comme les chevaliers le pressent de dévoiler le
calice, il se dresse avec désespoir et refuse, sachant bien que si il revoit le Graal il retournera à
la vie alors qu’il se sentait si près de mourir. Il les supplie même de le tuer à l’instant,
affirmant que le Graal ne pourra qu’en être satisfait. Comme les chevaliers reculent avec
effroi, Parsifal s’avance et touche la blessure de la pointe de la lance. La plaie se referme
miraculeusement. Il monte alors les marches de l’autel et dévoile le Graal qu’un rayon de
lumière fait aussitôt resplendir. Toute l’assemblée tombe à genoux, une colombe descend des
hauteurs et vient planer au-dessus de la tête de Parsifal et Kundry glisse lentement à ses pieds,
sans vie, enfin rachetée.
7
Le Graal, mythe chrétien ou païen ?
Les récits médiévaux
Le château de Monsalvage est décrit par Wolfram von Eschenbach comme une forteresse
imprenable, défiant l’attaque de quiconque ne fût pas muni d’ailes. Une confrérie de
chevaliers l’occupe, essentiellement dans le but de défendre une relique sacrée nommée le
Saint Graal.
Le Graal de Wolfram est une pierre (Lapis exilis), tombée des cieux, sur laquelle une colombe
descend une fois par année, le jour du Vendredi-Saint, déposer une hostie. Celle-ci ravive la
puissance divine du Graal et lui donne le pouvoir de prodiguer mets et boissons à la confrérie
qui en a la garde. La seule contemplation de cette pierre suffit à donner l’éternelle jeunesse et
une force hors du commun; de temps à autre, une inscription apparaît sur le bord de la pierre
désignant celui qui est destiné à entrer un jour dans la confrérie. Nulle autre personne ne peut
prétendre à cette tâche ni même entrer à Monsalvage. Durant la cérémonie à laquelle assiste
Parzival, le Graal est porté par une jeune fille vierge, cette dernière étant la seule à pouvoir le
faire car la tâche est réservée à un être chaste et pur.
D’ailleurs, l’endroit est rempli de belles femmes. Un cortège visant à apporter des chandelles
et des flambeaux précède le repas, ceux-ci sont amenés par vingt cinq jolies jeunes filles,
toutes richement vêtues. La vaisselle utilisée par les chevaliers est d’or, et il suffit à chacun
d’étendre la main en direction du Graal pour obtenir le plat qu’il désire. Pour Wolfram, le
Graal symbolise « l’inépuisable source des désirs de la terre » et ressemble à l’image que l’on
se fait du Paradis. A la fin du banquet, la pierre est emportée dans la pièce voisine où Parzival
a le temps d’apercevoir un vieillard « plus blanc qu’une nuée. »
Dans le récit de Chrétien de Troyes, le Graal à l’apparence d’une coupe faite de l’or le plus
pur et sertie de pierres précieuses. Il est également porté par une très belle demoiselle ellemême suivie par une autre pucelle qui porte un plat d’argent. Ce Graal ne fait toutefois que
traverser la salle du banquet pour aller dans une autre pièce, servir un personnage que l’on ne
voit pas.
Le repas qui suit est composé de mets rares, auxquels Perceval n’a jamais goûté. Entre chaque
plat, le Graal repasse devant leur table pour retourner ensuite dans la pièce voisine où le
personnage que l’on sert reste invisible.
Il est assez évident que la pierre dont parle Wolfram et nommée Lapis exilis, cette pierre qui
assure l’abondance et la richesse à son possesseur est au moins en partie à l’origine du mythe
de la Pierre Philosophale que les alchimistes ont cherchée pendant si longtemps. D’autre part,
la traduction de lapis exilis (petite pierre) ne correspond pas à l’idée que l’on s’en fait mais le
mot peut avoir évolué. On trouverait par exemple lapis ex coelis _ lapis ex caelis (pierre
venue des cieux), lapis ex illis (pierre tombée de celles-ci) ce qui désignerait les étoiles, ou
éventuellement lapis elixir qui nous mènerait à l’élixir de jouvence. Cette dernière solution
serait le lien avec la pierre philosophale.7
On prête d’ailleurs souvent au Graal des propriétés magiques comme le pouvoir de guérir les
blessures, de donner une vigueur supplémentaire à celui qui le voit et même de donner la vie
éternelle.
Il a revêtu plusieurs apparences suivant les auteurs qui l’ont fait apparaître dans leurs récits.
Ces apparences vont de la pierre précieuse à la coupe, en passant par le plat creux. Pourtant
les auteurs français ont soutenu l’hypothèse de la coupe car en langue d’oïl, on trouve pour
désigner le Graal les mots griau, gruau, gré, guerlaud, grélot, greil. En langue d’oc, il y a aussi
8
grazal et gréal notamment, et tous ces termes désignent quelque chose de creux. (plat, coupe,
seau, etc…)
La christianisation jusqu’à Wagner
Wagner s’est principalement inspiré, pour construire l’intrigue de son opéra du récit de
Wolfram von Eschenbach. Ce dernier, pour écrire son propre poème, avait suivit à la lettre
Perceval ou le Roman du Graal, roman inachevé du français Chrétien de Troyes et terminé
l’histoire. Selon ses propres dires, Chrétien a emprunté l’idée à un livre que lui aurait prêté le
comte Philippe de Flandre. Pourtant, si elle suit la trame du poème de Wolfram, la version de
Wagner s’en écarte considérablement par la présence de nombreux symboles religieux,
chrétiens en particulier.
L’écrivain Julien Gracq (Louis Poirier de son vrai nom) a écrit dans la préface de son
roman Le Roi Pécheur : « Les deux grands mythes du Moyen Age, celui de Tristan et celui du
Graal, ne sont pas chrétiens. A toute tentative de baptême à retardement et de fraude pieuse, le
cycle de la Table Ronde se montre, s’il est possible, plus rebelle encore.8 »
Dans les deux récits, on trouve une quantité de richesses sans précédent. Cette similitude
n’est pas très étonnante puisque l’on sait que Wolfram s’est largement inspiré du roman de
Chrétien de Troyes pour écrire son propre poème, mais est tout de même sujette à réflexion.
N’oublions pas que la religion chrétienne est sensée encourager la pauvreté et l’humilité. Que
dire alors lorsque l’on trouve les gardiens de l’un de ses symboles les plus importants vivre
dans l’opulence ? La raison est que le mythe du Graal n’est pas chrétien, du moins à cette
époque là et que l’enseignement de Jésus ne l’influence pas.
La légende est, à la base, d’inspiration celtique. Les récits de Chrétien et Wolfram ne
comportent pas d’éléments visant à rattacher le Graal à la coupe du Christ. Pour eux, il est
uniquement une pierre ou un vase qui procure l’éternelle jeunesse à ceux qui le protègent et
qui tire sa force d’une hostie apportée chaque Vendredi Saint par une colombe. (Notons ici
que le Vendredi Saint est tout de même le jour de la mort de Jésus.) Par ailleurs, la
communauté que décrit Wolfram est chrétienne mais extra-cléricale puisqu’elle communie
avec Dieu hors des murs d’une église, encore que la cérémonie du repas fasse penser à la
communion d’une messe.
Le mythe, bien que déjà christianisé n’assimile pas encore le Graal à la coupe du Christ, ce
qui se fera plus tard, au fil des nombreuses versions qui suivront. En 1215, un cycle de
poèmes écrits en Angleterre par Robert de Boron, gentilhomme franc-comtois, présentait le
Graal comme le plat dans lequel Jésus avait mangé l’agneau lors de la Cène et où Joseph
d’Arimathie avait recueilli son sang. Je note pourtant qu’il n’est pas fait mention dans les
évangiles d’une quelconque coupe lors de la crucifixion. Le sang de Jésus s’y trouve déjà au
moment de la Cène, symbolisé par le vin et c’est probablement ce qui a donné naissance au
mythe de la blessure reçue sur la croix. Le Graal était sensé se trouver en Angleterre, gardé
par les descendants de Joseph d’Arimathie. Ces poèmes ont puissamment contribué à la
christianisation du mythe, notamment dans la troisième continuation du roman de Chrétien de
Troyes dite « continuation Mannessier. »
Le fait que le calice soit celui de Jésus, la lance celle de Longin, qu’une colombe (le SaintEsprit ?) renouvelle la force vitale du Graal précisément un Vendredi Saint, tout cela est
progressivement entré dans la légende et a contribué à son évolution.
Pour Wagner, le Graal est bien la coupe dont s’est servi Jésus lors de la cène et qui a ensuite
recueilli son sang, Gurnemanz le dit très clairement dans son récit du premier acte. La lance
qui a transpercé le flanc du Christ fait également partie du Graal. La présence de ces reliques
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à Montsalvat s’explique par le fait qu’une nuit, une cohorte d’anges envoyés par le Sauveur
est descendue sur la terre pour les confier à Titurel dans le but de rendre témoignage de son
action salvatrice car, en ce temps-là, le royaume de la foi se trouvait menacé.
Le compositeur n’a toutefois pas limité son étude du sujet à Chrétien de Troyes et Wolfram
von Eschenbach. Il a lu, outre les continuations du Perceval de Chrétien un texte anonyme,
Pérédur dans lequel on trouve une lance qui saigne et un récipient rempli de sang et dans
lequel nage une tête d’homme. Ce texte en prose, probablement antérieur à Perceval, se
trouvait dans un ouvrage intitulé Les contes des anciens bretons et réédité plus tard sous le
titre de Les romans de la table ronde et les contes des anciens bretons. Mais Wagner a passé
sous silence les noms de bien d’autres ouvrages.
Les symboles des récits de Chrétien et Wolfram trouvaient donc leurs sources dans ces
vieilles légendes bretonnes mais, encore une fois, nous sommes bien loin de la coupe du
Christ ou de la pierre divine.
La lance dont la pointe saigne apparaît dans les deux récits. Elle ne manque jamais d’attirer
l’attention de notre héros mais ne semble assimilée au Graal lui-même ni chez Chrétien, ni
chez Wolfram, contrairement à son importance dans la version de Wagner.
Chez Wolfram, elle fait une brève apparition dans la salle, portée par un écuyer. Une fontaine
de sang jaillit de la pointe et coule le long du bois jusque dans la manche du porteur. A sa vue,
toute l’assemblée éclate en sanglots comme si la vue de cette relique éveillait en eux de
pénibles souvenirs. Chez Chrétien, la lance portée par un valet fait aussi une brève apparition
lors du banquet. Une goutte de sang vermeille est visible sur sa pointe.
Malheureusement, Perceval ou le roman du Graal est resté inachevé mais dans le poème de
Wolfram, on a l’explication de ce phénomène à la fin, juste avant que Parzival revienne à
Monsalvage le Vendredi-Saint. Amfortas doit sa blessure à la lance d’un païen mû par le désir
de posséder le Graal. Bien que victorieux lors du combat il est blessé aux organes génitaux
par la lance empoisonnée de son adversaire. Celle-ci pourrait donc bien être l’arme portée par
un écuyer, ce qui expliquerait les gémissements d’affliction poussés par l’assemblée lors de sa
présentation. Mais comme il est dit plus haut, la christianisation du mythe commencée par
Chrétien a fait son œuvre et de plus en plus, on a assimilé la lance à celle qui perça le flanc du
Christ. Wagner va choisir cette version des faits pour construire son opéra; de nombreux
symboles chrétiens s’y retrouvent : la colombe, les voix célestes supposées celles d’anges, ces
mêmes anges qui descendent du firmament pour apporter la coupe et la lance à Titurel…
Dans la version wagnérienne, apparaissent également d’autres religions. La question sera
développée dans un prochain chapitre. (cf. Les influences du bouddhisme et de
Schopenhauer.)
Amfortas et la blessure du Christ
Amfortas, le roi pécheur, est chez Wagner le fils de Titurel. Le compositeur a suivi la version
de Chrétien de Troyes vraisemblablement pour ne pas s'embarrasser d’une génération
supplémentaire. Dans l’œuvre de Wolfram, il est le fils de Frimutel et le petit-fils de Titurel. Il
y est décrit comme quelqu'un de tout à fait digne de succéder à son père par sa force et sa
bravoure; pourtant, c’est un homme qui dès son adolescence manifeste un très fort intérêt
pour l’amour. Il choisit une femme sans le consentement du Graal et s’adonne à de fréquentes
histoires amoureuses.
10
C’est d’ailleurs en chevauchant pour chercher aventure qu’il reçoit la blessure qui sera pour
lui un tel sujet de souffrances. Ironie du sort ou plutôt décision divine, c’est aux organes
génitaux qu’il sera touché; Wolfram le dit très élégamment : « Une lance empoisonnée
atteignit ton pauvre oncle là même où il avait péché. »
De même que Chrétien de Troyes, Wagner situe la blessure sur le côté et non aux organes
génitaux. La raison est probablement qu’il voulait accentuer la comparaison avec le Christ,
transpercé lui aussi sur le côté. Ce phénomène se retrouve extrêmement souvent car Wagner
se faisait apparemment une joie de suggérer des scènes bibliques, je citerai ici la scène où
Kundry lave et parfume les pieds de Parsifal, au troisième acte. Je reparlerai de cet épisode
plus tard et ne vais pas m’y étendre pour l’instant. (cf. L’enchantement du Vendredi Saint et
l’allégorie biblique. )
D’autre part, dans l’opéra, Amfortas ne se rend coupable du péché de la chair que dans un
instant d’abandon et n’est pas le seul à y avoir succombé alors que pour Wolfram, c’est
depuis longtemps qu’il se perd dans des transports amoureux. Mais Wagner ajoute une autre
faute à celle-ci : la profanation de la Sainte Lance. Amfortas a osé se servir de la relique
sacrée comme d’une arme guerrière et doit être puni pour cela. Je fait ici remarquer au lecteur
qu Parsifal prendra bien soin de pas l’utiliser au combat lors de son retour à Montsalvat. Mais
bien pire, c’est toute la confrérie de Montsalvat qui est punie à cause de lui car le Graal est
désormais partagé et manipulé par deux personnes, Amfortas qui le souille de ses mains
impies et Klingsor qui s’est emparé de la lance, lui-même coupable d’un désir charnel
insatiable. La plainte désespérée que Parsifal entend lors de la cérémonie du premier acte,
« Sauve-moi, enlève-moi de mains impies ! », prendrait alors une double signification. C’est
peut-être aller trop loin que de dire cela car d’après le texte de l’opéra, il est clair que Parsifal
ne songe qu’à Amfortas dans son monologue du deuxième acte où il se remémore la scène.
De plus, il faut noter le fait que Parsifal n’est pas supposé connaître l’existence de la Sainte
Lance à ce moment-là, même Kundry ne l’a pas encore mentionnée. Il existe tout de même
une différence capitale entre le personnage de Wolfram et celui de Wagner : la raison de sa
souffrance. Dans le récit moyenâgeux, le roi pécheur souffre physiquement tandis que pour
Wagner, sa souffrance est avant tout morale.
Avant de bénir l’assemblée, au début du banquet, Amfortas revit un bref instant l’acte qu’il
s’apprête à faire comme tous les jours. Il se voit élevant la coupe et accomplissant son devoir
sacré tout en étant le seul pécheur en ces murs. Il sait également que l’on ne peut pas
empêcher sa plaie de saigner et qu’elle répand incessamment un sang chargé de péchés, cette
plaie faite au Christ par la même arme, au même endroit alors que de la blessure de ce dernier
coulait un sang de miséricorde et de sainteté. En s’identifiant ainsi au Christ, Amfortas est
accablé par la honte et le sentiment d’indignité qu’il inspire; mais cela, les chevaliers ne le
comprennent pas et ne pensent qu’à contempler le Graal en vue de leur propre intérêt, c’est à
dire comme source de vie. Ils ne se rendent pas compte que contrairement au roman de
Wolfram, Amfortas ne souffre pas seulement de sa blessure et du fait que la contemplation du
Graal prolonge ses douleurs physiques en l’empêchant de mourir mais davantage de la honte
profonde d’avoir à tenir dans ses mains la coupe du Christ qui lui rappelle encore et encore
son indignité.
C’est vraisemblablement la raison pour laquelle Wagner a situé la blessure au flanc plutôt
qu’aux organes génitaux, pour pouvoir établir la comparaison et ajouter un motif de
souffrance pour le roi. La tension dramatique et psychologique de la scène s’en trouve
amplifiée et Wagner, une nouvelle fois, ajoute du sien à la légende.
11
Kundry, le chemin de la rédemption
Ses trois natures
Kundry est sans conteste le personnage le plus original de Wagner. Après les grands rôles
féminins tels Elizabeth, Elsa, Brünnhilde, Iseult qui sont généralement empreints de noblesse,
on a sous les yeux une femme qui n’inspire pas le moindre sentiment positif si ce n’est une
profonde pitié. Les noms par lesquels on l’appelle dans l’opéra sont tous péjoratifs. Les voici
dans l’ordre d’apparition : la farouche amazone, la sauvagesse, une païenne, une magicienne,
une femme d’une effrayante beauté, archi diablesse, rose infernale, femme maudite, fiancée
du Diable, corruptrice, blasphématrice, femme fatale, insensée.
Qu’est-elle réellement ?, la question se pose. Le personnage possède deux apparences et cette
fois, il n’y va pas de la faute d’un quelconque heaume magique; elle ne peut s’y soustraire.
Cette constante dualité rend son caractère plus difficile encore à cerner, d’autant plus que
chacun des trois actes de l’opéra la présente différemment.
Au premier acte, Gurnemanz admet la possibilité d’un enchantement qui la force à expier une
faute commise dans une vie antérieure. Les services qu’elle rend à la confrérie du Graal
feraient partie de son action rédemptrice. Pourtant elle n’était pas là pour les aider lorsque
Amfortas a perdu la Sainte Lance. D’ailleurs à chaque fois qu’elle est absente, des chevaliers
passent du côté de Klingsor, elle-même répète à trois reprises qu’elle ne fait jamais le bien. La
raison est que si elle fait en effet le bien à Montsalvat, ce n’est pas le cas quand elle est chez
Klingsor. Chacune de ses bonnes actions envers le Graal est effacée par le fait qu’elle sert
également l’ennemi du Graal. Néanmoins, après que Parsifal aie tenté de l’étrangler, il
balbutie qu’il meurt de soif et elle se dépêche d’aller lui chercher de l’eau, répondant au mal
par le bien. Mais dès que Gurnemanz le lui fait remarquer, elle reprend son attitude farouche
comme si elle avait peur de redevenir quelqu’un de bien de temps à autres.
Le public ne peut pas comprendre tout de suite cette attitude visant à refuser toute
reconnaissance et se considérer comme un être malfaisant alors qu’elle fait tout pour aider les
chevaliers; il ne comprendra qu’au deuxième acte. Un indice est cependant semé par
l’orchestre durant le récit de Gurnemanz. Un leitmotiv caractéristique de Kundry et déjà
entendu lors de l’arrivée précipitée de celle-ci se fait entendre quand il parle de la mystérieuse
femme qui a séduit Amfortas.
Titurel l’avait trouvée endormie dans la forêt lorsqu’il construisait le château. Gurnemanz lui
aussi, comme il le signale dans son récit, l’a découverte dans le même état après la perte de la
lance. Plus simplement dit, lorsque Klingsor a besoin d’elle, il la plonge dans un sommeil
hypnotique et la réveille dans un autre corps de l’autre côté des montagnes.
Le phénomène se répète avec l’arrivée de Parsifal à Montsalvat. Apparemment, Kundry a
reconnu en lui le chaste fol bien avant Gurnemanz et suggère discrètement la chose, appuyée
par l’orchestre qui cite le thème de la prophétie. Elle l’appelle « Tor » (fou) comme dans la
prédiction (der reine Tor) et entrevoit peut-être bien la possibilité qu’il soit son rédempteur.
Elle est soudain de nouveau en proie à l’enchantement du magicien et s’endort après avoir
vainement essayé d’y résister. Ici encore, on ne comprend la raison de ce sommeil que plus
tard.
On la retrouve au deuxième acte. Sa réincarnation évoquée par Gurnemanz se trouve ici
confirmée. Dans son incantation, Klingsor l’appelle de plusieurs manières. Se trouvent dans la
liste quelques uns des noms qu’elle a portés, parmi eux Hérodias, Gundryggia. Cette dernière
12
était une walkyrie de l’Edda, poème scandinave; Wagner l’avait lu pour concevoir le Ring et
c’est probablement de là qu’il tire ce nom. Notons que les deux premières syllabes du mot
sont extrêmement proches du nom de Kundry. A mon avis, la raison qui fait que Wagner cite
ce nom ici est avant tout musicale. (Le texte est : Gundryggia dort, Kundry hier.)Hérodias
était également le nom d’une walkyrie mais il est plus crédible que Klingsor parle ici de la
femme d’Hérode Antipas, le tétrarque romain qui a fait couper la tête de saint Jean-Baptiste
en échange de l’amour de sa nièce Salomé. On raconte tout de même que c’est Hérodias qui
aurait été l’instigatrice du meurtre. Un peu plus tard, Wagner la fait rire à la face du Christ
lors de la montée au calvaire. C’est tout à fait possible si l’on considère que la passion de
Jésus date de l’an +30, Hérodias avait encore neuf ans à vivre. Par contre, rien ne prouve
qu’elle ait assisté à la crucifixion. Une deuxième hypothèse dit que cela pourrait être
simplement Jean-Baptiste qui a posé son regard sur Kundry et qu’elle appelle « lui » au
deuxième acte.
Pourtant, lorsqu’elle prononce ces paroles, les cordes font entendre à l’orchestre une des
nombreuses variations du premier thème du prélude de l’opéra. Or, le 12 novembre 1880,
Wagner avait rédigé un programme pour le prélude de Parsifal à l’intention de Louis II de
Bavière lors d’une exécution privée.9 Dans ce texte, il appelle le leitmotiv qui nous intéresse :
l’amour. Le compositeur a ajouté en-dessous les paroles qui collent avec ce même thème
lorsqu’il est exposé au début de la cérémonie du premier acte. « Prenez mon corps, Prenez
mon sang, Au nom de notre amour ! Prenez mon sang, Prenez mon corps, en mémoire de
moi ! » Comme chacun le sait, ce sont les paroles de Jésus à ses apôtres lors de la Sainte
Cène. En connaissant l’utilisation à la fois complexe et précise que Wagner fait du leitmotiv,
particulièrement dans ses derniers opéras, on ne peut avoir de doute : c’est bien au Christ
qu’il a pensé.
Wagner a donc laissé ici une incertitude quant à la crédibilité de cet événement, l’important
étant que les vies antérieures de Kundry aient été des existences peu recommandables. En
prêtant ainsi un nouveau méfait à Hérodias, il ne fait que s’infiltrer dans un mythe et y laisser
son empreinte, ce qu’il a fait dans presque toutes ses œuvres dramatiques y compris Parsifal.
Par exemple, pour le scénario du Crépuscule des dieux, dernier volet du Ring, il a en réalité
déformé l’intrigue d’un premier opéra, La mort de Siegfried, plus ou moins fidèle à la légende
des Nibelungen pour construire ensuite le reste de la tétralogie.
Le cri d’effroi que Kundry pousse en s’éveillant et découvrant où elle se trouve nous prouve
toute l’étendue de son désespoir; elle ne perd pourtant rien de son comportement sauvage.
Elle est désormais une femme fabuleusement belle, la même qui a séduit Amfortas pour
permettre au magicien de dérober la lance. Mais cette fois, Klingsor se rend compte de l’enjeu
qu’il y a à neutraliser Parsifal; s’il succombe aux charmes des filles-fleurs ou de Kundry, il
perdra sa pureté et la prophétie ne pourra plus se réaliser. Mais celui-ci est protégé par son
ignorance. Il n’a aucune connaissance du bien et du mal et risque bien d’être insensible aux
charmes des filles-fleurs. Il ordonne donc à Kundry de tout mettre en œuvre pour le séduire.
Celle-ci est désespérée car, comme le lui rappelle Klingsor, seul l’homme qui lui résisterait
pourrait la délivrer de sa malédiction; or elle se sait irrésistible. La mort dans l’âme, elle cède
car elle ne pourra trouver son sauveur que si elle teste sa résistance.
D’autre part, la malédiction dont use Klingsor pour la contraindre à le servir est la plus forte,
elle va donc tout faire pour ravir sa pureté à Parsifal et par la même occasion se condamner à
errer éternellement ayant ruiné sa seule chance de salut.
Puisque Parsifal est resté tout à fait insensible au charme purement sensuel prodigué par les
filles-fleurs, elle va employer un moyen beaucoup plus subtil. Elle commence par l’appeler
par son nom -elle sera d’ailleurs la seule à l’appeler ainsi dans tout l’opéra- et Parsifal
reconnaît instantanément le nom que lui donnait sa mère. Kundry continue à parler de celle-ci,
13
comment elle aimait son enfant, comment elle l’a élevé dans l’espoir qu’il ne connaisse pas le
même sort que son père en devenant chevalier, comment elle s’est vue abandonnée par lui,
comment elle est morte de chagrin en ne le voyant pas revenir. En entendant ce récit, Parsifal
s’effondre de douleur, torturé par le remords comme elle le prévoyait. Elle invoque
maintenant l’impossibilité pour lui de rendre son affection à sa mère du fait de la mort de
celle-ci mais l’encourage à reporter cette affection sur elle. Il comprendra ainsi l’amour qui
saisissait son père à la vue de la femme aimée.
La technique de séduction de Kundry consiste en fait en une initiation à l’amour. Pourtant il
faut soulever un point important : l’amour proposé ici n’est rien d’autre qu’une relation
incestueuse. Wagner anticiperait ici une des théories les plus célèbres de Sigmund Freud, à
savoir le complexe d’Œdipe. Selon ce dernier, un garçon ressentirait dans ses premières
années une attirance sexuelle pour sa mère. Il convient de préciser que l’inceste fait partie de
l’illusion que crée Kundry car elle n’est pas réellement la mère de Parsifal.
Kundry cherche donc peut-être à éveiller en Parsifal ces sentiments de son extrême jeunesse
en profitant du fait que celui-ci, torturé par le remords est à la fois en manque d’affection et
moins capable de se rendre compte de ce qu’il fait. Cette affection, elle va la lui donner en se
substituant à sa mère et en lui faisant prendre lui-même le rôle de son père pour un instant.
Si nous allons loin dans notre raisonnement, Wagner serait ici un précurseur de la
psychanalyse freudienne. La théorie du complexe d’Œdipe ne verra pas le jour avant une
vingtaine d’années. Pourtant, il y manque tout de même un élément fondamental, à savoir le
meurtre du père. Ce n’est donc là qu’une partie de cette théorie que présente Wagner avec la
scène du deuxième acte.
Quelque soit la raison pour laquelle elle réussit à éveiller ces sentiments chez Parsifal, sa
séduction opère et elle lui donne un long baiser pour achever d’endormir sa raison. Comme on
le sait, le baiser éveille en Parsifal la conscience de sa mission, il comprend qu’il doit résister
sous peine d’être damné et de ne plus pouvoir ainsi accomplir la prophétie.
Commence alors la scène la plus folle de l’opéra, une scène entre Parsifal, conscient qu’il doit
repousser les avances de Kundry sous peine de les damner tous les deux et celle-ci qui est
contrainte par sa malédiction à tenter de le séduire pour sa perte. Tentant une deuxième fois
de l’embrasser pour le faire retomber dans le désir, elle se voit repoussée à nouveau et traitée
de corruptrice. Elle redevient elle-même le temps de lui conter la détresse dans laquelle elle
vit depuis si longtemps. Toute sa vie, ou plutôt ses vies, elle a cru avoir trouvé son sauveur et
l’instant d’après, il cédait à ses charmes et se révélait n’être qu’un pécheur de plus. Un rire
effrayant la prenait alors, un rire hystérique, le même qui l’avait prise devant Jésus. Elle est
condamnée à ne pouvoir que rire, crier, sans jamais pouvoir se soulager dans les larmes,
condamnée à se repaître de sa propre souffrance.
Durant ce monologue, Kundry garde tout de même bel et bien à l’esprit l’idée de le séduire
car elle finit par lui demander de s’unir à elle une heure afin d’être absoute en lui, discours
totalement contradictoire car l’union charnelle ne peut mener qu’à la damnation pour tous les
deux. Elle continue en faisant valoir que s’il a acquis « universelle clairvoyance » par le seul
fait d’un baiser, l’acte sexuel ferait de lui un dieu. Il pourrait sauver le monde si il le veut et la
laisser éternellement damnée, elle-même dit n’en n’avoir cure. Il n’est pas impossible qu’à
partir de ce moment, elle devienne tout simplement amoureuse de lui, s’étant laissé prendre à
son jeu.
Pourtant Parsifal refuse car il sait qu’il est de son devoir de la sauver elle aussi.. Kundry fait
une dernière tentative pour l’embrasser et il la repousse une troisième fois.
Son côté maléfique prend alors définitivement le dessus et elle laisse éclater sa rage. Furieuse
d’avoir échoué, elle maudit les chemins qui pourraient l’éloigner d’elle, le condamnant à ne
retrouver le Graal que lorsqu’elle y sera elle-même parvenue.
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Ensuite, tout se passe très vite, Klingsor apparaît et jette la lance sur Parsifal; celle-ci
s’immobilise au-dessus de sa tête, il s’en saisit et fait le signe de croix. Klingsor et tout ce
qu’il possède sont anéantis en un instant. C’est la moitié de la délivrance pour Kundry; elle
est désormais affranchie du pouvoir du magicien et en a fini avec sa deuxième existence.
Au troisième acte, c’est une troisième Kundry que l’on retrouve. Elle est à nouveau comme
Titurel et Gurnemanz l’avaient déjà trouvée, couchée dans un buisson, à demi morte. Depuis
combien de temps se trouve-t-elle là ? Ce dernier se pose la question en la découvrant. Des
années ? Ce n’est pas impossible, compte tenu du fait que la magie tient une grande place
dans l’histoire, mais il faut à mon avis considérer qu’elle vient d’arriver. En effet, si elle était
là depuis longtemps, Parsifal aurait déjà retrouvé Montsalvat.
Lorsque Gurnemanz réussi à la tirer de son état léthargique, elle s’éveille en poussant un cri
atroce, comme si elle se rendait compte de sa situation et de la gravité de ses actes. Elle
s’imagine peut-être ne plus revoir Parsifal et devoir reprendre son rôle de femme servile.
Elle porte à nouveau les vêtements qui la couvraient au premier acte. Son attitude a également
changé, elle a perdu toute arrogance et se déplace péniblement, comme écrasée par tous ses
péchés. Lorsque Gurnemanz s’offusque qu’elle n’ait même pas un mot de remerciement pour
lui qui lui a sauvé la vie, elle balbutie péniblement deux mots : « servir…servir ! » Kundry a
apparemment décidé de s’infliger une punition à elle même en servant à nouveau loyalement
Gurnemanz. Ses paroles tombent pourtant à plat quand il lui dit que plus personne n’envoie de
messager au loin. Elle se traîne alors jusqu’à la hutte et, ayant rempli une cruche d’eau, se met
au travail, résignée à cette vile corvée. Par la suite, elle ne parlera même plus, ayant peut-être
décidé d’ajouter cet aveu de soumission à l’autre. Elle n’a du reste aucune raison de faire
entendre sa voix. Parsifal n’a pas besoin qu’on lui apprenne quelque chose, elle n’est chargée
d’aucune mission et si elle reste auprès de lui, c’est uniquement pour recevoir l’absolution.
Les seuls rappels de Kundry, mis à part son jeu de scène s’entendent à l’orchestre avec ses
leitmotivs qui reviennent de temps à autre. Le mime suffit parfaitement à son rôle de femme
prostrée et c’est mieux ainsi car on ne peut pas l’imaginer joindre sa voix au chœur final des
chevaliers. On lui accorde la rédemption, point final.
Après avoir été un animal farouche et une orgueilleuse séductrice, elle n’est maintenant
qu’une pauvre femme qui attend d’être absoute et qui a honte de regarder son sauveur en face
après sa conduite envers lui. Elle fera preuve durant toute la scène dans la forêt d’une grande
humilité car elle espère toujours le pardon.
Wagner symbolise cette demande en représentant la scène du deuxième testament dans
laquelle Marie-Madeleine lave et oint les pieds de Jésus pour se faire pardonner. Kundry fait
pareil, implorant la rédemption par ce geste et, comme à Marie, elle lui est accordée. (Voir
l’enchantement du Vendredi Saint.) Accordée certes mais en cachette. Parsifal attend que
Gurnemanz soit allé posé son armure dans la hutte pour baptiser Kundry, ne désirant peut-être
pas apprendre au vieillard la raison de ce baptême. Dès qu’elle reçoit celui-ci, elle baisse la
tête jusqu’à terre et fond en larmes. C’est signe qu’elle est désormais libérée de sa
malédiction, elle qui ne pouvait que rire.
Je me permet d’ouvrir ici une parenthèse. A la lecture de ce qui précède, il est clair que
Parsifal reconnaît sa séductrice en cette femme prostrée qui implore le pardon. Pourtant,
Wagner écrivait sur la partition : « Ce qui suit est un mystère, nous ne savons pas si Parsifal
reconnaît Kundry ou non.10 » Voulait-il signifier au metteur en scène son désir de conserver
l'ambiguïté des paroles de Parsifal et son comportement ? Je ne fait que le supposer. Pour
revenir à Kundry, je pense pouvoir dire sans me tromper qu’elle reconnaît son sauveur au
premier coup d’œil.
A partir de là, son rôle s’arrête, elle suit Gurnemanz et Parsifal jusqu’à Montsalvat et se
détache avec eux du groupe des chevaliers lorsque ce dernier referme la plaie d’Amfortas en
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la touchant de la lance. Lors de la dernière prière entonnée par les chevaliers, les pages et des
voix au sommet de la coupole, elle lève les yeux vers Parsifal et « glisse lentement à terre,
sans vie. » Son cycle de réincarnations est terminé, rester ici n’aurait plus aucun sens pour
elle. Elle n’est ni de ce temps ni de ce monde et en a du reste suffisamment assez de la vie
pour accueillir cette délivrance avec reconnaissance.
Un rôle à part
La raison du silence de Kundry au troisième acte n’est pas comprise par tout le monde si l’on
prend l’exemple de la soprano Leonie Rysanek, véritable fanatique du rôle qui déclare lors
d’un entretien en 1981 « J’avoue ne pas comprendre pourquoi il ne donne rien à chanter à
Kundry au troisième acte. Pourquoi a-t-il voulu seulement des voix d’hommes à la fin ? Cela
me frustre de n’avoir qu’à dire : Dienen…dienen !11 »
C’est là le point de vue d’une actrice qui a chanté Brünnhilde et Isolde dans sa carrière.
Brünnhilde termine le Ring par un monologue de plus de vingt-cinq minutes avant de se jeter
dans les flammes du bûcher funéraire de Siegfried pour le rejoindre dans la mort. Isolde
termine également l’opéra en mourant sur le cadavre de Tristan après quatre heures de scène
où elle tient la vedette. Bref, deux rôles qui permettent à une soprano de se faire remarquer et
lors desquels un accident est vite oublié, la chanteuse disposant d’assez de temps pour se faire
pardonner.
Le cas de Kundry est tout autre. Très peu à chanter lors du premier acte, une intervention
presque entièrement située dans une tessiture d’alto et qui ne permet pas de séduire le public.
Au deuxième acte, elle tient le rôle principal et commence par un long solo toujours dans le
médium. Après le baiser, elle monte jusqu’à rester en grande partie dans la tessiture d’une
soprano dramatique. Une petite perfidie lui est tout de même réservée avec un si suraigu
d’attaque suivit immédiatement d’un do dièse grave ce qui fait un saut de presque deux
octaves. Le deuxième acte se termine à nouveau sur le si suraigu fortissimo lorsqu’elle maudit
Parsifal avant l’intervention de Klingsor. Après toutes ces épreuves techniques qui
n’impressionnent pas outre mesure le public moyen, elle ne peut malheureusement pas
compter sur le troisième acte pour se racheter (et ce malgré son baptême…) après une
éventuelle défaillance technique car elle n’y chante que quatre syllabes.
L’ambitus inhabituel du rôle mérite qu’on s’y attarde un peu. Il est en effet incroyablement
étendu (du sol grave au si aigu, soit plus de deux octaves) et concerne tout aussi bien le
registre d’alto que celui de soprano. C’est une exception dans le répertoire wagnérien et même
dans le répertoire en général à ma connaissance. La raison en est peut-être la volonté de
renforcer la dualité du personnage et son aspect maléfique par le timbre particulier de la voix
de femme dans le grave. Wagner n’a par ailleurs pas l’habitude de représenter la méchanceté
par une voix excessivement grave car mis à part le géant Fafner; ses « méchants » (Albérich,
Hunding, Hagen, Mime, Melot, Klingsor,…) n’abordent le registre grave que rarement, une
voix de ténor étant réservée aux personnages hypocrites de Mime et Melot.
Cette étendue vocale anormalement grande a également posé problème au compositeur pour
la création et il est étonnant de remarquer que la cantatrice Amalie Materna qui a créé le rôle à
Bayreuth en 1882 était une mezzo-soprano et que certaines éditions de l’opéra définissent
l’ambitus de Kundry comme tel.
Les sources de Wagner
Pour créer son personnage, Wagner s’est inspiré de plusieurs héroïnes de Wolfram von
Eschenbach et de Chrétien de Troyes.12
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Chez ce dernier, on trouve tout d’abord une pucelle que Perceval rencontre à la cour du roi
Arthur. Le fou du roi avait dit autrefois, qu’elle ne rirait plus « jusqu’au jour où reviendrait le
seigneur de toute chevalerie. » Lorsque Perceval la salue, elle éclate de rire et lui dit : « Si tu
vis assez vieux, je pense et je crois en mon cœur que par tout le monde n’y aura nul meilleur
chevalier que toi ! » Furieux et probablement malade de jalousie, le sénéchal Keu qui s’était
moqué du jeune homme la gifle violemment et précipite le fou dans la cheminée. Perceval,
gêné s’en va.
La pucelle a pu voir en lui autre chose qu’un jeune garçon ignorant de même que Kundry qui
semble reconnaître en ce jeune homme stupide le « pur innocent » qui sera le rédempteur
annoncé par la prophétie.
Wolfram parle aussi d’une femme qui prédit à Parzival de grandes choses avant d’arriver chez
Arthur et d’une muette qui recouvre la parole en le voyant.
Plus tard, lors de son piteux départ du château du Graal où il a manqué l’occasion de sauver le
roi pécheur, il rencontre une jeune fille qui pleure sur le cadavre d’un chevalier à la tête
tranchée. Elle apprend où il a dormi cette nuit là et lui demande alors si il a posé une question
au roi au sujet de son mal. Devant sa réponse négative, elle lui explique qui est ce roi blessé et
qu’on appelle le roi pêcheur parce que, privé de l’usage de ses jambes, il se promène en
barque et pêche à l’hameçon.
Perceval se voit alors demander son nom. Lui qui ne le connaissait pas a soudain une sorte de
révélation et répond qu’il s’appelle Perceval le Gallois. La jeune fille (dont Wolfram parle
également et qui s’appelle Sigune) le reconnaît alors, lui adresse de vifs reproches quant à sa
conduite et lui apprend que sa mère est morte de chagrin lorsqu’il l’a quittée; Perceval est son
cousin bien qu’il ne se rappelle pas d’elle. Celui-ci, bouleversé par ce qu’il vient d’apprendre,
la quitte, la laissant pleurer son compagnon mort.
Cette scène s’apparente à celle du deuxième acte, lorsque Kundry donne des détails à Parsifal
sur la mort de sa mère et surtout lorsqu’elle lui apprend son nom.
Encore plus tard, après de multiples aventures, Perceval rencontre le roi Arthur qui depuis
leur rencontre ne cesse de se déplacer avec sa cour dans l’espoir de le retrouver. Lors d’une
grande fête en son honneur qui dure depuis trois jours, une pucelle montée sur une mule jaune
se présente devant le roi et Perceval. Voici la description qu’en donne Chrétien : « Ses deux
yeux n’étaient que deux trous, pas plus gros que des yeux de rats. Son nez était un nez de
chat, ses lèvres d’âne ou bien de bœuf, ses dents jaunes comme jaune d’œuf. Sa barbe était
celle d’un bouc. Sa poitrine toute bossue, son échine toute tordue. Reins et épaules très bien
faits pour mener le bal ! Une autre bosse dans le dos, jambes tordues comme verge d’osier
très convenables aussi pour la danse. »
Elle reproche violemment à Perceval sa conduite au château du Graal et le prévient qu’il est la
source de tous les maux qui s’abattront sur le roi Pêcheur et sa cour. Elle dit aussi qu’elle
habite très loin d’ici, dans un endroit qui s’appelle le Château Orgueilleux. Là, vivent plus de
cinq cent chevaliers avec leur compagnes également nobles et belles. Sur une colline s’élève
le château de Montesclaire dans lequel une demoiselle et retenue prisonnière. Gauvain se
propose d’aller la libérer et s’en va. A partir de là, le récit parle de ses aventures.
Le château aux nombreux chevaliers et leurs compagnes est peut-être en rapport avec ce qui
sera la forteresse de Klingsor et les filles-fleurs qui l’habitent dans Parsifal.
Une quatrième et dernière femme chez Chrétien de Troyes a servi à Wagner pour créer
Kundry et c’est assurément elle qui lui a donné l’essentiel de son caractère. Cette femme,
nommée l’Orgueilleuse de Nogres se rencontre dans les aventures de Gauvain. Celui-ci la
rencontre à son arrivée dans un château enchanté où se trouve une chambre dans laquelle nul
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chevalier n’a passé une nuit entière sain et sauf. Gauvain, par la suite viendra à bout de cette
épreuve mais commence par rencontrer cette très belle jeune femme à qui il propose de
l’accompagner. Elle se montre injurieuse et le traite comme un vassal. Un chevalier attaque
alors Gauvain qui le tue et la jeune femme disparaît. Après son aventure dans la chambre
enchantée, il aperçoit à nouveau cette dernière en compagnie d’un autre chevalier et insiste
auprès de ses hôtes pour la rejoindre. Dès qu’il s’approche, il se fait attaquer et désarçonne
son adversaire. La jeune femme le défie alors de sauter le fossé du château avec son cheval et
ajoute qu’elle souhaite vivement ne pas le voir revenir. Gauvain relève le défi et saute sans la
moindre difficulté.
Voyant cela, son insupportable compagne change totalement d’attitude. Elle vient lui
demander pardon pour sa conduite et lui en explique la raison. Celui qu’elle aimait avait été
tué par un chevalier qui l’avait enlevée. Ensuite, ayant quitté ce dernier et ne se consolant pas
de la perte de son ami, elle se montrait la plus désagréable possible avec tous ceux qu’elle
rencontrait en espérant que l’un d’eux, exaspéré, la tuerait. Elle le supplie maintenant de lui
rendre pareille justice et de mettre ainsi fin à sa torture. Gauvain ne la tue pas mais l’emmène
au château où par égard pour lui (et non pour elle car elle y est connue et détestée) on
l’installe et on la sert.
Wagner a trouvé chez cette femme le caractère de sa Kundry des premier et troisième actes.
Bien qu’il soit très présent en elle, le désir de mourir n’est pourtant pas la raison de l’attitude
farouche et provocante de la messagère du Graal. Celle-ci sait que si elle meurt, elle se
réincarnera en quelqu’un de tout aussi méprisable. Ce comportement est à mon avis plus dû
au fait qu’elle est consciente du mal qu’elle fait aux occupants de Montsalvat tout en les
servant. Elle se considère elle-même comme une traîtresse et voudrait être traitée comme
telle. Elle souffre de tous les remerciements dont on la gratifie car elle sait qu’ils ne sont pas
mérités. Les seuls qui la voient peut-être telle qu’elle est sont les écuyers qui se fient à leur
instinct et pour qui elle n’est qu’une sorcière qui leur nuit continuellement.
Au troisième acte, c’est différent; elle a fait un affront à son sauveur en essayant de le séduire
et même en lui laissant espérer la divinité s’il lui cédait. Parsifal n’est pas tombé dans le piège
et reste sa seule chance de salut. Elle se rend compte de l’énormité de sa faute envers lui et
l’implore à genoux pour être pardonnée. Il en est de même pour l’Orgueilleuse de Nogres qui
se rend compte qu’elle ne pourra pas pousser Gauvain à la tuer et qui le supplie maintenant
d’abréger son existence douloureuse.
Se trouvent donc dans ces quatre femmes les nœuds principaux de l’intrigue mais le nom
même de Kundry vient de Wolfram. Montée sur une mule, une femme apparaît aussi lors du
banquet donné par le roi Arthur en l’honneur de Parzival. Son nom est Cundrie, surnommée la
« sorcière » (du mot surziere) et Wolfram nous apprendra plus tard qu’elle est la messagère du
Graal. Il est fait d’elle un portrait répugnant : « Son nez était celui d’un dogue; deux dents de
sanglier sortaient de sa bouche à la longueur d’un empan, elle portait les oreilles comme un
ours, avait des pattes de singe et des ongles non diaphanes, mais crochus comme les griffes
d’un lion. » Elle est en outre richement vêtue et très intelligente, possédant entre autres la
science de l’astrologie. Le discours qu’elle tient est le même que chez Chrétien, elle reproche
à Parzival de n’avoir pas ouvert la bouche à Montsalvat et de souiller maintenant la Table
ronde de sa présence puis repart précipitamment. Parzival jure alors de retrouver le château du
Graal pour se faire pardonner.
On retrouve Cundrie à la fin du roman. Elle a lu dans les astres la destinée de Parzival et vient
le chercher à la cour du roi Arthur avec son demi-frère Vairefiz, né d’un premier mariage de
Gamuret. Elle les conduit jusqu’à Montsalvat où ils sont accueillis avec soulagement par les
chevaliers du Graal.
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Je soulèverai ici un élément important : Parsifal ne peut rentrer à Montsalvat sans Kundry.
Chez Wagner, elle maudit les chemins qui pourraient l’éloigner d’elle, le condamnant ainsi à
la retrouver avant Montsalvat. Wolfram, lui, la fait guide de notre héros. Ce dernier a besoin
d’être mené jusqu’au Graal, ne pouvant l’atteindre par lui-même.
La Kundry du deuxième acte est quant à elle tirée du poème de Wolfram et apparaît dans les
aventures de Gauvain. Sœur de ce dernier, c’est une femme d’une grande beauté retenue
prisonnière dans un château par un magicien du nom de Clinschor. C’est un personnage
épisodique mais elle porte le même nom que la messagère du Graal, ce qui a probablement
décidé Wagner à faire de l’horrible pécheresse et de la belle séductrice un seul et même
personnage.
Mais pour rendre une telle chose possible, il est nécessaire de faire intervenir la magie.
Klingsor, lorsqu’un pécheur en punit d’autres
Le magicien Klingsor tient, lui, le rôle du méchant mais il est aussi, comme dit plus haut, la
personne qui permet à Kundry de changer d’apparence. Son nom est tiré du récit de Wolfram
qui le fait apparaître comme le maître d’un château enchanté que rencontre Gauvain lors de
ses aventures qui s’alternent avec celles de Parzival.
Chez Wagner, Klingsor est un homme incapable de maîtriser ses appétits de chair et qui, se
voyant refuser l’entrée à Montsalvat à cause de cela, doit s’y forcer en se châtrant. Sa chasteté
n’est pas assurée pour autant car si il ne peut plus satisfaire ses envies érotiques, comme le lui
fait si cruellement remarquer Kundry au deuxième acte (Ha ha, es-tu chaste ?), il n’y pense
pas moins avec envie. La chasteté véritable est atteinte quand on arrive à dominer ses instincts
sexuels. Il a en quelque sorte triché. Ce que l’on peut considérer comme un aveu, Klingsor le
dit à Kundry juste avant la réplique cinglante précitée : « Envers moi seul, ton pouvoir (de
séduction) ne peut rien. » En clair, il peut la côtoyer tout en ne risquant absolument pas de
perdre sa virginité et il en souffre d’ailleurs.
Clinschor lui aussi est mutilé mais pas par lui-même; c’est la vengeance d’un chevalier qui l’a
mis dans cet état. Wagner a une fois de plus adapté les faits à sa propre histoire.
Selon plusieurs religions archaïques, la castration conduit naturellement à l’obtention de
pouvoirs magiques. Comme le dit Jean de Solliers dans son commentaire musical et littéraire
de Parsifal (L’Avant-Scène Opéra, 1982), il s’y trouve « une dialectique plus ou moins
confuse entre l’impuissance naturelle et la puissance surnaturelle. » Wagner a fait usage plutôt
confusément de cet équilibre prôné autrefois en faisant dire à Gurnemanz que la rage seule
avait apprit à Klingsor comment devenir magicien. Il sous-entend peut-être là que ce dernier
avait découvert tout seul la compensation de son impuissance.
Je me permettrai ici de comparer le personnage de Klingsor au nain Albérich, maître de
l’anneau magique dans le Ring.
Au début de la Tétralogie, dans L’or du Rhin, celui-ci est séduit par les Nixes, ondines vivant
dans le Rhin. Elles lui apprennent que celui qui forgerait un anneau avec l’or qui se trouve au
fond du fleuve deviendrait le maître du monde. Toutefois, pour forger la bague et l’investir de
pouvoirs magiques, il faut renoncer à l’amour. Les Nixes, appelées également filles du Rhin,
pensent naturellement qu’Albérich est incapable d’un tel exploit car il est visiblement fou
amoureux d’elles. (Comment s’empêcher de voir en les Nixes de L’or du Rhin les filles-fleurs
de Parsifal ?) Mais la cupidité l’emporte et le nain vole l’or après avoir solennellement
maudit l’amour.
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On retrouve ici le même schéma, le renoncement à l’amour en échange du pouvoir. Cette
notion d’équilibre entre les pouvoirs naturels et surnaturels était peut-être déjà connue de
Wagner à la suite de sa lecture de L’Edda, poème nordique dont est en partie tirée l’intrigue
du Ring.
Par ailleurs, Klingsor et Albérich ne deviennent mauvais qu’après avoir étés refusés. Le
premier ne peut se faire accepter dans la sainte confrérie du Graal et le second se fait railler
par les filles du Rhin en raison de sa laideur repoussante. La frustration qui en découle les
amène naturellement à considérer le « bien » d’une autre manière voire à ne plus y croire.
Wagner et Debussy ne considéraient pas Klingsor comme quelqu’un de méchant car sa propre
castration est la preuve qu’il a tout essayé pour atteindre la chasteté; il a simplement échoué.
Le fait qu’il a frappé Amfortas est non seulement une vengeance envers le Graal qui l’avait
repoussé mais aussi une punition qu’il inflige au roi en lui faisant subir le même traitement
auquel il était lui-même destiné. Depuis lors, ayant en sa possession la moitié du Graal, il
espère vraisemblablement devenir digne de le posséder en rendant indignes de cette tâche ses
actuels protecteurs. Leur roi en personne est un pécheur, il ne lui reste qu’un obstacle à
surmonter : vaincre le pur innocent qui approche de son château.
Il punit également Kundry en l’obligeant à subir la torture morale de faire du mal autour
d’elle pour son malheur. Pécheur lui-même, il est pour cette dernière et Amfortas l’instrument
de la punition divine malgré sa faute.
Gurnemanz, le narrateur
Gurnemanz, le bon vieillard du premier acte devenu l’ermite du troisième est également créé à
partir de deux personnages distincts.
Chez Chrétien de Troyes, Perceval arrive devant un château après son passage à la cour du roi
Arthur. Là il rencontre Gorneman de Gorhaut, un sage qui l’héberge et lui enseigne tout ce
qui est indispensable à un chevalier. Perceval est malgré tout impatient de revoir sa mère et
repart après avoir s’être vu conférer l’Ordre de Chevalerie.
Gorneman est également la cause indirecte du silence de Perceval au château du Graal. Il lui a
expliqué qu’il est très mal de poser des questions à un hôte. C’est d’ailleurs la seule raison qui
retient notre héros de s’informer de toutes les choses étranges qu’il voit.
Le deuxième personnage est un vieil ermite à qui des pèlerins sont allés confesser leurs
péchés le jour du Vendredi Saint où Perceval les rencontre. Il va lui-même voir le vieillard de
qui il apprend la vérité au sujet du château du Graal. L’ermite lui révèle également que le roi
pêcheur et lui-même sont ses oncles. Cela donne à Perceval une raison héréditaire de prendre
plus tard la tête du royaume.
Wolfram von Eschenbach fait également apparaître ces deux personnages dans son poème.
Leur rôle est similaire. Le châtelain qui apprend à Parzival l’art de la chevalerie et l’adoube se
nomme Gornemant de Graharz et possède une fille d’une grande beauté, Liase, qu’il aurait
volontiers accordée à son hôte.
L’ermite que Parzival rencontre le Vendredi Saint s’appelle Trévrizent; il est aussi le frère
d’Amfortas et de la mère de Parsifal. Alors chevalier du Graal, il a fait vœu de ne plus toucher
au pain au vin et à la viande après que son frère eut été blessé. Il a même renoncé à porter les
armes et s’est retiré dans une grotte dans la forêt en échange de la guérison d’Amfortas,
malheureusement en vain.
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Wagner utilise différemment le personnage de Gurnemanz. Vieux chevalier, respecté par la
communauté, il représente la sagesse. Ce n’est toutefois pas lui qui s’occupera de l’éducation
de Parsifal et il ne lui apprendra rien sur le Graal. Parsifal s’instruit par lui-même au cours de
l’histoire et il faut dire qu’il n’est pas chevalier lorsqu’il arrive à Montsalvat comme chez
Chrétien ou Wolfram..
Gurnemanz est plutôt un conciliateur qui guide les personnages le moment venu mais attend
qu’il s’instruisent et comprennent par eux-mêmes. Il a besoin d’être là pour réguler la tension
qui règne quelquefois. Prenons l’exemple de l’enchantement du Vendredi Saint. (cf. Parsifal
et le Christ.) C’est lui qui en grande partie entretient l’atmosphère intemporelle de ce passage
en narrant la renaissance de la nature en ce jour. Il guide ensuite ses compagnons au château
pour que s’accomplisse le miracle de la guérison d’Amfortas.
Ce bon vieillard n’est toutefois pas de la famille de Parsifal. Contrairement à ses modèles,
Wagner ne donne à ce dernier aucun droit de succession héréditaire au trône du fait que
Gurnemanz et Amfortas sont ses oncles.
Comme l’indique le titre du chapitre, Gurnemanz joue également le rôle du narrateur pour le
public. Lorsqu’il raconte aux écuyers les événements qui sont la cause des souffrances du roi,
il le fait surtout pour le public. On imagine aisément que tous les habitants de Montsalvat
connaissent l’histoire par cœur mais le récit nous est utile afin de comprendre la situation.
Wagner a d’ailleurs l’habitude de raconter ainsi longuement ce qui s’est passé autrefois, je
prendrai comme exemple la scène au deuxième acte de La Walkyrie, lorsque Wotan raconte à
sa fille Brünnhilde ce qui s’est passé il y a une vingtaine d’années dans L’or du Rhin. On
retrouve le même genre de scène dans le prologue du Crépuscule des dieux, dernier volet du
Ring où durant quinze minutes, tissant la corde du savoir universel, les trois Nornes résument
les événements antérieurs à L’or du Rhin.
S’ils peuvent sembler parfois un peu longs, ces instants mettent en évidence tout le génie
dramatique de Wagner. La mise en scène étant exclusivement « musicale », il nous conduit à
la créer par nous-mêmes.
Par la pitié instruit ou l’éducation spirituelle
Parsifal apparaît de la façon la plus simple qui soit, un jeune garçon stupide. Elevé par sa
mère dans la crainte qu’il devienne un jour chevalier, il n’a pas reçu une éducation
convenable et se trouve totalement livré à lui-même après avoir quitté son foyer. Sa vaillance
et sa force le mettent à l’abri du danger. Wagner a ici simplifié le récit; on n’y trouve pas trace
des précédentes péripéties du jeune homme, à savoir son passage chez le roi Arthur, le fait
qu’il est déjà chevalier et ses divers exploits au combat. Wolfram le fait par ailleurs époux de
la reine Conduiramour et père de deux garçons, Kardeis et Lohengrin.
Wagner prêche donc la pureté absolue de son personnage, s’écartant des récits anciens comme
ceux de Chrétien et Wolfram. Des écrits postérieurs aux œuvres de ces deux derniers
présentent en effet Parsifal comme un homme chaste, phénomène qui n’est pas sans rapport
avec la christianisation du mythe. Le fond clairement chrétien de l’opéra justifie le choix de
Wagner qui s’est inspiré de ces textes.
Parsifal est donc totalement ignorant en ce qui concerne le bien et le mal. La preuve est que sa
première action dans l’opéra est le meurtre d’un cygne. Son éducation peut commencer elle se
poursuivra jusqu’à la fin du deuxième acte.
A la vue de l’œil du cygne mort, il est saisi de remords et brise son arc. Il éprouve à présent
de la compassion, ce sentiment qui lui sera essentiel pour comprendre plus tard la détresse
dans laquelle sont plongés Amfortas et Kundry. De cette première connaissance, il n’en est
21
pas encore conscient; il continue en outre à faire étalage de son ignorance devant Gurnemanz
qui ne parvient qu’à éveiller en lui le souvenir de celle auprès de qui il a vécu pendant
longtemps, sa mère. Parsifal connaît aussi le nom de cette dernière : Herzeleide (en allemand :
souffrance de cœur.) Wagner a ici volontairement déformé le nom d’Herzéloïde ainsi que
l’appelle Wolfram, indiquant déjà par là le tragique destin de la pauvre femme.
Son ignorance s’étale au grand jour quand il manque d’étrangler Kundry sous l’influence du
chagrin causé par la mort de sa mère. Il ne maîtrise absolument pas ses pulsions et est surtout
incapable de distinguer le bien du mal. Cette réaction violente vient du fait qu’il n’a jamais
connu un chagrin profond et qu’il exprime ce dernier par un réflexe de vengeance. Sa pensée
peut alors se résumer ainsi : Kundry lui annonce la mort de sa mère (pas très adroitement il
faut l’admettre), elle est la cause de sa douleur, elle doit donc payer. Ce raisonnement simple
est tout de même parfaitement compréhensible lorsque l’on se rend compte de l’état
intellectuel qui est celui de Parsifal.
La première phase de son éducation a eu lieu, car il est maintenant tel que la prophétie avait
décrit l’élu, ignorant de tout et capable d’éprouver de la pitié. Pour en arriver à cet état des
choses, le meurtre du cygne était donc nécessaire.
Reconnu par Gurnemanz, Parsifal est ensuite conduit à Montsalvat pour assister à la
cérémonie quotidienne durant laquelle le Graal est sorti de sa châsse et dévoilé pour prodiguer
aux chevaliers sa lumière régénératrice. C’est durant cette cérémonie qu’il s’entend révéler la
nature de ce qu’il voit. Lorsque, avant de célébrer l’office, Amfortas supplie le Seigneur de
faire cesser ses souffrances, Parsifal porte la main à son cœur et reste un moment crispé en
cette position. On saura au deuxième acte qu’il a entendu le Christ le supplier de le délivrer
des mains du roi, souillées par le péché. Ce bref geste de souffrance, s’il est remarqué par une
grande partie du public, reste inaperçu par les chevaliers et en particulier Gurnemanz qui
s’offusque de voir que Parsifal, non seulement ne comprend rien à ce qu’il a vu, mais aussi
refuse de participer au repas et reste comme en extase. Au lieu de lui demander des
explications sur sa conduite, il le met à la porte, convaincu qu’il s’est trompé et qu’il ne s’agit
que d’un idiot de passage.
Cette deuxième révélation est l’étape suivante de son éducation car il sait à présent qu’il doit
libérer le Graal et le rendre à des mains pures; il est toutefois incapable de comprendre ce
qu’il a vu et ce qui s’est passé. C’est ce qui nous amène à la troisième étape de son
apprentissage, le baiser de Kundry.
Ce dernier est en quelque sorte l’étincelle qui permet de réveiller en Parsifal la conscience de
son devoir. Il a été informé de la détresse du Christ, de son devoir envers lui mais il reste
malgré tout incapable de comprendre la raison de la douleur d’Amfortas et par là d’y
compatir.
Or quand les lèvres de Kundry touchent les siennes en un baiser qui n’a rien de maternel
contrairement à ce que cette dernière lui avait raconté, il ressent un sentiment nouveau pour
lui : le désir. Selon Schopenhauer, le désir sexuel est lié à la souffrance et à l’idée de péché.
Par empathie, Parsifal éprouve du remord, en souffre et comprend le châtiment du roi
occasionné par le péché de la chair. Tout s’éclaire alors en lui; il comprend que Kundry est la
même femme qui a séduit Amfortas et que le même sort lui est réservé s’il cède à son tour.
Ce dernier élément manquait à son éducation, il devait ressentir par lui-même cette douleur et
ces remords pour pouvoir les comprendre et en faire bon usage.
Il cesse à ce moment d’être « innocent » sans pour autant perdre sa pureté qui lui permettra de
vaincre Klingsor puis de délivrer Montsalvat et Kundry après de longues années d’errance qui
peuvent être considérées comme une étape de plus à son éducation.
22
Parsifal, un nom hérité de Wagner
Le 27 novembre 1845, Wagner achève le poème de Lohengrin, son sixième opéra après les
Fées, la Défense d’aimer, Rienzi, le Hollandais volant et Tannhäuser. A la fin du troisième
acte, Lohengrin, sur le point de quitter sa femme et le peuple de Brabant leur révèle ses
origines et son nom : « En un lointain pays, inaccessible à vos pas, gît un château appelé
Monsalvat ; (…) Par le Graal je fut envoyé à vous : mon père Parzival en porte la couronne,
son chevalier je suis et j’ai nom Lohengrin.13 » Wagner qui s’était inspiré des poètes Simrock,
San-Marte et Wolfram von Eschebach pour construire son opéra nomme ici le roi du Graal
avec un « z » et un « v ». Dans le Parzival de Wolfram, le nom est orthographié comme cela.
C’est simplement le nom allemand de Perceval, le héros de Chrétien de Troyes. (A noter que
dans sa traduction française de Lohengrin, Dennis Collins orthographie tout de même le nom :
Parsifal.)
La signification du mot français « Perceval » donné au héros par Chrétien de Troyes peut être
cherchée plus simplement dans le nom lui-même. Perce-val, serait donc celui qui perce le val
et son secret ou plus simplement celui qui s’introduit dans la vallée où se trouve le Graal et
qui en pénètre les mystères.14 Citons encore le Perlesvaus, récit anonyme écrit en Angleterre
vers 1205. L’œuvre étant rédigée en dialecte franco-picard, le « vaus » est sûrement une
dérivation de « val », appuyant ainsi cette théorie.
Le modification de l’orthographe du mot ne date pas du début de la composition. C’est en
mars 1877 seulement, un mois et demi environ après avoir commencé le livret de l’opéra,
Wagner change le nom de Parzival en Parsifal. Il s’inspire pour cela de Görres, auteur
allemand du début du XIXe siècle et donc son contemporain qui faisait venir le nom de
l’arabe, plus précisément des mots persans « fal parsi » qui se traduisent par « le simple pur ».
Wagner écrit à Judith Gautier le 1er octobre 1877 : « Pensez aux parsis, adorateurs du feu.15 »
« Parsi » provient du nom des iraniens restés fidèles à la doctrine de Zarathushtra lors de
l’avènement de l’Islam qui sont appelés les Parsis en Inde. « Fal » signifiant fou, brute devait
venir d’un dialecte arabe. Si l’on se laisse guider par son intuition, on voit évoluer le mot pour
donner en français « fou » ou « fol ». Le compositeur prêtait au mot « Parsifal » un sens
élevé : « C’est un homme sans érudition, mais le génie. »
Toutefois, dans une lettre du 24 décembre 1879 toujours à Judith Gautier, il reconnaît que
cette étymologie est une pure invention de sa part et que la théorie de Görres faisant venir
Parzival de l’arabe est également fausse. Les mots « fal parsi » n’appartiennent d’ailleurs pas
à cette langue mais l’idée plaisait trop à Wagner pour qu’il l’abandonne. Fidèle à Görres, il
change donc « fal parsi », « le simple pur » en « parsi fal », « le pur innocent ». La traduction
en allemand est « der reine Tor ».
La démonstration que fait Wagner de son étymologie fantaisiste se trouve dans les leitmotiv
de l’œuvre. Prenons le thème de la prophétie, apparaissant généralement sur les paroles
« Durch Mitleid wissend, der reine Tor » (Le pur innocent instruit par la pitié) et se faisant
entendre fréquemment dans l’opéra, par exemple lorsque Kundry donne des précisions à
Gurnemanz sur les origines de Parsifal au premier acte, suggérant ainsi que ce dernier est
l’élu.
Au deuxième acte, Kundry rappelle notre héros par ces paroles : « Parsifal, reste ! ». Le motif
de trois notes sur lequel se chante « Par-si-fal » est le même que celui qui supporte les trois
dernières syllabes de la prophétie « rei-ne Tor », à savoir une quinte descendante et une tierce
mineure montante.
Wagner soignait donc sa trouvaille, même s’il savait par sa grande amie et admiratrice Judith
Gautier (la fille de l’écrivain Théophile Gautier) qu’elle était complètement fausse.
23
Parsifal et le Christ
Plusieurs scènes montrent la volonté de Wagner de voir en Parsifal une réincarnation de
Jésus-Christ. Prenons tout d’abord le rôle qu’il doit jouer pour Kundry : il est celui qui lui
donnera l’absolution. Son rôle ne s’arrête pas là, il libérera également Amfortas et toute la
communauté du Graal en leur rapportant la Sainte Lance et en devenant leur nouveau roi. Il
sauve aussi le Christ lui-même, répondant à sa supplication : « Sauve-moi, délivre-moi de
mains impies ! » Cette rédemption est mentionnée par le chœur final : « Rédemption au
Rédempteur ».
L’enchantement du Vendredi Saint et l’allégorie biblique
J’ai commencé à parler au chapitre sur Kundry de l’évidente identification des protagonistes
de Parsifal aux personnages bibliques, en particulier Marie-Madeleine. (cf. Kundry ou le
chemin de la rédemption/ Ses trois natures)
Cette identification a lieu juste avant ce que Gurnemanz appelle « l’enchantement du
Vendredi Saint. C’est un long épisode durant lequel le temps semble s’arrêter et qui clôt la
première partie du troisième acte, juste avant le changement de décor. (On retrouve le même
genre d’événement au même endroit dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg.) Durant ce
moment, la nature s’éveille et resplendit dans la lumière matinale; Parsifal s’émerveille de la
beauté qui l’entoure, le temps s’arrête un instant.
L’instant d’avant rassemble deux scènes bibliques du Nouveau Testament : la première est le
lavement des pieds de Jésus par Marie-Madeleine dont j’ai déjà parlé et la seconde, son
baptême par saint Jean-Baptiste. Cet épisode dont figure la description dans les Evangiles de
Saint Matthieu, Saint Marc et Saint Luc raconte comment le prophète Jean-Baptiste qui
prêchait la venue d’un homme plus puissant que lui baptisa Jésus avant de se faire enfermer
par le tétrarque Hérode Antipas.
Cette scène serait donc une allégorie de ces événements bibliques. Gurnemanz, assimilé à
Jean-Baptiste baptise Parsifal et le nomme roi comme son modèle désignait le Christ roi des
Juifs. Kundry, ainsi que Marie-Madeleine, reçoit le pardon après un lavement de pieds
symbolique. Les seuls qui ne semblent pas être liés sont Gurnemanz et Kundry mais
n’oublions pas que cette dernière à été Hérodias dans une vie antérieure, femme d’Hérode et
instigatrice du meurtre de Jean-Baptiste.
Mais la signification de l’« enchantement du Vendredi Saint », outre l’allégorie de ces
personnages, est que la rédemption que le Christ a apporté aux hommes ce jour là s’étend à la
nature elle-même. Comme le dit Gurnemanz dans son monologue « Toute la création se
réjouit et suit la trace aimée du Sauveur, lui vouant ses prières. » La nature ressent
l’atmosphère qui règne en ce jour, se rend compte qu’on la traite avec égard et resplendit en
retour. La compassion est donc réciproque entre elle et les hommes.
Je tiens à préciser que je vais peut-être trop loin en considérant ces deux épisodes comme liés;
l’enchantement du Vendredi Saint signifie en réalité surtout le fait que la rédemption du
Christ s’étend à la nature entière en ce jour. Il est probablement superflu d’y ajouter encore
l’allusion aux événements qui ont précédé la crucifixion. La coïncidence, si c’en est une,
mérite tout de même d’être relevée.
Les influences du bouddhisme et de Schopenhauer
Nous l’avons vu, Wagner a introduit plusieurs éléments chrétiens dans son mythe du Graal.
Pourtant, une autre religion y tient une place importante : le Bouddhisme.
24
Wagner avait un projet d’opéra, Les Vainqueurs, resté à l’état d’esquisse en prose en mai
1856. L’histoire comporte de nombreux éléments qu’il a repris dans Parsifal comme la
réincarnation, le renoncement et bien sûr, la rédemption. Si la réincarnation ne tient aucune
place dans la religion chrétienne, elle était déjà présente chez les gaulois de l’Antiquité. Ceuxci croyaient que l’âme passait immédiatement d’un corps dans un autre lors de la mort, ce qui
faisait d’eux, soit dit en passant, des guerriers redoutables.
Pour les bouddhistes, la vie est un cycle de réincarnations où l’âme doit gravir les échelons de
la dignité, d’abord sous forme animale puis humaine avant d’atteindre le Nirvana. Ce dernier
stade qui correspond plus ou moins à notre Paradis chrétien est défini par le Petit Larousse
comme l’extinction de la douleur.
Je relierai ici ces croyances à la philosophie de Schopenhauer. Pour celui-ci, la vie est une
longue souffrance dont on n’est libéré que par la mort. Si sa pensée se rattache du moins en
partie à celles des bouddhistes, il va plus loin en soutenant la théorie du péché originel et en la
situant à la base de la religion chrétienne.
Pour lui, le vrai bonheur consiste à participer à la souffrance de quelqu'un afin de l’atténuer
ou la supprimer. Il ajoute également dans ses Fondements de la morale que « seule cette pitié
(Mitleid) est la véritable base de toute libre justice et de tout amour humain authentique.16 »
Les mots français compassion et commisération viennent d’ailleurs de cum patior = souffrir
avec et cum miserere = prendre pitié avec. Le mot allemand Mitleid est également formé de
mit leiden = souffrir avec. La pitié est donc directement liée au bonheur. Cette considération
joue un grand rôle dans le comportement de Parsifal.
L’influence du philosophe sur Wagner et sur Parsifal ne s’arrête pas là. Pour Schopenhauer,
« la chasteté volontaire et parfaite est le premier pas dans l’ascèse ou la négation du Vouloirvivre. » L’abstinence ou négation de la volonté est le critère qui manque à Klingsor pour avoir
sa place à Montsalvat, lieu où Wagner ne donne place qu’à des chevaliers chastes et
dépourvus de tout désir charnel, mis à part Amfortas évidemment.
Notons que les récits de Chrétien de Troyes et de Wolfram von Eschenbach ne font pas
mention de cette chasteté obligatoire, cette dernière apparaissant plus tard dans les récits
christianisés. Le Parzival de Wolfram fait même Parsifal père de deux enfants dont
Lohengrin. Dans ses écrits contre Parsifal, le philosophe Nietzsche critiquera le fait qu’ayant
déjà écrit Lohengrin, Wagner rende impossible la conception du héros de cet opéra en
imposant une totale chasteté à son père.17 Bien entendu, le compositeur s’était basé sur le
poème de Wolfram pour en écrire le livret et n’avait alors pas en tête le projet d’un opéra sur
Parsifal.
A la lecture des écrits de Schopenhauer, il va considérablement changer de point de vue au
sujet du christianisme et par là établir sa propre conception de la religion et de son intégration
à l’art. (cf. L’action rédemptrice de l’art)
Jusqu’en 1849, Wagner reste d’un avis très modéré vis-à-vis du christianisme. Sans être un
fervent croyant, il garde au fond de lui une certaine conscience du divin. A partir de là, il
commence à afficher un athéisme virulent jusqu’en 1854, trois ans avant la rédaction d’une
première esquisse en prose de Parsifal, considérée à ce jour comme perdue.
C’est lorsqu’il fait connaissance avec la philosophie de Schopenhauer que son point de vue
change une nouvelle fois, point de vue qu’il gardera jusqu’à la fin de sa vie et qui sera capital
pour la conception de Parsifal. Lui qui considérait le christianisme comme anti-naturel et
défavorable à l’épanouissement de l’art, il rectifie son jugement et va jusqu’à traiter cette
religion de « sublime ».
Il apportera quelques modifications quant à la théorie schopenhauerienne du Vouloir Vivre et
de la chasteté volontaire, notamment le fait que la pleine conscience doit s’acquérir à travers
25
l’amour sexuel. Parsifal atteint la connaissance du péché de cette manière, sauf que lui ne va
pas au-delà d’un baiser. C’est la limite de ce qu’il peut se permettre sans perdre sa pureté. On
pourrait généraliser ce qui précède en disant que la connaissance s’acquiert à travers
l’expérience.
Mais une autre théorie wagnérienne importante appliquée avec Parsifal est celle de l’action
rédemptrice de l’art.18
L’action rédemptrice de l’art.
La rédemption est un thème qui a apparemment obsédé Wagner toute sa vie. Plusieurs héros
ont assumé le rôle de rédempteur, pensons à Senta dans Le Hollandais volant, Elisabeth dans
Tannhäuser, Siegfried dans Le Crépuscule des dieux et enfin Parsifal.
Le terme large de « rédemption » ne se limite toutefois pas à la notion de rachat des péchés. Il
englobe aussi celles de la punition et du renoncement. Ainsi, Elsa doit quitter Lohengrin car
elle a manqué à sa parole qui était de ne pas lui demander son nom. Le roi Marke renonce à
Iseult et accorde sa main à Tristan (malheureusement trop tard), Hans Sachs des Maîtres
chanteurs abandonne l’espoir d’épouser Eva sachant que celle-ci sera plus heureuse avec
Walter.
Tous ses opéras contiennent cette notion de renoncement, de sacrifice ou de rachat. Le dernier
d’entre eux, Parsifal, sort de l’ordinaire par son sujet et par le message caché qu’il transporte.
Wagner a bien souvent dit que Parsifal serait son œuvre ultime. Dire qu’il sentait la mort
approcher en l’écrivant serait faux car il pensait déjà au prochain festival lors de la création de
Parsifal. Du reste, il se proposait de n’écrire plus que des quatuors à cordes et des
symphonies. Ces dernières ne seraient pas construites selon la forme classique mais auraient
un rôle essentiellement dramatique se rapprochant peut-être du poème symphonique.
A partir de ses premières œuvres (symphonies, ouvertures de concert, sonates pour piano)
écrites dans un style largement inspiré par Beethoven et où l’on retrouve également des
influences mozartiennes jusqu’à ses derniers opéras, le style de composition n’est plus du tout
le même. Dans Parsifal, il a poussé jusqu’à l’extrême le chromatisme harmonique, chose que
l’on trouve déjà dans Tristan et Iseult. L’opéra est par ailleurs le seul qu’il ait écrit
spécialement pour l’acoustique du Festspielhaus de Bayreuth. L’orchestration est beaucoup
plus légère que celle du Ring et faisait dire à Debussy que l’orchestre semblait « éclairé par
derrière ». Moi-même, je me rappelle avoir eu du mal à reconnaître Wagner lorsque j’ai
entendu l’œuvre pour la première fois.
Ayant donc poussé à bout les limites de l’harmonie tonale, il s’est peut-être rendu compte que
l’on ne pouvait aller plus loin. On peut aussi penser qu’il ne se sentait plus la force d’écrire
une autre œuvre de cette envergure, assailli par des crises cardiaques de plus en plus
fréquentes qui l’épuisaient.
Mais la vraie raison qui le poussait à prendre cette décision d’arrêter d’écrire des opéras est à
mon avis le fait que Parsifal se fait rédempteur de la religion chrétienne elle-même, action qui
pouvait signifier son adieu à la scène.
Voici ce qu’écrit Wagner au début de son ouvrage Religion et Art : « On pourrait dire que,
lorsque la religion devient artificielle, il est réservé à l’art de sauver l’essence de la religion en
s’emparant des symboles mythiques que la religion veut savoir crus vrais, dans le sens qui lui
est propre, et compris d’après leur valeur sensible, pour faire connaître par leur représentation
idéale la vérité profonde cachée en eux. Tandis que le prêtre tient à ce que les allégories
26
religieuses soient considérées comme des vérités réelles, l’artiste s’en désintéresse
complètement car il donne franchement et librement son œuvre comme sa propre invention. »
Il met en application cette théorie avec Parsifal dans le sens que si la religion n’est pas prise
au sérieux, on peut sauver son image en l’intégrant à l’art. Elle sera alors considérée non plus
comme une vérité en soi mais comme une réalité passagère. L’artiste ne demande pas au
public de croire en cette religion, il ne fait que lui trouver une fonction du moment qu’elle a
perdu sa crédibilité en tant que vérité. Intégrée à l’art, elle acquiert une raison d’être.
Il est pourtant resté une habitude à Bayreuth de ne pas applaudir à la fin du premier acte. Au
départ, c’était pour ne pas détruire l’émotion et peut-être mieux marquer le contraste avec le
début du deuxième acte. Mais Wagner ne voulait pas priver les chanteurs de remerciements
mérités. Du reste il ne pouvait même pas savoir si le public était content ou non si celui-ci
gardait le silence. Certaines personnes considèrent l’Eucharistie du premier acte comme une
cérémonie sacrée qui doit être suivie du plus grand silence. Pourtant, si l’on joue une messe,
le public ne se gène pas pour applaudir à la fin de l’exécution. Enfin, Wagner le dit lui-même,
c’est un opéra dans lequel est insérée une cérémonie. Il est je pense de notre devoir de le
traiter comme tel et la piété, si elle peut nous toucher un instant, doit rester théâtrale.
Dans son « œuvre ultime », comme il la nomme lui-même, Wagner se fait donc ni plus ni
moins rédempteur de la religion chrétienne, lui donnant une raison d’être même pour qui n’est
pas croyant.
Montsalvat et l’Allemagne hitlérienne
Je ne peux pas mettre un terme à mon analyse sans parler du rapport que peut avoir eu Adolf
Hitler avec Parsifal, le titre même du travail en fait l’expresse demande.
De 1933 à 1939, on compte 714 représentations de Parsifal en Allemagne et dans les
frontières du Reich. Hitler soumettait les mises en scène, décors, costumes, etc… à un
contrôle très strict et toute représentation devait être soumise à son approbation. Il avait
besoin de garder un bon contact avec les wagnériens afin de faire du maître, pour rependre les
termes de Philippe Olivier, « le fer de lance de son impérialisme culturel19 ».
Pourtant, au début de la seconde guerre mondiale, Parsifal disparaît de la scène pour ne
réapparaître qu’en 1947 au théâtre municipal de Ratisbonne. Les nazis et les proches d’Hitler
avaient finalement réussi à supprimer cette œuvre gênante de par le message chrétien qu’elle
véhiculait.
La pensée chrétienne que comporte Parsifal est évidemment embarrassante pour la
propagande antisémite que prône alors le parti nazi mais Hitler, de son côté, n’a jamais perdu
l’affection qu’il portait à l’opéra.
Le Führer, s’il considérait Wagner comme un grand compositeur, a toujours été fasciné par la
symbolique de ses œuvres; prenons par exemple le Ring, la fin des dieux et l’avènement d’une
nouvelle ère. Ces éléments peuvent l’avoir assez fortement marqué pour qu’il en vienne à
vouloir faire de même avec l’Allemagne au début et avec le monde ensuite.
A propos de Parsifal, il poussait son analyse un peu loin; par exemple, nous dit Philippe
Olivier, le fait que Parsifal tue un cygne au début de l’opéra montre pour Hitler, alors
végétarien, l’hostilité de Wagner envers la chasse. Mais la principale raison de son affection
pour Parsifal doit venir du fait que l’histoire est axée en grande partie sur la purification,
d’abord celle de Kundry puis celle de Montsalvat. Parsifal doit purifier le château du Graal en
27
prenant la place d’Amfortas qui lui est un pécheur et souille la communauté de sa présence.
Ce fait est d’ailleurs en partie la cause de la souffrance du roi car ce dernier en est conscient.
De là à identifier Montsalvat à l’Allemagne et Amfortas au juif, il n’y a qu’un pas; Hitler
retrouvait dans Parsifal sa volonté de purger la nation du sang juif qui s’y trouvait.
Une autre analyse pourrait identifier la plaie du roi à la blessure infligée à L’Allemagne par la
race juive. Pourtant, je relève le fait que le sang d’Amfortas est impur à cause de son péché et
non pas du coup de lance reçu ensuite. C’est pourquoi cette version me paraît aller un peu trop
loin.
Par contre, il est possible que Hitler se soit totalement identifié au personnage de Parsifal,
qu’il soit devenu le purificateur dont le devoir est de sauver l’Humanité de la présence d’une
race corrompue. L’intérêt que le Führer portait à Parsifal était donc dû en grande partie à
l’image de la créature impure vivant dans une société et dont cette dernière doit se débarrasser
pour se purifier.
Pourtant, je relève le fait que si la signification symbolique des opéras de Wagner semblait
fasciner Hitler, ce dernier paraissait beaucoup moins intéressé par la musique elle-même.
Wagner reste avant tout un musicien et s’il est vrai que la profondeur et la beauté de ses textes
contribuent à augmenter son génie, sa musique est tout de même une des plus grandes jamais
composées. Prenons les Maîtres chanteurs de Nuremberg, opéra étonnamment classique qui
tourne en dérision la critique et plus précisément le redoutable Edouard Hanslick. Wagner a
fait là un opéra comique et essentiellement divertissant même s’il cache derrière cela une
description de son idéal concernant l’art allemand. Hitler a d’ailleurs violemment critiqué une
version de cet opéra sous la direction de Karajan, jugeant que ce dernier ne jouait pas cela de
manière suffisamment allemande. Je doute pourtant d’un réel sens musical chez Hitler. Il était
a mon avis plus préoccupé de la symbolique de certaines œuvres qui pouvaient servir à sa
propagande antisémite que de leur réelle beauté musicale.
D’ailleurs, Wagner ne doit-il pas une partie de sa célébrité (et malheureusement aussi sa
mauvaise réputation) au fait que les nazis ont utilisé sa musique et son antisémitisme afin
d’appuyer leur propre politique ?
Conclusion : le culte de Bayreuth
Je vais devoir mettre un terme à ce Travail de Maturité, je ne peux toutefois pas le faire sans
discuter un dernier point important.
Je m’appuierai pour cela sur une remarque de Maurice Druon, écrivain et secrétaire perpétuel
de l’Académie Française depuis novembre 1985. Dans l’introduction à son roman Alexandre
le Grand, il nous dit cela : « Ainsi, les cinq civilisations méditerranéennes dont nous sommes
issus, dont les œuvres et l’histoire forment les assises de notre culture, dont les lois régissent
encore nos institutions ou dont les dogmes sont toujours ceux de nos culture, ces cinq
civilisations, l’hébraïque, l’athénienne, la romaine, l’alexandrine, la chrétienne, ont chacune
un fondateur, un initiateur connu; mais ces fondateurs, tous les cinq, sont des êtres dont la
naissance comporte un mystère environné de nuages mystiques20. »
Moïse est né de père inconnu et est probablement d’origine égyptienne. Thésée, le héros
athénien, est le fils du roi Egée qui a donné plus tard son nom à la mer dans laquelle il s’est
jeté. Maurice Druon le soupçonnerait-il d’être en réalité le fruit des amours de la reine Ethra
et d’un dieu ? Il est toutefois un descendant de Zeus, ce qui lui assure une part d’origine
divine. Romulus, futur fondateur et premier roi de Rome, est né avec son frère Remus des
amours du dieu Mars et d’une vestale, Réha-Silvia. Alexandre le Grand est également un
28
bâtard et Jésus-Christ est bien sûr présenté comme le fils de Dieu et non de Joseph de
Nazareth.
C’est en lisant cette introduction que je me suis rappelé que la naissance de Wagner était
également sujette à des doutes; plusieurs personnes le soupçonnent d’être le fils de son futur
père adoptif Ludwig Geyer. Friedrich Wagner étant mort du typhus alors que le jeune Richard
n’avait que six mois, Geyer avait pris soin de la famille et finalement épousé Johanna Wagner
avec qui il était déjà lié par de puissants liens d’amitié. Rien ne prouve cependant que ce
dernier soit le géniteur de celui qui jusqu’à quatorze ans allait s’appeler Wilhelm Richard
Geyer.
Le fait que la naissance de Wagner soit également empreinte d’un mystère m’amène à
considérer de plus près ce qu’il a laissé au monde à sa mort; je veux parler du célèbre festival
de Bayreuth.
Chaque année, le Festspielhaus construit par Wagner est comble pour un certain temps. Les
places sont vendues plusieurs années à l’avance pour aller assister aux représentations de
quelques œuvres du Maître dans le temple de l’opéra wagnérien; car c’est bien d’un temple
qu’il s’agit ou du moins d’un lieu de culte.
Même si, élément essentiel à toute religion, la musique de Wagner n’est pas « sacrée » dans le
sens divin du terme, elle comporte une foule de fidèles importante. Les wagnériens, ainsi
qu’ils se nomment eux-mêmes, sont des personnes qui « croient » en Wagner, qui à l’exemple
de Bruckner vont parfois jusqu’à le vénérer. Et qu’est-ce qu’une religion en fin de compte ?
C’est une croyance qui comporte des fidèles et un lieu de culte. Or, à la différence d’autres
grands génies de la musique, Wagner est le seul qui ait laissé au monde un lieu symbolique de
ce culte.
Je citerai ici Martin Grégor-Dellin qui dans sa biographie du compositeur nous dit en parlant
du soir du premier festival : « Le 13 août, sur une route poussiéreuse, un public pour lequel
les véhicules fournis par la ville ne suffirent pas fit en pèlerinage pour la première fois le trajet
vers le théâtre rouge sur la colline.21 »
En décrivant le cortège des spectateurs qui se rendent à pied à l’opéra, Grégor-Dellin fait
implicitement allusion au fait que c’est bien plus qu’un simple public qui se dirige ce soir là
vers le Festspielhaus de Bayreuth, c’est une procession de fidèles qui se dirige vers son église.
Mais peut-on parler réellement d’une religion wagnérienne ?
C’est une théorie qui est à mon avis loin d’être erronée si l’on mesure l’étendue de l’influence
qu’exerce la « maison mère » sur le monde wagnérien et que l’on regarde converger chaque
année des gens vers ce théâtre ainsi que les chevaliers du Graal vers la forteresse de
Montsalvat.
Connaissant le pouvoir que peut exercer une religion et les violences qui en découlent, je me
permets de poser (enfin) la question même du travail : la musique peut-elle être dangereuse ?
Si l’on en croit Nietzsche, Wagner est une maladie dont on doit se libérer tôt ou tard. Il est
vrai que la puissance qui émane de son œuvre a de quoi subjuguer littéralement son adepte;
quant à le rendre « malade », l’opinion du philosophe est discutable. Mais c’est dans un autre
sens que l’on doit ici comprendre la question. En effet, cette dernière n’est pas innocente et si
elle est posée, ce n’est pas sans rapport avec la deuxième guerre mondiale et les actes commis
par les nazis qui avaient fait de Wagner, pour citer à nouveau Philippe Olivier, « le fer de
lance de leur impérialisme culturel. » Assimilé longtemps aux horreurs commises sous le
29
troisième Reich, Wagner n’en est pas sorti intact, il a même acquis une mauvaise réputation
chez bien des personnes.
Je l’ai dit, les symboles contenus dans les opéras du maître de Bayreuth ont été une des
raisons qui ont poussé les nazis à s’en servir mais qu’en est-il de la musique elle-même ?
Si elle ne présente aucun danger en soi, elle n’a pas toujours été utilisée à des fins
recommandables; citons l’Ordre du Temple Solaire, secte qui passait des œuvres de Wagner
durant ses cérémonies et qui s’était rendue coupable de nombreux crimes. La puissance
persuasive de cette musique est tout de même non négligeable. Si elle conduit à une sorte
d’état extatique, son pouvoir n’est pas loin de celui d’une drogue. Mais encore une fois, peutelle être réellement dangereuse ? Pourquoi choisir Wagner parmi tant de compositeurs ?
La puissance dramatique et l’extraordinaire capacité que possède la musique de Wagner de
correspondre au texte et à l’atmosphère de l’œuvre est probablement ce qui la rend si
envoûtante. Inconsciemment, ceux qui l’ont utilisée étaient probablement séduits par cet
aspect en plus des messages que les œuvres pouvaient transporter.
Ce n’est donc pas la musique qui est dangereuse mais bien les gens qui en l’intégrant à leurs
actes criminels salissent son image. Elle se trouve ensuite généralement assimilée à ces
derniers sans raison aucune. Pour combien de personnes encore les noms de Wagner et
d’Hitler sont-ils liés ? Et combien haïssent les œuvres du compositeur du seul fait de son
antisémitisme ? Ce dernier tenait alors une place importante en Allemagne et Wagner n’était
pas le seul à en être partisan. Enfin, rappelons que le chef qui, à sa demande, a dirigé la
première de Parsifal, Hermann Lévi, était juif…
Nom tant de fois assimilé à des criminels, Richard Wagner est tout de même mal vu par une
grande part de la population. N’est-ce pas là aussi un des dangers de la musique que le fait
qu’elle puisse ternir l’image de son compositeur ?
**************
30
Notes
Page de titre
« Die Wagner-Tuba » dans « Das Große Gerard Hoffnung Buch », Sämtliche
Cartoons : Editions Langen Müller 1981, page 82.
1
(p. 4) Description tirée du livret de Parsifal dans L'Avant-Scène Opéra 2003. Le texte est le
même dans la version de 1982 ainsi que dans la réduction pour piano de Félix Mottl. (Editions
Peters) Il est probablement de Wagner lui-même.
2
(p.5) Idem note 1
3
(p.5) Idem note 1
4
(p.6) Idem note 1
5
(p.7) Idem note 1
6
(p.7) Idem note 1
7
(p.8) Idée que j’ai empruntée à Claude Levi-Strauss dans son article de L’Avant-Scène
Opéra 1982 et 2003 : « De Chrétien de Troyes à Richard Wagner. »
8
(p.9) Citation tirée de la préface d’Armand Hog au roman Perceval ou le Roman du Graal,
Editions Gallimard 1974 et Club Français du Livre 1949 pour la préface.
9
(p.13) Programme que j’ai trouvé dans L’Avant-Scène Opéra 1982, page 41. Il se trouve
également dans la version de 2003, page 18.
10
(p.15) J’ai trouvé cette remarque de Wagner dans la réduction pour piano de Félix Mottl.
(Editions Peters) Les notes du compositeur y sont mises en italiques.
11
(p.16) Je tire cette citation de L’Avant-Scène Opéra 2003, p. 164. Il s’agit d’un entretien de
1981 entre Leonie Rysanek et Monique Barichella.
12
(p.16) Si l’analyse qui suit est personnelle, j’emprunte ces quatre noms à l’article de Claude
Lévi-Srauss dans L’Avant-Scène Opéra 1982 et 2003 : « De Chrétien de Troyes à Richard
Wagner. »
13
(p.23) Traduction française de Dennis Collins tirée du livret qui accompagne
l’enregistrement de 1998 par Daniel Barenboim et la Staatskapelle de Berlin chez Teldec
classics.
14
(p.23) J’emprunte cette interprétation à l’article de Claude Lévi-Strauss : « De Chrétien de
Troyes à Richard Wagner » dans L’Avant-Scène Opéra, 1982 et 2003.
15
(p.23) Citation tirée de L’Avant-Scène Opéra 1982, p. 6. (quatre extraits de lettres à Judith
Gautier)
16
(p.25) Tiré de l’ouvrage de Schopenhauer « Fondements de la Morale », § 16 (citation de
L’Avant-Scène Opéra 2003.)
31
17
(p.25) Friedrich Nietzsche : « Le cas Wagner », § 9 dans « Les œuvre complètes de F.
Nietzsche », éditions Gallimard 1974 pour la traduction française.
18
(p.26) Théorie qui m’a été suggérée par l’article de Serge Gut dans L’Avant-Scène Opéra
2003 : « Parsifal, drame païen ou drame chrétien ? »
19
(p.27) Citation tirée de l’article de Philippe Olivier : « L’équivoque nazie » dans L’AvantScène Opéra 1982.
20
(p. 28) Tiré de l’introduction à « Alexandre le grand » dans les « Romans mythologiques »
de Maurice Druon. (Librairie Plon 1994 et 1999, page 428)
21
(p.29) Citation tirée de « Richard Wagner, sa vie, son œuvre, son siècle » par Martin
Grégor-Dellin, (Fayard les indispensables de la musique 1981 pour la traduction française/ p.
705)
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32
Bibliographie
Etudes
-
Martin GEGOR-DELLIN : Richard Wagner, sa vie, son œuvre, son siècle : Fayard les
Indispensables de la Musique1981 pour la traduction française.
Sous la direction de Barry MILLINGTON : Wagner, guide raisonné : Editions Fayard
1996 pour la traduction française.
Romans
-
Friedrich NIETZSCHE : Le cas Wagner in Oeuvres philosophiques complètes :
Edition Gallimard 1974 pour la traduction française.
Maurice DRUON : Romans mythologiques : Maurice Druon et Librairie Plon 1999.
Wolfram von ESCHENBACH : Parzival : collection « Les 100 chefs d’œuvres
étrangers », La Renaissance du Livre, Paris 1933.
Chrétien DE TROYES : Perceval ou le Roman du Graal (Préface d’Armand Hoog) :
Editions Gallimard 1974 et Club Français du Livre 1949 pour la préface.
Périodiques
-
L’Avant-Scène Opéra (bimestriel) : Wagner, Parsifal : janvier-février 1982.
L’Avant-Scène Opéra (bimestriel) : Wagner, Parsifal : mars-avril 2003.
Partitions musicales
-
Richard WAGNER : Parsifal (réduction pour piano de Felix Mottl) : Editions Peters.
Richard WAGNER : Parsifal (partition d’orchestre) : Editions Ernst Eulenburg n°911.
Autres
-
Le Petit Larousse Illustré 1999.
Sous la direction de Denis ARNOLD : Dictionnaire encyclopédique de la musique :
Editions Robert Laffont, S.A. Paris, 1988 pour la traduction française et les ajouts (2
volumes).
**************
33
Forlani Joachim, 3MS2
Résumé du Travail de Maturité
Wagner, Bruckner, Hitler : la musique peut-elle être dangereuse ?
Ce travail porte essentiellement sur la dernière œuvre scénique de Richard Wagner, Parsifal,
opéra différant sensiblement des précédents de par son sujet à savoir la quête du Graal.
L’analyse de cette légende est fondée sur une partie des sources de Wagner, Perceval ou le
Roman du Graal du français Chrétien de Troyes et Parzival du poète allemand Wolfram von
Eschenbach. Cette étude d’une trentaine de pages comporte cinq parties et une conclusion.
La première traite le mythe du Graal lui-même. Comment, de la pierre miraculeuse qu’il était
dans les versions les plus anciennes du mythe est-il devenu le calice de Jésus-Christ ? En
effet, la légende, avant d’être reprise par la religion chrétienne, n’était pas assimilée au
Nouveau Testament. C’est seulement plus tard que le Graal a pris l’apparence qu’on lui
connaît aujourd’hui, c’est à dire celle d’une coupe dans laquelle aurait bu le Christ lors de la
Sainte Cène et qui aurait ensuite recueilli son sang d’une blessure faite par la lance d’un
soldat romain. Cette lance est quelquefois assimilée au Graal.
La deuxième partie examine de plus près les personnages de l’opéra, leurs modèles dans les
récits antérieurs et leur rôle dans l’action.
La troisième partie met en évidence les autres références religieuses apparaissent dans l’opéra
telles le Bouddhisme, de par la présence de la réincarnation. Certaines croyances archaïques
influencent également le compositeur par leurs théories sur la castration, sensée conduire à
l’obtention de pouvoirs magiques. La philosophie d’Arthur Schopenhauer tient elle aussi une
place importante dans le déroulement des événements, notamment par ses théories sur la
compassion et l’accès à la connaissance à travers l’expérience.
Une quatrième partie traite brièvement ce que l’on peut appeler l’action rédemptrice de l’art.
Le fait d’accorder une grande importance à la religion chrétienne est un moyen de lui donner
une raison d’être pour qui n’est pas croyant.
Enfin, la cinquième partie de ce travail donne un aperçu des rapports qu’a pu avoir Adolf
Hitler avec Parsifal et des raisons de l’affection qu’il portait à cet opéra malgré son retrait de
la scène durant la deuxième guerre mondiale en raison du message chrétien qu’il transportait.
La musique peut-elle être dangereuse ? demande le titre du sujet traité dans ce travail de
maturité. Cette question est abordée dans la conclusion qui cherche à analyser quel impact
peut avoir une œuvre comme Parsifal sur son public si on compare ce dernier à une foule de
fidèles montant au Festspielhaus de Bayreuth afin d’assister au culte annuel qu’est le festival
d’opéra dans la petite ville bavaroise.
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