Les Balkans, carrefour de l`exil et de la prostitution

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Les Balkans, carrefour de l`exil et de la prostitution
Les Balkans, carrefour de l'exil
et de la prostitution
Jean-Arnault Dérens
La destabilisation des Balkans par la guerre durant la
dernière décade y a notamment favorisé le trafic de la
prostitution. Les réseaux ont d'abord exploités des
victimes qui proviennent majoritairement des pays de
l'extrême Est de l'Europe mais cette activité criminelle
tend aujourd'hui à affecter directement les sociétés albanaises et monténégrines
L
es guerres yougoslaves ont déterminé d’immenses flux de
populations fuyant les combats. Tous ces réfugiés et ces
déplacés sont bien loin d’être rentrés chez eux, et chaque
nouvelle menace de crise politique fait craindre, comme en
Macédoine, de nouveaux mouvements d’exil. Pourtant, les Balkans
sont aussi devenus, depuis une décennie, un important carrefour des
migrations internationales. Les réseaux qui gèrent ces flux de clandestins ont pu profiter, en Albanie comme en Bosnie, en Serbie ou au
Kosovo, de la quasi-absence de politiques de contrôle et de la faillite
généralisée des Etats. Les administrations internationales, civiles et
militaires, en place dans la région, prennent de plus en plus la mesure
de ces trafics qu’elles se révèlent cependant, elles aussi, bien incapables d’endiguer.
Un état des lieux
Il est toujours impossible d’établir une statistique précise des
mouvements de population engendrés par les guerres yougoslaves,
mais, sans étudier pour eux-mêmes ces mouvements, il importe de
souligner comment ils ont joué un rôle déterminant dans la mise en
place de réseaux clandestins de passage. La guerre de Bosnie, puis
celle du Kosovo se sont soldées par d’immenses mouvements de
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population. Les ports monténégrins d’Ulcinj et de Bar ont ainsi joué
un rôle crucial dans le transfert de réfugiés du Kosovo vers l’Italie.
Dans un premier temps (1998-juin 1999), les candidats au départ
étaient essentiellement albanais, mais de nombreux Roms ont
continué, par la suite, à utiliser cette filière. Dans le centre de réfugiés
roms de Konik, près de la capitale Podgorica, il est toujours possible
de trouver des solutions rapides pour partir vers l’Italie, les chefs très
corrompus de la communauté rom du Monténégro étant en relation
avec les groupes mafieux de passeurs aussi bien monténégrins qu’albanais, les premiers contrôlant le port de Bar, les seconds celui
d’Ulcinj. Des clandestins asiatiques ou proches-orientaux sont également venus rejoindre les Roms : les filières sont restées en place.
Avant de s’intéresser au transit de réfugiés kurdes ou chinois, les
passeurs spécialisés des ports albanais ont, eux aussi, construit leurs
réseaux pour satisfaire la demande d’exil des populations de leur
propre pays. La première grande vague de départ coïncida avec la
«crise des ambassades» de juillet 1990, quand des milliers d’Albanais
se réfugièrent dans les ambassades étrangères pour tenter de fuir leur
pays. Depuis, l’Albanie continue de subir une saignée démographique permanente : les jeunes, instruits ou non, cherchent toujours
massivement à quitter leur pays. Si l’émigration clandestine vers la
Grèce est, le plus souvent, une émigration saisonnière, les départs
vers l’Italie, eux, ne sont souvent que le prélude à un plus long exil
pour l’Europe du Nord.
Aujourd’hui, de nombreux ressortissants des pays balkaniques
continuent de chercher à gagner l’Europe occidentale, soit pour fuir la
misère, soit parce qu’ils sont victimes de persécutions ou de discriminations, comme par exemple les Serbes et les Roms du Kosovo. Les
changements politiques intervenus ces dernières années n’ont pas
modifié la situation : le retour de quelques centaines de Serbes de la
diaspora venus reconstruire leur pays après la chute du régime de
Slobodan Milosevic demeure un phénomène statistiquement indiscernable.
De très nombreux candidats à l’exil utilisent désormais les Balkans
comme plaque tournante pour essayer de passer à l’ouest. Prenons
l’exemple d’un petit bar de la Bas Carsija, le vieux bazar de Sarajevo.
Son propriétaire est un Turc du Kosovo. Appelons-le «Saïd». Depuis
des années, le bar de Saïd est le point de rendez-vous des ressortissants des pays du Proche et du Moyen-Orient qui cherchent à passer
à l’ouest. Se rendre à Sarajevo de manière régulière, en voyageant en
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avion, reste souvent facile et relativement peu onéreux. Le travail de
Saïd – qui se défend bien de se livrer lui-même directement à aucune
activité prohibée – consiste à mettre ces migrants en relation avec des
réseaux qui pourront leur fournir des faux passeports ou leur faire
gagner clandestinement l’Occident.
Tout le monde n’arrive pas légalement en Bosnie. La police
bosniaque arrête chaque mois plusieurs dizaines de clandestins en
provenance de Serbie. Héritage du Mouvement des non-alignés, dont
la Yougoslavie avait été l’un des membres moteurs, la Fédération
yougoslave – ou son successeur, l’Union de Serbie et du Monténégro–
a conservé des régimes de visa très souples avec de nombreux pays
d’Asie, d’Afrique et du monde arabe. La Serbie actuelle aurait tout
pour se transformer en un cul-de-sac, s’il n’existait pas des échappatoires vers la Bosnie, la Hongrie ou le monde albanais. La tâche de la
police bosniaque est d’autant plus compliquée que la police frontalière, commune aux deux «entités» du pays – la Fédération croatobosniaque et la Republika Srpska –, ne contrôlait encore que 88% des
frontières du pays en avril 2002, selon ses propres aveux.
Les Chinois occupent une place particulière dans ces migrations. La
compagnie d’aviation yougoslave JAT propose toujours des vols
Pékin-Belgrade à des tarifs particulièrement compétitifs et une importante communauté chinoise s’est installée en Serbie ces dernières
années. Il n’existe plus de petites villes de Serbie, du Monténégro ou
de la Republika Srpska qui ne disposent de quelques kineski butik, où
l’on trouve des articles de camelote à prix cassés. Durant les dernières
années du régime de Slobodan Milosevic, un véritable «phantasme
chinois» s’était emparé des milieux d’opposition. Après les bombardements de l’OTAN du printemps 1999, la Chine apparaissait comme
l’un des derniers soutiens de la Serbie sur la scène internationale, et
Pékin a généreusement contribué à son programme de reconstruction,
lancé pour réparer les destructions occasionnées par les raids de
l’Alliance atlantique. Des «centaines de milliers de Chinois» se seraient
installés en Serbie, et le régime se serait apprêté à leur accorder la
citoyenneté, pour en faire une docile clientèle électorale. Bien évidemment, les chiffres réels – imprécis – sont toujours restés beaucoup plus
bas, et aucun plan de naturalisation massive n’a jamais été envisagé.
En fait, les Chinois de Serbie occupent une «niche» économique bien
spécifique, celle de la vente en gros et en détail d’articles de consommation de mauvaise qualité, sur un modèle déjà expérimenté par
leurs compatriotes installés en Afrique. Dans le développement de ce
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commerce, ils ont souvent eu recours à des intermédiaires et à des
prête-noms serbes issus des cercles proches du pouvoir de Slobodan
Milosevic1. Et la Serbie – tout comme la Moldavie – joue un rôle essentiel de «sas d’accès» pour les migrations chinoises vers l’Europe occidentale.
Acteurs et ampleur du trafic
Le même problème statistique se pose pour essayer d’évaluer l’importance des mouvements de migration illégaux qui transitent par les
Balkans que pour faire le point sur les vagues d’exil déterminées par
les guerres, ainsi que le reconnaît elle-même l’Organisation internationale des migrations (OIM) dans l’un de ses récents rapports, Victims
of Trafficking in the Balkans (2001)2, tant les données sont parcellaires et
incomplètes.
Selon un rapport récemment présenté devant la Commission de
l’ordre et de la sécurité du Parlement albanais par le chef des services
de renseignements de ce pays, Fatos Klosi, «le trafic de clandestins
demeure au centre des activités de la mafia, qui se livre, avec la bienveillance
de policiers corrompus, à la falsification de documents». Selon les spécialistes de la criminalité organisée, le trafic d’êtres humains constituerait
souvent l’une des «activités de base» des réseaux mafieux, permettant
une première accumulation rapide de capital. Ensuite, ces réseaux se
spécialiseraient dans d’autres trafics, comme ceux de la drogue ou des
armes, sans renoncer pour autant forcément à leur activité première.
En Albanie, les migrants viennent principalement d’Europe de l’Est et
d’Asie, et cherchent à se rendre en Europe occidentale. Le port méridional de Vlora demeure l’une des principales plaques tournantes de
ce trafic. Les spécialistes albanais de ce genre de trafic ont réussi à s’assurer de précieuses complicités dans les polices des frontières non
seulement de l’Albanie, mais aussi de pays voisins, comme la
Macédoine et le Monténégro3. Le poste frontalier de Morina, entre le
Kosovo et l’Albanie, joue également, depuis peu, un rôle croissant
dans ces mouvements de migration. De même, la police internationale
au Kosovo, depuis trois ans, a multiplié les arrestations de groupes de
clandestins, souvent originaires d’Iran, d’Irak ou de Turquie, qui cherchaient à passer en Albanie. Les routes menant au Kosovo demeurent
par contre encore relativement mal connues.
Philippe Chassagne et Kolë Gjeloshaj soulignent que le trafic de
clandestins s’ajoute souvent à celui de marchandises prohibées, les
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bateaux pouvant être lestés de drogue ou de cigarettes, et ils insistent
aussi sur l’importance des réseaux albanais installés hors du pays. Dès
1991, Amarildo Vrioni s’installe ainsi à Fasano, dans la banlieue de
Brindisi. Il aurait contrôlé l’un de ces premiers réseaux de trafic
d’êtres humains, de drogue et d’armes4. Les clandestins d’origine
chinoise se feraient aussi de plus en plus nombreux en Albanie, l’ancienne nomenklatura, désormais reconvertie dans la mafia ou les
nouveaux services de police, ayant conservé des liens en Chine. Il
semblerait même que des représentants des Triades chinoises se soient
installés à Vlora.
Si l’on tente de dresser un bilan des mouvements illégaux de migration, plusieurs itinéraires apparaissent, impliquant différents réseaux
criminels. Les pays des Balkans, et notamment la Serbie, peuvent être
un lieu de première arrivée légale, souvent par avion. Tel est fréquemment le cas des Chinois. Ces migrants ont ensuite la possibilité de
rester dans les Balkans ou bien de tenter de gagner l’Europe occidentale. Dans ce cas, plusieurs itinéraires sont possibles : vers le
Monténégro ou l’Albanie, puis, par bateau, jusqu’en Italie. Autres
solutions : un voyage clandestin à travers la Hongrie ou bien la
Bosnie, la Croatie et la Slovénie. Dans tous les cas, ces itinéraires
nécessitent de fortes interconnexions entre les différents réseaux de
passeurs balkaniques (réseaux serbes, monténégrins, kosovars, albanais, etc.), ainsi que des liens entre ces réseaux et des réseaux transnationaux extra-balkaniques, comme les différentes mafias italiennes,
notamment la Sacra Corona Unita, initialement basée dans les
Pouilles, mais qui dispose aussi de coscas5 fort actives en Europe
centrale. Par son positionnement géographique – en Italie, dans les
Balkans et en Europe centrale –, la Sacra Corona Unita joue sans
aucun doute un rôle essentiel dans tous les trafics d’êtres humains
transitant par les Balkans.
D’autres itinéraires jouent également un rôle important. Les ressortissants des pays du Proche et du Moyen-Orient peuvent tenter de
gagner les Balkans par la Turquie, la Bulgarie et la Macédoine, de
même que les ressortissants d’ex-URSS transitent également par la
Bulgarie et la Roumanie. Ces itinéraires suggèrent des liens entre les
mafias balkaniques, notamment la mafia serbe et les réseaux opérant
en Macédoine, et avec la mafia russe, qui a fait de la Bulgarie sa chasse
gardée aux portes de l’Union européenne (UE). Les perspectives d’intégration européenne, et la suppression des visas pour les ressortissants bulgares et roumains souhaitant se rendre dans les Etats de l’UE
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modifient encore la donne : de nombreux Moldaves sont désormais
tentés d’acquérir un visa roumain dans le seul but de pouvoir voyager
librement, et les réseaux criminels ne manqueront pas de mettre à
profit ces nouvelles opportunités.
Enfin, les cas ne sont pas rares de passages en bateau, le plus
souvent depuis les côtes turques jusqu’en Albanie, pour repartir
ensuite vers l’Italie. On raconte souvent en Albanie l’histoire de réfugiés kurdes, débarqués au large des côtes de Vlora et auxquels on
avait expliqué qu’ils étaient arrivés en Italie…
Un cas particulier, la prostitution
Les Balkans se situent à bien des égards sur les routes internationales de la prostitution, les mafieux albanais s’étant particulièrement
investis sur ce marché très profitable. La prostitution vise d’abord à
satisfaire les besoins de la clientèle locale. En Macédoine, de Tetovo à
Struga, il n’est pas un petit village albanais de montagne qui ne
compte un ou plusieurs bordels. Les sociétés balkaniques, et tout
particulièrement la société albanaise, demeurent des sociétés patriarcales très rigides, où les relations entre les sexes sont inhibées par de
multiples tabous et interdits sociaux. Dans ces conditions, l’éducation
sexuelle des jeunes hommes s’effectue toujours massivement dans ces
bordels.
Les proxénètes albanais des Balkans (d’Albanie, de Macédoine, du
Kosovo ou du sud de la Serbie) s’appuient toujours sur les importants
réseaux de prostitution contrôlés par les diasporas albanaises en
Europe occidentale. Dans ces conditions, les bordels locaux peuvent
souvent jouer le rôle d’établissements de transit, où les filles seront
«formées» et sélectionnées avant, pour certaines, de partir en Europe
de l’Ouest. La présence des soldats internationaux de la KFOR au
Kosovo, ainsi que des personnels civils de l’ONU, a créé un nouveau
marché particulièrement rentable d’hommes seuls et relativement
fortunés. Les articles de presse retentissants sur la fréquentation internationale des bordels de Pristina ou des autres villes du Kosovo ont
conduit à l’ouverture de quelques enquêtes, mais ce marché semble
continuer de se développer sans entraves particulières.
Les réseaux de proxénétisme albanais possèdent des infrastructures
bien développées, qui leur permettent de contrôler toute la «chaîne»,
depuis le «recrutement» des filles jusqu’à leur voyage et leur installation à l’Ouest. Généralement, ces filles viennent de pays plus
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orientaux, comme la Bulgarie, la Moldavie ou l’Ukraine. Cette situation satisfait le nationalisme des clients albanais, qui affirment volontiers ne pas vouloir avoir recours à des prostituées issues de leur
communauté nationale, mais la prostitution des jeunes Albanaises
prend néanmoins des proportions sans cesse plus considérables,
quitte à déplacer les prostituées à l’intérieur de l’aire de peuplement
albanais des Balkans (d’Albanie au Kosovo, par exemple, ou viceversa) ou à les envoyer en Europe de l’Ouest.
Dans certaines régions reculées, notamment du sud de l’Albanie, la
prostitution peut prendre l’aspect d’une véritable saignée démographique. Dans la préfecture de Malakaster, par exemple, il est d’usage
que les parents retiennent leurs enfants à la maison, pour leur éviter
d’être kidnappés par les trafiquants qui seraient ici principalement
italiens et grecs. Même si cette hypothèse était exacte, ces proxénètes
étrangers ne pourraient travailler qu’en étroite coopération avec des
partenaires locaux. Dans ces régions du sud de l’Albanie, le trafic
d’êtres humains touche également les enfants. Selon l’UNICEF et l’organisation française Enfants du Monde – Droits de l’Homme6, plusieurs
milliers d’enfants disparaîtraient chaque année d’Albanie, pour
fournir non seulement les réseaux de prostitution, mais aussi ceux de
l’adoption, voire les trafiquants d’organes.
L’arrivée régulière de prostituées de Bulgarie ou des pays d’ex-URSS
suppose également l’existence de relations d’affaires étroites entre les
proxénètes albanais et des réseaux criminels d’autres nationalités,
notamment serbes. Les réseaux mafieux serbes jouent souvent un rôle
d’intermédiaire, et les trois communes albanaises du sud de la Serbie
se retrouvent ainsi dans une position particulièrement stratégique
pour un grand nombre de trafics illégaux. Le gros village de Veliki
Trnovac, à côté de la petite ville de Bujanovac, a ainsi acquis la réputation d’être une plaque tournante et un véritable «supermarché» des
trafics, qu’il s’agisse de ceux d’êtres humains, d’armes ou de drogue.
Lors du développement d’une guérilla séparatiste albanaise, en 20002001, Veliki Trnovac se trouvait à la limite des territoires contrôlés par
la guérilla de l’UCPMB. Cette position charnière était particulièrement
propice pour faire de Veliki Trnovac un secteur de non-droit, mais
aussi une «zone franche» où pouvaient se retrouver mafieux serbes et
albanais. L’arrivée de prostituées bulgares ou ayant transité par la
Bulgarie pose aussi la question des relations entre milieux criminels et
bulgares, ces derniers étant largement placés sous la coupe de la mafia
russe.
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De récentes enquêtes ont également révélé l’importance de la prostitution au Monténégro7. Non seulement ce pays est un lieu de transit,
mais de jeunes Monténégrines ont également été kidnappées pour
être livrées aux réseaux albanais de prostitution. Le coordinateur de la
cellule monténégrine de lutte contre le trafic des êtres humains,
Vladimir Cejovic, souligne que la lutte contre la prostitution internationale a longtemps été négligée, car le trafic d’êtres humains n’était
pas un délit punissable dans la petite république. Seules les victimes
des réseaux de trafics pouvaient éventuellement être arrêtées, pour
séjour irrégulier au Monténégro. Vladimir Cejovic pointe aussi «l’effondrement de l’ancien Etat fédéral, l’état de guerre, l’isolation, les sanctions,
la coupure des communications avec les pays de la région ainsi qu’avec
Interpol et Europol» parmi les causes du développement de ces trafics.
Depuis, le Monténégro a ratifié les conventions internationales, et une
démarche commune aux pays de la région a été lancée dans le cadre
du Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est. Pour autant, les efforts
d’organismes comme l’OIM en sont encore essentiellement au stade du
rassemblement des données, plus qu’à celui de la lutte active contre
les réseaux criminels.
Les Balkans, antichambre de l’Europe
Vue d’un point de vue chinois, la Serbie se trouve incontestablement
en Europe et même aux portes de l’UE. De même, les côtes albanaises
ne sont qu’à quelques heures de navigation de l’Italie et les réseaux
criminels ont toutes les chances de pouvoir profiter encore longtemps
de l’incurie des Etats pour faire des Balkans l’une des principales
plaques tournantes du trafic d’êtres humains. Les réponses policières,
cependant, ne sont pas de nature à régler le problème. Depuis
quelques années, de réelles avancées ont été enregistrées dans la
coopération entre les polices des Balkans mais, même en unissant
leurs forces, ces polices sont bien incapables d’agir en amont pour
ralentir les flux de clandestins qui arrivent dans la péninsule. Et aucun
pays des Balkans ne dispose des capacités d’accueil nécessaires pour
maintenir les clandestins avant, éventuellement, de les renvoyer chez
eux.
La réponse policière appartient avant tout à l’UE, plus tentée que
jamais d’établir un mur étanche à ses frontières, elles-mêmes affectées
par le processus d’élargissement. Dès 2004, la Slovénie et la Hongrie
seront membres de l’Union et elles prennent déjà très au sérieux leur
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rôle de garde-frontières de l’Europe des riches. Plus tard, l’élargissement à la Bulgarie et à la Roumanie, puis à la Croatie voire aux républiques d’ex-Yougoslavie ne fera que déplacer le problème : la frontière, aujourd’hui bien perméable, entre la Roumanie et la Bulgarie
serait ainsi appelée à devenir un nouveau rideau de fer.
Jusqu’à présent, l’Italie est le pays le plus concerné par l’arrivée des
clandestins, et la législation longtemps tolérante dont ce pays a joui en
avait fait un lieu naturel de transit. Le père Renzo, assassiné en février
1999, était le curé d’une vilaine église moderne de Chiasso, située à
quelques centaines de mètres de la frontière helvétique. Le poste frontière entre l’Italie et la Suisse se passe sans aucun contrôle pour la
plupart des véhicules immatriculés dans l’Union européenne ou dans
la Confédération. Par contre, des fils de fer barbelés séparent les quartiers dépendant de Chiasso (Italie) et de Ponte Chiasso (Suisse). Le
père Renzo avait ouvert son église à tous les clandestins. Certains
soirs, jusqu’à 200 personnes venaient y prendre une douche ou un
repas chaud. Refoulés et souvent battus par la police suisse, certains
clandestins en étaient à leur dixième ou à leur vingtième tentative de
passage, jamais vraiment découragés, car, forcément, une fois ou
l’autre serait la bonne.
Jean-Arnault Dérens, historien et journaliste, est directeur du site internet
Le Courrier des Balkans : http://bok.net/balkans/
Notes :
1. Et encore plus précisément du parti de son épouse, Mirjana Markovic, la JUL, notamment
pour le contrôle des centres commerciaux du quartier de Novi Beograd, dans la capitale, où les
Chinois sont fortement implantés.
2. Rapport disponible sur le site de l’OIM, http://www.iom.int//DOCUMENTS/PUBLICATION/EN/balkan_trafficking.pdf
3. Lire «Albanie : la mafia et le pouvoir», Korrieri, 18 avril 2002, article traduit en français
par Le Courrier des Balkans, http://balkans.eu.org
4. Lire Ph.Chassagne et K.Gjeloshaj, «L’émergence de la criminalité organisée albanophone»,
Cahiers du CEMOTI, 32, 2001, pp. 161-190.
5. Cosca : cellule mafieuse active.
6. Qui dispose à Ballsh et à Tirana de missions spécialisées dans l’accueil des enfants des rues,
www.emdh.org
7. Lire «Pakao je blizu. Crna Gora u mrezi trgovine zenama», in Monitor, 3 mai 2002.
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