Rapport du Sénat

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Rapport du Sénat
REPUBLIQUE FRANCAISE
DIRECTION DE L’INITIATIVE PARLEMENTAIRE ET DES DELEGATIONS
DPI / 11 - 145
Paris, le 5 janvier 2012
Objet: Pratiques discriminatoires envers certains moniteurs de ski
L'enseignement du ski est dispensé, dans les stations de sports d'hiver, par des
moniteurs de ski alpin, travailleurs indépendants le plus souvent regroupés dans
des écoles de ski majoritairement sous la dépendance de l'une ou l'autre de ces
deux structures :
- la Fédération française
« ski école internationale» ;
des
enseignants
de
ski
regroupant
les
écoles
dites
–
le Syndicat national des moniteurs de ski français (SNMSF) dont les
quelque 250 écoles de ski français (ESF) sont des émanations des sections
locales et auxquelles adhèrent environ 17.000 moniteurs.
–
Le SNMSF et les ESF sont des associations régies par la loi du 1 er juillet 1901.
Les moniteurs qui exercent leur activité dans ces écoles ne leur sont liés ni par un
contrat de travail ni par un contrat de louage de services.
Percevant
des
honoraires
proportionnels
au
nombre
d'heures
de
prestations
effectuées, ils sont des professionnels libéraux qui doivent néanmoins se
soumettre aux directives des écoles qui programment notamment l'enseignement
et répartissent les élèves entre les différents professeurs.
S'agissant de la retraite, les moniteurs de ski des ESF ont longtemps relevé, pour
leur retraite, d'un fonds de prévoyance « spécifique» géré par le SNMSF et dont
la légalité était douteuse. L'article 110 de la loi du 21 décembre 2006 de
financement de la sécurité sociale pour 2007 a régularisé leur situation juridique
en organisant l'intégration, à compter du 1er janvier 2007, de ce fonds dans le
2
régime des retraites des professions libérales géré par la Caisse nationale
d'assurance vieillesse des professions libérales (CNA VPL) - régime de base - et
par
la
Caisse
interprofessionnelles
de
prévoyance
et
d'assurance
vieillesse
(CIPA V) - régime complémentaire - en transférant, dans une large mesure, à ces
caisses les réserves accumulées par le fonds de prévoyance précité.
On rappellera brièvement les règles qui régissent, aujourd'hui, le régime de
retraite des professions libérales (article L. 351-1-1 et suivants; article L. 634-32 et suivants du code de la sécurité sociale) notamment depuis la loi n° 2003-775
du 21 août 2003 portant réforme des retraites.
Le niveau de la retraite de base est déterminé en fonction du nombre de points
acquis et de la durée d'assurance.
Le compte des points s'effectue de la façon suivante: les cotisations versées avant le
l " janvier 2004 ont validé des trimestres que l'on convertit en points: un trimestre validé égale
100 points; à partir du 1 er janvier 2004, le nombre de points acquis varie en fonction de
revenus professionnels soumis à cotisation, auxquels peuvent s'ajouter des points gratuits (100
points pour le trimestre au cours duquel est intervenue une maternité, etc.)
Depuis le 1er janvier 2004, les professionnels libéraux pouvaient faire liquider
leur retraite de base à taux plein à partir de 60 ans à condition de justifier d'au
moins 160 trimestres de cotisation.
A compter de 2009, le nombre de trimestres nécessaires augmente progressivement
d'un trimestre par an pour atteindre 164 trimestres en 2012. Les professionnels nés avant le 1 er
janvier 1949 ne sont pas concernés par l'allongement de la durée. Ceux nés en 1949 doivent
totaliser 161 trimestres pour avoir une retraite calculée sans abattement, ceux nés en 1950:
162 trimestres, ceux nés en 1951 : 163 trimestres, ceux nés en 1952 : 164 trimestres.
Pour les professionnels qui souhaitent prendre leur retraite entre 60 et 65 ans alors
qu'ils ne totalisent pas suffisamment de trimestres, un coefficient de minoration de 1,25 % par
trimestre manquant pour atteindre 65 ans, ou les 160 trimestres actuellement exigés, sera
appliqué sur le montant de la retraite de base, l'abattement ne pouvant dépasser 25 %
correspondant à 20 trimestres manquants.
Si les professionnels souhaitent prolonger leur activité au-delà de 60 ans alors qu'ils
peuvent prétendre à une retraite sans abattement, un coefficient de majoration de 0,75 % est
appliqué sur le montant de la retraite de base pour chaque trimestre supplémentaire effectué à
partir du 1 cr janvier 2004.
S'agissant de l'âge légal de départ en retraite, on distinguera la retraite de base et
la retraite complémentaire (toutes deux gérées par la CI PA V).
Pour la retraite de base, l'âge légal peut être de 60 ans si le professionnel justifie de la
durée minimale de cotisation pour une retraite à taux plein, soit - on l'a dit - de 161 à
164 trimestres selon l'âge de naissance pour les retraites à compter du 1 er janvier 2009.
L'âge légal de départ en retraite est de 65 ans quelle que soit la durée de
cotisation.
Pour la retraite complémentaire, l'âge légal de départ en retraite intervient:
- à partir de 60 ans si l'assuré totalise 160 trimestres au régime de base, la cessation
d'activité n'étant pas exigée;
- à partir de 65 ans quelle que soit la durée d'assurance au régime de base.
,
.
.
,
J
.
Au mois d'avril 2009, l' « ESF des Arcs 1800 » a décidé de se conformer aux directives (2007) du
SNMSF
sur
le
«
débrayage»
en
janvier
et
en
mars
des
moniteurs âgés de plus de 60 ans, en retirant à ses adhérents âgés de plus de
61 ans et selon la période de saison, leur statut de moniteur permanents
Selon les moniteurs protestataires, cette décision est susceptible d'occasionner une perte de revenus
de
25
à
40
%
selon
la
saison.
Elle
aurait
un
effet
direct
sur
le nombre de points supplémentaires susceptibles d'être accumulés entre 61 et
65 ans et, partant, sur le niveau des droits.
La question qui 'se pose est la suivante: les moniteurs âgés de plus de 61 ans, affectés-par ces
nouveaux
statuts,
peuvent-ils
invoquer
une
discrimination
à
leur
égard?
La thèse défendue par le syndicat local consiste, pour l'essentiel, à rappeler que les moniteurs
concernés
sont
des
professionnels
libéraux
qui
ont
librement
adhéré à une structure associative: liberté leur étant laissée d'exercer un
supplément d'activité dans un cadre libéral.
Pourtant, le champ des dispositions législatives relatives aux discriminations paraît large.
Selon l'article 225-1 du code pénal (premier alinéa) : « Constitue une
discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques en raison
de leur âge ».
Selon l'article 225-2 : « La discrimination définie à l'article 225-1, commise à
l'égard d'une personne physique ou morale, est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45.000
euros d'amende lorsqu'elle consiste:
2° à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque,'
5° à subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en
entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1. »
Dans un arrêt en date du 18 décembre 2007 (Bull Crim. N° 312) la chambre criminelle de
de cassation a jugé que « Selon les articles 225-2 (2°) et 225-1 du code
constitue une discrimination punissable le fait d'entraver l'exercice normal d'une
économique quelconque en opérant une distinction entre les personnes [pour une des
mentionnées à l'article 225- 1 du code pénal ».
la Cour
pénal,
activité
raisons
Les nouveaux statuts du syndicat
local prévoient désormais que les moniteurs sont
permanents jusqu'à 65 ans mais que:
- de 61 à 63 ans le moniteur (( débraye » en janvier (entre les vacances de Noël et de février)
- de 63 à 65 ans, il « débraye » ii en janvier et en mars (entre les vacances scolaires).; -
Selon l'article 225-3, les dispositions précédentes ne sont
- à certaines discriminations fondées sur l'état de santé ou le handicap,
- aux discriminations fondées, en matière d'embauche sur l'âge, lorsqu'un tel
motif constitue une exigence professionnelle essentielle et
pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée.
pas
applicables:
déterminante
et
Par ailleurs, la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions
d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les
discriminations, a transposé la Directive communautaire 2008178/CE du 27 novembre 2000.- -~ ~
Selon l'article premier de cette loi: « Constitue une discrimination directe, la
situation dans laquelle, sur le fondement de son âge, une personne est traitée de
manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été, ou ne l'aura été, dans
une situation comparable.
Constitue une discrimination indirecte, une disposition, un critère ou une
pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs
mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes
par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou
cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les
moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés ».
Selon l'article 2 (2°) de la loi: «Toute discrimination directe ou indirecte
fondée sur l'âge est interdite en matière d'affiliation dans une organisation
syndicale ou professionnelle, y compris d'avantages procurés par elle, d'accès
à l'emploi, d'emploi, de formation professionnelle et de travail, y compris de
travail indépendant ou non-salarié, ainsi que de conditions de travail et de
promotion professionnelle. Ce principe ne fait pas obstacle aux différences de
traitement
fondées
sur
les
motifs
visés
à
l'alinéa
précédent
lorsqu'elles
répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour
autant que l 'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée».
Enfin,
l’article
5
dispose
que
les
dispositions
intéressées
de
la
loi
« ... s'appliquent à toutes les personnes publiques ou privées, y compris celles
exerçant une activité professionnelle indépendante. »
En bref, toute pratique discriminatoire, en tant que telle, non justifiée par les
motifs énumérés aux articles 225-3 du code pénal ou 1 er et 2 de la loi précitée du
27 mai 2008, est punissable. Peut importe la qualité des auteurs ou des victimes
de ces pratiques discriminatoires.
Le dispositif bénéficie tant aux demandeurs d'emploi qu'aux
salariés qu'aux personnes exerçant une activité professionnelle indépendante.
actifs,
tant
aux
Le fait que les moniteurs de ski aient librement adhéré à une formule associative
qui organise leur activité, ne semble pas devoir faire obstacle à l'application de
cette législation puisqu'encore une fois c'est la pratique discriminatoire en tant
que telle qui est punie par la loi.
Le tribunal de Chambéry, saisi par les cinq moniteurs protestataires, devrait
rendre son jugement au mois de février 2012. Les éléments de fait mis en avant
dans les conclusions (voir pièce ci-jointe) de leurs avocats devraient, probablement, dissuader lesjuges de considérer, s'agissant" des dispositions litigieuses, que les nouveaux statuts de l'« ESF des
Arcs 1800 » se fondent sur une « exigence professionnelle essentielle, déterminante et proportionnée », un « objectif légitime» et des «moyens [pour réaliser cet objectif] nécessaires et
appropriés ».
Relevons, au surplus, que, dans certains cas, les tribunaux considèrent que les
moniteurs de ski, bien que travailleurs indépendants, sont liés à leur club par un
véritable contrat de travail 2, Dans ces hypothèses, l'application de la législation
anti-discrimination ne souffre plus, bien sûr, aucune contestation.
2 Dans un arrêt du 6 octobre 2010, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé que
le lien de subordination était caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un
employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution
et de sanctionner les manquements de son subordonné. Dans le cas d'espèce, elle a constaté
qu'un moniteur de ski qui n 'avait jamais bénéficié dans l'exercice de sa fonction d'entraîneur
de la latitude dont dispose un professionnel indépendant, qui n'avait pas le choix de ses dates
et heures de travail ni celui du lieu d'entraînement ou des compétitions, le matériel étant en
outre fourni par le club, qui n 'avait pas le choix de sa clientèle et consacrait tout son temps
au club et à ses membres, qui devait rendre compte au responsable du club de son activité et
recevait, enfin, des instructions impératives susceptibles de sanctions, exerçait, dans ses
rapports avec le club, son activité dans un lien de subordination, peu importe qu'il soit par
ailleurs travailleur indépendant.