Art et spiritualité : L`icône, sur le fil du rasoir
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Art et spiritualité : L`icône, sur le fil du rasoir
Artetspiritualité:L’icône,surlefildurasoir (Mardi10décembre2013,de14h15à16h) Jean‐ClaudePolet INTRODUCTION MesdamesetMessieurs, Les icônes sont une partie importante de l’art chrétien traditionnel tel qu’il s’est maintenu jusque de nos jours dans les églises orientales. Et les icônes se sont à nouveau imposées à l’attention de l’Occident chrétien depuis quelque cinquante ans. Pourquoi ce retour de l’icône? Serait‐ce pour compenser l’abandon de la nécessité, de l’obligation figurative dans l’art religieux? Il ne semble pas, car l’Eglise catholique avait, bien avantleretourdel’icône,adoptédanssessanctuairesdesœuvres d’artmoderne,notammentabstrait,etcelamêmepardesartistes sansengagementchrétien1.Amonavis,ceretourdel’icône2tient àlarenaissancedelaconsciencechrétienneoccidentale,stimulée notamment par le Concile Vatican II, une conscience qui a voulu en revenir au mystère chrétien par excellence, celui de l’Incarnation de Dieu en l’Homme, dont on s’est rendu compte qu’ilétaitaucœurdel’artdel’icône. Nous sommes là, cet après‐midi, pour essayer de comprendre ce qu’est l’icône, en partant de cette évidence première qu’il s’agit d’unepeinturefigurative,maisquecettepeintureestspéciale.Elle a,eneffet,diversessimilitudesaveclespeinturesauxquellesnos yeux occidentaux sont accoutumés, mais elle présente aussi un certain nombre de caractéristiques qui rendent les icônes étrangeset,pourcertainsd’entrenous,rébarbatives.Nousallons donc, après avoir évoqué ce qu’est, en soi, une œuvre picturale, décrirecequidifférenciel’icônedelapeinturefigurativetelleque 1Voirlarevue”L’Artsacré”desPP.CouturieretRégamey,quiontplaidédanscesens. 2DanslapremièremoitiéduXXesiècle,laréflexioncritiquelaplusprofondesurl’artde lareprésentationaétépuissammentsoutenueparuneanalyseesthétiqueapprofondie de l’art de l’icône. L’œuvre critique de Georges Duthuit, le gendre de Matisse, s’est, en effet,beaucoupappuyéesuruneanalyseremarquablementpénétrantedel’artbyzantin. VoirprincipalementReprésentationetprésenceetLeFeudessignes. l’Occident la pratique depuis sixsiècles,puis nous chercherons à comprendre ce que ces différences entendent signifier. Nous verronsalorscequepeutetcequeveutfairel’icône,cedontelle témoigneetceàquoielleinvite.Nousévoqueronsbrièvement,à la fin, les différences de conception que l’Orient et l’Occident chrétienontenmatièred’artetdespiritualité. Uneprécisionencore,avantd’entrerdanslevifdusujet.Bienque le mot «icône», en grec, signifie tout simplement «image» et puisse donc s’appliquer non seulement aux fresques, aux mosaïques, aux peintures murales, aux miniatures et aux étoffes brodées,maisaussiauxsculpturesetauxobjetsd’orfèvrerie,nous n’envisagerons l’icône que dans son sens le plus spécifique et d’ailleurslepluscourant3,àsavoir,lesicônespeintessurbois,de petitoudemoyenformat,quej’appelleraiicônesdeproximitéou decontact4. L’ICÔNEESTUNEŒUVREPICTURALE • D’abord,venonsàlapremièreévidenceàproposdel’icône: ***c’estunepeinturecommeuneautre.Ils’agitdepeindre et, donc, de représenter, de figurer, de fixer formellement uneréalitévisiblesurunsupportcadréetcelaaumoyen d’un dessin*** et de couleurs appliquées. Cela exige un vrai ***talent manuel mettant en œuvre des techniques, des instruments et des véhicules de la couleur. En général,lespigmentscoloriantssontdiluésàl’encaustique, c’est‐à‐dire à base de cire d’abeille, à la tempéra, une émulsion faite de jaune d’œuf, à l’huile ou à l’eau***. Le 3 Ce n’est qu’à partir du VIe siècle que les images, de possibles illustrations, éventuellement dévotionnelles ou de supports de méditation et d’oraison, passent au possible dialogue de la Présence, représentative (extérieure, liturgique) ou spirituelle (intérieure, engageant la prière du cœur). C’est peut‐être d’ailleurs en raison de cette fonction nouvelle, devenue insistante et, peut‐être, excessive et débordante, que la réactioniconoclaste,intellectualiste,trouverasespointsd’appuietsesressorts. 4Cesont,enl’occurrencelesicônesdisposéesaupremierregistredesiconostasesou,en quelquelieuquecesoit,àhauteurdebaiser.Certes,cequenousdironsdecetteicône‐là estsusceptibled’êtreappliqué,aumoinsdansunecertainemesure,àtouteicône,mais, pour l’essentiel, seule cette icône‐là réalise potentiellement au mieux, la fonction icôniquedelaPrésenceFace‐à‐face. tableau achevé apparaît ainsi comme une composition représentatived’unréelcadré,quiconjointdessinetcouleur etfixedemanièredurableuneimageclaireet,danslecasde la peinture figurative, une ressemblance lumineuse. C’est ainsi une portion définie du monde qui est proposée à la contemplation. Voilà, en termes généraux et sommaires, les modalitésdelamiseenœuvredesimagespeintes. • Mais ***peindre n’est pas reproduire. Par le choix du cadre,dessujets,delacomposition,delatechnique,du dessin,descouleurs,peindre,c’estmettreensituation.Il s’agit de focaliser le regard sur une certaine réalité, présentée, traitée d’unecertaine manière. Car il ya mille et une manières de montrer, de voir, de choisir, de rendre les apparencesdetout.Car,eneffet,mettreenscène,mettreen situation, c’est interpréter pour signifier. C’est l’image fixée qui, dans sa forme, assume le sens. Le titre donné au tableaunefaitpaspartiedutableau,commelefontentendre clairement les peintres abstraits dont les tableaux s’intitulent «Composition» suivi d’un numéro d’ordre. Et quand c’est le sujet représenté qui donne son titre au tableau, c’est toujours, ou un pléonasme, ou une anecdote, voireuneironie,commedanslefameux«Cecin’estpasune pipe»deMagritte. • Donc,***l’imagepeintesignifie.Elleentendfairesortirune figure de l’ordinaire. Et signifier, c’est proposer un sens communicable. Mais, pour toucher, il faut que le sens communiqué éveille un lieu d’expérience ou d’évidence de la sensibilité de ceui qui regarde. Il faut que le spectateur, celui qui contemple l’image puisse entrer dans l’expérienceoul’évidencequelepeintreavoulureprésenter. Il faut qu’il soit «sur la même longueur d’ondes» que le peintre, qu’il partage les mêmes points de repère, la même esthétique, c’est‐à‐dire le même univers de sensibilité et de signification. En effet, l’esthétique, c’est l’ensemble, —au sens mathématique du terme —, où se réalise la communication des expériences sensibles. Ce lieu de conscience et de sensibilité où se rencontrent les expériences et les évidences de tous et de chacun, ce lieu d’unanimité potentielle et d’universalité probable qu’on appelle l’Esthétique, avec un grand E, est bien proche de l’infini,tantleshommessontdivers.Onn’estjamaisparvenu àensaisirlescoordonnéesqu’enenréduisantlesmesureset enfaisantpasserlemotesthétiqueaupluriel.Finalement,on seconsoledecetteimpossibilitéconcrèteensedisantquele seul facteur de communication interne à toute esthétique, et de communication entre toutes les esthétiques,c’estladimensiondelaBeauté,laBeautéqui est l’aspect de tout qui révèle, en tout, un principe d’harmonie.Encesens‐là,iln’yapasdelaideurensoi.Toute laideurestrelative. • Cette pénétration théorique, quasi‐métaphysique, que nous venonsdefairedanslesensdelapeinture,rendcomptede la noble ambition et de l’excellence de la fonction de l’art, car*** l’image peinte révèle. En effet, le peintre, par son travail, révèle une vision du monde, de l’homme et des relations que l’homme entretient avec lui‐même, avec lesautres,aveclemondeetavectoutcequiledépasse. Car, quel que soit le talent des uns et des autres, ce qui dépasselepeintre,et, a fortiori, tousleshommesquine saventpaspeindre,c’estfinalementl’art,dontl’accèsest ouvertetqui,cependant,échappe,àl’artistecommeaux autres.C’est,d’ailleurs,malgrétousleursefforts,lefaitdene pas pouvoir créer une œuvre qui soit à la mesure de l’art dontilssesententdépositaires,quifaitledrame,l’angoisse et,parfois,ledésespoirdesgrandsartistes,—etplusilssont grands,plusilsvoientcetabîmeentrecequilesporteetce qu’ilsenapportent. • Eneffet,***l’artindiqueetouvreunailleurs,surlemonde, surlesautres.Humainement,leplusailleursdemoi,c’est leregarddel’autresurmoi,c’estceregardinsoutenable quientendsesubstitueràmoi,commes’ils’agissaitdeme révéleràmoi‐même.Maisceregarddel’autre,cepeutêtrele mien, car je ne me connais pas et je me cherche du regard dans ma propre image. Le plus profond ailleurs est sans doutelà,danslefondduregarddesoisursoi,etc’estce qui fait la fascination de l’autoportrait***, l’image même du«connais‐toitoi‐même»***deSocrate. • On le voit, dans ses dimensions les plus hautes, la peinture, commetouslesarts,introduitàl’absoludumystèredesoi. L’ICÔNEN’ESTPASUNEPEINTURECOMMEUNEAUTRE • ***Venons‐en maintenant à la différence de l’icône. Cette différence se marque à plusieurs niveaux et de différents pointsdevue:techniques,esthétiques,sémantiques.Toutes cesdifférencessontcependantsubordonnéesàladifférence principale, qui tient à la fonction que l’icône assume et à la signification qu’elle propose5. C’est la raison pour laquelle nousallonssurtoutinsistersurlafonctiondel’icône,même sinousévoqueronsquelquesaspectsdetechniquepicturale, décisifsdanslesmanifestationsesthétiquesdesadifférence. La première différence, fondamentale et générale, c’est que l’icône a une fonction spécifique: manifester une théophanie. Une théophanie c’est une manifestation de Dieu dans le monde. Depuis que les hommes sont sur la Terre, du moins depuis que nous pouvons observer, par les vestiges qu’ils ont laissés, les signes de la conscience qu’ils avaientdeleurdestinée,nousconstatonsqu’ilsontsouligné, de diverses manières, les expériences qu’ils ont faites du divin, des expériences qui vont de plus en plus vers l’expression de relations personnelles avec le divin et qui finiront, dans le christianisme, par la manifestation de Dieu en personne dans une personne humaine vivant parmi les hommes et partageant leur destinée. Cette théophanie historiques’estpoursuiviedansl’Egliseetaucœurmêmede sonmystère,danslacommunioneucharistique,oùleChrist, 5Certains,commeHansBelting,insistentsurlefaitqueladifférencedel’icôneviendrait seulementdesonusage:“Cen’estpasunetechniquepicturale,maisuneconceptionde l’image qui se prête à la vénération” (Image et culte, p. 45). C’est, en fait, réduire, la relationàl’icôneàlasubjectivitéetomettrel’intentionsous‐jacente,quiestdesusciter larelationàunePrésenceetaudialogued’intérioritéquipeuts’ensuivre. vrai Dieu et vrai Homme, se donne à consommer corporellementsouslesespècesdupainetduvin.Commeon peutleconstaterenregardantl’histoire,l’humanitéestallée, progressivement,d’unsentimentdesurvieauxcertitudesde larésurrectiondescorps.Leshommessesontplacésfaceà l’au‐delà de la vie dans une attitude allant de l’enterrement danslapositionfœtaleàlapositiond’unregardtournévers le monde à venir. D’une attitude d’attente passive dans une positionquasiprénatale,onestpasséauxattitudesdefoiet d’espérance dans l’au‐delà. ***Cela s’est marqué, remarquablement,enEgypte,etspécialementautourdel’ère chrétienne, quand les masques des momies se sont transformésenportraitsreprésentantlapersonneregardant vers l’au‐delà. Ces portraits sont bien proches, à plus d’un égard,desicônes.***Lacroixdevie,devenuecroixduChrist, et la main de sérénité et de paix se retrouvent du culte ancien dans le culte nouveau. ***Et les attitudes du dieu Anubis qui tient l’homme mortel par l’épaule sont reproduites quand on montre le Christ accueillant saint MénadansleParadis***.Onleremarqueunpeupartout,en effet: quand les chrétiens en sont venus aux images, — et cela n’a commencé qu’au IIIe siècle6—, les représentations iconographiques du Christ et de son œuvre de salut ont 6 Il y a trois phases dans le développement de l’iconographie chrétienne: l’art paléochrétien,desdébuts,vers250,à350;l’artthéodosien(ThéodoseleGrand,néen 347,empereuren379,promulgantl’éditdeThessaloniqueen380,morten395)etses suites,de350à450;etde450à650(Justinien,néen483,empereuren527,morten 565). Avant 250, il n’y a que des symboles vertueux et optimistes: colombe, poisson, navire poussé par le vent, ancre, oiseau‐lyre. A partir de 250, apparaissent dans les catacombesromainesdesscènes,surtoutnarrativesoudenaturesotériologique,issues aumoinsautantdel’AncienquedunouveauTestament,avecuneimagerieduChrist,de sa Mère, des saints, qui n’est encore qu’ébauchée et en partie tributaire des compositions établies dans le monde non chrétien. Rien qui soit portrait, ni portrait fortementtypéetstylisécommeleseront,normativement,lesicônesàpartirduVe‐VIe siècle.Cen’estqu’àlafinduIVesièclequ’apparaîtlafigured’unChristsouverain,après sa phase sotériologique (thaumaturge, sauveur), il faudra attendre encore les deux sièclessuivantspourquel’icôneduChristPantocrators’impose,leChristenpersonne, dansl’évidencedesadivino‐humanité,soitsurlemodèleimpérial,soitsurlemodèlede l’homme universel, les deux modèles finissant par fusionner. Pareillement, il fut représentésousformed’adultebarbu,ousousformedejeunehommeimberbe,lesdeux aspectsvenant,euxaussi,àfusionner. souvent pris pour supports formels des modèles existants considéréscommeprochesouanalogues7.C’estainsiqu’ona vu des ***représentations du Christ en maître de sagesse, figuré à la manière des philosophes de l’Antiquité; ***c’est ainsi qu’on lui a prêté des traits, des attitudes ou des attributspropresàHélios,lesoleilinvaincu,***àOrphéeetà d’autres encore; c’est ainsi que les représentations de la Mère de Dieu allaitant le Christ ne sont pas sans analogies, non certes avec la théologie, mais avec les postures8d’Isis allaitantHorus***.Cependant,onatoujourseulesouci,dès les premières images comme dans les icônes, de signifier la différence absolue*** que le Christ a instaurée en le désignant, — lui et tous ceux qui l’ont précédé ou suivi —, commeCeluiqui,vivantsurcetteTerreestdéjà,aussi,Celui qui, par sa Résurrection, entraîne l’humanité tout entière à sasuite. • Une fois que les chrétiens se seront irréversiblement engagésdansl’iconographiereligieuse,—ilfaudraattendre leIVesièclepourquecelasoitéclatant—,etqueladivinité duChristseradécidémentaffirméeparleconcileanti‐arien de Nicée (325), ***les figurations chrétiennes théologiquement premières commenceront à s’établir canoniquement et s’imposeront définitivement aux VIe et VIIe siècles, avant d’être formalisées dans leur usage par le Concile de Nicée II en 787 et définitivement consacrées en 7L’art des monarchies de l’Antiquité a beaucoup prêté aux représentations religieuses duchristianisme:génieailéélevantunecouronne,personnagetraînantouécrasantun ennemi vaincu, cavalier victorieux (saint Georges), procession triomphale, etc. On y ajoutera,pourleChristengloire,lacouronne,letrône,letrophée,lediadème,lacroix triomphale. Cette thématique de la souveraineté, de la toute‐puissance a dominé largement pendant tout le temps des monarchies, spécialement de la monarchie impériale romaine, où elle était à demeure. L’iconographie a aussi subi les effets de transpositiondesscénariosdesépiphaniessotériologiquesdesreligionsmystériquesde l’Antiquité:triomphedemajestétransposédansleChristtrônantoudebout,imagedu Christ qui reçoit l’adoration ou l’offrande d’anges, d’apôtres, de martyrs, de fidèles, imageduChristquidélèguelepouvoirauxapôtres,quimonteaucielselonleschémade l’apothéose,imageduChristglorifiédansleciel,couronnéparlamainduPère,comme l’empereurparlamaindivine,etc. 8Thème iconographique du voile ou du rideau écarté, déjà présent dans les religions mystiquesdelabasseAntiquité. 843, sous l’impératrice Théodora, moment où l’iconoclasme sera définitivement vaincu. Ces figures concernent, principalement, ***la divino‐humanité du Christ et la sainteté de sa Mère. Les figures chrétiennes hiérarchiquement premières sont donc le Christ en personne et ***sa Mère, sans laquelle l’Incarnation eût étéimpossible,etcesont,logiquement,lesdeuxicônesqui se trouvent, de face, à droite et à gauche de l’autel dans les églises. Puis viendront ***les épisodes et les lieux où la divinité du Christ s’est progressivement manifestée9, comme ***la Théophanie, puis les scènes évoquant*** l’élaboration progressive de la foi chez les disciples du Christ, ***comme la Transfiguration, et enfin, la manifestation glorieuse de la sainteté*** des hommes et des femmes qui se sont comportés à l’image et à la ressemblanceduChrist,***commesaintPierre10. • Quelestalors***lecontenudumessageiconographique? A vrai dire, on constate que le contenu iconographique correspond au contenu verbal du message chrétien. Etantdonnéquelelangageverbalest,detousleslangages,le 9Parmicesépisodes,ilyalepointculminantdesesmanifestations,lacroix,oùleLogos crucifié, les yeux ouverts, est impassible ou glorieux, manifestant la conjonction indissolubledesesdeuxnaturesdanssapersonne. 10L’orthodoxie de l’icône tient donc d’abord, à sa matière iconographique aux sujets représentés. Ce sont, d’abord et surtout, le Christ et sa Mère. Ce sont ensuite les diverses manifestations de la théophanie du Christ. Dans ces manifestations théophaniques,onenreprendralesantécédentsprophétiquesethistoriques,aussibien ceux de l’Ancien Testament (Moïse, Elie, David, par exemple) que ceux des origines terrestresduChrist(NativitédelaVierge,Nativité,épisodesdel’Enfance).Onreprendra aussi les épisodes significatifs de sa vie publique, puis, surtout, les moments de sa vie après sa résurrection, moments où il est entré dans le temps absolu, un temps qui domine le temps terrestre mais qui, désormais, grâce à lui, le pénètre et le promeut (Descente aux enfers, scènes d’après la Résurrection, Ascension, Pentecôte, Jugement dernier). Les miracles du Christ sont des épiphanies où se manifeste la puissance sotériologique du Christ. C’est d’ailleurs ce que disent les Juifs qui assistent à ces miracles.Notamment,àlarésurrectiondufilsdelaveuvedeNaïn,ilss’exclamentqu’un grand prophète a été donné à Israël, prophète de la taille d’Elie ou d’Elysée qui, eux aussi, ont suscité des résurrections par leurs prières. Les épisodes, et les lieux où le Christavécuaussibien(cf.SaintCyrilledeJérusalem,Catéchèses,XIV,22quiconsidère lestémoinsvivantsetmatérielsdeladivinitéduChristsurunpiedd’égalité.Aussibien lespersonnesqueleslieuxsontinvestisdelaqualitéde“reliques”. plus explicite, c’est lui qui sert de référence et de pierre de touche à l’authenticité du langage icônique. Mais, substantiellement,cequiestditduChristàl’intelligenceetà la sensibilité par l’oreille et par l’œil est et doit être pareil. Tout homme a besoin de l’un comme de l’autre. La spiritualité chrétienne doit exprimer, en paroles et en images, comme dans les actes de la vie, le mystère divino‐ humain du Christ dans sa vérité. Image et parole sont soumises au critère d’orthodoxie. En l’occurrence, en iconographie,lamatière,cesontlessujetsreprésentés; lamanière,cesontlestechniques,lestyleetl’esthétique qui s’induisent de la fonction de l’icône. Pas plus que la doctrine, les icônes ne doivent exprimer les états d’âme individuels d’un chrétien, fût‐il génial, face au mystère du Christ.Ils’agitdedirelemystèredanslavéritédelafoitelle que l’a exprimée saint Vincent de Lérins (Ve siècle): Quod ubique,quodsemper,quodabomnibus, «ce qui a été attesté partout, toujours et par tous». Et c’est pourquoi, tant en matière d’images qu’en matière de formulations théologiques, la tradition chrétienne a distingué orthodoxie et hétérodoxie, et que les icônes orhodoxes sont, globalement, stéréotypées et toujours ornées, non de la signaturedel’iconographe,maisdunomdespersonnagesou desscènesreprésentés. • L’orthodoxie de l’icône tient donc à sa ***conformité aux normes générales de représentation du mystère chrétien.Ils’agitdedonneràpercevoirladivino‐humanité du Christ. Dans toute icône, il s’agit donc d’exprimer la conjonctiondel’historicitévraieetdelaspiritualitépure.Le Christ, sa Mère, comme toutes les saintes et les saints, sont pleinement hommes ou femmes, mais ils sont pleins de grâce.Celasetraduiranotammentparuneréellesimplicité solennelle dont la proximité de l’icône assure la communicabilitéuniverselle,maistraduitaussil’humilité divine que le Christ a incarnée. Il s’agit de manifester le paradoxe de la toute‐puissance du Christ et de son attentedelalibreetsouveraineadhésiondel’hommeà son message. Il s’agit ainsi d’adresser un regard qui éveillelaconscienceàlaprésenceintérieuredel’Esprit deDieuenl’Homme.Carleregarddel’icône,commecelui duChrist,s’adresseàl’œilintérieurdel’homme,encelieude l’intérioritéoùl’espérancedelavieserévèleplusprofonde quelarésignationàlamortetoù,donc,lafoiauRessuscité peuts’éveiller. • Cesnormesgénéralesderéprésentationdumystèrechrétien sont intrinsèquement liées à l’orthodoxie de la foi, car le mode de proposition des vérités chrétiennes, la manière de lesprésenter,estdirectementliéàl’authenticitéducontenu qu’elles transmettent. C’est pourquoi aussi ces normes générales entraînent des ***contraintes techniques, stylistiques et esthétiques qui vont imposer à l’icône des spécificités inamovibles. Cette stéréotypie canonique ne supprimenullementlegéniedupeintre,maiselleendéplace lechampd’exerciceetd’expression.L’inventivitédupeintre consistera à rendre au mieux l’évidence de la conjonction divino‐humainequeleChristamanifestéeetd’introduireau mystère qu’il a révélé. Il devra approfondir le mystère dans le cadre qui lui est donné. Et cela peut aller jusqu’à unepénétrationnouvelledecemystère.***L’icôneditedela TrinitédeRoublevenestl’exemplelepluscélèbre.Lestrois anges de l’icône vétéro‐testamentaire de l’Hospitalité d’Abraham s’est ainsi, par le génie de Roublev, ***trouvée apte à représenter, d’une manière aussi parfaite que possible, le mystère de l’Uni‐Trinité de Dieu, le cœur et le sommetdelathéologiechrétienne11. • Celadit,la***premièred’entrelescontraintestechniquesde l’icône consiste à refuser la perspective géométrique qui ramènetoutaupointdevuehumain.Eneffet,dansl’icône, 11LaTrinitéoùl’onvoitlePèreetleFilsavecl’Espritsousformedecolombereprésente uneversionhumaine,trophumainedelapaternité.C’estuneprojection,surDieu,dece quiesthumain,encontradictionavecl’évangiledeJeanquiattestequenuln’ajamaisvu lePère.SicetteTrinitéestsurtoutoccidentale,c’estqu’enOccident,laMajestéasurtout étéletraitconféréàladivinité,bienplusquelaspiritualité,quiexigeunetransprenceà l’égard du mystère. Partout où le pouvoir s’est manifesté en premier, la majesté a été surdéterminée. il ne s’agit pas de représenter la vision d’un monde mortel parunhommemortel,cemondefût‐ilanimédescènestirées delavieduChrist.Aucontraire,ils’agitdefaireensorteque cesoitleregarddel’icônequiinterpelleceluiquilaregarde et,ainsi,d’inverserlaperspective.Lecônedelavisionaainsi sonsommetentrelesdeuxyeuxdel’icônequiregarde,etsa base dans le plan constitué par la personne qui se trouve face‐à‐face avec l’icône. Le spectateur de l’icône est alors dans la position de celui qui est regardé et qui, librement, accepte ou refuse que ça le regarde… ***Une deuxième contraintetechniquevientappuyerlerefusdelaperspective linéaire ou géométrique et soutenir la perspective inversée en préférant les couleurs de surface, plates et uniformes.C’estainsiquelescouleurssontpleinesetplates, jamaisendégradécar,cefaisant,ellesseraientcomplicesde la profondeur de champ et de la perspective optique. ***Ainsi, les plis des vêtements sont marqués par des différences de couleurs, mais pas par les nuances ou les affaiblissementsprogressifsdelamêmecouleur12.Ainsia‐t‐ on recours à une lumière égale et diffuse, ***souvent focaliséeparlefondoulenimbedoré,oùcoïncidentleplan et la profondeur; ainsi exclut‐on le raccourci ou la perspectiveaériennequi,unefoisencore,feraientduregard humain le centre de la sphère de la représentation. Liée à l’optique du regard adressé par l’icône au spectateur, une troisièmecontraintetechniquevientsoulignerlafonctionet la signification de l’icône: ***les visages, aux yeux insistants, sont représentés de face. Cette insistance est marquée tantôt par la grandeur disproportionnée des yeux, tantôt par leur fixité autoritaire, tantôt par leur douceur pénétrante, toutes manières qui entendent manifester la sérénitésouverained’unmondeoùs’exprime,frontalement, 12C’est ce même procédé que l’on retrouve dans le fauvisme. Georges Duthuit le remarque et y insiste dans son livre sur LeFauvisme et dans les écrits où il met l’art byzantin en relation avec la révolution chromatique du fauvisme (Représentation et présenceetLeFeudessignes). • • • • • la divino‐humanité*** et ses diverses modalités de communication. Il y a bien d’autres aspects inhérents à l’univers de représentaion de l’icône, qui touchent notamment le traitementdesdécorsetdesobjets,etleursymbolique. Par exemple, ***les montagnes et les rochers semblent découpés à la hache. Le sommet des montagnes est coiffé commed’unrecouvrementdetuilesenescalier,manifestant l’abrupt,tantdelamontéequedeladescente,entrelaterre et le ciel. ***Les bâtiments et le mobilier sont représentés non sous la forme qu’ils ont quand on les regarde, selon la perspective optique naturelle, mais selon la structure intégralequ’onleurconnaît.L’icônelesreprésente,—cequi est quelquefois la manière de dessiner des enfants —, dans unplanquiadépliélesdifférentesfacesdeleurvolume.Le bâtiment est ainsi figuré avec sa façade et avec ses flancs donnés souvent dans une autre couleur, qui signale leur différencedeplan. Cettemêmemanièrederabattrelesplansdesédificesetdes objets s’observe également lorsqu’il s’agit d’imposer à l’esprit ***la densité du livre des Evangiles dans la main du Christ Pantocrator. Les tranches du livre y sont rabattues versl’avant,poursoulignerleurimportance. Les ***animaux sont également représentés sans aucune préoccupationréaliste.Ilssontlàautitredesymboles***.De même,lesvégétauxettouteslesréalitésdumondeminéral, astral et cosmique, dont la consistance sémantique est tout entière dans l’indication qu’ils donnent du mystère de la présencecréatricedeDieuetdessignesprovidentielsqu’ils recèlent pour le salut de l’humanité, dont le Christ est la clé***. Onlevoit,l’icôneneseconçoitetnepeutsepercevoiràsa juste valeur esthétique, c’est‐à‐dire dans ses qualités significatives authentiques, que dans le cadre de ses fonctions religieuses etdes contraintes générales, d’essence théologique et mystique, que la tradition orthodoxe maintient pour tous les arts liturgiques. Cette fidélité traditionnelle de l’iconographie orthodoxe n’implique évidemmentpasqu’ellen’aitpasconnudevariations.Parmi cesvariations, il y en aqui, légitimes etnaturelles, tiennent aux diversités relatives des traditions nationales ou locales, auxmutationsd’époqueet,bienentendu,auxhiérarchiesde talentdesiconographes.Maisilyaeu,aussi,desdéviations, qui se sont aussi produites surtout à partir du XVIe siècle, notamment sous l’effet de l’influence de la peinture religieuse occidentale, qui, quant à elle, s’est affranchie progressivement, au cours des XIVe et XVe siècles, des normesgénéralesdereprésentationdel’icône.EnOccident, lapré‐RenaissanceetlaRenaissance,quisesontmanifestées avecéclatdansl’artreligieux,onteneffetadopté,deplusen plustriomphalement,laperspectivelinéaireougéométrique et l’ont conduite jusqu’aux virtuosités du trompe‐l’œil. La théorisation, bientôt normative, notamment grâce aux œuvres de Brunelleschi (1377‐1446)13et d’Alberti (1404‐ 1472), de la perspective optique comme condition de légitimité de la représentation dans la peinture, va configurer les évidences de la perception jusqu’à rendre finalement insolite toute autre manière de voir et de faire voir les images. Cette révolution du point de vue et de la focalisation s’est accompagnée, inévitablement presque, de la modification dans le traitement des couleurs. Il a fallu passer du contraste aux nuances et aux raccourcis afin de pouvoirnonseulementcontribueràsoulignerlaprofondeur dechampétablieparlacompositionperspective,maisaussi àindiqueraussisensiblementquepossiblelesépaisseurs,les matériaux,lerendudeschosesetlescarnationsdesêtres,le modelé des corps et des vêtements, en complicité voire en concurrenceavecleréeltelqu’ilest,icietmaintenant.Cette révolutionréalistes’estfaiteprogressivement,danslemême 13L’“invention” de la rigueur mathématique en perspective, par Brunelleschi, date de 1415. La première fresque qui applique les règles de Brunelleschi est celle qui représente une “Trinité de grâce” à Santa Maria Novella (Florence), due à Tommaso Masaccio (1401‐1428 ou 1429). Le De Pictura d’Alberti, qui applique les règles de la perspectiveauxtableauxcadrés,estde1435. mouvement que le passage de la tempéra à la peinture à l’huile, et du panneau à la toile. Enfin, dernier abandon des règlesdel’artdel’icône,lesvisagessesontmisàressembler àdesvisagesordinaires:plusd’yeuxdémesurésettoujours sombres,plusderegardfixéetinterpellant,d’autoritéoude douceur, mais des visages aux carnations reflétant les différents états de la santé ou de la mort, des regards souvent sombres ou clairs, ternes ou brillants, reflétant des étatsd’âme,marquésdessignesd’uneprésenceaumondeet suscitantl’intérêt,lacuriosité,l’interrogation,lacompassion, l’émotion, bref toute la panoplie des sentiments, des passions, et de ce qui anime la sensibilité ou la spéculation psychologique. Bref, la peinture religieuse, en abandonnant lescontraintesdel’icône,quigarantissaientlapossibilitéde l’interpellation spirituelle, a épousé le point de vue profane etafaitparcouriràlapeinturereligieuselesdiversétatsde l’âmeetlesmultiplesétagesdusentiment.Poursedistinguer delapeintureprofane,lapeinturereligieusen’apluseu,en Occident,quelechoixdesessujets. • Au moment où l’art religieux en Occident a abandonné l’art de l’icône, il s’est autorisé à adopter toutes les techniques, touteslesstylistiquesettouteslesesthétiquesquelaliberté de l’imagination humaine peuvent susciter. L’humanisme chrétien, en Occident, depuis la pré‐Renaissance jusque de nosjours,aprislepartidedonneràpenserquelesmobiles et les finalités de l’art, son dynamisme, pouvaient être les prémices du dynamisme spirituel et qu’il y avait donc une continuitésansrupture,—toutauplusunsautqualitatif—, entrelatensiondel’hommeversl’absolu,quel’artcomporte, et le mouvement de sanctification de l’homme et du monde auquel travaille la grâce. C’est de cette révolution de la théologie et de la conscience religieuse chrétienne qu’est venue, en Occident, cette nouvelle conception de l’art qui a persuadé que les états d’âme individuels et collectifs, à savoir les impulsions psychologiques, étaient en continuité, voireencoïncidenceaveclaspiritualité. CONCLUSION Bien que l’on puisse et que l’on doive aussi considérer l’icône commeunobjetd’artinscritdansl’histoiredescivilisations,bien qu’elle relève dès lors de l’histoire de l’art, de l’esthétique et des techniques, de l’histoire politique, sociale, économique et de l’histoiredesmentalités,ilrestequel’icôneappartientaussi,voire surtout, à l’histoire des religions et, singulièrement, au sein du christianisme qui en cultive et en nourrit les finalités, à la théologiemystique.Carletempsetl’espacequel’icônechercheà rendre présents n’est, en vérité, ni celui du moment de l’histoire où la théophanie s’est produite, ni celui du temps du peintre qui enaréalisél’image.Letempsetl’espacedel’icônevisentl’éternel présent de la conscience de ceux qui, à toute époque possible, la regarderont. Ce temps et cet espace, qui portent l’empreinte du nouveau monde instauré par la résurrection du Christ, se proposent comme point d’appui à la conscience humaine, désemparéeparlemondedemortoùelleestplongée.Leregardsi particulier que l’icône adresse à l’humanité se propose d’éveiller au fond de la conscience humaine ce lieu qui, dépassant la mémoire,transcendantlesintermittencesdelaconscience,touche l’identité absolue de soi, ce lieu du cœur où gît la liberté, où l’esprit demeure en éveil, où l’âme trouve ses ressources, ce lieu où émerge sans cesse la joie, ce lieu de jubilation qui permet au regard de l’homme d’embrasser les autres et le monde, où l’attentionestàtousetàtoutetqui,ainsi,spontanément,sesent enlienavecDieu. Si vous avez pris intérêt au sujet que je viens d’aborder brièvementdevantvous,jevoussignalequejeferai,lemercredi, de 14 à 16h, à partir du 15 janvier jusqu’au 26 mars 2014, un coursàl’UDAsurlesicônes.