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one on one rencontre
ONE ON ONE
RENCONTRE
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destinations
cover
en couverture
Paul Gross
War wounds
Actor-director Paul Gross has the talent to
match his considerable ambitions. This fall,
he will release his gut-wrenching First World
War film, Passchendaele.
Les canons
de Passchendaele
L’acteur et réalisateur Paul Gross s’est donné les
moyens de ses ambitions. Il nous offre cet automne
Passchendaele, un film coup-de-poing sur la Première
Guerre mondiale. Mémoire affective.
By | Par Mathieu Chantelois Photo Hamish Kippen
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Photo: Alliance Films
Photo: CBC Television
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My film is a war story, but it’s also a story of courage and determination.
Paul Gross was only 15 at the time, but he’ll never
forget a particular fishing trip he took with his grandfather, Michael Dunne. “Everyone has lived through
life-changing experiences, events that transform the
way they see life. For me, the conversation I had with
my grandfather on the boat that day was one of those
moments.”
Dunne, the father of five daughters, fought in the war
between 1915 and 1918. After three years at the front
he was shipped back to Canada, seriously wounded.
Gross’s grandfather never spoke of the horror of
combat.
Except for that day out on the lake. “I still remember
our conversation very clearly. It was as if a door opened
and I suddenly understood that men’s actions sometimes have terrible consequences. Ever since, I’ve been
haunted by those memories of war.”
Gross went on to grow up nurturing the idea of making a film about the Great War. “I feel like I’ve spent my
whole life working on it,” says the 49-year-old Alberta
native, a true Canadian star thanks to roles such as
Chris in Men with Brooms and RCMP officer Benton
Fraser in the television series Due South.
Passchendaele tells the story of Sergeant Michael
Dunne (played by Gross), a soldier who is badly wounded in France and goes home to Canada so his many
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Paul Gross n’avait que 15 ans, mais il n’oubliera
jamais le voyage de pêche qu’il a fait avec Michael Dunne,
son grand-père. « Tout le monde a vécu des moments qui
font basculer l’existence, qui chamboulent la façon de voir
la vie. Pour moi, la discussion que j’ai eue avec mon aïeul
ce jour-là sur le bateau est d’une telle importance… »
Dunne, père de cinq filles, a combattu à la guerre de
1915 à 1918. Après trois années au front, il a été rapatrié
au Canada, gravement blessé. Le grand-père de Gross ne
parla jamais des horreurs des combats.
Jamais, sauf sur le lac, ce jour-là : « Je me rappelle
encore très bien notre conversation. C’était comme si une
porte s’ouvrait et que je me rendais compte que les actions
des hommes avaient parfois des conséquences terribles.
Depuis, je suis hanté par ces souvenirs de guerre. »
C’est ainsi que Paul Gross a grandi : avec l’idée de faire
un film sur la Grande Guerre. « J’ai l’impression que j’ai
passé ma vie à travailler là-dessus ! », lance l’Albertain de
49 ans, véritable star du Canada anglais pour son rôle de
Chris dans Quatre gars et un balai (Men with Brooms) et du
policier fédéral Benton Fraser dans la télésérie Un tandem
de choc (Due South).
Passchendaele raconte l’histoire du sergent Michael
Dunne (Paul Gross), un soldat brutalement blessé en
France et qui retourne au pays soigner ses nombreuses
blessures. Lors de son séjour à l’hôpital militaire de Calgary,
Photo: Chris Large
1 paul gross in the
television series due south
paul gross dans la
télésérie due south
(un tandem de choc)
2 with the crew of
passchendaele in alberta
avec l'équipe de
tournage de passchendaele
en alberta
3 filming a battle scene
dans une scène de champ
de bataille
3
Mon film est une histoire de guerre, mais aussi de détermination
et de courage. injuries can mend. While convalescing in a Calgary
veterans’ hospital, he meets a nurse, Sarah (Caroline
Dhavernas), and falls in love. When his sweetheart’s
asthmatic younger brother enlists to fight in Europe,
Michael decides to return to active duty to protect him.
Like thousands of Canadians, they fought in the third
Battle of Ypres, a bloody 15-day clash commonly known
as the Battle of Passchendaele.
“My film is a war story, but it’s also a story of courage and determination. I wanted to show the heroism of
everyone who fought and of the people who supported
them. It’s also a tribute to the 67,000 Canadians who
died in that war,” explains Gross, who’s clearly happy to
be able to give voice to so many voiceless heroes. Filming combat is a dangerous and, above all, costly
business. Gross estimates that a movie like Passchendaele
would have cost $100 million to make in Hollywood. He
did it for $20 million, “which is an astronomical figure
for Canada,” he notes.
“In Canada, the private sector doesn’t usually finance
films. For three years I had to pull out all the stops and
set up a string of dinners with very wealthy people. I
should have brought a little camera along and made
a movie called My Dinners with the Billionaires! I met
some really fascinating people. You know, talking to a
man who made a fortune in oil and asking him to invest
il rencontre Sarah (Caroline Dhavernas), une infirmière dont
il tombe amoureux. Lorsque le jeune frère asthmatique
de sa douce s’enrôle pour combattre en Europe, Michael
décide de retourner à la guerre pour le protéger. Comme
des milliers d’autres Canadiens, ils iront combattre à la troisième bataille d’Ypres, un combat sanglant de 15 jours que
l’on appelle communément la bataille de Passchendaele.
« Mon film est une histoire de guerre, mais aussi de
détermination et de courage. Je voulais montrer l’héroïsme
de tous ceux qui ont combattu, et de ceux qui les ont
appuyés. C’est aussi un long métrage qui rend hommage aux
67 000 Canadiens morts au combat », explique Gross, visiblement heureux de donner une voix à tous ces « sans-voix ». Filmer la guerre est une entreprise périlleuse et… coûteuse. Paul Gross estime qu’un film comme Passchendaele
aurait coûté 100 millions de dollars à nos voisins du sud.
Il a fait son long métrage avec 20 millions, « ce qui, au
Canada, est une somme astronomique », rappelle-t-il.
« Ici, le secteur privé n’a pas l’habitude de subventionner
le cinéma. Pendant trois ans, j’ai dû foncer et organiser
une tonne de soupers avec des gens très riches. J’aurais
dû trimballer une petite caméra avec moi pour faire un film
intitulé “Mes soupers avec des milliardaires” ! J’ai vraiment
rencontré des gens fascinants ! Vous savez, parler à un
homme qui a fait sa fortune dans le pétrole et lui demander
d’investir de l’argent dans un film, ce n’est pas nécessairedestinations
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Prestige premiere
Photo: Alliance Films
Passchendaele will open the 33rd Toronto International
Film Festival, which runs from September 4 to 13. It’s
a major honour, since the eyes of the whole movie
world are focused on the opening-night gala. Gross
took the news with humility. “Of course the organizers
are giving us a feather in our cap. But, as far as I’m concerned, the real test will be the film’s theatrical release,
in October.” All the same, it will be a real pleasure for
the movie buffs gathered in Toronto to watch the star
walk down the red carpet with the film’s leading lady,
Caroline Dhavernas (below with Gross). (M.C.)
Ouvrir le bal
Le film Passchendaele donnera le coup d’envoi au
33e Festival international du film de Toronto qui se déroule
dans la Ville reine du 4 au 13 septembre. Il s’agit d’un
prestigieux honneur, puisque le Gala d’ouverture est une
véritable fenêtre sur le monde. Paul Gross prend la nouvelle avec un brin de modestie : « C’est évident que c’est
une belle fleur que nous font les organisateurs. Mais le
vrai test pour moi, ce sera quand le film se retrouvera
en salle, en octobre prochain. » N’empêche que ce sera
un vrai plaisir pour les cinéphiles à Toronto que de voir
la star fouler le tapis rouge au bras de l’actrice Caroline
Dhavernas (ci-dessus avec Gross).
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in a movie isn’t as easy as it sounds. But I really
believed in the project, and I think my enthusiasm
was contagious.”
It was so contagious that Gross managed to convince
then-premier Ralph Klein to open Alberta’s coffers to
the tune of $5.5 million to allow filming to start. The
day after the announcement, the official opposition
and taxpayers’ groups denounced the largesse. “I
wasn’t expecting it at all. It was a real shock,” Gross
says. “It’s true that the Alberta government gave us
a lot of money, but then again it’s a government that
has a lot of money. I was sorry about the reaction, and
also sorry that those people didn’t have ideas of their
own that inspired the premier to provide funding!”
Does he have any particular memories of the filming? “Those were the best times of my career,” he
says without hesitation. “My character’s house is in
Calgary, one of the most beautiful places in the world.
Everything was perfect! There wasn’t a single day
when I didn’t wake up and take a moment to think
about how fortunate I am to be working in the film
business.”
The beauty of Calgary stood in contrast to the gruelling battlefield shoots. “Those were by far the worst
working conditions I’ve ever experienced. We had to
shoot in the rain and we had waist-deep mud. The
ment évident. Mais j’y croyais tellement. Je crois que mon
enthousiasme a été contagieux. »
Si contagieux, que Paul Gross a même convaincu
l’ex-premier ministre Ralph Klein d’ouvrir les coffres de
l’Alberta et de lui donner 5,5 millions de dollars pour
permettre le premier tour de manivelle. Au lendemain de
l’annonce, l’opposition officielle ainsi que des groupes de
contribuables ont dénoncé cet élan de générosité : « Je ne
m’attendais pas du tout à cela. Ce fut un choc, se rappelle
Gross. C’est vrai que le gouvernement de l’Alberta nous a
donné beaucoup d’argent… Mais, en même temps, c’est
un gouvernement qui a beaucoup d’argent. Je suis désolé
de cette réaction, désolé aussi que ces gens n’aient pas
trouvé d’idées afin de recevoir, eux aussi, une subvention
du premier ministre ! »
Que reste-t-il comme souvenirs de tournage au principal
intéressé ? « Les plus beaux moments de ma carrière ! »,
lance-t-il d’emblée. « La maison de mon personnage est
située à Calgary, l’un des plus beaux endroits au monde.
Tout était parfait ! Il ne s’est pas passé une seule journée
où je me suis levé sans prendre le temps de me rappeler
la chance unique que j’ai de travailler en cinéma. »
Toute cette beauté a trouvé un contraste dans les longs
tournages des scènes de champs de bataille. « C’était
de loin les pires conditions dans lesquelles j’ai travaillé.
Nous devions tourner sous la pluie et nous avions de la
boue jusqu’à la taille. L’eau qui simulait la pluie venait
water for simulating rain came from a river, so it was
freezing. If you dropped anything in the mud, it was
gone. We once had to stop filming because one of the
extras couldn’t move anymore—he was stuck in the
mud. It took four people to pull him out. We had countless cases of hypothermia. Every day, I told myself I had
the worst job in the world, and that I should never have
gone into the film business!”
He pauses for a moment, as if to watch memories of
filming—and his childhood memories—replay. “At the
same time, we had to stop and remember, after those
long workdays, that we were lucky to have a roof over
our heads and food to eat, and that nobody had tried
to kill us that day. When you film scenes like that, you
develop enormous respect for soldiers like my grandfather.”
Gross chokes up a little. It seems like a good time to
wrap up the interview, but one more question needs to
be asked: what does he think his grandfather would say
if he could see the film? “He’d probably want to correct
all kinds of details! But, at the same time, I think he’d
essentially appreciate it. Canadian cinema has been
silent on this disturbing time in our history. I think he
would be proud to see that I’m making my own modest
contribution.”
d’une rivière, elle était donc glacée. Si on laissait échapper
quelque chose dans la boue, c’était perdu. Parfois, il fallait
arrêter de tourner parce que l’un des figurants n’était plus
capable de bouger et qu’il était pris dans de la terre gluante.
Il fallait quatre personnes pour le sortir de là. Nous avons eu
d’innombrables cas d’hypothermie… Tous les jours, je me
disais que j’avais le pire métier du monde, que je n’aurais
jamais dû travailler en cinéma ! »
Gross fait une pause, un peu comme pour regarder une
fois de plus les images du tournage et de son enfance
défiler de nouveau : « Et en même temps, il fallait que l’on
se rappelle, à la fin de ces journées de travail, que nous
avions la chance d’avoir un toit et de la nourriture… et que
personne n’avait tenté de nous tuer durant la journée. On
gagne un respect immense pour les soldats comme mon
grand-père, en tournant des scènes comme celles-là. »
L’acteur a la gorge serrée. On voudrait bien le laisser aller,
mais on ose tout de même une dernière question. On ne
peut s’empêcher de lui demander ce que dirait son grandpère, s’il voyait son film. « Il voudrait probablement corriger
une tonne de détails ! Mais, en même temps, je crois qu’il
en apprécierait l’essence. Le cinéma d’ici a été silencieux
sur cette page troublante de notre histoire. Je crois qu’il
serait fier de voir que, bien modestement, j’apporte ma
contribution. »
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