Le 27 mars 2014, inauguration dans nos locaux boulevard Mortier

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Le 27 mars 2014, inauguration dans nos locaux boulevard Mortier
Eloge funèbre à M. Robert Maloubier, prononcé par M. Bernard Bajolet, directeur général de
la sécurité extérieure, le 29 avril 2015 aux Invalides
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Sénateur,
Mesdames et Messieurs les officiers, sous-officiers, officiers mariniers et militaires du rang,
Mesdames, Messieurs
C’est avec une vive émotion que je prends la parole devant vous, à l’ombre des gloires de
notre pays, pour rendre au nom de la DGSE, mais plus largement encore au nom de notre
pays, un dernier hommage à un homme qui croyait à la France, qui a contribué à lui redonner
l’honneur qu’elle avait perdu en juin 1940 et qui a pris part à sa reconstruction.
Car c’est bien la France et l’idée qu’il s’en faisait qui ont guidé les pas de Bob Maloubier
dans tous ses combats… Il les a menés avec éclat, avec une force physique et de caractère
hors du commun.
Aujourd’hui, la DGSE est en deuil, elle pleure Robert Maloubier, celui que nous appelions
tous affectueusement « Bob ».
Bob, de là où vous êtes, vous devez nous observer avec votre inimitable regard amusé. En ce
moment même, nous vous imaginons décrire ce que vous voyez sous vos yeux avec votre fine
ironie, qui doit plaire aux camarades qui vous entourent.
J’ai eu le plaisir de vous recevoir une dernière fois, dans nos locaux, boulevard Mortier, à
l’occasion de l’inauguration d’une exposition consacrée au SDECE en Indochine. C’était le
27 mars 2014. Vous aviez 91 ans.
Vous étiez venu au volant de votre propre voiture. Vous aviez cette prestance, cette élégance,
cette vivacité d’esprit qui vous caractérisaient tant ! Je vois encore votre œil friser et vos
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moustaches frémir à chaque trait d’humour que vous décochiez au cours de cette
manifestation.
Il faut dire que vous étiez surpris et presque embarrassé. Vous ne vous attendiez pas à être
reçu en invité d’honneur, entouré de l’admiration et de l’affection de vos successeurs à la
DGSE. Avec votre talent habituel de conteur, vous avez su improviser un discours
formidable, extrêmement bien charpenté, vivant, agrémenté d’humour de bon aloi, d’émotion
et de souvenirs d’un ancien du SDECE en Asie du Sud-Est. En quelques secondes, nous
étions avec vous, transportés sur les plateaux du Laos !
Bob Maloubier, votre vie est digne d’un roman d’aventure. C’est la vie d’un homme qui a
trompé la mort à de multiples reprises – et vous avez su la tromper jusqu’à la semaine
dernière.
Votre parcours est exceptionnel, votre destin est hors du commun.
Vous vous êtes mis en danger à de multiples reprises. Combien de fois avez-vous été blessé,
recousu, réparé ! Certains y verront une bonne fée, de la chance et surtout une condition
physique exceptionnelle. Car dès le plus jeune âge, vous pratiquez le sport à haute dose.
Adolescent, vous vous rêviez pilote de chasse, certainement pas agent secret.
Pourtant vous en aviez déjà toutes les qualités : résistant, espiègle, ouvert au monde, patriote
et polyglotte. Chez vous, l’on parlait six langues, dont l’anglais à la perfection.
Votre rêve de rejoindre l’armée de l’air se fracasse malheureusement en juin 1940. Comme
Ulysse, votre odyssée connaît alors de nombreux rebondissements.
Vous rejoignez Bordeaux à bicyclette, où votre famille s’est repliée. Sous les bombardements
des Stukas, vous assistez impuissant à la débâcle. Mais l’espoir renaît vite car vous entendez
la voix du général de Gaulle qui appelle à continuer le combat depuis l’Angleterre.
C’est donc vers Londres que se tournent vos yeux !
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Dans une France occupée, le jeune lycéen que vous êtes cherche par tous les moyens à
rejoindre les rangs de la France Libre. A Saint-Jean-de-Luz, vous tentez d’embarquer sous
l’uniforme d’un soldat polonais. Un camarade, déguisé comme vous, le remarque et trahit
votre identité. Vous voyez partir, depuis le quai, votre dernier espoir de gagner l’Angleterre,
et décidez de rejoindre Marseille. Vous accumulez alors les déceptions, les échecs et les
passages en prison, pour avoir traversé une fois de trop la ligne de démarcation.
En 1942, le gouvernement de Vichy forme l’armée d’armistice. Vous vous engagez dans
l’aviation. Vous espérez pouvoir filer vers Malte ou Gibraltar dès votre premier vol. Mais
cette armée d’armistice est sans avion et vous êtes affecté à la garde de l’aérodrome de
Bizerte en Tunisie.
Vous espérerez le débarquement allié sur les côtes tunisiennes, et pourtant c’est à Alger, le 8
novembre, que les Alliés débarquent, tandis que l’Afrika Korps encercle la base de Bizerte.
Après avoir dérobé le vélo du colonel commandant la base, vous prenez la direction d’Alger.
La fortune vous met rapidement au contact des services secrets britanniques. Vous êtes
recruté par Jaques Vaillant de Guélisle dans le Special Detachment du SOE, à la section F.
Vous y retrouvez un ami d’enfance, Fernand Bonnier de la Chapelle.
Lorsque ce dernier assassine l’amiral Darlan, le 24 décembre 1942, les membres de la section
F sont traqués. Vous quittez Alger et rejoignez Londres.
Au mois de janvier 1943, vous êtes détaché comme sous-lieutenant de l’armée britannique.
Pendant huit mois, vous apprenez le métier d’agent au sein des nombreuses écoles du SOE.
De l’école de démolition de Wanborough Manor, à celle de filature à New Forest, vous
développez un savoir-faire remarquable : vous êtes formé au parachutisme, à la clandestinité
et à toutes les techniques de sabotage. Vous êtes entraîné à la manipulation des armes, des
explosifs et de la radio, au codage et à l’empoisonnement, aucune technique ne vous est
étrangère.
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Londres prépare le débarquement. Les agents du SOE ont pour mission d’affaiblir l’industrie
de guerre de l’occupant et les fortifications du mur de l’Atlantique.
Dans la nuit du 15 au 16 août 1943, vous êtes parachuté pour la première fois comme saboteur
au sein du réseau Salesman.
Du Havre jusqu’à Fécamp, vous formez et menez une équipe de volontaires avec laquelle
vous réalisez les plus grands coups du réseau. Vous participez au sabotage d’un ravitailleur de
sous-marins allemand à Rouen. Vous détruisez l’usine Française des Métaux de Déville,
fabriquant les trains d’atterrissage des chasseurs allemands, et mettez hors service la centrale
électrique de Dieppedalle, privant de courant une bonne partie des industries rouennaises.
Vous avez à peine vingt ans, votre courage et votre détermination forcent déjà l’admiration.
En décembre 1943, filant dans la nuit sur l’Oiseau Bleu, la moto d’urgence du SOE, pour
réceptionner un parachutage près d’Elbeuf, vous êtes arrêté par des Feldgendarmes mais vous
parvenez à tromper la vigilance des Allemands et vous vous échappez. Les balles sifflent.
Vous êtes touché. Traqué, dans un froid glacial, vous traversez un canal à la nage et parvenez
à vous cacher. Au petit matin, enveloppé de givre, vous regagnez Rouen.
Récupéré par le SOE, qui voit en vous un agent d’exception, vous êtes à nouveau parachuté
en France, au lendemain même du débarquement en Normandie.
L’Halifax, bombardier de la Royal Air Force qui vous transporte, survole le sillage des 7 000
navires alliés de l’opération Overlord.
Votre groupe doit fédérer la résistance du Limousin et l’armer pour ralentir la progression de
la division Das Reich vers la Normandie. Les hommes de Georges Guingouin manquent
d’armes.
Le 25 juin 1944, vous coordonnez à Sussac, le plus important parachutage d’armes effectué
en France. Le 21 août 1944, Limoges est libéré, la guerre se termine. Vous n’avez que 21 ans.
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Vous rejoignez alors le BCRA à Londres au mois d’octobre 1944. Dès 1945, vous êtes affecté
d’office à la DGER (direction générale des études et de la recherche), comme « capitaine,
chargé de mission de 1ère classe ».
En Extrême-Orient pourtant, la guerre se poursuit. Vous êtes naturellement volontaire et
reprenez les armes. Vous intégrez la Force 136 du SOE. Et en parallèle, la France vous
nomme gouverneur provisoire de la province de Trans Hoa dans le sud du Tonkin. Parachuté
au Laos comme chef de mission, commandant de région et de compagnies de guérillas, vous
êtes blessé et fait prisonnier par les Japonais. Lorsque le Japon capitule, la Force 136 est
dissoute, la guerre d’Indochine commence.
Pour vous et vos hommes, c’est le début d’une lutte éprouvante et d’une longue errance.
Encore une fois, vous échappez à la mort.
A votre retour à Saigon, vous êtes cité le 12 février 1946 à l’ordre du corps d’armée pour
votre conduite exemplaire au cours des missions de renseignement périlleuses que vous avez
effectuées.
Vous quittez alors l’armée britannique décoré du prestigieux Distinguish Service Order, avec
le grade de capitaine. Par ailleurs, le 23 août 1947, vous êtes élevé par décret au grade de
chevalier de la Légion d’honneur pour votre sang froid et votre remarquable dynamisme au
Laos, où, bien que blessé, vous avez continué le combat.
Au terme de votre mandat dans la péninsule indochinoise, vous revenez en France le 18 août
1946.
Les conditions de votre retour sont bien différentes de celles qui vous avaient amenées en
Extrême-Orient. Vous montez à bord d’un confortable DC4 d’Air France qui relie alors
Saigon à l’aéroport du Bourget en moins de trois jours, en passant par Rangoon, Karachi,
Bassorah, Le Caire et Tunis…
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Le SDECE qui succède à la DGER vous apparaît également très confortable. Et pour cause,
puisqu’il occupe à cette époque un somptueux ensemble d’immeubles au carrefour de la
Muette, et dont les façades sont encore couvertes de peinture marron, verte et noire, un
camouflage choisi par la Kriegsmarine qui occupait ces bâtiments pendant l’occupation.
Jacques Morlane, créateur du service action du SDECE vous recrute immédiatement. Avec
votre expérience incomparable, vous aurez pour mission de former les nouvelles recrues
destinées à constituer le 11ème bataillon parachutiste de choc.
A Arzew en Algérie, aux côtés de Claude Riffaud, vous créez l’école des nageurs de combat.
Pendant plusieurs années, vous travaillez au développement de cette section et vous vous
attachez à la doter des capacités les plus modernes et les plus discrètes.
En 1953, l’école est transférée à Saint-Mandrier. En 1954, vous créez le groupement
autonome des nageurs de combat du SDECE à Aspretto.
Après bien des aventures - vous êtes à l’origine d’opérations secrètes de premier plan et la
Nation ignore encore aujourd’hui ce que vos nageurs ont fait pour elle - vous quittez le
SDECE en 1960.
Les nageurs, partis de rien disposent alors d’équipements de pointe allant du scaphandre de
grande autonomie, aux propulseurs sous-marins ou encore à la mythique Fifty Fathoms,
montre étanche que vous avez-vous-même dessinée, construite spécialement par l’horloger
Blancpain et adoptée par les Navy Seals américains.
Vous devenez forestier au Gabon, où vous formez la garde personnelle du président Léon
M’Ba, tout en travaillant auprès de Jacques Foccart, conseiller aux affaires africaines du
général de Gaulle.
Vous êtes ensuite recruté par la Shell puis par Elf pour prospecter au Nigéria. Vous assistez
alors à la rébellion du Biafra. Vous achevez votre carrière professionnelle au Moyen Orient en
tant que Représentant des Français de l’étranger et Conseiller du commerce extérieur.
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Mais vous restez un familier du Service. Vous êtes un membre des Bagheera, l’association
des anciens du 11ème choc et ne manquez pratiquement aucune fête de la Saint-Michel à
Aspretto, puis à Quelern, au centre parachutiste d’entraînement aux opérations maritimes.
Vous considérez vos camarades du Service Action comme votre famille. Vous les entourez de
vos précieux conseils et ne manquez jamais de relater une anecdote pour détendre ces
hommes et ces femmes d’exception, souvent sous tension et aujourd’hui très sollicités,
comme vous pouvez vous en douter.
Le 23 juillet dernier, vous étiez revenu à Saint Mandrier pour remettre à un jeune capitaine du
CPEOM le 1000e brevet de nageur de combat.
Vous étiez heureux et fier de voir que la formidable aventure des nageurs se poursuit, de
savoir que ces soldats d’élite continuent d’être aux avants postes de toutes les opérations
clandestines du Service Action. Vous aviez vu dans le regard des huit nouveaux certifiés,
marins et terriens, leur fierté d’inscrire leurs pas dans les vôtres, d’entrer dans une filiation de
héros dont Claude Riffaud et vous êtes les pères fondateurs.
Aujourd’hui, Bob, collègue fidèle et compagnon des heures heureuses et moins heureuses de
la DGSE, c’est vous qui nous quittez. Vous laissez à chacun d’entre nous une part de
l’histoire de notre pays, que vous évoquez avec brio dans vos mémoires. A travers vos
ouvrages, vous livrez en filigrane une histoire des services secrets français mais aussi une
histoire du SOE, longtemps ignorée en France.
Vous nous quittez aussi avec quelques secrets, les secrets des services de renseignement pour
lesquels vous avez œuvré : SOE, BCRA, DGER, SDECE, DGSE…
Sans jamais vous renier, sans jamais oublier, vous êtes toujours resté fidèle à vous-même, au
Service et à la France.
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Vous avez été un homme de devoir et de convictions, d’enthousiasme et d’ironie, de force de
caractère et de traits d’humour fulgurants
Vous avez été un camarade exceptionnel et êtes un héros pour les plus jeunes générations.
En juin 2014, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire du débarquement, Sa Majesté la
Reine d’ Angleterre, qui n’oublie pas ses soldats, vous remet l’ordre de l’Empire britannique.
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La France vous rend aujourd’hui un dernier hommage.
Cher Bob, je veux rassurer les membres de votre famille et leur dire qu’à la DGSE, nous ne
vous oublierons jamais !
Vive la République !
Vive la France !
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