Forme réduite de Jordan

Transcription

Forme réduite de Jordan
1
Forme réduite de Jordan
Théorème 1. Soit E un K-espace vectoriel de dimension finie n. Soit f ∈ L(E) nilpotente,
d’indice de nilpotence r ≤ n. Alors, E est somme directe de sous-espaces f -stables, cycliques.
Autrement dit, il existe des espaces E1 , . . . , El tels que :
E = E1 ⊕ . . . ⊕ El
où pour chaque Ei , il existe xi ∈ Ei et ri ≤ r pour lequel :
βi = (xi , f (xi ), . . . , f ri (xi )) soit une base de Ei , avec f|Ei nilpotente d’indice ri ≤ r.
Dans la base
β = β1 ∪ β2 ∪ . . . ∪ βl
la matrice de f est de la forme :

0
v1 0


v2 0


..

.

..
.
vn



 où vi ∈ {0, 1}, ∀i ∈ [[1, n]].


0
Lemme 1. Soit f ∈ L(E) et v ∈ E tel que f r (v) = 0 et f r−1 (v) = 0 pour r ≥ 1. Alors,
(v, f (v), . . . , f r−1 (v)) est une famille libre de E.
Démonstration. Soit (λ0 , . . . , λr−1 ) ∈ Kr tel que :
λ0 v + . . . + λr−1 f r−1 (v) = 0.
Supposons par l’absurde que (λ0 , . . . , λr−1 ) 6= 0Kr alors, P (X) = λ0 + λ1 X + . . . + λr−1 X r−1 6=
0 ∈ K[X] avec deg(P ) ≤ r − 1 vérifie :
P (f )(v) = 0, avec par hypothèse également f r (v) = 0.
Soit D(X) = P ∧ X r , K[X] étant principal, il existe des polynômes U, V ∈ K[X] tels que :
D(X) = U (X)X r + V (X)P (X)
ce qui donne dans la K-algèbre commutative K[f ] :
D(f ) = U (f ) ◦ f r + V (f ) ◦ P (f ) =⇒ D(f )(v) = U (f )(f r (v)) + V (f )(P (f )(v)) = 0
Comme D | X r et que D | P avec deg(P ) ≤ r − 1, on a D = X k pour k ≤ r − 1. On en déduit
donc D(f )(v) = f k (v) = 0 =⇒ f r−1 (v) = 0, absurde.
Passons à la démonstration du théorème :
Démonstration. Soit E de dimension n et f nilpotente d’indice r où nécessairement r ≤ n. Si f
est nulle, le théorème est vérifié. Soit f non nulle et r ≥ 1.
Etape 1 :
Les sous-espaces de E de dimension 1, f -stables sont cycliques et inclus dans Ker(f ).
Soit F = vect(v) un sous-espace de dimension 1, f -stable. Il vient :
∃λ ∈ K, f (v) = λv et v est vecteur propre pour la valeur propre λ
Puisque f est nilpotent, λ = 0 et f (v) = 0 =⇒ F ⊂ Ker(f ). Enfin, un espace de dimension 1 est
engendré par un vecteur v non nul et est naturellement cyclique.
Methode : Montrons par récurrence que E est somme directe de sous-espaces f -stables et
cycliques. Supposons H(n − 1) :
"tous les sev de E f -stable de dim ≤ n − 1 sont somme directe de sev f -stables et cycliques"
2
H(1) est vraie, montrons que H(n) est vraie.
Objectif : Trouver un sev non trivial de E vérifiant H(n − 1). Comme f 6= 0 et que 0 est (la
seule) valeur propre, Ker(f ) 6= {0} et dim(Im(f )) = rg(f ) ≤ n − 1 (Thm du rang) où Im(f )
est naturellement f -stable.
Ainsi, par H(n − 1), il existe l espaces W1 , . . . , Wl , f -stables et cycliques tels que :
Im(f ) = W1 ⊕ . . . ⊕ Wl .
Pour i ∈ [[1, l]], il existe wi ∈ Wi tel que :
• (wi , f (wi ), . . . , f ri−1 (wi )) est une base de Wi où ri est l’indice de nilpotence de f|Wi .
On en déduit alors naturellement que :
Wi = {P (f )(wi ), P ∈ K[X]≤ri −1 } avec f ri (wi ) = 0 et f ri−1 (wi ) 6= 0.
Comme wi ∈ Wi ⊂ Im(f ) :
∃vi ∈ E, wi = f (vi ).
On pose alors pour i ∈ [[1, l]]
Vi = vect(vi , f (vi ), . . . , f ri (vi )) = vect(vi ) ⊕ Wi = {P (f )(vi ), P ∈ K[X]≤ri }.
De plus, comme f ri (vi ) = f ri −1 (wi ) 6= 0 et f ri +1 (vi ) = f ri (wi ) = 0, d’après le lemme on
déduit que (vi , f (vi ), . . . , f ri (vi )) est libre et donc une base de Vi , ou les sous-espaces Vi sont par
construction f -stables.
Objectifs : Montrer que :
• Les Vi sont en somme directe avec f (V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vr ) = W1 ⊕ W1 ⊕ . . . ⊕ Wr = Im(f ).
• E = ker(f ) + V1 ⊕ V2 . . . ⊕ Vr (la somme n’étant pas nécessairement directe).
Etape 2 :
Montrons que les Vi sont en somme directe.
Soit (ui )1≤i≤l dans V1 × V2 × . . . × Vl tel que u1 + u2 + . . . + ul = 0 et montrons que chaque ui
est nul. Par définition de Vi , on a pour chaque ui , l’existence d’un polynôme Pi ∈ K[X] de degré
≤ ri tel que :
ui = Pi (f )(vi ) = c0,i vi +c1,i f (vi )+. . .+cri ,i f ri (vi ) =⇒ P1 (f )(v1 )+P2 (f )(v2 )+. . .+Pl (f )(vl ) = 0
But :
Essayons de nous ramener à une somme d’éléments des Wi .
En composant à gauche par f et en utilisant le caractère commutatif de l’algèbre K[f ], il vient :
f ◦[P1 (f )(v1 )+P2 (f )(v2 )+. . .+Pl (f )(vl )] = (P1 (f )◦f )(v1 )+(P2 ◦f )(v2 )+. . .+(Pl (f )◦f )(vl ) = 0
ce qui donne par définition des wi pour i ∈ [[1, l]] :
P1 (f )(w1 ) + P2 (f )(w2 ) + . . . + Pl (f )(wr ) = 0
Puisque deg(Pi ) ≤ ri , notant Qi = c0,i + c1,i X + . . . + cri−1 ,i X ri −1 on a Pi = Qi + cri ,i X ri et de
l’égalité f ri (wi ) = 0, on tire :
Q1 (f )(w1 ) + Q2 (f )(w2 ) + . . . + Ql (f )(wl ) = 0 =⇒ Qi (f )(wi ) = 0, ∀i ∈ [[1, l]]
| {z }
| {z } | {z }
∈W1
puis (wi , f (wi ), . . . , f
∈W2
ri −1
∈Wl
(wi )) étant une base de Wi , on déduit :
c0,i wi + c1,i f (wi ) + . . . + cri −1,i f ri −1 (wi ) = 0 =⇒ cj,i = 0, ∀j ∈ [[0, ri − 1]].
et l’égalité u1 + u2 + . . . + ul = 0 devient :
cr1 ,1 f r1 (v1 ) + . . . + crl ,l f rl (vl ) = 0 =⇒ cr1 ,1 f r1 −1 (w1 ) + . . . + crl ,l f rl −1 (wl ) = 0
Les éléments f ri −1 (wi ) étant tous non nuls et la somme W1 ⊕ W2 ⊕ . . . ⊕ Wl directe, il vient :
cri ,i = 0 pour tout i ∈ [[1, l]] =⇒ Pi = 0 pour tout i et donc ui = 0 pour tout i.
3
Etape 3 : Montrons par double inclusion que :
f (V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl ) = W1 ⊕ W2 ⊕ . . . ⊕ Wl
Soit y ∈ W1 ⊕ W2 ⊕ . . . ⊕ Wl , par définition des Wi , on a :
y = P1 (f )(w1 ) + . . . + Pl (f )(wl ) où Pi ∈ K[X]≤ri −1 .
Comme wi = f (vi ), par commutativité de K[f ] :
y = f ◦ P1 (f )(v1 ) + . . . + f ◦ Pl (f )(vl ) = f [P1 (f )(v1 ) + . . . + Pl (f )(vl )]
où Pi (f )(vi ) ∈ Vi car deg(Pi ) ≤ ri − 1 ≤ ri . Ce qui donne finalement l’inclusion :
W1 ⊕ W2 ⊕ . . . ⊕ Wl ⊂ f (V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl )
Inversement, soit y ∈ f (V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl ). Il existe de même par définition des Vi , des polynômes
Pi tels que deg(Pi ) ≤ ri et :
y = f [P1 (f )(v1 )+. . .+Pl (f )(vl )] = P1 (f )(f (v1 ))+. . .+Pl (f )(f (vl )) = P1 (f )(w1 )+. . .+Pl (f )(wl )
par définition des vi et commutativité de K[f ]. Or, f ri (wi ) = 0, on en déduit donc que y s’écrit :
y = Q1 (f )(w1 ) + . . . + Ql (f )(wl ) où deg(Qi ) ≤ ri − 1 et donc Qi (f )(wi ) ∈ Wi
soit y ∈ W1 ⊕ . . . ⊕ Wr ce qui donne par double inclusion :
f (V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl ) = W1 ⊕ W2 ⊕ . . . ⊕ Wl = Im(f )
Etape 4 : Montrons que :
E = ker(f ) + V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl .
Soit x ∈ E, alors
f (x) ∈ Im(f ) = f (V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl ) = W1 ⊕ W2 ⊕ . . . ⊕ Wl
et il existe x0 ∈ V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl tel que :
f (x) = f (x0 ) et x − x0 ∈ Ker(f ) =⇒ x = (x − x0 ) + x0 =⇒ E = ker(f ) + V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl .
Notant βi = (vi , . . . , f ri (vi )), base de Vi , on obtient par concaténation une base β = β1 ∪ . . . ∪ βl
de V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl . Alors,
E = Ker(f ) + V1 ⊕ . . . ⊕ Vl =⇒ E = vect(Ker(f ) ∪ V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl )
et par le théorème de la base incomplète :
∃u1 , . . . , uk ∈ Ker(f ) \ V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl , (u1 , . . . , uk ) ∪ β soit une base de E.
Notant Ui = vect(ui ) pour i ∈ [[1, k]], Ui est f -stable puisque f (ui ) = 0 ∈ Ui . Ainsi,
E = U1 ⊕ . . . ⊕ Uk ⊕ V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl
est somme directes d’espaces f -stables, cycliques. Dans la base e = (u1 , . . . , uk , β) de E, on a
donc :


0
 v1 0





v
0
2
M ate (f ) = 



.
.
.. ..


vn 0
où les k premiers vi sont nuls et les n − k = l derniers vi égaux à 1.
Remarque 1. La décomposition E = Ker(f ) + V1 ⊕ . . . ⊕ Vr n’est pas directe. En effet, V1 ⊂
V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl et V1 ∩ Ker(f ) 6= {0} car f r1 (v1 ) 6= 0 et f r1 +1 (v1 ) = 0 ce qui donne :
f r1 (v1 ) ∈ Ker(f ) et f r1 (v1 ) ∈ V1 ∩ Ker(f ) 6= {0} =⇒ V1 ⊕ V2 ⊕ . . . ⊕ Vl ∩ Ker(f ) 6= {0}.
Corollaire 1. Soit un K-espace vectoriel de dimension finie et f ∈ L(E) trigonalisable. Alors
son polynôme caractéristique χf (X) est scindé et s’écrit sous la forme :
4
χf (X) = (X − α1 )m1 . . . (X − αk )mk où mi = dim(Fαi ) = dim(Ker(f − αi Id)mi ).
Les sous-espaces caractéristiques Fα1 , . . . , Fαk sont f -stables, considérons alors les k restrictions
(f − α1 Id)|Fα1 , . . . , (f − αk Id)|Fαk pour lesquelles on a :
(f − αi Id)|Fαi est nilpotente.
D’après le théorème précédent, il existe une base βi de chaque sous-espace caractéristique Fαi
pour laquelle on a :


0
v1,i

0




v2,i 0
M atβi (f − αi Id)|Fαi = 



..
..


.
.
vmi ,i 0
et donc :

M atβi (f )|Fαi
αi
v1,i


=



αi
v2,i
αi
..
.






..
.
vmi ,i
αi
Ainsi, dans la base β = β1 ∪ . . . ∪ βk on a :
M atβ f = Diag(M atβ1 (f )|Fα1 , . . . , M atβk (f )|Fαk )
et la matrice de f est triangulaire par blocs, avec sur la diagonale, les valeurs propres de f et
sur la sous-diagonale des 0 et des 1.

Documents pareils