Mémoire Les décors d`Arnaga par Marie Barace sans

Transcription

Mémoire Les décors d`Arnaga par Marie Barace sans
Université de Pau et des Pays de l’Adour
UFR des Arts, Lettres, Langues, Sciences Sociales et Humaines
1ère année Master Culture et Société
Spécialité Recherche Histoire de l’Art
Les Décors d’Arnaga
La Villa d’Edmond Rostand
à Cambo-les-Bains
_____________________
TOME I : MEMOIRE
Présenté par
Marie BARACE
___________
Sous la direction de M. le Professeur Dominique DUSSOL
Année 2009-2010
1
REMERCIEMENTS
A Monsieur le Professeur Dominique DUSSOL
Professeur des Universités.
Qui a accepté mon sujet et qui m’a fait entièrement confiance malgré la distance.
Sincères remerciements pour m’avoir guidée dans l’élaboration de mon travail.
A Madame Delphine TREBOSC
Maître de conférence.
Qui a lu, corrigé et finalement évalué ce mémoire lors de sa soutenance.
… Merci d’avoir autant valorisé mon travail.
A Mme Anne-Marie PONTACQ
Adjointe à la culture de la ville de Cambo-les-Bains et responsable du musée jusqu’au mois
de mai 2010.
Qui m’a accueillie avec bienveillance au Musée Edmond Rostand et qui a fait
preuve d’une grande disponibilité.
Mes plus sincères remerciements.
A M. Vincent BRU
Maire de Cambo-les-Bains
Sans qui ce mémoire n’aurait jamais existé s’il ne m’avait pas donné l’opportunité
d’effectuer ce stage passionnant à Arnaga.
… Merci.
2
A Mme Sophie LE PENNEC
Agent du Patrimoine au Musée Arnaga
Qui a été ma responsable de stage pendant trois mois et qui a partagé ses
connaissances et son attachement à l’histoire de la famille Rostand.
Mille mercis ! Grâce à toi Arnaga fait maintenant partie de ma vie !
A Paul PERROMAT
Responsable du recollement des collections du musée jusqu’en juin 2009.
Qui m’a donné les clefs pour exploiter les archives du musée... et qui a surtout, et
toujours, été une oreille attentive.
… Merci de m’avoir redonné confiance et d’être devenu un ami aussi important.
A Antton LANNES
Guide à Arnaga et étudiant en master valorisation des patrimoines et politiques culturelles
territoriales à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
Qui a su me convaincre de m’accrocher à cette année de master et m’encourager
dans le choix de mon sujet.
… Merci !
A toute l’EQUIPE d’ARNAGA
Pour leurs bons conseils et ces moments formidables passés dans le musée.
... Je ne les oublierai jamais !
A Mme Blandine OTTER
Documentaliste au musée de l’Ecole de Nancy.
Qui a pris le temps de m’aider dans mes recherches sur Henri-Camille Danger et
a porté un regard objectif sur mon travail sur les vitraux.
Et bien sûr :
A mes parents,
Qui ont toujours cru en moi et qui se sont « pliés en quatre » pour me faire
parvenir tous les documents dont j’avais besoin alors que j’étais à Paris, parfois dans des
3
délais impossibles !
… Merci… Merci… Merci
A mes amies, Alexandra et Noëlie et mes camarades de l’Ecole du Louvre
Qui m’ont encouragée, soutenue et qui m’ont surtout beaucoup aidée en
partageant leurs cours de l’Ecole lorsque j’étais à Cambo-les-Bains.
… Merci les copines !
.
4
« C’est la nuit qu’il est beau de croire à la
lumière… »
Chantecler, Acte II scène III
5
6
TABLE DES MATIERES
Avant-Propos
p.10
Introduction
p.14
* Edmond Rostand, Sa Vie, Son Œuvre
p.14
* Historique et présentation d’Arnaga.
p.15
du projet, à la construction (inachevée) et au musée.
Chapitre I : Un décor de rêve
A. Un art de vivre
p.22
p.22
1- Un projet ambitieux
p.22
2. Confort et Modernité
p.24
a. Régionalisme
p.24
b. Esprit parisien
p.24
3. Une œuvre d’art totale
p.26
a. Inspiration Arts and Crafts
p.26
b. L’art dans tout, l’Art nouveau
p.27
c. Un projet envahissant
p.29
B. Les peintres d’Arnaga
p.29
1- Le choix des peintres
p.29
2- Les Portraits peints de la Famille Rostand
p.35
a. Eugène Pascau
p.35
b. Hélène Dufau
p.36
c. Henry Caro-Delvaille
p.38
7
Chapitre II : Les peintures d’Arnaga
A. Toiles en place
1-
p.39
p.39
Gaston Latouche
p.39
a.
Grand Hall : La Fête chez Thérèse
p.39
b.
Cartouches Salle à manger
p.42
2- Hélène Dufau
p.44
a. Bibliothèque : Les Cygnes Noirs et L’Automne
p.44
b. Médaillons escalier
p.49
3- Georges Delaw
a. Studio des enfants : chansons populaires
B. Reproduction
1. Jean Veber : Salon des fées
p.52
p.52
p.56
p.56
a. Restitution du décor d’origine
p.56
b. Présentation
p.57
c. Les contes de fées dans l’œuvre de Veber
p.58
d. Analyse
p.59
e. Interprétation
p.76
C. Peintures déplacées ou disparues
p.78
1. Henri Martin : La Joie de Vivre
p.78
2. Henry Caro-Delvaille : cartouches salle à manger
p.79
8
Chapitre III : Autres éléments de décor
A. Céramiques
p.80
p.80
1. Office
p.81
2. Cuisine
p.81
B. Vitraux
1. Bibliothèque : L’arbre de vie
p.82
p.82
a. Recherches
p.82
b. Louis Trézel
p.83
c. Le vitrail
p.84
d. Henri-Camille Danger
p.86
2. Grand Hall : Les Signes du Zodiaque
p.87
3. Studio des enfants : Le Cygne
p.88
C. Boiseries : les portes des archives
p.89
Conclusion.
P.90
Annexes
Bibliographie.
9
AVANT-PROPOS :
J’ai (re)découvert la Villa Arnaga, Musée Edmond Rostand à Cambo-les-Bains, dans
le cadre d’un stage effectué à mon initiative entre les mois de février et mai 2009. Ces
quelques semaines se sont révélées extrêmement enrichissantes d’un point de vue
professionnel, me permettant de découvrir les fonctionnements d’une structure muséale. J’y ai
été initiée à la muséographie, à la visite guidée mais aussi au recollement des collections.
Mon investissement est rapidement devenu une véritable passion transmise par une
équipe bienveillante, elle-même très engagée dans le développement de ce musée classé
Monument Historique depuis 1995 et faisant partie des Musées de France depuis 2001. Doté
d’un budget plutôt limité, comme c’est le cas de beaucoup de petits musées, la villa Arnaga
réalise tout de même entre 60.000 et 65.000 entrées par an1 et a la volonté d’offrir à ses
visiteurs, locaux, touristes, scolaires, des visites toujours plus passionnantes. C’est ce qui m’a
fait constater que peu d’études ont jusqu’ici été réalisées à propos de la demeure du poète.
Deux principaux ouvrages sont actuellement disponibles. Le premier est un guide de la
villa : Villa Arnaga, Musée Edmond Rostand, rédigé par Jean-Claude Lasserre, publié aux
éditions « Le Festin » en 1997 et complété d’une édition revue et corrigée par Odile
Contamin, ancienne conservatrice du musée de 2001 à 2007, paru en 2006. Le second, Petite
Histoire d’Arnaga, La maison d’Edmond Rostand, est proposé par Michel Forrier également
en 2006 aux éditions Pyrémonde. Tous deux proposent une biographie générale du poète ainsi
que les grandes étapes de la construction de la villa. Le cœur de ces livres consiste en une
découverte de la maison à travers une description des pièces majeures, ouvertes au public.
En plus de ces travaux, on peut également citer les mémoires de Paul Faure, ami
camboar d’Edmond Rostand qui a publié en 1928, Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand
aux éditions Plon et qui permet d’enrichir ces informations par quelques anecdotes. Il faut
encore ajouter plusieurs articles de presse rédigés du temps d’Edmond Rostand.
La richesse de la Villa Edmond Rostand tient dans ses décors. En effet, le poète a
consacré à sa construction les onze dernières années de sa vie et a voulu qu’elle soit le reflet
1
Source : Anne-Marie Chabrol, régisseur de la billetterie du musée.
10
de sa personnalité toute entière, une immense scène de théâtre sur laquelle la nature et à la
poésie sont en perpétuelle représentation. Pour réaliser son projet, il a choisi six peintres, un
(ou plusieurs) maître(s) verrier(s) et les plus grands ateliers de céramique, tous sous la
direction de son architecte Joseph Albert Tournaire.
Les six peintres, Georges Delaw, Gaston Latouche, Henri Martin, Hélène Dufau,
Henry Caro-Delvaille et Jean Veber ont déjà fait l’objet d’études particulières plus ou moins
récentes. Cependant, il est apparu que peu de ces études traitent réellement des décors
exécutés pour la demeure d’Edmond Rostand. Dans certains des articles ou ouvrages ces
commandes ne sont d’ailleurs même pas évoquées. D’autre part, personne jusqu’ici n’a
semblé manifester de curiosité pour les céramistes et maitres verriers sélectionnés avec soin
par le poète, ce qui fait que leurs noms sont restés sous silence.
Ayant accès aux archives du musée, alors en plein inventaire2, j’ai saisi l’opportunité
qui m’était offerte : proposer une étude complète des décors de la Villa. Ce mémoire a donc
pour but de présenter chaque décor d’Arnaga. Nous essaierons de définir pourquoi Edmond
Rostand a choisi ces artistes plutôt que d’autres. Où les a-t-il découverts et comment a-t-il été
mis en contact avec eux ? Nous traiterons chacun des artistes individuellement en replaçant la
commande pour Cambo dans leur carrière personnelle. Nous tenterons d’évaluer si les décors
de la villa s’inscrivent dans une unité de style ou si les choix du poète font de cette demeure
un écrin d’artistes hétéroclites qui souligne la diversité artistique d’une époque.
Pour répondre à ses différentes questions je me suis bien entendue tournée vers le
musée, ses publications et ses archives. J’ai principalement dépouillé l’ensemble des
mémoires de travaux conservés ; ces factures sont le souvenir des artisans qui ont œuvré à
Arnaga. Si aucune n’est directement liée aux artistes de la villa, en revanche, certaines
rappellent les préparations, les retouches ou les finitions destinées aux structures accueillant
les décors.
La deuxième source très précieuse d’information est la correspondance entre Edmond
Rostand et son architecte Joseph Albert Tournaire qui fait état de l’évolution des travaux et
des désirs et attentes du poète. J’ai également pu compter sur l’ensemble de l’équipe qui m’a
2
Après publication au JORF du 12 juin 2004 de l’arrêté du 25 mai 2004 fixant les normes techniques
relatives à la tenue de l'inventaire, du registre des biens déposés dans un « musée de France » et au
récolement, le premier des récolements décennaux obligatoires s’achève au plus tard en juin 2014.
11
souvent permis de me mettre sur une piste en me transmettant oralement des informations qui
n’avaient pas eu l’occasion d’être publiées.
La seconde partie de mes recherches s’est principalement effectuée à Paris, la ville
dans laquelle Edmond Rostand a rencontré le succès et où il vécut seize années (de 1884 à
1900). Ce sont dans les théâtres parisiens qu’il a rencontré Constant Coquelin et Sarah
Bernhardt (Illustration N°1bis), ses acteurs fétiches, et sur leurs scènes qu’il a produit ses
plus grandes pièces : Cyrano de Bergerac, L’Aiglon et Chantecler. Surtout, c’est à Paris, dans
son appartement, qu’il est décédé en 1918, peu après l’annonce de la Victoire. Il est donc
évident que la Villa Arnaga, édifiée au cœur du Pays Basque, possède des liens étroits avec la
ville de lumières où elle puise certaines de ses influences.
Les circonstances ont une nouvelle fois jouées en ma faveur puisque mon double
cursus avec l’Ecole du Louvre implique que j’étais logée dans la capitale, ce qui a facilité
l’accès aux bibliothèques. De plus, cela m’a permis de jouer les investigateurs en partant sur
la piste du maitre verrier d’Arnaga dont nous ne savions initialement rien. Cette partie de mon
travail a été la plus intéressante car elle n’a d’abord été guidée que par l’instinct et m’a
ensuite baladée de cafés parisiens, en églises provinciales. J’ai consulté les archives
départementales, puis municipales (de Levallois-Perret) et fait appel à des historiens de l’art
qui ont déjà travaillés sur des vitraux 19003, pour résoudre en partie le mystère de « L.
Trézel », signature du vitrail de la bibliothèque. Je développerai davantage ma démarche dans
le chapitre consacré aux vitraux.
J’ai également « enquêté » sur les céramiques de l’office, des cuisines et du boudoir de
Rosemonde Gérard, pour lesquelles il n’y avait rien de plus que quelques suppositions. Pour
le dernier point, l’avis de Monsieur Heymes, responsable du musée de Mer dans le Val de
Loire4 et de Colette Robin, spécialiste en céramique et compétente sur l’œuvre d’Alexandre
Bigot, ont permis d’étayer le seul article connu5 qui faisait mention de ce céramiste comme
exécutant des carreaux de grès flammés du boudoir. Cependant, seul le descellement de un ou plusieurs – carreaux, dans le but de savoir si la signature de Bigot se trouve au dos (ce qui
n'est pas du tout systématique), pourrait réellement confirmer cette hypothèse. Toutefois, la
3
Monsieur Jean-Michel Leniaud, auteur de L’Art Nouveau aux éditions Citadelles et Mazenod et maître
conférencier à l’Ecole du Louvre et Madame Marie Madeleine Massé, ancienne documentaliste au musée
d’Orsay et actuelle conservatrice du musée de l’Orangerie.
4
Le musée rassemble la plus importante collection de France sur Alexandre Bigot, céramiste et industriel d'art
de la période Art Nouveau.
5
Article de Gabriel Mourey, « Le boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo » in Les Arts, mars 1910.
12
redécouverte de cette article est importante dans la mesure où il est couramment admis depuis un certain temps - que cette céramique est une réalisation de William Lee, demi-frère
de Rosemonde Gérard et céramiste en Puysaye.
Enfin, une grande partie de mes recherches s’est effectuée en bibliothèque,
principalement celle du musée des Arts Décoratifs de Paris et dans les centres de
documentation : celui du musée de Montmartre pour Georges Delaw et celui du musée de
l’Ecole de Nancy, dans lequel j’ai eu la chance de faire un stage, et dont la documentation sur
la période 1900 est très riche. Blandine Otter, documentaliste du musée, a pris le temps
d’assimiler les différentes informations que j’avais déjà réuni sur Trézel et les vitraux
d’Arnaga afin de m’aider à poursuivre leur étude. Elle m’a notamment permis d’ouvrir une
nouvelle piste en identifiant la seconde signature du vitrail que l’on peut désormais attribuer
au peintre Henri-Camille Danger.6
6
Henri-Camille Danger (1857- mort après 1937), Paris. Peintre de genre et de paysages. Elève de Gérôme et de
Aimé Millet. Il débute au Salon de 1886, obtient le prix de Rome en 1887, reçoit une médaille d’argent à
l’exposition universelle de 1900 et est fait Chevalier de la Légion d’Honneur en 1903.
13
INTRODUCTION
Edmond Rostand, sa vie, son œuvre.
Edmond-Eugène-Jospeh Alexis Rostand est né le 1er avril 1868 à Marseille.
Dès son enfance, il se démarque par son écriture aisée où tout est « gracieux, léger ».7
C’est la lecture en classe d’un extrait des Grotesques de Théophile Gautier qui est
déterminante dans l’œuvre de Rostand. Grâce à son professeur il découvre en effet Cyrano de
Bergerac, un personnage au nez surdimensionné qui le marque profondément.i
En 1884, toute la famille s’installe à Paris où Edmond intègre le Collège Stanislas. Il
est reçu à la deuxième partie de son baccalauréat deux ans plus tard.
En octobre 1886 il entre à la Sorbonne et devient étudiant en droit… sans grande
conviction… ne pensant plus qu’aux lauriers littéraires.
En 1887, son 1er texte est publié dans le Journal de Marseille. La même année il fait la
connaissance de Etiennette Louise Rose Gérard dite Rosemonde (1866-1953) à Luchon, dans
les Pyrénées où toute la famille Rostand passe ses vacances depuis la plus tendre enfance du
poète. Son père Eugène Rostand (1843-1915) y a fait construire une résidence secondaire, la
villa Juliette. En s’installant plusieurs années après à Cambo, Edmond Rostand découvre donc
le Pays Basque mais est déjà attaché aux Pyrénées. De leur mariage en 1890 naissent deux
fils, Maurice (1891-1968) et Jean (1894-1977).
Sa première pièce est présentée au Théâtre de Cluny à Paris en 1888. Mais le Gant
Rouge est retiré de l’affiche au bout de seulement dix-sept représentations.
Le succès n’est pourtant pas loin puisque en 1889, son recueil de poème, Les Musardises,
reçoit des critiques positives.
Après le succès d’estime remporté par Les Romanesques en 1894, on joue la Princesse
lointaine à Paris, sur le théâtre de la Renaissance, dirigé par Sarah Bernhardt. L’actrice
interprétera elle-même le principal rôle féminin.
Cette femme de plus de vingt ans l’ainée d’Edmond Rostand est déjà au sommet de sa
carrière et le poète rêve depuis longtemps de lui créer un rôle. Elle devient rapidement son
actrice fétiche et une amie intime de la famille.
7
Jacques Lorcey, Edmond Rostand - Tome 1 : Cyrano et l'Aiglon (1868-1900), Paris, Éditions Séguier, coll.
« Empreinte », 11 mars 2004.
14
La Princesse lointaine est malheureusement un échec mais Edmond Rostand et Sarah
Bernhardt apportent leur revanche en 1897 avec La Samaritaine. Surtout, le 27 décembre de
cette même année, Edmond Rostand découvre la célébrité grâce au triomphe de Cyrano de
Bergerac qu’il présente au Théâtre de la Porte Saint-Martin. C’est Constant Coquelin qui
interprète le rôle de Cyrano.
En 1900, le nouveau succès remporté par L’Aiglon (avec encore Sarah Bernhardt dans
le rôle principal - elle incarne le duc de Reichstadt, fils de Napoléon) confirme la popularité
exceptionnelle de Rostand.
Historique et présentation d’Arnaga, du projet à la construction – inachevée - et au musée.
La construction de la Villa Arnaga doit son origine à une pleurésie contractée par
Edmond Rostand, pendant les répétitions de L’Aiglon. De nature fragile, le succès lui fait
négliger sa santé.
Alors que le chirurgien Samuel Pozzi ne voit pas d’autre solution que l’opération, c’est
le Docteur Grancherii, ancien collaborateur de Pasteur, qui convainc le poète de venir se
soigner à Cambo. Lui même s’y est installé en 1892 pour traiter une pneumonie.
Cette station thermale, située en plain cœur de la province basque du Labourd, à une
vingtaine de kilomètres de Bayonne, était déjà reconnue pour la qualité de son air pur
richement oxygéné et de ses eaux (température de 22° à l’émergence ; sulfatées, sulfurées,
calciques et magnésiennes) dont les propriétés réunies traitent efficacement les affections
respiratoires. (Illustrations N°1 et 2)
A l’automne 1900, Edmond Rostand, son épouse Rosemonde Gérard et leurs deux
enfants Maurice et Jean, s’installent dans la Villa Etchegorria8 le temps de la cure.
(Illustration N°1bis) Rapidement – mais contre toute attente9 - ces quelques semaines de
traitement se transforment dans l’esprit de l’auteur de Cyrano de Bergerac en un projet de vie.
Enthousiasmé par la région, et après son élection à l’Académie française, le 30 mai 1901, il
8
« Maison rouge » en basque ; sur la route de Bayonne.
9
Lors de sa première rencontre avec Paul Faure, Edmond Rostand lui donne ses impressions sur la région : « Ce
n’est pas que Paris me manque, je puis très bien m’en passer. Ce n’est pas non plus que le Pays Basque me
déplaise. Il me semble agréable, pas assez, cependant, pour que je sois tenté d’y faire de longs séjours. Enfin,
nous verrons. » Paul Faure, Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand, Editions Plon, Paris, 1928, p.p. 17-18.
Il écrit également à Sarah Bernhardt qu’il ne se plait guère à Cambo : « J’ai la migraine, je suis transi, et c’est
tellement lugubre que je suis obligé de rire. Si je ne peux travailler ça deviendra infernal et je ne resterai pas
ici ! ». Michel Forrier, Petite Histoire d’Arnaga, la villa d’Edmond Rostand, Editions Pyrémonde, 2006, p.14.
15
décide de s’y installer définitivement. Edmond Rostand, qui possède un tempérament discret,
n’aime pas particulièrement les conséquences de la gloire et aspire à se tenir éloigné de la vie
parisienne et de ses tumultes. Il est donc conquis par la tranquillité du Pays Basque.
Il part en quête du terrain idéal pour y faire édifier la demeure de ses rêves. C’est en
1902 qu’il découvre lors d’une promenade à cheval « un endroit admirable » pour y « réaliser
ces deux choses dont (il) rêve depuis des années (…) : une belle maison et un beau jardin ».10
Le site sur lequel s’élèvera bientôt Arnaga est une lande à demi abandonnée près de la ferme
des « Trois Croix ». (Illustration N°3) Mais Edmond Rostand y perçoit tout de suite la beauté
réelle constituée par une vue imprenable sur la Vallée de la Nive, les monts Baïgura et
Ursuya. Comme l’ensemble appartient à trois propriétaires différents, c’est le docteur
Juanchuto11 qui se propose de négocier l’affaire. L’acte de vente est signé le 15 juillet 1902
sous l’égide de maître Fischer, notaire à Cambo. Les treize hectares, huit ares et quatre-vingt
trois centiares sont achetés pour la somme de 32.000 francs.
Edmond Rostand se laisse alors guider par son père pour le choix de son architecte.
C’est Joseph Albert Tournaireiii, Grand Prix de Rome en 1902, qui est désigné. Il vient
d’agrandir le Palais de Justice de Paris et a dessiné les plans de la Caisse d’Epargne de
Marseille.
Le deuxième semestre de l’année 1902 est consacré à la préparation du terrain qui est
entièrement sauvage. On débroussaille et on nivelle. Ensuite, les travaux avancent avec une
rapidité surprenante. Edmond Rostand suit l’évolution du chantier avec une vigilance
extrême. Ainsi, il ne faudra que trois années pour effectuer le gros œuvre. Les fondations sont
creusées en 1903 et toute la famille Rostand emménage en 1906, même s’il reste encore en
partie à décorer et meubler la maison.
A cette époque, les jardins sont déjà entièrement dessinés et implantés. (Illustration
N°4) Tout comme pour la villa, le poète s’est largement documenté, et tout comme pour
Joseph Albert Tournaire, il supervise le travail de son architecte paysagiste Pierre Ferret. Pour
agrémenter son magnifique jardin à la française, il imagine un grand miroir d’eau qui réfléchit
l’image de la maison et un canal. Il le complète devant la terrasse avec une orangerie à
l’architecture classique, ouverte au soleil par de grandes baies cintrées. En face de ce bâtiment
10
Paul Faure, Op.cit., p.85.
11
Natif de Larressore, cet homme d’influence, ancien adjoint, sera nommé maire par dix voix sur seize votants,
en remplacement de M. Grancher l’année 1905.
Les trois propriétaires étaient Gracieuse Etchegoyen de Larressore, Benito Hyrigoyen d’Itxassou et l’abbé
Sauveur Etchegoyen d’Aïnhoa.
16
se trouve le coin des poètes. Cet espace rend hommage aux grands hommes qu’admirait
Rostand : Shakespeare, Victor Hugo et Cervantès, dont les bustes, à l’image de dieux termes,
étaient autrefois encadrés par un treillis de bois. Cet habillage, sur lequel couraient des
rosiers, dessinait trois arcs en plein cintre qui répondaient symétriquement aux ouvertures de
l’orangerie.
Dans le prolongement de cet espace était également aménagée une roseraie dont on ne
conserve plus que les plans. A l’extrémité du canal s’élevaient les bâtiments de productions :
le verger, le potager et la ferme, ainsi qu’un monumental pigeonnier. Ce dernier sera détruit
en 1912 pour être remplacé par une pergola. On a voulu, à tort, associer cet élément
architectural à la gloriette du château de Schönbrunn, en Autriche, qu’Edmond Rostand à
visité lors de la préparation de L’Aiglon. Il n’est en effet pas difficile de constater qu’aucun
point commun, hormis l’idée elle-même, ne lie les deux constructions. (Illustrations N°5 et
N°6)
A l’ouest, le jardin à l’anglaise laisse à la nature une apparente liberté. C’est en
contrebas de ce jardin que coule un petit cours d’eau : l’Arraga.12 Traditionnellement, les
villas du Pays Basque portent un nom ; le poète se pose alors la question de celui de sa future
demeure. Il songe à lui donner celui de ce ruisseau, dont la tonalité un peu dure lui fait
transformer le second « r » en « n ». C’est ainsi que la villa fut baptisée Arnaga.
En 1904, Edmond Rostand songe à faire construire un petit pavillon où il pourra
travailler au calme. Le 14 août de cette même année il devient propriétaire d’une nouvelle
parcelle de terre, deux hectares et cinquante-neuf ares d’un pâturage boisé en bordure de
l’Arraga. Jospeh-Albert Tournaire peut débuter ce nouveau petit chantier, sur les dessins du
poète qui lui donne l’apparence d’un petit moulin grâce à une roue à aube d’ornement.
Bien que son chantier principal n’ait duré que quelques courtes années, ce qui
caractérise la création d’Arnaga c’est qu’elle a accaparé l’esprit d’Edmond Rostand bien plus
longtemps. Jamais lassé, il ne cesse de réorganiser, de réinventer l’intérieur et l’extérieur.
C’est ce que l’on voit notamment avec l’édification de la pergola en 1912. Puis en 1914, c’est
sans doute, le départ de Rosemonde Gérard, lassée d’une vie en autarcie et d’un époux
12
La traduction d’Arraga reste incertaine. Dans la plupart des sources imprimées consacrées à la villa d’Edmond
Rostand on peut lire que cela signifie « eau sur les pierres » ; c’est notamment la traduction qu’en donne
Rosemonde Gérard dans un discours qu’elle prononce dans les années 20 et dans lequel elle évoque le souvenir
de son défunt mari et de sa vie à Arnaga. Cependant, bon nombre de basques lui préfère « pleine de fraises »
comme c’est le cas d’Andrée Tétry qui a connu Jean Rostand (Andrée Tétry, Jean Rostand, un homme du
futur, Editions La Manufacture, 1988, p.28).
17
anxieux, lunatique et solitaire qui suscite chez Rostand de nouvelles envies de changements.
La principale transformation de cette époque se produit dans la salle à manger où le parquet
est remplacé par un sol de marbre. Auparavant, en 1913, le poète a déjà commandé à Gaston
Latouche de nouveaux cartouches pour les dessus de portes, venant déloger ceux
précédemment peints par Henri Caro-Delvaille. Il fait aussi modifier la niche de cette pièce
pour qu’elle devienne une grande desserte de marbre et fait installer un calorifère à la place de
la traditionnelle cheminée.iv Tel est le souvenir de Raimond Lerouge13 qui vient illustrer ces
métamorphoses constantes et symptomatiques : « Pendant les quatre années de mon séjour à
Arnaga, il n’est pas une seule des pièces du rez-de-chaussée qu’il n’est modifiée de fond en
comble. Les toiles d’Henri Martin, Gaston Latouche, Hélène Dufau restèrent en place ; mais
celles de Delaw et de Jean Veber, vastes décorations murales, passèrent d’un appartement
dans l’autre. Des espaces vides se couvrirent de nouvelles peintures. La salle à manger
troqua son parquet de chêne contre un dallage de marbre ; une vasque entourée d’une
pergola vint un jour orner son péristyle. Le grand salon fut compartimenté ; le studio subit
un revêtement complet de peuplier du Canada ; le salon Genlis (fumoir), grâce aux laques
expédiées de Pékin par le beau-frère du poète, M. de Margerie, devint un mystérieux salon
chinois. J’en passe. En toutes ces transformations, la substitution de la pierre au bois, de
l’ancien, du solide, du chaud, aux ornements modernes, légers et clairs, qui caractérisaient
le primitif décor de la Villa, indiquait la maturité approchante du poète. Tout, dans sa
maison comme dans sa pensée, prenait la teinte des somptuosités du premier automne. »
Le dernier grand projet d’Edmond Rostand est pour son jardin. Il prévoit d’installer
des jets d’eau sur le canal. Malheureusement, le poète décède en 1918, à seulement 50 ans et
n’aura pas le temps de mettre ce plan à exécution. Il se rend à Paris pour fêter la Victoire mais
emporte avec lui le virus de la grippe espagnole qu’il a probablement contracté à l’hôpital de
Larressore. Affaiblit, il s’éteint dans son appartement parisien, loin de son Arnaga.
En 1919, son fils Jean revient s’installer au Pays Basque dans la demeure familiale où
il retrouve sa nourrice Adeline Delpeche, son institutrice Miss Day, le secrétaire de son père
Louis Labat et l’écrivain Paul Faure. Mais, face aux coûts d’entretien, il se résigne à se
séparer du domaine trois ans plus tard. Dès cette date on a déjà la volonté de faire de la
maison du poète un musée ou un lieu destiné aux artistes et écrivains. Cependant les
personnes engagées dans cette voie sont trop peu nombreuses et l’idée n’aboutit pas. C’est
13
Jacques Lorcey, Edmond Rostand - Tome I1 : Cambo – Arnaga – Chantecler (1900-1910), Paris, Éditions
Séguier, coll. « Empreinte », 11 mars 2004, P.229.
18
donc le 27 juin 1922 que l’ensemble du domaine est mis en vente à la chambre des Notaires
de Paris. Le montant demandé est d’un million cinq cent mille francs pour la villa auxquels
s’ajoutent deux cent cinquante mille francs pour les laques et les peintures dont une brochure
détaille la valeur des principales œuvres.14
Le domaine attire de nombreux curieux dans le tribunal, mais personne ne se porte
acquéreur. La conséquence directe est la vente, directement dans la villa, du mobilier en lots
épars, plus ou moins bradés. Puis le 29 mai 1923, la villa est une seconde fois proposée sur le
marché. La nouvelle mise à prix est fixée à huit cents mille francs additionnés aux cent
cinquante mille francs demandés pour les décorations, soit neuf cents cinquante mille francs
contre les un million sept cent cinquante mille initialement proposés. Il faut du reste noter,
qu’à ce moment, la propriété a perdu deux hectares et quatre ares.
Malgré plusieurs jours de suspens, le domaine est finalement acquis le 16 juin 1923
pour un million de francs par l’armateur argentin De Souza-Costa. Débutent alors quarante
années pendant lesquelles Arnaga laisse Edmond Rostand entre parenthèses. Dans un premier
temps l’entrepreneur et son épouse entretiennent parfaitement la villa et son jardin ; ils y
entreprennent même quelques aménagements. Ils font par exemple modifier le dessin de la
terrasse et du premier parterre et élever une enceinte tout autour de la propriété. Mais petit à
petit leur richesse s’amenuise à cause de la crise économique qui touche l’Europe. En 1933 le
phénomène se reproduit comme dix ans auparavant et une partie des éléments de la décoration
sont discrètement cédés à quelques collectionneurs. En 1942, Madame De Souza-Costa,
veuve, ne peut plus maintenir la situation et décide de revendre la propriété. Heureusement,
Maurice Rostand est sensible à la maison de son enfance et intervient directement auprès des
autorités pour faire inscrire Arnaga au titre des monuments historiques. A la fin de cette
année, c’est l’homme d’affaire Henry Etienne15 qui se porte acquéreur. C’est à lui que l’on
doit la restauration de la terrasse dans son état primitif. L’homme, emprisonné en 1944, meurt
après la Libération avant de passer devant les tribunaux et surtout avant que l’achat n’ait pu
être définitivement conclu. Madame De Souza-Costa récupère donc son bien, pour un temps
seulement, puisqu’il trouve un nouvel acheteur dès 1946 en la personne de Francis
Fleischmann, couturier parisien.
C’est la période que choisi Paul Faure pour revenir s’installer à Cambo-les-Bains. Il
est bien décidé à raviver le souvenir d’Edmond Rostand et à lui rendre l’hommage qu’il
14
Réalisée par l’imprimerie Foltzer à Bayonne.
De son vrai nom Henri Staffer. Il est le président directeur général de la revue Demain et connaît Cambo-lesBains parce qu’il a été soigné au Sanatorium d’Hasparren.
15
19
mérite. Il lui faudra beaucoup de patience et plus de dix ans pour convaincre la municipalité
de créer un musée dans deux salles de la mairie. Cette première ébauche bénéficie de la
générosité de Jean Rostand qui offre une multitude de souvenirs (mobilier, affiches, coupures
de presse, journaux, portraits peints, dessins, photographies, habit d’académicien, manuscrits
et livres ayant jadis dormis dans la bibliothèque d’Arnaga). Le 27 août 1960, les efforts de
Paul Faure sont complètement récompensés lorsque la municipalité se décide enfin à racheter
la villa après que Madame Fleischmann, devenue veuve à son tour, accepte de céder le
domaine largement dégradé par de nouveaux problèmes financiers. Cependant, elle conserve
le moulin qu’elle fait aménager pour elle. Les travaux retardent la signature de l’acte de
propriété. Ce n’est qu’en juin 1962, qu’Arnaga devient enfin le musée Edmond Rostand. Le
Docteur Camino s’investit pour monter un spectacle son et lumière qui n’est pas sans rappeler
le dernier projet de jets d’eau qu’a eu Edmond Rostand. Pourtant, malgré son aspect
grandiose, cette mise en scène n’a rien du caractère rostandien et est rapidement
abandonnée.16 Son inauguration officielle a eu lieu le 6 juillet 1963 en présence de Jean
Rostand et de son épouse. C’est la dernière visite du biologiste dans la villa de son enfance,
mais jusqu’à sa mort en 1977, il continuera régulièrement à faire des donations au musée.
Le 10 septembre 1964, la municipalité reçoit le diplôme du Prix du Prestige Français
pour avoir contribué à servir la mémoire d’Edmond Rostand en sauvant ce patrimoine
national, régional et littéraire.
En 1995, l’ensemble du domaine est classé à l’inventaire des Monuments Historiques,
ce qui lui assure le plus haut niveau de protection. En 2002, la mise en application de la loi
des Musées a permis à Arnaga d’obtenir le statut de Musée de France. En 2004, le site reçoit
le label Jardin remarquable. Enfin en 2006, un vieil autochrome figurant la villa dressée sur
sa colline a permis de lui rendre sa couleur « rouge sang de bœuf » originale. En effet, depuis
plusieurs décennies elle s’était habillée d’une peinture verte, un souvenir si lointain qu’on en
avait oublié son premier état. C’est cet autochrome de 1910, étayé par les mémoires publiés
de Paul Faure, un dessin aquarellé signé de la main de l’architecte Tournaire et l’observation
des couches anciennes de peinture sur les boiseries qui ont confirmé le choix initial d’Edmond
Rostand.17
Depuis 1960 et Paul Faure, plusieurs conservateurs se sont succédés à Arnaga et ont
permis de développer le musée en l’enrichissant de nouvelles acquisitions. Par ailleurs,
16
Aujourd’hui il subsiste quelques jets d’eaux, souvenirs de ces premières années.
Odile Contamin, « Les couleurs retrouvées d’Arnaga » in Cambo-les-Bains, Villa Arnaga, Musée Edmond
Rostand, Guides de l’Aquitaine, Le Festin, 2006.
17
20
l’intérêt porté par ces différents hommes et femmes a fait redécouvrir l’histoire exceptionnelle
d’un lieu et de son créateur. Sans doute Arnaga est-elle le chef-d’œuvre majeur d’Edmond
Rostand. Les différents inventaires tenus par ces responsables depuis les débuts font
aujourd’hui l’objet d’un récolement, dans le cadre du premier récolement décennal obligatoire
pour tous les musées français. Le musée se trouvant sans conservateur officiel depuis Juin
200718, c’est la DRAC Aquitaine qui a facilité le recrutement d’un chargé de mission pour
accomplir cette tâche. Ce récolement devrait d’autant plus améliorer la connaissance des
collections et permettre leur mise en valeur. De plus, depuis le 1er mai 2010, un nouveau
conservateur, Madame Labat, est de nouveau en poste à Arnaga. Ses expériences antérieures
seront sans aucun doute des plus bénéfiques pour ce musée et son développement.
Les années à venir vont voir l’achèvement du récolement, une réflexion sur la
muséographie de certains espaces restés dans leur état des années 60, la restauration et
l’ouverture de nouvelles pièces (salle de bain d’hydrothérapie et pourquoi pas cuisines au
sous-sol), une continuité dans la participation à la Nuit des Musées, au Rendez-vous au jardin
et aux Journées du Patrimoine, et souhaitons-le, la mise en place plus systématique
d’expositions temporaires (une initiative positivement amorcée cette année avec le centenaire
de Chantecler).
Enfin, il ne faut pas oublier dans l’histoire de la villa Arnaga, la constitution de
l’Association des Amis d’Arnaga en 2003 à l’initiative du maire de Cambo-les-Bains,
Monsieur Vincent Bru. En 2010 c’est Monsieur François Dheur qui en est le président et
Monsieur Robert Poulou le président d’honneur. Cette "association a pour but d'honorer la
mémoire d'Edmond Rostand et de sa famille, de promouvoir son œuvre, ainsi que de
contribuer au rayonnement d'Arnaga, sa demeure à Cambo-les-Bains au Pays Basque."
18
Depuis le départ d’Odile Contamin, la gestion du musée était assurée par Monsieur le Maire, Vincent Bru, son
adjointe à la culture Madame Anne-Marie Pontacq et l’ensemble de l’équipe d’Arnaga.
21
CHAPITRE I: UN DECOR DE REVE
A. Un art de vivre :
« Véritablement cet « Arnaga » fut élevé et imaginé comme une grande
comédie héroïque en cinq actes en vers, qui pendant un certain temps,
l’empêcha de travailler à une autre. Lui-même décida de tout, organisa,
imagina, précisa quelle place aurait chaque rosier et quelle place
chaque peinture ! « Arnaga » vraiment, ce n’est pas une maison ; c’est
un grand poème lyrique composé par un extraordinaire poète de
théâtre ! C’est ainsi qu’il faut le voir et le comprendre. »
Maurice Rostand in Confession d’un demi siècle
1. Un projet ambitieux.
Si Edmond Rostand a fait édifier sa villa sur une colline de Cambo-les-Bains c’est
purement par un malheureux hasard, celui de sa pleurésie. Cependant, l’idée de bâtir de toutes
pièces une demeure à son goût est depuis longtemps dans son esprit ; il ne lui manquait
finalement plus que le lieu idéal.
Ce qui allait devenir un « poème de pierre et de verdure » est presque tout entier sorti
de son imagination. Il « n’entends pas édifier ici l’une de ces imitations de châteaux du
Moyen-Age à la Viollet-le-Duc qu’on a vu fleurir ailleurs ! (…) ». Ce qu’il souhaite c’est une
« demeure, même très grande et très confortable, (qui) doit rester dans le goût du pays ».19
Il faut comprendre qu’il a souhaité une œuvre d’art totale réunissant architecture,
mobiliers, décors et jardins. Pour cela il s’octroie les services de multiples entreprises
régionales ou parisiennes spécialisées dans tous les domaines et il n’hésite pas à faire venir les
matériaux des quatre coins de la France. C’est ce qui fait d’Arnaga un chantier si
impressionnant tant il a été rapide et assuré par un nombre considérable d’ouvriers.
19
Lorcey op.cit., Tome II, p.57.
22
L’homme de talent qu’est Joseph Albert Tournaire sera toujours en retrait face à son
commanditaire. Rostand ne le laisse absolument pas libre dans sa création, et lui impose sans
cesse ses nouvelles volontés, l’obligeant à systématiquement s’adapter. Entre les deux
hommes, et entre Paris et Cambo, débutent de nombreux échanges, à la fois physiques
(Joseph Albert Tournaire entreprend le voyage jusqu’à Cambo des dizaines de fois), et
littéraires (le musée conserve une abondante correspondance20). Edmond Rostand
accompagne ses demandes de multiples petits croquis qu’il appose un peu partout, sur ses
cahiers, dans ses lettres, sur les nappes, et surtout en marge de sa prochaine pièce Chantecler.
L’architecte transcrit l’idée et la lui soumet. Le poète retourne la plupart du temps les plans et
cartons, raturés et corrigés. C’est une nouvelle fois Paul Faure, que nous avons déjà cité, qui
témoigne le mieux de ce grand chantier : Tournaire « envoyait des croquis, de ces beaux
croquis d’architecte sur papier huilé. Il était rare qu’Edmond Rostand ne les retournât pas
zébrés de corrections, de remarques, de retouches. Les portes du hall donnant sur la terrasse
arrivaient, dessinées par Tournaire, étroites et hautes ; elles s’en revenaient basses et larges
comme des entrées de tunnel… Rostand passait tout au crible de son goût, jamais satisfait.
Bientôt les lettres ne suffisent plus, Tournaire fit la navette entre Paris et Cambo, travaillant
entre deux trains avec Rostand, l’un et l’autre plongés dans une masse de documents que
chacun avait amassés, les triant, les épluchant, Rostand déversant sur le tout un flot d’idées
sans cesse renouvelées.21 v(Illustrations N°7 et N°8)
Lorsque la famille s’installe dans la villa en 1906, les jardins sont déjà entièrement
aménagés et Rostand, impatient, a fait replanter des arbres déjà grands. C’est au chanoine
Abbadie, supérieur au petit Séminaire de Larressore, propriétaire du domaine d’Escanda, que
le poète achète toute une rangée de très beaux tilleuls pour une somme plutôt considérable. Il
faut imaginer au début du siècle dernier les moyens techniques que cela a nécessité et surtout
la réaction des habitants de la région en voyant sur les routes ces arbres prestigieux tirés par
des bœufs. Ce fut « pendant des mois, une procession d’arbres, une allée marchante, un
spectacle qui clouait d’étonnement les bons Basques peu habitués à voir des arbres en pleine
croissance déterrés et trimballés comme des asperges ».22 En 1906, Rosemonde est à Paris ;
elle se rend au Salon d’Horticulture avec son ami Truffaut et achète quantité de fleurs et
d’arbustes qu’elle fait envoyer par wagon à Arnaga pour distraire son mari.
20
Principalement les lettres d’Edmond Rostand adressées à Joseph Albert Tournaire qui ont été données au
musée par le fils de ce dernier. Ce fonds a été versé en 2004
21
Paul Faure, Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand, Plon, 1928, p.p.71-72
22
Paul Faure, Op.cit., p.p. 114-115.
23
2. Confort et modernité.
a. Régionalisme
Si Arnaga est profondément marquée par l’empreinte du poète, il n’en reste pas moins
que son architecture, dite néo-basque comme celle de beaucoup de villas de la région au début
du XXe siècle, s’inspire nettement de l’architecture labourdine ; Arnaga est une interprétation
personnelle de ce style régional qui devait plus tard s’étendre sur toute la côte basque.
« Quand ils virent que Rostand construisait une grande maison basque, tous ne voulurent
plus que façades blanches, grand toit plus incliné d’un côté que de l’autre, portes rondes,
pans de bois. Ainsi, grâce à Rostand fut préservé des horreurs enfantées par les imaginations
des imbéciles et des snobs le vieux Pays Basque.23 » La caractéristique majeure de cette
architecture est sa façade à colombage. Toutefois, le jardin à la française n’a rien à voir avec
la tradition régionale, et on peut ajouter que l’intérieur de la Villa est davantage d’inspiration
parisienne que labourdine.
b. Esprit parisien.
« En contre-partie de cette façade de chalet rustique, orienté vers l’est pour ne pas
être trop la victime du vent, rien ne s’oppose à ce que l’intérieur manifeste un luxe de bon
aloi et une fantaisie plus personnelle dans sa décoration… quant aux jardins, si vous le
voulez bien, ils seront « à la française », avec leurs lignes bien dessinées, leurs bassins, leur
orangerie et leur gloriette, qui évoqueront pour moi toute notre histoire, de Cyrano jusqu’à
L’Aiglon ! Derrière la maison, le jardin sera plus « sauvage », avec sa fontaine et sa grotte
pour satisfaire les enfants et les amateurs de contes de fées que nous sommes dans la
famille. »24
Selon l’ami Jules Renard, l’œuvre d’Edmond de Rostand est un « magnifique
anachronisme ». En effet, quel paradoxe entre cette façade inscrite dans l’esthétique de la
région, plantée entre un jardin à la française et un jardin à l’anglaise, et cet intérieur où
23
Jean-Claude Lasserre, « L’offensive du régionalisme » in Bordeaux et l’Aquitaine, 1920-1940, Urbanisme et
architecture, 1988.
24
Lorcey, T. II, P.58.
24
cohabitent un grand hall à l’esprit anglais, un salon chinois, en définitive, une magnifique
mise en scène recréant l’ambiance d’un théâtre.
Cependant, si l’on met en évidence uniquement l’aspect structurel de la maison, on
s’aperçoit qu’Edmond Rostand n’a pas fait tellement preuve de fantaisie. La distribution
intérieure des différentes pièces reste traditionnelle, en adéquation avec les hôtels particuliers
parisiens de l’époque. La vie de la maison s’organise autour des pièces de réception du rezde-chaussée (hall d’entrée, grand hall qui fait office de séjour, petit salon chinois également
pièce fumoir, bibliothèque et salle à manger), auxquelles viennent s’ajouter la salle de jeu et
d’étude des enfants, le bureau empire d’Edmond Rostand en bois de citronnier et les pièces de
service (l’office et son monte-charge qui permet la communication avec les cuisines en soussol). (Illustration N°9) A l’étage se trouvent les pièces d’habitations, chambres, petits salons
et salles de bains.
On retrouve une organisation classique en enfilade sur les deux niveaux bien visible à
l’étage avec, sur la façade est, la chambre des enfants, la garde robe et la chambre de
Rosemonde, et en symétrie sur la façade ouest, le boudoir de Madame, un petit salon et la
chambre d’Edmond Rostand. Il faut cependant remarquer que ces deux séries de pièces, qui
communiquent entre elles au moyen d’ouvertures disposées dans un même alignement, sont
également desservies par un couloir. (Illustration N°10)
Un dernier, enfin, accueille les appartements des domestiques, un autre salon et un
atelier photographique.
Dans la lignée de ces hôtels particuliers du début du XXème siècle, la villa Arnaga
bénéficie de tout le confort moderne possible.
Un générateur installé près des écuries fournit le domaine en électricité. Pour le faire
fonctionner, Edmond Rostand et son architecte envisagent de détourner le cours d’eau qui
s’écoule depuis l’Ursuya, l’une des montagnes qui ferment la perspective du jardin. Par
ailleurs, un système de chauffage à air pulsé assure le plus grand confort en toutes saisons.
Les travaux d’Arnaga sont réellement d’une ampleur considérable, tant par les moyens
déployés que par le temps de mise en œuvre extrêmement court. Son arrivée à Cambo est sans
aucun doute primordiale pour l’essor de la commune. D’abord parce que sa notoriété attire les
foules ce qui entraîne l’augmentation de la fréquentation de la station thermale. Mais ce sont
surtout les travaux engagés pour Arnaga qui sont profitables aux deux mille habitants :
Rostand redistribue une partie de sa production en électricité à cette petite commune de
25
campagne jusqu’alors encore bien ancrée dans le XIXème siècle. L’impact de l’installation du
poète à Cambo est donc sans précédent quant à son évolution.
3. Une œuvre d’art totale.
a. Inspiration Arts and Crafts
Il est nécessaire de revenir une dernière fois sur la capacité créatrice d’Edmond
Rostand. Non pas pour la valoriser encore mais au contraire pour la nuancer, sans toutefois la
dévaloriser. En effet, parmi la bibliothèque qui accueillait autrefois plus de dix mille
ouvrages25, se trouvait sans doute un ou plusieurs volumes de l’architecte britannique Mackay
Hugh Baillie Scott qui s’inscrit dans le mouvement Arts and Crafts.
Trois feuillets de ses publications sont actuellement conservés dans une vitrine de la
chambre rouge26. S’ils sont séparés de leur ensemble c’est probablement parce qu’Edmond
Rostand les a mis de côté pour s’inspirer de l’esthétisme qui y est développé. La bibliothèque
des Arts décoratifs de Paris possède deux de ces ouvrages27 dont l‘étude a permis de mettre en
évidence les différents éléments qui ont été source d’inspiration pour Rostand. On remarque
la similitude de la conception du studio des enfants avec les planches de Baillie Scott,
notamment avec la conception d’une « music room ».28 On y retrouve le contraste entre les
essences de bois et le choix du même motif, soit une essence claire mariée à une essence
foncée ; pour le studio des enfants à Arnaga, il s’agit de frêne du Canada et d’ébène. Ces
essences sont disposées en épi sur les meubles et sur les éléments au sol tandis qu’ils forment
une frise en damier au plafond. Le pastiche se fait également par le biais de la palissade
agrémentée de pastilles de nacre. Au grès des différentes planches des deux ouvrages, on
reconnaît aussi la cheminée en cuivre, les banquettes (la villa Arnaga en possédait
initialement deux dont une est aujourd’hui conservée au musée Denon en Saône et Loire), les
poutres de bois au plafond (dont on retrouve également l’inspiration dans la bibliothèque). Par
ailleurs, cette pièce est l’exemple type de l’art total envisagé par Edmond Rostand puisque le
25
Grâce aux différents dons de Jean Rostand dans les années 60, la bibliothèque d’Arnaga conserve aujourd’hui
un peu moins de la moitié de ces ouvrages.
26 er
1 étage, dite « chambre rouge » en référence à la toile de Jouy malheureusement très dégradée qui orne ses
murs. Elle est aujourd’hui dédiée à l’architecte Joseph Albert Tournaire.
27
Mackay Hugh Baillie Scott, Houses and Gardens, 1906 et Haus eines Kunst-Freundes, 1905.
28
Planche « Music Room » insérée entre les pages 32 et 33.
26
mobilier, tant dans le fond que dans la forme fait écho au décor. (Illustrations N° 11, 12 et 12
bis)
Si le studio des enfants est un exemple typique, il n’est pourtant pas unique ; Edmond
Rostand semble aussi emprunter à Baillie Scott l’idée de séparer son grand hall par de larges
arcades reposant sur des colonnes massives. Dans une des planches, on peut aussi observer le
croquis de larges baies basses en plein cintre assez semblables à celles qu’a souhaité Edmond
Rostand pour le Grand Hall et dont il fait la demande explicite29vi à Tournaire. On découvre
enfin des parallèles dans l’emploi de céramiques aux coloris francs pour habiller les murs ou
encore l’idée d’une pergola. (Illustrations N°13, 14 et 15)
Ce mouvement Arts and Crafts est actif en Angleterre entre les années 1860 et 1910. Il
se caractérise par l’idée que l’art doit intervenir partout, dans l’architecture, le mobilier et les
objets usuels. Il réhabilite également le travail artisanal et met à l’honneur des matériaux de
qualité. En cela il est précurseur de l’Art nouveau.
b. L’art dans tout, l’Art nouveau.
Le poète est très sensible à son époque, comme on peut le voir avec l’influence de
Baillie Scott ou la volonté de profiter des dernières grandes inventions : l’ampoule électrique
et plus généralement la distribution de la villa en électricité, ce qui reste un privilège au début
du XXème siècle. Il semble donc évident qu’Arnaga s’inspire également de l’Art Nouveau
qui atteint son apogée en Europe à cette période.
Mais peut-on vraiment parler d’Art nouveau à Arnaga ? Cette esthétique se définit par
sa dualité, à la fois un mouvement international, mais surtout une inscription dans un fort
mouvement traditionnel, un courant local. Cette ambigüité est bien la caractéristique de la
villa qui comme nous l’avons vu précédemment mélange les genres. Par ailleurs, parmi ces
différentes références, celle à l’architecture néo-basque est marquée, ce qui correspond bien à
ce désir de mettre en valeur l’histoire nationale, ou à plus petite échelle, locale.
De plus, l’Art nouveau prône le principe rationaliste. Nos propos se doivent d’être
prudents et modérés, mais sous l’impulsion de Viollet-le-Duc au XIXème siècle,
l’architecture du début du XXème siècle renonce au principe de symétrie, ce qui est
directement visible sur les façades d’Arnaga, et prône une organisation de la façade qui
29
Cf. Chapitre I, 1, p.21.
27
permet une lecture claire de la distribution intérieure de la villa. (Illustrations 16 et 16a) On
doit pouvoir immédiatement déduire de cette façade les fonctions des différentes pièces.
Même si le principe n’est pas absolument systématique pour Arnaga, il est néanmoins vrai
pour le grand hall qui se définit extérieurement par les grandes baies surbaissées et cintrées.
Ce sont les ouvertures les plus grandes de la villa qui correspondent à la pièce la plus
importante. De même, l’emplacement de la salle à manger, autre pièce ostentatoire est
visuellement marquée sur la façade ouest par une série de trois grandes fenêtres cintrées
soulignées par deux colonnes classiques. Sur cette même façade, le salon bleu, pièce de
réception, se détache par son balcon décoratif, ses deux fenêtres ovales et son mur peint d’une
autre couleur. On peut également noter le balcon en arc de cercle sur la façade côté jardin à la
française qui laisse deviner le mouvement circulaire de la cage d’escalier. Plus curieux en
revanche est celui de la salle de bains dont la grande porte vitrée laisse plutôt imaginer une
chambre, de même que l’encorbellement sur ce même côté qui n’abritent que le studio des
enfants et un appartement secondaire. Enfin, entre la chambre rouge et le salon bleu, trois
petites baies encastrées dans la pierre, dissimulent le merveilleux boudoir ou salon des fées de
Rosemonde. Néanmoins, la petitesse de ces fenêtres est mise en valeur par cette inscription
dans la pierre naturelle qui contraste avec le reste de la façade à colombage, jouant sur une
surface lisse et blanche et des poutres de bois rouges.
Justement, la multiplication des matériaux sur une seule façade est aussi un trait propre
à l’Art nouveau. Même si ceux employés à Arnaga ne sont pas usuels à cette esthétique qui
privilégie, outre la pierre, la brique et le fer, ils remplissent leur fonction de polychromie.
L’Art nouveau c’est aussi une remise au goût du jour de l’emploi de la tapisserie
(présente dans la garde-robe de Rosemonde et dans la « chambre rouge » où se déploie une
toile de Jouy malheureusement très dégradée), du vitrail (les trois vitraux en verre moderne
seront étudiés dans la troisième partie), des peintures murales (il n’y a aucune fresque à
Arnaga mais exclusivement des toiles marouflées, autre technique de la peinture murale) et de
la céramique (grès flammé du boudoir et céramiques peintes de l’office et des cuisines).
Avec l’Art nouveau se développent les thèmes de la nature, dans l’iconographie bien
sûr mais aussi dans les formes mêmes que prennent les créations artistiques. Dans la maison
d’Edmond Rostand cela se traduit dans toutes les peintures hormis celles de Georges Delaw,
dans la salle de bain contiguë à la chambre de Rosemonde dont le mobilier est typiquement de
style Art nouveau, avec sa baignoire tout en courbes, ces luminaires en formes de fleurs, ses
poignées de porte et de fenêtres représentant des cigales. Dans la bibliothèque, la grille en fer
28
forgé dessinée par Vian reprend ces caractéristiques : courbes, fleurs et bien évidemment le
fer. Enfin, l’évocation de l’Art nouveau est partout dans les jardins et les toiles avec la
redondance de deux motifs iconographiques typiques, le cygne et l’hortensia.
En conclusion, même s’il n’est pas question d’une architecture Art nouveau on trouve
à Arnaga les preuves qu’Edmond Rostand et son architecte ont connaissance des dernières
modes. Le désir du poète de réaliser une œuvre d’art totale peut paraître démesurée sortie de
son contexte, mais cette réalisation, bien que personnelle, est assez commune dans sa
démarche.
c. Un projet envahissant.
Nous l’avons dit, Edmond Rostand a conçu sa Villa depuis ses fondations jusqu’au
choix et à l’emplacement de la moindre chaise ou du plus petit tableau. C’est réellement du
projet d’une vie dont il faut parler. A tel point que pendant dix ans, sa carrière théâtrale est
mise en suspend. Débuté en 1900, sa dernière pièce, Chantecler, ne sera finalement achevée
qu’en 1910. D’ailleurs ce sera un échec relatif car la critique, tout autant que le public, attend
beaucoup du poète après les succès répétés de Cyrano de Bergerac et de L’Aiglon. Or, ce que
Rostand propose, c’est une satire de la société à travers l’évolution d’une « vulgaire » bassecour. L’accueil est très mitigé et au regard de l’argent investit – il faut considérer notamment
l’ensemble des décors et des costumes qui ont été spécialement conçus - Chantecler est
également un échec financier. Pourtant cette pièce c’est un peu un échantillon du domaine
d’Arnaga. C’est la seule qu’Edmond Rostand écrit à Cambo à cause de l’importance que
prend dans son esprit la construction d’Arnaga. « Les scènes de Chantecler écrites sur des
carnets et des feuilles de tous les formats, ont leurs marges criblées de plans, de dessins,
ayant trait à Arnaga : balustrades, balcons, vases, piliers, pergolas, escaliers, terrasses.
Celui qui ne connaitrait par Rostand pourrait, par ses manuscrits, suivre les développements
de sa pensée en train de créer Arnaga et Chantecler. »30
30
Paul Faure, Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand, Plon, 1928, p.158.
29
B. Les peintres d’Arnaga :
1. Le choix des peintres.
De la place pour la peinture, il en a été faite beaucoup à Arnaga.
C’est toujours conseillé par son architecte qu’Edmond Rostand passe commande aux
différents artistes qu’il a choisis. Tournaire est chargé de leur fournir les mesures exactes que
doivent avoir les futurs décors pour faciliter leur mise en place et il s’assure de l’avancement
de leur exécution, rôle qu’aura également Rosemonde. Il est également responsable des
entreprises engagées pour préparer les murs qui recevront les toiles.
Edmond Rostand a découvert la plupart des « peintres d’Arnaga » dans les Salons
parisiens où ils exposaient.
Observons la liste des exposants du Salon des Artistes Français en 1901 ; elle contient
une information précieuse. En effet, les peintres Henri Martin, Henry Caro-Delvaille, Gaston
Latouche et Jean Veber y ont tous fait un ou plusieurs envois31. Le fait se reproduit au Salon
de la Société Nationale des Beaux-Arts pour les années 1901 à 1905, mais cette fois-ci Henri
Martin est absent.32 Ces deux exemples qui pourraient être renforcés par une recherche
systématique dans tous les Salons pour les années antérieures à l’arrivée d’Edmond Rostand à
Arnaga, ont le mérite de mettre en évidence la probabilité que le poète ait découvert ses
peintres dans ces lieux d’exposition qu’il fréquentait régulièrement.
Tous les artistes d’Arnaga étaient donc relativement connus à leur époque même si
leur renommée aujourd’hui est quasiment éteinte. Prenons l’exemple d’Hélène Dufau. Ses
premières œuvres sont admises au Salon des Artistes Français dès 1889, elle a vingt ans. En
1909, reconnue par ses pairs et célébrée par la critique, sa notoriété lui vaut d’être décorée du
titre de chevalier de la Légion d’Honneur.
Si Edmond Rostand choisit Hélène Dufau pour participer à la création des décors de sa
demeure, c’est parce qu’il a vu exposé au Salon des Artistes Français de 1902, L’Automne,
achetée par l’Etat. Cette toile, le poète l’admire vraiment ; à tel point qu’il souhaite en
posséder l’exacte réplique pour orner sa bibliothèque.
31
Artistes cités dans l’article de Gustave Saulier, « La peinture aux Salons », Art et Décoration, juin 1901, p.p.
173-183, juillet 1901, p.p.1-8 et août 1901, p.p. 41-44.
32
Gaston Latouche présent en 1901-1902-1903-1904-1905 ; Henry Caro-Delvaille présent en 1903-1904-1905 et
Jean Veber présent en 1901-1902-1903-1904-1905.
30
Comme Hélène Dufau est déjà très largement reconnue et appréciée lorsqu’elle réalise
les décors de la villa Arnaga, plusieurs journalistes, critiques, conservateurs ou artistes
rédigent des articles rendant compte de leur impression face aux deux toiles destinées à la
bibliothèque du poète. Ils mettent en avant sa capacité à rendre la beauté des corps nus et à
offrir une merveilleuse allégorie des saisons.
N’oublions pas non plus l’hommage que lui rend Maurice Rostand33 : « Jusqu’à
présent, je n’ai pas parlé de notre amie Mlle Dufau, la femme peintre, je dirais même
l’admirable artiste. Injustement oubliée, elle me semble un peu la Noailles de la peinture,
bien que je répugne à ce genre de comparaison dont on a trop abusé. Elle avait exécuté pour
Arnaga de magnifiques toiles, une réplique de cet Automne qui retient encore au Luxembourg
l’attention des connaisseurs, une autre, non moins belle, Les Cygnes Noirs. »
On peut toutefois relever le commentaire rédigé par Mayi Milhou34 qui vient modérer,
quatre-vingt dix ans plus tard, l’enthousiasme général. Elle énumère les différences entre
L’Automne présenté au Salon et la version destinée à Edmond Rostand ; et de conclure en
déplorant que ces modifications aient totalement dénaturé la toile. « Et voilà comment
l’Automne (…) à la composition équilibrée, habité par une pensée qui transcende la forme,
devint le tableau allégorique d’une belle saison où l’œil ne retrouve plus l’harmonie créée
par l’original. Outre le sens particulier dévolu à l’éphèbe, remplacé par un putto, sa
disparition entraine un déséquilibre qui nuit à l’eurythmie de l’ensemble. »
Le cas de Gaston Latouche est un peu différent puisque au moment de la commande,
le poète connaît déjà l’artiste qui fera de fréquents séjours à Cambo. De même Edmond
Rostand sera reçu dans sa Villa de Saint-Cloud35. Toutefois, il semble que les Rostand
resteront un moment hésitants sur leur choix. C’est probablement la raison pour laquelle
Rosemonde profite de son séjour à Paris, au mois de mai 1906, pour se faire une dernière
idée. Elle écrit à son époux pour recevoir quelques recommandations : « La Touche, je suis
comme toi très embarrassée. Faut-il ou non y aller demain ? Je vais tâcher de juger bien
clairement au salon et d’après notre impression, j’irai ou n’irai pas. Qu’en penses-tu ?
Télégraphie moi sitôt cette lettre reçue au cas où tu aurais brusquement quelques idées
fixes à ce sujet. N’aie aucune crainte, j’ai agi exactement dans le sens que tu voulais mais je
33
Confession d’un demi-siècle, P.236
Mayi Milhou, De Lumière et d’Ombre, Clémentine-Hélène Dufau, Editions Art & Arts, 1997, p.73
35
Rapporté par le Dr Fleury dans le Figaro du 13 juillet 1913, le lendemain de la mort du peintre.
34
31
crois, sans me vanter, que la chose a été fort bien enlevée. Et c’est lui qui nous remercie,
juste comme tu le voulais ».
La Touche est un grand sensible. Entre décembre 1897 et janvier 1898, il est atteint de
neurasthénie et en 1900, il fait une dépression, des maux qui touchent également Rostand et
qui peut être inconsciemment lient les deux hommes.
Gaston Latouche est un disciple des maitres éminemment français du XVIIIème siècle.
Un artiste dont l’œuvre est caractérisé par son égalité. On peut difficilement parler de
première manière et de maturité chez ce peintre qui est resté fidèle à son style ; peut être aussi
parce qu’il est mort jeune et n’a pas eu le temps de connaître le déclin de son art. Il connaît
une évolution majeure cependant : il débute attaché au réalisme et s’oriente vers l’idéalisme
qui sera son style définitif.vii
Formé, quelques années seulement à cause de la guerre de 1870, auprès du professeur
M. Paul, il termine son apprentissage en autodidacte, au contact de la nature et de la vie mais
il aura également la chance de recevoir les conseils de deux ainés, Manet et le graveur
Braquemond. Chez Manet, ce n’est pas tant le style qu’il emprunta, mais plutôt les idées : il
apprît à être sincère et au plus proche de la vérité.
La Touche est avant tout un coloriste. Ses sujets qui sont habités de la joie de vivre
dérivent bien de la peinture du XVIIIème siècle : toiles de Watteau, singeries caractéristiques
(seize sont exposées en 1908 aux galeries Georges Petit sous les numéros 185 à 200, dans la
catégorie du même nom, « Les Singeries »), fêtes galantes et scènes mystiques. En revanche,
ses procédés de coloris sont résolument modernes. Sa palette est éclatante et autant dans les
sujets de plein air que dans les scènes d’intérieurs « il excelle à faire étinceler en un brillant
feu d’artifice, les rouges chaleureux, les verts, l’orangé et surtout les jaunes : jaunes
magnifiques de verrières que traverse le soleil, jaunes que les lampes d’une salle de bal
projettent sur les tables, jaunes des tapisseries ou des paravents dans de riches intérieurs ! »36
On peut rapprocher la touche du peintre de celle des impressionnistes, notamment Monet et
Sisley. En effet, c’est la couleur qui dessine et non pas le trait ; aucun cerne ne vient marquer
les silhouettes et les objets mais ils « se présentent en masses lumineuses exécutées par petites
hachures »37. (Illustration N°17)
Il faut aussi souligner chez Gaston Latouche sa capacité de mémoire visuelle et sa
grande imagination qui lui ont permis de réaliser la plupart de ses toiles chez lui, en pleine
solitude, uniquement à partir d’études rapidement esquissées.
36
37
Henri Frantz, Gaston Latouche (1854-1913), Aux bureaux du studio, Paris et Londres, 1914, P.8.
Henri Frantz, Op.cit.
32
Edmond Rostand confie la décoration du studio des enfants à Georges Delaw, cet
artiste qui s’exprime principalement à travers des dessins publiés dans les journaux
humoristiques de Paris. Ses thèmes de prédilection sont les paysages, les villages, le monde
paysan et le monde bourgeois, parfois aussi la guerre. C’est cette connaissance des coutumes
populaires et du folklore que Georges Delaw exprime à Arnaga. C’est probablement le côté
« naïf » de Delaw qui a tant plus à Edmond Rostand. Le peintre semble particulièrement bien
choisi pour décorer une pièce d’enfants. Delaw expose aux salons dans la catégorie « arts
décoratifs » mais c’est plus sûrement son travail d’illustrateur dans des livres de chansons, de
jeux et de rondes enfantines qui séduit Rostand. D’autant plus que dès 1902 il illustre l’un des
nombreux livres pour enfants de Gabriel Pierné dont la préface a été rédigée par Rosemonde
Gérard !viii
C’est un article de Paul Yaki, ami de Georges Delaw, qui nous dévoile comment la
commande d’Edmond Rostand est parvenue au peintre.38 Delaw y partage ses souvenirs :
« " Le premier atelier de ma vie ! Les peintures que j’ai faites pour Arnagov (Arnaga), la
villa de Rostand, je les ai peintes avec amour… dans l’atelier de mon marchand de
couleurs, près d’ici, lequel me donna, en outre, les premières notions de la peinture à la
colle que je désirais employer… "
Mais oui, Delaw, qui ne connaissait pas Rostand, reçut un jour une lettre du poète de
Chantecler :
"Je vous vois à Merveille, exprimer en d’amusantes fresques, pour un petit salon, la
naïveté et la malice des personnages de nos vieilles chansons. Il faudrait que le paysage
jouât un grand rôle. J’adore vos paysages… "
Delaw dessina pour ce coin du rêve cinq panneaux, cinq grandes images – certaines avaient
cinq mètres de long – qu’admirèrent tous les familiers de Cambo. »
Edmond Rostand baptisera le peintre-dessinateur, « le plus charmant génie de la caricature ».
Quant à Jean Veber, une lettre d’Edmond Rostand à son architecte semble indiquer
que c’est ce dernier qui a proposé qu’une commande lui soit passée39.
« Je l’ai remercié de l’envoi d’une photographie de son panneau, qui m’a paru charmant.
Mais je vous prie encore de faire un prix avec lui, car je ne veux pas traiter cela moi-même et
38
39
Journal La Liberté, 21 juin 1929 : « Georges Delaw, Imagier de la Reine. » par Paul Yaki.
Lettre d’Edmond Rostand à Joseph Albert Tournaire. Cambo le jeudi 20 avril année 1905.
33
les protestations qu’il n’en veut pas faire une affaire d’argent me gênent beaucoup. Puisque
c’est vous qui avez eu l’idée de vous adresser à lui, qu’il est votre ami, que vous surveillez le
travail, c’est à vous de l’estimer. »
De tous les peintres d’Arnaga, Henri Martin est probablement celui dont la fortune
critique est la meilleure. Même s’il n’est pas aussi connu que Monet ou Puvis de Chavannes
pour lesquels Maurice Rostand aurait plus volontiers accordé une place à Arnaga, l’artiste est
très présent dans les collections françaises. Au temps des Salons surtout il exposait
régulièrement. On le trouve en particulier dans les catalogues du Salon des Artistes Français.
Il fait d’ailleurs régulièrement l’objet de critiques et plusieurs articles lui sont tout
particulièrement consacrés. Pour n’en donner qu’un seul exemple, nous citerons l’historien de
l’art Léonce Bénédite40 qui propose dans la revue Art et Décoration41 un premier article
élogieux sur la toile Sérénité qu’il expose au Salon de 1899 et un second sur les sujets de
prédilection du peintre.42 Aujourd’hui, si l’œuvre d’Henri Martin n’est que très peu étudiée
dans les universités d’histoire de l’art, il n’empêche qu’il est très présent dans les musées
français. En 2009, une exposition lui a été consacrée, pour laquelle une centaine de peintures
ont été réunies, empruntées dans quarante-neuf musées répartis dans quarante-deux villes de
France.43 Sa redécouverte en France a déjà été anticipée à l’étranger, spécialement au Japon
où il est très apprécié.
« Peintre-poète » et « peintre-décorateur », ses moyens d’expression sont divers. Il
s’attèle à la peinture monumentale, grandes commandes publiques ou privées, c’est aussi un
paysagiste subtil ou encore un portraitiste officiel. Il est attiré par le symbolisme tout en étant
sensible aux influences néo-impressionnistes et pointillistes qui le servent dans sa quête d’une
modernité classique. Comme Hélène Dufau, il est brièvement tenté par l’ésotérisme des RoseCroix et n’hésite pas à afficher un goût pour les avant-gardes. Son art, d’apparence spontanée,
est cependant le fruit de méditations sérieuses et longuement poursuivies. En résumé, Henri
Martin est emblématique des doutes et bouleversements du début du XXe siècle.
On peut bien sûr imaginer, comme nous l’avons observé précédemment, que Edmond
Rostand est tombé sous le charme des toiles d’Henri Martin aux Salons. Mais un autre
40
Léonce Bénédite (Nîmes 1856 - Paris 1925) est un historien d'art et conservateur français. Il dirigea le Musée
du Luxembourg à Paris, avant de devenir le premier conservateur du Musée Rodin.
41
Léonce Bénédite, « la peinture décorative au Salon de 1899 », Art et décoration, Juin 1899, p.p. 179-184.
42
Léonce Bénédite, « La lyre et les muses par Henri Martin », Art et Décoration, Janvier 1900, p.p.1-10.
43
Henri Martin (1860-1943, Du rêve au quotidien. L’exposition a été successivement présentée par les
musées de Cahors, Saint-Cirq-Lapopie du 7 juin 2008 au 6 octobre 2008, puis à Bordeaux du 23 octobre 2008 au
1er février 2009 et à Douai du 13 mars 2009 au 26 juin 2009.
34
élément peut aussi laisser penser que c’est Joseph Albert Tournaire qui a été l’intermédiaire
entre les deux hommes. En effet, le peintre et l’architecte ont tous les deux travaillé à la
Caisse d’Epargne de Marseille. Henri Martin y a réalisé un triple panneau décoratif installé en
1904.44
Enfin, on peut considérer que Henry Caro-Delvaille a été choisi pour représenter les
artistes locaux puisque le peintre est né à Bayonne et a été formé dans l’atelier de Léon
Bonnat, lui même bayonnais.
2. Les portraits peints de la famille Rostand.
a. Eugène Pascau
C’est Eugène Pascau (1875–1944) qui fut le principal portraitiste de la famille
Rostand. Né à Bayonne, il a été formé dans l’atelier de Léon Bonnat à Paris45. (Illustration
N°18 et N°19) Edmond Rostand le rencontre à Cambo.
A Arnaga on dénombre cinq tableaux du peintre. Le portrait d’Edmond Rostand, peint
en 1901, est composé d’une palette de couleurs assez sombre qui renforce le sentiment de
mélancolie du modèle, régulièrement atteint de cet état. (Illustration N°20) Il est
communément appelé Edmond Rostand au Mimosas au regard du petit bouquet qu’il porte à
la boutonnière. On aura remarqué la cigarette que le poète tient dans sa main. Il est à noter
qu’il ne s’agit pas de tabac – rappelons les problèmes de santé qui le conduisent à séjourner à
Cambo – mais d’eucalyptus pour dégager ses voies respiratoires.
Il existe un autre portrait d’Edmond Rostand par Eugène Pascau qui est conservé dans
les archives d’Arnaga. C’est un croquis au crayon présentant le poète, une jambe croisé, et
son chien près de lui. On peut penser que la reproduction photographique référencée
« illustration N°19 » (Cf. ci-dessus) est le souvenir du temps passé à la réalisation de ce
croquis.
44
L’Aube ou l’Enfance, Le Midi ou la Force de l’âge, Le Soir ou la Vieillesse, Marseille, hôtel central de la
Caisse d’épargne.
45
Léon Bonnat (1833-1922) est lui aussi né à Bayonne.
35
Des deux portraits de Rosemonde Gérard réalisés par Pascau, le plus récent a été
acheté par l’Etat en 1910. Intitulé La robe à ramages, il nous montre Madame Rostand assise
dans un canapé au tissu rouge. (Illustration N°21) Jean-Claude Lasserre46 suggère que cette
toile a probablement été réalisée à Arnaga. S’il a sans doute raison, la question se pose de
reconnaître la pièce et d’identifier la peinture représentée en arrière plan. Ce portrait est
d’abord exposé au Musée du Luxembourg, avant d’être transféré à l’Assemblée Nationale
entre 1926 et 1979. A cette date il devient la propriété du Musée du Louvre par décision de la
Réunion des Musées Nationaux. Le grand musée parisien l’affecte au Musée d’Orsay par
décret du F.N.A.C le 14 avril 1980. En 2002 il est déposé au Musée Edmond Rostand.
Le second portrait de la maitresse de maison propose un cadrage plus serré et un fond
neutre. Madame Rostand y est peinte assise de profil mais la tête tournée vers nous. Elle est
habillée d’une robe beaucoup plus sobre que la précédente ; celle-ci est noire, les manches
sont longues, serrées sur les poignets, « ballons » aux épaules et aux coudes, le col est droit,
peut-être rigidifié par des baleines comme le voulait la mode de l’époque et la seule fantaisie
est apportée par quelques plissés dans le tissu et un médaillon doré qu’elle porte en pendentif
sur la poitrine. Au contraire, la robe à ramages est une robe d’apparat, au tissu très riche tant
dans les coloris que dans les motifs, les fleurs s’y déploient en abondance et la jupe ellemême se déploie telle une corolle sur le sol. Les manches coupées aux trois-quarts nous
donnent à voir la peau claire des mains et des avant-bras et le cou est souligné par un col de
dentelle laissant deviner la naissance des épaules. (Illustration N°22)
Eugène Pascau a également peint Jean enfant à deux reprises. Sur le premier, le futur
biologiste pose un filet à papillons sous le bras et un spécimen dans la main gauche.
(Illustration N°23) On peut imaginer que c’est son enfance à Arnaga et l’immensité des
jardins qui ont développé son goût pour la nature, l’étude des batraciens et des insectes. On
avait d’ailleurs installé pour le fils cadet d’Edmond Rostand un laboratoire dans le moulin du
domaine initialement destiné à devenir un atelier d’écriture. On porte une attention
particulière à la tenue vestimentaire du jeune garçon. En effet, il porte des espadrilles
blanches lacées à la cheville, souliers accompagnants le costume traditionnel basque, ce qui
souligne l’attachement de la famille Rostand à la région et son intégration. Le second portrait
représente Jean en dandy. (Illustration N°24)
46
Cambo-les-Bains, Villa Arnaga, Musée Edmond Rostand, Guides de l’Aquitaine, Le Festin, 2006, p.28.
36
S’il fut le principal portraitiste de la famille, Pascau ne fut pour autant pas l’unique ;
Hélène Dufau, Pablo Tillac, Henri Caro-Delvaille et Paul-César Helleu ont également
contribué à pérenniser les visages des Rostand.
b. Hélène Dufau
Hélène Dufau a portraituré Edmond, Rosemonde et Maurice. Le séjour de l’artiste à
Arnaga s’est prolongé bien après qu’elle ait achevé sa première commande (les deux toiles
qui ornent les murs de la bibliothèque). Ces portraits de la famille Rostand sont signés de la
main de l’artiste et datés ultérieurement aux décors.
Du 1er au 15 décembre 1911, Hélène Dufau fait une importante « Exposition de
portraits et panneaux » à la Galerie Brunner.47 Une vingtaine d’hommes et de femmes y
voient leur effigie accrochée, parmi lesquelles Rosemonde Gérard et Maurice Rostand.
Mademoiselle Dufau a su développer une vraie relation amicale avec la famille
Rostand, particulièrement Maurice. Malgré leur différence d’âge, elle lui voue une passion
amoureuse à sens unique qui lui cause de grands tourments qui sont cependant bénéfiques au
saisissant portrait qu’elle nous en a offert. (Illustration N°25) On y découvre Maurice, très
élégant, vêtu d’un manteau au col relevé et coiffé d’un feutre. Les deux éléments encadrent
son visage et font ressortir sa carnation sur cet arrière plan composé de verts, bleus et jaunes.
Ce décor n’est autre que le jardin d’Arnaga et on y distingue sur la gauche un morceau de
l’orangerie tandis que les montagnes se mêlent à l’horizon avec les nuages blancs.
Quant à Rosemonde Gérard, elle a été peinte en intérieur, vraisemblablement dans la
bibliothèque comme semblent le confirmer les boiseries et quelques beaux livres qui servent
de fond au portrait. (Illustration N°26) Elle pose assise, accoudée contre le bras d’un
fauteuil, ce qui crée un léger déhanchement vers l’arrière. Sa robe est généreusement
décolletée sur le haut du buste, mettant en valeur la courbe des épaules et la carnation claire
sur laquelle se détachent les lèvres vermillons. Le contraste est d’autant plus accentué, que le
rouge de la bouche est opposé à sa couleur complémentaire, le vert, qui compose la robe et la
fleur piquée dans le chignon. L’épouse pose sur nous un regard doux mais franc auquel
répond le regard du chien qui est installé sur ses genoux et qu’elle retient d’une main
caressante. Doit-on voir dans la présence du chien un symbole ? Ces deux regards mis en
rapport ne sont effectivement pas sans évoquer le rôle que joua la poétesse auprès de son
47
11 rue Royale, Paris. La BNF en conserve le catalogue.
37
mari : Rosemonde l’accompagne fidèlement, veillant sur sa carrière et le soutenant dans les
moments de doutes. Enfin la composition est harmonisée par le motif redondant de la fleur
que l’on retrouve outre dans la chevelure, brodée sur la robe, imprimée dans la doublure du
châle et dans le bouquet de fleurs au rose tendre arrangées dans un vase antique.
c. Henry Caro-Delvaille
D’Henry Caro-Delvaille, le musée possède deux portraits en pied de Madame
Rostand. Si l’un est en extérieur et l’autre en intérieur, ils présentent une analogie dans la pose
générale et le port de tête qui peuvent faire penser que Rosemonde n’a posé qu’une seule
fois : elle se présente de trois-quarts, le menton légèrement relevé vers nous lui conférant un
air un peu hautain de bourgeoise. (Illustrations N° 27 et 28) Dans les jardins d’Arnaga, dont
on aperçoit encore une fois l’orangerie, elle est habillée d’une robe de dentelle couleur crème
dont la taille est marquée par un large ruban de soie. Elle est légèrement décolletée et les
manches en volants ne couvrent que le haut des bras ; les coudes, les avant-bras et les
poignets sont pudiquement couverts de mitaines en dentelle noire. Elle tient dans ses mains
une ombrelle et un large chapeau de paille aux feuilles d’automne, accessoires à la mode dans
les années 1900. Sur le second portrait, Madame Rostand porte une robe d’intérieur richement
brodée mais dont la coupe complètement droite spécifie l’usage. C’est une robe qui ne
l’entrave pas et il est probable qu’elle était libérée de son corset en dessous. Cette tenue est
réservée aux moments intimes de la journée, quand les invités de marque sont absents.
L’éventail vient compléter la composition et renforcer l’idée d’un après-midi de délassement.
A la fin de l’année 1905, Rosemonde est à Paris avec son fils ainé. Elle se rend au Salon de la
Société Nationale des Beaux Arts pour admirer son portrait réalisé par Caro-Delvaille.48
Enfin, Paul César Helleu (1859-1927) et Pablo Tillac (1880-1969) ont peint chacun un
portrait isolé. Helleu a su trouver en Maurice Rostand le modèle idéal pour représenter
l’élégance et le raffinement. Il étudiait très souvent ces qualités qui ont contribuées à définir
son style grâce auquel il remporte un immense succès. (Illustration N°29)
48
Michel Forrier, Op.cit. p.33
38
Pablo Tillac s’est installé au Pays Basque et nous a laissé un portrait très coloré
d’Edmond Rostand. (Illustration N°30)
39
CHAPITRE II : LES PEINTURES D’ARNAGA
A. Toiles en place :
1. Gaston Latouche.
Edmond Rostand commande à Gaston Latouche une grande frise et quatre panneaux
de dessus de portes pour décorer le Grand Hall et la salle à manger de sa villa Arnaga.
a. Grand Hall : la Fête chez Thérèse
Le grand hall est divisé en deux par deux grandes arcades soutenues par d’épaisses
colonnes, créant deux espaces, l’un côté jardin à la française et l’autre côté jardin à l’anglaise.
La fête chez Thérèseix est une toile marouflée en quatre éléments qui court le long des quatre
côtés de ce second espace. (Illustrations N°31, 32, 33)
Pour la réalisation de cette peinture, Gaston Latouche a réalisé deux essais décoratifs.
Tous deux sont exposés en 1908 par le peintre dans les galeries Georges Petit sous les
numéros 119 et 120. Leurs titres sont explicites quant à leur intention : La Fête chez Thérèse,
recherche fragmentaire pour la frise, exécutée à Arnaga, chez Monsieur Edmond Rostand et
La Fête chez Thérèse, nouvel essai. Il a également complété son étude par une gouache, Essai
pour la Fête chez Thérèse, exposée au même Salon sous le numéro 308.
Le poète reprend avec l’artiste le même rituel que celui engagé avec Joseph Albert
Tournaire et les lettres se succèdent pour parvenir, subtilement, au résultat attendu.
Rosemonde répond à une lettre qui expose le projet : « Mon mari vient de recevoir votre
lettre. Votre combinaison de couleurs lui paraît excellente et il pense que vous avez bien
raison de penser d’abord en couleur, sans vous occuper du sujet ».
Quelques lignes plus tard, il fait cependant quelques suggestions : « ne pourriez-vous pas
faire que la salle, au lieu d’être de théâtre, fut de quelques Palazzo de rêve où il pourrait y
avoir des escaliers, des loggias, et autant de couleurs orangée et de lustres que dans un
40
théâtre. Ne pourriez vous pas transporter votre vision dans un intérieur plus indécis et plus
Verlainien ? (…) Tout en restant aussi somptueux ? (…) Tout cela dit, faites absolument à
votre inspiration. C’est vous qui avez raison puisque vous pensez en couleurs ! »
La décoration est mise en place en 1908. Rostand adresse une lettre pleine
d’enthousiasme à son ami, s’attardant un instant sur le Pierrot : « Le Pierrot est le plus vrai
Pierrot que je sache, le plus mélancolique, le plus naïvement oublieux de la chair qui est si
blonde à deux pas de lui (oh, cette colombine danseuse), oui le Pierrot est touchant… d’un
blanc si rêveur dans le bleu de la nuit qui vient. »49
Trois portes doubles en vieille laque de Coromandel encadrées de bronze doré finissent
d’éveiller le plaisir des invités (aujourd’hui remplacées par des miroirs).
L’étude de la Fête chez Thérèse, inspirée par les célèbres vers de Victor Hugo in « Les
Contemplations », révèle que Gaston Latouche n’innove pas réellement dans les sujets mais
trouve ses références iconographiques parmi son propre corpus d’œuvres.
Pour réaliser cette analyse comparative, nous nous sommes appuyés sur le catalogue
de l’exposition qui a eut lieu aux galeries Georges Petits en 1908. Parmi la liste des œuvres
présentées par le peintre, nous avons attaché un intérêt particulier aux catégories « Les
intimités, La Vie Mondaine, Le Théâtre et Portraits », « Les Singeries » et « Les fantaisies »
qui répertorie les modèles auxquels Gaston Latouche a pu faire référence pour le Grand Hall
d’Edmond Rostand. Nous avons également utilisé les planches en couleurs et gravures
monochromes de l’ouvrage d’Henri Frantz et du numéro de la collection « Peintres
d’aujourd’hui » de 1910 consacré à la vie et l’œuvre de Gaston La Touche.
Le premier modèle qu’il copie est celui de la Colombine. (Illustrations N°34 et 35)
Elle est l’exact reflet de la danseuse qui se tient appuyée contre une commode dans le
panneau, La Comédie Italienne (N°211) appartenant à la collection Chouanard. La seule
différence tient dans le fait que l’une est penchée vers la gauche, tandis que la seconde est
penchée vers la droite.
On ne peut malheureusement pas développer la question du coloris étant donné que les
reproductions sur lesquelles ce travail s’appuie sont en noir et blanc, mais pour le reste la
jeune femme est vêtue du même tutu de ballerine, à l’envergure très large et au tissu bouffant,
résultat de la multiplication des jupons de tulle. On peut peut-être noter que le rendu du tissu
est plus élaboré dans La Comédie italienne et plus vaporeux pour le panneau de la Villa d’E.
49
Jean-Claude Lasserre, Cambo-les-Bains, Villa Arnaga, Musée Edmond Rostand, Le Festin, 2006, p.18
41
Rostand. Quoiqu’il en soit, on retrouve le bustier qui laisse voir le dos nu, et la jupe qui
découvre les jambes croisées. La jeune femme nous tourne le dos et présente son visage de
profil. Ses cheveux sont relevés en chignon, coiffure caractéristique de la danseuse classique,
et piquée de fleurs. Sa silhouette dessine un arc gracieux partant de ses demi-pointes jusqu’au
sommet de son crâne. Cette courbe parfaite dans la Comédie italienne est légèrement brisée
dans la Fête chez Thérèse par son bras droit qu’elle tient relevé en arrière et accroché au
treillis du jardin pour lui permettre de maintenir cette position basculée, un peu en équilibre.
De manière générale, on aura remarqué que le traitement de la danseuse ne se fait pas par le
dessin mais par la couleur. Cette touche vaporeuse rend la colombine de Rostand moins
détaillée, moins « fine » dans ses traits, que la danseuse de La Comédie Italienne.
La seconde référence que Gaston La Touche fait à ses œuvres concerne le carrosse de
Thérèse. (Illustrations N°36, 37, 38) Il s’agit d’un renvoi évident au carrosse de Cendrillon
par ses formes ondulées, ses très larges roues de bois, son caractère féérique. L’attitude des
deux jeunes femmes qui se tiennent à la fenêtre, soit pour saluer, soit pour admirer le paysage
est également similaire. De même, les cochers revêtent les mêmes costumes.
Seconde référence évidente : le carrosse engagé dans l’eau dans Le Gué. On peut une
nouvelle fois comparer sans doute possible ce carrosse très « XVIIIème », aux roues
surdimensionnées et qui présente trois ouvertures laissant apercevoir deux jeunes femmes
souriantes observant la scène, à celui d’Arnaga. La scène en revanche est plus bucolique, ou
doit on dire cocasse, le carrosse tentant d’achever la traversée d’un plan d’eau et les chevaux
et cochers aidés dans leurs efforts par des jeunes femmes nues, des nymphes ?
On peut éventuellement faire un troisième parallèle avec la chaise à porteur peinte
dans La Jeunesse : la forme générale du meuble rappelle la structure du carrosse.
La Touche utilise également ses modèles antérieurs pour le Pierrot. (Illustration N°39
et 40) Ce Pierrot, bien que dans une position tout à fait différente se rapproche par son allure
générale, son bonnet et son vêtement fluide de celui attablé dans le Carnaval. Une référence
est aussi faite entre les singes peints chez Rostand et celui représenté notamment dans Air
Ancien. (Illustration N°41)
La dernière référence concerne les musiciens. Il n’y a malheureusement aucune
reproduction disponible, mais on peut imaginer que des points communs existent entre les
musiciens de l’orchestre et Le Violoniste ou encore La Musique, exposés sous les numéros
162 et 170.
42
Le catalogue de l’exposition des galeries Georges Petit nous donne à voir une
reproduction de La Fête chez Thérèse, peinture appartenant à M. Legrand.
La question se pose de savoir s’il s’agit d’une copie des toiles d’Arnaga ou de l’un des essais
préparatoires dont M. Legrand aurait fait l’acquisition. (Illustrations N°’42 et 43)
Nous ne pouvons qu’observer les similitudes et les différences pour peut-être tenter
d’étayer cette hypothèse. La partie qui nous est donnée à voir dans l’ouvrage « Peintres
d’Aujourd’hui » ne permet pas de savoir si cette version est présentée dans sa globalité ou s’il
ne s’agit là que d’un morceau. La scène visible correspond à celle placée au dessus de la porte
de la salle à manger chez Rostand et s’étend du groupe de jeunes gens à gauche à la moitié de
l’arc formé par les treillis du jardin. De la version d’Edmond Rostand ne sont conservés que
les jeunes personnes assises dans l’herbe et auxquels un serveur propose un plateau de fruits.
Le Pierrot est aussi présent mais il a changé sa posture ; assis dans une attitude nonchalante,
un genou replié, le bras posé dessus, et le second bras appuyé sur la marche pour lui servir de
soutien. Sous le treillis, aucun autre personnage n’est visible. La reproduction en noir et blanc
ne permet pas de deviner les détails, mais il semblerait que la perspective soit davantage
bouchée qu’elle ne l’est à Arnaga, n’offrant pas de vu en arrière plan sur le ciel.
Enfin, il faut bien sûr remarquer que Gaston Latouche et Edmond Rostand se sont
permis une petite fantaisie en illustrant le poème de Victor Hugo. Ils ont inséré sous l’arcade
végétale le chiffre de Rostand « R », ainsi que Cyrano de Bergerac, au nez si caractéristique,
défiant du bout de son épée le personnage qui lui fait face et qui se moque tandis que entre les
deux, Roxane et Christian se tiennent enlacés. (Cf. Illustration N°39)
b. Cartouches de la salle à manger : Les quatre éléments
Le dessus des quatre portes simples de la salle à manger est orné de quatre cartouches
peints. Ils ont été commandés à Gaston Latouche pour remplacer ceux précédemment réalisés
par Henry Caro-Delvaille.50 (Illustrations N°44, 45, 46 et 47)
Leur iconographie est celle des quatre éléments : l’eau, le feu, la terre et l’air. Ce
thème est bien entendu à mettre en rapport avec le goût prononcé d’Edmond Rostand pour la
nature. Mais on peut probablement pousser l’analyse, en partant du fait que la théorie des
quatre éléments est une façon traditionnelle de décrire et de comprendre le monde. Sans aller
50
Cf. Introduction p.17
43
jusqu’à penser que Gaston Latouche et Edmond Rostand voulaient faire ici une démonstration
du système d’Aristote, on peut toutefois développer l’idée que à Arnaga les quatre éléments
renvoient à la structuration du temps dans la mesure où chacune des quatre saisons correspond
à l’un des éléments. Le printemps est chaud et humide comme l’air, l’été chaud et sec comme
le feu, l’automne froid et sec comme la terre, l’hiver froid et humide comme l’eau.
Nous pouvons à présent proposer une hypothèse : les quatre éléments d’Arnaga
seraient une nouvelle fois l’occasion pour Edmond Rostand de montrer son attachement et
son intégration à la région et à sa culture si on considère qu’ils proposent une lecture de la
croix basque dont elle est le symbole. Il faut être prudent à cet égard car justement
l’interprétation de cette « svastika à virgules », comme elle est communément désignée dans
les Arts et Traditions Populaires, reste difficile. Toutefois, on l’associe à la notion de cycle et
de régénération perpétuelle et par prolongement à l’expression des quatre saisons et donc des
quatre éléments.
De cette hypothèse en découle une seconde qui a peut-être le mérite de nous éclairer
sur un autre élément de décor d’Arnaga, à savoir le vitrail du zodiaque du grand hall comme
nous le verrons dans la troisième partie.
Ces quatre tableaux sont de véritables trompe-l’œil comme l’ensemble de la pièce
d’inspiration néo-XVIIIème siècle avec ses lambris peints pour imiter le marbre, ses dorures
et son sol de marbre. Chacune des peintures donne l’illusion d’un putto sculpté dans cette
même roche calcaire. Le travail est minutieux et l’artiste maitrise parfaitement les effets
d’ombres et de lumière pour donner du modelé à ses compositions. La gamme chromatique
est restreinte pour être au plus près de la réalité du matériau, allant du blanc au marron clair
en passant par plusieurs nuances de beiges et jaunes. Malgré tout, un morceau de la
composition est coloré et se détache visuellement pour mettre en valeur l’élément qui y est
représenté. Ainsi pour l’eau c’est un poisson évidé et un canard, dont Gaston Latouche a
rendu les nuances de la chair à vif et du plumage, qui reposent sur la fausse bordure en
marbre, tandis que le putti à l’arrière remplit ses cruches au bord d’une source. Dans le
cartouche du feu, d’une marmite bouillonnante s’échappent les vapeurs d’une soupe qu’un
morceau de lard va accompagner pendant que le putto de l’arrière plan attise le feu sous une
« soupière ». On remarquera à cette occasion que le putti est une petite fille ce qui n’est pas
une représentation classique. La terre est évoquée par une nature morte composée d’un
assortiment de fruits (pastèque, raisin et figue) et d’un lièvre. Le putti est affairé au travail des
champs et coupe les blés avec sa faucille. Enfin, l’air est symbolisé par un mâle faisan au
44
magnifique plumage multicolore et sa poule faisane veillant sur leur nid. Entre eux se trouve
une perdrix. Ces gibiers font écho au putti qui tire à l’arc sur deux oiseaux en vol.
2. Hélène Dufau.
La Villa Arnaga possède sept œuvres de l’artiste Hélène Dufau. Cinq vont être traitées
ici puisqu’elles concernent le décor de la villa : il s’agit de deux grands panneaux destinés à
être insérés dans la bibliothèque et trois médaillons ovales ornant la cage d’escalier. Les
sixième et septième toiles ont été présentées précédemment.51
a. Bibliothèque : Les Cygnes Noirs et l’Automne.
Lorsqu’Edmond Rostand découvre l’Automne au Salon des Artistes Français de 1902,
il est aussitôt séduit par le style d’Hélène Dufau et souhaite acquérir une copie pour Arnaga.52
Malheureusement pour lui, les règlements concernant les commandes et achats de l’Etat sont
très stricts. Il obtient le droit de faire reproduire le motif. En revanche, l’Administration, en
charge de délivrer cette autorisation, impose qu’il y ait des modifications notoires afin que
l’œuvre ne puisse pas être confondue avec l’originale.53 (Illustrations n°48 et 49)
Pour faire face à cet Automne modifié, Edmond Rostand commande également à
l’artiste un pendant qui célèbre une nouvelle fois la beauté de la nature pendant la saison
automnale et celle du corps humain dans sa plus parfaite nudité. En 1906, Mlle Dufau
présente au Salon, un Fragment de la décoration pour la maison du poète Ed. Rostand dont le
titre définitif sera Les Cygnes noirs.
Hélène Dufau travaille à Arnaga pendant 6 ans, de 1906 à 1912. Elle est la seule artiste
à s’être plusieurs fois déplacée jusqu’à la villa, ceci étant facilité par le fait qu’elle a acheté
une villa à Guéthary dans laquelle elle réside plusieurs mois dans l’année.
Dans la Gazette des Beaux-Arts » de janvier 190654, Paul Jamot donne une description
juste du Fragment de la décoration pour la maison du poète Rostand.
51
Cf. Chapitre I, B, 3, p.
Cf. Chapitre I, B, 3 p.31
53
Règlement du 3 novembre 1878 sur les commandes et acquisitions d’œuvres d’art.
54
Paul Jamot, « Les Salons de 1906 » in La Gazette des Beaux-Arts, 1er janvier 1906, p.482.
52
45
« Je ne vois au Salon cette année que les nus de Melle Dufau qui insinuent en nous, une
suggestion de saveur de fruit mûr, ferme et rond, comme d’une fleur qui serait déjà presqu’un
fruit.
La grande toile qu’elle expose, comme la plupart de celles qui lui ont acquis, en peu
d’années, une légitime réputation, est destinée à embellir une muraille et est conçue dans un
esprit résolument décoratif. Le paysage et les figures y jouent un rôle égal. Dans un bassin
qu’entourent et sèment de feuilles jaunies les frondaisons d’un parc automnal, non loin d’un
Trianon chimérique dominé par un horizon de montagnes bleuâtres, des naïades nues se
baignent et leurs jeux nonchalants rident à peine l’eau qui porte deux cygnes noirs. L’une des
baigneuses, à demi couchée dans une pose de mollesse qui découvre jusqu’à mi-jambes son
beau corps fait pour l’amour, écoute à peine, en souriant à sa propre pensée, ce que dit un
faune assis sur la rive. Deux autres, debout, dans des attitudes qui tendent le double
gonflement de leurs seins, étirent la courbe lisse du ventre et arrondissent en anse de
corbeille la grâce de leurs bras levés, sont trop loi pour entendre la chanson masculine. »55
L’œuvre d’Hélène Dufau n’a pas cessé d’évoluer. Alors que ses débuts se placent sous
le signe du réalisme (1895-1897), rapidement ses peintures s’éloignent de l’académisme. Et
alors qu’elle s’affirme, elle commence à se tourner une œuvre symboliste. Les sujets traités y
sont toujours, en apparence, mythologiques ou hellénisants, mais ce ne sont plus que des
images qui enferment un autre sens, ce qui a souvent dérouté la critique.
Mayi Milhou a consacré un ouvrage entier à l’artiste56, une biographie dans laquelle
elle propose une analyse stylistique de son travail. Ainsi elle nous permet de mieux
comprendre les toiles à caractère symboliste d’Hélène Dufau et surtout les éléments de sa vie
qui ont influés sur ce choix : lectures et rencontres.
La personnalité d’Hélène Dufau mêle un désir de savoir qui la contamine très tôt -et
qui ne se limite pas uniquement aux connaissances encyclopédiques mais aussi et surtout aux
questions existentielles : le sens de la vie, l’origine des êtres et des choses, leur avenir, etc. - et
une violente sensualité refoulée. Pour répondre à ces questions la jeune artiste s’est
notamment tournée vers des lectures spécialisées telles Les Grands initiés d’Edouard
Schuré57, ou la Doctrine secrète d’Helena Petrovna Blavatsky. Cette dernière, fondatrice de la
55
In Hélène Dufau, Peintre au temps du symbolisme, Henri Jeanpierre, 1977. Extrait du Bulletin de la
Société des Sciences et Arts de Bayonne, N°133.
56
De Lumière et d’ombre, Clémentine Hélène Dufau, Editions Art et Arts, 1997.
57
Le plus grand succès littéraire de cet auteur philosophe (1841-1929). Il se propose de dévoiler
l’histoire secrète des religions par le biais de l’initiation des plus grands mythes : Rama ; Krishna ;
46
Société Théosophique, s’est elle même profondément nourrie de l’œuvre littéraire de Joséphin
Péladan, fondateur en 1888 de L’ordre kabbalistique de la Rose-Croix, puis de la Rose-Croix
ésotérique en 1890. Or, il faut souligner que Péladan liait sa philosophie à l’art en demandant
à ses adhérents de « concentrer leur effort sur le plan artistique » et surtout en créant le salon
de la Rose-Croix (1892-1897).
Ainsi, par l’intermédiaire de Péladan on peut relier les pensées de la Rose-Croix et le
symbolisme. Il est nécessaire de définir les idées de la Rose-Croix : le rosicrucianisme
implique toute une série d'initiations ; selon ses propres termes, il propose "un art de vivre
pour le cœur et l'esprit", et promet à ses adeptes la connaissance des lois de l'univers et de la
nature. Il leur promet aussi la pleine compréhension du sens de l'existence, l'éveil de leur
créativité et de tout leur potentiel humain. On peut alors facilement comprendre pourquoi
Hélène Dufau pouvait apprécier ce mode de pensée.
Revenons maintenant au symbolisme. George-Albert Aurier en donne une définition
dans le Mercure de France de 1891 : « L’œuvre d’art devra être premièrement idéiste, puisque
son idéal unique sera l’expression de l’idée, deuxièmement symboliste puisqu’elle exprimera
cette idée en forme, troisièmement synthétique puisqu’elle écrira ses formes, ses signes selon
un mode de compréhension général, quatrièmement subjective puisque l’objet n’y sera jamais
considéré en tant qu’objet mais en tant que signe perçu par le sujet, cinquièmement l’œuvre
d’art devra être décorative. » En résumé, le symbolisme est une réaction au naturalisme. Les
symbolistes ne peignent pas fidèlement l'objet, contrairement aux naturalistes, mais
recherchent une impression, une sensation, qui évoque un monde idéal et ils privilégient
l'expression des états d'âmes. Les symboles permettent d'atteindre la réalité supérieure de la
sensibilité.
On peut parler de deux écoles du symbolisme : les avant-gardes d’un côté dont font
parti Gauguin, Van Gogh et les nabis et les traditionnels de l’autre. Les peintres de cette
seconde mouvance veulent devenir les mystiques de l'art. Péladan, à l'image de John Ruskin
pour les Préraphaélites anglais, se donne le rôle de mentor de ses peintres. Pour lui, « il n'y a
pas d'autre vérité que Dieu, il n'y a pas d'autre beauté que Dieu ».58 L'art est la recherche de
Hermès ; Moïse ; Orphée ; Pythagore ; Platon ; Jésus. Malgré le succès incontestable de l’ouvrage, Les
Grands Initiés souffre parfois d'un style lyrique et sentencieux où des affirmations audacieuses sont
parfois lancées sans un réel soutien historique.
58
L'art idéaliste et mystique, doctrine de l'Ordre et du salon annuel des Rose+Croix, Paris 1894,
Chamuel, p. 33.
47
Dieu par la beauté. Le symbolisme se définit par opposition au formalisme : il renoue avec le
sujet et marque un retour à l’introspection, à la religion outrée. C’est une peinture spirituelle.
Pour illustrer ces propos et les rattacher à l’œuvre d’Hélène Dufau, revenons à
Automne, version originale59 de celle commandée par Edmond Rostand pour Arnaga.
L’analyse iconographique spontanée qui en est faite est celle d’une allégorie de la saison de
l’automne. Mais une seconde lecture nous révèle davantage. Reprenons une nouvelle fois le
travail de Mayi Milhou60 qui perçoit dans ce tableau « les premières étapes de l’initiation
Rose-Croix » de la peintre et sa « psychanalyse de la personnalité de la Femme ».
« Près de l’eau, source de vie et de régénération, la belle, dans sa nudité première, les
cheveux sans apprêts, naturellement épars, s’est endormie. Ce sommeil n’est le résultat, ni de
la chaleur, ni des libations. Aucune coupe, aucun breuvage près d’elle. Uniquement des fleurs
–des roses- encore symbole de renaissance, et des fruits. Ce sommeil est comme une mort
volontaire aux bruits et à l’agitation du monde. « Le sommeil, le rêve et l’extase sont les trois
portes ouvertes sur l’au delà, d’où nous viennent la science de l’âme et l’art de la divination »,
disait Pythagore. »
Rappelons que la pensée rosicrucienne du XIXème siècle mêle l’enseignement de
Pythagore à la sagesse et la science brahmanique, aux influences de la Kabbale et de la
Gnose, ajoutés à quelques notions d’alchimie. Ainsi il n’est pas étonnant que Mayi Milhou
nous propose Pythagore comme clef de déchiffrement de cette toile qu’elle complète d’une
explication par les textes religieux hindous, les Vedanta61 dans lesquels il est dit que l’homme
peut atteindre la « connaissance de soi » lorsqu’il parvient à un sommeil sans rêve, lorsqu’il
parvient à un état de Béatitude.
« Dans cette descente au fond de soi favorisée par le sommeil, la belle découvre qu’elle est
« l’ombre », c’est à dire la partie obscure de son être. Elle y perçoit sa dualité. Sensuelle
comme la bacchante, habitée par toutes les luxures, elle aspire cependant à dépasser les
satisfactions matérielles et à vivre par l’esprit. Tout là haut, la tête dans les nuages, il y a une
tour. » Plus exactement elle s’élève dans la partie gauche de la toile, au milieu des collines.
« C’est l’image de la construction de soi. Elle devra s’y enfermer. »
59
60
Propriété du Musée d’Orsay mais à l’ambassade de France à Vienne en Autriche depuis 1961.
Mayi Milhou, Op.cit.
61
Textes religieux hindous. Ce sont les plus anciens connus fondés sur les mots Veda, connaissance, et
Anta, point ultime du savoir.
48
« De blanc vêtue, fine comme une Tanagra, une silhouette féminine, symbole de sa psychè
régénérée, passe, tournant le dos au centaure qui pourtant la convoite. L’eau du bassin
reflète son double qui tremble à son passage, car l’humaine Psyché ne cesse de lutter entre
l’esprit qui l’attire et le corps qui la retient. Vers quoi, vers qui dirige-t-elle ses pas ? elle
aurait tort d’aborder l’éphèbe à califourchon sur la balustrade du bassin. Si près de la jeune
femme endormie, une jambe frôlant le corps de la belle, il ne montre aucun émoi. Seule la
grappe mûre, que déjà ses yeux dévorent, est l’objet de son désir. »
Cette analyse n’entre dans notre propos sur les décors de la Villa Arnaga que parce
qu’elle est révélatrice de ce qui animait l’artiste au moment où elle produit la seconde version
de son Automne, puis Les cygnes noirs. Elle dira un jour avoir aimé deux hommes,
physiquement incapables de répondre à son amour. Le deuxième n’est-il pas Maurice Rostand
dont elle tombe éperdument amoureuse et qui, malheureusement pour elle, lui voue toute son
amitié la plus sincère mais lui préfère les hommes. ? Alors, même si Automne a été peint en
1902, avant qu’elle ne soit en contact avec la famille Rostand, on peut y ressentir cet amour
insatisfait et ce déchirement entre corps et intellect.
De plus, cette dualité se retrouve dans Les Cygnes Noirs. Dualité et une nouvelle fois,
double lecture. A première vue, nous sommes face à une toile qui présente de beaux corps nus
dans un paysage équilibré entre le ciel, la terre et l’eau. Mais si nous regardons de plus près,
alors on comprend l’éphèbe comme le symbole du désir de l’amour –il est à porté de main - et
du leurre qu’il représente – il n’est attentif qu’à lui-même et au son de sa flûte. (Illustration
N°50)
A peine la famille Rostand installée, le curé de Cambo vient visiter Arnaga et
contemple avec un certain attendrissement les portraits des Nymphes du printemps et de
l’Automne plutôt dévêtues par Hélène Dufau.
Edmond Rostand fait son entrée :
« - Excusez un poète fantaisiste, monsieur le curé, ces tableaux sont un peu
trop…mythologiques !
- Mais pas du tout ! Je savais combien Dieu avait fait belles nos saisons. Mais ces
tableaux me montrent à quel point elles sont jolies… D’ailleurs le ciel entre dans cette
demeure par les fenêtres – et tout est pur sous le regard de Dieu. »
Cette anecdote vient renforcer les propos tenus à l’égard de la réception positive des
œuvres de Mademoiselle Dufau dans le chapitre premier.
49
b. Médaillons escalier.
« L’escalier de pierre blanche qui tournait aussi nacré qu’un immense coquillage »,
selon l’expression de Rosemonde Gérard, est orné de trois médaillons ovales rendant
hommage à la beauté féminine, incarnée dans le corps de trois femmes nues qui rappellent les
déesses. Plaçons-nous sur le palier.
Le premier médaillon de gauche nous offre la vision d’une belle femme aux cheveux
bruns, relevés en chignon. (Illustration N°51) Elle est nue, le genou droit posé à terre, sur un
drap blanc, et la tête penchée également vers la droite suivant son bras qui s’apprête à
accueillir un perroquet aux multiples couleurs. Cet ara chamarré est à mettre en parallèle avec
celui qu’Hélène Dufau a peint pour sa composition Zoologie en 1910, destiné à la Salle des
Autorités de la Nouvelle Sorbonne. (Illustration N°52) Sur sa main gauche est déjà posé un
cacatoès blanc. Son teint est doré, le reste de sa peau est en revanche très clair, des reflets
nacrés s’en détachent. Ses formes sont plutôt voluptueuses, sa poitrine petite, son ventre rond,
ses bras et ses jambes potelés. On remarquera qu’on ne voit ni ses mains, ni ses pieds. Elle
nous présente son visage de profil ce qui met en valeur son nez droit.
Revenons aux perroquets, la symbolique de ce volatile est assez confuse dans la
mesure où ce n’est pas l’animal le plus représenté. Il est avant tout le symbole de l’éloquence,
mais il est peu probable que ce soit ici son propos. Dans la tradition d’Amérique du sud, les
couleurs de son plumage représentent le feu (rouge), la terre (vert), l’eau (bleu) et le soleil
(or) ; il symbolise la beauté de la vie. En Inde, il symbolise Kamadev, le Dieu de l’Amour. On
peut alors penser qu’Hélène Dufau donne à cet oiseau une lointaine connotation mythologique
d’aigle jupitérien62. Le perroquet au plumage chatoyant devient le signe de l’érotique et de
l’exotique mêlés, comme nous l’a présenté Gustave Courbet dans La Femme au perroquet de
1866, conservé au Metropolitan Museum of Art, New York. (Illustration N°53)
Cette petite scène se déroule dans un cadre très resserré. Aux pieds de la jeune femme
sont posés des grenades, symboles d’amour, de fertilité et de prospérité ; certaines sont
ouvertes et présentent leurs chairs rouges. Derrière elle, des plantes, qui pourraient bien être
62
L'amour entre le jeune berger Ganymède et Jupiter constitue le seul amour purement homosexuel du
dieu. Il le consomme métamorphosé en aigle, avant d'emmener le jeune homme dans les airs pour en
faire son échanson et remplacer à ce poste Hébé.
50
des cactus avec leurs petites fleurs rouges. On distingue encore un arbre sur la droite et en
arrière plan, c’est une corniche à la falaise abrupte et la mer qui se perd dans l’horizon. Le ciel
est bleu mais habité par un gros nuage blanc.
Le second médaillon nous donne à voir une seconde jeune femme agenouillée sur un
drap blanc et accoudé sur ce même drap qui forme donc un angle droit. Sa position est assez
alanguie, elle a posé sa tête dans sa main gauche et son regard semble un peu perdu. Comme
pour la première image, ses cheveux bruns sont également relevés, sa peau diaphane, ses
formes généreuses. Les traits de son visage sont fins, les sourcils arqués, le nez droit, la
bouche formant un trait menu. (Illustration N°54)
Le drapé est déployé dans une vigne qui offre des nuances de vert, de jaune et de
rouge et qui ferme presque entièrement l’horizon. Seul le coin supérieur droit laisse entrevoir
ce qui pourrait être de l’eau et un ciel de crépuscule. Deux magnifiques paons
l’accompagnent. Le premier placé derrière elle nous laisse admirer son col au bleu profond
rehaussé de reflets violets et sa longue queue dont Hélène Dufau a rendu toutes les nuances.
Le second, devant elle, picore les grains de raisin blond posés sur le sol.
Pourquoi le choix du paon ? Est-il possible de faire un parallèle avec ceux qui se
trouvaient dans les jardins d’Arnaga. Le paon est présent dans la pièce Chantecler. Si en
Europe le paon est généralement un symbole de la vanité, aspect que lui a donné Edmond
Rostand dans sa pièce, cet oiseau est consacré dans la mythologie classique à la déesse Junon
(femme de Jupiter et déesse du mariage et de la fécondité, symbole de beauté immortelle). Ici
n’est-il pas placé près d’une femme dont la beauté est exaltée ? Par ailleurs, il est aussi un
symbole solaire par sa queue qui se déploie en forme de roue. Tel est le cas dans la tradition
chrétienne, où il est un signe d’immortalité. Peut-on alors y voir un hommage d’Hélène Dufau
aux Rostand, et plus particulièrement à Rosemonde Gérard ?
Dans le médaillon de droite est agenouillée une jeune femme blonde qui tient dans un
geste d’offrande une corbeille de fruits (citrons, oranges, pêches, figues). Ses caractéristiques
stylistiques sont les mêmes que les deux femmes précédentes. A ses pieds, des figues ouvertes
symbolisent le plaisir. (Illustration N°55)
Dans ce dernier médaillon, le paysage est de nouveau ouvert, sur un lac ou une rivière
et en arrière plan on peut voir une chaine de montagne ou des falaises. Le ciel prend cette
teinte jaune que nous avons déjà observée dans le second médaillon, et un nuage vient
l’habiter.
51
Les deux oiseaux qui tiennent compagnie à la jeune femme sont des flamands roses.
La symbolique du flamand rose n’est que très peu étudiée. Mais parce qu’il vit en groupe on
peut déjà lui attribuer un caractère protecteur. De plus, son alimentation à base de carotène en
quantité plus ou moins abondante, lui donne la capacité de changer de couleur, de se
« déguiser » et se sortir de situations délicates. Cette illusion le rapproche des artistes et des
acteurs. C’est cette même couleur rose qui fait que dans la mythologie égyptienne le flamand
rose, était le symbole vivant du dieu du soleil « Ra ». Il est également le symbole de la
loyauté, de l’assurance, de la richesse, de la grâce et de l’élégance et ceux qui le choisissent
comme emblème sont portés par la volonté d’aller toujours plus loin que leurs objectifs. Ainsi
donc, pourrait-on penser que ce troisième médaillon reflète expressément les qualités
d’Hélène Dufau : sa devise n’est-elle pas d’aller toujours « plus loin »63 ? Sans oublier que
cette « artiste » a voué à la famille Rostand et à Maurice en particulier une amitié plus que
« fidèle ». En revanche, Hélène Dufau avait des difficultés à s’affirmer et « manquait de
confiance en elle » ; un trait de caractère qu’elle partage avec Edmond Rostand qui doit son
Œuvre au soutien incontesté de son épouse.
L’observation simultanée des trois médaillons nous offre donc une exaltation de la
beauté à travers le nu féminin et le dessin de ses courbes. Il s’agit également d’une célébration
de l’amour et de la nature. Il est enfin possible d’avancer quelques suggestions quant à
l’hommage qui est fait par la jeune artiste aux membres de la famille Rostand, artistes et amis.
Par ailleurs, il nous faut évoquer un document photographique récemment entré au
musée. Il s’agit d’une photographie de Rosemonde Gérard prise dans le boudoir. (Illustration
N°56) Elle pose assise dans un grand fauteuil, dans une attitude maniérée, et seul un pan de
tissu drapé sur le haut de ses cuisses vient cacher sa nudité. Ce cliché était accompagné de
plusieurs autres sur lesquels était présente Hélène Dufau ce qui a permis de conclure qu’il
s’agissait probablement d’une séance de pose destinée à servir de modèle au peintre en vue
des médaillons. En effet, on peut rapprocher la pose de la poétesse de celles des trois
nymphes. Et lorsque l’on regarde le cliché en détails, on retrouve les plis de la chair, le galbe
de la jambe, la rondeur du genou.
Comment savoir, alors, dans laquelle des trois jeunes femmes Hélène Dufau a-t-elle
réellement incarnée Rosemonde Gérard ? La première hypothèse, établie bien avant que la
photographie ne soit retrouvée, voyait Rosemonde dans le médaillon aux flamands roses. La
63
Mayi Milhou, Op.cit.
52
coutume voulait qu’Hélène Dufau se soit pour cela inspirée du portrait de la maitresse de
maison peint par Caro-Delvaille qui se trouve aujourd’hui encore dans la salle à manger.
Cette hypothèse est soutenue par Mayi Milhou : elle qualifie cette nymphe de « la plus belle
et la plus gracieuse », donc nécessairement celle qui rend hommage à Madame Rostand. Mais
la seconde hypothèse, argumentée grâce à la découverte du document photographique, penche
davantage pour la nymphe aux perroquets, à la chaire nettement épanouie. D’ailleurs, sur la
photographie, Rosemonde Gérard est brune et non blonde. A cela s’ajoute le fait qu’il existe
un deuxième tirage de ce cliché. Or sur le plus ancien, probablement l’original, le modèle est
tourné vers la droite, ce qui le rapproche d’autant plus de la position prise par la nymphe.
Quoiqu’il en soit, les trois déesses sont relativement semblables ce qui peut laisser penser
qu’Hélène Dufau s’est de toute façon inspirée de Rosemonde Gérard pour les trois
médaillons.
3. Georges Delaw
a. Studio des enfants : Chansons populaires.
Les quatre murs du studio sont décorés de quatre panneaux illustrant de vieilles
chansons françaises. Les villageois dansent Sur le Pont d’Avignon qui enjambe la cheminée
sur le panneau de l’entrée (Illustrations 58 et 58 bis); au-dessus de la porte-fenêtre qui donne
accès à la terrasse, la jeune bergère rentre ses moutons, surprise par la pluie et encouragée par
la chanson Il pleut bergère ; faisant face à la cheminée de cuivre, Malbrough s’en va-t’en
guerre tandis que l’on souhaite Bon voyage (à) Monsieur Dumollet dont le départ se fait sur le
même panneau que le vitrail du cygne. (Illustrations N°59, 59 bis, 60 et 60 bis)
Les toiles de Georges Delaw ont été peintes à la détrempe. Ce décor est un véritable
ensemble puisque chaque peinture est accompagnée du titre de la chanson, d’une partition
musicale pour donner la note et d’une phrase emblématique extraite du refrain. Ces
inscriptions se détachent en noir sur la frise de bois de frêne du Canada qui court le long des
poutres apparentes du plafond. Les soubassements sont lambrissés de cette même essence de
bois, agrémentée d’incrustations de nacre.
Cet ensemble est encore enrichi d’une cheminée dont la hotte en cuivre est ornée de
motifs végétaux enroulés et dont la plaque de fonte, dans le foyer, représente une scène
53
champêtre. Enfin, la marqueterie du mobilier répond aux boiseries des murs, dans l’esprit
d’un art total, comme nous l’avons déjà évoqué dans le premier chapitre64
Si le décor actuel est aussi riche en couleurs, c’est parce qu’une campagne de
restauration a permis, par gommage à sec, de retirer les poussières qui s’y étaient déposées.
Ce sont les fumées de la cheminée qui ont accéléré ce processus de dégradation. D’autres
facteurs venaient ternir l’ensemble, notamment de précédentes retouches à la peinture qui
avaient mal vieilli ou encore des traces de colle formant des tâches et la marque d’une
ancienne gouttière.65
Les peintures de Georges Delaw pour Arnaga sont considérées comme une œuvre
majeure dans la carrière de l’artiste puisqu’elles sont presque systématiquement évoquées
dans les articles nécrologiques qui lui sont consacrés en 1938 et 1939. Ainsi dans le journal
La Grive66, René Druart67 liste, dans la catégorie « peintures », « Contes de Perrault, cinq
panneaux, Arnaga, ancienne propriété d’Edmond Rostand, à Cambo ». Même s’il y a erreur
sur le thème, le travail pour Edmond Rostand n’est pas oublié.
Le peintre a passé plusieurs semaines à Arnaga qui l’ont ravi : il est demeuré enchanté
du poète. Journal Concorde 18 juillet 1935, Article par Eugène Montfort.
Observons ces toiles ; l’analogie est réellement forte avec le dessin même si le
médium employé est la peinture. De toutes les peintures d’Arnaga, celles-ci sont les plus
isolées de par leur style. La couleur est appliquée par couches épaisses et les cernes noires
renvoient au trait de crayon du dessin et donnent l’impression que les formes ont été
« coloriées ». Les couleurs sont franches, chaque espace est peint en aplat, sans qu’il n’y ait
vraiment de dégradé. On est vraiment dans l’idée de l’imagerie populaire. D’ailleurs, le
peintre ne signait-il pas « Georges Delaw, imagier de la reine » ? Cependant, à l’inverse de
l’imagerie d’Epinal, la mise en couleur ne se fait pas au pochoir, n’oublions pas qu’il s’agit ici
de peinture, et le travail est donc beaucoup plus minutieux. C’est cette minutie qui caractérise
le travail du peintre. Quelque soit la technique utilisée par Delaw, il apporte par exemple un
64
Chapitre I, A, 3, a, p.26
Source : Odile Contamin, conservatrice du musée de 200 à 2006.
66
René Druart, « Bibliographie de Georges Delaw », La Grive, N°44, Avril 1939, p.11.
67
1888-1961, industriel (gérant de la maison familiale de matériaux de construction "DRUART & PELLOT"), il
participe en même temps à la vie littéraire et intellectuelle de la région, collaborateur de la revue ardennaise "La
Grive"
65
54
grand soin à l’étude des reliefs du terrain, il s’applique à rendre compte de la surface inégale
d’une route, un goût qu’il faut sans doute mettre en parallèle avec le sol accidenté de
Montmartre où il aimait tant vivre.
Dans son traité Le collectionneur de peinture moderne, André Fage range Delaw
parmi les quarante peintres modernes dignes de figurer dans une collection consacrée aux
paysagistes. Un choix des plus avisés car Delaw est un des artistes qui a le mieux compris et
exprimé le charme de notre province française. Il possède un véritable sens décoratif, un parti
pris panoramique, et maitrise parfaitement le dépouillement synthétique. En cela on peut
également le rapprocher de la façon de voir des japonais : sensibilité concise et attrait du
détail avec toutes ses ressources évocatrices.
L’utilisation de la peinture à la détrempe est particulièrement adaptée à cette
expression car les pigments liés à la colle permettent un aspect clair et mat. En conclusion,
même si le travail de Delaw ne présente pas en apparence d’unité avec les autres décors de la
villa, il est pourtant bien ancré dans son époque. Il poursuit en effet les recherches des artistes
contemporains par le biais du japonisme auquel il emprunte le traitement en aplat de couleurs
et qui confère à ses toiles un rendu finalement assez proche de l’art de la tapisserie très en
vogue au XIXème siècle, notamment avec le groupe des nabis.
Le 6 mars 1906, Georges Delaw écrit à son ami Ardennais André Fage, « J’ai eu la
visite de monsieur Henri Lee, frère de Rosemonde Rostand, de la tribu des sympathiques et
des cordiaux qui s’occupe à Paris des affaires d’Edmond Rostand ». Deux mois plus tard il
ajoute : « Ma décoration pour Rostand est en train, il s’agit d’un fumoir. J’ai trois panneaux
de quatre à cinq mètres de long. Tous ont deux mètres de haut. Je travaille aux maquettes. Je
mettrai cela en train d’ici huit à quinze jours. Il me faudra au moins un mois ».68
L’exécution du décor pour Edmond Rostand s’est effectuée principalement dans
l’atelier du peintre à Paris même si Delaw a effectué plusieurs séjours à Arnaga. Le poète a
été séduit par la manière du peintre ; pour autant la réalisation de la commande ne s’est pas
faite sans souci, les deux partis étant très exigeants. Cette lettre qu’Edmond Rostand envoie à
son épouse, en séjour à Paris en 1906, illustre parfaitement le propos :
« Delaw vient de répondre un mot dans lequel, tout en remerciant de l’argent, il ne semble
pas ravi : sans doute il attendait de plus grands compliments. (…) Tâche de l’inviter à
déjeuner, tu l’embobineras comme un Truffaut. (…) Et alors tu pourrais le couvrir de tels
68
Correspondance de Georges Delaw, fonds Fage, médiathèque de Sedan. Source : Michel Forrier.
55
éloges sur Dumollet et Malbrough que tu lui ferais comprendre que son intérêt serait d’avoir
un ensemble parfait. J’espère qu’il ne demanderait pas cher. Qu’il comprenne que c’est très
bien comme ça mais que ce serait merveilleux avec un panneau grouillant de costumes en
plus : Cadet Rousselle, ou Le Pont D’Avignon, prenant sur la porte. Pourquoi ne pas faire
danser sur le Pont d’Avignon plusieurs personnages de chansons. Dis à Delaw que je fais un
mobilier spécial pour la pièce, et que je voudrais que l’ensemble fût exquis. Ne connaît-il pas
un modèle de lanterne à pendre au milieu pour l’électricité. Enfin si tu peux le voir et
arranger encore ça, tu seras toujours la Fée. »
Le 30 mai 1906 Rosemonde répond à son époux qu’elle a envoyé une invitation à
déjeuner à Delaw comme il le lui a suggéré. Après sa rencontre avec le peintre elle rassure
Edmond Rostand : « Delaw : tout était comme je te l’ai dit parfaitement convenu et juste
comme tu le désirais ».
Malheureusement les difficultés persistent. Au mois de Juillet est invité à Cambo mais
revenu de son séjour, il est mécontent : « La maison Rostand avait promis de garnir mon
escarcelle pour mettre en train un nouveau panneau (les cinq premiers étant déjà
parfaitement boulottés). Or voici 23 jours passés que ces bonnes gens ne me donnent pas
signe de vie. J’ai timidement risqué un appel, il y a 8 à 10 jours, rien. J’ai arrêté le travail et
j’en suis ennuyé car j’ai des frais d’atelier, toile châssis qui vont me rester sur le dos ». En
réalité, les Rostand connaissent actuellement des difficultés financières qui retardent le
paiement des panneaux. Mais comme les faits sont cachés à Delaw, ce dernier ne peut que se
montrer impatient.69
Quoi qu’il en soit, les toiles sont finalement achevées et installées. Leur étude révèle
que Delaw a probablement utilisé les mêmes dessins préparatoires que ceux destinés aux
illustrations du livre de chansons Voyez comme on danse ! préfacé par Rosemonde Gérard70
Nous nous appuyons sur deux panneaux en particulier : Bon voyage, Monsieur Dumollet et
Malbrough s’en va-t’en guerre. Dans le premier cas on retrouve la même construction
générale autour du fiacre tiré par deux chevaux et surchargé sur le toit des bagages de
Monsieur Dumollet. (Illustration N°61) Ce dernier salue de son chapeau les gens qu’il quitte.
Ce détail mérite que l’on s’y attarde un instant pour présenter un cliché photographique sur
lequel Georges Delaw, en blouse de peintre, pose devant le décor qu’il est encore en train
69
70
Correspondance de Georges Delaw, Op.cit.
Cf. Annexe X.
56
d’ébaucher dans son atelier. C’est le chapeau triangulaire du personnage qui permet
d’identifier la toile en cours. (Illustration N°62)
Dans le second cas (illustrations N°61 bis), la composition est aussi copiée dans son
ensemble sur l’illustration du livre. Surtout, cette analyse des dessins et peintures permet de
reprendre chacun des points caractéristiques du travail de Delaw. D’abord le déploiement en
frise avec une perspective irréelle rendue par un premier plan habité par les personnages et un
second plan architecturé constitué des maisons villageoises. Entre les deux l’éloignement est
figuré par la réduction d’échelle des personnages et une perte de détails. Ensuite le
synthétisme dont le chapeau de Monsieur Dumollet sert une nouvelle fois de référence. En
effet, quel meilleur exemple que ce couvre-chef constitué uniquement d’un cercle inséré dans
un triangle. Ces deux formes géométriques dans leur représentation la plus basique suffisent à
l’imaginaire.
B. Reproduction
1. Jean Veber : Le « Salon des Fées »
a. Restitution du décor d’origine.
Les toiles que l’on peut aujourd’hui admirer à Arnaga ne sont malheureusement pas
les originales, car elles ont été mises en vente par Monsieur et Madame De Souza Costa,
propriétaires du domaine en 1922.x
En 1983, Monsieur Jean Pierre Camard71 propose les toiles à la Mairie de Cambo-lesBains pour la somme de 400.000 francs. Elles ne seront pas acquises en raison du coût déjà
élevé que représente l’entretien de la villa Arnaga.xi
En 1986, des éléments du décor sont passés en vente chez Christie’s Monaco sous le
numéro de lot 114 (le 15 juin). Et le 5 décembre 1990, un second lot, N°145 était présenté à
l’Hôtel Drouot.
En 1993, Monsieur Jacques Sargos72 annonce dans une lettre à Monsieur Poupel, alors
conservateur du musée, qu’il a pour mission de vendre l’ensemble des toiles pour le compte
71
72
Expert en tableaux et objets d’art.
Il tient une galerie d’art à Bordeaux : « L’Horizon Chimérique »
57
d’un professionnel parisien. Le prix demandé était de 370.000 Francs. Comme la Mairie ne
peut toujours pas faire l’acquisition du décor, les toiles partent aux Etats-Unis.xii
Le décor présent a été réalisé en 2008 à partir de 15 ektas négatifs que le musée
conservait dans ses archives et qui ont sans doute été pris lors de la vente de 1983. La
technique employée pour cette reproduction est celle de la Digigraphie®. (Illustrations N°63
et 63bis)
La Digigraphie® est le fruit de nombreuses années de recherche du groupe Seiko
Epson sur les performances techniques de ses imprimantes et sur la qualité et la résistance de
ses encres pigmentaires UltraChrome™. La Digigraphie® est un label technique qui permet
de produire ou reproduire une œuvre d'art en série limitée : photographie, peinture, collage,
dessin, aquarelle, création numérique, etc.
L'utilisation du terme Digigraphie® concerne exclusivement une épreuve réalisée :
• Par une imprimante professionnelle Epson Stylus Pro
• Avec des encres Epson UltraChrome™.
• Sur papiers certifiés. Les papiers agréés Digigraphie ont passé des tests de résistance
à la lumière permettant de garantir une durée de vie supérieure à 60 ans en conditions
normales d'exposition en intérieur.
• Authentifiée : numérotée, signée par l'artiste, marquée de l'empreinte en relief et
accompagnée de son certificat.
C’est l’Atelier Profikolor d’Anglet qui a effectué le travail. Le chromiste graveur
Erick Garcia a procédé à la numérisation et à la retouche chromique de l’ensemble des clichés
puis au contre collage des toiles cansons sur des panneaux de bois.
b. Présentation
Edmond Rostand a commandé un ensemble de peintures à Jean Veber pour le boudoir
de son épouse au premier étage de la villa. Ce sont des illustrations de contes de fées,
principalement choisies parmi les Contes de Perrault. Le peintre a représenté Peau d’Ane, La
Belle au Bois dormant, Les Noces du Chat Botté, Cendrillon, Riquet à la Houppe. Il complète
cet ensemble de deux contes de Madame d’Aulnoy, Gracieuse et Percinet et L’Oiseau Bleu et
d’un conte d’invention, La Cage d’Or.
58
Les toiles, marouflées, ont été réalisées entre 1904 et 1905. La signature du peintre est
visible sur le soubassement de la colonne formant le décor architecturé de Peau d’Ane.
Le travail de Jean Veber et la mise en place des toiles sont évoqués en quantité
importante dans diverses correspondances. Ainsi on peut suivre l’évolution des compositions
à travers les lettres échangées entre Jean Veber et Joseph Albert Tournaire. Les deux hommes
semblaient être de bons amis et Veber lui confie à la fois son excitation et son inquiétude de
travailler avec un personnage de l’envergure d’Edmond Rostand : « Je suis encore tout au
plaisir de la triple visite que j’ai reçue hier. Je ne sais si Rostand en conserve un aussi bon
souvenir, pour moi j’ai été bien sensible à sa bonne grâce à tous ces avis qu’il donnait avec
une si délicate retenue. Je vois qu’il prête une grande importance à mes peintures et j’en suis
très flatté. »xiii
Les toiles ont été réalisées dans l’atelier parisien de l’artiste. Il est ensuite venu passer
plusieurs semaines à Cambo pour adapter son œuvre aux contours du boudoir. De ce fait,
Edmond Rostand n’a pas pu suivre en direct l’évolution de son travail. Mais grâce à une lettre
manuscrite que Jean Veber a adressée à son mécène Louis Lacroix, et que l’on conserve
aujourd’hui encore, il nous est possible d’imaginer la manière dont travaillait le peintre.
Parmi les différents documents, les mémoires de travaux conservés dans les archives
d’Arnaga sont particulièrement intéressants pour cette pièce car ils permettent d’établir que
l’état actuel du boudoir, même s’il diffère de l’état initial, compte tenu de l’absence d’une
grande partie du mobilier, reste tout de même dans l’esprit voulu par Edmond Rostand avec
son chiffonnier en érable et bois de rose, sa table recouverte d’un voile brodé, et sa coiffeuse
dotée d’un miroir.xiv
c. Les contes de fées dans l’œuvre de Veber
Puisqu’il s’agit d’une commande privée, cet ensemble est a priori isolé. Néanmoins il
faut mettre en rapport le thème des contes de fées avec d’autres peintures réalisées
ultérieurement par l’artiste et dont on est capable d’établir une liste grâce aux ventes des
59
œuvres de l’Atelier Veber dont la première a eu lieu le 25 mars 1936 et la seconde les 9 et 10
février 1938 à Drouot.73xv
Cette liste ne peut pas être exhaustive puisque tel n’est pas le sujet de notre travail.
Cependant nous pouvons encore cité l’article de Corinne Van Eecke, consacré aux « contes et
fables dans les livrets de Salons »74, évoque un tableau intitulé Conte de fée exposé au salon
de 1894 sous le numéro 1800 et présentant une fée attrapant un dragon avec une sorte de
hameçon.
d. Description
Cette composition ininterrompue court sur les quatre murs du boudoir, insérée dans un
décor totalement féérique. Elle prend place au dessus « d’un revêtement mural en carreaux de
grès flammés. Réalisés par Alexandre Bigot, ces pavés de terre cuite ont une tonalité tilleul
rosé, légèrement semée d’éclats de couleur turquoise75 (variation des tons grâce à l’action du
feu) »76. C’est sans doute le demi-frère de Rosemonde Gérard, William Lee, lui-même
céramiste en Puisaye, qui a conseillé à Rostand, son ami Alexandre Bigot. Cette céramique
est surmontée d’une frise en bois d’érable en marqueterie Art Nouveau.
Jean Veber a peint l’épisode le plus caractéristique des huit contes cités. Ils sont
répartis sur les quatre parois en quatre panneaux divisés eux mêmes en compartiments fictifs
représentés par des éléments architecturés peints ou des troncs d’arbres.
Au dessus de la porte d’entrée figurent trois décors de forêt séparés les uns des autres
par deux troncs d’arbres contre lesquelles se blottissent le Petit Poucet avec son bonnet de
coton (à gauche) et Puck le lutin, fumant sa pipe (à droite). Riquet à la Houppe, L’Oiseau
Bleu et Gracieuse et Percinet. Le mur de gauche, également troué d’une porte, est
entièrement occupé par le conte de Cendrillon. Au-dessus de l’arc surbaissé où s’ouvrent trois
petites fenêtres en plein cintre, prennent place Les Noces du Chat botté et de la Chatte
blanche à gauche et La Cage d’or à droite, séparés par une rose. La niche des fenêtres est
73
Catalogues des ventes de l’Atelier Veber, Drouot, 25 mars 1936, Salle N°1 et 9 & 10 février 1938, Salle N°11.
Corinne Van Eecke, Contes et fables dans les livrets du Salon, in la revue Romantisme, « Le Conte et
l’image », 1992, N°78, page 31.
75
(1862-1927) Céramiste spécialisé dans le façonnage des plaques dont le travail a été tôt reconnu. En 1901, il
travaille aux côtés d’Alexandre Charpentier et réalise les carreaux en grès émaillé qui surplombe les boiseries de
la salle à manger commandée par Adrien Bénard, banquier, pour sa propriété de Champrosay (aujourd’hui
présentée dans la salle 66 du Musée d’Orsay). En 1902, il est l’un des décorateurs de la Villa Majorelle à Nancy.
Autres commandes notables : l’église Saint-Jean de Montmartre et la Chapelle Saint-Médard à Paris.
74
76
Michel Forrier, Petite Histoire d’Arnaga, 2006, pp.88-89.
60
également peinte dans un trompe-l’œil de mosaïque et représente un roi et une reine
accompagnés de leurs quinze enfants et d’une inscription qui rappelle que tout conte débute
par « Il était une fois » pour s’achever avec « Ils eurent beaucoup d’enfants »77. (Illustration
N°66 bis) Enfin, faisant face au mur de Cendrillon, deux compartiments scindés par des
motifs architecturaux sont illustrés de Peau d’Ane et de La Belle au bois dormant.
(Illustrations N°64, 65, 66, 67)
L’ensemble du décor est couronné, à la hauteur des portes, par une corniche de bois
d’érable sculpté. Cet ensemble est probablement le plus riche de la villa iconographiquement ;
il fourmille de détails que l’artiste a « imaginés, composés, ordonnés, exécutés avec la même
minutie, avec la même recherche, avec le même soin. »78. Jean Veber « possède l’imagination
la plus vive, la plus fraîche, la plus colorée […] ; c’est un fantaisiste exquis et un réaliste
truculent, qui peint avec autant de verve les grimaces que les sourires des êtres et des choses,
et qui est aussi sensible à leur laideur qu’à leur beauté. »
C’est la raison pour laquelle cette partie du mémoire est l’une des plus développée.
Riquet à la Houppe
Riquet à la Houppe est un conte populaire dont la version la plus célèbre est celle de Charles
Perrault parue en 1697 avec les Contes de ma mère l’Oye. Il aurait été inspiré à Perrault d’une
nouvelle de Catherine Bernard. Cette auteure était normande ce qui expliquerait le prénom de
Riquet dont l’étymologie dans la langue régionale signifierait « contrefait, bossu ».
Il raconte l’histoire d’une reine qui accoucha d’un enfant très laid. Mais une fée promit
à la reine que cette laideur serait compensée par un grand esprit qui permettrait au futur jeune
homme de conquérir sa bien-aimée et de partager avec elle ses connaissances. Au bout de sept
ou huit ans, la reine d’un royaume voisin donna naissance à deux petites filles. La première
était très belle mais la fée déclara qu’elle aurait peu d’esprit tandis que la seconde était très
laide mais son intelligence serait telle que personne ne s’apercevrait de cette laideur. Toute
deux transmettraient leur caractère à celui qu’elles épouseraient.
77
Confiant, Edmond Rostand a laissé à Jean Veber la liberté de la décoration de cet arc. Sur un fond
de mosaïque dorée en trompe-l’œil, il a placé un roi et sa reine couronnés. Ils font penser, par leurs
vêtements, aux enluminures persanes. Ils sont entourés de quinze bébés emmaillotés (comme cela se
faisait encore à la fin du XIXème siècle) également tous couronnés, hormis un qui est coiffé du bonnet
rouge de la Révolution. (Cf. Michel Forrier in Petite histoire d’Arnaga, p.94).
78
Article de Gabriel Mourey, « Le boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo » in Les Arts, mars 1910, p.19 et 21.
61
Alors qu’elles grandissaient, tout le monde s’intéressait à la brillante princesse mais personne
ne remarquait la jolie princesse. Un jour que cette dernière pleurait dans les bois, elle
rencontra un homme fort laid. C’était Riquet à la houppe qui la consola et lui demanda sa
main pour pouvoir lui offrir de l’esprit en plus de sa beauté. Elle accepta sans trop réfléchir de
l’épouser au bout d’un an jour pour jour et, pendant que ce temps s’écoulait, Riquet lui
transmettait ses connaissances comme la fée lui en avait donné le pouvoir.
Tous les jeunes hommes du royaume allèrent à sa rencontre et voulurent l’épouser maintenant
qu’elle était devenue intelligente. Mais la belle princesse refusait car elle voulait réfléchir
avant de prendre sa décision. Elle se retira donc une seconde fois dans les bois. Tout à coup,
le sol s’ouvrit sous ses pieds et une cuisine, des tables de banquet et des nains serviteurs
surgirent de terre. C’était une idée de Riquet qui préparait le mariage qui lui était promis
depuis un an. Il eut cependant du mal à convaincre la princesse mais il lui rappela qu’elle
avait également un don : celui de donner la beauté à son mari. Alors ils se marièrent après le
consentement du père de la princesse.
Le thème choisi est celui de la métamorphose amoureuse, motif privilégié de la
littérature galante avec l’idée que l’Amour donne de l’esprit et rend beau tous ceux qu’il
touche. La morale de l’histoire est que la beauté intérieure comme extérieure n’existe que
dans le regard du spectateur. Riquet incarne l’amour idéal dont rêves les précieuses, hérité de
l’amour courtois du Moyen Age, qui méprise la vulgarité et l’amour sensuel. C’est un prince
galant, doté de bonnes manières, d’éloquence et de raffinement.
La description s’avère un peu délicate car cette partie de la composition est floue, sans
doute à cause de la qualité initiale de la photographie. (Illustration N°64)
Dans cette scène, les deux personnages principaux se tiennent devant un arbre. Sur la
composition originale, on pouvait les identifier grâce à l’inscription de leur nom en lettres
capitales.
Riquet à la Houppe est vêtu d’un pourpoint ajusté rouge et de trousses froncées très
courtes rayées de rouge et de blanc. Ces jambes sont couvertes de collants verts d’eau et ses
chaussures basses à languettes reprennent cette teinte. Par dessus il porte un manteau ouvert
rouge et bordé de fourrure blanche. Il a retiré son chapeau orné d’une longue écharpe et le
maintient contre sa poitrine. Ses cheveux sont courts et sa barbe est fournie. Il est agenouillé
devant la belle princesse, lui désignant le banquet en train de se préparer et lui rappelant sans
doute qu’une année s’est écoulée et que sa main lui est promise. La princesse se tient debout
dans une robe décolletée qui laisse voir le haut de son buste (cou et épaules). La robe est
62
moulante jusqu’à la taille avant de s’évaser et de tomber jusqu’au sol, formant une traine au
long retombé. La taille est haute, placée sous la poitrine ce qui la met en valeur. Les manches
sont fendues largement au dessus du coude et retombe en deux volants qui forment comme
des ailes. Les couleurs sont quelques peu fanées à cause de l’état de restitution du décor mais
reprennent très clairement les mêmes tonalités que les vêtements de Riquet. Elle porte ses
cheveux coupés dans un carré court. Ses deux mains sont levées dans un geste de refus et
l’expression de son visage, sévère, accompagne cette idée. Derrière elle se tient un petit chien
blanc dont la posture a changée entre le dessin préparatoire publié avec l’article de Gabriel
Mourey79 en 1910 et les toiles originales dont la Digigraphie® restitue à priori fidèlement le
motif. (N°64bis)
Ces costumes sont de toute évidence inspirés par la mode en vogue à la Renaissance
bien qu’ils ne les copient pas de manière exacte. Mais on retrouve, dans le costume masculin,
le pourpoint, les trousses courtes et froncées, les collants, la toque et son écharpe et pour le
costume féminin, la robe décolletée dont la taille est haute et la longueur couvre les pieds. Il
semblerait donc que Veber se soit documenté pour illustrer ce conte.
Derrière le Prince, se trouve une « colonie » de nains qui s’affairent autour de
marmites, plats, miches de pains et achèvent d’organiser la réception. Immédiatement à la
gauche du prince, on peut observer celui qui semble être le chef cuisinier et qui donne ses
ordres, les mains en porte voix. Il est habillé tout en blanc, sans doute avec un tablier. Il est
coiffé d’une toque et porte un foulard rouge noué autour du cou.
Au dessus d’eux, quatre nains habillés de rouge des pieds à la tête, sont assis sur une
branche de l’arbre et observent la scène.
A l’arrière plan, les multiples travailleurs dressent l’immense table du banquet
recouverte d’une nappe blanche et sur laquelle des nains grimpés sur des échelles, finissent de
décorer une pièce montée qui représente l’Académie Française (où siège Edmond Rostand).
Sur l’image publiée dans l’article de Gabriel Mourey80, on peut voir que les médaillons fixés
aux mâts arborent le « R » de Rosemonde surmonté d’une couronne comtale en référence au
titre nobiliaire de son grand-père, le Maréchal Gérard. »81
79
Article de Gabriel Mourey, « Le boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo » in Les Arts (Edition spéciale
Chantecler), mars 1910.
80
Gabriel Mourey, Op. Cit
81
Michel Forrier, Petite histoire d’Arnaga, p.89.
63
L’Oiseau Bleu
« Il était une fois un roi fort riche en terres et en argent ; sa femme mourut, il en fut
inconsolable. » Aucune gentillesse ne parvient à lui faire retrouver le goût à la vie, pas même
sa fille, la belle Florine. Mais un jour, une femme endeuillée se présente à lui. Et comme elle
n’essaie pas de diminuer la peine du roi mais au contraire l’accompagne dans ses plaintes et
sa douleur, il l’accepte sans difficulté à ses côtés. Le temps faisant, les deux personnes
finissent par ne plus évoquer leurs défunts compagnons et le roi épouse la veuve.
Cette dernière a également une fille, Truitonne, mais contrairement à Florine elle est très
laide. Le roi décide un jour qu’il est temps de marier ses deux filles. La nouvelle reine exige
alors que sa propre fille soit la première ce à quoi le roi ne voit aucun inconvénient. Mais le
prince qui est invité à la cour tombe immédiatement amoureux de Florine qui n’est que grâce
et beauté.
La reine et Truitonne vont tout faire pour empêcher Florine d’épouser celui qu’elle aime, le
jeune roi Charmant. Elles l’enferment dans un tour et Soussio, la fée protectrice de Truitonne
transforme Charmant en Oiseau Bleu pour une durée de sept ans.
Des trahisons et des épreuves diverses attendent les amants, mais tout se termine par un
heureux mariage tandis que Truitonne est métamorphosée en truie.
L’épisode est délimité dans l’espace par deux arbres dont on ne voit que le tronc et
quelques branches. Contre celui de gauche le Petit Poucet est assoupi tandis que Puck est
adossé contre celui de droite. Les personnages évoluent dans une sorte de clairière à l’orée
d’une forêt. Au loin, on aperçoit deux tours d’un château. (Illustration N°64)
La scène compte quatre personnages principaux. Au premier plan, la princesse Florine,
les bras tendus vers le ciel, reçoit un bijou que lui offre l’Oiseau bleu tandis que sa demisœur, la princesse Truitonne semble furieuse, elle aussi les bras levés mais dans un geste de
colère. Le dernier personnage se trouve en arrière plan dans le ciel : il s’agit de la fée Soussio,
la marraine de Truitonne, sur sa chaise volante trainée par des grenouilles ailées.
Les deux princesses sont identifiables par leur prénom inscrit en jaune au dessus de
leur tête. Florine est vêtue d’un grand manteau de cour rouge orné de rinceaux d’or terminé
par une longue traine portée par deux enfants. Il s’ouvre sur une robe semble-t-il très simple,
blanche et dont les manches souples et amples laissent découvrir ses avant-bras. Elle est
coiffée d’une petite couronne d’or. En comparaison de sa demi-sœur, Florine est grande et
fine et ses gestes sont élégants. Truitonne est une personne petite et grosse aux joues rougies
64
par la colère. Elle porte une robe jaune orangée82 à col blanc, également terminée par une
longue traine et resserrée à la taille. Elle semble étriquée et n’est pas du tout mise en valeur.
Il faut encore une fois noter que la reproduction digigraphiée ne permet pas de profiter
des détails minutieux que Jean Veber avait apportés à sa toile. (Illustration N°64bis) En
effet, les documents photographiques de l’époque révèlent plus amplement la finesse des
traits de Florine et surtout la dentelle qui constituait les manches de sa robe et qui contrastent
fortement avec la lourdeur de Truitonne et ses traits grossiers et même laids. On comprend
aussi que le bijou offert par l’Oiseau bleu est un collier ou un bracelet de perles. On remarque
enfin qu’un petit personnage a disparu dans la version dont dispose aujourd’hui Arnaga : un
enfant caché à genoux sous la traine de la Truitonne et qui observe l’épisode avec
étonnement, la bouche en « O ».
Jean Veber n’a pas respecté les proportions en représentant les deux enfants de
beaucoup trop petite taille pour que cela puisse être probable. Mais c’est probablement pour
donner un effet de plus grande ampleur et splendeur au vêtement de la princesse, illusion
renforcée par l’expression de béatitude dessinée sur leurs visages.
Gracieuse et Percinet
« Il y avait une fois un roi et une reine qui n'avaient qu'une fille : sa beauté, sa douceur
et son esprit, qui étaient incomparables, la firent nommer Gracieuse. Il y avait dans cette
même cour une vieille fille fort riche, appelée la duchesse Grognon, qui était affreuse de tout
point. Cependant, la reine mourut et le roi en fut si affligé qu’il demeura près d'un an enfermé
dans son palais. Enfin les médecins, craignant qu'il ne tombât malade, lui ordonnèrent de se
promener et de se divertir: il s’en fut à la chasse, et comme la chaleur était grande, en passant
par un gros château qu'il trouva sur son chemin, il y entra pour se reposer. »
Il venait en réalité d’entrer chez Grognon qui, l’esprit malin, lui fit découvrir ses
richesses, car le roi n’aimait finalement que l’argent. Aveuglé par l’or et les pierres précieuses
il accepte de l’épouser quand bien même elle exige en plus d’avoir le contrôle de sa fille.
Alors que Gracieuse, qui redoute le moment où elle devra rencontrer son affreuse
belle-mère, pleure dans son jardin, elle voit venir un page doté de tous les agréments. Elle
découvre qu’il s’agit de Percinet, un jeune prince riche et plein de savoir qui a reçu à la
82
Ou dorée ? Sur l’illustration parue dans l’article de Gabriel Mourey précédemment cité, on observe que sa
robe était à l’origine ornée de motifs de pois blancs.
65
naissance un don des fées, et qui depuis toujours est amoureux de Gracieuse en secret. Mais
aujourd’hui il est bien décidé à aider la princesse à surmonter les tourments que lui fera
endurer sa marâtre.
La rencontre a lieu, à mi-chemin entre les deux palais. Grognon est soudain jalouse du
cheval de Gracieuse et exige de l’avoir pour faire la route jusqu’à sa nouvelle demeure. Mais
le beau cheval se met à sauter, à ruer et à courir si vite, que personne ne pouvant l'arrêter, il
emporte Grognon qui est retrouvée plus brisée et laide que jamais. Elle passe sa colère sur la
princesse en la rouant de coups, mais grâce à Percinet les verges se sont transformés en
plumes de paon et Gracieuse n’est pas blessée.
Quelques temps après, la reine va jusqu’à faire croire que la princesse est morte en
l’abandonnant dans la forêt et en faisant enterrer un morceau de bois à sa place.
Heureusement, Gracieuse est une nouvelle fois sauvée par Percinet et elle vit un temps dans
son propre « palais de féerie » entourée de la charmante famille du prince. Mais elle est triste
de savoir son père abattu par sa mort et elle décide d’aller le trouver pour lui révéler l’atroce
vérité. Le roi est d’abord surpris, puis convaincu, et finalement de nouveau aveuglé par son
horrible épouse. Gracieuse est enfermée dans un cachot. Grognon lui apporte chaque jour de
nouvelles tâches à priori impossibles à réaliser pour la faire souffrir. Une nouvelle fois aidée
par Percinet, elle est libérée de ses corvées et de sa prison, mais Grognon lui remet une boite
qu’elle doit apporter jusqu’à son château. En chemin Gracieuse ne peut résister à la tentation
de l’ouvrir et une multitude de personnages s’en échappent, que la princesse ne parvient pas à
rassembler. Heureusement Percinet les fait rentrer dans leur boite grâce à trois coups de
baguettes.
Dernière grande épreuve pour Gracieuse : elle est jetée par sa belle-mère dans un puits
où elle perd cette fois-ci tout espoir.
Mais au fond de ce puits, une petite porte s’ouvre sur le Royaume de Percinet. La belle
Gracieuse accepte alors d’épouser le Prince.
Il faut savoir que l’histoire s’est encore mieux terminée puisque Grognon a été
étranglée sans que personne n’ait pu rien empêcher.
La scène prend place dans la partie droite du premier mur, à côté de L’oiseau bleu
dont elle est séparée par Puck adossé contre son arbre. (Illustration N°64) L’épisode
représente l’une des dernières épreuves que Grognon fait subir à Gracieuse. La princesse, en
route vers le château de sa belle-mère, se repose un instant, et sa curiosité, trop forte, lui fait
ouvrir la boîte qu’elle devait livrer. Il s’en échappe plein de petits hommes et petites femmes,
66
avec des instruments de musiques, des tables et des plats qui, aussitôt, se dispersent dans le
pré et dans le bois.
Comme pour les deux contes précédents, ici aussi le décor est malheureusement abimé
et flou. On reconnaît aisément Gracieuse aux longs cheveux blonds ornés d’une couronne de
fleurs. Elle est assise la tête entre ses mains pour signifier son désespoir et regarde Percinet
qui se tient à genoux à ses pieds. S’il est difficile d’étudier la robe de la princesse, en
revanche Jean Veber s’est montré fidèle au texte en habillant Percinet d’un « riche habit de
satin vert » aux manches bouffantes et qui semblent brodées d’or. Il est chaussé et coiffé de
souliers rouges, bien que sur la peinture publiée en 1910 ce béret n’apparaisse pas. Le regard
levé vers Gracieuse, il semble la supplier de l’épouser.
La scène s’inscrit dans le pré dont il est question et l’on voit en arrière plan la forêt
dans la continuité de celle de L’Oiseau bleu signifiée par une série de troncs d’arbres
rectilignes et une masse verte en guise de feuillage. Au loin on aperçoit un château : est-ce
celui de Gracieuse et de son père ? Celui de Grognon ? Ou encore celui de Percinet ? A
l’entrée de la forêt, on observe encore (bien qu’avec difficulté sur la toile digigraphiée) le
traineau peint et doré de Percinet, tiré par deux cerfs qui « pouvaient atteindre une vitesse
prodigieuse, de sortes qu’en très peu de temps, ils les conduisaient en mille endroits ».
Il est par ailleurs dommage que la toile soit, à ce point, floue, car elle empêche de
distinguer les différents groupes de personnages qui évoluent autour de la boîte ouverte et
posée sur le sol. Notamment, on remarquera qu’en plus de quelques couples de danseurs,
deux rondes se sont formées dont l’une est d’une taille relativement impressionnante,
réunissant des dizaines de petits hommes. Mais sur la toile qui orne aujourd’hui le boudoir,
elle ne forme qu’une masse circulaire rouge.
Les tons dominants sont les verts, les rouges et les ocres.
Cendrillon.
Un seigneur endeuillé convole avec la plus vile des femmes. Cendrillon, sa première
fille, doit dès lors supporter les brimades de sa belle-mère et de ses deux filles. Elle est
chargée des plus basses occupations de la maison et se couche le soir près des cendres - d'où
son surnom.
Un jour, le Roi organise un bal en l'honneur de son fils où toutes les jeunes filles à
marier sont conviées. Les deux mauvaises sœurs s’y rendent, et Cendrillon reste seule à
pleurer. Mais sa marraine la Fée l’entend et vient la consoler. Elle la pare d’atours dignes
d’une princesse, et dans une citrouille transformée en carrosse (conduit par un rat changé en
67
cocher, tiré par six souris devenues des chevaux, et entouré par six lézards métamorphosés en
laquais) Cendrillon peut finalement se rendre au bal.
Le Prince s’éprend d’elle, mais avant minuit, heure où l’enchantement prend fin, elle
se retire comme elle l’a promis à sa marraine. Le lendemain soir, Cendrillon retourne au bal,
encore plus merveilleusement vêtue que la veille. Elle est tellement heureuse qu’elle en oublie
l’heure, et lorsque le premier coup de minuit sonne, elle s’enfuit et perd en chemin l’une de
ses pantoufles de verre. Le Prince se lance alors à la recherche de la propriétaire du soulier en
se promettant de l’épouser. Ses sujets parcourent le Royaume pour faire essayer la chaussure
à chaque jeune femme, mais aucune d’entre elle ne parvient à l’enfiler. Lorsque la pantoufle
arrive chez Cendrillon et ses sœurs, ces dernières deviennent folles de jalousie et
d’étonnement lorsqu’elles découvrent que non seulement le petit pied de la jeune femme y
entre sans peine, mais qu’en plus elle possède la seconde pantoufle.
A ce moment, sa marraine apparaît et donne un coup de baguette sur les habits de
Cendrillon et les fait devenir encore plus magnifiques que tous les autres. Alors ses deux
sœurs se jettent à ses pieds pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements qu'elles
lui ont fait subir.
On mène Cendrillon chez le jeune prince, parée comme elle était. Il la trouve encore
plus belle que jamais ; et, peu de jours après, il l'épouse.
Cendrillon, qui était aussi bonne que belle, fit loger ses deux sœurs au palais, et les
maria, dès le jour même, à deux grands seigneurs de la cour.
Le conte de Cendrillon occupe tout un pan de mur réunissant deux épisodes majeurs
de l’histoire. (Illustration N°65) A l’extrême gauche le Prince, à l’entrée de son palais assiste
impuissant au départ précipité de Cendrillon. Il est richement vêtu d’un collant blanc et d’une
tunique brodée de rouge et d’or qui répond à ses souliers et à sa coiffe. Son geste est
suspendu : il forme une diagonale avec son corps tendu vers la jeune femme déjà trop loin
pour lui. Son mouvement fait voler sa cape dans son dos.
Alors que les trois scènes précédentes se déroulaient en pleine nature, ici l’artiste a
placé son personnage à l’entrée d’un palais dont le porche est couvert par une série d’arcades
que supportent trois colonnes sur le devant et deux colonnes engagées sur la façade. La porte
derrière le prince est restée ouverte et laisse voir de la lumière.
Précisons qu’une fois encore le conte est clairement identifiable car, au dessus du
carrosse, le nom de Cendrillon est inscrit. Cette dernière, assise dans sa citrouille
métamorphosée, se retourne vers le palais et le prince et semble esquisser un baiser de la
68
main. Ses cheveux flottent dans le vent et elle est vêtue d’une longue robe blanche brodée
d’or sur le bustier.
On aura remarqué la principale différence entre la toile exposée dans le boudoir et la
composition que proposait Jean Veber dans les articles de Gabriel Mourey et du Gaulois du
Dimanche : ici le carrosse est bien dérivé de la citrouille. (Illustration 65bis) Il est de forme
ronde, et on peut croire que cendrillon est installée sur la chair du fruit qui a été évidé.
L’intérieur est en effet de couleur orangée et des petits morceaux de chair, qui rappellent sa
consistance filandreuse, tombent du « plafond ». Par ailleurs, le sommet du carrosse est
couronné par la queue du fruit. L’armature sur laquelle il repose, est curviligne et rouge. En
revanche, sur l’exemplaire de 1910 qui nous sert de référence, le carrosse est ouvert, comme
si on n’avait conservé que la moitié de la cucurbitacée. Plus avant dans la comparaison, on
souligne une nouvelle fois la différence dans le traitement de ce même élément : la toile
digigraphiée offre moins de minutieux détails, notamment lorsqu’on remarque la finesse avec
laquelle ont été travaillées les roues dorées.
Harnachés de rouge et d’or, les deux chevaux et les quatre animaux hybrides (michevaux, mi-souris) sont lancés au galop par le cocher entièrement vêtu de rouge. Les six
bêtes semblent flotter dans les airs et se dirigent vers l’extrême droite de la scène.
De ce côté-ci, l’épisode se poursuit ou plutôt marque un retour en arrière puisque la
marraine la Fée tend sa baguette vers l’attelage pour transformer, souris et lézards en chevaux
et laquais. Elle se tient devant un second élément d’architecture : c’est une vue de l’âtre et du
fauteuil dans lequel était auparavant assise Cendrillon, alors que ses sœurs étaient déjà parties
au bal et qu’elle restait seule à pleurer. Sur la cloison de cet espace, une horloge est installée,
qui indique qu’il est minuit. Nous sommes donc au milieu de la nuit ce qui est bien figuré par
le fond bleuté de la scène et le croissant de lune que l’on peut distinguer. De plus, la version
de 1910 était agrémentée de vols de lucioles et de lueurs d’or.
L’ensemble est bordé sur le côté gauche et en hauteur, sur toute la longueur, d’une
guirlande de roses que nous retrouverons suspendues au dessus du panneau suivant. Ces fleurs
sont bien entendu un hommage à Rosemonde.
Un détail reste encore à souligner. Au premier plan, au niveau des premiers animaux et
de la marraine, se tient un groupe de nains. Ils ne sont pas présents dans l’histoire de
Cendrillon mais leur emplacement montre que Jean Veber, en véritable décorateur, a tiré parti
de la disposition des lieux. Ainsi il semblerait que, sous ce joyeux groupe, était placé une
psyché. Les nains, gesticulant et riant, donnaient alors l’impression de sortir de derrière ce
69
miroir. Ne peut-on pas justement faire un lien avec le miroir chez Lewis Caroll83 qui est un
passage vers l’ailleurs, vers un monde imaginaire ? Ils sont traités dans une gamme de
coloration très chaude à cause de l’éclairage assez violent des ampoules électriques qui
s’allumaient là, la nuit venue.
Dans les reproductions des deux articles, ce groupe de nains est accompagné d’une file
de petits rats gambadant.
Les noces du Chat Botté et de la Chatte Blanche
Le conte du Chat Botté a été publié dans le recueil de Charles Perrault en 1697.84 Il a
pour personnage central un chat domestique parlant et doué de raison qui aide son nouveau
maître, le troisième fils d'un meunier, à tirer profit de son héritage.
À son décès, un vieux meunier laisse à ses trois fils l'intégralité de ses biens. L'aîné hérite du
moulin, le cadet de l'âne, et le benjamin du chat. Sans un sou en poche et ne sachant que faire
d'un tel cadeau, ce dernier songe à le manger. Mais le chat, à la plus grande surprise de son
nouveau maître, s'avère doué de parole. Contre un sac et une paire de bottes et avec beaucoup
de ruse, l'animal va faire passer le jeune homme pour un puissant gentilhomme, le marquis de
Carabas, et lui permettre d'épouser la princesse du royaume.
Quant au conte de la Chatte Blanche, il a été créé par Madame d’Aulnoy. Il raconte
l’histoire d’un roi, qui pour retarder l’accession de ses fils à son trône, leur confie trois
missions, d’une année chacune. Il les envoie d’abord à la recherche du plus beau petit chien
du monde. Le cadet découvre en chemin un magnifique château dans lequel vit une superbe
chatte blanche. Ce gracieux animal devient son ami et l’aide dans sa quête en lui confiant un
chien d’une si petite taille qu’il tient dans un gland. Le second défi consiste à ramener au roi
un morceau d’étoffe si fin qu’il pourrait passer à travers le chas d’une aiguille. Le jeune
prince retourne auprès de la chatte blanche qui lui remet au bout d’une année, un voile si fin
qu’il est contenu dans un grain de millet. Une troisième fois les princes repartent à l’aventure
avec pour objectif de ramener à la cour la plus jolie des princesses. Le roi leur promet de
laisser son trône à celui qui surpassera ses deux frères. Une nouvelle fois le prince cadet part
retrouver la chatte blanche qui, à l’issu de l’année écoulée, lui demande d’être sacrifiée. Le
prince ne peut d’abord pas se résoudre à tuer son amie, mais lorsqu’il cède finalement à ses
désirs, la petite chatte se métamorphose et se révèle être une merveilleuse princesse. Elle lui
raconte alors son histoire et pourquoi elle a été changée en chatte blanche. Lorsque le prince
83
84
In Alice au pays des merveilles.
Contes de ma mère l’Oye.
70
et la princesse retournent auprès du roi, ce dernier reconnaît que c’est son fils cadet qui mérite
son trône. Mais alors, la princesse qui possède six royaumes, en offre plutôt un à chacun des
deux frères et au roi, épouse le prince et chacun part ensuite gouverner ses terres.
C’est donc bien un joyeux mélange entre les deux contes que Jean Veber s’est proposé
de peindre. Les deux auteurs qu’apprécie tant Edmond Rostand ont été réunis pour offrir une
histoire inédite, révélant toute son imagination.
Cette scène et celle de La Cage d’or sont de moindre importance par rapport aux
autres contes illustrés sur les murs du boudoir. En effet, elles sont sur le même panneau où
s’ouvrent les trois fenêtres de la pièce. Or, ces dernières sont surmontées d’un arc peint qui
empiète sur l’espace des contes.
Ainsi, on aperçoit dans la partie gauche de ce panneau, le Chat Botté
traditionnellement chaussé de ses hautes bottes de cuir mais aussi coiffé d’un large chapeau à
plume. (Illustration N°66) En revanche, contrairement à l’imagerie populaire, il est vêtu
d’une chemise de dentelle, d’un gilet, d’une veste et d’un pantalon. Il porte, accroché à sa
ceinture, une épée, et possède sans doute une montre dans la poche droite de son gilet
puisqu’on en voit la chaine épinglée au tissu. Sa tête est tournée vers la Chatte Blanche qui se
tient à son bras gauche. Pour terminer la description de ce chat, on ajoutera que ses traits de
visage ont des caractères humains, de même que ses mains, mais il est clairement identifiable
grâce à sa queue tigrée. La Chatte Blanche est plus petite et réellement entièrement blanche.
Seuls ses yeux et le bout rose de ses oreilles ressortent de cette « masse » unie qu’elle
représente. Elle est habillée d’une longue robe de mariée blanche dont on peut distinguer, sans
en être trop certain, quelques broderies dans le bas.
Le mariage est célébré dans un pré où prennent place une foule venue acclamée le
couple, les bras levés pour le signifier. A la droite des époux, les figures sont assez floues
mais on aperçoit un enfant à la tunique bleue ainsi qu’un âne ou un cheval. En revanche, le
second groupe est beaucoup plus distinguable. Ce sont six personnes qui paraissent appartenir
à la haute société avec leurs riches habits, leurs chapeaux et même la coiffure à étage de l’une
des dames. Il est composé de trois hommes, de deux jeunes femmes et d’une vieille dame.
A l’arrière plan on observe un champ au milieu duquel est planté un moulin à vent.
Plus au loin encore, quelques collines se détachent sur un ciel bleu. L’ensemble de la scène
est bordé sur les côtés et en hauteur de la guirlande de roses que nous avons déjà évoquée
pour le conte de Cendrillon.
71
La cage d’or
Il s’agit d’un conte imaginé par Edmond Rostand ou Jean Veber dont il n’est fait
mention nul part, hormis dans l’article rédigé par Loïc Fert pour le Gaulois du Dimanche :
« […] et une fiction destinée à compléter la série : une princesse captive dans une cage en fils
d’or… ».85 Par conséquent, il est impossible de raconter cette histoire dont on sait simplement
que « l’imagination du peintre s’est donnée libre cours »86.
Cette partie de la toile nous donne à voir une cage en or ouvragée dans laquelle est
retenue prisonnière une jeune femme au visage et aux bras très pâles, le regard abattu. Contre
la cage se tient un jeune garçon agenouillé, les mains en prière, qui supplie l’homme barbu au
doigt accusateur dirigé vers la femme. (Illustration N°66)
S’agit-il d’un roi ? Il porte en effet une couronne ainsi qu’une longue et riche cape et on peut
apercevoir au loin un chemin qui conduit à un château. Quoiqu’il en soit, il semble en colère.
Par ce même chemin, arrive un chevalier monté sur un cheval lancé au galop. Il est trop petit
pour que l’on puisse le décrire correctement mais sa cape rouge vole dans son dos et sa lance
est pointée en avant. Il semble venir au secours de la jeune femme.
On remarque aussi que sur le haut de la cage, sont perchés deux paons. Sont-ils là pour
une raison symbolique ? Positive ou négative ? Ont-ils plutôt été choisis parce qu’ils sont un
motif courant dans l’Art Nouveau, style des boiseries et du mobilier du boudoir ? Ou bien
plus simplement, ils sont un cadeau de Jean Veber à Edmond Rostand, qui aimait beaucoup
ces oiseaux et en avait plusieurs dans la volière de son jardin (la Villa Arnaga en possède
encore aujourd’hui plusieurs) ?
Enfin, on note avec intérêt l’inscription près de l’arbre: « Halsou » qui est
probablement une référence au village d’Halsou qui se situe à environ 4 kilomètres de
Cambo-les-Bains. Par ailleurs, un détail semble confirmer que la scène se déroule bien au
Pays Basque : le petit arbuste d’hortensias bleus au pied duquel se tient l’homme à la longue
barbe blanche. En effet, les hortensias bleus sont très fréquents au Pays Basque où la terre est
très acide et les jardins d’Arnaga en étaient largement ornés.
85
Ludovic Fert, « le boudoir de Mme Edmond Rostand à Arnaga décoré par M. Jean Veber », Le Gaulois du
Dimanche, édition spéciale Chantecler, 5 février 1910, N°107.
86
Article de Gabriel Mourey, « Le boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo » in Les Arts, mars 1910, p.20.
72
Peau d’Âne
Il était une fois, un roi qui était le plus riche et le plus puissant de toute la terre.
Mourante, la reine lui fait promettre de ne prendre pour nouvelle épouse qu'une femme plus
belle qu'elle. Il chercha longtemps, mais se rend finalement à l’évidence que la seule personne
capable de rivaliser avec la beauté de la reine n'est autre que sa propre fille, et le roi lui fait sa
demande.
Pour échapper à cette union incestueuse et sur les conseils de sa marraine, la princesse
demande pour sa dot des robes irréalisables : une robe couleur de temps, une robe couleur de
lune et enfin une robe encore plus vive que le soleil. Hélas, chaque fois le tailleur du royaume
honore la commande.
Elle lui demande alors de sacrifier son âne qu’il garde juste à côté de la salle du trône
et qui a le don de produire des écus d'or. Il semble évident que le roi ne pourra pas renoncer à
sa richesse, mais contre toute attente il s'exécute.
La princesse s'enfuit alors du château, revêtue de la peau de l’âne. Elle trouve refuge
dans une ferme du royaume voisin et travaille comme la plus misérable des paysannes. Son
seul plaisir, le dimanche, est de se vêtir de ses robes de princesses qu’elle a emportées avec
elle et de chanter.
Un jour, le prince du royaume entend son chant merveilleux et, guidé par sa voix, il
trouve la ferme et espionne la princesse par le trou de la serrure. Aussitôt le prince veut
connaître cette charmante personne, mais partout où lui répond qu’il n’existe pas de princesse,
juste une pauvrette que l’on nomme Peau d’Ane en raison de son vêtement.
De retour chez lui, le prince tombe malade, de cette maladie qu’est l’amour. Sa mère,
qui n’a que lui comme enfant, désespère de ne pouvoir le voir heureux et s’enquiert de ses
volontés. Il demande alors que Peau d'âne lui fasse un gâteau. La jeune femme à qui on a
transmis le message, se décrasse, se prépare et se met à la tâche. En préparant la galette, elle
laisse tomber par inadvertance sa bague dans la pâte. Le prince en mangeant le gâteau mord
dans l’anneau et déclare alors immédiatement qu’il épousera celle à qui la bague appartient.
Toutes les jeunes femmes se précipitent pour l’essayer, mais aucune n'a le doigt assez fin!
Alors on fait venir Peau d'Âne : l’anneau correspond parfaitement à son doigt !
Peau d’Ane claque dans ses doigts et se trouve à nouveau vêtue comme une belle
princesse. Le prince l'épouse et grâce à cela elle est épargnée du mariage avec son père.
L’illustration de ce conte prend place sur le dernier mur du boudoir de Rosemonde
Gérard. L’espace est partagé avec le conte de la belle au bois dormant de manière
73
relativement équitable. La séparation visuelle entre les deux histoires est permise par une
porte ou un mur qui appartient à la chambre de la Belle au bois dormant. Quant à l’histoire de
peau d’Ane, elle-même est divisée en deux séquences isolées de part et d’autre d’une colonne
en marbre blanc. (Illustration N°67)
A l’extrême gauche se déploie un long escalier blanc en haut duquel s’ouvre une
galerie à six arcades. Elle repose sur un premier niveau également percé de plusieurs arcades.
Au sommet des marches se trouve un groupe de trois –ou quatre – personnes qu’un dernier
personnage, une main sur la balustrade et à mi-chemin de la volée de marches, est en train de
rejoindre. Ces hommes et cette femme sont tous vêtus avec une dominance de rouge. Dans la
cour au pied de l’architecture, est arrêté un carrosse doré, attelé de deux chevaux rouges
dirigés, que maintient un cocher. On aperçoit quelques autres personnages au niveau des
arcades des deux niveaux. En arrière plan, s’élève ce qu’on peut penser être une rotonde, un
clocher et une tour qui doivent sans doute appartenir à un palais.
Mais surtout, au premier plan, Peau d’Âne, dans une robe bleue couverte de la peau de
l’animal, dévale les dernières marches et s’enfuie en courant. Son geste est accentué par son
bras gauche qu’elle tient en avant comme pour se donner de l’élan. Sur la colonne de gauche
un lutin est assis à califourchon tandis qu’au pied de la colonne de droite, le petit poucet cause
avec le Petit Chaperon Rouge.
La scène est agrémentée des mêmes guirlandes de roses et buissons d’hortensias bleus
que nous avons déjà rencontrés.
Sur la partie droite de la toile, se déroule la suite de l’histoire. Au premier plan, Peau
d’Ane, qui a pris les traits de Rosemonde Gérard, se tient debout dans une cabane ouverte au
toit de chaume. Elle est très richement vêtue d’une longue robe brodée d’or par dessus
laquelle repose un manteau rouge dont la doublure intérieure est bleue également rehaussée
de motifs d’or. « Cette robe « couleur de soleil » est la reproduction exacte du voile de mariée
offert par la ville de Bruxelles à la princesse Stéphanie, œuvre d’art d’une incomparable
richesse, qui fut exécutée d’après le dessin du père de Jean Veber. »87 La princesse a les
cheveux relevés et elle est couronnée. Elle a accroché sa peau d’âne contre le mur tout près de
son coffre entrouvert qui laisse voir ses bijoux. Elle tient l’étoffe de sa robe dans sa main
droite et a placé sa main gauche sur sa poitrine dans un geste familier aux chanteurs. Son
public est composé de trois oies blanches mais aussi du prince qui l’espionne entre les lattes
de bois. Ce dernier est également richement vêtu d’une tunique rouge et or, d’un collant beige
87
Gabriel Mourey, Op.cit., p.21.
74
et de cuissardes marron. Il est coiffé d’un petit chapeau terminé par une plume blanche. La
démarcation entre l’intérieur et l’extérieur de la cabane est réalisée fictivement par un buisson
de fleurs colorées.
Le reste de la scène, qui s’étend derrière le prince est composée d’une vallée
verdoyante dans laquelle s’étend un chemin sinueux qui mène à un château à trois tours à
l’orée d’une forêt. A l’entrée de cette route, se trouve un groupe de plusieurs personnes
accompagnées de deux chevaux blancs. On peut également deviner, plus loin dans la vallée,
deux cavaliers qui galopent. Enfin, on découvre l’ogre du Petit Poucet qui enjambe la colline
fermant l’horizon.
Il ne faut pas oublier de souligner que c’est dans cette partie de la toile marouflée que
se trouve la signature de Jean Veber, comme gravée au pied de la colonne sur laquelle est
agenouillée le Petit Poucet. Cependant, sur les peintures présentées dans l’article paru dans la
revue Les Arts88, cette signature prenait place en bas à droite du panneau de Gracieuse et
Percinet, accompagnée de la date de 1905. (Illustrations 67bis)
La belle au Bois dormant
À l'occasion du baptême de la princesse, le roi et la reine organisent une fête
somptueuse, invitant famille et amis ainsi que les sept fées marraines bienveillantes de
l'enfant. Chacune d'elles offre un don à la princesse : « la plus jeune lui donna pour don
qu'elle serait la plus belle du monde, celle d'après qu'elle aurait de l'esprit comme un Ange, la
troisième qu'elle aurait une grâce admirable à tout ce qu'elle ferait, la quatrième qu'elle
danserait parfaitement bien, la cinquième qu'elle chanterait comme un Rossignol, et la
sixième qu'elle jouerait de toutes sortes d'instruments à la perfection… »
Les festivités cessent brusquement lorsqu'une vieille fée, qui n'a pas été invitée, se
présente et lance à la princesse un charme mortel : la belle est condamnée à se piquer le doigt
en filant et à mourir de cet incident. Heureusement, la dernière des fées, la plus jeune, connue
sous le nom de fée Carabosse, n’est pas encore intervenue et commue ce sortilège en un
sommeil de cent ans.
Pour protéger sa fille, le roi fait immédiatement paraître un édit par lequel il défend à
tous de posséder un fuseau sous peine de mort. Tous sont brûlés, sauf un qui appartient à une
vieille femme sourde qui n’a pas entendu l'édit.
88
Gabriel Mourey, Op.cit.
75
Âgée de 15 ans, la princesse se pique le doigt sur ce fuseau. Mais grâce à
l’intervention de la fée Carabosse, au lieu de subir cette mort annoncée, elle s'endort pour un
sommeil de cent ans, au terme duquel un Prince la réveille par un baiser. Contrairement à une
idée répandue, le conte de Perrault ne s'arrête pas au réveil de la princesse : le prince amène la
princesse et ses deux enfants (la petite Aurore et le petit Jour) dans le château de sa mère, qui
est une reine ogresse, puis part à la guerre. Pendant ce temps, la reine décide de faire dévorer
la princesse et les deux enfants. Mais le Maître d'hôtel du roi les remplace par une biche, un
agneau et un chevreau pour tromper la méchante reine. Confondue au retour de son fils, cette
dernière se jette elle-même dans une cuve et finit dévorée par les serpents et les vipères qu'elle
y avait fait mettre à l'intention de sa bru et ses petits-enfants.
Ce dernier conte vient donc se placer à la droite de Peau d’Ane. Tout comme pour
celui de Cendrillon, Jean Veber a tiré partie de la disposition des lieux puisqu’il fait reposer le
lit à colonnes de la Belle au Bois dormant sur le manteau de la cheminée incrusté de motifs de
roses. (Illustration N°67) Ce lit est couvert d’un toit plat qui repose sur les quatre colonnes et
est orné de guirlandes de fleurs. La belle y est allongée sur le dos, sa tête et ses deux bras
reposants sur un gros oreiller bleu qui répond au bleu du drap brodé. Elle est habillée d’une
légère robe rouge dont la finesse laisse deviner les formes de son corps. Dans ses cheveux, est
placée une fleur et autour de son cou, un collier de perles. Au pied du lit, dans une attitude
endormie, la tête rejetée en arrière, un bras accoudé sur le bord du lit, est assise une femme. A
la tête du lit, un petit garçon est appuyé contre un mur. Le menton contre la poitrine, il semble
également dormir. On distingue encore deux hommes, probablement des gardes si on
considère leurs armes, assoupis à l’entrée de la chambre. Seule personne éveillée, le prince
charmant que l’on identifie grâce à l’inscription au dessus de sa tête, avance vers le lit et
s’apprête à rompre le charme. Il est vêtu d’un habit vert avec une collerette orange qui lui
descend bas sur la poitrine. Il est coiffé d’un chapeau. Il avance prudemment comme
l’indiquent les gestes de ses bras et de son pied pointé vers l’avant.
Les hommes étant endormis depuis cent ans, la nature a repris ces droits et s’est
invitée dans la chambre par la porte restée ouverte. Les plantes fleuries se déploient en volutes
et grimpent le long des murs. A l’opposé de l’illustration de Cendrillon plongée dans la nuit,
les couleurs sont chatoyantes. L’atmosphère est fraiche ; c’est réellement celle d’un conte de
fées où le rêve enchanté va un instant prendre fin pour devenir réalité.
76
e. Interprétation
Le sujet, tiré des Contes de Perrault et par prolongement des Contes de Grimm, est
imposé par Edmond Rostand comme l’indique Jean Veber alors qu’il évoque ses souvenirs
dans un article consacré aux peintures du boudoir paru dans le Gaulois du Dimanche89 : « Ce
n’est pas à moi que revient l’honneur de cette trouvaille ; c’est à M. Edmond Rostand luimême. C’est lui qui m’a donné le sujet de ces peintures et qui m’en a indiqué les détails. Vous
ne pouvez pas imaginer la finesse, la précision de sa pensée, l’absolue perfection que, si
intelligemment, il veut à toutes choses autour de lui. Mes panneaux représentent les plus
populaires des Contes de Perrault : Barbe Bleue, Riquet à la Houppe, la Belle au bois
dormant, Cendrillon, le Chat Botté, sans parler du mariage du Chat Botté avec la Chatte
Blanche, et d’une fiction destinée à compléter la série : une princesse captive dans une cage
en fils d’or… Je vous assure que j’ai passé des moments exquis à Cambo, à peindre ces toiles
dans cette maison si accueillante, où tout respire la haute intelligence et les nobles
préoccupations de ses maîtres. C’était, en outre, des heures de conversation reposante et une
collaboration de tous les instants dont j’ai gardé le meilleur souvenir ; car on peut bien
appeler collaboration cet échange d’impressions et de sentiments d’où sort une œuvre
définitive… »
Il n’est pas étonnant qu’Edmond Rostand ait souhaité offrir à Rosemonde des contes
de Charles Perrault. En effet, dès 1888, on trouve dans sa correspondance avec sa chère
« Dodette » des allusions à ces contes qui semblent le passionner.
« J’ai encore trouvé dans les Contes de Perrault bien des choses charmantes et qui sont
faites pour nous plaire. Mais je ne veux pas déflorer l’intérêt de ce sujet, que je veux
conserver pour vous entretenir, dans nos soirées de causeries. »90xvi
Lorsqu’on étudie cet échange épistolaire, on comprend que la lecture de ces contes
avait pour objectif la création d’une œuvre personnelle. « … J’emporte un tas de bouquins à
Luchon pour mon travail sur les Contes de Perrault. Ce serait très chic d’avoir le Prix de
l’Académie française en même temps que des pièces jouées et des romans publiés ! Et puis
sans en avoir l’air, tout doucettement, j’ajoute de temps en temps des vers à mon volume. Que
89
Ludovic Fert, Op.cit..
90
Début des répétitions du Gant Rouge au Théâtre Cluny. Edmond à Rosemonde, 1er semestre 1888,
in Edmond Rostand – Tome 1 – Cyrano, L’Aiglon (1869-1990), Editions Séguier, 2004, p.81
77
de choses en train, mon Dieu !... Mais tout sera fin, je vous le jure. De sorte qu’il n’y a pas à
en douter, je suis une des futures gloires de la France. »91
La même année, il travaille sur un acte en vers, une féérie qu’il intitule La Rose qui
parle. Trois personnages la composent : Percinet, un jeune prince, Pymante, son précepteur, et
Huguette, une fée.
Ces histoires étaient pour Edmond Rostand une véritable source d’inspiration. Aussi,
cela explique-t-il qu’il ait fait représenter au milieu des contes de Perrault et de Madame
d’Aulnoy, son propre conte imaginé, La Cage d’Or.
Partout, on retrouve ce goût de la famille Rostand pour les contes. Avant même de penser au
décor intérieur de sa villa, Edmond Rostand imaginait déjà Arnaga comme un monde un peu
imaginaire : « Derrière la maison, le jardin sera plus « sauvage », avec sa fontaine et sa grotte
pour satisfaire les enfants et les amateurs de contes de fées que nous sommes dans la
famille. »92
En 1890, dans son premier recueil de poèmes, Les Musardises, il publie un poème sur
les contes de fées, dans le « Livre de l’Aimée93 ». Ces vers confirment son attirance pour
l’univers des contes et sont sans doute un premier aboutissement à ses recherches.xvii
Finalement, ce sera avec les Romanesques, sa seconde pièce de théâtre, jouée en 1894
à la Comédie Française, qu’il réunira avec l’aide de son épouse, les thèmes qui lui sont chers :
la poésie précieuse, les contes de fées et les amours enfantines.
Enfin, n’oublions pas de rappeler qu’il offre à Roxane le carrosse de Cendrillon dans
l’acte IV de Cyrano de Bergerac.
91
Jacques Lorcey, Op.cit. p.85.
Jacques Lorcey, Op.cit. p.58.
93
Dédiée à Rosemonde Gérard
92
78
C. Peintures déplacées ou disparues
1. Henri Martin : La Joie de Vivre
Dans le grand hall, une toile d’Henri Martin venait du temps des Rostand agrémenter
le mur surplombant le salon chinois. (Illustration N°68) Mais en 1933, La Joie de Vivre est
vendue. Les propriétaires actuels de la villa ont des problèmes financiers et discrètement ils se
séparent de quelques uns des plus beaux éléments de décoration pour couvrir les frais
d’entretien du domaine. En même temps que la toile d’Henri Martin, les trois grandes portes
doubles du grand hall disparaissent ainsi que les laques qui décorent le salon chinois. C’est
pour la même raison que seront vendus les décors de Jean Veber comme nous l’avons vu
précédemment.
Aujourd’hui La joie de Vivre est conservée au Musée du Petit Palais de Genève.
(Illustration N°69) C’est une composition dont la dominante est le paysage et les dégradés de
verts. L’impression générale qui se dégage du tableau est en accord avec le titre de l’œuvre ;
la touche pointilliste et les arbres élancés, dont la cime n’est pas visible, confèrent à la toile un
véritable dynamisme renforcé par les couleurs éclatantes, verts, dorés, orangés, qui participent
de ce sentiment de joie de vivre.
Quelques êtres vivants évoluent au milieu de cette nature luxuriante : au premier plan,
un jeune couple se déplace, précédé par une chèvre et un bouc. Leur mouvement prévoit
qu’ils vont traverser la composition de la droite vers la gauche. A l’arrière plan on distingue
une habitation et un groupe de personnes occupées par les travaux de la ferme (ils sont
entourés d’une botte de paille et d’un bovin). Tout contribue à rendre cette scène idyllique : le
jeune homme qui semble insouciant et joue d’un petit instrument de musique, sans doute un
pipeau, la jeune femme dont la robe bleue peut évoquer la fraicheur et la virginité et les deux
animaux qui leur répondent en formant également un couple.
Comme avec les autres artistes d’Arnaga, Edmond Rostand s’est montré très exigeant
et à plusieurs reprises insatisfait. Les remarques à propos de la commande en cours ne font
pas exception et n’échappent pas à sa correspondance avec Tournaire : « je n’ose trop lui dire
que si son paysage me semble admirable, j’ai peur que ces figures n’aillent pas dans
l’ensemble. Ni l’ameublement, ni le genre du hall, ne me semblent comporter une trop simple
79
paysannerie. »xviii Mais heureusement, comme avec tous « ses » artistes, il finit pas
s’entendre !xix
2. Henry Caro-Delvaille
Nous avons étudié dans ce même chapitre94 les cartouches qui sont actuellement
présents au dessus des portes de la salle à manger. Nous allons à présent nous intéresser aux
cartouches qui avaient été peints par Henry Caro-Delvaille.
Leur commentaire ne peut être que succinct car ils ont aujourd’hui complètement
disparus et leur étude ne peut se faire qu’à partir de vieux clichés photographiques en noir et
blanc et dont la qualité est médiocre. (Illustration N°70) De plus, ces épreuves nous montrent
uniquement deux cartouches sur les quatre. La difficulté est augmentée par le fait que sur la
prise de vue deux lustres tombent exactement au centre des deux compositions, brouillant leur
lecture.
On peut émettre l’hypothèse qu’elles se trouvent toujours sous les peintures de Gaston
Latouche ce qui tendrait à dire qu’un retrait de ses peintures permettrait de les remettre au
jour et de les étudier davantage, mais cette intervention aurait des conséquences irréparables
pour les Quatre éléments.
Finalement, on peut remarquer que sur ces cartouches étaient représentés des
hortensias, fleurs qui ornent abondamment les jardins du Pays Basque et qui avaient une place
de choix dans celui d’Edmond Rostand. Ces peintures faisaient par ailleurs écho aux
hortensias qui décorent le portrait de Rosemonde Gérard, également par Henry CaroDelvaille. On observe enfin que ces hortensias se détachent sur un paysage habité d’une
architecture ; à gauche sur la photographie il s’agit d’une rotonde et à droite d’une pergola.
94
Chapitre II, A, 4.
80
CHAPITRE III : AUTRES ELEMENTS DE DECOR
A. Céramiques
Les faïenceries de l’office et des cuisines ont sans aucun doute été réalisées dans la
même manufacture compte tenu de la ressemblance stylistique de leurs décors et de
l’organisation de cette céramique sur le mur : blanche ou beige, émaillée, du sol et jusqu’à
plus de 80% de la hauteur, puis une frise peinte, représentant soit des poules pour l’office, soit
des chats pour les cuisines.
La découverte dans les sous-sols de plusieurs carreaux de remplacement, aux couleurs
de ceux de l’office, a permis d’identifier cette manufacture. Il est inscrit au dos de chacun de
ces carreaux beiges : H-TE BOULENGER & CIE FAIENCERIE DE CHOISY-LE-ROI
SEINE.
Cette faïencerie a été fondée en 1804 par les frères Paillart95 : Valentin, Melchior et
Nicolas. A partir de 1824, l’entreprise s’installe sur quatre hectares pris sur l’ancien domaine
royal de Choisy. A cette époque la manufacture est dirigée par Valentin Paillart et son associé
Hyppolite Hautin. En 1836, le départ de Paillart laisse l’usine à Hyppolite Hautin et Louis
Boulanger. Enfin 1863 Hyppolite Boulanger, fils de Louis Boulanger, leur succède jusqu’à sa
mort en 1892. L’entreprise est ensuite dirigée par son fils et son petit-fils.
C’est à cet Hyppolite Boulanger que fait référence l’inscription H-TE BOULANGER.
Plus exactement, les carreaux d’Arnaga sont estampillés « Société Hyppolyte Boulanger et
Compagnie », nom que prend la société familiale lorsqu’elle se transforme en société par
actions en 1878. Ce changement est l’occasion de réorganiser le travail afin d’en augmenter le
rendement. De nouveaux marchés sont acquis et la production est diversifiée dans le but de
toucher une clientèle plus large. Le succès est tel que la société doit s’agrandir en multipliant
les ateliers et en multipliant d’autres usines. Le nombre d’employés passe de trois cents 1860
à mille trois cents en 1900 et mille quatre cents en 1930.
81
En 1889, un département distinct de la faïencerie de Choisy-le-Roi est ouvert en vue
d’assurer la pose des revêtements céramiques.96 C’est à ce département qu’Edmond Rostand
s’est adressé pour le revêtement des murs de l’office et des cuisines.
1. Office : Chantecler
La frise peinte de l’office présente une palette de couleurs essentiellement composée
de jaunes orangés. Ce jaune dominant est en contraste avec le bleu qui évoque le ciel.
(Illustrations N°71 à 75)
Poules et poussins gambadent sur un sol dont la couleur n’est pas vraiment naturaliste
puisque elle nous laisse imaginer qu’il s’agit de sable ou d’un terrain aride alors qu’une
observation attentive des détails amène à considérer qu’il s’agit plutôt d’une terre riche en
graines et insectes et d’où s’échappent plusieurs touffes d’herbe. La composition est
dynamique car tous les volatiles sont dirigés vers le même côté ce qui confère à la scène une
impression d’animation. Les « minis » scènes semblent se répéter à l’infini sur les quatre
murs.
Le thème de la bassecour n’est pas sans évoquer Chantecler et le goût de Rostand pour
la nature.
2. Cuisine : Chats
Les céramiques des cuisines offrent une gamme chromatique de gris-bleu. Le sujet
choisi est toujours animalier : trois chats, deux tigrés et un noir, l’un jouant au milieu d’une
coupelle de lait renversée et le second avançant prudemment vers le troisième, dont le poil
hérissé et les griffes sorties montrent sa résolution à défendre son repas. (Illustrations N°76
et 77) Comme pour l’office ces deux scènes sont reproduites tout autour de la pièce. On
ressent également le même dynamisme, mais cette fois-ci ce sont les courbes et contres
courbes dessinées par les assiettes et les dos arrondis des chats qui créent ce sentiment de
mouvement.
96
Site internet : exposition sur la faïencerie de Choisy le Roi.
82
B. Vitraux
1. Vitrail de la Bibliothèque : L’Arbre de Vie
a. Recherches
Ce vitrail est installé sur la mezzanine de la bibliothèque. Il fait face à la grille en fer
forgé de Vian. Il a une forme circulaire et est signé dans le bas L. Trezel Pinx et H. Danger
Inv. (Illustrations N°78, 79, 79bis et 79ter)
Cet élément du décor de la Villa est celui qui a demandé le plus de recherches car si le
vitrail est effectivement signé, il n’y a dans le musée aucune information relative à sa
commande et aux artistes dont il est question.
Une première recherche sur le site internet de la BNF s’est avérée plutôt infructueuse
multipliant les articles de la base Gallica dans lesquels le patronyme Trézel était
principalement associé à Pierre Félix Trézel97, peintre du début du XIXème siècle. Par
ailleurs, un amalgame était fait avec le nom de Louis XIII. Mais une seconde recherche, plus
« sauvage » sur le moteur de recherche Google a fini par mettre en évidence, à force de
persévérance, l’existence d’un certain Louis Trézel, auteur des décors de deux brasseries
parisiennes : le Restaurant Julien et le Restaurant Bouillon Racine, tous deux répertoriés sur le
site internet « Réseaux Art Nouveau Network »98. Comme ces deux enseignes ont été fondées
en 1903, à la même date que la villa d’Edmond Rostand, cette piste était sérieuse. Par ailleurs,
l’un des deux restaurants tout au moins accueillait régulièrement l’actrice Sarah Bernhardt, ce
qui peut inspirer l’idée qu’elle a pu être le lien entre l’artiste Louis Trézel et le poète.
97
Pierre Félix Trezel est un peintre français, né à Paris le 16 juin 1782 où il est mort le 16 juin 1855. Élève de
Pierre-Paul Prud'hon, peintre néo-classique .
98
http://www.artnouveau-net.eu/get_page.asp?stran=10&jezik=FR
Un réseau européen entreprenant et engagé : en 1999, à l'initiative du Service des Monuments et des Sites de la
Région de Bruxelles-Capitale, de nombreux organismes issus de villes d'Europe caractérisées par un riche
patrimoine Art nouveau - de Helsinki à Barcelone, et de Glasgow ŕ Budapest - ont décidé de se réunir en un
premier réseau européen de coopération. Etude, sauvegarde et mise en valeur de l'Art nouveau sont les mots-clés
de l'ambitieux programme que le Réseau Art Nouveau Network s'est fixé pour les années à venir. Entreprenant et
engagé, celui-ci défend une approche rigoureusement scientifique, tout en veillant à informer les professionnels
et à sensibiliser le grand public vis-à-vis des valeurs culturelles et de la dimension européenne de ce patrimoine
si proche de nous.
83
Cette première étape nous a conduit à contacter les deux restaurants et à nous y rendre
dans l’éventualité de trouver une signature qui permettrait d’authentifier le vitrail d’Arnaga.
Malheureusement, les signatures inscrites sur les quatre panneaux du restaurant « Julien »,
représentant les quatre éléments (quatre femmes inspirées de dessins de Mucha), sont d’une
typographie différente de celle du vitrail d’Arnaga, entretenant toujours un doute.
(Illustration N°80) En revanche, grâce au patron du « Bouillon Racine », qui a eu l’extrême
gentillesse de nous faire voir dans les détails la signature de l’une de ses pâtes de verre, nous
avons pu, cette fois-ci, authentifier la signature et attribuer le travail d’Arnaga à Louis Trézel.
(Illustrations N°81 et 81bis)
La troisième étape a consisté à rechercher les différents travaux de l’artiste. A l’aide
de la base Mobilier - Palissy du Ministère de la Culture, nous avons répertorié trois églises
dans lesquelles se trouvent des vitraux signés Louis Trézel.
Nous nous sommes rendus dans l’une d’entre elles, l’église Saint-Justin de Levallois Perret.
Une nouvelle fois les vitraux étaient signés de la même manière qu’à Arnaga, ce qui tend à
confirmer qu’il s’agit bien du même artiste. (Illustration N°82)
b. Louis Trézel
Cette information désormais validée, nous nous sommes attachés à la biographie de
Louis Trézel. Et c’est aux archives municipales de Levallois-Perret qu’il a été possible de
débuter ce travail en consultant un annuaire de la ville, daté de 1904, contenant un court
article sur l’artiste, ainsi qu’une chemise réunissant quelques notes et une fiche biographique
établie par Madame Marie Madeleine Massé, documentaliste du Musée d’Orsay à l’occasion
d’une exposition consacrée à Hector Guimard en 1991-199299.
Nous sommes ainsi parvenus à la conclusion que Ange-Louis Trézel, dit Louis Trézel
est un maître verrier, également céramiste, contemporain d’Edmond Rostand. Une incertitude
persiste cependant quant à sa date exacte de naissance.
La date qui figure sur la demande de Légion d'honneur formulée par son père en 1912,
pour son fils récemment décédé, est celle du 23 décembre 1863. Or ce père dit que son fils est
décédé à l'âge de 44 ans, ce qui implique comme année de naissance 1868. On peut supposer
99
Guimard, Musée d’Orsay, 13 avril – 26 juillet 1992 et Musée des Arts décoratifs e
84
qu'il y a eu une erreur de transcription dans le dossier de demande de Légion d'honneur, « 3 »
inscrit à la place de « 8 ». Ceci est possible graphiquement, et comme Louis Trézel ne semble
pas avoir obtenu la Légion d'honneur à titre posthume100Les documents sont souvent fautifs
comme le prouve l'annuaire de Levallois qui propose lui une autre date de naissance...101
Les informations consciencieusement glanées dans les catalogues et notices ont abouti
à la rédaction d’une biographie sommaire de l’artiste.
Louis Trézel fait ses études au lycée Condorcet ; à dix-neuf ans il est engagé
volontaire avant de renoncer avec regret à cette carrière. Toutefois, il reste lieutenant de
réserve au deuxième régiment des zouaves, ce qui lui laisse du temps pour se consacrer en
parallèle à la peinture et à la décoration. Il est élève de Jules Lefèvbre, Boulanger, Cormon,
Carrier Belleuse et expose au Salon des Champs Élysées.
En 1895 il s’installe à Levallois Perret dans l’actuelle rue Trézel. Il y propose des
« vitraux artistiques pour églises et appartements ». En 1900 il est élu conseiller général du
canton.
Son esprit de recherche le pousse à appliquer sa science de la peinture aux vitraux. Il
fait la découverte des émaux translucides, une technique moderne dont il dote la discipline. Il
est récompensé pour cette création et le sera également pour un bon nombre de ses
créations.102
On recense une vingtaine de commandes exécutées par Louis Trézel, principalement
pour des magasins et restaurants, mais aussi pour des édifices religieux, et sans compter les
commandes privées.xx
c. Le vitrail
S’il est désormais possible d’attribuer le vitrail de la bibliothèque à Louis Trézel, en
revanche les origines de la commande restent floues. Certes, Edmond Rostand évoque son
désir de faire installer un « oculus » dans la bibliothèque dans une lettre adressée à son
100
Cette recherche a été effectuée par Marie-Madeleine Massé ; elle nous a fait part de ses conclusions lors
d’une prise de contact par e-mail.
101
Le 17 novembre 1873
102
médaille d’argent avec félicitations du jury à Marseille en 1898 – médaille d’argent à l’exposition Universelle
de 1900 – médaille d’or à l’exposition internationale de Liège en 1905– récompense au salon franco-britannique
de 1908 – grand prix à l’exposition internationale de Turin en 1911.
85
architecte en 1903103, mais aucun autre document ne témoigne ensuite de son choix pour
Trézel et aucune facture n’atteste de la réalisation du travail.
« J’avais parlé d’un « oculus » dans le mur au dessus de la cheminée, parce que je
craignais un manque de lumière méridionale et pensait qu’on aurait, par cette rosace, un
long rayon de soleil tombant au milieu de la bibliothèque, comme il en tombe par les rosaces
d’églises. Mais je crois que la lumière sera suffisante et ne veux rien troubler dans un
arrangement qui me semble irréprochable. »
Parmi nos hypothèses, nous évoquions Sarah Bernhardt comme lien possible entre les
deux hommes, mais on peut aussi imaginer qu’Edmond Rostand a découvert Louis Trézel à
l’Exposition Universelle de 1900 ou encore que c’est Joseph Albert Tournaire qui le lui a
conseillé comme il l’a fait pour beaucoup des artistes d’Arnaga. D’ailleurs sur l’un des
croquis que nous étudierons un peu plus bas, Edmond Rostand pose la question « Qui
pourrait faire ça ? » On pourrait même penser que l’architecte a déjà travaillé avec le maitre
verrier mais l’absence d’informations à propos des différents chantiers qu’il a coordonnés ne
permet pas d’appuyer cette idée.
Concernant l’aspect technique de ce vitrail, on constate qu’il a été réalisé en verre
moderne, plus précisément avec du verre américain. Les pièces employées présentent
principalement une surface ondulée ce qui donne à la composition beaucoup de relief. Avec
ce type de traitement, la lumière est diffusée dans différentes directions, créant des effets de
scintillement.
Le sujet du vitrail a été choisi par Edmond Rostand comme semble le suggérer les
différents croquis conservés dans les archives. Cela souligne une nouvelle fois
l’investissement total du poète. A partir de ces trois croquis, on peut reconstituer la pensée de
Rostand et, le premier étant dépourvu d’annotations, établir qu’il s’agit d’une première
ébauche. (Illustration N°83) On remarquera d’ailleurs qu’il ne correspond pas au vitrail
puisque deux personnages sont appuyés contre le tronc de l’arbre. On y reconnaît Eve qui
tend à Adam le fruit défendu, et on en conclut alors que nous sommes face à une
représentation de l’Arbre de la Connaissance ou Arbre de la science du Bien et du Mal. Sur
les deux autres croquis en revanche l’arbre seul occupe la composition ; la logique voudrait
103
Lettre adressée à Monsieur Tournaire en décembre 1903. A propos de la bibliothèque.
86
que l’on en déduise que le choix final s’est porté pour un arbre de vie. Mais la réalité est plus
compliquée et cette iconographie pose différents problèmes.
Tout d’abord, dans ses croquis Edmond Rostand précise qu’il s’agit pour lui d’un
arbre de la science du Bien et du Mal malgré l’absence d’Adam et d’Eve. (Illustration N°84)
Il n’y a pas on plus de serpent mais un chardon qui peut en effet être le symbole du mal.
Ensuite, le choix d’un sujet religieux pour un homme qui n’était absolument pas croyant
semble étrange.
Finalement, une réflexion attentive sur l’ensemble des décors de la villa nous porte à
penser qu’à travers cet arbre, Edmond Rostand n’a pas voulu faire de référence directe à La
Bible mais a souhaité exploiter ce symbole extrêmement puissant de la nature, thème qui lui
est si cher. En effet l’arbre renvoie à l’idée de cycle par le biais de ses feuilles dont il est
dépouillé et se recouvre chaque année ; cycle qui est aussi traité dans le vitrail du zodiaque
comme nous le verrons plus loin. L’arbre met aussi en relation les profondeurs de la terre
avec ses racines (bien visibles sur vitrail), sa surface par son tronc et la naissance de ses
branches et le ciel par ses branches supérieures et sa cime. Enfin il réunit les quatre éléments,
thématique également abordée avec les cartouches de Gaston Latouche dans la salle à
manger : « l’eau circule avec sa sève, la terre s’intègre à son corps par ses racines, l’air nourrit
ses feuilles et le feu jaillit de son frottement ».104
d. Henri-Camille Danger
Un dernier point est encore à éclaircir à propos de ce vitrail. Un quatrième document
est conservé et exposé au musée. Il s’agit d’une petite aquarelle qui serait comme une
réduction de carton. Qui en est l’auteur ? Nous indiquions en introduction à ce chapitre que le
vitrail est signé deux fois. Or nous n’avons parlé jusqu’à présent que de Louis Trézel. A coté
de sa signature il a ajouté « PINX », ce qui signifie que c’est bien lui qui a réalisé et peint le
vitrail, « pinx » étant une abréviation du latin « pinxit » dont la traduction est « a peint ». A la
suite de la seconde signature a été apposé « INV », abréviation latine de « invenit » traduit en
français par « a inventé ». On en déduit que H. Danger est celui qui a dessiné le carton du
vitrail, qui en a proposé la conception, c’est à dire qui a transcrit l’idée d’Edmond Rostand
avant d’en confier la réalisation à Louis Trézel. On peut alors supposer que la petite aquarelle
est de sa main. Reste à découvrir qui est ce H. Danger. (Illustration N°85) Et c’est dans le
104
Article « Arbre », Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Cheerbrandt, p.62.
87
Benezit que l’on trouve une proposition intéressante en la personne de Henri-Camille Danger,
peintre de genre et de paysages, né à Paris le 31 janvier 1857 et mort après 1937. Ce peintre a
notamment exécuté des cartons de tapisserie pour la Manufacture des Gobelins, information
qui va dans le sens de nos hypothèses.
Enfin, il faut noter que le quatrième croquis, sur papier coloré, nous apporte de
précieuses informations sur la commande de ce vitrail. (Illustration N°86) Le matériau que
nous pouvons aujourd’hui directement étudier est clairement indiqué : du verre américain. On
sait aussi que le vitrail devait arriver par la gare, entièrement monté, pour qu’il ne reste plus
qu’à l’installer et que son prix devait être compris entre cinq et six cents francs, en prenant en
compte la réalisation du carton.
2. Vitrail du studio des enfants : Cygne
Le vitrail du studio des enfants n’est pas signé. Néanmoins, son observation
simultanée avec celui de la bibliothèque révèle un traitement du verre identique, ainsi que des
coloris et des découpes similaires, laissant penser que le vitrail au cygne est également une
création de Louis Trézel. (Illustrations N°87 et 87bis)
Le cygne est présent à deux reprises dans les décors d’Arnaga puisque nous l’avons
déjà rencontré sur la toile d’Hélène Dufau, Les Cygnes Noirs. Sa symbolique est tout aussi
riche que celle de l’arbre. Une interprétation nous intéresse en particulier puisqu’il est dit que
le cygne est l’emblème « du poète inspiré, du pontife sacré, du druide habillé de blanc, du
barde nordique, etc. »105. Plus précisément, Victor Magnien106 associe le cygne à la force du
poète et de la poésie ; ce vitrail pourrait donc être la représentation du poète qu’était Edmond
Rostand. Mais le cygne est aussi lié à la lumière, or le vitrail n’est-il pas par définition une
merveilleuse composition qui joue avec la lumière reflétée de mille manières différentes selon
le travail du verre et sa couleur ?
105
Article « Cygne», Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Cheerbrandt, p.333.
Victor Magnine est un helléniste français (1879-1952) qui a travaillé sur les mystères d’Eleusis, culte grec lié
à Déméter et sa fille Perspéhone.
106
88
3. Vitrail du Grand Hall : signes du zodiaque
Ce troisième vitrail, le plus grand, est extrêmement peu documenté ce qui rend son
analyse difficile d’autant plus qu’il n’est pas signé et présente un style différent des deux
autres. (Illustration N°88)
Néanmoins, dans une lettre datée du 27 août 1903 à l’intention de Tournaire, Edmond
Rostand évoque son existence lorsqu’il exprime le souhait qu’une banquette y soit placée en
dessous.
« J’aurais bien aimé que dans la baie du hall où vous avez mis une étagère il y eut
plutôt une sorte de divan-trône, élevé de deux marches, dont le dossier rejoindrait le vitrail, et
qui serait très décoratif de sorte qu’intérieurement le vitrail auquel on donnerait des tons très
vifs, prendrait plutôt la forme d’un éventail que d’un four. »
Ce que cette lettre nous apporte indiscutablement, c’est le fait qu’Edmond Rostand ait
prévu dès l’origine de placer à cet endroit un vitrail. Edmond Rostand poursuit sa lettre le 28
août 1903 à la fin de laquelle monsieur Labat, son secrétaire ajoute quelques commentaires
concernant les dessins au crayon qui accompagnent le courrier.
« Vous verrez dans le dessin 2 comment il désirerait que fût le divan sous son éventail
verrière ; vous y verrez aussi que si, malgré l’auvent à l’espagnole qui est dans la façade,
vous pourrez ménager un œil de bœuf entre les deux cintres, M. Rostand n’y verrait aucun
inconvénient. »
Le thème de ce vitrail est le zodiaque. A priori ce thème est curieux dans le grand hall
d’Arnaga accompagné de La Joie de Vivre d’Henri Martin et de La Fête chez Thérèse de
Gaston Latouche. Pour le comprendre, il faut le replacer dans le vaste ensemble des décors de
la villa et le mettre en parallèle avec les cartouches de Gaston Latouche dans la salle à manger
et le vitrail de Trézel dans la bibliothèque. Dans ce sens, on ne comprend plus les signes du
zodiaque comme une étude astrologique mais comme une autre représentation cyclique, d’un
nouvel hommage aux saisons et à la nature : les douze signes étant associés au douze mois de
l’année.
Il existe un quatrième vitrail à Arnaga, qui prend place dans le hall d’entrée. Mais on
sait qu’il a été commandé après la vente de la villa en 1922.
89
C. Boiseries
a. Portes des archives
Un seul document nous permet d’établir que les portes des archives ont été peintes par
Edmond Rostand. Elles ne présentent en effet aucune signature, nous n’avons retrouvé aucun
dessin préparatoire, et jusqu’à ce jour aucune étude n’a été réalisée afin de déterminer s’il est
possible d’y reconnaître la manière du poète.
Néanmoins, Paul Faure, qui fut l’ami d’Edmond Rostand, et surtout le premier
« conservateur » du musée, a adressé à Monsieur le Maire de Cambo un petit carnet à spirales,
bleu. Il est signé et daté une première fois du 22 mars 1962, puis complété le 20 novembre
1963. Ces quelques pages de la main de Paul Faure sont très précieuses concernant ces portes
d’archives. (Illustrations N°89, 89bis et N°90)
En effet, à la page qu’il a numérotée « 5 », il indique que la porte du petit vestibule du
rez-de-chaussée, qui se trouve derrière la bibliothèque, a été peinte en rouge et or par Rostand.
C’est donc le seul élément permettant d’attribuer le décor de ces portes à Rostand lui-même.
Concernant l’iconographie, on peut imaginer qu’il s’est inspiré des laques de
Coromandel que lui avait offert son beau frère Monsieur de Marjorie, et qui jouxtaient le
vestibule puisqu’elles étaient placées dans le fumoir, pièce à laquelle on pouvait accéder par
la porte du fond et qui sert aujourd’hui de porte de placard. Plus généralement, les
chinoiseries sont à la mode à cette époque. (Illustrations N°91, 92 et 93)
90
CONCLUSION
A travers ce mémoire nous avons présenté l’ensemble des décors de la villa Arnaga,
demeure d’Edmond Rostand de 1903 à 1918. Nous avons étudié à la fois les peintures et les
vitraux ainsi que quelques céramiques peintes. Notre travail nous a permis de découvrir la
grande richesse de ces décors à travers des artistes hétéroclites qui ont évolué au début du
XXème siècle. Malgré la diversité de leurs styles, nous nous sommes aperçus que les peintres
d’Arnaga avaient en commun leur notoriété, qui, bien que n’étant pas celle d’un Monet ou
d’un Puvis de Chavannes, rayonnait au moins dans les salons parisiens.
Nous nous posions la question de savoir comment Edmond Rostand avait choisi les
artistes à qui il a confié la tâche de décorer sa villa. Nous avons constaté que l’un des critères
du poète a probablement été cette reconnaissance officielle et qu’il les a, pour la plupart,
découverts dans ces salons. Il semble qu’il ait aussi énormément fait confiance à son
architecte. C’est ainsi que Jean Veber a obtenu la commande du boudoir de Rosemonde.
Joseph Albert Tournaire avait d’ailleurs peut être déjà travaillé avec certains d’entre eux sur
des chantiers antérieurs. Nous avons enfin émis l’hypothèse que certains des amis d’Edmond
Rostand ont pu être un intermédiaire entre lui et les artistes ; c’est ce que nous imaginions
pour Louis Trézel.
L’autre caractéristique commune à tous ces artistes est l’exécution, pour Arnaga, de
grands cycles décoratifs comme c’est notamment le cas de Gaston Latouche, Jean Veber et
Georges Delaw. Par ailleurs, ces peintures sont étroitement liées à la littérature, les Contes de
Perrault, Les contes de Madame Aulnoy, Les Contemplations de Victor Hugo, Les Chansons
populaires françaises. Hélène Dufau et Henri Martin ne respectent pas cette règle mais en
choisissant de traiter le thème de la nature ils se rattachent d’une autre manière aux autres
artistes ayant œuvré à Arnaga puisque cette thématique est reprise par Gaston Latouche,
Henry Caro-Delvaille et Louis Trézel.
Finalement, ce qui ressort de cette étude c’est que Arnaga joue sur les contrastes, la
diversité et les oppositions pour parvenir à créer son unité propre. Rappelons en effet que la
91
villa offre une façade de type néo-basque, bien ancrée dans la tradition régionale, tandis que
les jardins présentent une typologie beaucoup plus classique, imitant les incontournables
jardins à la française et à l’anglaise. Bien entendu cela provoque une sorte d’anachronisme
entre ces genres tellement différents, mais le contraste le plus saisissant se fait lorsque l’on
franchit la porte d’entrée. Pour toutes ces peintures, ce sont les toiles marouflées qui ont été
privilégiées pour qu’elles puissent s’intégrer parfaitement à leur support mural et donner
l’illusion de grandes fresques dans la tradition des hôtels particuliers. Pourtant, leur grande
diversité et leurs coloris très présents, peuvent déconcerter, rendre difficile l’attribution à un
style en particulier et surtout créer le sentiment d’un certain « mauvais goût ».
Heureusement, l'harmonie se fait grâce à tous ces dénominateurs communs que sont
ces mêmes couleurs (le rouge ressort plus que tout chez Jean Veber et Gaston Latouche), les
thèmes traités, mais aussi une véritable élégance que l’on doit au fait que chaque détail à été
entièrement pensé. En définitive, on peut définir ces décors comme étant un peu artificiels,
théâtraux, dans l’esprit de l’œuvre littéraire d’Edmond Rostand. C’est l’éclectisme de ces
décors, dont certains sont l’œuvre de peintres originaires de la région et d’autres sont réalisés
par des parisiens, mais toujours plus ou moins en accord avec l’iconographie locale (un peu
comme l’architecture d’Arnaga qui est une ferme basque entièrement réinterprétée), qui
contribue à définir un « style Arnaga ».
On est clairement dans un mélange de la demeure parisienne mondaine imprégnée par
le style d’une époque et sa modernité et de l’habitation traditionnelle basque qui illustre le
caractère d’un homme d’écriture à l’imagination fertile, aux désirs les plus inventifs et aux
exigences les plus invraisemblables.
C’est ce qui nous fait dire qu’Arnaga est l’œuvre d’Edmond Rostand sans doute la
plus aboutie, un chef d’œuvre au même titre que Cyrano de Bergerac, L’Aiglon et Chantecler.
Ces conclusions sont malheureusement tirées à partir d’une présentation qui ne peut
être exhaustive dans le cadre d’un travail de mémoire de master. Si les recherches qui ont été
engagées ont permis d’améliorer nos connaissances sur la demeure, elles ont aussi ouvert des
pistes qui restent actuellement inexplorées essentiellement par manque de temps. Ainsi, nous
avons découvert Louis Trézel et nous lui avons attribué au moins l’un des trois vitraux de la
villa, mais en ce qui concerne les deux autres c’est l’intervention de spécialistes du vitrail qui
92
serait nécessaire à leur authentification. Par ailleurs, le manque d’informations nous a obligé à
rester vague à propos du vitrail du Zodiaque ; on peut donc se poser une quantité de questions
même si elles doivent encore rester sans réponse pendant un certain temps. Il s’agit peut-être
d’une commande d’Edmond Rostand antérieure à Arnaga, dans ce cas, cela expliquerait que
le sujet ne nous paraisse pas en parfaite adéquation avec l’ensemble des décors du grand hall.
On peut aussi imaginer que si le style de ce vitrail est si différent des deux autres c’est tout
simplement parce que c’est le sujet lui-même qui implique un traitement plus classique. On
renvoie une nouvelle fois cette question aux spécialistes.
Bien d’autres éléments de décors restent encore à travailler. Il serait en particulier
intéressant de pouvoir retrouver d’autres photographies de la salle à manger pour nous
permettre d’étudier les deux autres cartouches d’Henry Caro-Delvaille dont on ne sait rien.
Enfin on aurait pu développer une quatrième partie en traitant des décors secondaires de la
villa et qui comprennent les laques de Coromandel du fumoir, la toile de Jouy de la chambre
rouge du premier étage ainsi que celle de la petite chambre d’Edmond Rostand (qui était
violente est qui a aujourd’hui disparue), la tapisserie de la garde-robe de Rosemonde, le
linteau sculpté de la cheminée de la bibliothèque et bien entendu, la peinture qui remplace
désormais La Joie de Vivre de Henri Martin et pour laquelle il n’y a aucune information
connue.
93
ANNEXES
i
« [...] En ouvrant le premier volume de Bergerac, où se voit son portrait en taille douce, la
dimension gigantesque et la forme singulière de son nez m'ont tellement sauté aux yeux que je
m'y suis arrêté plus longtemps que la chose ne valait, et que je me suis laissé aller à ces
profondes réflexions que l'on vient de lire et à beaucoup d'autres dont je fais grâce au lecteur.
Ce nez invraisemblable se prélasse dans une figure de trois-quarts dont il couvre entièrement
le petit côté ; il forme, sur le milieu, une montagne qui me paraît devoir être, après
l'Himalaya, la plus haute montagne du monde ; puis il se précipite vers la bouche, qu'il
obombre largement, comme une trompe de tapir ou un rostre d'oiseau de proie ; tout à fait à
l'extrémité, il est séparé en deux portions par un filet assez semblable, quoique plus prononcé,
au sillon qui coupe la lèvre de cerise d'Anne d'Autriche, la blanche reine aux longues mains
d'ivoire. Cela fait comme deux nez distincts dans une même face, ce qui est trop pour la
coutume. »
Théophile Gautier, Les Grotesques, VI (extrait), 1844
ii
Le Docteur Jacques Joseph Grancher, Professeur de Clinique à la Faculté de Paris,
membre de l’Académie de Médecine, collaborateur de Pasteur, était à la fin du XIXème siècle
un grand nom de la médecine.
Né le 29 Septembre 1843 à Felletin dans la Creuse, fils unique d’un foyer modeste de
tailleur, il est choyé par sa mère à cause de sa santé délicate.
Malgré de difficiles conditions matérielles, il fait à Paris ses études de médecine qu’il
réussit brillamment. Interne des hôpitaux en 1867, il devient vite et successivement chef de
clinique, premier de la promotion des médecins des hôpitaux -, puis agrégé de médecine en
1875, alors qu’il n’a que 32 ans.
Sa notoriété grandit rapidement avec les travaux qu’il mène sur la tuberculose et le 15
mai 1885, il est nommé titulaire de la Chaire des Maladies des enfants qu’il occupera jusqu’à
sa mort en 1907.
94
En 1892, il vient soigner à Cambo une grave pneumonie. De 1896 à 1900 il est élu
maire de sa nouvelle commune d’adoption et fait construire en 1897 sa villa Rosaenia en
hommage à son épouse Rosa.
iii
Biographie Joseph Albert Tournaire (1862-1958).
Il est né à Nice. Il débute sa carrière dans la région mais se rend dès 1879 à Paris où il étudie
dans l’atelier André. Trois années plus tard, il a à peine 20 ans et obtient déjà un second prix
de Rome. En 1888, il obtient son Grand Prix avec pour thème, un Parlement.
A l’exposition de 1900, il présente maquettes, moulages et dessins, ce qui lui vaut un Grand
Prix, puis en 1901, la Médaille d’Honneur du Salon. Très apprécié, il réalise plusieurs édifices
administratifs pour la ville de Paris, sans compter les immeubles de rapports et ses chantiers
provinciaux. La villa Arnaga est reconnue comme étant son morceau de bravoure.
Tout autant que son travail, on apprécie ses qualités personnelles. C’est ce qui le fait élire
membre de l’Institut en 1919, Président de la Société Centrale des Architectes en 1925-1927
et Président de la Société des Artistes Français en 1939. En 1947, il reçoit la plaque de Grand
Officier de la Légion d’Honneur.
95
iv
Lettre d’Edmond Rostand à Joseph Albert Tournaire le 27 février 1914 à propos de
grands changements dans la villa.
v
Lettre d’Edmond Rostand à Tournaire accompagné de petits croquis explicatifs.
vi
Extrait d’une lettre d’Edmond Rostand à Tournaire rédigée par Rosemonde Gérard, à
propos des baies du grand hall.
Note de Louis Labat à la fin d’une lettre de Rostand à son architecte, toujours à propos
des arcs surbaissés des fenêtres du grand hall + croquis.
vii
Poème d’Edmond Rostand dédié à Gaston La Touche en introduction au
catalogue des œuvres exposées par le peintre aux galeries Georges Petit en 1908 :
La Touche
Voici l’artiste de race
Et de grâce
Qui, tel sa pomme un pommier,
Fait, quand le soleil le touche,
Du La Touche…
Et même en fit le premier.
Voici les treilles que cintre
Ce beau peintre
Au dessus d’aimables fronts ;
Voici du rêve, et des fêtes
96
Plus parfaites
Que celles que nous offrons ;
Voici le rouge carrosse
Qu’il nous brosse,
Et, dans l’eau se reflétant,
La fusée ombellifère
Qu’il sait faire
Eclater sur un étang ;
Voici les globes orange
Qu’il arrange
Dans le bleu de la forêt,
Et la chandelle romaine
Qu’il emmène
Bien plus haut qu’elle n’irait ;
Voici cette fantaisie
Cramoisie ;
Et, sous un ciel de linon,
Ce voluptueux royaume
Peint en chrome
Et qui portera son nom ;
Voici tous les bergamasques
Près des vasques,
Et voici, voici, voici
Pierrot, le Singe, Le Faune,
Blanc, noir, jaune,
Grimace, rire et souci ;
Voici la cage éternelle
De cette aile
Qui revient… d’où ? l’on ne sait ;
Et voici la marche rose
Où se pose
Le pied d’un vers de Musset !
Il y a près des fontaines,
Des mitaines,
Et, sur la mousse, il y a
Des souliers dont la bouffette
Semble faite
Avec un Camélia.
Il y a la fleur vermeille
Sur l’oreille,
Sur le cou le velours noir,
Et sur les dents qu’on voit luire
97
Le sourire
Qui n’ôte pas tout espoir.
C’est comme un anachronique
Pique-nique
Où l’on verrait Camargo
Se faire porter en chaise
Chez Thérèse
Pour souper avec Hugo.
Ses sapajous peu novices
Sous leurs vices
Ont une âme qui rêva :
On sent qu’ils ont, ces macaques,
Lu Jean-Jacques
Autant que Casanova.
Le regard d’une Isabelle
Nous révèle
Que si, triste et grimaçant,
L’amoureux descend des singes,
C’est des sphinges
Que l’amoureuse descend.
Mais, plus loin – car ce La Touche
Qui nous touche
En montrant l’arbre et le nid
Peint l’amour, de la romance
Qui commence
Jusqu’au berceau qui finit,Plus loin, dans des blancheurs pures
De guipures
Et de doux linge bouffant,
Un regard de jeune mère
Enumère
Les beautés d’un bel enfant.
***
C’est le peintre aristocrate
Dont la patte
Trouve sans avoir cherché
Et peint sous une manchette
Qui s’achète
Bien meilleur qu’au Bon Marché.
C’est aussi l’artiste brusque
Qui s’embusque
98
L’œil clair sous un chapeau mou,
Pour peindre un coin de campagne,
Une Espagne,
Ou son jardin de Saint-Cloud.
Il prend, de cet œil vorace,
La terrasse
Où s’effrite un Coysevox,
Des peupliers dans la brise,
L’eau, Venise…
Il prend tout ! une ombre, un phlox,
Le cœur d’un jour, l’âme d’une
Nuit de lune !
Et si ce peintre est charmant,
C’est qu’il a l’inquiétude
Et l’étude,
La souplesse et le tourment.
Au moment qu’il portraicture
La Nature
Comme il veut changer encor,
Il laisse le paysage,
Ce visage,
Pour ce masque, le décor.
Alors il peint des balustres
Et des lustres,
Et, Cazin de l’Opéra,
S’il place au coin de sa toile
Une étoile,
Zambelli la posera.
Il est certain que la Muse
Dont il use
N’est pas une virago :
Elle est blonde et sensuelle
Comme celle
De notre divin Figaro.
Peins, La Touche, les attentes
Palpitantes
Et le bleu des soirs sournois ;
Que ton chimpanzé s’occupe
D’une jupe
Plus que de croquer des noix !
Fais sortir le Capripède
Du bois tiède ;
99
Donne à cet écornifleur
Bon goûter, bonne sieste
Et le reste,
Sous les marronniers en fleur !
Peins l’Automne ! Et que Septembre
De son ambre
Charge ta palette encor !
Et qu’Octobre qui titube
T’offre un tube
Gonflé de son plus bel or !
De l’époque lourde et vile,
Tel Banville,
Allège nous le fardeau !
Grand devoir que tu t’assignes :
Peins des cygnes,
Des bras nus et des jets d’eau !
Dans ces bassins de Versailles
Dont tressaille
Le cœur d’Henri Régnier,
Ecartant la feuille morte
Que l’eau porte,
Fais les nymphes se baigner !
Et toujours allégoriste
Qui n’est triste
Que sous un voile d’humour,
Fais sentir, même en tes fresques
Simiesques,
Ta tendresse pour l’amour !
Reprends pour nous le vieux thème
Du : « Je t’aime ! »
Mais en lui superposant
Les caprices virtuoses
Que tu oses
Sur les modes d’à présent !
Lorsque pour tes Cydalises
Tu stylises
L’auto qui court les chemins,
Montre sur la couverture
De fourrure
Comment se prennent deux mains !
Et que toujours on remarque
Dans ta barque
100
Ou ton carrosse d’or clair,
Comment s’incline une tête
De poète
Sur une épaule de chair ;
Et que toujours, par ta grâce,
Lorsque passe
La berline ou le bateau,
On entende au loin l’haleine
De Verlaine
Dans la flûte de Watteau !
Cambo, 12 mai 1908.
viii
Georges Delaw illustre plusieurs chansons sur des harmonies de Gabriel Pierné. Les livres
illustrés, aux éditions Sporck, sont sur le thème des chansons de jeux et rondes enfantines et
sur celui des chansons de France.
*Voyez comme on danse, 1902, avec en préface un poème de Rosemonde Gérard
*Sonnez les Matines ! 1904, préfacé par Rosemonde Gérard
Ces deux exemplaires sont conservés dans les archives d’Arnaga.
*Gai ! Gai ! Marions-nous ! 1906, préfacé par Rosemonde Gérard.
(+ Contes de Perrault, préface de Mme Ed. Rostand, Sporck, 1910.
Couverture en couleurs + 71 dessins en couleurs.)
101
ix
Victor Hugo, « La fête chez Thérèse » in Les contemplations, Aurore, Livre Ier, XXII,
1856.
La chose fut exquise et fort bien ordonnée.
C’était au mois d’avril, et dans une journée
Si douce, qu’on eût dit qu’amour l’eût faite exprès.
Thérèse la duchesse à qui je donnerais,
Si j’étais roi, Paris, si j’étais Dieu, le monde,
Quand elle ne serait que Thérèse la blonde ;
Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant,
Nous avait conviés dans son jardin charmant.
On était peu nombreux. Le choix faisait la fête.
Nous étions tous ensemble et chacun tête à tête.
Des couples pas à pas erraient de tous côtés.
C’étaient les fiers seigneurs et les rares beautés,
Les Amyntas rêvant auprès des Léonores,
Les marquises riant avec les monsignores ;
Et l’on voyait rôder dans les grands escaliers
Un nain qui dérobait leur bourse aux cavaliers.
A midi, le spectacle avec la mélodie.
Pourquoi jouer Plautus la nuit ? La comédie
Est une belle fille, et rit mieux au grand jour.
Or, on avait bâti, comme un temple d’amour,
Près d’un bassin dans l’ombre habité par un cygne,
Un théâtre en treillage où grimpait une vigne.
Un cintre à claire-voie en anse de panier,
Cage verte où sifflait un bouvreuil prisonnier,
Couvrait toute la scène, et, sur leurs gorges blanches,
Les actrices sentaient errer l’ombre des branches.
On entendait au loin de magiques accords ;
Et, tout en haut, sortant de la frise à mi-corps,
Pour attirer la foule aux lazzis qu’il répète,
Le blanc Pulcinella sonnait de la trompette.
Deux faunes soutenaient le manteau d’Arlequin ;
Trivelin leur riait au nez comme un faquin.
Parmi les ornements sculptés dans le treillage,
Colombine dormait dans un gros coquillage,
Et, quand elle montrait son sein et ses bras nus,
On eût cru voir la conque, et l’on eût dit Vénus.
Le seigneur Pantalon, dans une niche, à droite,
Vendait des limons doux sur une table étroite,
Et criait par instants : "Seigneurs, l’homme est divin.
Dieu n’avait fait que l’eau, mais l’homme a fait le vin !"
Scaramouche en un coin harcelait de sa batte
Le tragique Alcantor, suivi du triste Arbate ;
102
Crispin, vêtu de noir, jouait de l’éventail ;
Perché, jambe pendante, au sommet du portail,
Carlino se penchait, écoutant les aubades,
Et son pied ébauchait de rêveuses gambades.
Le soleil tenait lieu de lustre ; la saison
Avait brodé de fleurs un immense gazon,
Vert tapis déroulé sous maint groupe folâtre.
Rangés des deux côtés de l’agreste théâtre,
Les vrais arbres du parc, les sorbiers, les lilas,
Les ébéniers qu’avril charge de falbalas,
De leur sève embaumée exhalant les délices,
Semblaient se divertir à faire les coulisses,
Et, pour nous voir, ouvrant leurs fleurs comme des yeux,
Joignaient aux violons leur murmure joyeux ;
Si bien qu’à ce concert gracieux et classique,
La nature mêlait un peu de sa musique.
Tout nous charmait, les bois, le jour serein, l’air pur,
Les femmes tout amour, et le ciel tout azur.
Pour la pièce, elle était fort bonne, quoique ancienne.
C’était, nonchalamment assis sur l’avant-scène,
Pierrot, qui haranguait, dans un grave entretien,
Un singe timbalier à cheval sur un chien :
Rien de plus. C’était simple et beau. - Par intervalles,
Le singe faisait rage et cognait ses timbales ;
Puis Pierrot répliquait. - Ecoutait qui voulait.
L’un faisait apporter des glaces au valet ;
L’autre, galant drapé d’une cape fantasque,
Parlait bas à sa dame en lui nouant son masque ;
Trois marquis attablés chantaient une chanson ;
Thérèse était assise à l’ombre d’un buisson :
Les roses pâlissaient à côté de sa joue,
Et, la voyant si belle, un paon faisait la roue.
Moi, j’écoutais, pensif, un profane couplet
Que fredonnait dans l’ombre un abbé violet.
La nuit vint, tout se tut ; les flambeaux s’éteignirent ;
Dans les bois assombris les sources se plaignirent ;
Le rossignol, caché dans son nid ténébreux,
Chanta comme un poète et comme un amoureux.
Chacun se dispersa sous les profonds feuillages ;
Les folles en riant entraînèrent les sages ;
L’amante s’en alla dans l’ombre avec l’amant ;
Et, troublés comme on l’est en songe, vaguement,
Ils sentaient par degrés se mêler à leur âme,
A leurs discours secrets, à leurs regards de flamme ;
103
A leur coeur, à leurs sens, à leur molle raison,
Le clair de lune bleu qui baignait l’horizon.
x
Carnet laissé par Paul Faure à l’intention de Monsieur le Maire de Cambo en 1963.
xi
1983 : Proposition des toiles de Veber au conservateur d’Arnaga et réponse du
conservateur.
xii
1993 : Lettre de Monsieur Sargos au conservateur d’Arnaga, Monsieur Poupel, à
propos d’une nouvelle vente des toiles de Veber.
xiii
Lettre d’Edmond Rostand à Joseph Albert Tournaire. Cambo le jeudi 20 avril 1905.
A propos de Veber.
« Je l’ai remercié de l’envoi d’une photographie de son panneau, qui m’a paru charmant. Mais
je vous prie encore de faire un prix avec lui, car je ne veux pas traiter cela moi-même et les
protestations qu’il n’en veut pas faire une affaire d’argent me gênent beaucoup. Puisque c’est
vous qui avez eu l’idée de vous adresser à lui, qu’il est votre ami, que vous surveillez le
travail, c’est à vous de l’estimer. »
104
Lettre de Jean Veber à J.A. Tournaire.
Mon cher ami,
Je suis contrarié que tu aies pris la peine de me faire apporter mes deux petites
esquisses. J’aurais facilement été les chercher un de ces jours chez toi. Et ma femme m’ayant
dit que Madame Tournaire avait fait l’honneur de son salon à la petite aquarelle, je me
proposais de lui demander de bien vouloir l’y laisser.
Je me permettrai donc cette petite démarche un peu plus tard quand j’aurais utilisé
certains détails retrouvés dans cette esquisse et je souhaite très vivement que Madame
Tournaire y fasse bon accueil.
Depuis que je t’ai vu je me suis mis à ma petite frise. J’y travaille d’arrache pied car je
voudrais qu’on en puisse jouir dès le début de l’emménagement. J’espère que d’ici huit jours
le panneau sera couvert. Il restera à le terminer. C’est un des panneaux de 5m. J’y est
représenté « L’Oiseau bleu », « Riquet à la houppe » et « Gracieuse et Percinet ». On y verra
l’enchanteur Merlin et son char de grenouilles et Percinet sera vêtu de mon plus beau vert
ainsi qu’il est (prescrit ?).
C’est un travail délicieux et rarement j’ai eu autant de plaisir à peindre les scènes
(ingénues ?) et somptueuses. Je te suis bien reconnaissant de m’en avoir donné l’occasion. Je
ne puis hélas répondre du résultat ce serait trop de présomption mais du moins je suis assuré
de saisir toute l’importance de cette petite décoration et son exceptionnel intérêt.
Je n’ai parlé à personne de ces peintures mais on m’en félicite déjà !
Je n’ai pas non plus écrit à Rostand car tu m’en paraissais pas très partisan. Cela
pourra se faire, je pense, plus utilement dans quelque temps en lui envoyant une photo de ce
qu’il y aura de fait pour avoir son avis.
J’espère que tu auras l’amitié de venir me donner le tien prochainement. Dans une
huitaine de jours j’espère qu’on commencera à voir quelque chose à ce premier panneau.
Jean Veber
21 fév. 1905
105
Mon cher ami,
Je suis encore tout au plaisir de la triple visite que j’ai reçue hier. Je ne sais si Rostand
en conserve un aussi bon souvenir, pour moi j’ai été bien sensible à sa bonne grâce à tous ces
avis qu’il donnait avec une si délicate retenue. Je vois qu’il prête une grande importance à
mes peintures et j’en suis très flatté. Que dans un aussi court séjour que celui qu’il fait à Paris
il soit venu passer une heure dans mon atelier, voilà la preuve d’une rare estime.
Une seule chose m’inquiète maintenant, c’est le temps. Le panneau que tu as vu sur le
chevalet sera fini dans une quinzaine de jours. Mais les deux autres ! Arriverai-je pour
septembre ?
Je vais bien faire tout le possible pour cela quitte à emporter le dernier à moitié
esquissé pour le terminer à loisir sur place.
Jamais je crois que je n’aurais de client plus aimable, ni de travail plus amusant.
Présente, je te prie, mes biens respectueux hommages à Madame Tournaire et crois
moi ton dévoué.
Jean Veber
P.S. : Après c’est à H… qu’il faudra bâtir une maison.
xiv
106
Devis remis le 31 août 1905 à Monsieur A.Tournaire, architecte à paris pour travaux à
exécuter chez Monsieur Rostand à Cambo. F Perret et Fils.
F.Perret et fils, tapissiers – décorateurs. 1, rue Marengo, Bayonne. Reproduction de meubles
anciens.
1 table à coiffer suivant croquis n°1, bois de citronnier plaqué vernis avec filet d’amarante,
poignées façon vermeil glaces biseautées et dans les écoinçons de ces glaces des ampoules
électriques dépolies. 695 frs.
1 table à écrire assortie se plaçant à gauche de la cheminée, ayant, au dessus, à droite, des
rayons pour livres ; à gauche, une petite armoire ; au centre et dans le fond un panneau en
velours pour recevoir des miniatures. 415 frs.
1 lavabo assorti dessus marbre vert épais, cuvette à renversement crème et or, recouvert de
faïence proportionné. 575 frs.
1 étagère glace au dessus avec quatre consoles façon vermeil. 110 frs
1 miroir assorti extérieur rectangulaire intérieur ovale glace biseautée avec quatre ampoules
électriques. 150 frs.
Mémoires des travaux et fournitures exécutés à Arnaga par F.Perret et Fils pour le
compte de Monsieur Edmond Rostand. Bayonne le 21 décembre 1909.
Annotation au crayon à papier : le 29 novembre 1913, M. Perret a été réglé par le …… pour
solde de tous mémoires à cette date.
1 pendule sur la cheminée. 14 frs.
1 couronne roses en bois sculpté entourant cette pendule. Ajustage et pose, percé le bois et fait
dans le mur un trou avec difficulté. 70 frs + 17 frs.
1 canapé érable avec marqueterie avec matelas. 650 frs.
1 chiffonnier assorti. 550 frs.
2 chaises érable et marqueterie. 2 x 120 ; 240 frs.
Réapplication d’un voile dentelle pour dessus de table. 187 frs.
xv
-N°43, Cendrillon, aquarelle signée et encadrée, 1919, 23*49cm. 1ère esquisse d’un
carton de tapisserie conservée au Musée des Gobelins.
107
-N°97, Château de la Belle au Bois Dormant, aquarelle encadrée, 25*32cm.
-N°106, Esquisse aquarellée de la Belle au Bois Dormant pour un carton de la
Manufacture des Gobelins, encadrée, 22,5*50cm.
-N°165, L’Oiseau Bleu, projet d’écran, toile encadrée, 80*64cm.
On peut aussi noter que le travail de Jean Veber à Arnaga auprès d’Edmond Rostand lui a très
probablement inspiré plusieurs de ses sujets (passés également en vente chez Drouot aux
mêmes dates) :
-N°87, La poétesse (Rosemonde Gérard ?), vers 1905 et une esquisse, 46*55cm,
signées.
-N°86, Cyrano de Bergerac, esquisse aquarellée, 30*38cm.
-N°87, Cyrano, aquarelle rehaussée d’argent, signée et datée de 1896, encadrée,
43*29cm.
-N°91, Personnages d’Edmond Rostand, encre de chine aquarellée, 45*63cm.
-N°124, Edmond Rostand et Chantecler, panneau, encadré et signé, 35*27cm.
xvi
Correspondance Edmond Rostand/Rosemonde Gérard.
[Luchon, 11 août 1888 ?]
Samedi matin
Et souffrez-vous de votre vilaine gorge ? – Je veux espérer que vous êtes debout, vaillante et
que vous vous apprêtez à sortir pour aller vers quelque chemin bleu de Pougues ? Avez-vous
des chemins bleus, là-bas ?…
Ici il y en a beaucoup. Il y a aussi des jolies routes blanches qui font des rubans dans la
campagne. Le soleil qui ne veut pas se cacher un seul jour fait des blagues dans les feuillages,
toutes sortes de petits miroitements, de poussières dorées, de jeux gamins de lumière… C'est
très décor, en ce moment, Luchon. Dans mes promenades à cheval, je vois des recoins
charmants, – bien entendu les recoins obscurs, ceux où il y a pas de perspective, de vue de
montagne, mais ou l'horizon est étréci, borné, où l'on est derrière des rideaux de feuillages. –
C'est très joli, mais je m'y ennuie. Et vous savez bien que les plus jolies choses ne procurent
aucun plaisir, si on ne peut pas le raconter, son plaisir, le partager, – et que cela m'est
absolument égal de trouver une chose jolie si je ne puis vous demander si vous la trouvez
jolie…
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De ma fenêtre ouverte j'aperçois un grand jardin fleuri, – celui de notre voisin l'horticulteur, –
un tas, un tas de roses… Et l'air est plein de mariages de papillons. Ils volent par deux, les
jolis papillons blancs et je les vois aller très loin, très loin, – et disparaître, sans jamais se
séparer…
Je lis les Contes de fées. C'est écrit avec une finesse extraordinaire, – pas du tout pour les
enfants. Le style est d'une sobriété, les détails d'un goût exquis. Une véritable merveille est
Riquet à la Houppe, – cette histoire d'un homme laid qu'une princesse belle comme le jour se
met à aimer, si bien qu'elle le voit beau, plus beau que tout. Il m'a plu beaucoup, ce conte, et
attendri… Du reste, comme je vous l'écrivais l'autre jour, beaucoup plus peut-être par ce que
j'y ai mis, que parce qu'il y a réellement.
Le joli temps que celui des fées !… Et quel malheur que nous n'y vivions pas !
J'aurais eu une marraine fée. Elle se serait appelée Rosemonde. La fée Rosemonde, – cela va à
ravir… Vous auriez une robe couleur du temps, une robe aurore, et des étoiles dans vos
cheveux… De vous j'obtiendrais tout ce que je voudrais, petite marraine… Et vous viendriez
ici prendre une citrouille de mon jardin pour m’en faire un carrosse, – avec lequel nous
rentrerions à Paris, pour voir Le Gant Rouge… Vous daigneriez aussi me donner un coup de
baguette, et je serais merveilleusement beau et spirituel, et plein de talent… Que c'est
dommage que vous ne soyez pas fée. Mais vous l'êtes et pouvez ce que vous voulez. Et votre
amitié est la baguette avec laquelle vous me transformerez, s'pas ?
Vous rappelez-vous des contes que je vous contais quand vous étiez malade ? C'était l'histoire
de la petite princesse Dodelinette, que j'écrirai un jour, tant son nom me plaît, – et il y avait le
prince Dodelino, et le prince aimait beaucoup Dodelinette et il la câlinait tant qu'il pouvait…
Et puis il arrivait un tas de choses, – jusqu'à Henri qui interrompait l'histoire pour aller boire
un verre… Mais quand je pus la terminer, je me souviens que la fin était charmante. Après
des aventures extraordinaires, – décidément, il faut qu'un jour je les écrive, – le roi Dodelino
arrivait à obtenir l'amour de sa belle, et Dodelino et Dodelinette jouissaient d'un bonheur
parfait. Ils n'avaient pas d'enfants.
Ce nom de DODELINETTE est tout simplement une petite merveille. C'est du génie, d'avoir
trouvé un nom aussi tendre, aussi câlin. Trouvez-vous pas ?
Je n'ai pas reçu le moindre petit Gant Rouge d'Henri.
Ce soir arrivent – HÉLAS ! – mon oncle et ma tante. Plaignez-moi profondément.
Mademoiselle Joujou est je crois définitivement dans la bonne voie. Elle commence tout de
suite par des impressions de cette petite personne. J'espère que ça va filer droit, maintenant.
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Ma pièce, – je ne sais si vous vous rappelez de son sujet, – la femme qui se trouve avoir
trompé son mari sans raison, – me paraît faire un très bon roman, genre Bourget. Étude à faire
de l'état d'âme de cette femme vivant près de son mari qu'elle adore, après avoir fait ça. Le
roman est tout fait. On en tirerait la pièce après, – et peut-être la ferait-on mieux. Votre avis,
s.v.p., madame la fée ?
Quant au travail de Perrault je commence à avoir les matériaux, les idées que je classe…
Soyez tranquille, ce sera fait.
Vient d'arriver le petit avocat toulousain, Monthieu , celui à mine de furet auquel vous avez
battu froid l'an passé. Aussi il ne parle pas de vous.
Vous ne voulez plus de raisins ? Étaient-ils bons ?
Je suis vraiment enchanté que vous ayez trouvé jolie cette petite machine que j'avais faite au
collège et qui avait si fort scandalisé le Père Directeur qui l'ayant lue voulait me mettre à la
porte : Dans l'antichambre. Il y a des petites retouches à faire ? Que vous seriez gentille de les
faire ! Et qui le peut mieux que vous qui avez l'instinct du théâtre !!
Savez-vous comment s'appelait la marraine de la princesse Peau d'Âne ? La Fée des Lilas…
Est-ce pas joli ?… Si je fais un conte jamais, il y aura aussi la Fée des Glycines.
Et un endroit que je trouve ravissant aussi c'est dans la Belle au bois dormant, – (quel conte
merveilleux!) l'arrivée furtive du prince Charmant au travers des grands appartement
endormis… Et savez-vous le premier mot que lui dit la belle endormie quand elle s'éveille.
Elle le regarde… « avec des yeux plus tendres qu'une première vue ne semblait le permettre
… » et tout simplement lui dit : « Est-ce vous, mon prince ?… vous vous êtes bien fait
attendre ?… »
J'ai idée que la première fois qu'on aime et qu'on trouve celle qui est la vraie, on doit avoir
cette impression de sortir d'un long sommeil, d'un sommeil où dormaient, inconscientes
encore, toutes les tendresses, – et que c'est ce mot tout simple et charmant qui doit vous venir
aux lèvres…
« Est-ce vous ? vous vous êtes bien fait attendre ?… »
Ah ! les contes de fées, quand on sait les lire, comme cela vaut mieux que toutes les choses
défraîchies qu'on nous sert aujourd'hui : quelle jeunesse embaumante cela a, et comme cela
nous amusera et nous charmera de les lire ensemble.
Figurez-vous que c'est même plein de petites gaillardises, dites avec une finesse remarquable,
– si bien qu'on ne les aperçoit qu'à la réflexion. C'est dit avec naïveté, comme un enfant dit
110
une chose un peu vive, sans la comprendre. Ou bien c'est une pointe de malice infiniment
bonhomme.
Je trouve ravissante cette petite phrase de La Belle au bois dormant encore… Ils se marient le
soir même du jour où elle s'est réveillée…
« Le grand aumônier les maria dans la chapelle du château et la dame d'honneur leur tira le
rideau.
Ils dormirent peu : la princesse n'en avait pas grand besoin… »
Je trouve cela très fin. Maintenant ce qui est extrêmement spirituel c'est ceci. Barbe-Bleue
retourne chez lui. Il ne demande pas tout de suite les clefs. Alors
« Sa femme fit tout ce qu'elle put pour lui témoigner qu'elle était ravie de ce prompt retour.
Le lendemain… »
N'est-ce pas que ce point à la ligne, avec le récit reprenant tranquillement sur ce simple mot :
le lendemain… est très fin, très fin, qu'il y a là un art très délicat. Si on lisait ça à haute voix
on pourrait faire un effet avec : le lendemain…
J'ai peur de vous ennuyer avec mes citations et mes appréciations. Chère petite amie, je fais
mon possible pour vous distraire, – et faut-il vous l'avouer, pour me distraire. En causant avec
vous de ces choses, j'espère arriver à me persuader qu'elles m'intéressent. Eh ! mon Dieu ! Le
fait est qu'elles prennent un intérêt pour moi, du moment que je vous en ai causé ! Tenez, ce
n'est que depuis que je vous ai parlé de ces contes de fées que mon travail sur eux m'intéresse,
et que des idées me sont venues.
Cela m'est infiniment, mais infiniment doux de tâcher de faire nos esprits se toucher un peu de
si loin. Je voudrais faire les mêmes lectures que vous : dites-moi quels livres vous avez lus
dernièrement. Les relisant après vous, je le ferai avec grand charme, car tout le temps je me
dirai : ceci lui a plu, – cela l'a touchée… Et je ne me tromperai pas. Quelle grande joie c'est
quand on sent sur une de ces menues impressions littéraires si fines, si fines, qu'on est
d'accord, – qu'on a bien la même sensibilité, qu'on est bien ensemble…
Ah ! quelle inépuisable, inépuisable source de joie, de jouissances rares, de bonheurs intimes,
nous avons dans nos affinités intellectuelles ; – quel bonheur c'est d'avoir une amie comme
vous, – qui sent, qui comprend, qui a les mêmes nerfs… le même goût.
111
Personne, personne de pareil à moi. Vous, vous seule. C'est là qu'est tout le secret, toute la
féerie qui fait qu'on ne s'ennuie jamais, réunis, – c'est là qu'est l'enchantement, plus délicieux,
allez, que tous ceux dont je lis l'histoire.
À vous, – et à Madame Lee, – répondez-moi vos impressions, vos conseils, vos avis, – le plus
tôt, s'pas ?
Edmond
xvii
Si nous vivions
Si nous vivions au temps bienheureux de Peau d’Âne,
De cendrillon, ou de la Belle aux cheveux d’or,
Du gentil Avenant qu’un roi jaloux condamne,
Et du Prince éveillant la princesse qui dort,
De perles, de rubis et de roses coiffée,
Portant des cheveux blonds derrière toi flottants
Comme un manteau soyeux, tu serais une féérie
Et ta robe aux longs plis serait couleur du temps.
Lors, tu me changerais d’un coup de baguette
En un prince Charmant, et me ferais cadeau
Pour que ton amoureux te fit honneur, coquette,
D’un justaucorps brodé tout de satin vert d’eau.
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Nous serions poursuivis par une Carabosse
Horrible, que rendrait jalouse ta beauté…
D’une citrouille, alors tu ferais un carrosse,
Et nous nous enfuirons dans ma principauté.
Ce serait loin, très loin, dans un pays de rêve
Où les fleurs seraient des étoiles au printemps ;
Nous vivrons, trouvant la vie encore trop brève,
Dans ce beau pays-là pendant plus de cent ans…
Et quand nous serions morts vivrait notre mémoire,
Nos deux noms resteraient de l’oubli triomphants,
Et l’on ferait sur nous une très belle histoire
Que l’on raconterait aux tous petits enfants…
Les mères-grand, pendant les soirs d’hivers moroses,
La disant devant l’âtre où détone le bois,
Après avoir tant fait mettre en rond les museaux roses,
Graves, commenceraient : « Il était une fois… »
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xviii
Lettre de Rostand à Tournaire à propos de la toile d’Henri Martin
xix
Post Scriptum d’Edmond Rostand à Tournaire à propos d’Henri Martin.
xx
Principales réalisations de Louis Trézel entre 1902 et 1912.
• Brasserie Julien, Paris : pâtes de verre représentant les Quatre Saisons.
• Brasserie Bouillon Racine : pâtes de verre et peut être vitraux
• Casino Municipal de Trouville sur Mer, Basse Normandie : verrière pour le hall d’entrée
• Magasin des Galeries Lafayettes, Paris
• Grande taverne rue Montmartre, Paris
• Parfumerie Lubin, Paris
• Maison Poiret, Paris
• Maison de Félix Potin, boulevard Malesherbes, Paris
• Brasserie Zimmer
• Maison Coilliot, Lille : portes vitrées émaillées d’un buffet monumental
114
• Eglise de Gennevilliers
• Eglise de la Chapelle
• Eglise d’Alice Sainte-Reine
• Eglise de Versailles
• Eglise Saint-Justin, Levallois-Perret
BIBLIOGRAPHIE
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Fond Tournaire : correspondance entre Joseph Albert Tournaire et Edmond Rostand
Fond Paul Faure : petit carnet bleu
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ROSTAND Edmond, Chantecler, Editions Flammarion, Paris, 1910
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Centre de documentation du Musée de l’Ecole de Nancy, Nancy
Centre de documentation du Musée de Montmartre, Paris
Monsieur Heymes : Musée de la Corbillère, Mer, Val de Loire
Monsieur Ribeton : Musée Basque, Bayonne
SITES INTERNET :
Catalogue de l’exposition sur la faïencerie à Choisy-le-Roi
http://www.ville-choisy-le-roi.fr/Download/Patrimoine/Expo_faiences_catalogue.pdf
Réseau européen de l’Art nouveau
http://www.artnouveau-net.eu/
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