Mémoire Les décors d`Arnaga par Marie Barace sans
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Mémoire Les décors d`Arnaga par Marie Barace sans
Université de Pau et des Pays de l’Adour UFR des Arts, Lettres, Langues, Sciences Sociales et Humaines 1ère année Master Culture et Société Spécialité Recherche Histoire de l’Art Les Décors d’Arnaga La Villa d’Edmond Rostand à Cambo-les-Bains _____________________ TOME I : MEMOIRE Présenté par Marie BARACE ___________ Sous la direction de M. le Professeur Dominique DUSSOL Année 2009-2010 1 REMERCIEMENTS A Monsieur le Professeur Dominique DUSSOL Professeur des Universités. Qui a accepté mon sujet et qui m’a fait entièrement confiance malgré la distance. Sincères remerciements pour m’avoir guidée dans l’élaboration de mon travail. A Madame Delphine TREBOSC Maître de conférence. Qui a lu, corrigé et finalement évalué ce mémoire lors de sa soutenance. … Merci d’avoir autant valorisé mon travail. A Mme Anne-Marie PONTACQ Adjointe à la culture de la ville de Cambo-les-Bains et responsable du musée jusqu’au mois de mai 2010. Qui m’a accueillie avec bienveillance au Musée Edmond Rostand et qui a fait preuve d’une grande disponibilité. Mes plus sincères remerciements. A M. Vincent BRU Maire de Cambo-les-Bains Sans qui ce mémoire n’aurait jamais existé s’il ne m’avait pas donné l’opportunité d’effectuer ce stage passionnant à Arnaga. … Merci. 2 A Mme Sophie LE PENNEC Agent du Patrimoine au Musée Arnaga Qui a été ma responsable de stage pendant trois mois et qui a partagé ses connaissances et son attachement à l’histoire de la famille Rostand. Mille mercis ! Grâce à toi Arnaga fait maintenant partie de ma vie ! A Paul PERROMAT Responsable du recollement des collections du musée jusqu’en juin 2009. Qui m’a donné les clefs pour exploiter les archives du musée... et qui a surtout, et toujours, été une oreille attentive. … Merci de m’avoir redonné confiance et d’être devenu un ami aussi important. A Antton LANNES Guide à Arnaga et étudiant en master valorisation des patrimoines et politiques culturelles territoriales à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour Qui a su me convaincre de m’accrocher à cette année de master et m’encourager dans le choix de mon sujet. … Merci ! A toute l’EQUIPE d’ARNAGA Pour leurs bons conseils et ces moments formidables passés dans le musée. ... Je ne les oublierai jamais ! A Mme Blandine OTTER Documentaliste au musée de l’Ecole de Nancy. Qui a pris le temps de m’aider dans mes recherches sur Henri-Camille Danger et a porté un regard objectif sur mon travail sur les vitraux. Et bien sûr : A mes parents, Qui ont toujours cru en moi et qui se sont « pliés en quatre » pour me faire parvenir tous les documents dont j’avais besoin alors que j’étais à Paris, parfois dans des 3 délais impossibles ! … Merci… Merci… Merci A mes amies, Alexandra et Noëlie et mes camarades de l’Ecole du Louvre Qui m’ont encouragée, soutenue et qui m’ont surtout beaucoup aidée en partageant leurs cours de l’Ecole lorsque j’étais à Cambo-les-Bains. … Merci les copines ! . 4 « C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière… » Chantecler, Acte II scène III 5 6 TABLE DES MATIERES Avant-Propos p.10 Introduction p.14 * Edmond Rostand, Sa Vie, Son Œuvre p.14 * Historique et présentation d’Arnaga. p.15 du projet, à la construction (inachevée) et au musée. Chapitre I : Un décor de rêve A. Un art de vivre p.22 p.22 1- Un projet ambitieux p.22 2. Confort et Modernité p.24 a. Régionalisme p.24 b. Esprit parisien p.24 3. Une œuvre d’art totale p.26 a. Inspiration Arts and Crafts p.26 b. L’art dans tout, l’Art nouveau p.27 c. Un projet envahissant p.29 B. Les peintres d’Arnaga p.29 1- Le choix des peintres p.29 2- Les Portraits peints de la Famille Rostand p.35 a. Eugène Pascau p.35 b. Hélène Dufau p.36 c. Henry Caro-Delvaille p.38 7 Chapitre II : Les peintures d’Arnaga A. Toiles en place 1- p.39 p.39 Gaston Latouche p.39 a. Grand Hall : La Fête chez Thérèse p.39 b. Cartouches Salle à manger p.42 2- Hélène Dufau p.44 a. Bibliothèque : Les Cygnes Noirs et L’Automne p.44 b. Médaillons escalier p.49 3- Georges Delaw a. Studio des enfants : chansons populaires B. Reproduction 1. Jean Veber : Salon des fées p.52 p.52 p.56 p.56 a. Restitution du décor d’origine p.56 b. Présentation p.57 c. Les contes de fées dans l’œuvre de Veber p.58 d. Analyse p.59 e. Interprétation p.76 C. Peintures déplacées ou disparues p.78 1. Henri Martin : La Joie de Vivre p.78 2. Henry Caro-Delvaille : cartouches salle à manger p.79 8 Chapitre III : Autres éléments de décor A. Céramiques p.80 p.80 1. Office p.81 2. Cuisine p.81 B. Vitraux 1. Bibliothèque : L’arbre de vie p.82 p.82 a. Recherches p.82 b. Louis Trézel p.83 c. Le vitrail p.84 d. Henri-Camille Danger p.86 2. Grand Hall : Les Signes du Zodiaque p.87 3. Studio des enfants : Le Cygne p.88 C. Boiseries : les portes des archives p.89 Conclusion. P.90 Annexes Bibliographie. 9 AVANT-PROPOS : J’ai (re)découvert la Villa Arnaga, Musée Edmond Rostand à Cambo-les-Bains, dans le cadre d’un stage effectué à mon initiative entre les mois de février et mai 2009. Ces quelques semaines se sont révélées extrêmement enrichissantes d’un point de vue professionnel, me permettant de découvrir les fonctionnements d’une structure muséale. J’y ai été initiée à la muséographie, à la visite guidée mais aussi au recollement des collections. Mon investissement est rapidement devenu une véritable passion transmise par une équipe bienveillante, elle-même très engagée dans le développement de ce musée classé Monument Historique depuis 1995 et faisant partie des Musées de France depuis 2001. Doté d’un budget plutôt limité, comme c’est le cas de beaucoup de petits musées, la villa Arnaga réalise tout de même entre 60.000 et 65.000 entrées par an1 et a la volonté d’offrir à ses visiteurs, locaux, touristes, scolaires, des visites toujours plus passionnantes. C’est ce qui m’a fait constater que peu d’études ont jusqu’ici été réalisées à propos de la demeure du poète. Deux principaux ouvrages sont actuellement disponibles. Le premier est un guide de la villa : Villa Arnaga, Musée Edmond Rostand, rédigé par Jean-Claude Lasserre, publié aux éditions « Le Festin » en 1997 et complété d’une édition revue et corrigée par Odile Contamin, ancienne conservatrice du musée de 2001 à 2007, paru en 2006. Le second, Petite Histoire d’Arnaga, La maison d’Edmond Rostand, est proposé par Michel Forrier également en 2006 aux éditions Pyrémonde. Tous deux proposent une biographie générale du poète ainsi que les grandes étapes de la construction de la villa. Le cœur de ces livres consiste en une découverte de la maison à travers une description des pièces majeures, ouvertes au public. En plus de ces travaux, on peut également citer les mémoires de Paul Faure, ami camboar d’Edmond Rostand qui a publié en 1928, Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand aux éditions Plon et qui permet d’enrichir ces informations par quelques anecdotes. Il faut encore ajouter plusieurs articles de presse rédigés du temps d’Edmond Rostand. La richesse de la Villa Edmond Rostand tient dans ses décors. En effet, le poète a consacré à sa construction les onze dernières années de sa vie et a voulu qu’elle soit le reflet 1 Source : Anne-Marie Chabrol, régisseur de la billetterie du musée. 10 de sa personnalité toute entière, une immense scène de théâtre sur laquelle la nature et à la poésie sont en perpétuelle représentation. Pour réaliser son projet, il a choisi six peintres, un (ou plusieurs) maître(s) verrier(s) et les plus grands ateliers de céramique, tous sous la direction de son architecte Joseph Albert Tournaire. Les six peintres, Georges Delaw, Gaston Latouche, Henri Martin, Hélène Dufau, Henry Caro-Delvaille et Jean Veber ont déjà fait l’objet d’études particulières plus ou moins récentes. Cependant, il est apparu que peu de ces études traitent réellement des décors exécutés pour la demeure d’Edmond Rostand. Dans certains des articles ou ouvrages ces commandes ne sont d’ailleurs même pas évoquées. D’autre part, personne jusqu’ici n’a semblé manifester de curiosité pour les céramistes et maitres verriers sélectionnés avec soin par le poète, ce qui fait que leurs noms sont restés sous silence. Ayant accès aux archives du musée, alors en plein inventaire2, j’ai saisi l’opportunité qui m’était offerte : proposer une étude complète des décors de la Villa. Ce mémoire a donc pour but de présenter chaque décor d’Arnaga. Nous essaierons de définir pourquoi Edmond Rostand a choisi ces artistes plutôt que d’autres. Où les a-t-il découverts et comment a-t-il été mis en contact avec eux ? Nous traiterons chacun des artistes individuellement en replaçant la commande pour Cambo dans leur carrière personnelle. Nous tenterons d’évaluer si les décors de la villa s’inscrivent dans une unité de style ou si les choix du poète font de cette demeure un écrin d’artistes hétéroclites qui souligne la diversité artistique d’une époque. Pour répondre à ses différentes questions je me suis bien entendue tournée vers le musée, ses publications et ses archives. J’ai principalement dépouillé l’ensemble des mémoires de travaux conservés ; ces factures sont le souvenir des artisans qui ont œuvré à Arnaga. Si aucune n’est directement liée aux artistes de la villa, en revanche, certaines rappellent les préparations, les retouches ou les finitions destinées aux structures accueillant les décors. La deuxième source très précieuse d’information est la correspondance entre Edmond Rostand et son architecte Joseph Albert Tournaire qui fait état de l’évolution des travaux et des désirs et attentes du poète. J’ai également pu compter sur l’ensemble de l’équipe qui m’a 2 Après publication au JORF du 12 juin 2004 de l’arrêté du 25 mai 2004 fixant les normes techniques relatives à la tenue de l'inventaire, du registre des biens déposés dans un « musée de France » et au récolement, le premier des récolements décennaux obligatoires s’achève au plus tard en juin 2014. 11 souvent permis de me mettre sur une piste en me transmettant oralement des informations qui n’avaient pas eu l’occasion d’être publiées. La seconde partie de mes recherches s’est principalement effectuée à Paris, la ville dans laquelle Edmond Rostand a rencontré le succès et où il vécut seize années (de 1884 à 1900). Ce sont dans les théâtres parisiens qu’il a rencontré Constant Coquelin et Sarah Bernhardt (Illustration N°1bis), ses acteurs fétiches, et sur leurs scènes qu’il a produit ses plus grandes pièces : Cyrano de Bergerac, L’Aiglon et Chantecler. Surtout, c’est à Paris, dans son appartement, qu’il est décédé en 1918, peu après l’annonce de la Victoire. Il est donc évident que la Villa Arnaga, édifiée au cœur du Pays Basque, possède des liens étroits avec la ville de lumières où elle puise certaines de ses influences. Les circonstances ont une nouvelle fois jouées en ma faveur puisque mon double cursus avec l’Ecole du Louvre implique que j’étais logée dans la capitale, ce qui a facilité l’accès aux bibliothèques. De plus, cela m’a permis de jouer les investigateurs en partant sur la piste du maitre verrier d’Arnaga dont nous ne savions initialement rien. Cette partie de mon travail a été la plus intéressante car elle n’a d’abord été guidée que par l’instinct et m’a ensuite baladée de cafés parisiens, en églises provinciales. J’ai consulté les archives départementales, puis municipales (de Levallois-Perret) et fait appel à des historiens de l’art qui ont déjà travaillés sur des vitraux 19003, pour résoudre en partie le mystère de « L. Trézel », signature du vitrail de la bibliothèque. Je développerai davantage ma démarche dans le chapitre consacré aux vitraux. J’ai également « enquêté » sur les céramiques de l’office, des cuisines et du boudoir de Rosemonde Gérard, pour lesquelles il n’y avait rien de plus que quelques suppositions. Pour le dernier point, l’avis de Monsieur Heymes, responsable du musée de Mer dans le Val de Loire4 et de Colette Robin, spécialiste en céramique et compétente sur l’œuvre d’Alexandre Bigot, ont permis d’étayer le seul article connu5 qui faisait mention de ce céramiste comme exécutant des carreaux de grès flammés du boudoir. Cependant, seul le descellement de un ou plusieurs – carreaux, dans le but de savoir si la signature de Bigot se trouve au dos (ce qui n'est pas du tout systématique), pourrait réellement confirmer cette hypothèse. Toutefois, la 3 Monsieur Jean-Michel Leniaud, auteur de L’Art Nouveau aux éditions Citadelles et Mazenod et maître conférencier à l’Ecole du Louvre et Madame Marie Madeleine Massé, ancienne documentaliste au musée d’Orsay et actuelle conservatrice du musée de l’Orangerie. 4 Le musée rassemble la plus importante collection de France sur Alexandre Bigot, céramiste et industriel d'art de la période Art Nouveau. 5 Article de Gabriel Mourey, « Le boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo » in Les Arts, mars 1910. 12 redécouverte de cette article est importante dans la mesure où il est couramment admis depuis un certain temps - que cette céramique est une réalisation de William Lee, demi-frère de Rosemonde Gérard et céramiste en Puysaye. Enfin, une grande partie de mes recherches s’est effectuée en bibliothèque, principalement celle du musée des Arts Décoratifs de Paris et dans les centres de documentation : celui du musée de Montmartre pour Georges Delaw et celui du musée de l’Ecole de Nancy, dans lequel j’ai eu la chance de faire un stage, et dont la documentation sur la période 1900 est très riche. Blandine Otter, documentaliste du musée, a pris le temps d’assimiler les différentes informations que j’avais déjà réuni sur Trézel et les vitraux d’Arnaga afin de m’aider à poursuivre leur étude. Elle m’a notamment permis d’ouvrir une nouvelle piste en identifiant la seconde signature du vitrail que l’on peut désormais attribuer au peintre Henri-Camille Danger.6 6 Henri-Camille Danger (1857- mort après 1937), Paris. Peintre de genre et de paysages. Elève de Gérôme et de Aimé Millet. Il débute au Salon de 1886, obtient le prix de Rome en 1887, reçoit une médaille d’argent à l’exposition universelle de 1900 et est fait Chevalier de la Légion d’Honneur en 1903. 13 INTRODUCTION Edmond Rostand, sa vie, son œuvre. Edmond-Eugène-Jospeh Alexis Rostand est né le 1er avril 1868 à Marseille. Dès son enfance, il se démarque par son écriture aisée où tout est « gracieux, léger ».7 C’est la lecture en classe d’un extrait des Grotesques de Théophile Gautier qui est déterminante dans l’œuvre de Rostand. Grâce à son professeur il découvre en effet Cyrano de Bergerac, un personnage au nez surdimensionné qui le marque profondément.i En 1884, toute la famille s’installe à Paris où Edmond intègre le Collège Stanislas. Il est reçu à la deuxième partie de son baccalauréat deux ans plus tard. En octobre 1886 il entre à la Sorbonne et devient étudiant en droit… sans grande conviction… ne pensant plus qu’aux lauriers littéraires. En 1887, son 1er texte est publié dans le Journal de Marseille. La même année il fait la connaissance de Etiennette Louise Rose Gérard dite Rosemonde (1866-1953) à Luchon, dans les Pyrénées où toute la famille Rostand passe ses vacances depuis la plus tendre enfance du poète. Son père Eugène Rostand (1843-1915) y a fait construire une résidence secondaire, la villa Juliette. En s’installant plusieurs années après à Cambo, Edmond Rostand découvre donc le Pays Basque mais est déjà attaché aux Pyrénées. De leur mariage en 1890 naissent deux fils, Maurice (1891-1968) et Jean (1894-1977). Sa première pièce est présentée au Théâtre de Cluny à Paris en 1888. Mais le Gant Rouge est retiré de l’affiche au bout de seulement dix-sept représentations. Le succès n’est pourtant pas loin puisque en 1889, son recueil de poème, Les Musardises, reçoit des critiques positives. Après le succès d’estime remporté par Les Romanesques en 1894, on joue la Princesse lointaine à Paris, sur le théâtre de la Renaissance, dirigé par Sarah Bernhardt. L’actrice interprétera elle-même le principal rôle féminin. Cette femme de plus de vingt ans l’ainée d’Edmond Rostand est déjà au sommet de sa carrière et le poète rêve depuis longtemps de lui créer un rôle. Elle devient rapidement son actrice fétiche et une amie intime de la famille. 7 Jacques Lorcey, Edmond Rostand - Tome 1 : Cyrano et l'Aiglon (1868-1900), Paris, Éditions Séguier, coll. « Empreinte », 11 mars 2004. 14 La Princesse lointaine est malheureusement un échec mais Edmond Rostand et Sarah Bernhardt apportent leur revanche en 1897 avec La Samaritaine. Surtout, le 27 décembre de cette même année, Edmond Rostand découvre la célébrité grâce au triomphe de Cyrano de Bergerac qu’il présente au Théâtre de la Porte Saint-Martin. C’est Constant Coquelin qui interprète le rôle de Cyrano. En 1900, le nouveau succès remporté par L’Aiglon (avec encore Sarah Bernhardt dans le rôle principal - elle incarne le duc de Reichstadt, fils de Napoléon) confirme la popularité exceptionnelle de Rostand. Historique et présentation d’Arnaga, du projet à la construction – inachevée - et au musée. La construction de la Villa Arnaga doit son origine à une pleurésie contractée par Edmond Rostand, pendant les répétitions de L’Aiglon. De nature fragile, le succès lui fait négliger sa santé. Alors que le chirurgien Samuel Pozzi ne voit pas d’autre solution que l’opération, c’est le Docteur Grancherii, ancien collaborateur de Pasteur, qui convainc le poète de venir se soigner à Cambo. Lui même s’y est installé en 1892 pour traiter une pneumonie. Cette station thermale, située en plain cœur de la province basque du Labourd, à une vingtaine de kilomètres de Bayonne, était déjà reconnue pour la qualité de son air pur richement oxygéné et de ses eaux (température de 22° à l’émergence ; sulfatées, sulfurées, calciques et magnésiennes) dont les propriétés réunies traitent efficacement les affections respiratoires. (Illustrations N°1 et 2) A l’automne 1900, Edmond Rostand, son épouse Rosemonde Gérard et leurs deux enfants Maurice et Jean, s’installent dans la Villa Etchegorria8 le temps de la cure. (Illustration N°1bis) Rapidement – mais contre toute attente9 - ces quelques semaines de traitement se transforment dans l’esprit de l’auteur de Cyrano de Bergerac en un projet de vie. Enthousiasmé par la région, et après son élection à l’Académie française, le 30 mai 1901, il 8 « Maison rouge » en basque ; sur la route de Bayonne. 9 Lors de sa première rencontre avec Paul Faure, Edmond Rostand lui donne ses impressions sur la région : « Ce n’est pas que Paris me manque, je puis très bien m’en passer. Ce n’est pas non plus que le Pays Basque me déplaise. Il me semble agréable, pas assez, cependant, pour que je sois tenté d’y faire de longs séjours. Enfin, nous verrons. » Paul Faure, Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand, Editions Plon, Paris, 1928, p.p. 17-18. Il écrit également à Sarah Bernhardt qu’il ne se plait guère à Cambo : « J’ai la migraine, je suis transi, et c’est tellement lugubre que je suis obligé de rire. Si je ne peux travailler ça deviendra infernal et je ne resterai pas ici ! ». Michel Forrier, Petite Histoire d’Arnaga, la villa d’Edmond Rostand, Editions Pyrémonde, 2006, p.14. 15 décide de s’y installer définitivement. Edmond Rostand, qui possède un tempérament discret, n’aime pas particulièrement les conséquences de la gloire et aspire à se tenir éloigné de la vie parisienne et de ses tumultes. Il est donc conquis par la tranquillité du Pays Basque. Il part en quête du terrain idéal pour y faire édifier la demeure de ses rêves. C’est en 1902 qu’il découvre lors d’une promenade à cheval « un endroit admirable » pour y « réaliser ces deux choses dont (il) rêve depuis des années (…) : une belle maison et un beau jardin ».10 Le site sur lequel s’élèvera bientôt Arnaga est une lande à demi abandonnée près de la ferme des « Trois Croix ». (Illustration N°3) Mais Edmond Rostand y perçoit tout de suite la beauté réelle constituée par une vue imprenable sur la Vallée de la Nive, les monts Baïgura et Ursuya. Comme l’ensemble appartient à trois propriétaires différents, c’est le docteur Juanchuto11 qui se propose de négocier l’affaire. L’acte de vente est signé le 15 juillet 1902 sous l’égide de maître Fischer, notaire à Cambo. Les treize hectares, huit ares et quatre-vingt trois centiares sont achetés pour la somme de 32.000 francs. Edmond Rostand se laisse alors guider par son père pour le choix de son architecte. C’est Joseph Albert Tournaireiii, Grand Prix de Rome en 1902, qui est désigné. Il vient d’agrandir le Palais de Justice de Paris et a dessiné les plans de la Caisse d’Epargne de Marseille. Le deuxième semestre de l’année 1902 est consacré à la préparation du terrain qui est entièrement sauvage. On débroussaille et on nivelle. Ensuite, les travaux avancent avec une rapidité surprenante. Edmond Rostand suit l’évolution du chantier avec une vigilance extrême. Ainsi, il ne faudra que trois années pour effectuer le gros œuvre. Les fondations sont creusées en 1903 et toute la famille Rostand emménage en 1906, même s’il reste encore en partie à décorer et meubler la maison. A cette époque, les jardins sont déjà entièrement dessinés et implantés. (Illustration N°4) Tout comme pour la villa, le poète s’est largement documenté, et tout comme pour Joseph Albert Tournaire, il supervise le travail de son architecte paysagiste Pierre Ferret. Pour agrémenter son magnifique jardin à la française, il imagine un grand miroir d’eau qui réfléchit l’image de la maison et un canal. Il le complète devant la terrasse avec une orangerie à l’architecture classique, ouverte au soleil par de grandes baies cintrées. En face de ce bâtiment 10 Paul Faure, Op.cit., p.85. 11 Natif de Larressore, cet homme d’influence, ancien adjoint, sera nommé maire par dix voix sur seize votants, en remplacement de M. Grancher l’année 1905. Les trois propriétaires étaient Gracieuse Etchegoyen de Larressore, Benito Hyrigoyen d’Itxassou et l’abbé Sauveur Etchegoyen d’Aïnhoa. 16 se trouve le coin des poètes. Cet espace rend hommage aux grands hommes qu’admirait Rostand : Shakespeare, Victor Hugo et Cervantès, dont les bustes, à l’image de dieux termes, étaient autrefois encadrés par un treillis de bois. Cet habillage, sur lequel couraient des rosiers, dessinait trois arcs en plein cintre qui répondaient symétriquement aux ouvertures de l’orangerie. Dans le prolongement de cet espace était également aménagée une roseraie dont on ne conserve plus que les plans. A l’extrémité du canal s’élevaient les bâtiments de productions : le verger, le potager et la ferme, ainsi qu’un monumental pigeonnier. Ce dernier sera détruit en 1912 pour être remplacé par une pergola. On a voulu, à tort, associer cet élément architectural à la gloriette du château de Schönbrunn, en Autriche, qu’Edmond Rostand à visité lors de la préparation de L’Aiglon. Il n’est en effet pas difficile de constater qu’aucun point commun, hormis l’idée elle-même, ne lie les deux constructions. (Illustrations N°5 et N°6) A l’ouest, le jardin à l’anglaise laisse à la nature une apparente liberté. C’est en contrebas de ce jardin que coule un petit cours d’eau : l’Arraga.12 Traditionnellement, les villas du Pays Basque portent un nom ; le poète se pose alors la question de celui de sa future demeure. Il songe à lui donner celui de ce ruisseau, dont la tonalité un peu dure lui fait transformer le second « r » en « n ». C’est ainsi que la villa fut baptisée Arnaga. En 1904, Edmond Rostand songe à faire construire un petit pavillon où il pourra travailler au calme. Le 14 août de cette même année il devient propriétaire d’une nouvelle parcelle de terre, deux hectares et cinquante-neuf ares d’un pâturage boisé en bordure de l’Arraga. Jospeh-Albert Tournaire peut débuter ce nouveau petit chantier, sur les dessins du poète qui lui donne l’apparence d’un petit moulin grâce à une roue à aube d’ornement. Bien que son chantier principal n’ait duré que quelques courtes années, ce qui caractérise la création d’Arnaga c’est qu’elle a accaparé l’esprit d’Edmond Rostand bien plus longtemps. Jamais lassé, il ne cesse de réorganiser, de réinventer l’intérieur et l’extérieur. C’est ce que l’on voit notamment avec l’édification de la pergola en 1912. Puis en 1914, c’est sans doute, le départ de Rosemonde Gérard, lassée d’une vie en autarcie et d’un époux 12 La traduction d’Arraga reste incertaine. Dans la plupart des sources imprimées consacrées à la villa d’Edmond Rostand on peut lire que cela signifie « eau sur les pierres » ; c’est notamment la traduction qu’en donne Rosemonde Gérard dans un discours qu’elle prononce dans les années 20 et dans lequel elle évoque le souvenir de son défunt mari et de sa vie à Arnaga. Cependant, bon nombre de basques lui préfère « pleine de fraises » comme c’est le cas d’Andrée Tétry qui a connu Jean Rostand (Andrée Tétry, Jean Rostand, un homme du futur, Editions La Manufacture, 1988, p.28). 17 anxieux, lunatique et solitaire qui suscite chez Rostand de nouvelles envies de changements. La principale transformation de cette époque se produit dans la salle à manger où le parquet est remplacé par un sol de marbre. Auparavant, en 1913, le poète a déjà commandé à Gaston Latouche de nouveaux cartouches pour les dessus de portes, venant déloger ceux précédemment peints par Henri Caro-Delvaille. Il fait aussi modifier la niche de cette pièce pour qu’elle devienne une grande desserte de marbre et fait installer un calorifère à la place de la traditionnelle cheminée.iv Tel est le souvenir de Raimond Lerouge13 qui vient illustrer ces métamorphoses constantes et symptomatiques : « Pendant les quatre années de mon séjour à Arnaga, il n’est pas une seule des pièces du rez-de-chaussée qu’il n’est modifiée de fond en comble. Les toiles d’Henri Martin, Gaston Latouche, Hélène Dufau restèrent en place ; mais celles de Delaw et de Jean Veber, vastes décorations murales, passèrent d’un appartement dans l’autre. Des espaces vides se couvrirent de nouvelles peintures. La salle à manger troqua son parquet de chêne contre un dallage de marbre ; une vasque entourée d’une pergola vint un jour orner son péristyle. Le grand salon fut compartimenté ; le studio subit un revêtement complet de peuplier du Canada ; le salon Genlis (fumoir), grâce aux laques expédiées de Pékin par le beau-frère du poète, M. de Margerie, devint un mystérieux salon chinois. J’en passe. En toutes ces transformations, la substitution de la pierre au bois, de l’ancien, du solide, du chaud, aux ornements modernes, légers et clairs, qui caractérisaient le primitif décor de la Villa, indiquait la maturité approchante du poète. Tout, dans sa maison comme dans sa pensée, prenait la teinte des somptuosités du premier automne. » Le dernier grand projet d’Edmond Rostand est pour son jardin. Il prévoit d’installer des jets d’eau sur le canal. Malheureusement, le poète décède en 1918, à seulement 50 ans et n’aura pas le temps de mettre ce plan à exécution. Il se rend à Paris pour fêter la Victoire mais emporte avec lui le virus de la grippe espagnole qu’il a probablement contracté à l’hôpital de Larressore. Affaiblit, il s’éteint dans son appartement parisien, loin de son Arnaga. En 1919, son fils Jean revient s’installer au Pays Basque dans la demeure familiale où il retrouve sa nourrice Adeline Delpeche, son institutrice Miss Day, le secrétaire de son père Louis Labat et l’écrivain Paul Faure. Mais, face aux coûts d’entretien, il se résigne à se séparer du domaine trois ans plus tard. Dès cette date on a déjà la volonté de faire de la maison du poète un musée ou un lieu destiné aux artistes et écrivains. Cependant les personnes engagées dans cette voie sont trop peu nombreuses et l’idée n’aboutit pas. C’est 13 Jacques Lorcey, Edmond Rostand - Tome I1 : Cambo – Arnaga – Chantecler (1900-1910), Paris, Éditions Séguier, coll. « Empreinte », 11 mars 2004, P.229. 18 donc le 27 juin 1922 que l’ensemble du domaine est mis en vente à la chambre des Notaires de Paris. Le montant demandé est d’un million cinq cent mille francs pour la villa auxquels s’ajoutent deux cent cinquante mille francs pour les laques et les peintures dont une brochure détaille la valeur des principales œuvres.14 Le domaine attire de nombreux curieux dans le tribunal, mais personne ne se porte acquéreur. La conséquence directe est la vente, directement dans la villa, du mobilier en lots épars, plus ou moins bradés. Puis le 29 mai 1923, la villa est une seconde fois proposée sur le marché. La nouvelle mise à prix est fixée à huit cents mille francs additionnés aux cent cinquante mille francs demandés pour les décorations, soit neuf cents cinquante mille francs contre les un million sept cent cinquante mille initialement proposés. Il faut du reste noter, qu’à ce moment, la propriété a perdu deux hectares et quatre ares. Malgré plusieurs jours de suspens, le domaine est finalement acquis le 16 juin 1923 pour un million de francs par l’armateur argentin De Souza-Costa. Débutent alors quarante années pendant lesquelles Arnaga laisse Edmond Rostand entre parenthèses. Dans un premier temps l’entrepreneur et son épouse entretiennent parfaitement la villa et son jardin ; ils y entreprennent même quelques aménagements. Ils font par exemple modifier le dessin de la terrasse et du premier parterre et élever une enceinte tout autour de la propriété. Mais petit à petit leur richesse s’amenuise à cause de la crise économique qui touche l’Europe. En 1933 le phénomène se reproduit comme dix ans auparavant et une partie des éléments de la décoration sont discrètement cédés à quelques collectionneurs. En 1942, Madame De Souza-Costa, veuve, ne peut plus maintenir la situation et décide de revendre la propriété. Heureusement, Maurice Rostand est sensible à la maison de son enfance et intervient directement auprès des autorités pour faire inscrire Arnaga au titre des monuments historiques. A la fin de cette année, c’est l’homme d’affaire Henry Etienne15 qui se porte acquéreur. C’est à lui que l’on doit la restauration de la terrasse dans son état primitif. L’homme, emprisonné en 1944, meurt après la Libération avant de passer devant les tribunaux et surtout avant que l’achat n’ait pu être définitivement conclu. Madame De Souza-Costa récupère donc son bien, pour un temps seulement, puisqu’il trouve un nouvel acheteur dès 1946 en la personne de Francis Fleischmann, couturier parisien. C’est la période que choisi Paul Faure pour revenir s’installer à Cambo-les-Bains. Il est bien décidé à raviver le souvenir d’Edmond Rostand et à lui rendre l’hommage qu’il 14 Réalisée par l’imprimerie Foltzer à Bayonne. De son vrai nom Henri Staffer. Il est le président directeur général de la revue Demain et connaît Cambo-lesBains parce qu’il a été soigné au Sanatorium d’Hasparren. 15 19 mérite. Il lui faudra beaucoup de patience et plus de dix ans pour convaincre la municipalité de créer un musée dans deux salles de la mairie. Cette première ébauche bénéficie de la générosité de Jean Rostand qui offre une multitude de souvenirs (mobilier, affiches, coupures de presse, journaux, portraits peints, dessins, photographies, habit d’académicien, manuscrits et livres ayant jadis dormis dans la bibliothèque d’Arnaga). Le 27 août 1960, les efforts de Paul Faure sont complètement récompensés lorsque la municipalité se décide enfin à racheter la villa après que Madame Fleischmann, devenue veuve à son tour, accepte de céder le domaine largement dégradé par de nouveaux problèmes financiers. Cependant, elle conserve le moulin qu’elle fait aménager pour elle. Les travaux retardent la signature de l’acte de propriété. Ce n’est qu’en juin 1962, qu’Arnaga devient enfin le musée Edmond Rostand. Le Docteur Camino s’investit pour monter un spectacle son et lumière qui n’est pas sans rappeler le dernier projet de jets d’eau qu’a eu Edmond Rostand. Pourtant, malgré son aspect grandiose, cette mise en scène n’a rien du caractère rostandien et est rapidement abandonnée.16 Son inauguration officielle a eu lieu le 6 juillet 1963 en présence de Jean Rostand et de son épouse. C’est la dernière visite du biologiste dans la villa de son enfance, mais jusqu’à sa mort en 1977, il continuera régulièrement à faire des donations au musée. Le 10 septembre 1964, la municipalité reçoit le diplôme du Prix du Prestige Français pour avoir contribué à servir la mémoire d’Edmond Rostand en sauvant ce patrimoine national, régional et littéraire. En 1995, l’ensemble du domaine est classé à l’inventaire des Monuments Historiques, ce qui lui assure le plus haut niveau de protection. En 2002, la mise en application de la loi des Musées a permis à Arnaga d’obtenir le statut de Musée de France. En 2004, le site reçoit le label Jardin remarquable. Enfin en 2006, un vieil autochrome figurant la villa dressée sur sa colline a permis de lui rendre sa couleur « rouge sang de bœuf » originale. En effet, depuis plusieurs décennies elle s’était habillée d’une peinture verte, un souvenir si lointain qu’on en avait oublié son premier état. C’est cet autochrome de 1910, étayé par les mémoires publiés de Paul Faure, un dessin aquarellé signé de la main de l’architecte Tournaire et l’observation des couches anciennes de peinture sur les boiseries qui ont confirmé le choix initial d’Edmond Rostand.17 Depuis 1960 et Paul Faure, plusieurs conservateurs se sont succédés à Arnaga et ont permis de développer le musée en l’enrichissant de nouvelles acquisitions. Par ailleurs, 16 Aujourd’hui il subsiste quelques jets d’eaux, souvenirs de ces premières années. Odile Contamin, « Les couleurs retrouvées d’Arnaga » in Cambo-les-Bains, Villa Arnaga, Musée Edmond Rostand, Guides de l’Aquitaine, Le Festin, 2006. 17 20 l’intérêt porté par ces différents hommes et femmes a fait redécouvrir l’histoire exceptionnelle d’un lieu et de son créateur. Sans doute Arnaga est-elle le chef-d’œuvre majeur d’Edmond Rostand. Les différents inventaires tenus par ces responsables depuis les débuts font aujourd’hui l’objet d’un récolement, dans le cadre du premier récolement décennal obligatoire pour tous les musées français. Le musée se trouvant sans conservateur officiel depuis Juin 200718, c’est la DRAC Aquitaine qui a facilité le recrutement d’un chargé de mission pour accomplir cette tâche. Ce récolement devrait d’autant plus améliorer la connaissance des collections et permettre leur mise en valeur. De plus, depuis le 1er mai 2010, un nouveau conservateur, Madame Labat, est de nouveau en poste à Arnaga. Ses expériences antérieures seront sans aucun doute des plus bénéfiques pour ce musée et son développement. Les années à venir vont voir l’achèvement du récolement, une réflexion sur la muséographie de certains espaces restés dans leur état des années 60, la restauration et l’ouverture de nouvelles pièces (salle de bain d’hydrothérapie et pourquoi pas cuisines au sous-sol), une continuité dans la participation à la Nuit des Musées, au Rendez-vous au jardin et aux Journées du Patrimoine, et souhaitons-le, la mise en place plus systématique d’expositions temporaires (une initiative positivement amorcée cette année avec le centenaire de Chantecler). Enfin, il ne faut pas oublier dans l’histoire de la villa Arnaga, la constitution de l’Association des Amis d’Arnaga en 2003 à l’initiative du maire de Cambo-les-Bains, Monsieur Vincent Bru. En 2010 c’est Monsieur François Dheur qui en est le président et Monsieur Robert Poulou le président d’honneur. Cette "association a pour but d'honorer la mémoire d'Edmond Rostand et de sa famille, de promouvoir son œuvre, ainsi que de contribuer au rayonnement d'Arnaga, sa demeure à Cambo-les-Bains au Pays Basque." 18 Depuis le départ d’Odile Contamin, la gestion du musée était assurée par Monsieur le Maire, Vincent Bru, son adjointe à la culture Madame Anne-Marie Pontacq et l’ensemble de l’équipe d’Arnaga. 21 CHAPITRE I: UN DECOR DE REVE A. Un art de vivre : « Véritablement cet « Arnaga » fut élevé et imaginé comme une grande comédie héroïque en cinq actes en vers, qui pendant un certain temps, l’empêcha de travailler à une autre. Lui-même décida de tout, organisa, imagina, précisa quelle place aurait chaque rosier et quelle place chaque peinture ! « Arnaga » vraiment, ce n’est pas une maison ; c’est un grand poème lyrique composé par un extraordinaire poète de théâtre ! C’est ainsi qu’il faut le voir et le comprendre. » Maurice Rostand in Confession d’un demi siècle 1. Un projet ambitieux. Si Edmond Rostand a fait édifier sa villa sur une colline de Cambo-les-Bains c’est purement par un malheureux hasard, celui de sa pleurésie. Cependant, l’idée de bâtir de toutes pièces une demeure à son goût est depuis longtemps dans son esprit ; il ne lui manquait finalement plus que le lieu idéal. Ce qui allait devenir un « poème de pierre et de verdure » est presque tout entier sorti de son imagination. Il « n’entends pas édifier ici l’une de ces imitations de châteaux du Moyen-Age à la Viollet-le-Duc qu’on a vu fleurir ailleurs ! (…) ». Ce qu’il souhaite c’est une « demeure, même très grande et très confortable, (qui) doit rester dans le goût du pays ».19 Il faut comprendre qu’il a souhaité une œuvre d’art totale réunissant architecture, mobiliers, décors et jardins. Pour cela il s’octroie les services de multiples entreprises régionales ou parisiennes spécialisées dans tous les domaines et il n’hésite pas à faire venir les matériaux des quatre coins de la France. C’est ce qui fait d’Arnaga un chantier si impressionnant tant il a été rapide et assuré par un nombre considérable d’ouvriers. 19 Lorcey op.cit., Tome II, p.57. 22 L’homme de talent qu’est Joseph Albert Tournaire sera toujours en retrait face à son commanditaire. Rostand ne le laisse absolument pas libre dans sa création, et lui impose sans cesse ses nouvelles volontés, l’obligeant à systématiquement s’adapter. Entre les deux hommes, et entre Paris et Cambo, débutent de nombreux échanges, à la fois physiques (Joseph Albert Tournaire entreprend le voyage jusqu’à Cambo des dizaines de fois), et littéraires (le musée conserve une abondante correspondance20). Edmond Rostand accompagne ses demandes de multiples petits croquis qu’il appose un peu partout, sur ses cahiers, dans ses lettres, sur les nappes, et surtout en marge de sa prochaine pièce Chantecler. L’architecte transcrit l’idée et la lui soumet. Le poète retourne la plupart du temps les plans et cartons, raturés et corrigés. C’est une nouvelle fois Paul Faure, que nous avons déjà cité, qui témoigne le mieux de ce grand chantier : Tournaire « envoyait des croquis, de ces beaux croquis d’architecte sur papier huilé. Il était rare qu’Edmond Rostand ne les retournât pas zébrés de corrections, de remarques, de retouches. Les portes du hall donnant sur la terrasse arrivaient, dessinées par Tournaire, étroites et hautes ; elles s’en revenaient basses et larges comme des entrées de tunnel… Rostand passait tout au crible de son goût, jamais satisfait. Bientôt les lettres ne suffisent plus, Tournaire fit la navette entre Paris et Cambo, travaillant entre deux trains avec Rostand, l’un et l’autre plongés dans une masse de documents que chacun avait amassés, les triant, les épluchant, Rostand déversant sur le tout un flot d’idées sans cesse renouvelées.21 v(Illustrations N°7 et N°8) Lorsque la famille s’installe dans la villa en 1906, les jardins sont déjà entièrement aménagés et Rostand, impatient, a fait replanter des arbres déjà grands. C’est au chanoine Abbadie, supérieur au petit Séminaire de Larressore, propriétaire du domaine d’Escanda, que le poète achète toute une rangée de très beaux tilleuls pour une somme plutôt considérable. Il faut imaginer au début du siècle dernier les moyens techniques que cela a nécessité et surtout la réaction des habitants de la région en voyant sur les routes ces arbres prestigieux tirés par des bœufs. Ce fut « pendant des mois, une procession d’arbres, une allée marchante, un spectacle qui clouait d’étonnement les bons Basques peu habitués à voir des arbres en pleine croissance déterrés et trimballés comme des asperges ».22 En 1906, Rosemonde est à Paris ; elle se rend au Salon d’Horticulture avec son ami Truffaut et achète quantité de fleurs et d’arbustes qu’elle fait envoyer par wagon à Arnaga pour distraire son mari. 20 Principalement les lettres d’Edmond Rostand adressées à Joseph Albert Tournaire qui ont été données au musée par le fils de ce dernier. Ce fonds a été versé en 2004 21 Paul Faure, Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand, Plon, 1928, p.p.71-72 22 Paul Faure, Op.cit., p.p. 114-115. 23 2. Confort et modernité. a. Régionalisme Si Arnaga est profondément marquée par l’empreinte du poète, il n’en reste pas moins que son architecture, dite néo-basque comme celle de beaucoup de villas de la région au début du XXe siècle, s’inspire nettement de l’architecture labourdine ; Arnaga est une interprétation personnelle de ce style régional qui devait plus tard s’étendre sur toute la côte basque. « Quand ils virent que Rostand construisait une grande maison basque, tous ne voulurent plus que façades blanches, grand toit plus incliné d’un côté que de l’autre, portes rondes, pans de bois. Ainsi, grâce à Rostand fut préservé des horreurs enfantées par les imaginations des imbéciles et des snobs le vieux Pays Basque.23 » La caractéristique majeure de cette architecture est sa façade à colombage. Toutefois, le jardin à la française n’a rien à voir avec la tradition régionale, et on peut ajouter que l’intérieur de la Villa est davantage d’inspiration parisienne que labourdine. b. Esprit parisien. « En contre-partie de cette façade de chalet rustique, orienté vers l’est pour ne pas être trop la victime du vent, rien ne s’oppose à ce que l’intérieur manifeste un luxe de bon aloi et une fantaisie plus personnelle dans sa décoration… quant aux jardins, si vous le voulez bien, ils seront « à la française », avec leurs lignes bien dessinées, leurs bassins, leur orangerie et leur gloriette, qui évoqueront pour moi toute notre histoire, de Cyrano jusqu’à L’Aiglon ! Derrière la maison, le jardin sera plus « sauvage », avec sa fontaine et sa grotte pour satisfaire les enfants et les amateurs de contes de fées que nous sommes dans la famille. »24 Selon l’ami Jules Renard, l’œuvre d’Edmond de Rostand est un « magnifique anachronisme ». En effet, quel paradoxe entre cette façade inscrite dans l’esthétique de la région, plantée entre un jardin à la française et un jardin à l’anglaise, et cet intérieur où 23 Jean-Claude Lasserre, « L’offensive du régionalisme » in Bordeaux et l’Aquitaine, 1920-1940, Urbanisme et architecture, 1988. 24 Lorcey, T. II, P.58. 24 cohabitent un grand hall à l’esprit anglais, un salon chinois, en définitive, une magnifique mise en scène recréant l’ambiance d’un théâtre. Cependant, si l’on met en évidence uniquement l’aspect structurel de la maison, on s’aperçoit qu’Edmond Rostand n’a pas fait tellement preuve de fantaisie. La distribution intérieure des différentes pièces reste traditionnelle, en adéquation avec les hôtels particuliers parisiens de l’époque. La vie de la maison s’organise autour des pièces de réception du rezde-chaussée (hall d’entrée, grand hall qui fait office de séjour, petit salon chinois également pièce fumoir, bibliothèque et salle à manger), auxquelles viennent s’ajouter la salle de jeu et d’étude des enfants, le bureau empire d’Edmond Rostand en bois de citronnier et les pièces de service (l’office et son monte-charge qui permet la communication avec les cuisines en soussol). (Illustration N°9) A l’étage se trouvent les pièces d’habitations, chambres, petits salons et salles de bains. On retrouve une organisation classique en enfilade sur les deux niveaux bien visible à l’étage avec, sur la façade est, la chambre des enfants, la garde robe et la chambre de Rosemonde, et en symétrie sur la façade ouest, le boudoir de Madame, un petit salon et la chambre d’Edmond Rostand. Il faut cependant remarquer que ces deux séries de pièces, qui communiquent entre elles au moyen d’ouvertures disposées dans un même alignement, sont également desservies par un couloir. (Illustration N°10) Un dernier, enfin, accueille les appartements des domestiques, un autre salon et un atelier photographique. Dans la lignée de ces hôtels particuliers du début du XXème siècle, la villa Arnaga bénéficie de tout le confort moderne possible. Un générateur installé près des écuries fournit le domaine en électricité. Pour le faire fonctionner, Edmond Rostand et son architecte envisagent de détourner le cours d’eau qui s’écoule depuis l’Ursuya, l’une des montagnes qui ferment la perspective du jardin. Par ailleurs, un système de chauffage à air pulsé assure le plus grand confort en toutes saisons. Les travaux d’Arnaga sont réellement d’une ampleur considérable, tant par les moyens déployés que par le temps de mise en œuvre extrêmement court. Son arrivée à Cambo est sans aucun doute primordiale pour l’essor de la commune. D’abord parce que sa notoriété attire les foules ce qui entraîne l’augmentation de la fréquentation de la station thermale. Mais ce sont surtout les travaux engagés pour Arnaga qui sont profitables aux deux mille habitants : Rostand redistribue une partie de sa production en électricité à cette petite commune de 25 campagne jusqu’alors encore bien ancrée dans le XIXème siècle. L’impact de l’installation du poète à Cambo est donc sans précédent quant à son évolution. 3. Une œuvre d’art totale. a. Inspiration Arts and Crafts Il est nécessaire de revenir une dernière fois sur la capacité créatrice d’Edmond Rostand. Non pas pour la valoriser encore mais au contraire pour la nuancer, sans toutefois la dévaloriser. En effet, parmi la bibliothèque qui accueillait autrefois plus de dix mille ouvrages25, se trouvait sans doute un ou plusieurs volumes de l’architecte britannique Mackay Hugh Baillie Scott qui s’inscrit dans le mouvement Arts and Crafts. Trois feuillets de ses publications sont actuellement conservés dans une vitrine de la chambre rouge26. S’ils sont séparés de leur ensemble c’est probablement parce qu’Edmond Rostand les a mis de côté pour s’inspirer de l’esthétisme qui y est développé. La bibliothèque des Arts décoratifs de Paris possède deux de ces ouvrages27 dont l‘étude a permis de mettre en évidence les différents éléments qui ont été source d’inspiration pour Rostand. On remarque la similitude de la conception du studio des enfants avec les planches de Baillie Scott, notamment avec la conception d’une « music room ».28 On y retrouve le contraste entre les essences de bois et le choix du même motif, soit une essence claire mariée à une essence foncée ; pour le studio des enfants à Arnaga, il s’agit de frêne du Canada et d’ébène. Ces essences sont disposées en épi sur les meubles et sur les éléments au sol tandis qu’ils forment une frise en damier au plafond. Le pastiche se fait également par le biais de la palissade agrémentée de pastilles de nacre. Au grès des différentes planches des deux ouvrages, on reconnaît aussi la cheminée en cuivre, les banquettes (la villa Arnaga en possédait initialement deux dont une est aujourd’hui conservée au musée Denon en Saône et Loire), les poutres de bois au plafond (dont on retrouve également l’inspiration dans la bibliothèque). Par ailleurs, cette pièce est l’exemple type de l’art total envisagé par Edmond Rostand puisque le 25 Grâce aux différents dons de Jean Rostand dans les années 60, la bibliothèque d’Arnaga conserve aujourd’hui un peu moins de la moitié de ces ouvrages. 26 er 1 étage, dite « chambre rouge » en référence à la toile de Jouy malheureusement très dégradée qui orne ses murs. Elle est aujourd’hui dédiée à l’architecte Joseph Albert Tournaire. 27 Mackay Hugh Baillie Scott, Houses and Gardens, 1906 et Haus eines Kunst-Freundes, 1905. 28 Planche « Music Room » insérée entre les pages 32 et 33. 26 mobilier, tant dans le fond que dans la forme fait écho au décor. (Illustrations N° 11, 12 et 12 bis) Si le studio des enfants est un exemple typique, il n’est pourtant pas unique ; Edmond Rostand semble aussi emprunter à Baillie Scott l’idée de séparer son grand hall par de larges arcades reposant sur des colonnes massives. Dans une des planches, on peut aussi observer le croquis de larges baies basses en plein cintre assez semblables à celles qu’a souhaité Edmond Rostand pour le Grand Hall et dont il fait la demande explicite29vi à Tournaire. On découvre enfin des parallèles dans l’emploi de céramiques aux coloris francs pour habiller les murs ou encore l’idée d’une pergola. (Illustrations N°13, 14 et 15) Ce mouvement Arts and Crafts est actif en Angleterre entre les années 1860 et 1910. Il se caractérise par l’idée que l’art doit intervenir partout, dans l’architecture, le mobilier et les objets usuels. Il réhabilite également le travail artisanal et met à l’honneur des matériaux de qualité. En cela il est précurseur de l’Art nouveau. b. L’art dans tout, l’Art nouveau. Le poète est très sensible à son époque, comme on peut le voir avec l’influence de Baillie Scott ou la volonté de profiter des dernières grandes inventions : l’ampoule électrique et plus généralement la distribution de la villa en électricité, ce qui reste un privilège au début du XXème siècle. Il semble donc évident qu’Arnaga s’inspire également de l’Art Nouveau qui atteint son apogée en Europe à cette période. Mais peut-on vraiment parler d’Art nouveau à Arnaga ? Cette esthétique se définit par sa dualité, à la fois un mouvement international, mais surtout une inscription dans un fort mouvement traditionnel, un courant local. Cette ambigüité est bien la caractéristique de la villa qui comme nous l’avons vu précédemment mélange les genres. Par ailleurs, parmi ces différentes références, celle à l’architecture néo-basque est marquée, ce qui correspond bien à ce désir de mettre en valeur l’histoire nationale, ou à plus petite échelle, locale. De plus, l’Art nouveau prône le principe rationaliste. Nos propos se doivent d’être prudents et modérés, mais sous l’impulsion de Viollet-le-Duc au XIXème siècle, l’architecture du début du XXème siècle renonce au principe de symétrie, ce qui est directement visible sur les façades d’Arnaga, et prône une organisation de la façade qui 29 Cf. Chapitre I, 1, p.21. 27 permet une lecture claire de la distribution intérieure de la villa. (Illustrations 16 et 16a) On doit pouvoir immédiatement déduire de cette façade les fonctions des différentes pièces. Même si le principe n’est pas absolument systématique pour Arnaga, il est néanmoins vrai pour le grand hall qui se définit extérieurement par les grandes baies surbaissées et cintrées. Ce sont les ouvertures les plus grandes de la villa qui correspondent à la pièce la plus importante. De même, l’emplacement de la salle à manger, autre pièce ostentatoire est visuellement marquée sur la façade ouest par une série de trois grandes fenêtres cintrées soulignées par deux colonnes classiques. Sur cette même façade, le salon bleu, pièce de réception, se détache par son balcon décoratif, ses deux fenêtres ovales et son mur peint d’une autre couleur. On peut également noter le balcon en arc de cercle sur la façade côté jardin à la française qui laisse deviner le mouvement circulaire de la cage d’escalier. Plus curieux en revanche est celui de la salle de bains dont la grande porte vitrée laisse plutôt imaginer une chambre, de même que l’encorbellement sur ce même côté qui n’abritent que le studio des enfants et un appartement secondaire. Enfin, entre la chambre rouge et le salon bleu, trois petites baies encastrées dans la pierre, dissimulent le merveilleux boudoir ou salon des fées de Rosemonde. Néanmoins, la petitesse de ces fenêtres est mise en valeur par cette inscription dans la pierre naturelle qui contraste avec le reste de la façade à colombage, jouant sur une surface lisse et blanche et des poutres de bois rouges. Justement, la multiplication des matériaux sur une seule façade est aussi un trait propre à l’Art nouveau. Même si ceux employés à Arnaga ne sont pas usuels à cette esthétique qui privilégie, outre la pierre, la brique et le fer, ils remplissent leur fonction de polychromie. L’Art nouveau c’est aussi une remise au goût du jour de l’emploi de la tapisserie (présente dans la garde-robe de Rosemonde et dans la « chambre rouge » où se déploie une toile de Jouy malheureusement très dégradée), du vitrail (les trois vitraux en verre moderne seront étudiés dans la troisième partie), des peintures murales (il n’y a aucune fresque à Arnaga mais exclusivement des toiles marouflées, autre technique de la peinture murale) et de la céramique (grès flammé du boudoir et céramiques peintes de l’office et des cuisines). Avec l’Art nouveau se développent les thèmes de la nature, dans l’iconographie bien sûr mais aussi dans les formes mêmes que prennent les créations artistiques. Dans la maison d’Edmond Rostand cela se traduit dans toutes les peintures hormis celles de Georges Delaw, dans la salle de bain contiguë à la chambre de Rosemonde dont le mobilier est typiquement de style Art nouveau, avec sa baignoire tout en courbes, ces luminaires en formes de fleurs, ses poignées de porte et de fenêtres représentant des cigales. Dans la bibliothèque, la grille en fer 28 forgé dessinée par Vian reprend ces caractéristiques : courbes, fleurs et bien évidemment le fer. Enfin, l’évocation de l’Art nouveau est partout dans les jardins et les toiles avec la redondance de deux motifs iconographiques typiques, le cygne et l’hortensia. En conclusion, même s’il n’est pas question d’une architecture Art nouveau on trouve à Arnaga les preuves qu’Edmond Rostand et son architecte ont connaissance des dernières modes. Le désir du poète de réaliser une œuvre d’art totale peut paraître démesurée sortie de son contexte, mais cette réalisation, bien que personnelle, est assez commune dans sa démarche. c. Un projet envahissant. Nous l’avons dit, Edmond Rostand a conçu sa Villa depuis ses fondations jusqu’au choix et à l’emplacement de la moindre chaise ou du plus petit tableau. C’est réellement du projet d’une vie dont il faut parler. A tel point que pendant dix ans, sa carrière théâtrale est mise en suspend. Débuté en 1900, sa dernière pièce, Chantecler, ne sera finalement achevée qu’en 1910. D’ailleurs ce sera un échec relatif car la critique, tout autant que le public, attend beaucoup du poète après les succès répétés de Cyrano de Bergerac et de L’Aiglon. Or, ce que Rostand propose, c’est une satire de la société à travers l’évolution d’une « vulgaire » bassecour. L’accueil est très mitigé et au regard de l’argent investit – il faut considérer notamment l’ensemble des décors et des costumes qui ont été spécialement conçus - Chantecler est également un échec financier. Pourtant cette pièce c’est un peu un échantillon du domaine d’Arnaga. C’est la seule qu’Edmond Rostand écrit à Cambo à cause de l’importance que prend dans son esprit la construction d’Arnaga. « Les scènes de Chantecler écrites sur des carnets et des feuilles de tous les formats, ont leurs marges criblées de plans, de dessins, ayant trait à Arnaga : balustrades, balcons, vases, piliers, pergolas, escaliers, terrasses. Celui qui ne connaitrait par Rostand pourrait, par ses manuscrits, suivre les développements de sa pensée en train de créer Arnaga et Chantecler. »30 30 Paul Faure, Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand, Plon, 1928, p.158. 29 B. Les peintres d’Arnaga : 1. Le choix des peintres. De la place pour la peinture, il en a été faite beaucoup à Arnaga. C’est toujours conseillé par son architecte qu’Edmond Rostand passe commande aux différents artistes qu’il a choisis. Tournaire est chargé de leur fournir les mesures exactes que doivent avoir les futurs décors pour faciliter leur mise en place et il s’assure de l’avancement de leur exécution, rôle qu’aura également Rosemonde. Il est également responsable des entreprises engagées pour préparer les murs qui recevront les toiles. Edmond Rostand a découvert la plupart des « peintres d’Arnaga » dans les Salons parisiens où ils exposaient. Observons la liste des exposants du Salon des Artistes Français en 1901 ; elle contient une information précieuse. En effet, les peintres Henri Martin, Henry Caro-Delvaille, Gaston Latouche et Jean Veber y ont tous fait un ou plusieurs envois31. Le fait se reproduit au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts pour les années 1901 à 1905, mais cette fois-ci Henri Martin est absent.32 Ces deux exemples qui pourraient être renforcés par une recherche systématique dans tous les Salons pour les années antérieures à l’arrivée d’Edmond Rostand à Arnaga, ont le mérite de mettre en évidence la probabilité que le poète ait découvert ses peintres dans ces lieux d’exposition qu’il fréquentait régulièrement. Tous les artistes d’Arnaga étaient donc relativement connus à leur époque même si leur renommée aujourd’hui est quasiment éteinte. Prenons l’exemple d’Hélène Dufau. Ses premières œuvres sont admises au Salon des Artistes Français dès 1889, elle a vingt ans. En 1909, reconnue par ses pairs et célébrée par la critique, sa notoriété lui vaut d’être décorée du titre de chevalier de la Légion d’Honneur. Si Edmond Rostand choisit Hélène Dufau pour participer à la création des décors de sa demeure, c’est parce qu’il a vu exposé au Salon des Artistes Français de 1902, L’Automne, achetée par l’Etat. Cette toile, le poète l’admire vraiment ; à tel point qu’il souhaite en posséder l’exacte réplique pour orner sa bibliothèque. 31 Artistes cités dans l’article de Gustave Saulier, « La peinture aux Salons », Art et Décoration, juin 1901, p.p. 173-183, juillet 1901, p.p.1-8 et août 1901, p.p. 41-44. 32 Gaston Latouche présent en 1901-1902-1903-1904-1905 ; Henry Caro-Delvaille présent en 1903-1904-1905 et Jean Veber présent en 1901-1902-1903-1904-1905. 30 Comme Hélène Dufau est déjà très largement reconnue et appréciée lorsqu’elle réalise les décors de la villa Arnaga, plusieurs journalistes, critiques, conservateurs ou artistes rédigent des articles rendant compte de leur impression face aux deux toiles destinées à la bibliothèque du poète. Ils mettent en avant sa capacité à rendre la beauté des corps nus et à offrir une merveilleuse allégorie des saisons. N’oublions pas non plus l’hommage que lui rend Maurice Rostand33 : « Jusqu’à présent, je n’ai pas parlé de notre amie Mlle Dufau, la femme peintre, je dirais même l’admirable artiste. Injustement oubliée, elle me semble un peu la Noailles de la peinture, bien que je répugne à ce genre de comparaison dont on a trop abusé. Elle avait exécuté pour Arnaga de magnifiques toiles, une réplique de cet Automne qui retient encore au Luxembourg l’attention des connaisseurs, une autre, non moins belle, Les Cygnes Noirs. » On peut toutefois relever le commentaire rédigé par Mayi Milhou34 qui vient modérer, quatre-vingt dix ans plus tard, l’enthousiasme général. Elle énumère les différences entre L’Automne présenté au Salon et la version destinée à Edmond Rostand ; et de conclure en déplorant que ces modifications aient totalement dénaturé la toile. « Et voilà comment l’Automne (…) à la composition équilibrée, habité par une pensée qui transcende la forme, devint le tableau allégorique d’une belle saison où l’œil ne retrouve plus l’harmonie créée par l’original. Outre le sens particulier dévolu à l’éphèbe, remplacé par un putto, sa disparition entraine un déséquilibre qui nuit à l’eurythmie de l’ensemble. » Le cas de Gaston Latouche est un peu différent puisque au moment de la commande, le poète connaît déjà l’artiste qui fera de fréquents séjours à Cambo. De même Edmond Rostand sera reçu dans sa Villa de Saint-Cloud35. Toutefois, il semble que les Rostand resteront un moment hésitants sur leur choix. C’est probablement la raison pour laquelle Rosemonde profite de son séjour à Paris, au mois de mai 1906, pour se faire une dernière idée. Elle écrit à son époux pour recevoir quelques recommandations : « La Touche, je suis comme toi très embarrassée. Faut-il ou non y aller demain ? Je vais tâcher de juger bien clairement au salon et d’après notre impression, j’irai ou n’irai pas. Qu’en penses-tu ? Télégraphie moi sitôt cette lettre reçue au cas où tu aurais brusquement quelques idées fixes à ce sujet. N’aie aucune crainte, j’ai agi exactement dans le sens que tu voulais mais je 33 Confession d’un demi-siècle, P.236 Mayi Milhou, De Lumière et d’Ombre, Clémentine-Hélène Dufau, Editions Art & Arts, 1997, p.73 35 Rapporté par le Dr Fleury dans le Figaro du 13 juillet 1913, le lendemain de la mort du peintre. 34 31 crois, sans me vanter, que la chose a été fort bien enlevée. Et c’est lui qui nous remercie, juste comme tu le voulais ». La Touche est un grand sensible. Entre décembre 1897 et janvier 1898, il est atteint de neurasthénie et en 1900, il fait une dépression, des maux qui touchent également Rostand et qui peut être inconsciemment lient les deux hommes. Gaston Latouche est un disciple des maitres éminemment français du XVIIIème siècle. Un artiste dont l’œuvre est caractérisé par son égalité. On peut difficilement parler de première manière et de maturité chez ce peintre qui est resté fidèle à son style ; peut être aussi parce qu’il est mort jeune et n’a pas eu le temps de connaître le déclin de son art. Il connaît une évolution majeure cependant : il débute attaché au réalisme et s’oriente vers l’idéalisme qui sera son style définitif.vii Formé, quelques années seulement à cause de la guerre de 1870, auprès du professeur M. Paul, il termine son apprentissage en autodidacte, au contact de la nature et de la vie mais il aura également la chance de recevoir les conseils de deux ainés, Manet et le graveur Braquemond. Chez Manet, ce n’est pas tant le style qu’il emprunta, mais plutôt les idées : il apprît à être sincère et au plus proche de la vérité. La Touche est avant tout un coloriste. Ses sujets qui sont habités de la joie de vivre dérivent bien de la peinture du XVIIIème siècle : toiles de Watteau, singeries caractéristiques (seize sont exposées en 1908 aux galeries Georges Petit sous les numéros 185 à 200, dans la catégorie du même nom, « Les Singeries »), fêtes galantes et scènes mystiques. En revanche, ses procédés de coloris sont résolument modernes. Sa palette est éclatante et autant dans les sujets de plein air que dans les scènes d’intérieurs « il excelle à faire étinceler en un brillant feu d’artifice, les rouges chaleureux, les verts, l’orangé et surtout les jaunes : jaunes magnifiques de verrières que traverse le soleil, jaunes que les lampes d’une salle de bal projettent sur les tables, jaunes des tapisseries ou des paravents dans de riches intérieurs ! »36 On peut rapprocher la touche du peintre de celle des impressionnistes, notamment Monet et Sisley. En effet, c’est la couleur qui dessine et non pas le trait ; aucun cerne ne vient marquer les silhouettes et les objets mais ils « se présentent en masses lumineuses exécutées par petites hachures »37. (Illustration N°17) Il faut aussi souligner chez Gaston Latouche sa capacité de mémoire visuelle et sa grande imagination qui lui ont permis de réaliser la plupart de ses toiles chez lui, en pleine solitude, uniquement à partir d’études rapidement esquissées. 36 37 Henri Frantz, Gaston Latouche (1854-1913), Aux bureaux du studio, Paris et Londres, 1914, P.8. Henri Frantz, Op.cit. 32 Edmond Rostand confie la décoration du studio des enfants à Georges Delaw, cet artiste qui s’exprime principalement à travers des dessins publiés dans les journaux humoristiques de Paris. Ses thèmes de prédilection sont les paysages, les villages, le monde paysan et le monde bourgeois, parfois aussi la guerre. C’est cette connaissance des coutumes populaires et du folklore que Georges Delaw exprime à Arnaga. C’est probablement le côté « naïf » de Delaw qui a tant plus à Edmond Rostand. Le peintre semble particulièrement bien choisi pour décorer une pièce d’enfants. Delaw expose aux salons dans la catégorie « arts décoratifs » mais c’est plus sûrement son travail d’illustrateur dans des livres de chansons, de jeux et de rondes enfantines qui séduit Rostand. D’autant plus que dès 1902 il illustre l’un des nombreux livres pour enfants de Gabriel Pierné dont la préface a été rédigée par Rosemonde Gérard !viii C’est un article de Paul Yaki, ami de Georges Delaw, qui nous dévoile comment la commande d’Edmond Rostand est parvenue au peintre.38 Delaw y partage ses souvenirs : « " Le premier atelier de ma vie ! Les peintures que j’ai faites pour Arnagov (Arnaga), la villa de Rostand, je les ai peintes avec amour… dans l’atelier de mon marchand de couleurs, près d’ici, lequel me donna, en outre, les premières notions de la peinture à la colle que je désirais employer… " Mais oui, Delaw, qui ne connaissait pas Rostand, reçut un jour une lettre du poète de Chantecler : "Je vous vois à Merveille, exprimer en d’amusantes fresques, pour un petit salon, la naïveté et la malice des personnages de nos vieilles chansons. Il faudrait que le paysage jouât un grand rôle. J’adore vos paysages… " Delaw dessina pour ce coin du rêve cinq panneaux, cinq grandes images – certaines avaient cinq mètres de long – qu’admirèrent tous les familiers de Cambo. » Edmond Rostand baptisera le peintre-dessinateur, « le plus charmant génie de la caricature ». Quant à Jean Veber, une lettre d’Edmond Rostand à son architecte semble indiquer que c’est ce dernier qui a proposé qu’une commande lui soit passée39. « Je l’ai remercié de l’envoi d’une photographie de son panneau, qui m’a paru charmant. Mais je vous prie encore de faire un prix avec lui, car je ne veux pas traiter cela moi-même et 38 39 Journal La Liberté, 21 juin 1929 : « Georges Delaw, Imagier de la Reine. » par Paul Yaki. Lettre d’Edmond Rostand à Joseph Albert Tournaire. Cambo le jeudi 20 avril année 1905. 33 les protestations qu’il n’en veut pas faire une affaire d’argent me gênent beaucoup. Puisque c’est vous qui avez eu l’idée de vous adresser à lui, qu’il est votre ami, que vous surveillez le travail, c’est à vous de l’estimer. » De tous les peintres d’Arnaga, Henri Martin est probablement celui dont la fortune critique est la meilleure. Même s’il n’est pas aussi connu que Monet ou Puvis de Chavannes pour lesquels Maurice Rostand aurait plus volontiers accordé une place à Arnaga, l’artiste est très présent dans les collections françaises. Au temps des Salons surtout il exposait régulièrement. On le trouve en particulier dans les catalogues du Salon des Artistes Français. Il fait d’ailleurs régulièrement l’objet de critiques et plusieurs articles lui sont tout particulièrement consacrés. Pour n’en donner qu’un seul exemple, nous citerons l’historien de l’art Léonce Bénédite40 qui propose dans la revue Art et Décoration41 un premier article élogieux sur la toile Sérénité qu’il expose au Salon de 1899 et un second sur les sujets de prédilection du peintre.42 Aujourd’hui, si l’œuvre d’Henri Martin n’est que très peu étudiée dans les universités d’histoire de l’art, il n’empêche qu’il est très présent dans les musées français. En 2009, une exposition lui a été consacrée, pour laquelle une centaine de peintures ont été réunies, empruntées dans quarante-neuf musées répartis dans quarante-deux villes de France.43 Sa redécouverte en France a déjà été anticipée à l’étranger, spécialement au Japon où il est très apprécié. « Peintre-poète » et « peintre-décorateur », ses moyens d’expression sont divers. Il s’attèle à la peinture monumentale, grandes commandes publiques ou privées, c’est aussi un paysagiste subtil ou encore un portraitiste officiel. Il est attiré par le symbolisme tout en étant sensible aux influences néo-impressionnistes et pointillistes qui le servent dans sa quête d’une modernité classique. Comme Hélène Dufau, il est brièvement tenté par l’ésotérisme des RoseCroix et n’hésite pas à afficher un goût pour les avant-gardes. Son art, d’apparence spontanée, est cependant le fruit de méditations sérieuses et longuement poursuivies. En résumé, Henri Martin est emblématique des doutes et bouleversements du début du XXe siècle. On peut bien sûr imaginer, comme nous l’avons observé précédemment, que Edmond Rostand est tombé sous le charme des toiles d’Henri Martin aux Salons. Mais un autre 40 Léonce Bénédite (Nîmes 1856 - Paris 1925) est un historien d'art et conservateur français. Il dirigea le Musée du Luxembourg à Paris, avant de devenir le premier conservateur du Musée Rodin. 41 Léonce Bénédite, « la peinture décorative au Salon de 1899 », Art et décoration, Juin 1899, p.p. 179-184. 42 Léonce Bénédite, « La lyre et les muses par Henri Martin », Art et Décoration, Janvier 1900, p.p.1-10. 43 Henri Martin (1860-1943, Du rêve au quotidien. L’exposition a été successivement présentée par les musées de Cahors, Saint-Cirq-Lapopie du 7 juin 2008 au 6 octobre 2008, puis à Bordeaux du 23 octobre 2008 au 1er février 2009 et à Douai du 13 mars 2009 au 26 juin 2009. 34 élément peut aussi laisser penser que c’est Joseph Albert Tournaire qui a été l’intermédiaire entre les deux hommes. En effet, le peintre et l’architecte ont tous les deux travaillé à la Caisse d’Epargne de Marseille. Henri Martin y a réalisé un triple panneau décoratif installé en 1904.44 Enfin, on peut considérer que Henry Caro-Delvaille a été choisi pour représenter les artistes locaux puisque le peintre est né à Bayonne et a été formé dans l’atelier de Léon Bonnat, lui même bayonnais. 2. Les portraits peints de la famille Rostand. a. Eugène Pascau C’est Eugène Pascau (1875–1944) qui fut le principal portraitiste de la famille Rostand. Né à Bayonne, il a été formé dans l’atelier de Léon Bonnat à Paris45. (Illustration N°18 et N°19) Edmond Rostand le rencontre à Cambo. A Arnaga on dénombre cinq tableaux du peintre. Le portrait d’Edmond Rostand, peint en 1901, est composé d’une palette de couleurs assez sombre qui renforce le sentiment de mélancolie du modèle, régulièrement atteint de cet état. (Illustration N°20) Il est communément appelé Edmond Rostand au Mimosas au regard du petit bouquet qu’il porte à la boutonnière. On aura remarqué la cigarette que le poète tient dans sa main. Il est à noter qu’il ne s’agit pas de tabac – rappelons les problèmes de santé qui le conduisent à séjourner à Cambo – mais d’eucalyptus pour dégager ses voies respiratoires. Il existe un autre portrait d’Edmond Rostand par Eugène Pascau qui est conservé dans les archives d’Arnaga. C’est un croquis au crayon présentant le poète, une jambe croisé, et son chien près de lui. On peut penser que la reproduction photographique référencée « illustration N°19 » (Cf. ci-dessus) est le souvenir du temps passé à la réalisation de ce croquis. 44 L’Aube ou l’Enfance, Le Midi ou la Force de l’âge, Le Soir ou la Vieillesse, Marseille, hôtel central de la Caisse d’épargne. 45 Léon Bonnat (1833-1922) est lui aussi né à Bayonne. 35 Des deux portraits de Rosemonde Gérard réalisés par Pascau, le plus récent a été acheté par l’Etat en 1910. Intitulé La robe à ramages, il nous montre Madame Rostand assise dans un canapé au tissu rouge. (Illustration N°21) Jean-Claude Lasserre46 suggère que cette toile a probablement été réalisée à Arnaga. S’il a sans doute raison, la question se pose de reconnaître la pièce et d’identifier la peinture représentée en arrière plan. Ce portrait est d’abord exposé au Musée du Luxembourg, avant d’être transféré à l’Assemblée Nationale entre 1926 et 1979. A cette date il devient la propriété du Musée du Louvre par décision de la Réunion des Musées Nationaux. Le grand musée parisien l’affecte au Musée d’Orsay par décret du F.N.A.C le 14 avril 1980. En 2002 il est déposé au Musée Edmond Rostand. Le second portrait de la maitresse de maison propose un cadrage plus serré et un fond neutre. Madame Rostand y est peinte assise de profil mais la tête tournée vers nous. Elle est habillée d’une robe beaucoup plus sobre que la précédente ; celle-ci est noire, les manches sont longues, serrées sur les poignets, « ballons » aux épaules et aux coudes, le col est droit, peut-être rigidifié par des baleines comme le voulait la mode de l’époque et la seule fantaisie est apportée par quelques plissés dans le tissu et un médaillon doré qu’elle porte en pendentif sur la poitrine. Au contraire, la robe à ramages est une robe d’apparat, au tissu très riche tant dans les coloris que dans les motifs, les fleurs s’y déploient en abondance et la jupe ellemême se déploie telle une corolle sur le sol. Les manches coupées aux trois-quarts nous donnent à voir la peau claire des mains et des avant-bras et le cou est souligné par un col de dentelle laissant deviner la naissance des épaules. (Illustration N°22) Eugène Pascau a également peint Jean enfant à deux reprises. Sur le premier, le futur biologiste pose un filet à papillons sous le bras et un spécimen dans la main gauche. (Illustration N°23) On peut imaginer que c’est son enfance à Arnaga et l’immensité des jardins qui ont développé son goût pour la nature, l’étude des batraciens et des insectes. On avait d’ailleurs installé pour le fils cadet d’Edmond Rostand un laboratoire dans le moulin du domaine initialement destiné à devenir un atelier d’écriture. On porte une attention particulière à la tenue vestimentaire du jeune garçon. En effet, il porte des espadrilles blanches lacées à la cheville, souliers accompagnants le costume traditionnel basque, ce qui souligne l’attachement de la famille Rostand à la région et son intégration. Le second portrait représente Jean en dandy. (Illustration N°24) 46 Cambo-les-Bains, Villa Arnaga, Musée Edmond Rostand, Guides de l’Aquitaine, Le Festin, 2006, p.28. 36 S’il fut le principal portraitiste de la famille, Pascau ne fut pour autant pas l’unique ; Hélène Dufau, Pablo Tillac, Henri Caro-Delvaille et Paul-César Helleu ont également contribué à pérenniser les visages des Rostand. b. Hélène Dufau Hélène Dufau a portraituré Edmond, Rosemonde et Maurice. Le séjour de l’artiste à Arnaga s’est prolongé bien après qu’elle ait achevé sa première commande (les deux toiles qui ornent les murs de la bibliothèque). Ces portraits de la famille Rostand sont signés de la main de l’artiste et datés ultérieurement aux décors. Du 1er au 15 décembre 1911, Hélène Dufau fait une importante « Exposition de portraits et panneaux » à la Galerie Brunner.47 Une vingtaine d’hommes et de femmes y voient leur effigie accrochée, parmi lesquelles Rosemonde Gérard et Maurice Rostand. Mademoiselle Dufau a su développer une vraie relation amicale avec la famille Rostand, particulièrement Maurice. Malgré leur différence d’âge, elle lui voue une passion amoureuse à sens unique qui lui cause de grands tourments qui sont cependant bénéfiques au saisissant portrait qu’elle nous en a offert. (Illustration N°25) On y découvre Maurice, très élégant, vêtu d’un manteau au col relevé et coiffé d’un feutre. Les deux éléments encadrent son visage et font ressortir sa carnation sur cet arrière plan composé de verts, bleus et jaunes. Ce décor n’est autre que le jardin d’Arnaga et on y distingue sur la gauche un morceau de l’orangerie tandis que les montagnes se mêlent à l’horizon avec les nuages blancs. Quant à Rosemonde Gérard, elle a été peinte en intérieur, vraisemblablement dans la bibliothèque comme semblent le confirmer les boiseries et quelques beaux livres qui servent de fond au portrait. (Illustration N°26) Elle pose assise, accoudée contre le bras d’un fauteuil, ce qui crée un léger déhanchement vers l’arrière. Sa robe est généreusement décolletée sur le haut du buste, mettant en valeur la courbe des épaules et la carnation claire sur laquelle se détachent les lèvres vermillons. Le contraste est d’autant plus accentué, que le rouge de la bouche est opposé à sa couleur complémentaire, le vert, qui compose la robe et la fleur piquée dans le chignon. L’épouse pose sur nous un regard doux mais franc auquel répond le regard du chien qui est installé sur ses genoux et qu’elle retient d’une main caressante. Doit-on voir dans la présence du chien un symbole ? Ces deux regards mis en rapport ne sont effectivement pas sans évoquer le rôle que joua la poétesse auprès de son 47 11 rue Royale, Paris. La BNF en conserve le catalogue. 37 mari : Rosemonde l’accompagne fidèlement, veillant sur sa carrière et le soutenant dans les moments de doutes. Enfin la composition est harmonisée par le motif redondant de la fleur que l’on retrouve outre dans la chevelure, brodée sur la robe, imprimée dans la doublure du châle et dans le bouquet de fleurs au rose tendre arrangées dans un vase antique. c. Henry Caro-Delvaille D’Henry Caro-Delvaille, le musée possède deux portraits en pied de Madame Rostand. Si l’un est en extérieur et l’autre en intérieur, ils présentent une analogie dans la pose générale et le port de tête qui peuvent faire penser que Rosemonde n’a posé qu’une seule fois : elle se présente de trois-quarts, le menton légèrement relevé vers nous lui conférant un air un peu hautain de bourgeoise. (Illustrations N° 27 et 28) Dans les jardins d’Arnaga, dont on aperçoit encore une fois l’orangerie, elle est habillée d’une robe de dentelle couleur crème dont la taille est marquée par un large ruban de soie. Elle est légèrement décolletée et les manches en volants ne couvrent que le haut des bras ; les coudes, les avant-bras et les poignets sont pudiquement couverts de mitaines en dentelle noire. Elle tient dans ses mains une ombrelle et un large chapeau de paille aux feuilles d’automne, accessoires à la mode dans les années 1900. Sur le second portrait, Madame Rostand porte une robe d’intérieur richement brodée mais dont la coupe complètement droite spécifie l’usage. C’est une robe qui ne l’entrave pas et il est probable qu’elle était libérée de son corset en dessous. Cette tenue est réservée aux moments intimes de la journée, quand les invités de marque sont absents. L’éventail vient compléter la composition et renforcer l’idée d’un après-midi de délassement. A la fin de l’année 1905, Rosemonde est à Paris avec son fils ainé. Elle se rend au Salon de la Société Nationale des Beaux Arts pour admirer son portrait réalisé par Caro-Delvaille.48 Enfin, Paul César Helleu (1859-1927) et Pablo Tillac (1880-1969) ont peint chacun un portrait isolé. Helleu a su trouver en Maurice Rostand le modèle idéal pour représenter l’élégance et le raffinement. Il étudiait très souvent ces qualités qui ont contribuées à définir son style grâce auquel il remporte un immense succès. (Illustration N°29) 48 Michel Forrier, Op.cit. p.33 38 Pablo Tillac s’est installé au Pays Basque et nous a laissé un portrait très coloré d’Edmond Rostand. (Illustration N°30) 39 CHAPITRE II : LES PEINTURES D’ARNAGA A. Toiles en place : 1. Gaston Latouche. Edmond Rostand commande à Gaston Latouche une grande frise et quatre panneaux de dessus de portes pour décorer le Grand Hall et la salle à manger de sa villa Arnaga. a. Grand Hall : la Fête chez Thérèse Le grand hall est divisé en deux par deux grandes arcades soutenues par d’épaisses colonnes, créant deux espaces, l’un côté jardin à la française et l’autre côté jardin à l’anglaise. La fête chez Thérèseix est une toile marouflée en quatre éléments qui court le long des quatre côtés de ce second espace. (Illustrations N°31, 32, 33) Pour la réalisation de cette peinture, Gaston Latouche a réalisé deux essais décoratifs. Tous deux sont exposés en 1908 par le peintre dans les galeries Georges Petit sous les numéros 119 et 120. Leurs titres sont explicites quant à leur intention : La Fête chez Thérèse, recherche fragmentaire pour la frise, exécutée à Arnaga, chez Monsieur Edmond Rostand et La Fête chez Thérèse, nouvel essai. Il a également complété son étude par une gouache, Essai pour la Fête chez Thérèse, exposée au même Salon sous le numéro 308. Le poète reprend avec l’artiste le même rituel que celui engagé avec Joseph Albert Tournaire et les lettres se succèdent pour parvenir, subtilement, au résultat attendu. Rosemonde répond à une lettre qui expose le projet : « Mon mari vient de recevoir votre lettre. Votre combinaison de couleurs lui paraît excellente et il pense que vous avez bien raison de penser d’abord en couleur, sans vous occuper du sujet ». Quelques lignes plus tard, il fait cependant quelques suggestions : « ne pourriez-vous pas faire que la salle, au lieu d’être de théâtre, fut de quelques Palazzo de rêve où il pourrait y avoir des escaliers, des loggias, et autant de couleurs orangée et de lustres que dans un 40 théâtre. Ne pourriez vous pas transporter votre vision dans un intérieur plus indécis et plus Verlainien ? (…) Tout en restant aussi somptueux ? (…) Tout cela dit, faites absolument à votre inspiration. C’est vous qui avez raison puisque vous pensez en couleurs ! » La décoration est mise en place en 1908. Rostand adresse une lettre pleine d’enthousiasme à son ami, s’attardant un instant sur le Pierrot : « Le Pierrot est le plus vrai Pierrot que je sache, le plus mélancolique, le plus naïvement oublieux de la chair qui est si blonde à deux pas de lui (oh, cette colombine danseuse), oui le Pierrot est touchant… d’un blanc si rêveur dans le bleu de la nuit qui vient. »49 Trois portes doubles en vieille laque de Coromandel encadrées de bronze doré finissent d’éveiller le plaisir des invités (aujourd’hui remplacées par des miroirs). L’étude de la Fête chez Thérèse, inspirée par les célèbres vers de Victor Hugo in « Les Contemplations », révèle que Gaston Latouche n’innove pas réellement dans les sujets mais trouve ses références iconographiques parmi son propre corpus d’œuvres. Pour réaliser cette analyse comparative, nous nous sommes appuyés sur le catalogue de l’exposition qui a eut lieu aux galeries Georges Petits en 1908. Parmi la liste des œuvres présentées par le peintre, nous avons attaché un intérêt particulier aux catégories « Les intimités, La Vie Mondaine, Le Théâtre et Portraits », « Les Singeries » et « Les fantaisies » qui répertorie les modèles auxquels Gaston Latouche a pu faire référence pour le Grand Hall d’Edmond Rostand. Nous avons également utilisé les planches en couleurs et gravures monochromes de l’ouvrage d’Henri Frantz et du numéro de la collection « Peintres d’aujourd’hui » de 1910 consacré à la vie et l’œuvre de Gaston La Touche. Le premier modèle qu’il copie est celui de la Colombine. (Illustrations N°34 et 35) Elle est l’exact reflet de la danseuse qui se tient appuyée contre une commode dans le panneau, La Comédie Italienne (N°211) appartenant à la collection Chouanard. La seule différence tient dans le fait que l’une est penchée vers la gauche, tandis que la seconde est penchée vers la droite. On ne peut malheureusement pas développer la question du coloris étant donné que les reproductions sur lesquelles ce travail s’appuie sont en noir et blanc, mais pour le reste la jeune femme est vêtue du même tutu de ballerine, à l’envergure très large et au tissu bouffant, résultat de la multiplication des jupons de tulle. On peut peut-être noter que le rendu du tissu est plus élaboré dans La Comédie italienne et plus vaporeux pour le panneau de la Villa d’E. 49 Jean-Claude Lasserre, Cambo-les-Bains, Villa Arnaga, Musée Edmond Rostand, Le Festin, 2006, p.18 41 Rostand. Quoiqu’il en soit, on retrouve le bustier qui laisse voir le dos nu, et la jupe qui découvre les jambes croisées. La jeune femme nous tourne le dos et présente son visage de profil. Ses cheveux sont relevés en chignon, coiffure caractéristique de la danseuse classique, et piquée de fleurs. Sa silhouette dessine un arc gracieux partant de ses demi-pointes jusqu’au sommet de son crâne. Cette courbe parfaite dans la Comédie italienne est légèrement brisée dans la Fête chez Thérèse par son bras droit qu’elle tient relevé en arrière et accroché au treillis du jardin pour lui permettre de maintenir cette position basculée, un peu en équilibre. De manière générale, on aura remarqué que le traitement de la danseuse ne se fait pas par le dessin mais par la couleur. Cette touche vaporeuse rend la colombine de Rostand moins détaillée, moins « fine » dans ses traits, que la danseuse de La Comédie Italienne. La seconde référence que Gaston La Touche fait à ses œuvres concerne le carrosse de Thérèse. (Illustrations N°36, 37, 38) Il s’agit d’un renvoi évident au carrosse de Cendrillon par ses formes ondulées, ses très larges roues de bois, son caractère féérique. L’attitude des deux jeunes femmes qui se tiennent à la fenêtre, soit pour saluer, soit pour admirer le paysage est également similaire. De même, les cochers revêtent les mêmes costumes. Seconde référence évidente : le carrosse engagé dans l’eau dans Le Gué. On peut une nouvelle fois comparer sans doute possible ce carrosse très « XVIIIème », aux roues surdimensionnées et qui présente trois ouvertures laissant apercevoir deux jeunes femmes souriantes observant la scène, à celui d’Arnaga. La scène en revanche est plus bucolique, ou doit on dire cocasse, le carrosse tentant d’achever la traversée d’un plan d’eau et les chevaux et cochers aidés dans leurs efforts par des jeunes femmes nues, des nymphes ? On peut éventuellement faire un troisième parallèle avec la chaise à porteur peinte dans La Jeunesse : la forme générale du meuble rappelle la structure du carrosse. La Touche utilise également ses modèles antérieurs pour le Pierrot. (Illustration N°39 et 40) Ce Pierrot, bien que dans une position tout à fait différente se rapproche par son allure générale, son bonnet et son vêtement fluide de celui attablé dans le Carnaval. Une référence est aussi faite entre les singes peints chez Rostand et celui représenté notamment dans Air Ancien. (Illustration N°41) La dernière référence concerne les musiciens. Il n’y a malheureusement aucune reproduction disponible, mais on peut imaginer que des points communs existent entre les musiciens de l’orchestre et Le Violoniste ou encore La Musique, exposés sous les numéros 162 et 170. 42 Le catalogue de l’exposition des galeries Georges Petit nous donne à voir une reproduction de La Fête chez Thérèse, peinture appartenant à M. Legrand. La question se pose de savoir s’il s’agit d’une copie des toiles d’Arnaga ou de l’un des essais préparatoires dont M. Legrand aurait fait l’acquisition. (Illustrations N°’42 et 43) Nous ne pouvons qu’observer les similitudes et les différences pour peut-être tenter d’étayer cette hypothèse. La partie qui nous est donnée à voir dans l’ouvrage « Peintres d’Aujourd’hui » ne permet pas de savoir si cette version est présentée dans sa globalité ou s’il ne s’agit là que d’un morceau. La scène visible correspond à celle placée au dessus de la porte de la salle à manger chez Rostand et s’étend du groupe de jeunes gens à gauche à la moitié de l’arc formé par les treillis du jardin. De la version d’Edmond Rostand ne sont conservés que les jeunes personnes assises dans l’herbe et auxquels un serveur propose un plateau de fruits. Le Pierrot est aussi présent mais il a changé sa posture ; assis dans une attitude nonchalante, un genou replié, le bras posé dessus, et le second bras appuyé sur la marche pour lui servir de soutien. Sous le treillis, aucun autre personnage n’est visible. La reproduction en noir et blanc ne permet pas de deviner les détails, mais il semblerait que la perspective soit davantage bouchée qu’elle ne l’est à Arnaga, n’offrant pas de vu en arrière plan sur le ciel. Enfin, il faut bien sûr remarquer que Gaston Latouche et Edmond Rostand se sont permis une petite fantaisie en illustrant le poème de Victor Hugo. Ils ont inséré sous l’arcade végétale le chiffre de Rostand « R », ainsi que Cyrano de Bergerac, au nez si caractéristique, défiant du bout de son épée le personnage qui lui fait face et qui se moque tandis que entre les deux, Roxane et Christian se tiennent enlacés. (Cf. Illustration N°39) b. Cartouches de la salle à manger : Les quatre éléments Le dessus des quatre portes simples de la salle à manger est orné de quatre cartouches peints. Ils ont été commandés à Gaston Latouche pour remplacer ceux précédemment réalisés par Henry Caro-Delvaille.50 (Illustrations N°44, 45, 46 et 47) Leur iconographie est celle des quatre éléments : l’eau, le feu, la terre et l’air. Ce thème est bien entendu à mettre en rapport avec le goût prononcé d’Edmond Rostand pour la nature. Mais on peut probablement pousser l’analyse, en partant du fait que la théorie des quatre éléments est une façon traditionnelle de décrire et de comprendre le monde. Sans aller 50 Cf. Introduction p.17 43 jusqu’à penser que Gaston Latouche et Edmond Rostand voulaient faire ici une démonstration du système d’Aristote, on peut toutefois développer l’idée que à Arnaga les quatre éléments renvoient à la structuration du temps dans la mesure où chacune des quatre saisons correspond à l’un des éléments. Le printemps est chaud et humide comme l’air, l’été chaud et sec comme le feu, l’automne froid et sec comme la terre, l’hiver froid et humide comme l’eau. Nous pouvons à présent proposer une hypothèse : les quatre éléments d’Arnaga seraient une nouvelle fois l’occasion pour Edmond Rostand de montrer son attachement et son intégration à la région et à sa culture si on considère qu’ils proposent une lecture de la croix basque dont elle est le symbole. Il faut être prudent à cet égard car justement l’interprétation de cette « svastika à virgules », comme elle est communément désignée dans les Arts et Traditions Populaires, reste difficile. Toutefois, on l’associe à la notion de cycle et de régénération perpétuelle et par prolongement à l’expression des quatre saisons et donc des quatre éléments. De cette hypothèse en découle une seconde qui a peut-être le mérite de nous éclairer sur un autre élément de décor d’Arnaga, à savoir le vitrail du zodiaque du grand hall comme nous le verrons dans la troisième partie. Ces quatre tableaux sont de véritables trompe-l’œil comme l’ensemble de la pièce d’inspiration néo-XVIIIème siècle avec ses lambris peints pour imiter le marbre, ses dorures et son sol de marbre. Chacune des peintures donne l’illusion d’un putto sculpté dans cette même roche calcaire. Le travail est minutieux et l’artiste maitrise parfaitement les effets d’ombres et de lumière pour donner du modelé à ses compositions. La gamme chromatique est restreinte pour être au plus près de la réalité du matériau, allant du blanc au marron clair en passant par plusieurs nuances de beiges et jaunes. Malgré tout, un morceau de la composition est coloré et se détache visuellement pour mettre en valeur l’élément qui y est représenté. Ainsi pour l’eau c’est un poisson évidé et un canard, dont Gaston Latouche a rendu les nuances de la chair à vif et du plumage, qui reposent sur la fausse bordure en marbre, tandis que le putti à l’arrière remplit ses cruches au bord d’une source. Dans le cartouche du feu, d’une marmite bouillonnante s’échappent les vapeurs d’une soupe qu’un morceau de lard va accompagner pendant que le putto de l’arrière plan attise le feu sous une « soupière ». On remarquera à cette occasion que le putti est une petite fille ce qui n’est pas une représentation classique. La terre est évoquée par une nature morte composée d’un assortiment de fruits (pastèque, raisin et figue) et d’un lièvre. Le putti est affairé au travail des champs et coupe les blés avec sa faucille. Enfin, l’air est symbolisé par un mâle faisan au 44 magnifique plumage multicolore et sa poule faisane veillant sur leur nid. Entre eux se trouve une perdrix. Ces gibiers font écho au putti qui tire à l’arc sur deux oiseaux en vol. 2. Hélène Dufau. La Villa Arnaga possède sept œuvres de l’artiste Hélène Dufau. Cinq vont être traitées ici puisqu’elles concernent le décor de la villa : il s’agit de deux grands panneaux destinés à être insérés dans la bibliothèque et trois médaillons ovales ornant la cage d’escalier. Les sixième et septième toiles ont été présentées précédemment.51 a. Bibliothèque : Les Cygnes Noirs et l’Automne. Lorsqu’Edmond Rostand découvre l’Automne au Salon des Artistes Français de 1902, il est aussitôt séduit par le style d’Hélène Dufau et souhaite acquérir une copie pour Arnaga.52 Malheureusement pour lui, les règlements concernant les commandes et achats de l’Etat sont très stricts. Il obtient le droit de faire reproduire le motif. En revanche, l’Administration, en charge de délivrer cette autorisation, impose qu’il y ait des modifications notoires afin que l’œuvre ne puisse pas être confondue avec l’originale.53 (Illustrations n°48 et 49) Pour faire face à cet Automne modifié, Edmond Rostand commande également à l’artiste un pendant qui célèbre une nouvelle fois la beauté de la nature pendant la saison automnale et celle du corps humain dans sa plus parfaite nudité. En 1906, Mlle Dufau présente au Salon, un Fragment de la décoration pour la maison du poète Ed. Rostand dont le titre définitif sera Les Cygnes noirs. Hélène Dufau travaille à Arnaga pendant 6 ans, de 1906 à 1912. Elle est la seule artiste à s’être plusieurs fois déplacée jusqu’à la villa, ceci étant facilité par le fait qu’elle a acheté une villa à Guéthary dans laquelle elle réside plusieurs mois dans l’année. Dans la Gazette des Beaux-Arts » de janvier 190654, Paul Jamot donne une description juste du Fragment de la décoration pour la maison du poète Rostand. 51 Cf. Chapitre I, B, 3, p. Cf. Chapitre I, B, 3 p.31 53 Règlement du 3 novembre 1878 sur les commandes et acquisitions d’œuvres d’art. 54 Paul Jamot, « Les Salons de 1906 » in La Gazette des Beaux-Arts, 1er janvier 1906, p.482. 52 45 « Je ne vois au Salon cette année que les nus de Melle Dufau qui insinuent en nous, une suggestion de saveur de fruit mûr, ferme et rond, comme d’une fleur qui serait déjà presqu’un fruit. La grande toile qu’elle expose, comme la plupart de celles qui lui ont acquis, en peu d’années, une légitime réputation, est destinée à embellir une muraille et est conçue dans un esprit résolument décoratif. Le paysage et les figures y jouent un rôle égal. Dans un bassin qu’entourent et sèment de feuilles jaunies les frondaisons d’un parc automnal, non loin d’un Trianon chimérique dominé par un horizon de montagnes bleuâtres, des naïades nues se baignent et leurs jeux nonchalants rident à peine l’eau qui porte deux cygnes noirs. L’une des baigneuses, à demi couchée dans une pose de mollesse qui découvre jusqu’à mi-jambes son beau corps fait pour l’amour, écoute à peine, en souriant à sa propre pensée, ce que dit un faune assis sur la rive. Deux autres, debout, dans des attitudes qui tendent le double gonflement de leurs seins, étirent la courbe lisse du ventre et arrondissent en anse de corbeille la grâce de leurs bras levés, sont trop loi pour entendre la chanson masculine. »55 L’œuvre d’Hélène Dufau n’a pas cessé d’évoluer. Alors que ses débuts se placent sous le signe du réalisme (1895-1897), rapidement ses peintures s’éloignent de l’académisme. Et alors qu’elle s’affirme, elle commence à se tourner une œuvre symboliste. Les sujets traités y sont toujours, en apparence, mythologiques ou hellénisants, mais ce ne sont plus que des images qui enferment un autre sens, ce qui a souvent dérouté la critique. Mayi Milhou a consacré un ouvrage entier à l’artiste56, une biographie dans laquelle elle propose une analyse stylistique de son travail. Ainsi elle nous permet de mieux comprendre les toiles à caractère symboliste d’Hélène Dufau et surtout les éléments de sa vie qui ont influés sur ce choix : lectures et rencontres. La personnalité d’Hélène Dufau mêle un désir de savoir qui la contamine très tôt -et qui ne se limite pas uniquement aux connaissances encyclopédiques mais aussi et surtout aux questions existentielles : le sens de la vie, l’origine des êtres et des choses, leur avenir, etc. - et une violente sensualité refoulée. Pour répondre à ces questions la jeune artiste s’est notamment tournée vers des lectures spécialisées telles Les Grands initiés d’Edouard Schuré57, ou la Doctrine secrète d’Helena Petrovna Blavatsky. Cette dernière, fondatrice de la 55 In Hélène Dufau, Peintre au temps du symbolisme, Henri Jeanpierre, 1977. Extrait du Bulletin de la Société des Sciences et Arts de Bayonne, N°133. 56 De Lumière et d’ombre, Clémentine Hélène Dufau, Editions Art et Arts, 1997. 57 Le plus grand succès littéraire de cet auteur philosophe (1841-1929). Il se propose de dévoiler l’histoire secrète des religions par le biais de l’initiation des plus grands mythes : Rama ; Krishna ; 46 Société Théosophique, s’est elle même profondément nourrie de l’œuvre littéraire de Joséphin Péladan, fondateur en 1888 de L’ordre kabbalistique de la Rose-Croix, puis de la Rose-Croix ésotérique en 1890. Or, il faut souligner que Péladan liait sa philosophie à l’art en demandant à ses adhérents de « concentrer leur effort sur le plan artistique » et surtout en créant le salon de la Rose-Croix (1892-1897). Ainsi, par l’intermédiaire de Péladan on peut relier les pensées de la Rose-Croix et le symbolisme. Il est nécessaire de définir les idées de la Rose-Croix : le rosicrucianisme implique toute une série d'initiations ; selon ses propres termes, il propose "un art de vivre pour le cœur et l'esprit", et promet à ses adeptes la connaissance des lois de l'univers et de la nature. Il leur promet aussi la pleine compréhension du sens de l'existence, l'éveil de leur créativité et de tout leur potentiel humain. On peut alors facilement comprendre pourquoi Hélène Dufau pouvait apprécier ce mode de pensée. Revenons maintenant au symbolisme. George-Albert Aurier en donne une définition dans le Mercure de France de 1891 : « L’œuvre d’art devra être premièrement idéiste, puisque son idéal unique sera l’expression de l’idée, deuxièmement symboliste puisqu’elle exprimera cette idée en forme, troisièmement synthétique puisqu’elle écrira ses formes, ses signes selon un mode de compréhension général, quatrièmement subjective puisque l’objet n’y sera jamais considéré en tant qu’objet mais en tant que signe perçu par le sujet, cinquièmement l’œuvre d’art devra être décorative. » En résumé, le symbolisme est une réaction au naturalisme. Les symbolistes ne peignent pas fidèlement l'objet, contrairement aux naturalistes, mais recherchent une impression, une sensation, qui évoque un monde idéal et ils privilégient l'expression des états d'âmes. Les symboles permettent d'atteindre la réalité supérieure de la sensibilité. On peut parler de deux écoles du symbolisme : les avant-gardes d’un côté dont font parti Gauguin, Van Gogh et les nabis et les traditionnels de l’autre. Les peintres de cette seconde mouvance veulent devenir les mystiques de l'art. Péladan, à l'image de John Ruskin pour les Préraphaélites anglais, se donne le rôle de mentor de ses peintres. Pour lui, « il n'y a pas d'autre vérité que Dieu, il n'y a pas d'autre beauté que Dieu ».58 L'art est la recherche de Hermès ; Moïse ; Orphée ; Pythagore ; Platon ; Jésus. Malgré le succès incontestable de l’ouvrage, Les Grands Initiés souffre parfois d'un style lyrique et sentencieux où des affirmations audacieuses sont parfois lancées sans un réel soutien historique. 58 L'art idéaliste et mystique, doctrine de l'Ordre et du salon annuel des Rose+Croix, Paris 1894, Chamuel, p. 33. 47 Dieu par la beauté. Le symbolisme se définit par opposition au formalisme : il renoue avec le sujet et marque un retour à l’introspection, à la religion outrée. C’est une peinture spirituelle. Pour illustrer ces propos et les rattacher à l’œuvre d’Hélène Dufau, revenons à Automne, version originale59 de celle commandée par Edmond Rostand pour Arnaga. L’analyse iconographique spontanée qui en est faite est celle d’une allégorie de la saison de l’automne. Mais une seconde lecture nous révèle davantage. Reprenons une nouvelle fois le travail de Mayi Milhou60 qui perçoit dans ce tableau « les premières étapes de l’initiation Rose-Croix » de la peintre et sa « psychanalyse de la personnalité de la Femme ». « Près de l’eau, source de vie et de régénération, la belle, dans sa nudité première, les cheveux sans apprêts, naturellement épars, s’est endormie. Ce sommeil n’est le résultat, ni de la chaleur, ni des libations. Aucune coupe, aucun breuvage près d’elle. Uniquement des fleurs –des roses- encore symbole de renaissance, et des fruits. Ce sommeil est comme une mort volontaire aux bruits et à l’agitation du monde. « Le sommeil, le rêve et l’extase sont les trois portes ouvertes sur l’au delà, d’où nous viennent la science de l’âme et l’art de la divination », disait Pythagore. » Rappelons que la pensée rosicrucienne du XIXème siècle mêle l’enseignement de Pythagore à la sagesse et la science brahmanique, aux influences de la Kabbale et de la Gnose, ajoutés à quelques notions d’alchimie. Ainsi il n’est pas étonnant que Mayi Milhou nous propose Pythagore comme clef de déchiffrement de cette toile qu’elle complète d’une explication par les textes religieux hindous, les Vedanta61 dans lesquels il est dit que l’homme peut atteindre la « connaissance de soi » lorsqu’il parvient à un sommeil sans rêve, lorsqu’il parvient à un état de Béatitude. « Dans cette descente au fond de soi favorisée par le sommeil, la belle découvre qu’elle est « l’ombre », c’est à dire la partie obscure de son être. Elle y perçoit sa dualité. Sensuelle comme la bacchante, habitée par toutes les luxures, elle aspire cependant à dépasser les satisfactions matérielles et à vivre par l’esprit. Tout là haut, la tête dans les nuages, il y a une tour. » Plus exactement elle s’élève dans la partie gauche de la toile, au milieu des collines. « C’est l’image de la construction de soi. Elle devra s’y enfermer. » 59 60 Propriété du Musée d’Orsay mais à l’ambassade de France à Vienne en Autriche depuis 1961. Mayi Milhou, Op.cit. 61 Textes religieux hindous. Ce sont les plus anciens connus fondés sur les mots Veda, connaissance, et Anta, point ultime du savoir. 48 « De blanc vêtue, fine comme une Tanagra, une silhouette féminine, symbole de sa psychè régénérée, passe, tournant le dos au centaure qui pourtant la convoite. L’eau du bassin reflète son double qui tremble à son passage, car l’humaine Psyché ne cesse de lutter entre l’esprit qui l’attire et le corps qui la retient. Vers quoi, vers qui dirige-t-elle ses pas ? elle aurait tort d’aborder l’éphèbe à califourchon sur la balustrade du bassin. Si près de la jeune femme endormie, une jambe frôlant le corps de la belle, il ne montre aucun émoi. Seule la grappe mûre, que déjà ses yeux dévorent, est l’objet de son désir. » Cette analyse n’entre dans notre propos sur les décors de la Villa Arnaga que parce qu’elle est révélatrice de ce qui animait l’artiste au moment où elle produit la seconde version de son Automne, puis Les cygnes noirs. Elle dira un jour avoir aimé deux hommes, physiquement incapables de répondre à son amour. Le deuxième n’est-il pas Maurice Rostand dont elle tombe éperdument amoureuse et qui, malheureusement pour elle, lui voue toute son amitié la plus sincère mais lui préfère les hommes. ? Alors, même si Automne a été peint en 1902, avant qu’elle ne soit en contact avec la famille Rostand, on peut y ressentir cet amour insatisfait et ce déchirement entre corps et intellect. De plus, cette dualité se retrouve dans Les Cygnes Noirs. Dualité et une nouvelle fois, double lecture. A première vue, nous sommes face à une toile qui présente de beaux corps nus dans un paysage équilibré entre le ciel, la terre et l’eau. Mais si nous regardons de plus près, alors on comprend l’éphèbe comme le symbole du désir de l’amour –il est à porté de main - et du leurre qu’il représente – il n’est attentif qu’à lui-même et au son de sa flûte. (Illustration N°50) A peine la famille Rostand installée, le curé de Cambo vient visiter Arnaga et contemple avec un certain attendrissement les portraits des Nymphes du printemps et de l’Automne plutôt dévêtues par Hélène Dufau. Edmond Rostand fait son entrée : « - Excusez un poète fantaisiste, monsieur le curé, ces tableaux sont un peu trop…mythologiques ! - Mais pas du tout ! Je savais combien Dieu avait fait belles nos saisons. Mais ces tableaux me montrent à quel point elles sont jolies… D’ailleurs le ciel entre dans cette demeure par les fenêtres – et tout est pur sous le regard de Dieu. » Cette anecdote vient renforcer les propos tenus à l’égard de la réception positive des œuvres de Mademoiselle Dufau dans le chapitre premier. 49 b. Médaillons escalier. « L’escalier de pierre blanche qui tournait aussi nacré qu’un immense coquillage », selon l’expression de Rosemonde Gérard, est orné de trois médaillons ovales rendant hommage à la beauté féminine, incarnée dans le corps de trois femmes nues qui rappellent les déesses. Plaçons-nous sur le palier. Le premier médaillon de gauche nous offre la vision d’une belle femme aux cheveux bruns, relevés en chignon. (Illustration N°51) Elle est nue, le genou droit posé à terre, sur un drap blanc, et la tête penchée également vers la droite suivant son bras qui s’apprête à accueillir un perroquet aux multiples couleurs. Cet ara chamarré est à mettre en parallèle avec celui qu’Hélène Dufau a peint pour sa composition Zoologie en 1910, destiné à la Salle des Autorités de la Nouvelle Sorbonne. (Illustration N°52) Sur sa main gauche est déjà posé un cacatoès blanc. Son teint est doré, le reste de sa peau est en revanche très clair, des reflets nacrés s’en détachent. Ses formes sont plutôt voluptueuses, sa poitrine petite, son ventre rond, ses bras et ses jambes potelés. On remarquera qu’on ne voit ni ses mains, ni ses pieds. Elle nous présente son visage de profil ce qui met en valeur son nez droit. Revenons aux perroquets, la symbolique de ce volatile est assez confuse dans la mesure où ce n’est pas l’animal le plus représenté. Il est avant tout le symbole de l’éloquence, mais il est peu probable que ce soit ici son propos. Dans la tradition d’Amérique du sud, les couleurs de son plumage représentent le feu (rouge), la terre (vert), l’eau (bleu) et le soleil (or) ; il symbolise la beauté de la vie. En Inde, il symbolise Kamadev, le Dieu de l’Amour. On peut alors penser qu’Hélène Dufau donne à cet oiseau une lointaine connotation mythologique d’aigle jupitérien62. Le perroquet au plumage chatoyant devient le signe de l’érotique et de l’exotique mêlés, comme nous l’a présenté Gustave Courbet dans La Femme au perroquet de 1866, conservé au Metropolitan Museum of Art, New York. (Illustration N°53) Cette petite scène se déroule dans un cadre très resserré. Aux pieds de la jeune femme sont posés des grenades, symboles d’amour, de fertilité et de prospérité ; certaines sont ouvertes et présentent leurs chairs rouges. Derrière elle, des plantes, qui pourraient bien être 62 L'amour entre le jeune berger Ganymède et Jupiter constitue le seul amour purement homosexuel du dieu. Il le consomme métamorphosé en aigle, avant d'emmener le jeune homme dans les airs pour en faire son échanson et remplacer à ce poste Hébé. 50 des cactus avec leurs petites fleurs rouges. On distingue encore un arbre sur la droite et en arrière plan, c’est une corniche à la falaise abrupte et la mer qui se perd dans l’horizon. Le ciel est bleu mais habité par un gros nuage blanc. Le second médaillon nous donne à voir une seconde jeune femme agenouillée sur un drap blanc et accoudé sur ce même drap qui forme donc un angle droit. Sa position est assez alanguie, elle a posé sa tête dans sa main gauche et son regard semble un peu perdu. Comme pour la première image, ses cheveux bruns sont également relevés, sa peau diaphane, ses formes généreuses. Les traits de son visage sont fins, les sourcils arqués, le nez droit, la bouche formant un trait menu. (Illustration N°54) Le drapé est déployé dans une vigne qui offre des nuances de vert, de jaune et de rouge et qui ferme presque entièrement l’horizon. Seul le coin supérieur droit laisse entrevoir ce qui pourrait être de l’eau et un ciel de crépuscule. Deux magnifiques paons l’accompagnent. Le premier placé derrière elle nous laisse admirer son col au bleu profond rehaussé de reflets violets et sa longue queue dont Hélène Dufau a rendu toutes les nuances. Le second, devant elle, picore les grains de raisin blond posés sur le sol. Pourquoi le choix du paon ? Est-il possible de faire un parallèle avec ceux qui se trouvaient dans les jardins d’Arnaga. Le paon est présent dans la pièce Chantecler. Si en Europe le paon est généralement un symbole de la vanité, aspect que lui a donné Edmond Rostand dans sa pièce, cet oiseau est consacré dans la mythologie classique à la déesse Junon (femme de Jupiter et déesse du mariage et de la fécondité, symbole de beauté immortelle). Ici n’est-il pas placé près d’une femme dont la beauté est exaltée ? Par ailleurs, il est aussi un symbole solaire par sa queue qui se déploie en forme de roue. Tel est le cas dans la tradition chrétienne, où il est un signe d’immortalité. Peut-on alors y voir un hommage d’Hélène Dufau aux Rostand, et plus particulièrement à Rosemonde Gérard ? Dans le médaillon de droite est agenouillée une jeune femme blonde qui tient dans un geste d’offrande une corbeille de fruits (citrons, oranges, pêches, figues). Ses caractéristiques stylistiques sont les mêmes que les deux femmes précédentes. A ses pieds, des figues ouvertes symbolisent le plaisir. (Illustration N°55) Dans ce dernier médaillon, le paysage est de nouveau ouvert, sur un lac ou une rivière et en arrière plan on peut voir une chaine de montagne ou des falaises. Le ciel prend cette teinte jaune que nous avons déjà observée dans le second médaillon, et un nuage vient l’habiter. 51 Les deux oiseaux qui tiennent compagnie à la jeune femme sont des flamands roses. La symbolique du flamand rose n’est que très peu étudiée. Mais parce qu’il vit en groupe on peut déjà lui attribuer un caractère protecteur. De plus, son alimentation à base de carotène en quantité plus ou moins abondante, lui donne la capacité de changer de couleur, de se « déguiser » et se sortir de situations délicates. Cette illusion le rapproche des artistes et des acteurs. C’est cette même couleur rose qui fait que dans la mythologie égyptienne le flamand rose, était le symbole vivant du dieu du soleil « Ra ». Il est également le symbole de la loyauté, de l’assurance, de la richesse, de la grâce et de l’élégance et ceux qui le choisissent comme emblème sont portés par la volonté d’aller toujours plus loin que leurs objectifs. Ainsi donc, pourrait-on penser que ce troisième médaillon reflète expressément les qualités d’Hélène Dufau : sa devise n’est-elle pas d’aller toujours « plus loin »63 ? Sans oublier que cette « artiste » a voué à la famille Rostand et à Maurice en particulier une amitié plus que « fidèle ». En revanche, Hélène Dufau avait des difficultés à s’affirmer et « manquait de confiance en elle » ; un trait de caractère qu’elle partage avec Edmond Rostand qui doit son Œuvre au soutien incontesté de son épouse. L’observation simultanée des trois médaillons nous offre donc une exaltation de la beauté à travers le nu féminin et le dessin de ses courbes. Il s’agit également d’une célébration de l’amour et de la nature. Il est enfin possible d’avancer quelques suggestions quant à l’hommage qui est fait par la jeune artiste aux membres de la famille Rostand, artistes et amis. Par ailleurs, il nous faut évoquer un document photographique récemment entré au musée. Il s’agit d’une photographie de Rosemonde Gérard prise dans le boudoir. (Illustration N°56) Elle pose assise dans un grand fauteuil, dans une attitude maniérée, et seul un pan de tissu drapé sur le haut de ses cuisses vient cacher sa nudité. Ce cliché était accompagné de plusieurs autres sur lesquels était présente Hélène Dufau ce qui a permis de conclure qu’il s’agissait probablement d’une séance de pose destinée à servir de modèle au peintre en vue des médaillons. En effet, on peut rapprocher la pose de la poétesse de celles des trois nymphes. Et lorsque l’on regarde le cliché en détails, on retrouve les plis de la chair, le galbe de la jambe, la rondeur du genou. Comment savoir, alors, dans laquelle des trois jeunes femmes Hélène Dufau a-t-elle réellement incarnée Rosemonde Gérard ? La première hypothèse, établie bien avant que la photographie ne soit retrouvée, voyait Rosemonde dans le médaillon aux flamands roses. La 63 Mayi Milhou, Op.cit. 52 coutume voulait qu’Hélène Dufau se soit pour cela inspirée du portrait de la maitresse de maison peint par Caro-Delvaille qui se trouve aujourd’hui encore dans la salle à manger. Cette hypothèse est soutenue par Mayi Milhou : elle qualifie cette nymphe de « la plus belle et la plus gracieuse », donc nécessairement celle qui rend hommage à Madame Rostand. Mais la seconde hypothèse, argumentée grâce à la découverte du document photographique, penche davantage pour la nymphe aux perroquets, à la chaire nettement épanouie. D’ailleurs, sur la photographie, Rosemonde Gérard est brune et non blonde. A cela s’ajoute le fait qu’il existe un deuxième tirage de ce cliché. Or sur le plus ancien, probablement l’original, le modèle est tourné vers la droite, ce qui le rapproche d’autant plus de la position prise par la nymphe. Quoiqu’il en soit, les trois déesses sont relativement semblables ce qui peut laisser penser qu’Hélène Dufau s’est de toute façon inspirée de Rosemonde Gérard pour les trois médaillons. 3. Georges Delaw a. Studio des enfants : Chansons populaires. Les quatre murs du studio sont décorés de quatre panneaux illustrant de vieilles chansons françaises. Les villageois dansent Sur le Pont d’Avignon qui enjambe la cheminée sur le panneau de l’entrée (Illustrations 58 et 58 bis); au-dessus de la porte-fenêtre qui donne accès à la terrasse, la jeune bergère rentre ses moutons, surprise par la pluie et encouragée par la chanson Il pleut bergère ; faisant face à la cheminée de cuivre, Malbrough s’en va-t’en guerre tandis que l’on souhaite Bon voyage (à) Monsieur Dumollet dont le départ se fait sur le même panneau que le vitrail du cygne. (Illustrations N°59, 59 bis, 60 et 60 bis) Les toiles de Georges Delaw ont été peintes à la détrempe. Ce décor est un véritable ensemble puisque chaque peinture est accompagnée du titre de la chanson, d’une partition musicale pour donner la note et d’une phrase emblématique extraite du refrain. Ces inscriptions se détachent en noir sur la frise de bois de frêne du Canada qui court le long des poutres apparentes du plafond. Les soubassements sont lambrissés de cette même essence de bois, agrémentée d’incrustations de nacre. Cet ensemble est encore enrichi d’une cheminée dont la hotte en cuivre est ornée de motifs végétaux enroulés et dont la plaque de fonte, dans le foyer, représente une scène 53 champêtre. Enfin, la marqueterie du mobilier répond aux boiseries des murs, dans l’esprit d’un art total, comme nous l’avons déjà évoqué dans le premier chapitre64 Si le décor actuel est aussi riche en couleurs, c’est parce qu’une campagne de restauration a permis, par gommage à sec, de retirer les poussières qui s’y étaient déposées. Ce sont les fumées de la cheminée qui ont accéléré ce processus de dégradation. D’autres facteurs venaient ternir l’ensemble, notamment de précédentes retouches à la peinture qui avaient mal vieilli ou encore des traces de colle formant des tâches et la marque d’une ancienne gouttière.65 Les peintures de Georges Delaw pour Arnaga sont considérées comme une œuvre majeure dans la carrière de l’artiste puisqu’elles sont presque systématiquement évoquées dans les articles nécrologiques qui lui sont consacrés en 1938 et 1939. Ainsi dans le journal La Grive66, René Druart67 liste, dans la catégorie « peintures », « Contes de Perrault, cinq panneaux, Arnaga, ancienne propriété d’Edmond Rostand, à Cambo ». Même s’il y a erreur sur le thème, le travail pour Edmond Rostand n’est pas oublié. Le peintre a passé plusieurs semaines à Arnaga qui l’ont ravi : il est demeuré enchanté du poète. Journal Concorde 18 juillet 1935, Article par Eugène Montfort. Observons ces toiles ; l’analogie est réellement forte avec le dessin même si le médium employé est la peinture. De toutes les peintures d’Arnaga, celles-ci sont les plus isolées de par leur style. La couleur est appliquée par couches épaisses et les cernes noires renvoient au trait de crayon du dessin et donnent l’impression que les formes ont été « coloriées ». Les couleurs sont franches, chaque espace est peint en aplat, sans qu’il n’y ait vraiment de dégradé. On est vraiment dans l’idée de l’imagerie populaire. D’ailleurs, le peintre ne signait-il pas « Georges Delaw, imagier de la reine » ? Cependant, à l’inverse de l’imagerie d’Epinal, la mise en couleur ne se fait pas au pochoir, n’oublions pas qu’il s’agit ici de peinture, et le travail est donc beaucoup plus minutieux. C’est cette minutie qui caractérise le travail du peintre. Quelque soit la technique utilisée par Delaw, il apporte par exemple un 64 Chapitre I, A, 3, a, p.26 Source : Odile Contamin, conservatrice du musée de 200 à 2006. 66 René Druart, « Bibliographie de Georges Delaw », La Grive, N°44, Avril 1939, p.11. 67 1888-1961, industriel (gérant de la maison familiale de matériaux de construction "DRUART & PELLOT"), il participe en même temps à la vie littéraire et intellectuelle de la région, collaborateur de la revue ardennaise "La Grive" 65 54 grand soin à l’étude des reliefs du terrain, il s’applique à rendre compte de la surface inégale d’une route, un goût qu’il faut sans doute mettre en parallèle avec le sol accidenté de Montmartre où il aimait tant vivre. Dans son traité Le collectionneur de peinture moderne, André Fage range Delaw parmi les quarante peintres modernes dignes de figurer dans une collection consacrée aux paysagistes. Un choix des plus avisés car Delaw est un des artistes qui a le mieux compris et exprimé le charme de notre province française. Il possède un véritable sens décoratif, un parti pris panoramique, et maitrise parfaitement le dépouillement synthétique. En cela on peut également le rapprocher de la façon de voir des japonais : sensibilité concise et attrait du détail avec toutes ses ressources évocatrices. L’utilisation de la peinture à la détrempe est particulièrement adaptée à cette expression car les pigments liés à la colle permettent un aspect clair et mat. En conclusion, même si le travail de Delaw ne présente pas en apparence d’unité avec les autres décors de la villa, il est pourtant bien ancré dans son époque. Il poursuit en effet les recherches des artistes contemporains par le biais du japonisme auquel il emprunte le traitement en aplat de couleurs et qui confère à ses toiles un rendu finalement assez proche de l’art de la tapisserie très en vogue au XIXème siècle, notamment avec le groupe des nabis. Le 6 mars 1906, Georges Delaw écrit à son ami Ardennais André Fage, « J’ai eu la visite de monsieur Henri Lee, frère de Rosemonde Rostand, de la tribu des sympathiques et des cordiaux qui s’occupe à Paris des affaires d’Edmond Rostand ». Deux mois plus tard il ajoute : « Ma décoration pour Rostand est en train, il s’agit d’un fumoir. J’ai trois panneaux de quatre à cinq mètres de long. Tous ont deux mètres de haut. Je travaille aux maquettes. Je mettrai cela en train d’ici huit à quinze jours. Il me faudra au moins un mois ».68 L’exécution du décor pour Edmond Rostand s’est effectuée principalement dans l’atelier du peintre à Paris même si Delaw a effectué plusieurs séjours à Arnaga. Le poète a été séduit par la manière du peintre ; pour autant la réalisation de la commande ne s’est pas faite sans souci, les deux partis étant très exigeants. Cette lettre qu’Edmond Rostand envoie à son épouse, en séjour à Paris en 1906, illustre parfaitement le propos : « Delaw vient de répondre un mot dans lequel, tout en remerciant de l’argent, il ne semble pas ravi : sans doute il attendait de plus grands compliments. (…) Tâche de l’inviter à déjeuner, tu l’embobineras comme un Truffaut. (…) Et alors tu pourrais le couvrir de tels 68 Correspondance de Georges Delaw, fonds Fage, médiathèque de Sedan. Source : Michel Forrier. 55 éloges sur Dumollet et Malbrough que tu lui ferais comprendre que son intérêt serait d’avoir un ensemble parfait. J’espère qu’il ne demanderait pas cher. Qu’il comprenne que c’est très bien comme ça mais que ce serait merveilleux avec un panneau grouillant de costumes en plus : Cadet Rousselle, ou Le Pont D’Avignon, prenant sur la porte. Pourquoi ne pas faire danser sur le Pont d’Avignon plusieurs personnages de chansons. Dis à Delaw que je fais un mobilier spécial pour la pièce, et que je voudrais que l’ensemble fût exquis. Ne connaît-il pas un modèle de lanterne à pendre au milieu pour l’électricité. Enfin si tu peux le voir et arranger encore ça, tu seras toujours la Fée. » Le 30 mai 1906 Rosemonde répond à son époux qu’elle a envoyé une invitation à déjeuner à Delaw comme il le lui a suggéré. Après sa rencontre avec le peintre elle rassure Edmond Rostand : « Delaw : tout était comme je te l’ai dit parfaitement convenu et juste comme tu le désirais ». Malheureusement les difficultés persistent. Au mois de Juillet est invité à Cambo mais revenu de son séjour, il est mécontent : « La maison Rostand avait promis de garnir mon escarcelle pour mettre en train un nouveau panneau (les cinq premiers étant déjà parfaitement boulottés). Or voici 23 jours passés que ces bonnes gens ne me donnent pas signe de vie. J’ai timidement risqué un appel, il y a 8 à 10 jours, rien. J’ai arrêté le travail et j’en suis ennuyé car j’ai des frais d’atelier, toile châssis qui vont me rester sur le dos ». En réalité, les Rostand connaissent actuellement des difficultés financières qui retardent le paiement des panneaux. Mais comme les faits sont cachés à Delaw, ce dernier ne peut que se montrer impatient.69 Quoi qu’il en soit, les toiles sont finalement achevées et installées. Leur étude révèle que Delaw a probablement utilisé les mêmes dessins préparatoires que ceux destinés aux illustrations du livre de chansons Voyez comme on danse ! préfacé par Rosemonde Gérard70 Nous nous appuyons sur deux panneaux en particulier : Bon voyage, Monsieur Dumollet et Malbrough s’en va-t’en guerre. Dans le premier cas on retrouve la même construction générale autour du fiacre tiré par deux chevaux et surchargé sur le toit des bagages de Monsieur Dumollet. (Illustration N°61) Ce dernier salue de son chapeau les gens qu’il quitte. Ce détail mérite que l’on s’y attarde un instant pour présenter un cliché photographique sur lequel Georges Delaw, en blouse de peintre, pose devant le décor qu’il est encore en train 69 70 Correspondance de Georges Delaw, Op.cit. Cf. Annexe X. 56 d’ébaucher dans son atelier. C’est le chapeau triangulaire du personnage qui permet d’identifier la toile en cours. (Illustration N°62) Dans le second cas (illustrations N°61 bis), la composition est aussi copiée dans son ensemble sur l’illustration du livre. Surtout, cette analyse des dessins et peintures permet de reprendre chacun des points caractéristiques du travail de Delaw. D’abord le déploiement en frise avec une perspective irréelle rendue par un premier plan habité par les personnages et un second plan architecturé constitué des maisons villageoises. Entre les deux l’éloignement est figuré par la réduction d’échelle des personnages et une perte de détails. Ensuite le synthétisme dont le chapeau de Monsieur Dumollet sert une nouvelle fois de référence. En effet, quel meilleur exemple que ce couvre-chef constitué uniquement d’un cercle inséré dans un triangle. Ces deux formes géométriques dans leur représentation la plus basique suffisent à l’imaginaire. B. Reproduction 1. Jean Veber : Le « Salon des Fées » a. Restitution du décor d’origine. Les toiles que l’on peut aujourd’hui admirer à Arnaga ne sont malheureusement pas les originales, car elles ont été mises en vente par Monsieur et Madame De Souza Costa, propriétaires du domaine en 1922.x En 1983, Monsieur Jean Pierre Camard71 propose les toiles à la Mairie de Cambo-lesBains pour la somme de 400.000 francs. Elles ne seront pas acquises en raison du coût déjà élevé que représente l’entretien de la villa Arnaga.xi En 1986, des éléments du décor sont passés en vente chez Christie’s Monaco sous le numéro de lot 114 (le 15 juin). Et le 5 décembre 1990, un second lot, N°145 était présenté à l’Hôtel Drouot. En 1993, Monsieur Jacques Sargos72 annonce dans une lettre à Monsieur Poupel, alors conservateur du musée, qu’il a pour mission de vendre l’ensemble des toiles pour le compte 71 72 Expert en tableaux et objets d’art. Il tient une galerie d’art à Bordeaux : « L’Horizon Chimérique » 57 d’un professionnel parisien. Le prix demandé était de 370.000 Francs. Comme la Mairie ne peut toujours pas faire l’acquisition du décor, les toiles partent aux Etats-Unis.xii Le décor présent a été réalisé en 2008 à partir de 15 ektas négatifs que le musée conservait dans ses archives et qui ont sans doute été pris lors de la vente de 1983. La technique employée pour cette reproduction est celle de la Digigraphie®. (Illustrations N°63 et 63bis) La Digigraphie® est le fruit de nombreuses années de recherche du groupe Seiko Epson sur les performances techniques de ses imprimantes et sur la qualité et la résistance de ses encres pigmentaires UltraChrome™. La Digigraphie® est un label technique qui permet de produire ou reproduire une œuvre d'art en série limitée : photographie, peinture, collage, dessin, aquarelle, création numérique, etc. L'utilisation du terme Digigraphie® concerne exclusivement une épreuve réalisée : • Par une imprimante professionnelle Epson Stylus Pro • Avec des encres Epson UltraChrome™. • Sur papiers certifiés. Les papiers agréés Digigraphie ont passé des tests de résistance à la lumière permettant de garantir une durée de vie supérieure à 60 ans en conditions normales d'exposition en intérieur. • Authentifiée : numérotée, signée par l'artiste, marquée de l'empreinte en relief et accompagnée de son certificat. C’est l’Atelier Profikolor d’Anglet qui a effectué le travail. Le chromiste graveur Erick Garcia a procédé à la numérisation et à la retouche chromique de l’ensemble des clichés puis au contre collage des toiles cansons sur des panneaux de bois. b. Présentation Edmond Rostand a commandé un ensemble de peintures à Jean Veber pour le boudoir de son épouse au premier étage de la villa. Ce sont des illustrations de contes de fées, principalement choisies parmi les Contes de Perrault. Le peintre a représenté Peau d’Ane, La Belle au Bois dormant, Les Noces du Chat Botté, Cendrillon, Riquet à la Houppe. Il complète cet ensemble de deux contes de Madame d’Aulnoy, Gracieuse et Percinet et L’Oiseau Bleu et d’un conte d’invention, La Cage d’Or. 58 Les toiles, marouflées, ont été réalisées entre 1904 et 1905. La signature du peintre est visible sur le soubassement de la colonne formant le décor architecturé de Peau d’Ane. Le travail de Jean Veber et la mise en place des toiles sont évoqués en quantité importante dans diverses correspondances. Ainsi on peut suivre l’évolution des compositions à travers les lettres échangées entre Jean Veber et Joseph Albert Tournaire. Les deux hommes semblaient être de bons amis et Veber lui confie à la fois son excitation et son inquiétude de travailler avec un personnage de l’envergure d’Edmond Rostand : « Je suis encore tout au plaisir de la triple visite que j’ai reçue hier. Je ne sais si Rostand en conserve un aussi bon souvenir, pour moi j’ai été bien sensible à sa bonne grâce à tous ces avis qu’il donnait avec une si délicate retenue. Je vois qu’il prête une grande importance à mes peintures et j’en suis très flatté. »xiii Les toiles ont été réalisées dans l’atelier parisien de l’artiste. Il est ensuite venu passer plusieurs semaines à Cambo pour adapter son œuvre aux contours du boudoir. De ce fait, Edmond Rostand n’a pas pu suivre en direct l’évolution de son travail. Mais grâce à une lettre manuscrite que Jean Veber a adressée à son mécène Louis Lacroix, et que l’on conserve aujourd’hui encore, il nous est possible d’imaginer la manière dont travaillait le peintre. Parmi les différents documents, les mémoires de travaux conservés dans les archives d’Arnaga sont particulièrement intéressants pour cette pièce car ils permettent d’établir que l’état actuel du boudoir, même s’il diffère de l’état initial, compte tenu de l’absence d’une grande partie du mobilier, reste tout de même dans l’esprit voulu par Edmond Rostand avec son chiffonnier en érable et bois de rose, sa table recouverte d’un voile brodé, et sa coiffeuse dotée d’un miroir.xiv c. Les contes de fées dans l’œuvre de Veber Puisqu’il s’agit d’une commande privée, cet ensemble est a priori isolé. Néanmoins il faut mettre en rapport le thème des contes de fées avec d’autres peintures réalisées ultérieurement par l’artiste et dont on est capable d’établir une liste grâce aux ventes des 59 œuvres de l’Atelier Veber dont la première a eu lieu le 25 mars 1936 et la seconde les 9 et 10 février 1938 à Drouot.73xv Cette liste ne peut pas être exhaustive puisque tel n’est pas le sujet de notre travail. Cependant nous pouvons encore cité l’article de Corinne Van Eecke, consacré aux « contes et fables dans les livrets de Salons »74, évoque un tableau intitulé Conte de fée exposé au salon de 1894 sous le numéro 1800 et présentant une fée attrapant un dragon avec une sorte de hameçon. d. Description Cette composition ininterrompue court sur les quatre murs du boudoir, insérée dans un décor totalement féérique. Elle prend place au dessus « d’un revêtement mural en carreaux de grès flammés. Réalisés par Alexandre Bigot, ces pavés de terre cuite ont une tonalité tilleul rosé, légèrement semée d’éclats de couleur turquoise75 (variation des tons grâce à l’action du feu) »76. C’est sans doute le demi-frère de Rosemonde Gérard, William Lee, lui-même céramiste en Puisaye, qui a conseillé à Rostand, son ami Alexandre Bigot. Cette céramique est surmontée d’une frise en bois d’érable en marqueterie Art Nouveau. Jean Veber a peint l’épisode le plus caractéristique des huit contes cités. Ils sont répartis sur les quatre parois en quatre panneaux divisés eux mêmes en compartiments fictifs représentés par des éléments architecturés peints ou des troncs d’arbres. Au dessus de la porte d’entrée figurent trois décors de forêt séparés les uns des autres par deux troncs d’arbres contre lesquelles se blottissent le Petit Poucet avec son bonnet de coton (à gauche) et Puck le lutin, fumant sa pipe (à droite). Riquet à la Houppe, L’Oiseau Bleu et Gracieuse et Percinet. Le mur de gauche, également troué d’une porte, est entièrement occupé par le conte de Cendrillon. Au-dessus de l’arc surbaissé où s’ouvrent trois petites fenêtres en plein cintre, prennent place Les Noces du Chat botté et de la Chatte blanche à gauche et La Cage d’or à droite, séparés par une rose. La niche des fenêtres est 73 Catalogues des ventes de l’Atelier Veber, Drouot, 25 mars 1936, Salle N°1 et 9 & 10 février 1938, Salle N°11. Corinne Van Eecke, Contes et fables dans les livrets du Salon, in la revue Romantisme, « Le Conte et l’image », 1992, N°78, page 31. 75 (1862-1927) Céramiste spécialisé dans le façonnage des plaques dont le travail a été tôt reconnu. En 1901, il travaille aux côtés d’Alexandre Charpentier et réalise les carreaux en grès émaillé qui surplombe les boiseries de la salle à manger commandée par Adrien Bénard, banquier, pour sa propriété de Champrosay (aujourd’hui présentée dans la salle 66 du Musée d’Orsay). En 1902, il est l’un des décorateurs de la Villa Majorelle à Nancy. Autres commandes notables : l’église Saint-Jean de Montmartre et la Chapelle Saint-Médard à Paris. 74 76 Michel Forrier, Petite Histoire d’Arnaga, 2006, pp.88-89. 60 également peinte dans un trompe-l’œil de mosaïque et représente un roi et une reine accompagnés de leurs quinze enfants et d’une inscription qui rappelle que tout conte débute par « Il était une fois » pour s’achever avec « Ils eurent beaucoup d’enfants »77. (Illustration N°66 bis) Enfin, faisant face au mur de Cendrillon, deux compartiments scindés par des motifs architecturaux sont illustrés de Peau d’Ane et de La Belle au bois dormant. (Illustrations N°64, 65, 66, 67) L’ensemble du décor est couronné, à la hauteur des portes, par une corniche de bois d’érable sculpté. Cet ensemble est probablement le plus riche de la villa iconographiquement ; il fourmille de détails que l’artiste a « imaginés, composés, ordonnés, exécutés avec la même minutie, avec la même recherche, avec le même soin. »78. Jean Veber « possède l’imagination la plus vive, la plus fraîche, la plus colorée […] ; c’est un fantaisiste exquis et un réaliste truculent, qui peint avec autant de verve les grimaces que les sourires des êtres et des choses, et qui est aussi sensible à leur laideur qu’à leur beauté. » C’est la raison pour laquelle cette partie du mémoire est l’une des plus développée. Riquet à la Houppe Riquet à la Houppe est un conte populaire dont la version la plus célèbre est celle de Charles Perrault parue en 1697 avec les Contes de ma mère l’Oye. Il aurait été inspiré à Perrault d’une nouvelle de Catherine Bernard. Cette auteure était normande ce qui expliquerait le prénom de Riquet dont l’étymologie dans la langue régionale signifierait « contrefait, bossu ». Il raconte l’histoire d’une reine qui accoucha d’un enfant très laid. Mais une fée promit à la reine que cette laideur serait compensée par un grand esprit qui permettrait au futur jeune homme de conquérir sa bien-aimée et de partager avec elle ses connaissances. Au bout de sept ou huit ans, la reine d’un royaume voisin donna naissance à deux petites filles. La première était très belle mais la fée déclara qu’elle aurait peu d’esprit tandis que la seconde était très laide mais son intelligence serait telle que personne ne s’apercevrait de cette laideur. Toute deux transmettraient leur caractère à celui qu’elles épouseraient. 77 Confiant, Edmond Rostand a laissé à Jean Veber la liberté de la décoration de cet arc. Sur un fond de mosaïque dorée en trompe-l’œil, il a placé un roi et sa reine couronnés. Ils font penser, par leurs vêtements, aux enluminures persanes. Ils sont entourés de quinze bébés emmaillotés (comme cela se faisait encore à la fin du XIXème siècle) également tous couronnés, hormis un qui est coiffé du bonnet rouge de la Révolution. (Cf. Michel Forrier in Petite histoire d’Arnaga, p.94). 78 Article de Gabriel Mourey, « Le boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo » in Les Arts, mars 1910, p.19 et 21. 61 Alors qu’elles grandissaient, tout le monde s’intéressait à la brillante princesse mais personne ne remarquait la jolie princesse. Un jour que cette dernière pleurait dans les bois, elle rencontra un homme fort laid. C’était Riquet à la houppe qui la consola et lui demanda sa main pour pouvoir lui offrir de l’esprit en plus de sa beauté. Elle accepta sans trop réfléchir de l’épouser au bout d’un an jour pour jour et, pendant que ce temps s’écoulait, Riquet lui transmettait ses connaissances comme la fée lui en avait donné le pouvoir. Tous les jeunes hommes du royaume allèrent à sa rencontre et voulurent l’épouser maintenant qu’elle était devenue intelligente. Mais la belle princesse refusait car elle voulait réfléchir avant de prendre sa décision. Elle se retira donc une seconde fois dans les bois. Tout à coup, le sol s’ouvrit sous ses pieds et une cuisine, des tables de banquet et des nains serviteurs surgirent de terre. C’était une idée de Riquet qui préparait le mariage qui lui était promis depuis un an. Il eut cependant du mal à convaincre la princesse mais il lui rappela qu’elle avait également un don : celui de donner la beauté à son mari. Alors ils se marièrent après le consentement du père de la princesse. Le thème choisi est celui de la métamorphose amoureuse, motif privilégié de la littérature galante avec l’idée que l’Amour donne de l’esprit et rend beau tous ceux qu’il touche. La morale de l’histoire est que la beauté intérieure comme extérieure n’existe que dans le regard du spectateur. Riquet incarne l’amour idéal dont rêves les précieuses, hérité de l’amour courtois du Moyen Age, qui méprise la vulgarité et l’amour sensuel. C’est un prince galant, doté de bonnes manières, d’éloquence et de raffinement. La description s’avère un peu délicate car cette partie de la composition est floue, sans doute à cause de la qualité initiale de la photographie. (Illustration N°64) Dans cette scène, les deux personnages principaux se tiennent devant un arbre. Sur la composition originale, on pouvait les identifier grâce à l’inscription de leur nom en lettres capitales. Riquet à la Houppe est vêtu d’un pourpoint ajusté rouge et de trousses froncées très courtes rayées de rouge et de blanc. Ces jambes sont couvertes de collants verts d’eau et ses chaussures basses à languettes reprennent cette teinte. Par dessus il porte un manteau ouvert rouge et bordé de fourrure blanche. Il a retiré son chapeau orné d’une longue écharpe et le maintient contre sa poitrine. Ses cheveux sont courts et sa barbe est fournie. Il est agenouillé devant la belle princesse, lui désignant le banquet en train de se préparer et lui rappelant sans doute qu’une année s’est écoulée et que sa main lui est promise. La princesse se tient debout dans une robe décolletée qui laisse voir le haut de son buste (cou et épaules). La robe est 62 moulante jusqu’à la taille avant de s’évaser et de tomber jusqu’au sol, formant une traine au long retombé. La taille est haute, placée sous la poitrine ce qui la met en valeur. Les manches sont fendues largement au dessus du coude et retombe en deux volants qui forment comme des ailes. Les couleurs sont quelques peu fanées à cause de l’état de restitution du décor mais reprennent très clairement les mêmes tonalités que les vêtements de Riquet. Elle porte ses cheveux coupés dans un carré court. Ses deux mains sont levées dans un geste de refus et l’expression de son visage, sévère, accompagne cette idée. Derrière elle se tient un petit chien blanc dont la posture a changée entre le dessin préparatoire publié avec l’article de Gabriel Mourey79 en 1910 et les toiles originales dont la Digigraphie® restitue à priori fidèlement le motif. (N°64bis) Ces costumes sont de toute évidence inspirés par la mode en vogue à la Renaissance bien qu’ils ne les copient pas de manière exacte. Mais on retrouve, dans le costume masculin, le pourpoint, les trousses courtes et froncées, les collants, la toque et son écharpe et pour le costume féminin, la robe décolletée dont la taille est haute et la longueur couvre les pieds. Il semblerait donc que Veber se soit documenté pour illustrer ce conte. Derrière le Prince, se trouve une « colonie » de nains qui s’affairent autour de marmites, plats, miches de pains et achèvent d’organiser la réception. Immédiatement à la gauche du prince, on peut observer celui qui semble être le chef cuisinier et qui donne ses ordres, les mains en porte voix. Il est habillé tout en blanc, sans doute avec un tablier. Il est coiffé d’une toque et porte un foulard rouge noué autour du cou. Au dessus d’eux, quatre nains habillés de rouge des pieds à la tête, sont assis sur une branche de l’arbre et observent la scène. A l’arrière plan, les multiples travailleurs dressent l’immense table du banquet recouverte d’une nappe blanche et sur laquelle des nains grimpés sur des échelles, finissent de décorer une pièce montée qui représente l’Académie Française (où siège Edmond Rostand). Sur l’image publiée dans l’article de Gabriel Mourey80, on peut voir que les médaillons fixés aux mâts arborent le « R » de Rosemonde surmonté d’une couronne comtale en référence au titre nobiliaire de son grand-père, le Maréchal Gérard. »81 79 Article de Gabriel Mourey, « Le boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo » in Les Arts (Edition spéciale Chantecler), mars 1910. 80 Gabriel Mourey, Op. Cit 81 Michel Forrier, Petite histoire d’Arnaga, p.89. 63 L’Oiseau Bleu « Il était une fois un roi fort riche en terres et en argent ; sa femme mourut, il en fut inconsolable. » Aucune gentillesse ne parvient à lui faire retrouver le goût à la vie, pas même sa fille, la belle Florine. Mais un jour, une femme endeuillée se présente à lui. Et comme elle n’essaie pas de diminuer la peine du roi mais au contraire l’accompagne dans ses plaintes et sa douleur, il l’accepte sans difficulté à ses côtés. Le temps faisant, les deux personnes finissent par ne plus évoquer leurs défunts compagnons et le roi épouse la veuve. Cette dernière a également une fille, Truitonne, mais contrairement à Florine elle est très laide. Le roi décide un jour qu’il est temps de marier ses deux filles. La nouvelle reine exige alors que sa propre fille soit la première ce à quoi le roi ne voit aucun inconvénient. Mais le prince qui est invité à la cour tombe immédiatement amoureux de Florine qui n’est que grâce et beauté. La reine et Truitonne vont tout faire pour empêcher Florine d’épouser celui qu’elle aime, le jeune roi Charmant. Elles l’enferment dans un tour et Soussio, la fée protectrice de Truitonne transforme Charmant en Oiseau Bleu pour une durée de sept ans. Des trahisons et des épreuves diverses attendent les amants, mais tout se termine par un heureux mariage tandis que Truitonne est métamorphosée en truie. L’épisode est délimité dans l’espace par deux arbres dont on ne voit que le tronc et quelques branches. Contre celui de gauche le Petit Poucet est assoupi tandis que Puck est adossé contre celui de droite. Les personnages évoluent dans une sorte de clairière à l’orée d’une forêt. Au loin, on aperçoit deux tours d’un château. (Illustration N°64) La scène compte quatre personnages principaux. Au premier plan, la princesse Florine, les bras tendus vers le ciel, reçoit un bijou que lui offre l’Oiseau bleu tandis que sa demisœur, la princesse Truitonne semble furieuse, elle aussi les bras levés mais dans un geste de colère. Le dernier personnage se trouve en arrière plan dans le ciel : il s’agit de la fée Soussio, la marraine de Truitonne, sur sa chaise volante trainée par des grenouilles ailées. Les deux princesses sont identifiables par leur prénom inscrit en jaune au dessus de leur tête. Florine est vêtue d’un grand manteau de cour rouge orné de rinceaux d’or terminé par une longue traine portée par deux enfants. Il s’ouvre sur une robe semble-t-il très simple, blanche et dont les manches souples et amples laissent découvrir ses avant-bras. Elle est coiffée d’une petite couronne d’or. En comparaison de sa demi-sœur, Florine est grande et fine et ses gestes sont élégants. Truitonne est une personne petite et grosse aux joues rougies 64 par la colère. Elle porte une robe jaune orangée82 à col blanc, également terminée par une longue traine et resserrée à la taille. Elle semble étriquée et n’est pas du tout mise en valeur. Il faut encore une fois noter que la reproduction digigraphiée ne permet pas de profiter des détails minutieux que Jean Veber avait apportés à sa toile. (Illustration N°64bis) En effet, les documents photographiques de l’époque révèlent plus amplement la finesse des traits de Florine et surtout la dentelle qui constituait les manches de sa robe et qui contrastent fortement avec la lourdeur de Truitonne et ses traits grossiers et même laids. On comprend aussi que le bijou offert par l’Oiseau bleu est un collier ou un bracelet de perles. On remarque enfin qu’un petit personnage a disparu dans la version dont dispose aujourd’hui Arnaga : un enfant caché à genoux sous la traine de la Truitonne et qui observe l’épisode avec étonnement, la bouche en « O ». Jean Veber n’a pas respecté les proportions en représentant les deux enfants de beaucoup trop petite taille pour que cela puisse être probable. Mais c’est probablement pour donner un effet de plus grande ampleur et splendeur au vêtement de la princesse, illusion renforcée par l’expression de béatitude dessinée sur leurs visages. Gracieuse et Percinet « Il y avait une fois un roi et une reine qui n'avaient qu'une fille : sa beauté, sa douceur et son esprit, qui étaient incomparables, la firent nommer Gracieuse. Il y avait dans cette même cour une vieille fille fort riche, appelée la duchesse Grognon, qui était affreuse de tout point. Cependant, la reine mourut et le roi en fut si affligé qu’il demeura près d'un an enfermé dans son palais. Enfin les médecins, craignant qu'il ne tombât malade, lui ordonnèrent de se promener et de se divertir: il s’en fut à la chasse, et comme la chaleur était grande, en passant par un gros château qu'il trouva sur son chemin, il y entra pour se reposer. » Il venait en réalité d’entrer chez Grognon qui, l’esprit malin, lui fit découvrir ses richesses, car le roi n’aimait finalement que l’argent. Aveuglé par l’or et les pierres précieuses il accepte de l’épouser quand bien même elle exige en plus d’avoir le contrôle de sa fille. Alors que Gracieuse, qui redoute le moment où elle devra rencontrer son affreuse belle-mère, pleure dans son jardin, elle voit venir un page doté de tous les agréments. Elle découvre qu’il s’agit de Percinet, un jeune prince riche et plein de savoir qui a reçu à la 82 Ou dorée ? Sur l’illustration parue dans l’article de Gabriel Mourey précédemment cité, on observe que sa robe était à l’origine ornée de motifs de pois blancs. 65 naissance un don des fées, et qui depuis toujours est amoureux de Gracieuse en secret. Mais aujourd’hui il est bien décidé à aider la princesse à surmonter les tourments que lui fera endurer sa marâtre. La rencontre a lieu, à mi-chemin entre les deux palais. Grognon est soudain jalouse du cheval de Gracieuse et exige de l’avoir pour faire la route jusqu’à sa nouvelle demeure. Mais le beau cheval se met à sauter, à ruer et à courir si vite, que personne ne pouvant l'arrêter, il emporte Grognon qui est retrouvée plus brisée et laide que jamais. Elle passe sa colère sur la princesse en la rouant de coups, mais grâce à Percinet les verges se sont transformés en plumes de paon et Gracieuse n’est pas blessée. Quelques temps après, la reine va jusqu’à faire croire que la princesse est morte en l’abandonnant dans la forêt et en faisant enterrer un morceau de bois à sa place. Heureusement, Gracieuse est une nouvelle fois sauvée par Percinet et elle vit un temps dans son propre « palais de féerie » entourée de la charmante famille du prince. Mais elle est triste de savoir son père abattu par sa mort et elle décide d’aller le trouver pour lui révéler l’atroce vérité. Le roi est d’abord surpris, puis convaincu, et finalement de nouveau aveuglé par son horrible épouse. Gracieuse est enfermée dans un cachot. Grognon lui apporte chaque jour de nouvelles tâches à priori impossibles à réaliser pour la faire souffrir. Une nouvelle fois aidée par Percinet, elle est libérée de ses corvées et de sa prison, mais Grognon lui remet une boite qu’elle doit apporter jusqu’à son château. En chemin Gracieuse ne peut résister à la tentation de l’ouvrir et une multitude de personnages s’en échappent, que la princesse ne parvient pas à rassembler. Heureusement Percinet les fait rentrer dans leur boite grâce à trois coups de baguettes. Dernière grande épreuve pour Gracieuse : elle est jetée par sa belle-mère dans un puits où elle perd cette fois-ci tout espoir. Mais au fond de ce puits, une petite porte s’ouvre sur le Royaume de Percinet. La belle Gracieuse accepte alors d’épouser le Prince. Il faut savoir que l’histoire s’est encore mieux terminée puisque Grognon a été étranglée sans que personne n’ait pu rien empêcher. La scène prend place dans la partie droite du premier mur, à côté de L’oiseau bleu dont elle est séparée par Puck adossé contre son arbre. (Illustration N°64) L’épisode représente l’une des dernières épreuves que Grognon fait subir à Gracieuse. La princesse, en route vers le château de sa belle-mère, se repose un instant, et sa curiosité, trop forte, lui fait ouvrir la boîte qu’elle devait livrer. Il s’en échappe plein de petits hommes et petites femmes, 66 avec des instruments de musiques, des tables et des plats qui, aussitôt, se dispersent dans le pré et dans le bois. Comme pour les deux contes précédents, ici aussi le décor est malheureusement abimé et flou. On reconnaît aisément Gracieuse aux longs cheveux blonds ornés d’une couronne de fleurs. Elle est assise la tête entre ses mains pour signifier son désespoir et regarde Percinet qui se tient à genoux à ses pieds. S’il est difficile d’étudier la robe de la princesse, en revanche Jean Veber s’est montré fidèle au texte en habillant Percinet d’un « riche habit de satin vert » aux manches bouffantes et qui semblent brodées d’or. Il est chaussé et coiffé de souliers rouges, bien que sur la peinture publiée en 1910 ce béret n’apparaisse pas. Le regard levé vers Gracieuse, il semble la supplier de l’épouser. La scène s’inscrit dans le pré dont il est question et l’on voit en arrière plan la forêt dans la continuité de celle de L’Oiseau bleu signifiée par une série de troncs d’arbres rectilignes et une masse verte en guise de feuillage. Au loin on aperçoit un château : est-ce celui de Gracieuse et de son père ? Celui de Grognon ? Ou encore celui de Percinet ? A l’entrée de la forêt, on observe encore (bien qu’avec difficulté sur la toile digigraphiée) le traineau peint et doré de Percinet, tiré par deux cerfs qui « pouvaient atteindre une vitesse prodigieuse, de sortes qu’en très peu de temps, ils les conduisaient en mille endroits ». Il est par ailleurs dommage que la toile soit, à ce point, floue, car elle empêche de distinguer les différents groupes de personnages qui évoluent autour de la boîte ouverte et posée sur le sol. Notamment, on remarquera qu’en plus de quelques couples de danseurs, deux rondes se sont formées dont l’une est d’une taille relativement impressionnante, réunissant des dizaines de petits hommes. Mais sur la toile qui orne aujourd’hui le boudoir, elle ne forme qu’une masse circulaire rouge. Les tons dominants sont les verts, les rouges et les ocres. Cendrillon. Un seigneur endeuillé convole avec la plus vile des femmes. Cendrillon, sa première fille, doit dès lors supporter les brimades de sa belle-mère et de ses deux filles. Elle est chargée des plus basses occupations de la maison et se couche le soir près des cendres - d'où son surnom. Un jour, le Roi organise un bal en l'honneur de son fils où toutes les jeunes filles à marier sont conviées. Les deux mauvaises sœurs s’y rendent, et Cendrillon reste seule à pleurer. Mais sa marraine la Fée l’entend et vient la consoler. Elle la pare d’atours dignes d’une princesse, et dans une citrouille transformée en carrosse (conduit par un rat changé en 67 cocher, tiré par six souris devenues des chevaux, et entouré par six lézards métamorphosés en laquais) Cendrillon peut finalement se rendre au bal. Le Prince s’éprend d’elle, mais avant minuit, heure où l’enchantement prend fin, elle se retire comme elle l’a promis à sa marraine. Le lendemain soir, Cendrillon retourne au bal, encore plus merveilleusement vêtue que la veille. Elle est tellement heureuse qu’elle en oublie l’heure, et lorsque le premier coup de minuit sonne, elle s’enfuit et perd en chemin l’une de ses pantoufles de verre. Le Prince se lance alors à la recherche de la propriétaire du soulier en se promettant de l’épouser. Ses sujets parcourent le Royaume pour faire essayer la chaussure à chaque jeune femme, mais aucune d’entre elle ne parvient à l’enfiler. Lorsque la pantoufle arrive chez Cendrillon et ses sœurs, ces dernières deviennent folles de jalousie et d’étonnement lorsqu’elles découvrent que non seulement le petit pied de la jeune femme y entre sans peine, mais qu’en plus elle possède la seconde pantoufle. A ce moment, sa marraine apparaît et donne un coup de baguette sur les habits de Cendrillon et les fait devenir encore plus magnifiques que tous les autres. Alors ses deux sœurs se jettent à ses pieds pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements qu'elles lui ont fait subir. On mène Cendrillon chez le jeune prince, parée comme elle était. Il la trouve encore plus belle que jamais ; et, peu de jours après, il l'épouse. Cendrillon, qui était aussi bonne que belle, fit loger ses deux sœurs au palais, et les maria, dès le jour même, à deux grands seigneurs de la cour. Le conte de Cendrillon occupe tout un pan de mur réunissant deux épisodes majeurs de l’histoire. (Illustration N°65) A l’extrême gauche le Prince, à l’entrée de son palais assiste impuissant au départ précipité de Cendrillon. Il est richement vêtu d’un collant blanc et d’une tunique brodée de rouge et d’or qui répond à ses souliers et à sa coiffe. Son geste est suspendu : il forme une diagonale avec son corps tendu vers la jeune femme déjà trop loin pour lui. Son mouvement fait voler sa cape dans son dos. Alors que les trois scènes précédentes se déroulaient en pleine nature, ici l’artiste a placé son personnage à l’entrée d’un palais dont le porche est couvert par une série d’arcades que supportent trois colonnes sur le devant et deux colonnes engagées sur la façade. La porte derrière le prince est restée ouverte et laisse voir de la lumière. Précisons qu’une fois encore le conte est clairement identifiable car, au dessus du carrosse, le nom de Cendrillon est inscrit. Cette dernière, assise dans sa citrouille métamorphosée, se retourne vers le palais et le prince et semble esquisser un baiser de la 68 main. Ses cheveux flottent dans le vent et elle est vêtue d’une longue robe blanche brodée d’or sur le bustier. On aura remarqué la principale différence entre la toile exposée dans le boudoir et la composition que proposait Jean Veber dans les articles de Gabriel Mourey et du Gaulois du Dimanche : ici le carrosse est bien dérivé de la citrouille. (Illustration 65bis) Il est de forme ronde, et on peut croire que cendrillon est installée sur la chair du fruit qui a été évidé. L’intérieur est en effet de couleur orangée et des petits morceaux de chair, qui rappellent sa consistance filandreuse, tombent du « plafond ». Par ailleurs, le sommet du carrosse est couronné par la queue du fruit. L’armature sur laquelle il repose, est curviligne et rouge. En revanche, sur l’exemplaire de 1910 qui nous sert de référence, le carrosse est ouvert, comme si on n’avait conservé que la moitié de la cucurbitacée. Plus avant dans la comparaison, on souligne une nouvelle fois la différence dans le traitement de ce même élément : la toile digigraphiée offre moins de minutieux détails, notamment lorsqu’on remarque la finesse avec laquelle ont été travaillées les roues dorées. Harnachés de rouge et d’or, les deux chevaux et les quatre animaux hybrides (michevaux, mi-souris) sont lancés au galop par le cocher entièrement vêtu de rouge. Les six bêtes semblent flotter dans les airs et se dirigent vers l’extrême droite de la scène. De ce côté-ci, l’épisode se poursuit ou plutôt marque un retour en arrière puisque la marraine la Fée tend sa baguette vers l’attelage pour transformer, souris et lézards en chevaux et laquais. Elle se tient devant un second élément d’architecture : c’est une vue de l’âtre et du fauteuil dans lequel était auparavant assise Cendrillon, alors que ses sœurs étaient déjà parties au bal et qu’elle restait seule à pleurer. Sur la cloison de cet espace, une horloge est installée, qui indique qu’il est minuit. Nous sommes donc au milieu de la nuit ce qui est bien figuré par le fond bleuté de la scène et le croissant de lune que l’on peut distinguer. De plus, la version de 1910 était agrémentée de vols de lucioles et de lueurs d’or. L’ensemble est bordé sur le côté gauche et en hauteur, sur toute la longueur, d’une guirlande de roses que nous retrouverons suspendues au dessus du panneau suivant. Ces fleurs sont bien entendu un hommage à Rosemonde. Un détail reste encore à souligner. Au premier plan, au niveau des premiers animaux et de la marraine, se tient un groupe de nains. Ils ne sont pas présents dans l’histoire de Cendrillon mais leur emplacement montre que Jean Veber, en véritable décorateur, a tiré parti de la disposition des lieux. Ainsi il semblerait que, sous ce joyeux groupe, était placé une psyché. Les nains, gesticulant et riant, donnaient alors l’impression de sortir de derrière ce 69 miroir. Ne peut-on pas justement faire un lien avec le miroir chez Lewis Caroll83 qui est un passage vers l’ailleurs, vers un monde imaginaire ? Ils sont traités dans une gamme de coloration très chaude à cause de l’éclairage assez violent des ampoules électriques qui s’allumaient là, la nuit venue. Dans les reproductions des deux articles, ce groupe de nains est accompagné d’une file de petits rats gambadant. Les noces du Chat Botté et de la Chatte Blanche Le conte du Chat Botté a été publié dans le recueil de Charles Perrault en 1697.84 Il a pour personnage central un chat domestique parlant et doué de raison qui aide son nouveau maître, le troisième fils d'un meunier, à tirer profit de son héritage. À son décès, un vieux meunier laisse à ses trois fils l'intégralité de ses biens. L'aîné hérite du moulin, le cadet de l'âne, et le benjamin du chat. Sans un sou en poche et ne sachant que faire d'un tel cadeau, ce dernier songe à le manger. Mais le chat, à la plus grande surprise de son nouveau maître, s'avère doué de parole. Contre un sac et une paire de bottes et avec beaucoup de ruse, l'animal va faire passer le jeune homme pour un puissant gentilhomme, le marquis de Carabas, et lui permettre d'épouser la princesse du royaume. Quant au conte de la Chatte Blanche, il a été créé par Madame d’Aulnoy. Il raconte l’histoire d’un roi, qui pour retarder l’accession de ses fils à son trône, leur confie trois missions, d’une année chacune. Il les envoie d’abord à la recherche du plus beau petit chien du monde. Le cadet découvre en chemin un magnifique château dans lequel vit une superbe chatte blanche. Ce gracieux animal devient son ami et l’aide dans sa quête en lui confiant un chien d’une si petite taille qu’il tient dans un gland. Le second défi consiste à ramener au roi un morceau d’étoffe si fin qu’il pourrait passer à travers le chas d’une aiguille. Le jeune prince retourne auprès de la chatte blanche qui lui remet au bout d’une année, un voile si fin qu’il est contenu dans un grain de millet. Une troisième fois les princes repartent à l’aventure avec pour objectif de ramener à la cour la plus jolie des princesses. Le roi leur promet de laisser son trône à celui qui surpassera ses deux frères. Une nouvelle fois le prince cadet part retrouver la chatte blanche qui, à l’issu de l’année écoulée, lui demande d’être sacrifiée. Le prince ne peut d’abord pas se résoudre à tuer son amie, mais lorsqu’il cède finalement à ses désirs, la petite chatte se métamorphose et se révèle être une merveilleuse princesse. Elle lui raconte alors son histoire et pourquoi elle a été changée en chatte blanche. Lorsque le prince 83 84 In Alice au pays des merveilles. Contes de ma mère l’Oye. 70 et la princesse retournent auprès du roi, ce dernier reconnaît que c’est son fils cadet qui mérite son trône. Mais alors, la princesse qui possède six royaumes, en offre plutôt un à chacun des deux frères et au roi, épouse le prince et chacun part ensuite gouverner ses terres. C’est donc bien un joyeux mélange entre les deux contes que Jean Veber s’est proposé de peindre. Les deux auteurs qu’apprécie tant Edmond Rostand ont été réunis pour offrir une histoire inédite, révélant toute son imagination. Cette scène et celle de La Cage d’or sont de moindre importance par rapport aux autres contes illustrés sur les murs du boudoir. En effet, elles sont sur le même panneau où s’ouvrent les trois fenêtres de la pièce. Or, ces dernières sont surmontées d’un arc peint qui empiète sur l’espace des contes. Ainsi, on aperçoit dans la partie gauche de ce panneau, le Chat Botté traditionnellement chaussé de ses hautes bottes de cuir mais aussi coiffé d’un large chapeau à plume. (Illustration N°66) En revanche, contrairement à l’imagerie populaire, il est vêtu d’une chemise de dentelle, d’un gilet, d’une veste et d’un pantalon. Il porte, accroché à sa ceinture, une épée, et possède sans doute une montre dans la poche droite de son gilet puisqu’on en voit la chaine épinglée au tissu. Sa tête est tournée vers la Chatte Blanche qui se tient à son bras gauche. Pour terminer la description de ce chat, on ajoutera que ses traits de visage ont des caractères humains, de même que ses mains, mais il est clairement identifiable grâce à sa queue tigrée. La Chatte Blanche est plus petite et réellement entièrement blanche. Seuls ses yeux et le bout rose de ses oreilles ressortent de cette « masse » unie qu’elle représente. Elle est habillée d’une longue robe de mariée blanche dont on peut distinguer, sans en être trop certain, quelques broderies dans le bas. Le mariage est célébré dans un pré où prennent place une foule venue acclamée le couple, les bras levés pour le signifier. A la droite des époux, les figures sont assez floues mais on aperçoit un enfant à la tunique bleue ainsi qu’un âne ou un cheval. En revanche, le second groupe est beaucoup plus distinguable. Ce sont six personnes qui paraissent appartenir à la haute société avec leurs riches habits, leurs chapeaux et même la coiffure à étage de l’une des dames. Il est composé de trois hommes, de deux jeunes femmes et d’une vieille dame. A l’arrière plan on observe un champ au milieu duquel est planté un moulin à vent. Plus au loin encore, quelques collines se détachent sur un ciel bleu. L’ensemble de la scène est bordé sur les côtés et en hauteur de la guirlande de roses que nous avons déjà évoquée pour le conte de Cendrillon. 71 La cage d’or Il s’agit d’un conte imaginé par Edmond Rostand ou Jean Veber dont il n’est fait mention nul part, hormis dans l’article rédigé par Loïc Fert pour le Gaulois du Dimanche : « […] et une fiction destinée à compléter la série : une princesse captive dans une cage en fils d’or… ».85 Par conséquent, il est impossible de raconter cette histoire dont on sait simplement que « l’imagination du peintre s’est donnée libre cours »86. Cette partie de la toile nous donne à voir une cage en or ouvragée dans laquelle est retenue prisonnière une jeune femme au visage et aux bras très pâles, le regard abattu. Contre la cage se tient un jeune garçon agenouillé, les mains en prière, qui supplie l’homme barbu au doigt accusateur dirigé vers la femme. (Illustration N°66) S’agit-il d’un roi ? Il porte en effet une couronne ainsi qu’une longue et riche cape et on peut apercevoir au loin un chemin qui conduit à un château. Quoiqu’il en soit, il semble en colère. Par ce même chemin, arrive un chevalier monté sur un cheval lancé au galop. Il est trop petit pour que l’on puisse le décrire correctement mais sa cape rouge vole dans son dos et sa lance est pointée en avant. Il semble venir au secours de la jeune femme. On remarque aussi que sur le haut de la cage, sont perchés deux paons. Sont-ils là pour une raison symbolique ? Positive ou négative ? Ont-ils plutôt été choisis parce qu’ils sont un motif courant dans l’Art Nouveau, style des boiseries et du mobilier du boudoir ? Ou bien plus simplement, ils sont un cadeau de Jean Veber à Edmond Rostand, qui aimait beaucoup ces oiseaux et en avait plusieurs dans la volière de son jardin (la Villa Arnaga en possède encore aujourd’hui plusieurs) ? Enfin, on note avec intérêt l’inscription près de l’arbre: « Halsou » qui est probablement une référence au village d’Halsou qui se situe à environ 4 kilomètres de Cambo-les-Bains. Par ailleurs, un détail semble confirmer que la scène se déroule bien au Pays Basque : le petit arbuste d’hortensias bleus au pied duquel se tient l’homme à la longue barbe blanche. En effet, les hortensias bleus sont très fréquents au Pays Basque où la terre est très acide et les jardins d’Arnaga en étaient largement ornés. 85 Ludovic Fert, « le boudoir de Mme Edmond Rostand à Arnaga décoré par M. Jean Veber », Le Gaulois du Dimanche, édition spéciale Chantecler, 5 février 1910, N°107. 86 Article de Gabriel Mourey, « Le boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo » in Les Arts, mars 1910, p.20. 72 Peau d’Âne Il était une fois, un roi qui était le plus riche et le plus puissant de toute la terre. Mourante, la reine lui fait promettre de ne prendre pour nouvelle épouse qu'une femme plus belle qu'elle. Il chercha longtemps, mais se rend finalement à l’évidence que la seule personne capable de rivaliser avec la beauté de la reine n'est autre que sa propre fille, et le roi lui fait sa demande. Pour échapper à cette union incestueuse et sur les conseils de sa marraine, la princesse demande pour sa dot des robes irréalisables : une robe couleur de temps, une robe couleur de lune et enfin une robe encore plus vive que le soleil. Hélas, chaque fois le tailleur du royaume honore la commande. Elle lui demande alors de sacrifier son âne qu’il garde juste à côté de la salle du trône et qui a le don de produire des écus d'or. Il semble évident que le roi ne pourra pas renoncer à sa richesse, mais contre toute attente il s'exécute. La princesse s'enfuit alors du château, revêtue de la peau de l’âne. Elle trouve refuge dans une ferme du royaume voisin et travaille comme la plus misérable des paysannes. Son seul plaisir, le dimanche, est de se vêtir de ses robes de princesses qu’elle a emportées avec elle et de chanter. Un jour, le prince du royaume entend son chant merveilleux et, guidé par sa voix, il trouve la ferme et espionne la princesse par le trou de la serrure. Aussitôt le prince veut connaître cette charmante personne, mais partout où lui répond qu’il n’existe pas de princesse, juste une pauvrette que l’on nomme Peau d’Ane en raison de son vêtement. De retour chez lui, le prince tombe malade, de cette maladie qu’est l’amour. Sa mère, qui n’a que lui comme enfant, désespère de ne pouvoir le voir heureux et s’enquiert de ses volontés. Il demande alors que Peau d'âne lui fasse un gâteau. La jeune femme à qui on a transmis le message, se décrasse, se prépare et se met à la tâche. En préparant la galette, elle laisse tomber par inadvertance sa bague dans la pâte. Le prince en mangeant le gâteau mord dans l’anneau et déclare alors immédiatement qu’il épousera celle à qui la bague appartient. Toutes les jeunes femmes se précipitent pour l’essayer, mais aucune n'a le doigt assez fin! Alors on fait venir Peau d'Âne : l’anneau correspond parfaitement à son doigt ! Peau d’Ane claque dans ses doigts et se trouve à nouveau vêtue comme une belle princesse. Le prince l'épouse et grâce à cela elle est épargnée du mariage avec son père. L’illustration de ce conte prend place sur le dernier mur du boudoir de Rosemonde Gérard. L’espace est partagé avec le conte de la belle au bois dormant de manière 73 relativement équitable. La séparation visuelle entre les deux histoires est permise par une porte ou un mur qui appartient à la chambre de la Belle au bois dormant. Quant à l’histoire de peau d’Ane, elle-même est divisée en deux séquences isolées de part et d’autre d’une colonne en marbre blanc. (Illustration N°67) A l’extrême gauche se déploie un long escalier blanc en haut duquel s’ouvre une galerie à six arcades. Elle repose sur un premier niveau également percé de plusieurs arcades. Au sommet des marches se trouve un groupe de trois –ou quatre – personnes qu’un dernier personnage, une main sur la balustrade et à mi-chemin de la volée de marches, est en train de rejoindre. Ces hommes et cette femme sont tous vêtus avec une dominance de rouge. Dans la cour au pied de l’architecture, est arrêté un carrosse doré, attelé de deux chevaux rouges dirigés, que maintient un cocher. On aperçoit quelques autres personnages au niveau des arcades des deux niveaux. En arrière plan, s’élève ce qu’on peut penser être une rotonde, un clocher et une tour qui doivent sans doute appartenir à un palais. Mais surtout, au premier plan, Peau d’Âne, dans une robe bleue couverte de la peau de l’animal, dévale les dernières marches et s’enfuie en courant. Son geste est accentué par son bras gauche qu’elle tient en avant comme pour se donner de l’élan. Sur la colonne de gauche un lutin est assis à califourchon tandis qu’au pied de la colonne de droite, le petit poucet cause avec le Petit Chaperon Rouge. La scène est agrémentée des mêmes guirlandes de roses et buissons d’hortensias bleus que nous avons déjà rencontrés. Sur la partie droite de la toile, se déroule la suite de l’histoire. Au premier plan, Peau d’Ane, qui a pris les traits de Rosemonde Gérard, se tient debout dans une cabane ouverte au toit de chaume. Elle est très richement vêtue d’une longue robe brodée d’or par dessus laquelle repose un manteau rouge dont la doublure intérieure est bleue également rehaussée de motifs d’or. « Cette robe « couleur de soleil » est la reproduction exacte du voile de mariée offert par la ville de Bruxelles à la princesse Stéphanie, œuvre d’art d’une incomparable richesse, qui fut exécutée d’après le dessin du père de Jean Veber. »87 La princesse a les cheveux relevés et elle est couronnée. Elle a accroché sa peau d’âne contre le mur tout près de son coffre entrouvert qui laisse voir ses bijoux. Elle tient l’étoffe de sa robe dans sa main droite et a placé sa main gauche sur sa poitrine dans un geste familier aux chanteurs. Son public est composé de trois oies blanches mais aussi du prince qui l’espionne entre les lattes de bois. Ce dernier est également richement vêtu d’une tunique rouge et or, d’un collant beige 87 Gabriel Mourey, Op.cit., p.21. 74 et de cuissardes marron. Il est coiffé d’un petit chapeau terminé par une plume blanche. La démarcation entre l’intérieur et l’extérieur de la cabane est réalisée fictivement par un buisson de fleurs colorées. Le reste de la scène, qui s’étend derrière le prince est composée d’une vallée verdoyante dans laquelle s’étend un chemin sinueux qui mène à un château à trois tours à l’orée d’une forêt. A l’entrée de cette route, se trouve un groupe de plusieurs personnes accompagnées de deux chevaux blancs. On peut également deviner, plus loin dans la vallée, deux cavaliers qui galopent. Enfin, on découvre l’ogre du Petit Poucet qui enjambe la colline fermant l’horizon. Il ne faut pas oublier de souligner que c’est dans cette partie de la toile marouflée que se trouve la signature de Jean Veber, comme gravée au pied de la colonne sur laquelle est agenouillée le Petit Poucet. Cependant, sur les peintures présentées dans l’article paru dans la revue Les Arts88, cette signature prenait place en bas à droite du panneau de Gracieuse et Percinet, accompagnée de la date de 1905. (Illustrations 67bis) La belle au Bois dormant À l'occasion du baptême de la princesse, le roi et la reine organisent une fête somptueuse, invitant famille et amis ainsi que les sept fées marraines bienveillantes de l'enfant. Chacune d'elles offre un don à la princesse : « la plus jeune lui donna pour don qu'elle serait la plus belle du monde, celle d'après qu'elle aurait de l'esprit comme un Ange, la troisième qu'elle aurait une grâce admirable à tout ce qu'elle ferait, la quatrième qu'elle danserait parfaitement bien, la cinquième qu'elle chanterait comme un Rossignol, et la sixième qu'elle jouerait de toutes sortes d'instruments à la perfection… » Les festivités cessent brusquement lorsqu'une vieille fée, qui n'a pas été invitée, se présente et lance à la princesse un charme mortel : la belle est condamnée à se piquer le doigt en filant et à mourir de cet incident. Heureusement, la dernière des fées, la plus jeune, connue sous le nom de fée Carabosse, n’est pas encore intervenue et commue ce sortilège en un sommeil de cent ans. Pour protéger sa fille, le roi fait immédiatement paraître un édit par lequel il défend à tous de posséder un fuseau sous peine de mort. Tous sont brûlés, sauf un qui appartient à une vieille femme sourde qui n’a pas entendu l'édit. 88 Gabriel Mourey, Op.cit. 75 Âgée de 15 ans, la princesse se pique le doigt sur ce fuseau. Mais grâce à l’intervention de la fée Carabosse, au lieu de subir cette mort annoncée, elle s'endort pour un sommeil de cent ans, au terme duquel un Prince la réveille par un baiser. Contrairement à une idée répandue, le conte de Perrault ne s'arrête pas au réveil de la princesse : le prince amène la princesse et ses deux enfants (la petite Aurore et le petit Jour) dans le château de sa mère, qui est une reine ogresse, puis part à la guerre. Pendant ce temps, la reine décide de faire dévorer la princesse et les deux enfants. Mais le Maître d'hôtel du roi les remplace par une biche, un agneau et un chevreau pour tromper la méchante reine. Confondue au retour de son fils, cette dernière se jette elle-même dans une cuve et finit dévorée par les serpents et les vipères qu'elle y avait fait mettre à l'intention de sa bru et ses petits-enfants. Ce dernier conte vient donc se placer à la droite de Peau d’Ane. Tout comme pour celui de Cendrillon, Jean Veber a tiré partie de la disposition des lieux puisqu’il fait reposer le lit à colonnes de la Belle au Bois dormant sur le manteau de la cheminée incrusté de motifs de roses. (Illustration N°67) Ce lit est couvert d’un toit plat qui repose sur les quatre colonnes et est orné de guirlandes de fleurs. La belle y est allongée sur le dos, sa tête et ses deux bras reposants sur un gros oreiller bleu qui répond au bleu du drap brodé. Elle est habillée d’une légère robe rouge dont la finesse laisse deviner les formes de son corps. Dans ses cheveux, est placée une fleur et autour de son cou, un collier de perles. Au pied du lit, dans une attitude endormie, la tête rejetée en arrière, un bras accoudé sur le bord du lit, est assise une femme. A la tête du lit, un petit garçon est appuyé contre un mur. Le menton contre la poitrine, il semble également dormir. On distingue encore deux hommes, probablement des gardes si on considère leurs armes, assoupis à l’entrée de la chambre. Seule personne éveillée, le prince charmant que l’on identifie grâce à l’inscription au dessus de sa tête, avance vers le lit et s’apprête à rompre le charme. Il est vêtu d’un habit vert avec une collerette orange qui lui descend bas sur la poitrine. Il est coiffé d’un chapeau. Il avance prudemment comme l’indiquent les gestes de ses bras et de son pied pointé vers l’avant. Les hommes étant endormis depuis cent ans, la nature a repris ces droits et s’est invitée dans la chambre par la porte restée ouverte. Les plantes fleuries se déploient en volutes et grimpent le long des murs. A l’opposé de l’illustration de Cendrillon plongée dans la nuit, les couleurs sont chatoyantes. L’atmosphère est fraiche ; c’est réellement celle d’un conte de fées où le rêve enchanté va un instant prendre fin pour devenir réalité. 76 e. Interprétation Le sujet, tiré des Contes de Perrault et par prolongement des Contes de Grimm, est imposé par Edmond Rostand comme l’indique Jean Veber alors qu’il évoque ses souvenirs dans un article consacré aux peintures du boudoir paru dans le Gaulois du Dimanche89 : « Ce n’est pas à moi que revient l’honneur de cette trouvaille ; c’est à M. Edmond Rostand luimême. C’est lui qui m’a donné le sujet de ces peintures et qui m’en a indiqué les détails. Vous ne pouvez pas imaginer la finesse, la précision de sa pensée, l’absolue perfection que, si intelligemment, il veut à toutes choses autour de lui. Mes panneaux représentent les plus populaires des Contes de Perrault : Barbe Bleue, Riquet à la Houppe, la Belle au bois dormant, Cendrillon, le Chat Botté, sans parler du mariage du Chat Botté avec la Chatte Blanche, et d’une fiction destinée à compléter la série : une princesse captive dans une cage en fils d’or… Je vous assure que j’ai passé des moments exquis à Cambo, à peindre ces toiles dans cette maison si accueillante, où tout respire la haute intelligence et les nobles préoccupations de ses maîtres. C’était, en outre, des heures de conversation reposante et une collaboration de tous les instants dont j’ai gardé le meilleur souvenir ; car on peut bien appeler collaboration cet échange d’impressions et de sentiments d’où sort une œuvre définitive… » Il n’est pas étonnant qu’Edmond Rostand ait souhaité offrir à Rosemonde des contes de Charles Perrault. En effet, dès 1888, on trouve dans sa correspondance avec sa chère « Dodette » des allusions à ces contes qui semblent le passionner. « J’ai encore trouvé dans les Contes de Perrault bien des choses charmantes et qui sont faites pour nous plaire. Mais je ne veux pas déflorer l’intérêt de ce sujet, que je veux conserver pour vous entretenir, dans nos soirées de causeries. »90xvi Lorsqu’on étudie cet échange épistolaire, on comprend que la lecture de ces contes avait pour objectif la création d’une œuvre personnelle. « … J’emporte un tas de bouquins à Luchon pour mon travail sur les Contes de Perrault. Ce serait très chic d’avoir le Prix de l’Académie française en même temps que des pièces jouées et des romans publiés ! Et puis sans en avoir l’air, tout doucettement, j’ajoute de temps en temps des vers à mon volume. Que 89 Ludovic Fert, Op.cit.. 90 Début des répétitions du Gant Rouge au Théâtre Cluny. Edmond à Rosemonde, 1er semestre 1888, in Edmond Rostand – Tome 1 – Cyrano, L’Aiglon (1869-1990), Editions Séguier, 2004, p.81 77 de choses en train, mon Dieu !... Mais tout sera fin, je vous le jure. De sorte qu’il n’y a pas à en douter, je suis une des futures gloires de la France. »91 La même année, il travaille sur un acte en vers, une féérie qu’il intitule La Rose qui parle. Trois personnages la composent : Percinet, un jeune prince, Pymante, son précepteur, et Huguette, une fée. Ces histoires étaient pour Edmond Rostand une véritable source d’inspiration. Aussi, cela explique-t-il qu’il ait fait représenter au milieu des contes de Perrault et de Madame d’Aulnoy, son propre conte imaginé, La Cage d’Or. Partout, on retrouve ce goût de la famille Rostand pour les contes. Avant même de penser au décor intérieur de sa villa, Edmond Rostand imaginait déjà Arnaga comme un monde un peu imaginaire : « Derrière la maison, le jardin sera plus « sauvage », avec sa fontaine et sa grotte pour satisfaire les enfants et les amateurs de contes de fées que nous sommes dans la famille. »92 En 1890, dans son premier recueil de poèmes, Les Musardises, il publie un poème sur les contes de fées, dans le « Livre de l’Aimée93 ». Ces vers confirment son attirance pour l’univers des contes et sont sans doute un premier aboutissement à ses recherches.xvii Finalement, ce sera avec les Romanesques, sa seconde pièce de théâtre, jouée en 1894 à la Comédie Française, qu’il réunira avec l’aide de son épouse, les thèmes qui lui sont chers : la poésie précieuse, les contes de fées et les amours enfantines. Enfin, n’oublions pas de rappeler qu’il offre à Roxane le carrosse de Cendrillon dans l’acte IV de Cyrano de Bergerac. 91 Jacques Lorcey, Op.cit. p.85. Jacques Lorcey, Op.cit. p.58. 93 Dédiée à Rosemonde Gérard 92 78 C. Peintures déplacées ou disparues 1. Henri Martin : La Joie de Vivre Dans le grand hall, une toile d’Henri Martin venait du temps des Rostand agrémenter le mur surplombant le salon chinois. (Illustration N°68) Mais en 1933, La Joie de Vivre est vendue. Les propriétaires actuels de la villa ont des problèmes financiers et discrètement ils se séparent de quelques uns des plus beaux éléments de décoration pour couvrir les frais d’entretien du domaine. En même temps que la toile d’Henri Martin, les trois grandes portes doubles du grand hall disparaissent ainsi que les laques qui décorent le salon chinois. C’est pour la même raison que seront vendus les décors de Jean Veber comme nous l’avons vu précédemment. Aujourd’hui La joie de Vivre est conservée au Musée du Petit Palais de Genève. (Illustration N°69) C’est une composition dont la dominante est le paysage et les dégradés de verts. L’impression générale qui se dégage du tableau est en accord avec le titre de l’œuvre ; la touche pointilliste et les arbres élancés, dont la cime n’est pas visible, confèrent à la toile un véritable dynamisme renforcé par les couleurs éclatantes, verts, dorés, orangés, qui participent de ce sentiment de joie de vivre. Quelques êtres vivants évoluent au milieu de cette nature luxuriante : au premier plan, un jeune couple se déplace, précédé par une chèvre et un bouc. Leur mouvement prévoit qu’ils vont traverser la composition de la droite vers la gauche. A l’arrière plan on distingue une habitation et un groupe de personnes occupées par les travaux de la ferme (ils sont entourés d’une botte de paille et d’un bovin). Tout contribue à rendre cette scène idyllique : le jeune homme qui semble insouciant et joue d’un petit instrument de musique, sans doute un pipeau, la jeune femme dont la robe bleue peut évoquer la fraicheur et la virginité et les deux animaux qui leur répondent en formant également un couple. Comme avec les autres artistes d’Arnaga, Edmond Rostand s’est montré très exigeant et à plusieurs reprises insatisfait. Les remarques à propos de la commande en cours ne font pas exception et n’échappent pas à sa correspondance avec Tournaire : « je n’ose trop lui dire que si son paysage me semble admirable, j’ai peur que ces figures n’aillent pas dans l’ensemble. Ni l’ameublement, ni le genre du hall, ne me semblent comporter une trop simple 79 paysannerie. »xviii Mais heureusement, comme avec tous « ses » artistes, il finit pas s’entendre !xix 2. Henry Caro-Delvaille Nous avons étudié dans ce même chapitre94 les cartouches qui sont actuellement présents au dessus des portes de la salle à manger. Nous allons à présent nous intéresser aux cartouches qui avaient été peints par Henry Caro-Delvaille. Leur commentaire ne peut être que succinct car ils ont aujourd’hui complètement disparus et leur étude ne peut se faire qu’à partir de vieux clichés photographiques en noir et blanc et dont la qualité est médiocre. (Illustration N°70) De plus, ces épreuves nous montrent uniquement deux cartouches sur les quatre. La difficulté est augmentée par le fait que sur la prise de vue deux lustres tombent exactement au centre des deux compositions, brouillant leur lecture. On peut émettre l’hypothèse qu’elles se trouvent toujours sous les peintures de Gaston Latouche ce qui tendrait à dire qu’un retrait de ses peintures permettrait de les remettre au jour et de les étudier davantage, mais cette intervention aurait des conséquences irréparables pour les Quatre éléments. Finalement, on peut remarquer que sur ces cartouches étaient représentés des hortensias, fleurs qui ornent abondamment les jardins du Pays Basque et qui avaient une place de choix dans celui d’Edmond Rostand. Ces peintures faisaient par ailleurs écho aux hortensias qui décorent le portrait de Rosemonde Gérard, également par Henry CaroDelvaille. On observe enfin que ces hortensias se détachent sur un paysage habité d’une architecture ; à gauche sur la photographie il s’agit d’une rotonde et à droite d’une pergola. 94 Chapitre II, A, 4. 80 CHAPITRE III : AUTRES ELEMENTS DE DECOR A. Céramiques Les faïenceries de l’office et des cuisines ont sans aucun doute été réalisées dans la même manufacture compte tenu de la ressemblance stylistique de leurs décors et de l’organisation de cette céramique sur le mur : blanche ou beige, émaillée, du sol et jusqu’à plus de 80% de la hauteur, puis une frise peinte, représentant soit des poules pour l’office, soit des chats pour les cuisines. La découverte dans les sous-sols de plusieurs carreaux de remplacement, aux couleurs de ceux de l’office, a permis d’identifier cette manufacture. Il est inscrit au dos de chacun de ces carreaux beiges : H-TE BOULENGER & CIE FAIENCERIE DE CHOISY-LE-ROI SEINE. Cette faïencerie a été fondée en 1804 par les frères Paillart95 : Valentin, Melchior et Nicolas. A partir de 1824, l’entreprise s’installe sur quatre hectares pris sur l’ancien domaine royal de Choisy. A cette époque la manufacture est dirigée par Valentin Paillart et son associé Hyppolite Hautin. En 1836, le départ de Paillart laisse l’usine à Hyppolite Hautin et Louis Boulanger. Enfin 1863 Hyppolite Boulanger, fils de Louis Boulanger, leur succède jusqu’à sa mort en 1892. L’entreprise est ensuite dirigée par son fils et son petit-fils. C’est à cet Hyppolite Boulanger que fait référence l’inscription H-TE BOULANGER. Plus exactement, les carreaux d’Arnaga sont estampillés « Société Hyppolyte Boulanger et Compagnie », nom que prend la société familiale lorsqu’elle se transforme en société par actions en 1878. Ce changement est l’occasion de réorganiser le travail afin d’en augmenter le rendement. De nouveaux marchés sont acquis et la production est diversifiée dans le but de toucher une clientèle plus large. Le succès est tel que la société doit s’agrandir en multipliant les ateliers et en multipliant d’autres usines. Le nombre d’employés passe de trois cents 1860 à mille trois cents en 1900 et mille quatre cents en 1930. 81 En 1889, un département distinct de la faïencerie de Choisy-le-Roi est ouvert en vue d’assurer la pose des revêtements céramiques.96 C’est à ce département qu’Edmond Rostand s’est adressé pour le revêtement des murs de l’office et des cuisines. 1. Office : Chantecler La frise peinte de l’office présente une palette de couleurs essentiellement composée de jaunes orangés. Ce jaune dominant est en contraste avec le bleu qui évoque le ciel. (Illustrations N°71 à 75) Poules et poussins gambadent sur un sol dont la couleur n’est pas vraiment naturaliste puisque elle nous laisse imaginer qu’il s’agit de sable ou d’un terrain aride alors qu’une observation attentive des détails amène à considérer qu’il s’agit plutôt d’une terre riche en graines et insectes et d’où s’échappent plusieurs touffes d’herbe. La composition est dynamique car tous les volatiles sont dirigés vers le même côté ce qui confère à la scène une impression d’animation. Les « minis » scènes semblent se répéter à l’infini sur les quatre murs. Le thème de la bassecour n’est pas sans évoquer Chantecler et le goût de Rostand pour la nature. 2. Cuisine : Chats Les céramiques des cuisines offrent une gamme chromatique de gris-bleu. Le sujet choisi est toujours animalier : trois chats, deux tigrés et un noir, l’un jouant au milieu d’une coupelle de lait renversée et le second avançant prudemment vers le troisième, dont le poil hérissé et les griffes sorties montrent sa résolution à défendre son repas. (Illustrations N°76 et 77) Comme pour l’office ces deux scènes sont reproduites tout autour de la pièce. On ressent également le même dynamisme, mais cette fois-ci ce sont les courbes et contres courbes dessinées par les assiettes et les dos arrondis des chats qui créent ce sentiment de mouvement. 96 Site internet : exposition sur la faïencerie de Choisy le Roi. 82 B. Vitraux 1. Vitrail de la Bibliothèque : L’Arbre de Vie a. Recherches Ce vitrail est installé sur la mezzanine de la bibliothèque. Il fait face à la grille en fer forgé de Vian. Il a une forme circulaire et est signé dans le bas L. Trezel Pinx et H. Danger Inv. (Illustrations N°78, 79, 79bis et 79ter) Cet élément du décor de la Villa est celui qui a demandé le plus de recherches car si le vitrail est effectivement signé, il n’y a dans le musée aucune information relative à sa commande et aux artistes dont il est question. Une première recherche sur le site internet de la BNF s’est avérée plutôt infructueuse multipliant les articles de la base Gallica dans lesquels le patronyme Trézel était principalement associé à Pierre Félix Trézel97, peintre du début du XIXème siècle. Par ailleurs, un amalgame était fait avec le nom de Louis XIII. Mais une seconde recherche, plus « sauvage » sur le moteur de recherche Google a fini par mettre en évidence, à force de persévérance, l’existence d’un certain Louis Trézel, auteur des décors de deux brasseries parisiennes : le Restaurant Julien et le Restaurant Bouillon Racine, tous deux répertoriés sur le site internet « Réseaux Art Nouveau Network »98. Comme ces deux enseignes ont été fondées en 1903, à la même date que la villa d’Edmond Rostand, cette piste était sérieuse. Par ailleurs, l’un des deux restaurants tout au moins accueillait régulièrement l’actrice Sarah Bernhardt, ce qui peut inspirer l’idée qu’elle a pu être le lien entre l’artiste Louis Trézel et le poète. 97 Pierre Félix Trezel est un peintre français, né à Paris le 16 juin 1782 où il est mort le 16 juin 1855. Élève de Pierre-Paul Prud'hon, peintre néo-classique . 98 http://www.artnouveau-net.eu/get_page.asp?stran=10&jezik=FR Un réseau européen entreprenant et engagé : en 1999, à l'initiative du Service des Monuments et des Sites de la Région de Bruxelles-Capitale, de nombreux organismes issus de villes d'Europe caractérisées par un riche patrimoine Art nouveau - de Helsinki à Barcelone, et de Glasgow ŕ Budapest - ont décidé de se réunir en un premier réseau européen de coopération. Etude, sauvegarde et mise en valeur de l'Art nouveau sont les mots-clés de l'ambitieux programme que le Réseau Art Nouveau Network s'est fixé pour les années à venir. Entreprenant et engagé, celui-ci défend une approche rigoureusement scientifique, tout en veillant à informer les professionnels et à sensibiliser le grand public vis-à-vis des valeurs culturelles et de la dimension européenne de ce patrimoine si proche de nous. 83 Cette première étape nous a conduit à contacter les deux restaurants et à nous y rendre dans l’éventualité de trouver une signature qui permettrait d’authentifier le vitrail d’Arnaga. Malheureusement, les signatures inscrites sur les quatre panneaux du restaurant « Julien », représentant les quatre éléments (quatre femmes inspirées de dessins de Mucha), sont d’une typographie différente de celle du vitrail d’Arnaga, entretenant toujours un doute. (Illustration N°80) En revanche, grâce au patron du « Bouillon Racine », qui a eu l’extrême gentillesse de nous faire voir dans les détails la signature de l’une de ses pâtes de verre, nous avons pu, cette fois-ci, authentifier la signature et attribuer le travail d’Arnaga à Louis Trézel. (Illustrations N°81 et 81bis) La troisième étape a consisté à rechercher les différents travaux de l’artiste. A l’aide de la base Mobilier - Palissy du Ministère de la Culture, nous avons répertorié trois églises dans lesquelles se trouvent des vitraux signés Louis Trézel. Nous nous sommes rendus dans l’une d’entre elles, l’église Saint-Justin de Levallois Perret. Une nouvelle fois les vitraux étaient signés de la même manière qu’à Arnaga, ce qui tend à confirmer qu’il s’agit bien du même artiste. (Illustration N°82) b. Louis Trézel Cette information désormais validée, nous nous sommes attachés à la biographie de Louis Trézel. Et c’est aux archives municipales de Levallois-Perret qu’il a été possible de débuter ce travail en consultant un annuaire de la ville, daté de 1904, contenant un court article sur l’artiste, ainsi qu’une chemise réunissant quelques notes et une fiche biographique établie par Madame Marie Madeleine Massé, documentaliste du Musée d’Orsay à l’occasion d’une exposition consacrée à Hector Guimard en 1991-199299. Nous sommes ainsi parvenus à la conclusion que Ange-Louis Trézel, dit Louis Trézel est un maître verrier, également céramiste, contemporain d’Edmond Rostand. Une incertitude persiste cependant quant à sa date exacte de naissance. La date qui figure sur la demande de Légion d'honneur formulée par son père en 1912, pour son fils récemment décédé, est celle du 23 décembre 1863. Or ce père dit que son fils est décédé à l'âge de 44 ans, ce qui implique comme année de naissance 1868. On peut supposer 99 Guimard, Musée d’Orsay, 13 avril – 26 juillet 1992 et Musée des Arts décoratifs e 84 qu'il y a eu une erreur de transcription dans le dossier de demande de Légion d'honneur, « 3 » inscrit à la place de « 8 ». Ceci est possible graphiquement, et comme Louis Trézel ne semble pas avoir obtenu la Légion d'honneur à titre posthume100Les documents sont souvent fautifs comme le prouve l'annuaire de Levallois qui propose lui une autre date de naissance...101 Les informations consciencieusement glanées dans les catalogues et notices ont abouti à la rédaction d’une biographie sommaire de l’artiste. Louis Trézel fait ses études au lycée Condorcet ; à dix-neuf ans il est engagé volontaire avant de renoncer avec regret à cette carrière. Toutefois, il reste lieutenant de réserve au deuxième régiment des zouaves, ce qui lui laisse du temps pour se consacrer en parallèle à la peinture et à la décoration. Il est élève de Jules Lefèvbre, Boulanger, Cormon, Carrier Belleuse et expose au Salon des Champs Élysées. En 1895 il s’installe à Levallois Perret dans l’actuelle rue Trézel. Il y propose des « vitraux artistiques pour églises et appartements ». En 1900 il est élu conseiller général du canton. Son esprit de recherche le pousse à appliquer sa science de la peinture aux vitraux. Il fait la découverte des émaux translucides, une technique moderne dont il dote la discipline. Il est récompensé pour cette création et le sera également pour un bon nombre de ses créations.102 On recense une vingtaine de commandes exécutées par Louis Trézel, principalement pour des magasins et restaurants, mais aussi pour des édifices religieux, et sans compter les commandes privées.xx c. Le vitrail S’il est désormais possible d’attribuer le vitrail de la bibliothèque à Louis Trézel, en revanche les origines de la commande restent floues. Certes, Edmond Rostand évoque son désir de faire installer un « oculus » dans la bibliothèque dans une lettre adressée à son 100 Cette recherche a été effectuée par Marie-Madeleine Massé ; elle nous a fait part de ses conclusions lors d’une prise de contact par e-mail. 101 Le 17 novembre 1873 102 médaille d’argent avec félicitations du jury à Marseille en 1898 – médaille d’argent à l’exposition Universelle de 1900 – médaille d’or à l’exposition internationale de Liège en 1905– récompense au salon franco-britannique de 1908 – grand prix à l’exposition internationale de Turin en 1911. 85 architecte en 1903103, mais aucun autre document ne témoigne ensuite de son choix pour Trézel et aucune facture n’atteste de la réalisation du travail. « J’avais parlé d’un « oculus » dans le mur au dessus de la cheminée, parce que je craignais un manque de lumière méridionale et pensait qu’on aurait, par cette rosace, un long rayon de soleil tombant au milieu de la bibliothèque, comme il en tombe par les rosaces d’églises. Mais je crois que la lumière sera suffisante et ne veux rien troubler dans un arrangement qui me semble irréprochable. » Parmi nos hypothèses, nous évoquions Sarah Bernhardt comme lien possible entre les deux hommes, mais on peut aussi imaginer qu’Edmond Rostand a découvert Louis Trézel à l’Exposition Universelle de 1900 ou encore que c’est Joseph Albert Tournaire qui le lui a conseillé comme il l’a fait pour beaucoup des artistes d’Arnaga. D’ailleurs sur l’un des croquis que nous étudierons un peu plus bas, Edmond Rostand pose la question « Qui pourrait faire ça ? » On pourrait même penser que l’architecte a déjà travaillé avec le maitre verrier mais l’absence d’informations à propos des différents chantiers qu’il a coordonnés ne permet pas d’appuyer cette idée. Concernant l’aspect technique de ce vitrail, on constate qu’il a été réalisé en verre moderne, plus précisément avec du verre américain. Les pièces employées présentent principalement une surface ondulée ce qui donne à la composition beaucoup de relief. Avec ce type de traitement, la lumière est diffusée dans différentes directions, créant des effets de scintillement. Le sujet du vitrail a été choisi par Edmond Rostand comme semble le suggérer les différents croquis conservés dans les archives. Cela souligne une nouvelle fois l’investissement total du poète. A partir de ces trois croquis, on peut reconstituer la pensée de Rostand et, le premier étant dépourvu d’annotations, établir qu’il s’agit d’une première ébauche. (Illustration N°83) On remarquera d’ailleurs qu’il ne correspond pas au vitrail puisque deux personnages sont appuyés contre le tronc de l’arbre. On y reconnaît Eve qui tend à Adam le fruit défendu, et on en conclut alors que nous sommes face à une représentation de l’Arbre de la Connaissance ou Arbre de la science du Bien et du Mal. Sur les deux autres croquis en revanche l’arbre seul occupe la composition ; la logique voudrait 103 Lettre adressée à Monsieur Tournaire en décembre 1903. A propos de la bibliothèque. 86 que l’on en déduise que le choix final s’est porté pour un arbre de vie. Mais la réalité est plus compliquée et cette iconographie pose différents problèmes. Tout d’abord, dans ses croquis Edmond Rostand précise qu’il s’agit pour lui d’un arbre de la science du Bien et du Mal malgré l’absence d’Adam et d’Eve. (Illustration N°84) Il n’y a pas on plus de serpent mais un chardon qui peut en effet être le symbole du mal. Ensuite, le choix d’un sujet religieux pour un homme qui n’était absolument pas croyant semble étrange. Finalement, une réflexion attentive sur l’ensemble des décors de la villa nous porte à penser qu’à travers cet arbre, Edmond Rostand n’a pas voulu faire de référence directe à La Bible mais a souhaité exploiter ce symbole extrêmement puissant de la nature, thème qui lui est si cher. En effet l’arbre renvoie à l’idée de cycle par le biais de ses feuilles dont il est dépouillé et se recouvre chaque année ; cycle qui est aussi traité dans le vitrail du zodiaque comme nous le verrons plus loin. L’arbre met aussi en relation les profondeurs de la terre avec ses racines (bien visibles sur vitrail), sa surface par son tronc et la naissance de ses branches et le ciel par ses branches supérieures et sa cime. Enfin il réunit les quatre éléments, thématique également abordée avec les cartouches de Gaston Latouche dans la salle à manger : « l’eau circule avec sa sève, la terre s’intègre à son corps par ses racines, l’air nourrit ses feuilles et le feu jaillit de son frottement ».104 d. Henri-Camille Danger Un dernier point est encore à éclaircir à propos de ce vitrail. Un quatrième document est conservé et exposé au musée. Il s’agit d’une petite aquarelle qui serait comme une réduction de carton. Qui en est l’auteur ? Nous indiquions en introduction à ce chapitre que le vitrail est signé deux fois. Or nous n’avons parlé jusqu’à présent que de Louis Trézel. A coté de sa signature il a ajouté « PINX », ce qui signifie que c’est bien lui qui a réalisé et peint le vitrail, « pinx » étant une abréviation du latin « pinxit » dont la traduction est « a peint ». A la suite de la seconde signature a été apposé « INV », abréviation latine de « invenit » traduit en français par « a inventé ». On en déduit que H. Danger est celui qui a dessiné le carton du vitrail, qui en a proposé la conception, c’est à dire qui a transcrit l’idée d’Edmond Rostand avant d’en confier la réalisation à Louis Trézel. On peut alors supposer que la petite aquarelle est de sa main. Reste à découvrir qui est ce H. Danger. (Illustration N°85) Et c’est dans le 104 Article « Arbre », Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Cheerbrandt, p.62. 87 Benezit que l’on trouve une proposition intéressante en la personne de Henri-Camille Danger, peintre de genre et de paysages, né à Paris le 31 janvier 1857 et mort après 1937. Ce peintre a notamment exécuté des cartons de tapisserie pour la Manufacture des Gobelins, information qui va dans le sens de nos hypothèses. Enfin, il faut noter que le quatrième croquis, sur papier coloré, nous apporte de précieuses informations sur la commande de ce vitrail. (Illustration N°86) Le matériau que nous pouvons aujourd’hui directement étudier est clairement indiqué : du verre américain. On sait aussi que le vitrail devait arriver par la gare, entièrement monté, pour qu’il ne reste plus qu’à l’installer et que son prix devait être compris entre cinq et six cents francs, en prenant en compte la réalisation du carton. 2. Vitrail du studio des enfants : Cygne Le vitrail du studio des enfants n’est pas signé. Néanmoins, son observation simultanée avec celui de la bibliothèque révèle un traitement du verre identique, ainsi que des coloris et des découpes similaires, laissant penser que le vitrail au cygne est également une création de Louis Trézel. (Illustrations N°87 et 87bis) Le cygne est présent à deux reprises dans les décors d’Arnaga puisque nous l’avons déjà rencontré sur la toile d’Hélène Dufau, Les Cygnes Noirs. Sa symbolique est tout aussi riche que celle de l’arbre. Une interprétation nous intéresse en particulier puisqu’il est dit que le cygne est l’emblème « du poète inspiré, du pontife sacré, du druide habillé de blanc, du barde nordique, etc. »105. Plus précisément, Victor Magnien106 associe le cygne à la force du poète et de la poésie ; ce vitrail pourrait donc être la représentation du poète qu’était Edmond Rostand. Mais le cygne est aussi lié à la lumière, or le vitrail n’est-il pas par définition une merveilleuse composition qui joue avec la lumière reflétée de mille manières différentes selon le travail du verre et sa couleur ? 105 Article « Cygne», Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Cheerbrandt, p.333. Victor Magnine est un helléniste français (1879-1952) qui a travaillé sur les mystères d’Eleusis, culte grec lié à Déméter et sa fille Perspéhone. 106 88 3. Vitrail du Grand Hall : signes du zodiaque Ce troisième vitrail, le plus grand, est extrêmement peu documenté ce qui rend son analyse difficile d’autant plus qu’il n’est pas signé et présente un style différent des deux autres. (Illustration N°88) Néanmoins, dans une lettre datée du 27 août 1903 à l’intention de Tournaire, Edmond Rostand évoque son existence lorsqu’il exprime le souhait qu’une banquette y soit placée en dessous. « J’aurais bien aimé que dans la baie du hall où vous avez mis une étagère il y eut plutôt une sorte de divan-trône, élevé de deux marches, dont le dossier rejoindrait le vitrail, et qui serait très décoratif de sorte qu’intérieurement le vitrail auquel on donnerait des tons très vifs, prendrait plutôt la forme d’un éventail que d’un four. » Ce que cette lettre nous apporte indiscutablement, c’est le fait qu’Edmond Rostand ait prévu dès l’origine de placer à cet endroit un vitrail. Edmond Rostand poursuit sa lettre le 28 août 1903 à la fin de laquelle monsieur Labat, son secrétaire ajoute quelques commentaires concernant les dessins au crayon qui accompagnent le courrier. « Vous verrez dans le dessin 2 comment il désirerait que fût le divan sous son éventail verrière ; vous y verrez aussi que si, malgré l’auvent à l’espagnole qui est dans la façade, vous pourrez ménager un œil de bœuf entre les deux cintres, M. Rostand n’y verrait aucun inconvénient. » Le thème de ce vitrail est le zodiaque. A priori ce thème est curieux dans le grand hall d’Arnaga accompagné de La Joie de Vivre d’Henri Martin et de La Fête chez Thérèse de Gaston Latouche. Pour le comprendre, il faut le replacer dans le vaste ensemble des décors de la villa et le mettre en parallèle avec les cartouches de Gaston Latouche dans la salle à manger et le vitrail de Trézel dans la bibliothèque. Dans ce sens, on ne comprend plus les signes du zodiaque comme une étude astrologique mais comme une autre représentation cyclique, d’un nouvel hommage aux saisons et à la nature : les douze signes étant associés au douze mois de l’année. Il existe un quatrième vitrail à Arnaga, qui prend place dans le hall d’entrée. Mais on sait qu’il a été commandé après la vente de la villa en 1922. 89 C. Boiseries a. Portes des archives Un seul document nous permet d’établir que les portes des archives ont été peintes par Edmond Rostand. Elles ne présentent en effet aucune signature, nous n’avons retrouvé aucun dessin préparatoire, et jusqu’à ce jour aucune étude n’a été réalisée afin de déterminer s’il est possible d’y reconnaître la manière du poète. Néanmoins, Paul Faure, qui fut l’ami d’Edmond Rostand, et surtout le premier « conservateur » du musée, a adressé à Monsieur le Maire de Cambo un petit carnet à spirales, bleu. Il est signé et daté une première fois du 22 mars 1962, puis complété le 20 novembre 1963. Ces quelques pages de la main de Paul Faure sont très précieuses concernant ces portes d’archives. (Illustrations N°89, 89bis et N°90) En effet, à la page qu’il a numérotée « 5 », il indique que la porte du petit vestibule du rez-de-chaussée, qui se trouve derrière la bibliothèque, a été peinte en rouge et or par Rostand. C’est donc le seul élément permettant d’attribuer le décor de ces portes à Rostand lui-même. Concernant l’iconographie, on peut imaginer qu’il s’est inspiré des laques de Coromandel que lui avait offert son beau frère Monsieur de Marjorie, et qui jouxtaient le vestibule puisqu’elles étaient placées dans le fumoir, pièce à laquelle on pouvait accéder par la porte du fond et qui sert aujourd’hui de porte de placard. Plus généralement, les chinoiseries sont à la mode à cette époque. (Illustrations N°91, 92 et 93) 90 CONCLUSION A travers ce mémoire nous avons présenté l’ensemble des décors de la villa Arnaga, demeure d’Edmond Rostand de 1903 à 1918. Nous avons étudié à la fois les peintures et les vitraux ainsi que quelques céramiques peintes. Notre travail nous a permis de découvrir la grande richesse de ces décors à travers des artistes hétéroclites qui ont évolué au début du XXème siècle. Malgré la diversité de leurs styles, nous nous sommes aperçus que les peintres d’Arnaga avaient en commun leur notoriété, qui, bien que n’étant pas celle d’un Monet ou d’un Puvis de Chavannes, rayonnait au moins dans les salons parisiens. Nous nous posions la question de savoir comment Edmond Rostand avait choisi les artistes à qui il a confié la tâche de décorer sa villa. Nous avons constaté que l’un des critères du poète a probablement été cette reconnaissance officielle et qu’il les a, pour la plupart, découverts dans ces salons. Il semble qu’il ait aussi énormément fait confiance à son architecte. C’est ainsi que Jean Veber a obtenu la commande du boudoir de Rosemonde. Joseph Albert Tournaire avait d’ailleurs peut être déjà travaillé avec certains d’entre eux sur des chantiers antérieurs. Nous avons enfin émis l’hypothèse que certains des amis d’Edmond Rostand ont pu être un intermédiaire entre lui et les artistes ; c’est ce que nous imaginions pour Louis Trézel. L’autre caractéristique commune à tous ces artistes est l’exécution, pour Arnaga, de grands cycles décoratifs comme c’est notamment le cas de Gaston Latouche, Jean Veber et Georges Delaw. Par ailleurs, ces peintures sont étroitement liées à la littérature, les Contes de Perrault, Les contes de Madame Aulnoy, Les Contemplations de Victor Hugo, Les Chansons populaires françaises. Hélène Dufau et Henri Martin ne respectent pas cette règle mais en choisissant de traiter le thème de la nature ils se rattachent d’une autre manière aux autres artistes ayant œuvré à Arnaga puisque cette thématique est reprise par Gaston Latouche, Henry Caro-Delvaille et Louis Trézel. Finalement, ce qui ressort de cette étude c’est que Arnaga joue sur les contrastes, la diversité et les oppositions pour parvenir à créer son unité propre. Rappelons en effet que la 91 villa offre une façade de type néo-basque, bien ancrée dans la tradition régionale, tandis que les jardins présentent une typologie beaucoup plus classique, imitant les incontournables jardins à la française et à l’anglaise. Bien entendu cela provoque une sorte d’anachronisme entre ces genres tellement différents, mais le contraste le plus saisissant se fait lorsque l’on franchit la porte d’entrée. Pour toutes ces peintures, ce sont les toiles marouflées qui ont été privilégiées pour qu’elles puissent s’intégrer parfaitement à leur support mural et donner l’illusion de grandes fresques dans la tradition des hôtels particuliers. Pourtant, leur grande diversité et leurs coloris très présents, peuvent déconcerter, rendre difficile l’attribution à un style en particulier et surtout créer le sentiment d’un certain « mauvais goût ». Heureusement, l'harmonie se fait grâce à tous ces dénominateurs communs que sont ces mêmes couleurs (le rouge ressort plus que tout chez Jean Veber et Gaston Latouche), les thèmes traités, mais aussi une véritable élégance que l’on doit au fait que chaque détail à été entièrement pensé. En définitive, on peut définir ces décors comme étant un peu artificiels, théâtraux, dans l’esprit de l’œuvre littéraire d’Edmond Rostand. C’est l’éclectisme de ces décors, dont certains sont l’œuvre de peintres originaires de la région et d’autres sont réalisés par des parisiens, mais toujours plus ou moins en accord avec l’iconographie locale (un peu comme l’architecture d’Arnaga qui est une ferme basque entièrement réinterprétée), qui contribue à définir un « style Arnaga ». On est clairement dans un mélange de la demeure parisienne mondaine imprégnée par le style d’une époque et sa modernité et de l’habitation traditionnelle basque qui illustre le caractère d’un homme d’écriture à l’imagination fertile, aux désirs les plus inventifs et aux exigences les plus invraisemblables. C’est ce qui nous fait dire qu’Arnaga est l’œuvre d’Edmond Rostand sans doute la plus aboutie, un chef d’œuvre au même titre que Cyrano de Bergerac, L’Aiglon et Chantecler. Ces conclusions sont malheureusement tirées à partir d’une présentation qui ne peut être exhaustive dans le cadre d’un travail de mémoire de master. Si les recherches qui ont été engagées ont permis d’améliorer nos connaissances sur la demeure, elles ont aussi ouvert des pistes qui restent actuellement inexplorées essentiellement par manque de temps. Ainsi, nous avons découvert Louis Trézel et nous lui avons attribué au moins l’un des trois vitraux de la villa, mais en ce qui concerne les deux autres c’est l’intervention de spécialistes du vitrail qui 92 serait nécessaire à leur authentification. Par ailleurs, le manque d’informations nous a obligé à rester vague à propos du vitrail du Zodiaque ; on peut donc se poser une quantité de questions même si elles doivent encore rester sans réponse pendant un certain temps. Il s’agit peut-être d’une commande d’Edmond Rostand antérieure à Arnaga, dans ce cas, cela expliquerait que le sujet ne nous paraisse pas en parfaite adéquation avec l’ensemble des décors du grand hall. On peut aussi imaginer que si le style de ce vitrail est si différent des deux autres c’est tout simplement parce que c’est le sujet lui-même qui implique un traitement plus classique. On renvoie une nouvelle fois cette question aux spécialistes. Bien d’autres éléments de décors restent encore à travailler. Il serait en particulier intéressant de pouvoir retrouver d’autres photographies de la salle à manger pour nous permettre d’étudier les deux autres cartouches d’Henry Caro-Delvaille dont on ne sait rien. Enfin on aurait pu développer une quatrième partie en traitant des décors secondaires de la villa et qui comprennent les laques de Coromandel du fumoir, la toile de Jouy de la chambre rouge du premier étage ainsi que celle de la petite chambre d’Edmond Rostand (qui était violente est qui a aujourd’hui disparue), la tapisserie de la garde-robe de Rosemonde, le linteau sculpté de la cheminée de la bibliothèque et bien entendu, la peinture qui remplace désormais La Joie de Vivre de Henri Martin et pour laquelle il n’y a aucune information connue. 93 ANNEXES i « [...] En ouvrant le premier volume de Bergerac, où se voit son portrait en taille douce, la dimension gigantesque et la forme singulière de son nez m'ont tellement sauté aux yeux que je m'y suis arrêté plus longtemps que la chose ne valait, et que je me suis laissé aller à ces profondes réflexions que l'on vient de lire et à beaucoup d'autres dont je fais grâce au lecteur. Ce nez invraisemblable se prélasse dans une figure de trois-quarts dont il couvre entièrement le petit côté ; il forme, sur le milieu, une montagne qui me paraît devoir être, après l'Himalaya, la plus haute montagne du monde ; puis il se précipite vers la bouche, qu'il obombre largement, comme une trompe de tapir ou un rostre d'oiseau de proie ; tout à fait à l'extrémité, il est séparé en deux portions par un filet assez semblable, quoique plus prononcé, au sillon qui coupe la lèvre de cerise d'Anne d'Autriche, la blanche reine aux longues mains d'ivoire. Cela fait comme deux nez distincts dans une même face, ce qui est trop pour la coutume. » Théophile Gautier, Les Grotesques, VI (extrait), 1844 ii Le Docteur Jacques Joseph Grancher, Professeur de Clinique à la Faculté de Paris, membre de l’Académie de Médecine, collaborateur de Pasteur, était à la fin du XIXème siècle un grand nom de la médecine. Né le 29 Septembre 1843 à Felletin dans la Creuse, fils unique d’un foyer modeste de tailleur, il est choyé par sa mère à cause de sa santé délicate. Malgré de difficiles conditions matérielles, il fait à Paris ses études de médecine qu’il réussit brillamment. Interne des hôpitaux en 1867, il devient vite et successivement chef de clinique, premier de la promotion des médecins des hôpitaux -, puis agrégé de médecine en 1875, alors qu’il n’a que 32 ans. Sa notoriété grandit rapidement avec les travaux qu’il mène sur la tuberculose et le 15 mai 1885, il est nommé titulaire de la Chaire des Maladies des enfants qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1907. 94 En 1892, il vient soigner à Cambo une grave pneumonie. De 1896 à 1900 il est élu maire de sa nouvelle commune d’adoption et fait construire en 1897 sa villa Rosaenia en hommage à son épouse Rosa. iii Biographie Joseph Albert Tournaire (1862-1958). Il est né à Nice. Il débute sa carrière dans la région mais se rend dès 1879 à Paris où il étudie dans l’atelier André. Trois années plus tard, il a à peine 20 ans et obtient déjà un second prix de Rome. En 1888, il obtient son Grand Prix avec pour thème, un Parlement. A l’exposition de 1900, il présente maquettes, moulages et dessins, ce qui lui vaut un Grand Prix, puis en 1901, la Médaille d’Honneur du Salon. Très apprécié, il réalise plusieurs édifices administratifs pour la ville de Paris, sans compter les immeubles de rapports et ses chantiers provinciaux. La villa Arnaga est reconnue comme étant son morceau de bravoure. Tout autant que son travail, on apprécie ses qualités personnelles. C’est ce qui le fait élire membre de l’Institut en 1919, Président de la Société Centrale des Architectes en 1925-1927 et Président de la Société des Artistes Français en 1939. En 1947, il reçoit la plaque de Grand Officier de la Légion d’Honneur. 95 iv Lettre d’Edmond Rostand à Joseph Albert Tournaire le 27 février 1914 à propos de grands changements dans la villa. v Lettre d’Edmond Rostand à Tournaire accompagné de petits croquis explicatifs. vi Extrait d’une lettre d’Edmond Rostand à Tournaire rédigée par Rosemonde Gérard, à propos des baies du grand hall. Note de Louis Labat à la fin d’une lettre de Rostand à son architecte, toujours à propos des arcs surbaissés des fenêtres du grand hall + croquis. vii Poème d’Edmond Rostand dédié à Gaston La Touche en introduction au catalogue des œuvres exposées par le peintre aux galeries Georges Petit en 1908 : La Touche Voici l’artiste de race Et de grâce Qui, tel sa pomme un pommier, Fait, quand le soleil le touche, Du La Touche… Et même en fit le premier. Voici les treilles que cintre Ce beau peintre Au dessus d’aimables fronts ; Voici du rêve, et des fêtes 96 Plus parfaites Que celles que nous offrons ; Voici le rouge carrosse Qu’il nous brosse, Et, dans l’eau se reflétant, La fusée ombellifère Qu’il sait faire Eclater sur un étang ; Voici les globes orange Qu’il arrange Dans le bleu de la forêt, Et la chandelle romaine Qu’il emmène Bien plus haut qu’elle n’irait ; Voici cette fantaisie Cramoisie ; Et, sous un ciel de linon, Ce voluptueux royaume Peint en chrome Et qui portera son nom ; Voici tous les bergamasques Près des vasques, Et voici, voici, voici Pierrot, le Singe, Le Faune, Blanc, noir, jaune, Grimace, rire et souci ; Voici la cage éternelle De cette aile Qui revient… d’où ? l’on ne sait ; Et voici la marche rose Où se pose Le pied d’un vers de Musset ! Il y a près des fontaines, Des mitaines, Et, sur la mousse, il y a Des souliers dont la bouffette Semble faite Avec un Camélia. Il y a la fleur vermeille Sur l’oreille, Sur le cou le velours noir, Et sur les dents qu’on voit luire 97 Le sourire Qui n’ôte pas tout espoir. C’est comme un anachronique Pique-nique Où l’on verrait Camargo Se faire porter en chaise Chez Thérèse Pour souper avec Hugo. Ses sapajous peu novices Sous leurs vices Ont une âme qui rêva : On sent qu’ils ont, ces macaques, Lu Jean-Jacques Autant que Casanova. Le regard d’une Isabelle Nous révèle Que si, triste et grimaçant, L’amoureux descend des singes, C’est des sphinges Que l’amoureuse descend. Mais, plus loin – car ce La Touche Qui nous touche En montrant l’arbre et le nid Peint l’amour, de la romance Qui commence Jusqu’au berceau qui finit,Plus loin, dans des blancheurs pures De guipures Et de doux linge bouffant, Un regard de jeune mère Enumère Les beautés d’un bel enfant. *** C’est le peintre aristocrate Dont la patte Trouve sans avoir cherché Et peint sous une manchette Qui s’achète Bien meilleur qu’au Bon Marché. C’est aussi l’artiste brusque Qui s’embusque 98 L’œil clair sous un chapeau mou, Pour peindre un coin de campagne, Une Espagne, Ou son jardin de Saint-Cloud. Il prend, de cet œil vorace, La terrasse Où s’effrite un Coysevox, Des peupliers dans la brise, L’eau, Venise… Il prend tout ! une ombre, un phlox, Le cœur d’un jour, l’âme d’une Nuit de lune ! Et si ce peintre est charmant, C’est qu’il a l’inquiétude Et l’étude, La souplesse et le tourment. Au moment qu’il portraicture La Nature Comme il veut changer encor, Il laisse le paysage, Ce visage, Pour ce masque, le décor. Alors il peint des balustres Et des lustres, Et, Cazin de l’Opéra, S’il place au coin de sa toile Une étoile, Zambelli la posera. Il est certain que la Muse Dont il use N’est pas une virago : Elle est blonde et sensuelle Comme celle De notre divin Figaro. Peins, La Touche, les attentes Palpitantes Et le bleu des soirs sournois ; Que ton chimpanzé s’occupe D’une jupe Plus que de croquer des noix ! Fais sortir le Capripède Du bois tiède ; 99 Donne à cet écornifleur Bon goûter, bonne sieste Et le reste, Sous les marronniers en fleur ! Peins l’Automne ! Et que Septembre De son ambre Charge ta palette encor ! Et qu’Octobre qui titube T’offre un tube Gonflé de son plus bel or ! De l’époque lourde et vile, Tel Banville, Allège nous le fardeau ! Grand devoir que tu t’assignes : Peins des cygnes, Des bras nus et des jets d’eau ! Dans ces bassins de Versailles Dont tressaille Le cœur d’Henri Régnier, Ecartant la feuille morte Que l’eau porte, Fais les nymphes se baigner ! Et toujours allégoriste Qui n’est triste Que sous un voile d’humour, Fais sentir, même en tes fresques Simiesques, Ta tendresse pour l’amour ! Reprends pour nous le vieux thème Du : « Je t’aime ! » Mais en lui superposant Les caprices virtuoses Que tu oses Sur les modes d’à présent ! Lorsque pour tes Cydalises Tu stylises L’auto qui court les chemins, Montre sur la couverture De fourrure Comment se prennent deux mains ! Et que toujours on remarque Dans ta barque 100 Ou ton carrosse d’or clair, Comment s’incline une tête De poète Sur une épaule de chair ; Et que toujours, par ta grâce, Lorsque passe La berline ou le bateau, On entende au loin l’haleine De Verlaine Dans la flûte de Watteau ! Cambo, 12 mai 1908. viii Georges Delaw illustre plusieurs chansons sur des harmonies de Gabriel Pierné. Les livres illustrés, aux éditions Sporck, sont sur le thème des chansons de jeux et rondes enfantines et sur celui des chansons de France. *Voyez comme on danse, 1902, avec en préface un poème de Rosemonde Gérard *Sonnez les Matines ! 1904, préfacé par Rosemonde Gérard Ces deux exemplaires sont conservés dans les archives d’Arnaga. *Gai ! Gai ! Marions-nous ! 1906, préfacé par Rosemonde Gérard. (+ Contes de Perrault, préface de Mme Ed. Rostand, Sporck, 1910. Couverture en couleurs + 71 dessins en couleurs.) 101 ix Victor Hugo, « La fête chez Thérèse » in Les contemplations, Aurore, Livre Ier, XXII, 1856. La chose fut exquise et fort bien ordonnée. C’était au mois d’avril, et dans une journée Si douce, qu’on eût dit qu’amour l’eût faite exprès. Thérèse la duchesse à qui je donnerais, Si j’étais roi, Paris, si j’étais Dieu, le monde, Quand elle ne serait que Thérèse la blonde ; Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant, Nous avait conviés dans son jardin charmant. On était peu nombreux. Le choix faisait la fête. Nous étions tous ensemble et chacun tête à tête. Des couples pas à pas erraient de tous côtés. C’étaient les fiers seigneurs et les rares beautés, Les Amyntas rêvant auprès des Léonores, Les marquises riant avec les monsignores ; Et l’on voyait rôder dans les grands escaliers Un nain qui dérobait leur bourse aux cavaliers. A midi, le spectacle avec la mélodie. Pourquoi jouer Plautus la nuit ? La comédie Est une belle fille, et rit mieux au grand jour. Or, on avait bâti, comme un temple d’amour, Près d’un bassin dans l’ombre habité par un cygne, Un théâtre en treillage où grimpait une vigne. Un cintre à claire-voie en anse de panier, Cage verte où sifflait un bouvreuil prisonnier, Couvrait toute la scène, et, sur leurs gorges blanches, Les actrices sentaient errer l’ombre des branches. On entendait au loin de magiques accords ; Et, tout en haut, sortant de la frise à mi-corps, Pour attirer la foule aux lazzis qu’il répète, Le blanc Pulcinella sonnait de la trompette. Deux faunes soutenaient le manteau d’Arlequin ; Trivelin leur riait au nez comme un faquin. Parmi les ornements sculptés dans le treillage, Colombine dormait dans un gros coquillage, Et, quand elle montrait son sein et ses bras nus, On eût cru voir la conque, et l’on eût dit Vénus. Le seigneur Pantalon, dans une niche, à droite, Vendait des limons doux sur une table étroite, Et criait par instants : "Seigneurs, l’homme est divin. Dieu n’avait fait que l’eau, mais l’homme a fait le vin !" Scaramouche en un coin harcelait de sa batte Le tragique Alcantor, suivi du triste Arbate ; 102 Crispin, vêtu de noir, jouait de l’éventail ; Perché, jambe pendante, au sommet du portail, Carlino se penchait, écoutant les aubades, Et son pied ébauchait de rêveuses gambades. Le soleil tenait lieu de lustre ; la saison Avait brodé de fleurs un immense gazon, Vert tapis déroulé sous maint groupe folâtre. Rangés des deux côtés de l’agreste théâtre, Les vrais arbres du parc, les sorbiers, les lilas, Les ébéniers qu’avril charge de falbalas, De leur sève embaumée exhalant les délices, Semblaient se divertir à faire les coulisses, Et, pour nous voir, ouvrant leurs fleurs comme des yeux, Joignaient aux violons leur murmure joyeux ; Si bien qu’à ce concert gracieux et classique, La nature mêlait un peu de sa musique. Tout nous charmait, les bois, le jour serein, l’air pur, Les femmes tout amour, et le ciel tout azur. Pour la pièce, elle était fort bonne, quoique ancienne. C’était, nonchalamment assis sur l’avant-scène, Pierrot, qui haranguait, dans un grave entretien, Un singe timbalier à cheval sur un chien : Rien de plus. C’était simple et beau. - Par intervalles, Le singe faisait rage et cognait ses timbales ; Puis Pierrot répliquait. - Ecoutait qui voulait. L’un faisait apporter des glaces au valet ; L’autre, galant drapé d’une cape fantasque, Parlait bas à sa dame en lui nouant son masque ; Trois marquis attablés chantaient une chanson ; Thérèse était assise à l’ombre d’un buisson : Les roses pâlissaient à côté de sa joue, Et, la voyant si belle, un paon faisait la roue. Moi, j’écoutais, pensif, un profane couplet Que fredonnait dans l’ombre un abbé violet. La nuit vint, tout se tut ; les flambeaux s’éteignirent ; Dans les bois assombris les sources se plaignirent ; Le rossignol, caché dans son nid ténébreux, Chanta comme un poète et comme un amoureux. Chacun se dispersa sous les profonds feuillages ; Les folles en riant entraînèrent les sages ; L’amante s’en alla dans l’ombre avec l’amant ; Et, troublés comme on l’est en songe, vaguement, Ils sentaient par degrés se mêler à leur âme, A leurs discours secrets, à leurs regards de flamme ; 103 A leur coeur, à leurs sens, à leur molle raison, Le clair de lune bleu qui baignait l’horizon. x Carnet laissé par Paul Faure à l’intention de Monsieur le Maire de Cambo en 1963. xi 1983 : Proposition des toiles de Veber au conservateur d’Arnaga et réponse du conservateur. xii 1993 : Lettre de Monsieur Sargos au conservateur d’Arnaga, Monsieur Poupel, à propos d’une nouvelle vente des toiles de Veber. xiii Lettre d’Edmond Rostand à Joseph Albert Tournaire. Cambo le jeudi 20 avril 1905. A propos de Veber. « Je l’ai remercié de l’envoi d’une photographie de son panneau, qui m’a paru charmant. Mais je vous prie encore de faire un prix avec lui, car je ne veux pas traiter cela moi-même et les protestations qu’il n’en veut pas faire une affaire d’argent me gênent beaucoup. Puisque c’est vous qui avez eu l’idée de vous adresser à lui, qu’il est votre ami, que vous surveillez le travail, c’est à vous de l’estimer. » 104 Lettre de Jean Veber à J.A. Tournaire. Mon cher ami, Je suis contrarié que tu aies pris la peine de me faire apporter mes deux petites esquisses. J’aurais facilement été les chercher un de ces jours chez toi. Et ma femme m’ayant dit que Madame Tournaire avait fait l’honneur de son salon à la petite aquarelle, je me proposais de lui demander de bien vouloir l’y laisser. Je me permettrai donc cette petite démarche un peu plus tard quand j’aurais utilisé certains détails retrouvés dans cette esquisse et je souhaite très vivement que Madame Tournaire y fasse bon accueil. Depuis que je t’ai vu je me suis mis à ma petite frise. J’y travaille d’arrache pied car je voudrais qu’on en puisse jouir dès le début de l’emménagement. J’espère que d’ici huit jours le panneau sera couvert. Il restera à le terminer. C’est un des panneaux de 5m. J’y est représenté « L’Oiseau bleu », « Riquet à la houppe » et « Gracieuse et Percinet ». On y verra l’enchanteur Merlin et son char de grenouilles et Percinet sera vêtu de mon plus beau vert ainsi qu’il est (prescrit ?). C’est un travail délicieux et rarement j’ai eu autant de plaisir à peindre les scènes (ingénues ?) et somptueuses. Je te suis bien reconnaissant de m’en avoir donné l’occasion. Je ne puis hélas répondre du résultat ce serait trop de présomption mais du moins je suis assuré de saisir toute l’importance de cette petite décoration et son exceptionnel intérêt. Je n’ai parlé à personne de ces peintures mais on m’en félicite déjà ! Je n’ai pas non plus écrit à Rostand car tu m’en paraissais pas très partisan. Cela pourra se faire, je pense, plus utilement dans quelque temps en lui envoyant une photo de ce qu’il y aura de fait pour avoir son avis. J’espère que tu auras l’amitié de venir me donner le tien prochainement. Dans une huitaine de jours j’espère qu’on commencera à voir quelque chose à ce premier panneau. Jean Veber 21 fév. 1905 105 Mon cher ami, Je suis encore tout au plaisir de la triple visite que j’ai reçue hier. Je ne sais si Rostand en conserve un aussi bon souvenir, pour moi j’ai été bien sensible à sa bonne grâce à tous ces avis qu’il donnait avec une si délicate retenue. Je vois qu’il prête une grande importance à mes peintures et j’en suis très flatté. Que dans un aussi court séjour que celui qu’il fait à Paris il soit venu passer une heure dans mon atelier, voilà la preuve d’une rare estime. Une seule chose m’inquiète maintenant, c’est le temps. Le panneau que tu as vu sur le chevalet sera fini dans une quinzaine de jours. Mais les deux autres ! Arriverai-je pour septembre ? Je vais bien faire tout le possible pour cela quitte à emporter le dernier à moitié esquissé pour le terminer à loisir sur place. Jamais je crois que je n’aurais de client plus aimable, ni de travail plus amusant. Présente, je te prie, mes biens respectueux hommages à Madame Tournaire et crois moi ton dévoué. Jean Veber P.S. : Après c’est à H… qu’il faudra bâtir une maison. xiv 106 Devis remis le 31 août 1905 à Monsieur A.Tournaire, architecte à paris pour travaux à exécuter chez Monsieur Rostand à Cambo. F Perret et Fils. F.Perret et fils, tapissiers – décorateurs. 1, rue Marengo, Bayonne. Reproduction de meubles anciens. 1 table à coiffer suivant croquis n°1, bois de citronnier plaqué vernis avec filet d’amarante, poignées façon vermeil glaces biseautées et dans les écoinçons de ces glaces des ampoules électriques dépolies. 695 frs. 1 table à écrire assortie se plaçant à gauche de la cheminée, ayant, au dessus, à droite, des rayons pour livres ; à gauche, une petite armoire ; au centre et dans le fond un panneau en velours pour recevoir des miniatures. 415 frs. 1 lavabo assorti dessus marbre vert épais, cuvette à renversement crème et or, recouvert de faïence proportionné. 575 frs. 1 étagère glace au dessus avec quatre consoles façon vermeil. 110 frs 1 miroir assorti extérieur rectangulaire intérieur ovale glace biseautée avec quatre ampoules électriques. 150 frs. Mémoires des travaux et fournitures exécutés à Arnaga par F.Perret et Fils pour le compte de Monsieur Edmond Rostand. Bayonne le 21 décembre 1909. Annotation au crayon à papier : le 29 novembre 1913, M. Perret a été réglé par le …… pour solde de tous mémoires à cette date. 1 pendule sur la cheminée. 14 frs. 1 couronne roses en bois sculpté entourant cette pendule. Ajustage et pose, percé le bois et fait dans le mur un trou avec difficulté. 70 frs + 17 frs. 1 canapé érable avec marqueterie avec matelas. 650 frs. 1 chiffonnier assorti. 550 frs. 2 chaises érable et marqueterie. 2 x 120 ; 240 frs. Réapplication d’un voile dentelle pour dessus de table. 187 frs. xv -N°43, Cendrillon, aquarelle signée et encadrée, 1919, 23*49cm. 1ère esquisse d’un carton de tapisserie conservée au Musée des Gobelins. 107 -N°97, Château de la Belle au Bois Dormant, aquarelle encadrée, 25*32cm. -N°106, Esquisse aquarellée de la Belle au Bois Dormant pour un carton de la Manufacture des Gobelins, encadrée, 22,5*50cm. -N°165, L’Oiseau Bleu, projet d’écran, toile encadrée, 80*64cm. On peut aussi noter que le travail de Jean Veber à Arnaga auprès d’Edmond Rostand lui a très probablement inspiré plusieurs de ses sujets (passés également en vente chez Drouot aux mêmes dates) : -N°87, La poétesse (Rosemonde Gérard ?), vers 1905 et une esquisse, 46*55cm, signées. -N°86, Cyrano de Bergerac, esquisse aquarellée, 30*38cm. -N°87, Cyrano, aquarelle rehaussée d’argent, signée et datée de 1896, encadrée, 43*29cm. -N°91, Personnages d’Edmond Rostand, encre de chine aquarellée, 45*63cm. -N°124, Edmond Rostand et Chantecler, panneau, encadré et signé, 35*27cm. xvi Correspondance Edmond Rostand/Rosemonde Gérard. [Luchon, 11 août 1888 ?] Samedi matin Et souffrez-vous de votre vilaine gorge ? – Je veux espérer que vous êtes debout, vaillante et que vous vous apprêtez à sortir pour aller vers quelque chemin bleu de Pougues ? Avez-vous des chemins bleus, là-bas ?… Ici il y en a beaucoup. Il y a aussi des jolies routes blanches qui font des rubans dans la campagne. Le soleil qui ne veut pas se cacher un seul jour fait des blagues dans les feuillages, toutes sortes de petits miroitements, de poussières dorées, de jeux gamins de lumière… C'est très décor, en ce moment, Luchon. Dans mes promenades à cheval, je vois des recoins charmants, – bien entendu les recoins obscurs, ceux où il y a pas de perspective, de vue de montagne, mais ou l'horizon est étréci, borné, où l'on est derrière des rideaux de feuillages. – C'est très joli, mais je m'y ennuie. Et vous savez bien que les plus jolies choses ne procurent aucun plaisir, si on ne peut pas le raconter, son plaisir, le partager, – et que cela m'est absolument égal de trouver une chose jolie si je ne puis vous demander si vous la trouvez jolie… 108 De ma fenêtre ouverte j'aperçois un grand jardin fleuri, – celui de notre voisin l'horticulteur, – un tas, un tas de roses… Et l'air est plein de mariages de papillons. Ils volent par deux, les jolis papillons blancs et je les vois aller très loin, très loin, – et disparaître, sans jamais se séparer… Je lis les Contes de fées. C'est écrit avec une finesse extraordinaire, – pas du tout pour les enfants. Le style est d'une sobriété, les détails d'un goût exquis. Une véritable merveille est Riquet à la Houppe, – cette histoire d'un homme laid qu'une princesse belle comme le jour se met à aimer, si bien qu'elle le voit beau, plus beau que tout. Il m'a plu beaucoup, ce conte, et attendri… Du reste, comme je vous l'écrivais l'autre jour, beaucoup plus peut-être par ce que j'y ai mis, que parce qu'il y a réellement. Le joli temps que celui des fées !… Et quel malheur que nous n'y vivions pas ! J'aurais eu une marraine fée. Elle se serait appelée Rosemonde. La fée Rosemonde, – cela va à ravir… Vous auriez une robe couleur du temps, une robe aurore, et des étoiles dans vos cheveux… De vous j'obtiendrais tout ce que je voudrais, petite marraine… Et vous viendriez ici prendre une citrouille de mon jardin pour m’en faire un carrosse, – avec lequel nous rentrerions à Paris, pour voir Le Gant Rouge… Vous daigneriez aussi me donner un coup de baguette, et je serais merveilleusement beau et spirituel, et plein de talent… Que c'est dommage que vous ne soyez pas fée. Mais vous l'êtes et pouvez ce que vous voulez. Et votre amitié est la baguette avec laquelle vous me transformerez, s'pas ? Vous rappelez-vous des contes que je vous contais quand vous étiez malade ? C'était l'histoire de la petite princesse Dodelinette, que j'écrirai un jour, tant son nom me plaît, – et il y avait le prince Dodelino, et le prince aimait beaucoup Dodelinette et il la câlinait tant qu'il pouvait… Et puis il arrivait un tas de choses, – jusqu'à Henri qui interrompait l'histoire pour aller boire un verre… Mais quand je pus la terminer, je me souviens que la fin était charmante. Après des aventures extraordinaires, – décidément, il faut qu'un jour je les écrive, – le roi Dodelino arrivait à obtenir l'amour de sa belle, et Dodelino et Dodelinette jouissaient d'un bonheur parfait. Ils n'avaient pas d'enfants. Ce nom de DODELINETTE est tout simplement une petite merveille. C'est du génie, d'avoir trouvé un nom aussi tendre, aussi câlin. Trouvez-vous pas ? Je n'ai pas reçu le moindre petit Gant Rouge d'Henri. Ce soir arrivent – HÉLAS ! – mon oncle et ma tante. Plaignez-moi profondément. Mademoiselle Joujou est je crois définitivement dans la bonne voie. Elle commence tout de suite par des impressions de cette petite personne. J'espère que ça va filer droit, maintenant. 109 Ma pièce, – je ne sais si vous vous rappelez de son sujet, – la femme qui se trouve avoir trompé son mari sans raison, – me paraît faire un très bon roman, genre Bourget. Étude à faire de l'état d'âme de cette femme vivant près de son mari qu'elle adore, après avoir fait ça. Le roman est tout fait. On en tirerait la pièce après, – et peut-être la ferait-on mieux. Votre avis, s.v.p., madame la fée ? Quant au travail de Perrault je commence à avoir les matériaux, les idées que je classe… Soyez tranquille, ce sera fait. Vient d'arriver le petit avocat toulousain, Monthieu , celui à mine de furet auquel vous avez battu froid l'an passé. Aussi il ne parle pas de vous. Vous ne voulez plus de raisins ? Étaient-ils bons ? Je suis vraiment enchanté que vous ayez trouvé jolie cette petite machine que j'avais faite au collège et qui avait si fort scandalisé le Père Directeur qui l'ayant lue voulait me mettre à la porte : Dans l'antichambre. Il y a des petites retouches à faire ? Que vous seriez gentille de les faire ! Et qui le peut mieux que vous qui avez l'instinct du théâtre !! Savez-vous comment s'appelait la marraine de la princesse Peau d'Âne ? La Fée des Lilas… Est-ce pas joli ?… Si je fais un conte jamais, il y aura aussi la Fée des Glycines. Et un endroit que je trouve ravissant aussi c'est dans la Belle au bois dormant, – (quel conte merveilleux!) l'arrivée furtive du prince Charmant au travers des grands appartement endormis… Et savez-vous le premier mot que lui dit la belle endormie quand elle s'éveille. Elle le regarde… « avec des yeux plus tendres qu'une première vue ne semblait le permettre … » et tout simplement lui dit : « Est-ce vous, mon prince ?… vous vous êtes bien fait attendre ?… » J'ai idée que la première fois qu'on aime et qu'on trouve celle qui est la vraie, on doit avoir cette impression de sortir d'un long sommeil, d'un sommeil où dormaient, inconscientes encore, toutes les tendresses, – et que c'est ce mot tout simple et charmant qui doit vous venir aux lèvres… « Est-ce vous ? vous vous êtes bien fait attendre ?… » Ah ! les contes de fées, quand on sait les lire, comme cela vaut mieux que toutes les choses défraîchies qu'on nous sert aujourd'hui : quelle jeunesse embaumante cela a, et comme cela nous amusera et nous charmera de les lire ensemble. Figurez-vous que c'est même plein de petites gaillardises, dites avec une finesse remarquable, – si bien qu'on ne les aperçoit qu'à la réflexion. C'est dit avec naïveté, comme un enfant dit 110 une chose un peu vive, sans la comprendre. Ou bien c'est une pointe de malice infiniment bonhomme. Je trouve ravissante cette petite phrase de La Belle au bois dormant encore… Ils se marient le soir même du jour où elle s'est réveillée… « Le grand aumônier les maria dans la chapelle du château et la dame d'honneur leur tira le rideau. Ils dormirent peu : la princesse n'en avait pas grand besoin… » Je trouve cela très fin. Maintenant ce qui est extrêmement spirituel c'est ceci. Barbe-Bleue retourne chez lui. Il ne demande pas tout de suite les clefs. Alors « Sa femme fit tout ce qu'elle put pour lui témoigner qu'elle était ravie de ce prompt retour. Le lendemain… » N'est-ce pas que ce point à la ligne, avec le récit reprenant tranquillement sur ce simple mot : le lendemain… est très fin, très fin, qu'il y a là un art très délicat. Si on lisait ça à haute voix on pourrait faire un effet avec : le lendemain… J'ai peur de vous ennuyer avec mes citations et mes appréciations. Chère petite amie, je fais mon possible pour vous distraire, – et faut-il vous l'avouer, pour me distraire. En causant avec vous de ces choses, j'espère arriver à me persuader qu'elles m'intéressent. Eh ! mon Dieu ! Le fait est qu'elles prennent un intérêt pour moi, du moment que je vous en ai causé ! Tenez, ce n'est que depuis que je vous ai parlé de ces contes de fées que mon travail sur eux m'intéresse, et que des idées me sont venues. Cela m'est infiniment, mais infiniment doux de tâcher de faire nos esprits se toucher un peu de si loin. Je voudrais faire les mêmes lectures que vous : dites-moi quels livres vous avez lus dernièrement. Les relisant après vous, je le ferai avec grand charme, car tout le temps je me dirai : ceci lui a plu, – cela l'a touchée… Et je ne me tromperai pas. Quelle grande joie c'est quand on sent sur une de ces menues impressions littéraires si fines, si fines, qu'on est d'accord, – qu'on a bien la même sensibilité, qu'on est bien ensemble… Ah ! quelle inépuisable, inépuisable source de joie, de jouissances rares, de bonheurs intimes, nous avons dans nos affinités intellectuelles ; – quel bonheur c'est d'avoir une amie comme vous, – qui sent, qui comprend, qui a les mêmes nerfs… le même goût. 111 Personne, personne de pareil à moi. Vous, vous seule. C'est là qu'est tout le secret, toute la féerie qui fait qu'on ne s'ennuie jamais, réunis, – c'est là qu'est l'enchantement, plus délicieux, allez, que tous ceux dont je lis l'histoire. À vous, – et à Madame Lee, – répondez-moi vos impressions, vos conseils, vos avis, – le plus tôt, s'pas ? Edmond xvii Si nous vivions Si nous vivions au temps bienheureux de Peau d’Âne, De cendrillon, ou de la Belle aux cheveux d’or, Du gentil Avenant qu’un roi jaloux condamne, Et du Prince éveillant la princesse qui dort, De perles, de rubis et de roses coiffée, Portant des cheveux blonds derrière toi flottants Comme un manteau soyeux, tu serais une féérie Et ta robe aux longs plis serait couleur du temps. Lors, tu me changerais d’un coup de baguette En un prince Charmant, et me ferais cadeau Pour que ton amoureux te fit honneur, coquette, D’un justaucorps brodé tout de satin vert d’eau. 112 Nous serions poursuivis par une Carabosse Horrible, que rendrait jalouse ta beauté… D’une citrouille, alors tu ferais un carrosse, Et nous nous enfuirons dans ma principauté. Ce serait loin, très loin, dans un pays de rêve Où les fleurs seraient des étoiles au printemps ; Nous vivrons, trouvant la vie encore trop brève, Dans ce beau pays-là pendant plus de cent ans… Et quand nous serions morts vivrait notre mémoire, Nos deux noms resteraient de l’oubli triomphants, Et l’on ferait sur nous une très belle histoire Que l’on raconterait aux tous petits enfants… Les mères-grand, pendant les soirs d’hivers moroses, La disant devant l’âtre où détone le bois, Après avoir tant fait mettre en rond les museaux roses, Graves, commenceraient : « Il était une fois… » 113 xviii Lettre de Rostand à Tournaire à propos de la toile d’Henri Martin xix Post Scriptum d’Edmond Rostand à Tournaire à propos d’Henri Martin. xx Principales réalisations de Louis Trézel entre 1902 et 1912. • Brasserie Julien, Paris : pâtes de verre représentant les Quatre Saisons. • Brasserie Bouillon Racine : pâtes de verre et peut être vitraux • Casino Municipal de Trouville sur Mer, Basse Normandie : verrière pour le hall d’entrée • Magasin des Galeries Lafayettes, Paris • Grande taverne rue Montmartre, Paris • Parfumerie Lubin, Paris • Maison Poiret, Paris • Maison de Félix Potin, boulevard Malesherbes, Paris • Brasserie Zimmer • Maison Coilliot, Lille : portes vitrées émaillées d’un buffet monumental 114 • Eglise de Gennevilliers • Eglise de la Chapelle • Eglise d’Alice Sainte-Reine • Eglise de Versailles • Eglise Saint-Justin, Levallois-Perret BIBLIOGRAPHIE ARCHIVES D’ARNAGA : Fond Tournaire : correspondance entre Joseph Albert Tournaire et Edmond Rostand Fond Paul Faure : petit carnet bleu Fond Jean Rostand OUVRAGES SUR ARNAGA ET EDMOND ROSTAND: CUZACQ René, Les écrivains du Pays Basque et bayonnais : Rostand à Cambo et Loti à Hendaye : les ancêtres des temps romantiques, Editions Jean Lacoste, 1951 FAURE Paul, Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand, Editions Plon, Paris, 1928 115 FORRIER Michel, Petite Histoire d’Arnaga, Editions Pyrémonde, 2006 LASSERRE Jean-Claude, Odile Contamin, Villa Arnaga, Musée Edmond Rostand, Editions Le Festin, Juin 2006 LORCEY Jacques, Edmond Rostand – Tome I : Cyrano et l’Aiglon (1868-1900), Editions Séguier, coll. « Empreinte », Paris, 11 mars 2004 LORCEY Jacques, Edmond Rostand – Tome II : Cambo – Arnaga - Chantecler (1900-1910), Editions Séguier, coll. « Empreinte », Paris, 11 mars 2004 POUPEL Robert, Pierre Hourmat, Eugène Goyheneche, Guillaume Eppherre, Pierre-Louis Trotot, Pierre Quantin, Pierre Lafitte, Georges Viers, Cambo : histoire, thermalisme, climatisme, Société des sciences lettres et arts de Bayonne, 1988 ROSTAND Maurice, Confessions d’un demi-siècle, Edition La Jeune Parque, 1948 TETRY Andrée, Jean Rostand, un homme du futur, Editions La Manufacture, 1988 OUVRAGES SUR LES ARTISTES : BAILLIE SCOTT Mackay Hugh, Houses and Gardens, London : G. Newner, 1906 BAILLIE SCOTT Mackay Hugh, Haus eines Kunst-Freundes, Darmstadt : [S. n.?], [1905] DRUART René, L’œuvre de Georges Delaw, Editions La Grive, 1936 MILHOU Mayi, De Lumière et d’Ombre, Clémentine-Hélène Dufau, Editions Art & Arts, 1997 LAPRADE Albert, Notice sur la vie et les travaux de Albert Tournaire, Typographie de Firmin- Didot et Cie., imprimeurs de l’Institut de France, Paris, 1958. TREZEL Louis, Exposition franco-britannique de Londres, 1908 : section française, classe 67 / rapport de M. Louis Trezel, Paris : Comité français des expositions à l'étranger, 1910 VALMY-BAYSSE, Jean, Henry Caro-Delvaille, Sa vie, Son œuvre, collection Peintres d’aujourd’hui, Editions F. Juven, Paris, 1910. VALMY-BAYSSE, Jean, Gaston Latouche, Sa vie, Son œuvre, collection Peintres d’aujourd’hui, Editions F. Juven, Paris, 1910. VALMY-BAYSSE, Jean, Henri Martin, Sa vie, Son œuvre, collection Peintres d’aujourd’hui, Editions F. Juven, Paris, 1910. 116 Catalogue des œuvres de Gaston La Touche exposées dans les galeries Georges Petit du 11 Juin au 13 Juillet 1908, Imprimeries G. Petit, Paris, 1908 Collectif, Henri Martin, Du Rêve au Quotidien, Catalogue d’Exposition, Editions Silvana, 2008 OUVRAGES GENERAUX : BENEZIT Emmanuel, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, Gründ Editeur, 1999 CHEVALIER Jean, Alain Gheerbrandt, Dictionnaire des symboles, Editions Laffont, collection Bouquins, 1982 LENIAUD Jean-Michel, L’Art Nouveau, Editions Citadelles et Mazenod, Paris, 2009 MAGNE Lucien, Décor du verre, gobeleterie, mosaïque, vitrail, collection L’Art appliqué aux métiers, Paris, Librairie Renouard, 1913 OTTIN L., L’Art de faire un vitrail, H. Laurens Editeur, Paris, Librairie Renouard, 1925 PELADAN Joséphin, L'art idéaliste et mystique, doctrine de l'Ordre et du salon annuel des Rose+ Croix, Chamuel, Paris, 1894. 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VAN EECKE Corinne, « Contes et fables dans les livrets du Salon », in Le conte et l’image, Romantisme, N°78, 1922 YAKI Paul, « Georges Delaw, Imagier de la Reine », Journal La Liberté, 21 juin 1929 SOURCES LITTERAIRES : AULNOY Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, L’Oiseau Bleu et autres contes, Editions Seuil Jeunesse, Paris, 2009 HUGO Victor, Les Contemplations, Editions Gallimard, Paris, 2006 PERRAULT Charles, Les Contes de Perrault, Collection La Bibliothèque Illustrée, Editions du Chêne, 2006 118 ROSTAND Edmond, Cyrano de Bergerac, collection Classiques de Poche, Editions LGF, Le Livre de Poche, Paris, 2007 ROSTAND Edmond, Chantecler, Editions Flammarion, Paris, 1910 CENTRES DE DOCUMENTATION Centre de documentation du Musée de l’Ecole de Nancy, Nancy Centre de documentation du Musée de Montmartre, Paris Monsieur Heymes : Musée de la Corbillère, Mer, Val de Loire Monsieur Ribeton : Musée Basque, Bayonne SITES INTERNET : Catalogue de l’exposition sur la faïencerie à Choisy-le-Roi http://www.ville-choisy-le-roi.fr/Download/Patrimoine/Expo_faiences_catalogue.pdf Réseau européen de l’Art nouveau http://www.artnouveau-net.eu/ 119