La campagne de bombardement de la RAF sur l`Europe de l`Ouest

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La campagne de bombardement de la RAF sur l`Europe de l`Ouest
La campagne de bombardement de la RAF sur l’Europe de
l’Ouest de 1941 à 1943
D’après Jean-Patrick Dakiller, La Guerre Aérienne en Europe, 1939-1944 (Docavia éd.,
1989)
Fin 1940, la RAF n’était plus à genoux : en deux mois de Bataille d’Angleterre, la Luftwaffe
n’avait pu mettre sérieusement en danger la défense aérienne du Royaume-Uni et le Bomber
Command avait commencé à reconstituer ses effectifs tandis que le Fighter Command
s’opposait à l’offensive allemande. Les premiers raids sur Berlin, de peu d’efficacité autre que
symbolique, avaient cependant été encourageants, en démontrant l’impuissance relative de la
chasse de nuit allemande, au grand dam du maréchal Hermann “Maier” Göring. Mais au
début de 1941, c’est avec moins de deux cents appareils que le Bomber Command devait faire
face aux sollicitations de toutes sortes, politiques compris.
1941 : des moyens limités et au service de la Navy
En ce début 1941, les principales montures du Bomber Command, des bimoteurs pour la
plupart, avaient des capacités limitées. Le Wellington, son principal appareil (en nombre)
jusqu’au début de 1942, était robuste mais son rayon d’action souvent insuffisant. Le Whitley,
s’il avait un long rayon d’action, était lent donc vulnérable. Le Hampden souffrait d’un
fuselage bien trop étroit pour un bombardier moyen et d’un armement défensif déficient. Le
Manchester, le plus moderne, avait des moteurs peu fiables. Le Stirling, seul quadrimoteur,
avait un plafond trop bas en raison d’une aile de trop faible allongement, ce qui le rendait
vulnérable à la chasse comme à la Flak.
Les choses allaient s’améliorer peu à peu dans le courant de l’année avec les débuts du
Halifax. Mais les raids au cœur du Reich restèrent rares, car l’urgence, à ce moment, c’était
les raiders allemands et la montée en puissance de l’U-bootwaffe. La Royal Navy était
engagée à fond dans la bataille de l’Atlantique et la guerre des convois, et le soutien à la
guerre navale allait pendant un an accaparer les missions du Bomber Command.
En effet, la Kriegsmarine disposait maintenant de ports ouverts sur l’Océan Atlantique et avait
coulé… du béton pour remettre en état ou construire de nouvelles bases de sous-marins, à
Lorient, Saint-Nazaire et La Rochelle notamment. La Navy réclama donc des raids aériens
contre ces bases. Pour faciliter ces attaques, les services de renseignement français et
britanniques travaillèrent main dans la main. En associant les déchiffrages Enigma et les
informations recueillies sur place par des réseaux de Résistants, souvent au péril de leur vie,
ils allaient pouvoir informer presque en direct l’Amirauté de la plupart des mouvements
navals, départ ou arrivée, indiquer l’emplacement des unités dans les bassins et estimer les
résultats des raids aériens.
Ces derniers étaient malheureusement trop souvent peu efficaces, tant leur précision laissait à
désirer, et les quartiers d’habitation des villes portuaires souffraient au moins autant que les
installations militaires visées. Les dégâts qu’eurent à subir Ostende, Dunkerque, Boulogne, Le
Havre, Lorient, Brest, La Rochelle, Saint-Nazaire et de nombreux autres ports furent autant
d’occasions pour les services de propagande de Laval ou de Goebbels de rédiger des articles
vengeurs ou de se répandre en invectives radiophoniques. Cependant, au sein de la
population, un sentiment de fatalisme prédominait : chacun comprenait qu’un port accueillant
des navires militaires devenait fatalement une cible. De plus, on se souvenait que les premiers
à bombarder les civils avaient été les Allemands : personne n’avait oublié le mitraillage des
colonnes de réfugiés et le martyre des villes polonaises, hollandaises, françaises et
britanniques.
En fin de compte, si les raids contre le littoral français furent très critiqués (notamment par les
SR français) en raison de l’absence de précision des attaques et des pertes sévères subies par
les populations civiles, les historiens rendirent finalement justice aux aviateurs en soulignant
que ces bombardements avaient eu leur utilité. Tout d’abord, ils avaient sévèrement amoindri
la disponibilité des navires visés. L’exemple du Scharnhorst est caractéristique : une bombe
non explosée était tombée tout près de sa coque, dans son bassin, et le navire dut être déplacé
à l’amarrage, où des Beaufort purent le toucher d’une torpille qui le rendit indisponible
pendant plusieurs semaines. Ni lui ni le Gneisenau (endommagé quelque temps auparavant)
ne furent capables de se lancer dans l’Atlantique au moment où le Bismarck tentait de percer
par le Détroit du Danemark. De plus, ces raids mobilisèrent une part croissante de l’armement
anti-aérien lourd produit par l’industrie allemande, c’est à dire, pour une grande partie, des
canons de 88 mm. Lors de l’opération Barbarossa, un an plus tard, les divisions d’infanterie
de la Heer n’avaient en dotation, en moyenne, que la moitié des matériels de DCA prévus. Or,
les canons de 88 mm se trouvaient être ceux dont elles allaient avoir un besoin vital lors de
leur confrontation avec les chars lourds soviétiques
Pendant ce temps, en sens inverse, les raids sur Londres n’avaient pas complètement cessé : si
la Luftwaffe avait envoyé le gros de ses bombardiers au sud pour le “Blitz Malte-Tunis” et
pour l’opération Merkur, elle continuait à envoyer des Bf 109 Jabo à basse altitude sur le sud
de l’Angleterre. De nouveaux raids de bombardement classique eurent même lieu dans les
derniers mois de 1941 et au début de 1942, l’activité aérienne s’étant un peu calmée en
Méditerranée. Pour riposter, le Fighter Command décida de maintenir une activité de
patrouille aérienne sur zone et élabora des missions offensives spécifiques : Rhubarb
(ratissage et attaque d’objectifs d’opportunité), Ramrod (escorte de bombardiers contre des
cibles proches attaquées de jour) ou Rodeo (missions de chasse destinées à ouvrir le chemin
aux attaques Ramrod). Mais si ces missions s’intégraient parfaitement dans la stratégie
d’attaque du littoral, français notamment, les portes du Reich profond, elles, restaient closes,
du moins de jour. Pour des motifs politico-économiques, décision fut prise à ce moment d’en
rester là et de se tourner vers les bombardements de nuit.
L’Angleterre était en effet entrée en guerre sans le matériel ni la doctrine adéquats pour mettre
en œuvre les grandes théories du bombardement stratégique. Cependant, l’Air Marshal Peirse,
patron du bombardement, parvint à rallier la Navy à ses vues en ce qui concernait l’usage des
bombardiers lourds. Les ports et les chantiers où étaient fabriqués les terribles U-Boots, Kiel
notamment, reçurent des visites régulières avec des objectifs stratégiques clairement définis :
non plus l’élimination d’un navire particulier, mais la réduction de l’activité d’un port ou d’un
chantier. C’est dans ce cadre que s’inscrivit le premier raid de bombardement à très haute
altitude (VHA), mené le 21 juillet 1941 contre Wilhelmshaven par une douzaine de
Wellington VI (stratosphériques). Ce raid fut très efficace, même si cette réussite ne pouvait
faire oublier l’aspect en général aléatoire des bombardements VHA.
La bataille de l’Atlantique prenant peu à peu bonne tournure et surtout les chaînes de
production des bombardiers montant en charge, le Bomber Command put commencer à s’en
prendre à des objectifs non directement liés à la guerre sur mer. Ainsi, les usines Renault, dont
l’Intelligence Service estimait alors les capacités de production à plus de 18 000 véhicules par
an, reçurent plusieurs fois la visite de la RAF, occasionnant de nombreux dégâts, jusqu’à ce
qu’une opération spectaculaire de la Résistance rendît la répétition de tels raids inutile.
A la fin de 1941, la situation s’était bien améliorée pour le Bomber Command : les effectifs
s’étaient étoffés (le programme de formation des pilotes au Canada donnait toute satisfaction),
les matériels étaient disponibles : le Halifax tenait ses promesses, le Lancaster était attendu
sous peu ; et la doctrine avait mûri. En effet, on avait arrêté de travailler dans l’urgence pour
commencer à élaborer une stratégie, les ports de la Manche et de la Mer du Nord ne
constituaient plus qu’une partie des objectifs, on mettait en pratique les retours d’expérience
de l’année écoulée, et les raids de bombardement de nuit s’enfonçaient de plus en plus
profondément à l’intérieur du Reich, grâce aux progrès des techniques de radionavigation
(Trinity, puis Gee).
1942 : l’arrivée de “Bomber” Harris
L’année 1942 commençait donc sous les meilleurs auspices, mais pour le commandement,
l’automne précédent avait été morose. Etabli grâce aux rapports des agents de terrain et aux
reconnaissances aériennes, le bilan des dégâts occasionnés était absolument lamentable, alors
que les attaquants avaient subi 12 % de pertes. Telle était la situation lorsque survint
l’opération Cerberus : les croiseurs de bataille Scharnhorst et Gneisenau réussirent à fuir
Brest, franchir le Channel et rentrer à Wilhelmshaven sans subir de dommages, du moins de la
part des avions alliés. L’évasion des “Ugly Sisters” fut la goutte d’eau qui fit déborder le
vase : le Parlement réclama et obtint la tête de Peirse.
L’organisation : BCH, BCME, BCFE
Les temps étaient durs pour le Bomber Command, qui fut placé sous la supervision
personnelle du chef d’état-major général de la RAF, le Chief Air Marshal Wilfred Freeman.
Cette supervision s’explique par le fait que le Bomber Command avait été fonctionnellement
divisé en trois, et que chacune de ses parties allait recevoir un chef différent.
– La partie la plus importante était le Bomber Command Home (BCH), destiné à porter la
guerre au cœur de l’Allemagne nazie.
– Le Bomber Command Middle East (BCME) reposait sur une infrastructure mise sur pied en
Palestine mandataire, avec des bases avancées à Chypre, à Rhodes et en Crète. Son objectif
stratégique était la destruction des ressources pétrolières alimentant la Wehrmacht, en
Roumanie. Son objectif secondaire était la désorganisation du corridor logistique du Danube.
– Le Bomber Command Far East (BCFE) était une force hybride, à laquelle les unités de
bombardiers lourds de la RAAF étaient en partie intégrées. Le BCFE était à ce moment
dépourvu de cibles stratégiques à bonne portée, car toutes celles accessibles étaient des
possessions de l’Empire (ou celles de ses alliés) et on ne pouvait s’en prendre à elles de la
même façon qu’on s’en prenait aux villes et aux installations ennemies. Le BCFE fut, pendant
la plus grande partie de la guerre, réservé à des cibles opérationnelles.
Le commandement : Harris
Sous l’autorité de Freeman, on mit un homme neuf à la tête du Bomber Command Home, le
chef du Bomber Group 4 : Arthur “Bomber” Harris. Celui-ci avait des idées stratégiques bien
arrêtées. Grâce à son impulsion et au nouveau matériel qui entrait en service, le BCH allait
prendre l’initiative.
En dehors des effectifs, le principal problème que Harris eut à régler fut celui de la précision
des bombardements. Problème qu’il résolut en le supprimant ! La doctrine qui serait
dorénavant utilisée serait celle de l’area bombing : on ne se focalisait plus sur une usine
noyée dans un tissu urbain, mais sur une zone industrielle. Quand on lui objecta que la
propagande de l’Axe crierait au « terrorisme du ciel » (ce qu’elle fit en effet), Harris répondit
calmement qu’il fallait deux mois pour rebâtir une usine, mais vingt ans pour un ouvrier.
Il put alors s’attaquer à la question du meilleur moyen de porter la guerre aérienne au dessus
du territoire de l’Allemagne.
Le matériel : Halifax, Lancaster… et les autres
Bien évidemment, les matériels les plus anciens avaient été les premiers expédiés loin du
Royaume-Uni. Les Short Stirling furent pour la plupart envoyés en Méditerranée – ce qui leur
permit d’écrire une page d’histoire lors du grand bombardement des raffineries de pétrole
roumaines du Ploesti en fin d’année (opération Blowlamp/Lampe à souder). De même, tous
les Avro Manchester ou presque partirent pour l’Asie et le Pacifique.
Le BCH disposait à présent de Handley-Page Halifax et d’Avro Lancaster chaque jour plus
nombreux. Ils étaient soutenus par les Vickers Wellington, nombreux et fiables, mais dont les
performances étaient limitées, par les De Havilland Mosquito, chargés principalement à ce
moment du marquage d’objectif, et par les peu nombreux mais fameux Avro Lincoln (version
VHA du Lancaster). Les Vickers Victoria devaient s’ajouter à la VHA Force en 1942 puis en
1943 et recevoir eux aussi des missions d’appui ou de complément.
Il est paradoxal de constater que les deux principaux bombardiers utilisés par la RAF audessus du Reich, le Halifax et le Lancaster, bien que conçus dans des optiques différentes, se
retrouvèrent tous deux à effectuer des missions très variées. Le Halifax avait des
spécifications relativement souples (fuselage plus large, portes d’accès multiples…), mais
pour le Lancaster, conçu au départ comme un pur camion à bombes, ce fut moins facile.
Néanmoins, le “Lanc’” démontra sa versatilité pour devenir la légende que l’on connaît
aujourd’hui. C’est de Lancaster que fut équipé le Squadron 617, créé spécialement pour
mener des opérations très particulières – bombardement des barrages de la Ruhr, de l’usine
d’eau lourde en Norvège, ou des navires de guerre allemands dans les fjords. Et ce sont des
Lancaster qui furent modifiés en Lincoln pour opérer à très haute altitude.
Comme pour rétablir l’équilibre, ce furent des Halifax qui allèrent en Inde et dans le Pacifique
pour soutenir les troupes alliées en Birmanie, puis en Malaisie et jusqu’en Chine et en
Indochine.
Dépourvu des Stirling et des Manchester, le BCH ne put concéder que des Wellington au
Coastal Command. Pour subvenir aux besoins de ce dernier, la RAF acheta des appareils aux
Etats-Unis : des B-17 et surtout des B-24, dont les chaînes d’assemblage, dopées au départ par
les commandes de l’Armée de l’Air, tournaient à toute vitesse – leur grand rayon d’action en
faisait d’excellents chasseurs d’U-boot en Atlantique. Plus tard, on retrouvera les B-24 sur le
front méditerranéen dans le cadre d’une homogénéisation du matériel avec l’allié français,
pendant que les quelques B-17 partaient pour l’Extrême-Orient.
Le Bomber Command fin 1942
Bomber Command Home
No.1 Group – 5 Sqn de Lancaster, 4 Sqn de Wellington (remplacés progressivement par des
Mosquito sur deux ans)
No.4 Group – 5 Sqn de Halifax, 4 Sqn de Wellington (remplacés progressivement par des
Mosquito sur deux ans)
No.5 Group – 8 Sqn de Lancaster
No.6 Group (RCAF) – 8 Sqn de Halifax
No.8 Group – L’équivalent de 2 Sqn de Wellington VI (1 seul mi-1943, quelques avions fin
1943) et 1 Sqn de Lincoln (2 mi-1943 : les Sqn 209 et 409). Il s’y ajoutera 2 Sqn de Victoria à
partir de mi-1943 (3 fin 1943 : les Sqn 109, 309 et 509).
Il ne s’agit ici que des unités destinées à une utilisation stratégique. Le BCH comportait aussi
le No.7 Group (entraînement et conversion sur avions lourds) et de nombreuses unités
opérationnelles et tactiques de la RAF, de la RCAF, de la SAAF et des forces aériennes
alliées (tchèque, belge, polonaise…), en général équipées de bimoteurs légers.
………
Bomber Command Middle East
No.3 Group – 6 Sqn de Stirling, 2 Sqn de Wellington, 1 Sqn de Whitley (remplacés peu à peu
par des Wellington)
Il ne s’agit ici que des unités destinées à une utilisation stratégique. Le BCME comportait
aussi le No.2 Group (Mines et bombardement tactique), équipé de Wellington, Beaufort,
Blenheim et Beaumont et de nombreuses unités opérationnelles et tactiques, en général
équipées de bimoteurs légers.
………
Bomber Command Far East
2 Sqn de Manchester (RAF) (remplacés par 3 Sqn de Halifax en 1943, puis 4 en 1944)
2 Sqn de Manchester (RAAF) (remplacés par 3 Sqn de Halifax en 1943, puis 4 en 1944)
6 Sqn de Wellington (RAF) (2 en 1943)
2 Sqn de Wellington (RAAF)
2 Sqn de Whitley (RAAF) (remplacés peu à peu par des Wellington)
Il ne s’agit ici que des unités cataloguées comme stratégiques. Le BCFE comportait aussi de
nombreuses unités opérationnelles et tactiques de la RAF et de la RAAF, en général équipées
de bimoteurs légers.
Les tactiques : area bombing, streams et pathfinders
Le Bomber Command améliora considérablement ses tactiques en un temps relativement bref.
C’est ainsi qu’il inaugura le bombardement en stream (flux) afin de saturer les défenses
allemandes en concentrant sur la cible un maximum de bombardiers dans un minimum de
temps. Avec cette méthode, le taux de pertes tomba provisoirement à 4 %.
D’autres innovations entrèrent en service en 1942, comme le radar de bombardement et le
marquage de cible par des éclaireurs (pathfinders, en général des Mosquito ou des appareils
VHA, Wellington VI et Lincoln) qui permirent d’augmenter (relativement) la précision des
bombardements. La combinaison des quadrimoteurs de bombardement et des pathfinders,
soutenus par les systèmes de navigation GEE et OBOE, allait se révéler mortelle pour nombre
de villes allemandes. L’association du marquage des cibles par les pathfinders, du
radioguidage, du radar de bombardement, des streams de bombardiers, de l’area bombing et
du remplacement presque complet des bombardiers bimoteurs par des Halifax et des
Lancaster allait donner au bombardement stratégique anglais l’image qu’on lui connaît à
partir de la fin de 1942.
L’entrée dans cette nouvelle ère fut marquée par l’opération Millenium. Churchill voulait une
démonstration de la puissance du lion britannique – les Français étaient loin au sud, les
Russes loin à l’est, les B-17 et B-24 des Américains commençaient seulement à arriver en
Angleterre : la RAF, elle, réussissait à s’en prendre à la race des seigneurs jusque dans sa
Heimat, il fallait le montrer au monde ! D’où le fameux raid sur Cologne de plus de mille
bombardiers. Pour atteindre ce nombre, Harris avait dû racler les fonds de tiroirs et emprunter
des appareils au Coastal Command !
L’adversaire
La Luftwaffe ne restait évidemment pas inactive, et la chasse de nuit se développait et testait
de nouvelles doctrines. Celle dite du “lit à baldaquin” attribuait des zones de patrouilles et des
contrôleurs à la chasse, tandis que d’autres zones étaient du ressort exclusif de la DCA – en
effet, celle-ci dépendait de gauleiters locaux, jaloux de leurs prérogatives. En fait, pour
transformer leurs Gruppen (volant souvent sur un matériel obsolète), leur DCA et leurs radars
Freya et Würzburg en une ligne de défense cohérente, il manqua sans doute aux Allemands un
chef ayant une vue assez claire de la situation et des spécificités de la défense aérienne
nocturne.
De plus, la chasse de nuit ne disposait pas d’appareils en nombre suffisant. Le Messerschmitt
Bf 110 était au début son cheval de bataille, mais la Luftwaffe avait besoin de ses Zestörers
sur le front russe et la sortie du Me 210 se faisait attendre. En l’absence d’un nombre suffisant
de chasseurs bimoteurs, la Nachtjagd eut donc à improviser et l’on élabora des versions de
chasse de nuit à partir de toutes sortes d’appareils, allant du Ju 88 au Do 217. Messerschmitt
développa une version bifuselage du Bf 109 (le Me 109 Z), mais le projet ne survécut pas aux
changements de priorités des programmes dus aux premiers revers sur le front de l’Est,
aggravés par des épisodes tels que l’incendie par la Résistance de la grande soufflerie de
Meudon, où l’appareil devait être mis au point.
Néanmoins, les appareils et l’organisation de la défense allemande s’améliorèrent peu à peu.
1943 : la Bataille de la Ruhr
L’épisode le plus important de l’année 1943 dans le ciel d’Allemagne fut ce que l’histoire a
retenu comme la Bataille de la Ruhr, qui dura environ cinq mois, de février à juin, et dans
laquelle les célèbres VHA-bombers, Victoria et Lincoln, ne jouèrent qu’un rôle relativement
secondaire.
La Vallée Heureuse
La bataille de la Ruhr fut la plus grande campagne stratégique assignée au Bomber Command
Home. La tâche assignée était énorme – détruire la “forge des armes du Reich” et l’empêcher
de se reconstruire. Les objectifs – en tout vingt-six cibles majeures – étaient des usines
d’armement comme Krupp (Essen) ou Rheinmetal-Borsig (Düsseldorf), des centrales
électriques, des hauts-fourneaux et dix usines d’essence synthétique comme Nordstern
(Gelsenkirchen). La bataille devait inclure des cibles qui n’étaient pas situées, stricto sensu,
dans la vallée de la Ruhr, comme Cologne, car la ville était reliée au complexe industriel de la
Ruhr. Les barrages sur la Ruhr et ses affluents firent aussi partie des objectifs : on créa pour
cela un squadron spécialisé, le n°617, avec des Lancaster modifiés pour emporter une bombe
spéciale anti-barrage.
Néanmoins, il faut préciser que l’importance de la dispersion industrielle allemande n’avait
pas été réalisée – même l’anéantissement total de la vallée de la Ruhr n’aurait pas mis fin à la
production d’armement allemande.
La Ruhr était une cible très difficile à atteindre, en raison de la densité des défenses… et de la
grande quantité de polluants industriels crachés par ses usines, responsables d’une brume
industrielle ou d’un smog semi-permanent qui rendait difficile la visée des bombardiers.
La défense elle-même comprenait à la fois des armes anti-aériennes et des chasseurs. Durant
la bataille, le Bomber Command estima que les deux tiers de ses pertes environ étaient dues à
des chasseurs guidés par radar. En juillet 1943, la chasse de nuit allemande comprenait 650
appareils couvrant le Reich (dont la majorité dans la région de la Ruhr) et environ 300 ailleurs
(notamment dans la région de Ploesti). Parallèlement, la puissance des défenses anti-aériennes
dans la vallée de la Ruhr s’accrut continuellement. Toujours en juillet 1943, on comptait dans
la région plus de 1 000 canons anti-aériens de gros calibre (88 mm et plus) et 1 500 canons
plus légers (surtout des 20 mm et des 37 mm). C’était environ un tiers de tous les canons antiaériens d’Allemagne. Cette Flak mobilisait 600 000 servants.
Le résultat fut que les équipages britanniques et leurs alliés baptisèrent la Ruhr “la Vallée
Heureuse” ou “la Vallée Sans Retour”.
………
Au bout de cinq mois de combats, la victoire sur la Ruhr était britannique : au prix de pertes
élevées, certaine villes, comme Dortmund, Cologne, Düsseldorf, Essen, Francfort, étaient
détruites, pour certaines à 85 %, laissant des millions d’Allemands sans logement. De plus, en
tenant compte des attaques contre les barrages menées par les Lancaster Dambusters, plus du
tiers du réseau de distribution de gaz ou d’électricité était détruit.
Après la fin de la bataille proprement dite, l’opération Gomorrah ouvrit la “Bataille de
Hambourg”, une sorte de post-scriptum à la campagne de la Ruhr. Par la suite, d’importants
raids se poursuivirent sur la Ruhr – en partie pour disperser l’effort de défense allemand, en
partie pour empêcher la reconstruction des usines détruites.
Les VHA
L’année 1943 fut aussi marquée par l’accentuation des bombardements à très haute altitude…
du moins est-ce l’impression qu’on peut avoir, grâce à l’efficacité de la propagande
britannique et du service de presse de la société Vickers. Certes, après avoir débroussaillé le
terrain avec des Wellington pressurisés (Vickers Wellington V et VI), après avoir modifié des
Lancaster pour en faire des Avro 684 Lincoln, la RAF prétendit se lancer dans des
bombardements massifs à très haute altitude (VHA bombing) avec le Vickers Victoria, dérivé
d’un successeur raté du Wellington, le Warwick 1. Cependant, il faut bien admettre que ce ne
sont pas les quelques dizaines de Victoria et de Lincoln, dont les bombes tombaient le plus
souvent là où les jet streams les envoyaient, qui mirent véritablement à mal l’industrie
allemande. Le rôle le plus utile de ces appareils fut en fait celui de partenaires des Halifax et
Lancaster pour le brouillage radar et radio et pour le marquage des objectifs, ainsi que pour
l’attaque des bases de chasseurs de nuit.
Néanmoins, le fait que des appareils anglais sans escorte (au début) fussent capables de
survoler le Reich de jour en toute impunité, faisant dès 1943 des allers-retours avec le front
italien, fut abondamment exploité par la propagande. Les Allemands durent d’ailleurs réagir
en développant divers chasseurs de très haute altitude, mais l’effort consenti ne valait sans
doute pas la limitation des bombardements VHA des Britanniques qu’il obtint.
La mutation du Bomber Command Home
L’attrition due à la campagne de la Ruhr (plus de 600 appareils perdus et presque 1 500
endommagés) avait été très sévère. Certes, les pertes en bombardiers VHA étaient infimes,
mais les Victoria étaient plus longs et plus chers à construire que les Lancaster ou les Halifax
et, en raison de leur imprécision, ils étaient plus difficiles à utiliser efficacement (les Lincoln
n’étaient pas véritablement des bombardiers, leur cinquième moteur, chargé de compresser
l’air destiné aux quatre autres, tenant trop de place !). Donner la priorité aux Victoria dans les
usines aurait conduit le Bomber Command à se retrouver en sous-effectifs et à affronter un
“gap opérationnel” risquant d’annuler les effets de la coûteuse campagne 1943. Il fut donc
décidé de maintenir la production des Lancaster et des Halifax.
C’est en réalité un autre type d’appareil qui bénéficia le plus des pertes en “heavies” : la
Wooden Wonder de De Havilland, le Mosquito lui-même. Avec seulement deux hommes
d’équipage et une vitesse qui lui permettait de réduire beaucoup le risque d’interception,
l’élégant bimoteur emportait sur une grande partie des cibles du BCH un tonnage de bombes
du même ordre que celui des Halifax et Lancaster.
Au début de 1944, les effectifs du BCH étaient finalement du même ordre qu’un an plus tôt,
mais autour de l’ossature des Lancaster et Halifax, les Mosquito avaient remplacé les
Wellington classiques et les Victoria les Wellington VHA.
1
Rappelons que le Victoria aurait dû s’appeler le Victor – c’est au moment de sa mise en service opérationnel
que l’on s’aperçut que, sur le terrain, le nom Victoria s’imposait. Prestige de la première Impératrice des Indes
ou préférence des équipages pour un prénom féminin ? Quoi qu’il en soit, Vickers accepta sans difficulté de
changer le nom de son VHA-bomber.
Bomber Command Home : le phénix
Les bombardements de l’Europe de l’Ouest à partir de 1941 furent pour le Bomber Command
une véritable renaissance. Véritable phénix, réduit en cendres au sortir de la bataille de
France, il avait su renaître, s’adapter à des missions qui n’étaient pas forcément les siennes
dans la bataille de l’Atlantique, puis monter en puissance et aller frapper le cœur même du IIIe
Reich. Lors de la bataille de la Ruhr furent éprouvés des matériels et des doctrines dont la
plupart avaient été élaborés avant la guerre.
La validité de ces doctrines fut-elle pour autant démontrée ? Dans tous les camps, il est apparu
que la guerre aérienne ne pouvait prétendre (à elle seule du moins) casser le moral d’une
population civile. Sans doute, l’appareil productif du Reich fut-il perturbé par les pertes
infligées aux civils, mais la plupart des morts et des blessés n’étaient pas des ouvriers d’usine.
Après la bataille de la Ruhr, l’industrie allemande s’adapta : elle s’enterra. Là encore, cela
n’améliora sûrement pas sa productivité, mais sous le régime de la Total Krieg, on vit malgré
tout augmenter continuellement les chiffres de production d’appareils ou de véhicules
allemands.
Du moins peut-on penser que les Alliés pouvaient se permettre d’allouer des ressources à
l’aviation de bombardement stratégique et que cela obligea les Allemands à dépenser pour
lutter contre ces attaques des ressources qui leur manquèrent ailleurs. Mais il est certain que
les modestes Stirling engagés dans l’opération Blowlamp firent sans doute beaucoup plus
pour hâter la fin de la guerre que les bombardements anti-cités.
Appendice
Les failles d’une belle idée
Défauts et limitations des “bombes VHA”
Lors de la campagne de bombardement de la Ruhr de 1943, la RAF mit en œuvre un certain
nombre de bombes spéciales dues à l’inventivité de M. Barnes Wallis, et en fit par la suite un
éloge particulièrement appuyé. Si les bombes cylindriques destinées à venir à bout des
barrages de la vallée de la Ruhr sont bien connues, d’autres le sont moins, comme les bombes
larguées par des avions volant à très haute altitude (very high altitude ou VHA bombers) et
destinées à mettre à mal les infrastructures urbaines ou industrielles souterraines (égouts,
réseaux d’eau, de gaz, d’électricité, de téléphone) ou à provoquer l’effondrement de bâtiments
comme sous l’effet d’une secousse sismique. Ces projectiles, dont l’effet provenait en grande
partie de l’altitude à laquelle ils étaient largués et de l’énergie que leur chute leur conférait,
ont été éclipsés par les bombes de fort tonnage qui démontrèrent leur effet destructeur sur les
hangars à sous-marins ou sur des ouvrages d’art impossibles à démolir avec des bombes
conventionnelles.
En fait, les bombes VHA souffraient de quatre défauts majeurs : le manque de précision des
bombardements, les faiblesses de leur tactique d’emploi, la surévaluation de leurs effets et
l’existence de contre-mesures relativement simples.
Imprécision sans remède
En ce qui concerne la précision, le sujet a été largement débattu : il était tout bonnement
impossible d’obtenir une précision meilleure que plusieurs centaines de mètres avec les
moyens de visée de l’époque. Et quant bien même les dispositifs de visée eussent-ils été
parfaits, l’aspect aléatoire des trajectoires, en raison du manque de connaissance des vents à
haute altitude, n’aurait pas permis d’atteindre la précision requise : ce fait explique que les
bombardiers VHA, faits pour opérer de jour à la limite de la stratosphère, aient été le plus
souvent utilisés de nuit à huit mille mètres. De nuit, les techniques de bombardement
employées (illumination de la cible par des bombes éclairantes sous parachute puis marquage
par des dispositifs pyrotechniques sur lesquels se calaient les bombardiers suivants ou, par
mauvaises conditions météo, marquage pyrotechnique ou éclairage en altitude) portaient en
elles-mêmes les causes de leur imprécision.
Ces techniques ont néanmoins donné de bons résultats, mais uniquement quand elles ont été
mises en œuvre par des unités très expérimentées et bien entraînées, sur des cibles bien
délimitées et souvent au prix de risques considérables, car à relativement basse altitude. Tout
cela était hors de portée de la moyenne des effectifs du Bomber Command, qui bombardaient
presqu’en aveugle des zones étendues.
Tactique d’emploi incertaine
La tactique d’emploi, de son côté, fut adaptée au fil du temps, mais au détriment de sa
cohérence.
A l’origine, ces projectiles étaient destinés à être largués de jour, à très haute altitude, pour
s’enfoncer profondément dans le sol grâce à la vitesse acquise pendant la chute (voisine de
celle du son), avant d’exploser à 7 ou 8 mètres de profondeur, la cavité créée par l’explosion
produisant l’effondrement des bâtiments situés au dessus, sans compter les effets à distance
liées à l’onde de choc, comme la fissuration des constructions et la rupture des conduites
d’eau et de gaz dans un secteur étendu. La première utilisation opérationnelle, lors de
l’attaque des chantiers navals de Wilhelmshaven, sembla justifier le bien-fondé de cette
tactique, mais l’évaluation des dégâts basée sur des photographies aériennes fut, comme
souvent, largement optimiste. Surtout, l’estimation de la part de ces dégâts revenant aux effets
spécifiques des bombes VHA était davantage due à l’intense lobbying de Barnes Wallis qu’à
autre chose.
Par la suite, bien que cette tactique initiale n’eût pas été entièrement abandonnée, le largage
de nuit devint la règle, à une altitude plus réduite pour améliorer la précision. Mais les
bombes ne s’enfonçaient plus aussi profondément que prévu initialement et leurs effets
théoriques étaient donc atténués.
L’utilisation des bombes VHA comme bombes anti-pistes contre les bases des chasseurs de
nuit de la Luftwaffe fut par la suite très développée, avec des effets, comme nous le verrons,
plus apparents que réels.
Efficacité incertaine
Lors de la plupart des bombardements effectués dans le cadre de la bataille de la Ruhr, le
principe devint de procéder à un bombardement VHA de la cible au début de l’attaque, avant
les bombardiers standards. L’idée était la suivante : en détruisant les infrastructures de
distribution d’eau, on empêcherait les pompiers de faire leur travail quand la vague principale
de bombardiers chargés de projectiles incendiaires arriverait – avec un peu de chance, une ou
deux explosions de conduite de gaz auraient déjà provoqué des dégâts et la rupture des
canalisations d’eau gênerait la lutte contre les incendies.
Cependant, la probabilité d’atteindre directement une canalisation d’eau critique pour le
travail des pompiers était infime, et la possibilité de rompre à distance des canalisations grâce
à l’onde de choc de l’explosion avait été très largement surévaluée, faute d’essais réalistes.
Des essais systématiques de résistance des canalisations enterrées à des explosions dans le
voisinage furent entrepris un demi-siècle plus tard, pour le compte de l’exploitation pétrolière
ou gazière. Ils montrèrent que les tuyauteries d’eau et de gaz étaient bien plus résistantes que
ce que l’on pensait (les tuyaux se déforment certes, mais sans se rompre), et surtout que les
effets de l’onde de choc se dissipaient très rapidement avec la distance.
Les bombes conventionnelles, en la matière, étaient nettement plus efficaces, pour un coût
bien moindre, grâce au fait qu’à poids égal, elles contenaient beaucoup plus d’explosif. La
bombe VHA d’une tonne n’embarquait que 20 % d’explosif, car l’enveloppe capable de
résister à l’impact, en acier à haute résistance très coûteux à fabriquer et à usiner, pesait 80 %
du poids du projectile. Dans une bombe conventionnelle, l’explosif représentait 50 à 75 % du
poids de l’ensemble, et l’enveloppe était fabriquée en tube d’acier standard.
Le Bomber Command finit par comprendre que les effets sur les canalisations souterraines
étaient bien moindres qu’espéré. C’est pourquoi, toujours dans l’idée d’éliminer les moyens
de lutte contre les incendies, on commença à charger un certain nombre de bombardiers
standards de bombes antipersonnel à retardement, pour tuer les pompiers…
En revanche, l’effet de démolition des bâtiments par effondrement était impressionnant,
quand il se produisait, mais, pour la plupart des immeubles, les bombes ordinaires suffisaient
largement pour faire le travail, de façon moins spectaculaire mais aussi efficace.
En fait, les meilleurs résultats étaient obtenus sur les installations industrielles. Dans ce type
d’environnement construit sur des dalles de béton, la bombe s’enfonçait moins qu’en
environnement urbain, même dense, et provoquait des dégâts jusqu’au niveau du sol,
déstabilisant et mettant hors d’usage les équipements lourds (laminoirs, convertisseurs…), et
pour longtemps, car la réparation de leurs fondations était longue et souvent compliquée.
Mais, en raison du manque de précision des bombardements, dans la plupart des cas, seule
une bombe sur cinquante ou cent produisait ce genre de résultats, les autres allant exploser à
un endroit sans intérêt pour ce type de projectile (l’efficacité du bombardement des chantiers
navals de Wilhelmshaven étant due à des conditions atmosphériques particulièrement
favorables, qui se traduisirent par une précision très supérieure à la moyenne).
Contre-mesures relativement simples
Si les Allemands furent surpris lors des bombardements VHA, c’est d’abord parce qu’ils ne
comprenaient pas à quoi ces bombes pouvaient bien servir, puisque, statistiquement, seule une
faible proportion avaient des effets importants. La plupart allaient creuser un trou dans une
cour ou un jardin, quand ce n’était pas dans un champ, pour ensuite exploser en sous-sol, sans
même provoquer un cratère en surface… Mieux valait, du point de vue du défenseur, recevoir
cent bombes VHA dont une ou deux touchaient juste, que cent bombes classiques dont
cinquante touchaient (plus ou moins) juste.
Néanmoins, les Allemands comprirent rapidement que les VHA pouvaient avoir des effets
dangereux sur les canalisations, et les équipes de défense passive coupèrent systématiquement
l’eau et surtout le gaz au voisinage des points d’impact, et limitant donc les conséquences
d’une éventuelle rupture. Comme, en milieu urbain, ces réseaux sont maillés, l’effet de la
coupure volontaire d’un tronçon était limité aux points desservis par ce tronçon, sans
conséquence pour le reste de la maille et les mailles voisines.
Enfin, l’utilisation anti-pistes de ces bombes connut un certain succès, mais de façon le plus
souvent très indirecte. En effet, à l’image des impacts sur les installations industrielles, si ces
bombes frappaient une piste en béton, le résultat était excellent. Par contre, si la bombe
tombait dans l’herbe à côté de la piste, ce qui était bien plus fréquent, la cavité souterraine
produite ne produisait qu’une gêne mineure, car de trop faible diamètre, et ne laissait que peu
de traces visibles de l’extérieur. Les Allemands en vinrent donc à exagérer l’effet des
bombardements de ce type sur leurs bases aériennes tels qu’ils pouvaient apparaître sur les
photos prises par les appareils de reconnaissance, en déployant des toiles peintes ad hoc sur
les pistes le lendemain de l’attaque… Néanmoins, il leur était difficile d’ignorer tout à fait les
raids des VHA contre les bases au moment même où celles-ci étaient en train de faire décoller
leurs chasseurs. Il s’ensuivit une désorganisation de leurs activités, accentuée à partir de la fin
de 1943 par l’utilisation couplée de bombardiers VHA et de Mosquito chasseurs de nuit.