Actes Sud - L`orient

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Actes Sud - L`orient
II
Invité d'honneur
Jeudi 23 octobre 2008
Actes Sud, éditeur du monde entier
Née en 1978 à Arles, Actes Sud a largement prouvé que l'excellence dans le domaine éditorial n'est pas l'apanage de la capitale. 30 ans plus tard,
avec plus de 6000 titres au catalogue et une prédilection pour les auteurs des quatre coins du monde, dont le monde arabe en particulier, la
maison fondée par Hubert Nyssen est l'invitée d'honneur du Salon francophone du livre de Beyrouth.
A
pparue sur la scène
littéraire en 1978, la
maison Actes Sud a
rapidement
acquis
une renommée qui fait
d’elle l’une des plus prestigieuses de la
place. En moins de trente ans, son fondateur Hubert Nyssen a réussi à relever
une extraordinaire gageure et prouvé à
l’intelligentsia parisienne que l’on pouvait, à Arles, si loin de la capitale, créer
une maison d’édition dont l’audience
pouvait être égale à toutes celles qui demeurent installées sur les bords de Seine. « Ici aussi, je suis sur la rive gauche
d’un fleuve, mais il s’appelle le Rhône »,
s’amuse à dire le fondateur historique
d’Actes Sud qui, après trois décennies
d’effusions et de passions littéraires, a
acquis une reconnaissance sans égale
ni frontières. Les romans publiés par
Actes Sud se singularisent déjà par leur
format qui est rapidement devenu familier aux amoureux de la littérature. Hubert Nyssen l’assume totalement, « je
voulais un livre que l’on puisse facilement prendre en main et le 10-19 centimètres s’est imposé. Plus tard, j’ai
découvert que le même format existait
depuis longtemps dans les pays scandinaves, je crois que l’on invente rien ! ».
Soucieux de faire découvrir et aimer des
textes et des auteurs, Hubert Nyssen et
sa petite équipe des
origines ont décidé
de veiller à la qualité des couvertures
des romans publiés
« parce qu’une belle
créature mérite un
beau vêtement ».
Belle idée des éditeurs qui se retrouvent ainsi passeurs de
textes et créateurs de livres.
anglo-saxons comme Paul Auster, Russel Banks, Jack London…, est devenue
l’un des premiers traducteurs (elle tient
au neutre !) de la maison. « Nous recevions des livres envoyés par des agents
d’auteurs étrangers. La lecture en anglais participant d’une longue tradition
familiale, j’ai rapidement compris que
la traduction était la chose au monde
que je préférais faire. Permettre à ceux
qui ne lisent pas une langue étrangère
d’accéder à un texte procure un plaisir
extraordinaire. Au début des années 80,
Hubert Nyssen a été le premier éditeur
à inscrire le nom des traducteurs sous
celui des auteurs sur la une des romans,
l’idée était bonne, il a souvent été imité.
Je considère avec exigence l’exercice
de la traduction qui doit permettre au
lecteur de pénétrer un texte de la même
façon qu’il le pourrait avec le texte original. Un traducteur doit, pour ce faire,
très bien connaître sa propre langue.
J’ai le sentiment que nous sommes les
gardiens de notre langue, nous devons
la connaître parfaitement et quelquefois la transgresser pour traduire fidèlement. Paul Auster est francophone,
j’ai la liberté de lui demander conseil
pour ne pas le trahir et si nous ne sommes jamais fidèles, nous marchons sur
une corde raide, tels des funambules
pour approcher la vérité et la sensation
Hubert et
Françoise
Nyssen.
© Arturo Patten / Opale
au public francophone de découvrir
des auteurs venus des quatre coins du
monde. Ainsi que le rappelait Nina
Berberova à Hubert Nyssen, « grâce à
des éditions comme Actes Sud, il n’y
aura bientôt plus de nationalités chez
les écrivains ». C’est ce que réussit à
prouver Farouk Mardam-Bey, directeur de
la collection Sindbad
qui promeut, dans les
pas de son fondateur
Pierre Bernard, la littérature arabe. « L’objectif de Sindbad est
de banaliser le monde
arabe aux yeux d’un Occident qui le
connaît trop peu. Notre démarche
est antighetto. La littérature arabe est
nouvelle et nous avons pour mission
de la faire découvrir, le lecteur français
apprécie une littérature qui lui parle et
c’est le cas. Nous sommes les témoins
d’une littérature arabe jeune, frémissante, ambitieuse, multiple, féminine
et malheureusement peu connue. Des
auteurs comme Élias Khoury, Hoda
Barakat, Hanane el-Cheik, Alaa el-
« Nous sommes les témoins d’une
littérature arabe jeune, frémissante,
ambitieuse, multiple, féminine et
malheureusement peu connue »
Parce que les auteurs français, certainement attachés aux adresses parisiennes
d’éditeurs qu’ils jugeaient plus prestigieux qu’un provincial, ne se pressaient
pas aux portes d’Actes Sud, le choix
des textes étrangers s’est imposé. Christine Le Bœuf, épouse d’Hubert Nyssen,
dont le nom est attaché aux traductions
de quelques-uns des plus grands auteurs
que procure le texte original. Peut-être
les traducteurs sont-ils des traîtres qui
travaillent au service des textes qu’ils
font connaître dans une autre langue.
J’essaie de ne jamais trahir, et de prendre toute la distance nécessaire pour
demeurer fidèle à l’œuvre, mais trahir
justement, au service de la littérature,
est une ambition légitime. C’est cela je
le crois qui fait toute la qualité des traductions d’Actes Sud. »
Cette activité de traductions a permis
L'Orient gourmand
La cuisine arménienne de Nathalie Baravian, Actes
Sud, coll. Cuisine, 157 p.
Les secrets d’Alep, une grande ville révélée par sa cuisine de Florence Ollivry, Actes Sud,
coll. L'Orient gourmand, 182 p.
Cuisine libanaise d’hier et d’aujourd’hui d'
Andrée Maalouf et Karim Haïdar, préface d’Amin Maalouf,
Albin Michel, 176 p.
L
a « littérature » de cuisine
n’est plus ce qu’elle était. Qui
se contenterait aujourd’hui
d’un simple manuel de bonnes
préparations traditionnelles ? Le tout
culturel veut que l’art culinaire raconte
une société, un peuple, qu’il en exprime
quelque part l’âme. Trois livres parus en
France, dont deux chez Actes Sud, veulent nous familiariser avec des recettes et
une histoire que nous prétendons bien
connaître.
Nathalie Baravian dans La cuisine arméCharité bien ordonnée veut qu’on com- nienne semble encore plus préoccupée
mence par le Liban. Du bourghol blond à travers son traité par les fondements
et fin, des tomates aux joues à peine ro- matériels et culturels de l’identité d’un
sies, du persil fraîchement cueilli et de peuple meurtri par l’exode. Exode rel’huile d’olive encore « bleue » comme foulé dans un petit coin de la bibliothèon dit parce qu’elle est fraîchement li- que où sont enfermées les photos pour
vrée au pressoir… Las ! Le taboulé, plat éviter la souffrance. Des noms de morts,
emblématique de la table libanaise et tombés lors des massacres, reviennent
tant prisé, émigre et se transforme en un encore sur les lèvres de la grand-mère à
fourre-tout où tous les ingrédients sont 88 ans. C’est autour des repas et de la
remplaçables… Les deux auteurs de Cui- cuisine que le passé fragmenté se reconssine libanaise semblent bien conscients titue. Autour des repas, qui ne peuvent
des risques de cette métamorphose de que rappeler la sacralité de la Cène, que
la cuisine libanaise. À table donc : les tout se dit. La patrie d’origine, l’Arménie
mezzés ouvrent la marche avec le fat- perdue, devient, à travers cet ouvrage de
touche, l’inévitable hommos,
cuisine, une mère nourricièUne rencontre
la moujaddara « biblique »,
re que les enfants cherchent
sur la Cuisine
sans oublier les feuilles de vioutre-tombe. Avec La cuid'Orient aura
gne farcies, la purée d’aubersine arménienne, Nathalie
lieu à la salle
gines ou autres falafels et pâBaravian, petite-fille de resSchéhadéle
tes en tout genre. Des soupes,
capés du génocide de 1915
26 octobre
on retiendra surtout l’inimiet attachée de presse aux
à 17h
table adass-be-hamod (soupe
éditions Actes Sud, donne à
de lentilles aux blettes et au
la cuisine de ses ancêtres –
citron). Le cortège des kebbés ne néglige qui est aussi la sienne ! – une dimension
pas les « maigres » où la viande fausse ethnoculturelle et autobiographique.
compagnie au bourghol qui se mélange Dans sa préface, Alaa el-Aswany nous
alors au poisson, aux pommes de terre prévient d’emblée que « ce livre n’est pas
ou même au potiron. À méditer : les pos- seulement un livre de recettes : à travers
sibilités du « tartare de kebbé »… Une les plats délicieux qu’il nous présente,
dizaine de pâtisseries et quelques glaces il nous rend plus proches de l’âme arrares précèdent « les » cafés, une nomen- ménienne », tout comme, du reste, les
Ce souci de faire découvrir et partager
des passions littéraires s’est peu à peu
étendu à toutes les générations. En 1995,
Actes Sud a créé la collection Actes Sud
Juniors. L’éditrice Isabelle Péhourticq
défend avec passion cette littérature :
« Nous publions des livres qui peuvent
Actes Sud
Chez Actes Sud
Travelling hanté
un certain Francis Servain Mirkovic,
ancien « soudard balkanique » muni
d’une étrange mallette pour un troc
écidément, les fantômes douteux avec les dignitaires du Valittéraires semblaient se tican. Pourtant, Zone est plus qu’un
bousculer durant ce mois retour sur soi que sur ce killing fields
d’août, place Saad Za- du XXe siècle que dessine le narraghloul à Alexandrie. Je trompais la teur, « guerrier, espion, archéologue
canicule à l’hôtel Cecil (racheté par la de la folie », entre l’Allemagne, l’Itachaîne Sofitel) sous le climatiseur de lie, l’imbroglio des Balkans, l’Algérie
ma chambre (entre celle de Cecil B. et le Proche-Orient enflammé, et qui
DeMille et celle d’Agatha Christie qui ne peut que renvoyer au récent Biencommuniquait avec la mienne grâce à veillantes de Jonathan Littell qui, en
une troublante petite porte latérale !) bon francophone, a élu domicile à
en entamant la lecture de Zone, le ro- Barcelone tout comme Mathias Enard.
Là aussi, dans cette zone
man nouvellement paru de
« pluvieuse » noyée sous
Mathias Enard chez Actes
« l’orage de l’apocalypSud. Et voici que, très tôt,
se », les cadavres jonchent
à la page 25, le narrateur
les pages, de la guerre serqui cultive la symbolique
bo-croate au génocide ardes lieux, et surtout celle
ménien, l’assassinat des
des villes peu ou prou mémoines de Tibhirine, l’hoditerranéennes, de Venise
locauste dans ses diverses
à Beyrouth en n’oubliant
manifestations, les geôles
pas Rome, la destination
syriennes, les règlements
finale de son périple, rêve
de comptes libanais (avec
d’un train qui unirait toule drame prolongé d’Intistes les Alexandries de la
sar, Marwan et Ahmed sur
région pour déboucher sur
celle où il s’enivrait « des parfums de fond de jalousie amoureuse et de mort
Marianne, notre hôtel n’était pas le fratricide dans un Beyrouth dévasté
Cecil, rien de Durrel dans notre sé- par l’occupation israélienne), l’infinie
jour, à l’époque j’ignorais tout des li- tragédie palestinienne ou les massavres, d’Ungaretti ou de Cavafi… ». Si cres préhistoriques. Ce petit trajet
le quatrième roman de Mathias Enard en train est hanté, entre deux verres
(après La Perfection du tir, 2003, Re- d’alcool, par le souvenir nébuleux de
monter l’Orénoque, 2005, chez Actes personnages tourmentés ou acteurs de
Sud, et Bréviaire des artificiers, 2007, tragédies comme Harmen Gerbens,
le Néerlandais pronazi
chez Verticales) est preséchoué dans Le Caire miséque entièrement fait de
Mathias Enard
reux, Nathan, le barbouze
réminiscences, les silhouetsignera son livre
du Mossad, Ghassan, le
tes littéraires traversent
au stand Virgin
milicien libanais retraité
en tout sens ce récit boule
à Venise, ou une mère
leversant de 520 pages. La
31 octobre
pianiste, jusqu'à la brève
référence à la Modification
à 18h
mention d’un certain Jeande Michel Butor s’impose
Claude Cousseran… Les
donc dans ce que la quatrième de couverture appelle un « pa- femmes aimées se rallient aussi à ce
limpseste ferroviaire », surtout que ce voyage mystérieux vers « la fin du
qu’on désigne par le « temps premier monde » où les crises personnelles du
du récit » consiste en ce simple trajet narrateur se mêlent intimement à la
de chemin de fer entre Milan et Rome violence égrenée : Marianne la fugace
qu’entreprend sous un faux nom, avec tant désirée, Stéphanie l’espionne à
comme voisins de compartiment un son tour ou Sashka « au sourire d’ancouple de musiciens cruciverbistes, ge ». L’image la plus emblématique de
Zone de Mathias Enard, Actes Sud, 520 p.
© Alexandre Medawar
clature des « produits libanais » et un
index des recettes par ingrédients principaux. Une littérature culinaire rédigée
avec passion et précision, des gros plans
appétissants signés Caroline Faccioli, la
Cuisine libanaise d’hier et d’aujourd’hui
est une carte ouverte, parfois audacieuse
avec, en filigrane, la hantise de l’authentique et du « mondialisé » que soulève
Amin Maalouf dans sa préface : « La
cuisine libanaise saura-t-elle demeurer
elle-même tout en s’ouvrant aux goûts
des autres et à leurs sensibilités ? »
Aswany, Mahmoud Darwich sont les
porte-parole de cette littérature, et lorsque L’immeuble Yacoubian s’est vendu
à plus de 150 000 exemplaires, même
dans une autre collection, nous pouvons penser que notre démarche n’est
pas vaine et qu’elle prend racine. Nous
publions aussi des livres de cuisine dans
la collection “L’Orient gourmand”, qui
ne sont pas que des catalogues de recettes mais se posent comme des traités sur
l’alimentation, le contexte social et historique de ces régions riches d’histoires
et de traditions gustatives, et je revendique ces ouvrages dont j’ai souhaité la
création comme des livres d’écrivains illustrés par des artistes. » La cuisine arménienne, Les secrets d’Alep ou Damas
saveurs d’une ville sont autant d’invitations à table qu’à voyager.
nourrir l’intérêt des enfants de toucher toujours plus de lecteurs, de
les plus petits jusqu’aux faire découvrir des auteurs du monde
jeunes adultes qui trou- entier. Nous ne sommes pas déterminés
vent matière à nourrir leur par le marché mais par la passion, la néintérêt à travers de nombreuses collec- cessité, la conviction que tel ou tel texte
tions. Depuis les livres de comptines doit être découvert et apprécié à sa juste
jusqu’aux polars jeunes en passant par mesure. Le développement d’Actes Sud
des ouvrages qui permettent de vulgari- a pu être concrétisé grâce à la compliser la religion, les tabous et les interdits cité des lecteurs, des prescripteurs et des
sociaux, ou encore de visiter le Louvre libraires, et je pense qu’il est juste de
et d’effectuer un voyage
dire qu’il est d’abord le fait
éloigné des chemins balisés.
d’hommes et de femmes qui
Une soirée Actes
Nous évoquons aussi les
ont eu envie de participer
Sud aura lieu à
problèmes sociaux ou écoà l’aventure dans un vaste
l'Agora
logiques à travers quelques
esprit d’indépendance, tant
le
titres devenus de véritables
à l’égard de la pression éco30 octobre
références. Actes Sud Junomique que de la mode,
à 19h
niors possède un studio de
des tendances et des idées
graphisme intégré qui nous donne une reçues. Même si elle est une véritable
totale liberté éditoriale et nous permet entreprise, une maison d’édition n’exisde sortir des sentiers battus ».
te que par les auteurs et son catalogue
et par ceux qui, les ayant rassemblés,
Trente ans après sa création dans les les accompagnent. Nous sommes sans
dépendances d’un mas provençal, Actes cesse gouvernés par deux mots qui
Sud n’a eu de cesse de remplir sa mis- sont plaisir et nécessité. » Un objectif
sion. Non seulement la maison compte atteint pour les lecteurs qui éprouvent
de très nombreux départements et mai- eux aussi plaisir et nécessité à lire les
sons associées, mais des auteurs étran- livres publiés par Actes Sud et décougers et français ont trouvé dans cette vrent avec la même passion les œuvres
structure un havre propice à la création. régulièrement publiées par cette maison
Ils s’appellent Nina Berberova, Ray- à l’ambition affichée, qui leur ouvre les
mond Jean, Paul Auster, Nancy Hus- portes de la littérature du monde.
ton, Imre Kertész (prix Nobel 2002),
Laurent BORDERIE
Laurent Gaudé (prix Goncourt 2004
avec Le Soleil des Scorta), Élias Khoury
ou Alaa el-Aswany, et ont enrichi un
catalogue qui compte désormais plus
de 6 000 titres. Présidéee par Françoise
Les départements
Nyssen, Actes Sud maintient toujours
Actes-Sud Papiers
un cap singulier qui fait d’elle une maiActes-Sud Solin
son installée dans le panorama. « Actes
Actes-Sud Sindbad
Sud s’est développée par les rencontres
Babel
avec les auteurs et l’arrivée de personActes-Sud Junior
Photo Poche
nes qui, rejoignant les fondateurs, ont
Actes-Sud BD
progressivement formé notre équiImprimerie nationale éditions
page, nous confie Françoise Nyssen.
Aujourd’hui encore nous n’avons qu’un
Les maisons associées objectif, le même depuis notre création,
éditions du Rouergue
celui de publier des textes auxquels
éditions Errance
nous croyons. L’édition se construit jour
éditions Thierry Magnier
après jour, pierre à pierre, depuis 1978
Gaïa éditions
nous faisons le même métier avec la
éditions Jacqueline Chambon
même passion et nous essayons de faire
édition Bleu de Chine
éditions de l’An 2
toujours mieux dans l’intention avouée
autres titres de la collection « L’Orient
gourmand » qui a vu le jour en 1998
à l’initiative de Farouk Mardam Bey :
Traité du pois chiche, Le mezzé libanais (Rudolphe el-Kareh), La cuisine
des Califes, À la table du Grand Turc,
La cuisine des Pharaons, Les aventures
du couscous, Boire et manger en Méditerranée… Quel est donc l’objectif
de ces ouvrages qui s’imposent dans la
littérature comme un nouveau genre ?
« Mettre les recettes dans leur contexte
historique et culturel, faire des livres
plaisants, contenant des anecdotes, des
histoires personnelles, du gai savoir et
de l’érudition souriante », nous précise
Farouk Mardam Bey, lui-même auteur
de La cuisine de Ziryâb.
Baravian réussit son pari et Florence Ollivry de même lorsque pour nous révéler,
dans Les secrets d’Alep, les recettes des
maîtres cuisiniers des cours princières
alépines réputées pour leur grand raffinement, elle commence par dérouler
« la généalogie des saveurs alépines »,
avec l’histoire de la ville et de ses communautés : arabe, turque, kurde, juive,
arménienne, musulmane, yézidie, chrétienne, etc. Visites guidées aux souks et
à l’univers des femmes pour emprunter
des recettes à Maria Gaspard-Samra,
cuisinière en chef du palais Mansouriyya à Alep : langue farcie de pistaches
(Lisénat Dobbô), soupe aux lentilles corail (makhlouta), ragoût de kebbé à la
carotte ou kebbé jazarîyé, alouettes sans
tête (barzôlat malfoufé), flan au raisiné
(khabissa), confiture de cerises au soleil
(mrabba al-karaz), lait d’amandes (charâb al-loz)... La vie quotidienne d’Alep,
les saisons, les fêtes familiales et religieuses de toutes les communautés, tout y
est ! Indispensable pour les amoureux
d’Alep et de sa bonne cuisine…
Jabbour DOUAIHY
D
D.R.
cette vaste entreprise d’écriture reste
cependant celle de Michelangelo Merisi, le Caravage qui, en 1598, fait
trancher à Rome la tête d’un vieux
cheval par les soins d’un athlète pour
mieux dessiner les muscles et le sang
giclant. Le narrateur tant imbu de
références littéraires (Proust, Céline,
Joyce, Pound, Burroughs, Genet…)
ne semble participer à la guerre que
pour mieux raconter et mieux s’insérer (comme Ulysse moderne ?) dans
cette épopée historique de l’horreur
et cette quête irraisonnée de la quiétude sous une identité volée. Enfin, il
en est des auteurs de romans comme
des cyclistes du Tour de France. L’envie prend parfois certains d’échapper
au peloton, de pédaler à mort dans
une ivresse de l’effort. Mathias Enard
ne laisse pas souffler son lecteur dans
ce TGV de la narration à phrase unique ou presque. À lire en discontinu
et avec un plaisir parfois immodéré
face à la citadelle historique en rade
d’Alexandrie où une intrigue de palais a dû probablement se résoudre en
bain de sang à l’époque mamelouke.
J. D.