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TelQuel : Le Maroc tel qu'il est
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N° 332
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Mercredi 17 Septembre 2008
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Par Nadia Lamlili
Famille. Kafala non grata
La plupart des pays européens
ont durci les procédures d’octroi
de visas aux enfants marocains
adoptés sous kafala.
(ALAOUI MY ABDALLAH)
La kafala, procédure de prise en charge d’un enfant abandonné,
n’est pas reconnue par les pays européens comme une adoption
en bonne et due forme. Résultat : l’octroi des visas pour les
enfants adoptés sous kafala se fait au compte-gouttes.
C’est avec une certaine appréhension que Myriem et son époux, Driss,
attendent ce rendez -vous au consulat d'Italie à Casablanca. Ce co uple de
Maro cains, résidant depuis une dizaine d'années dans la péninsule, vient
d'adopter un enfant abando nné dans un orphelinat de Casablanca,
selon la procédure de kafala. Celle-ci co rrespond juridiquement à une prise en charge de l'enfant, mais pas à
une adoption au sens propre du terme : l'enfant ne pourra ni prendre le nom de ses parents “ado ptifs”, ni
prétendre à une part de leur héritage.
Résultat, ils ne sont pas certains que le petit Rayane pourra les accompagner dans leur pays de résidence. Selo n
la loi italienne, la kafala n'est pas assimilée à une ado ptio n. Une nuance juridique qui est, depuis quelques
années, à l'o rigine du refus de visas d'entrée à des enfants ado ptifs marocains. Ainsi, fin 2007, le consulat
d’Italie a refusé d’acco rder un visa au fils adoptif d’un couple maroco -italien. “Les parents ont pourtant accompli
toutes les procédures. Les tribunaux marocains leur ont accordé la kafala, mais au moment de leur départ en
Italie, ils ont été fo rcés de laisser leur enfant au Maro c”, s’indigne un représentant de l’association Amici
Bambini, ONG italienne de pro tectio n des enfants abando nnés.
Tour de vis
Depuis quelques années, le pays de Silvio Berlusconi montre une rigidité sans précédent envers les enfants sous
kafala. “Le dernier enfant pris sous kafala est parti en 2003”, fait remarquer l’asso ciatio n. Depuis, aucun visa n’a
été acco rdé. Du côté de l'ambassade d'Italie, o n explique cette sévérité par la multiplication des cas de fraude.
Ainsi, de nombreux MRE, installés en Italie, profiteraient de la kafala po ur rapatrier des membres de leur famille,
déto urnant la prise en charge d’un enfant en procédure de regroupement familial. Mais à en cro ire ce
responsable de l'ambassade italienne, “un asso uplissement des procédures” pourrait bientôt avoir lieu, pour
donner la po ssibilité aux enfants adoptifs d'accompagner leurs “nouveaux parents”. Une mesure qui serait
d'actualité depuis qu'une décisio n de justice a donné raison à deux couples qui o nt intenté un recours contre les
services diplomatiques pour refus d'octro i de visa à leurs enfants adoptifs.
Dans le reste des pays de l'UE, si la situatio n n’est pas aussi “rigide”, le durcissement est perceptible. Brahim
Halhoule, secrétaire général de l’association belge Le nid des orphelins, affirme ainsi que les modalités de
rapatriement d’enfants adoptés au Maroc se sont considérablement compliquées depuis 2005, après la créatio n
d’une agence d’intermédiation entre les familles et les enfants candidats à l'adoption. “Nous avo ns clairement
senti que cette agence orientait les parents davantage vers l’Asie, au détriment du Maghreb, essentiellement à
cause des problèmes so ulevés par la kafala”, explique-t-il. Idem pour la France. L’associatio n des parents
adoptifs d’enfants nés en Algérie et au Maroc (PARENAM) se plaint notamment de “l'inflexibilité” du co nsulat de
Fès dans les dossiers d'enfants sous kafala, alo rs que les autres consulats français sont devenus “plus
compréhensifs”. Et à en cro ire les ONG contactées, seules l’Espagne et la Suisse font exception, avec des
procédures de rapatriement bien plus commodes.
Imbroglio juridique
“Les problèmes rencontrés par les enfants so us kafala en Euro pe so nt avant tout d’ordre juridique”, résume
Amal Benazzo uz, membre de la PARENAM. Confirmation de cette source à l’ambassade de France à Rabat :
“Nous reconnaissons le concept de kafala pour ce qu'il est en droit maro cain : une procédure qui correspond
peu ou pro u à la notio n française de délégation d'autorité parentale. Et ce n'est certainement pas une adoption,
qui reste pro hibée par le dro it maro cain et do nt les effets juridiques so nt très différents de la kafala”. Résultat,
l’octroi d'un visa à un enfant adopté au Maroc relève du "pouvoir d'appréciatio n" du consul. A prio ri, le feu vert
est donné lo rsque "toutes les conditio ns so nt réunies". La kafala doit être ainsi prononcée par un juge sur la
base d'un acte d’abando n définitif, ce qui exclut de fait les actes adoulaires, même lorsqu’ils sont ho mologués
par le juge de notariat. Et pour mettre toutes les chances de leur côté, les parents peuvent aussi fo urnir au
consulat une copie de l’agrément français à l'adoption internationale… même si les textes ne les y o bligent pas.
“Il arrive que les familles d'accueil soient titulaires d'un agrément et qu'elles s'en prévalent pour justifier de leur
capacité à accueillir un mineur au sein du fo yer, notamment auprès de la justice maro caine. Mais, dans la
mesure où la kafala n'est pas une adoption, aucun agrément de cette nature n'est exigé par les autorités
françaises”, explique-t-o n à l’ambassade de France.
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Adoption ou immigration ?
Il y a deux mo is, le casse-tête de la kafala a été abordé au Sénat français par Alima Boumediene, sénatrice du
parti des Verts. Celle-ci s'interro geait sur les difficultés rencontrées par les familles d'accueil à faire venir en
France leurs enfants adoptifs so us kafala au Maroc o u en Algérie. “Les visas sont délivrés au co mpte-gouttes et
donnent parfois lieu à des contrôles d'o ppo rtunité sur le bien-fondé des mesures de placement prises par les
juges”, lançait-elle dans son intervention, ajoutant que “les délais d'obtentio n des visas sont de surcroît
extrêmement lo ngs, au minimum de trois à six mo is, ce qui crée aux parents des difficultés pro fessio nnelles,
leur impose une séparatio n très longue de l'enfant et des allers-retours co ûteux, tout en les privant de droits
sociaux co mme le congé d'adoption ou l'inscription à la Sécurité sociale”.
En France, plus qu’ailleurs en Euro pe, les associatio ns de parents font du lobbying pour rapprocher la kafala de
l’ado ptio n. Mais la tour de vis migrato ire n’arrange pas leur combat. En témoigne le rappo rt Colombani sur
l’ado ptio n, publié en mars dernier. Dans ce document, l’ancien président du directoire du journal Le Monde a
assimilé la kafala à un regro upement familial, déplaçant toute la problématique sous l’angle migrato ire. “Ce
document, qui était censé nous aider, n’a fait que nous compliquer la tâche”, déplore Amal Benaz zouz. Comme
le dit l'adage, l'enfer est souvent pavé de bonnes intentio ns…
Adoption. L’impossible réforme ?
La lo i marocaine n’a jamais envisagé de revo ir le statut de la kafala, pour la faire évoluer vers une adoption
en bonne et due forme. Juste avant son décès, Hassan II avait d'ailleurs o ppo sé une fin de non-recevo ir à
une demande française de réaménagement de la loi, répondant que l’islam avait déjà tranché sur cette
question. Po urtant, la religio n ne serait pas aussi stricte qu'on l’imagine. Soheib Bencheikh, ancien mufti de
Marseille, explique ainsi que le Coran permet aux parents de donner leur nom aux enfants adoptés so us
kafala. À l’époque du Prophète, cette règle, appelée Al Walae (allégeance), a été dictée pour les esclaves
affranchis qui, dans le cas où leur ascendance n’était pas connue, po uvaient hériter du nom de leur ancien
maître. Partant de là, un ijtihad reste possible en matière de kafala. En pratique, au Maroc, les enfants
adoptifs peuvent prendre le nom de leurs parents adoptifs. Mais la cho se est réalisable à titre exceptionnel et
sous le contrô le étroit du ministère de l’Intérieur. Faut-il attendre une no uvelle “révo lution” du Co de de la
famille pour que la pro cédure se généralise ?
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