Université Cheikh Anta Diop de Dakar Cours
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Université Cheikh Anta Diop de Dakar Cours : Prof. Patrice S. BADJI Coord. : Ndeye F.LECOR Faculté des Sciences Juridiques et Politiques Licence II Droit des Obligations – Semestre III Année académique 2014-2015 Séance n° 2 Thème : Les sanctions de l’inexécution contractuelle Travail à faire : Commentaire d’article 195 alinéas 2 et 3 du Code des Obligations Civiles et Commerciales ARTICLE 195 : Modes d'exécution Le juge peut également ordonner l'exécution d'une obligation de donner par le débiteur ou par un tiers aux frais du débiteur. Il peut aussi ordonner aux frais du débiteur l'exécution par un tiers d'une obligation de faire pour laquelle la personnalité du débiteur n'a pas été déterminante. Ouvrages généraux et articles , : Fabre-M. M. « Droit des obligations », 3 édition , PUF, 2012 Fabre-M. M. « Le mythe de l’obligation de donner », RTD Civ., 1996, P.85 Terre F., Simler P., Lequette « Les obligations »,10 édition, Dalloz, 2009 Prybys- Gavalda N. « La notion d’obligation de donner », Thèse Montpellier, 1997 Corréa J. L. « L’obligation de donner », Annales Africaines, 2015 Huet J. « Des différentes sortes d’obligations et plus particulièrement de l’obligation de donner, la mal aimée » in Etudes J. Ghestin, LGDJ, 2001, P.425 Courdier-Cuisinier A. S. « Nouvel éclairage sur l’énigme de l’obligation de donner », RTD civ. 2005, p. 521. Code des Obligations Civiles et Commerciales Document 1 : J. Jean-Louis CORREA Contribution à l’étude de l’obligation de donner en droit sénégalais des obligations Introduction Parmi les différentes obligations consacrées,1 il en est une qui, sans être la mal aimée,2 parce que n’étant pas la moins séduisante, est cependant la moins connue.3 En effet, l’obligation de donner souffre, en droit sénégalais, d’un déficit de (re)connaissance. Cette circonstance, comme nous le verrons, est due essentiellement à une particularité du droit sénégalais des obligations qui marque sa différence sur ce point avec le droit français. Dès lors, nous avons entrepris de jeter une once de lumière sur cette question en guise de contribution à l’étude de l’obligation de donner. 4 Le législateur sénégalais, à travers le Code des obligations civiles et commerciales 5, adopté par la loi 63-62 du 10 juillet 1963,6 procède à une classification des obligations qui s’inspire du droit français qui lui-même la tient du droit romain. D’un point de vue historique, Le Digeste, reprenant la définition du jurisconsulte Paul, énonçait que « la substance des obligations ne consiste pas à nous rendre propriétaire d'une chose ou titulaire d'une servitude, mais à astreindre une autre personne envers nous soit à transférer la propriété, soit à faire, soit à fournir quelque chose ». Il s’agit de la classification tripartite des obligations du droit romain, en fonction de l'objet de celles-ci, selon que le débiteur était tenu de dare, facere (ou non facere), ou enfin de praestare. La même idée se retrouve chez Gaïus pour lequel « il y a action personnelle, chaque fois que nous agissons avec autrui, qui est obligé envers nous soit à la suite d'un contrat, soit à la suite d'un délit, à donner, à faire ou à fournir ». 7 Cependant, à l’instar de son homologue français, le législateur sénégalais s’est abstenu 1 Il est plutôt question ici de la classification des obligations selon leur objet. V. F. Terré ; Ph. Simler ; Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Paris, Dalloz, 2009, 10ème édit. 1542 p., p. 7. 2 J. Huet, Des différentes sortes d’obligations et, plus particulièrement, de l’obligation de donner, la mal nommée, la mal aimée, in études J. Ghestin, Paris, LGDJ, 2001, p. 425. 3 D. Tallon, Le surprenant réveil de l’obligation de donner, D. 1992, p. 68 4 Pour des développements détaillés de la notion d’obligation de donner. V. N. Prybys Gavalda, La notion d’obligation de donner, th. Montpellier I, 1987 ; S. Vicente, L’activité en tant que bien. Réflexions sur les fondements de la distinction des obligations de faire et de donner, th. Grenoble II, 1999. 5 Cocc dans le texte. 6 Cette loi est entrée en vigueur le 15 janvier 1967. Le Cocc est composé de 1075 articles mais il faut préciser que certaines de ses dispositions ont été abrogées par l’effet de l’entrée en vigueur de certains Actes uniformes de l’Ohada ou par l’effet de l’entrée en vigueur du code CIMA. L’idée d’une codification du droit des obligations est la marque d’une volonté politique de doter le Sénégal de textes en mesure de prendre en compte les aspirations locales de développement. A l’instar de la codification en droit des personnes et de la famille, celle entreprise en droit des obligations est le résultat d’une concertation élargie. 7 V. M. Fabre-Magnan, Le mythe de l’obligation de donner, RTD civ. 1996, p. 85. de consacrer l’obligation de praestare.8 Ainsi à l’article 3 du Cocc, trois obligations sont consacrées par le législateur sénégalais : l’obligation de faire, l’obligation de ne pas faire et l’obligation de donner. 9 Dans le cadre de notre étude, nous nous intéressons essentiellement à l’obligation de donner, même si, comme nous le verrons, cette obligation entretient des rapports étroits avec l’obligation de faire.10 Concernant l’obligation de donner, on pourrait en dire, à mi-chemin, qu’il s’agit de l’obligation de transférer un droit réel sur une chose dont on est propriétaire. Dès lors, toutes les fois que l’on s’oblige à transférer la propriété d’un bien meuble ou immeuble, on est débiteur d’une obligation de donner. 11 Cette obligation créerait un lien entre le créancier et le débiteur exigeant de ce dernier le transfert de la propriété d’un bien. 12 A s’en tenir au concept « donner », il urge de lever une première ambiguïté tenant à sa polysémie. En effet, « donner » est susceptible au moins de deux significations, d’ailleurs, la doctrine ancienne a longtemps discuté de la question. 13 Dans son sens premier, donner correspond au terme latin de donare, il s’agit du sens usuel que lui donne le dictionnaire de la langue française, 14 c’est-à-dire faire don de quelque chose à quelqu’un, consentir une libéralité.15 Ce n’est certainement pas dans ce sens que le mot est pris en droit des obligations et dans le cadre de notre réflexion donare ne sera pas étudié. Ce qui retiendra notre attention, c’est le second sens de donner, dare, qui en latin veut dire transférer la propriété d’une chose. L’obligation de donner est prévue par les articles 4 16 et 517 du Cocc. L’article 4 détermine l’objet de l’obligation de donner comme étant celle qui oblige à transférer la propriété ou les droits sur une chose principale ou ses accessoires. 8 G. Pignarre, A la découverte de l’obligation de praestare, RTD civ. 2001, p. 405 ; Du même auteur L’obligation de l’employeur de mettre un emploi à la disposition du salarié. Vers la reconnaissance d’une obligation de praestare dans le contrat de travail, D. 2001, p. 3547 ; N. Kanayama, De l’obligation de « couverture » à la prestation de « garantir » -donner, faire, ne pas faire… et garantir ?, Mélanges Ch. Mouly, liv. 2, 1998, p. 375. 9 L’obligation de faire, l’obligation de ne pas faire et l’obligation de donner. L’obligation de faire consiste en l’accomplissement d’une prestation positive, l’obligation de ne pas faire s’analyse en une abstention . Les obligations sont susceptibles de plusieurs classifications. Celle à laquelle procède l’article est une classification fondée sur l’objet de l’obligation. 10 C’est le cas en droit français et moins le cas en droit sénégalais ou l’obligation de donner s’exécute à la délivrance de la chose. 11 Comme on le montrera dans le cadre de ce travail, selon qu’il s’agisse d’un bien meuble ou d’un bien immeuble, l’obligation de donner ne s’appréciera pas de la même manière. 12 Article 3 du Cocc. 13 A. S. Courdier-Cuisinier, Nouvel éclairage sur l’énigme de l’obligation de donner, RTD civ. 2005, p. 521. 14 Dictionnaire Littré de la langue française. 15 V. A.S Courdier-Cuisinier, op. cit. 16 « Celui qui est obligé à donner une chose doit en transférer la propriété ou les droits qu’il a sur la chose principale et ses accessoires.- Il est tenu d’assurer la délivrance selon les règles d’exécution des obligations et Quant à l’article 5, il prévoit que l’obligation de donner s’exécute par le transfert de la propriété. Une analyse superficielle combinée de ces dispositions permet d’affirmer que le législateur sénégalais cherche à asseoir la distinction qui doit exister entre l’obligation de transférer la propriété et le transfert de la propriété en lui-même. Car si l’obligation de donner s’entend de l’obligation de transférer la propriété d’une chose dont on est propriétaire, elle n’équivaut pas au transfert de propriété proprement dit. Pour ce faire, il est nécessaire de satisfaire à une autre obligation, d’où les dispositions de l’article 5. L’étude de l’obligation de donner sera placée dans un contexte d’abord et avant tout sénégalais. Il ne sera point envisagé une étude comparative des deux systèmes juridiques sénégalais et français sur la réglementation de cette obligation mais plutôt à une étude de l’obligation de donner en droit sénégalais per se, à l’intérieur du système juridique sénégalais et dans ses rapports avec les autres mécanismes et institutions juridiques. Ceci afin d’en voir la cohérence interne et externe. Ce n’est qu’une fois ce pas franchi, que l’obligation de donner sera envisagée dans ses rapports avec le droit français pour mieux illustrer la position de rupture adoptée par le législateur sénégalais. Dès lors, la question que l’on se posera est celle de savoir quel est le contenu véritable de l’obligation de donner en droit sénégalais des obligations ? Celui qui se dégage lorsque l’on a fini de s’attacher aux apparences en ce sens que cette obligation offre une face visible, accessible et une face cachée, substantielle. L’obligation de donner, telle que consacrée par le législateur sénégalais, est le reflet d’une politique législative contractuelle qui prend le parti pris de la sécurité des transactions peut être au détriment de la souplesse et de la flexibilité. En exigeant la tradition réelle, le législateur sénégalais réduit comme peau de chagrin l’importance du consensualisme en matière contractuelle.18 En plaçant l’étude de ce sujet dans un contexte africain et sénégalais marqué par un fort taux d’illettrisme, on peut aisément comprendre que le législateur ait voulu faire du Cocc un instrument qui tient compte des réalités sociologiques et anthropologiques19 dans l’édification des règles juridiques en faisant coïncider le transfert de propriété avec le transfert des risques. selon les dispositions propres aux contrats spéciaux. Le créancier a droit aux fruits du moment où nait l’obligation de livrer la chose.- L’obligation de donner emporte celle de conserver la chose avec les soins d’un bon père de famille ». 17 « Le créancier acquiert le droit sur la chose au moment de la délivrance, sauf volonté contraire des parties et sous réserve des dispositions particulières à la propriété foncière et aux meubles immatriculés. » 18 V. art. 41 Cocc. 19 R. Decottignies, Réflexions sur le projet de code sénégalais des obligations, Annales africaines, Colloque de la Faculté de Droit de l’université de Dakar, 1962, p. 171-180. Par ailleurs, l’étude de ce sujet sera l’occasion de vérifier la place du consensualisme dans la formation du contrat en droit sénégalais. Présenté souvent comme la pierre angulaire du droit des contrats, le principe du consensualisme, comme nous le verrons, est mis à rude épreuve lorsqu’il s’agit de l’obligation de donner. 20 En prenant l’exemple du contrat de vente, on tentera de démontrer le bien-fondé de cet argument. Que dire aussi de la classification des contrats opérée par le Cocc entre les contrats translatifs de propriété et les contrats réels? Comme Toullier, ne pourrait-on suspecter le contrat de vente de ne point être un contrat translatif de propriété dans un système qui s’attache à la tradition réelle et d’être plutôt un contrat réel ?21 En regardant la réglementation de la vente en droit sénégalais, on est saisi, d’une part, par l’importance qu’y occupe la tradition réelle, d’autre part, par les précautions nombreuses prises par le législateur afin de s’assurer de la délivrance d’une chose conforme et exempte de vices. Si tel est le cas, pourquoi ne pas revoir la taxonomie des contrats en droit sénégalais. Enfin, avec l’avènement de la dématérialisation des transactions, et l’existence des contrats et transactions électroniques,22 les dispositions plus que quarantenaires du Cocc doivent trouver à s’adapter. L’étude de l’obligation de donner se fera faite en prenant en compte aussi bien le droit commun des obligations que le droit spécial de la vente tel que réglementé par le Cocc mais également par l’Acte uniforme sur le droit commercial général qui, comme nous le verrons, adopte un système de transfert de propriété qui se rattache essentiellement au système sénégalais.23 Comme on le constate, dès les dispositions liminaires du Cocc, le législateur sénégalais fait un choix : celui de la tradition réelle comme mode de transfert de la propriété. 24 Ce choix est le reflet d’une option de politique contractuelle : le rejet du transfert de propriété par le seul effet des obligations. Ce sont sous ces dehors simplistes et évidents que l’obligation de donner se prête aux yeux de ses admirateurs. Mais à y voir de plus près, cette obligation recèle une complexité insoupçonnée de nature à remettre en cause la vue première. Si en matière mobilière quelques hypothèses légales et contractuelles accréditent l’idée 20 Précisons cependant que les dispositions de l’article 4, en précisant « sauf volonté contraire des parties » posent qu’elles ne sont pas d’ordre public. Les parties pouvant, par convention, écarter l’application de cette disposition et prévoir un autre mode de transfert de propriété notamment un transfert solo consensu. 21 Toullier affirmait déjà en 18… que la vente n’était pas un contrat translatif de propriété. Dans la mesure où l’expression seule de la volonté des parties ne suffit pas au transfert de la propriété de la chose. 22 Loi de 2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques. J.O. 6404 du samedi 26 avril 2008. 23 N. Gbaguidi, La coordination du système de transfert de propriété Ohada et du système consensualiste de conflit mobile mobilier, RBSJA, n° 27, 2011, 31 p., p. 9. 24 Il s’agit, pour être précis, du transfert de la propriété mobilière. Pour le transfert de la propriété immobilière, c’est l’inscription au livre foncier qui marque le transfert de la propriété. V. art. 381 du Cocc. avancée, que dire de la matière immobilière qui, avec la disparition de la clause dessaisinesaisine,25 a quitté les terres de la tradition feinte 26 pour rejoindre celles plus polémiques de l’inscription au livre foncier. On rappellera l’important contentieux qui s’est déroulé devant les prétoires sénégalais concernant la promesse de vente synallagmatique d’immeuble immatriculé.27 Sur cette question, aussi bien la doctrine que la jurisprudence sénégalaises ont souvent montré leur étonnement et leur divergence. La conjonction des difficultés remarquées dans le transfert de la propriété mobilière à celles constatées dans le transfert de la propriété immobilière permettent de dire que la compréhension de l’obligation de donner n’est pas aisée. Cette obligation serait donc rebelle à un entendement superficiel. Elle est plus subtile qu’elle n’y parait. Sous les dehors d’une apparente simplicité (I) l’analyse substantielle 28 qui en sera faite montrera que cette apparence est souvent trompeuse (II). 25 Clause par laquelle il était stipulé mensongèrement que la tradition a été faite, le vendeur s’étant dessaisi du bien, l’acheteur s’en étant saisi. A la veille de la révolution, la tradition nécessaire au transfert de propriété était donc le plus souvent devenue une tradition feinte, symbolique et fictive. V. P. Puig, Contrats spéciaux, Dalloz, Hypercours, 5ème édit. 2013, 705 p., p. 267. 26 V. art. 1138 du Code civil français également V. J-P. Levy ; A. Castaldo, Histoire du droit civil, Dalloz, coll. « Précis droit privé », 2002, 1ère éd. ; P. Puig, Contrats spéciaux, Ibid. 27 TRHCD, jugement du 09 septembre 1997, inédit ; TRHCD, jugement n° 2125 du 12 décembre 2006, inédit ; CA Dakar, arrêt n° 474 du 17 août 2001, inédit ; CA Dakar, arrêt n° 875 du 15 décembre 2006, inédit. 28 M. –A. Frison-Roche, Définition du droit de la régulation, D. 2004, p. 126 ; J. Rochfeld, Droits des contrats, loi, régulation, autorégulation et corégulation, RDC, 1er octobre 2004, n°4, p. 915 ; L. Idot, L’empiétement du droit de la concurrence sur le droit du contrat, RDC, 1er juillet 2004 n° 3, p. 882 ; L. Boy, Réflexions sur le droit de la régulation, D. 2001, p. 3031 ; M. –A. Frison-Roche, Le droit de la régulation, D. 2001, p. 610. a I. Une apparente simplicité La conception que l’on se fait de l’obligation de donner en droit sénégalais est, d’une part, celle d’une obligation simple dont les conditions d’existence sont connues parce que classiques (A) d’autre part, celle d’une obligation qui ne signifie pas le transfert par le seul effet des obligations (B). A. L’exigence de conditions classiques Parti à la rencontre de l’obligation de donner, on se rend compte que le droit sénégalais distingue deux moments importants. Celui de l’existence du contrat qui doit avoir un contenu obligationnel (1) et celui de la tradition réelle en elle-même (2). 1. L’exigence d’un contrat au contenu obligationnel Le législateur sénégalais a fait le choix de ne pas faire correspondre l’obligation de transférer la propriété avec le transfert de propriété en lui-même.29 Il s’agit de deux opérations distinctes : un lien d’obligation voulu qui a pour objet une deuxième opération de transfert de propriété. On pourrait ici distinguer le contrat du transfert de la chose. Dès lors, l’obligation de donner suppose l’existence d’un contrat préalable dans lequel elle trouve sa source, voire sa cause en tant que motivation des parties à l’opération de transfert envisagée. Ainsi, tout contrat ne devrait pas pouvoir engendrer une obligation de donner. Pour ce faire, il faut que le contrat en question porte sur le transfert de la propriété à titre onéreux ou gratuit. 30 Néanmoins, le contrat dont il s’agit doit avoir un contenu obligationnel déterminé en ce sens que sa conclusion va obliger les parties à satisfaire une autre obligation. 31 Pour ainsi dire le contrat conclu entre les parties va engendrer une obligation seconde. Un lien de droit va exister entre les parties obligeant le débiteur à transférer la propriété d’un bien. Ce modèle décrit ici n’est pas propre au droit sénégalais, il reprend les traits d’une distinction ancienne que le droit romain faisait en la matière entre le titulus et le modus. En parlant de titulus, les romains faisaient référence à la cause légitime du transfert de propriété, 29 V. art. 544 du Code civil. V. le Livre III du Code civil français « Des différentes manières dont on acquiert la propriété » notamment les articles 711 et 712. 31 P. Ancel, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ. 1999, p. 771. 30 au titre ou au contrat liant les parties. Quant au modus, il renvoie à l’exécution du contrat, au transfert de propriété proprement dit. Le droit romain rejette ainsi le transfert immédiat de la propriété. Dans la famille de droit romano-germanique, cette distinction romaine se retrouve dans plusieurs pays. Le droit français préalable au Code civil de 1804 adoptait cette position ancienne du droit romain. Cette position, comme nous le savons, a été abandonnée par la suite. Mais que dire alors du droit allemand dans lequel on retrouve des bribes de cette distinction, notamment dans les travaux de Savigny. 32 Ce dernier a montré que l’opération opérant transfert de propriété présentait une certaine spécificité. C’est ainsi que le droit allemand, sous l’influence de Savigny, développe la théorie de l’abstraction33qui autorise la distinction entre le contrat obligationnel et le contrat réel. 34 Le contrat obligationnel est le contrat de base, celui que les parties ont conclu, verbalement ou à l’écrit. Quant au contrat réel, il n’est pas nécessairement écrit, il est abstrait en ce qu’il découle du premier contrat. Ainsi en droit allemand, on distingue le contrat générateur d’obligations, du transfert de propriété en lui-même qui s’opère par un contrat tacite, dit réel. Ce contrat présenterait donc une certaine autonomie du double point de vue de son existence et de sa validité. Le modèle allemand s’apparente pour beaucoup au modèle sénégalais mais peut-on dire pour autant que le droit sénégalais est identique au droit allemand sur la question du transfert de propriété ? A s’en tenir aux articles 4 et 5 du Cocc, il n’est pas hasardeux de dire que la première impression que laissent ces dispositions est celle d’une grande similitude avec le droit allemand. Si la distinction du temps de conclusion et celle du transfert de la propriété existe dans les deux systèmes juridiques, peut-on se suffire de la conception que se fait le droit allemand de la notion de contrat réel ? En effet, dans la construction savignienne, le contrat réel est un acte juridique abstrait, conséquence d’un autre acte juridique géniteur. Ce contrat réel est donc engendré par le contrat obligationnel, mais il s’en distincte, même s’il s’agit d’un contrat d’exécution du contrat obligationnel. Or, la conception que l’on se fait 32 Les travaux de Savigny opérant une distinction entre le contrat obligationnel et le contrat réel n’ont pas été acceptés par beaucoup de juristes allemands. Ils ont en effet considéré que les travaux de Savigny se contentaient de reprendre la distinction du droit romain entre le titulus et le modus, simple distinction entre l’opération et le mode. Des auteurs comme Pufendorf, Hugo, Gluck et Thibaut ont dans leurs travaux largement revenus sur cette question. Mais dès le XIXème siècle, la doctrine majoritaire en Allemagne s’était ralliée aux travaux de Savigny sur le contrat réel abstrait. 33 Tout d’abord, l'abstraction est le mécanisme par lequel une obligation est érigée en une grandeur indépendante, coupée des mobiles des parties et distincte de l'acte juridique immédiatement antérieur qui lui a donné naissance. L'abstraction donne à l'obligation une existence et une validité autonome. L'obligation s'émancipe donc de sa cause qui est l'accord de volonté des parties. V. François Dessemontet, Sûretés, garanties et abstraction, 42 p. in CEDIDAC, n°33, 1997. 34 V. paragraphe 929 du BGB. dans les pays de tradition juridique française de la notion de contrat réel est celle d’un contrat dont la remise de la chose est une condition de validité. 35 A première vue donc, il y aurait une grande différence de représentation de la notion de contrat réel entre les droits sénégalais et allemand. Mais ceci n’est qu’une apparence. Pour s’en convaincre, il faudrait reprendre l’article 5 du Cocc qui précise que l’obligation de donner s’exécute par la délivrance de la chose. Or dans la conception savignienne du contrat réel, ce dernier ne sert qu’à exécuter les dispositions contenues dans le contrat obligationnel. Il ne s’agit point d’un accord de volontés primaires générateur d’obligations mais d’une exécution d’une obligation contenue dans une norme supérieure. Il s’agirait même du véritable sens qu’il faudrait donner au principe de la force obligatoire du contrat. Comme le montre un auteur, la force obligatoire est souvent ramenée à l’idée que le contrat crée des obligations pour les parties. Or la création d’obligations n’est qu’un des contenus possibles du contrat. 36 On devrait plutôt entendre par force obligatoire37 la création d’une nouvelle norme juridique, qui, quel que soit son contenu, va s’imposer aux parties comme s’imposerait une norme légale. 38 Le contrat obligationnel a force obligatoire en ce qu’il apparait comme une sorte de cadre général à l’intérieur duquel vont s’inscrire des rapports d’obligations, comme en l’espèce l’obligation de transférer la propriété. Dès lors, il est bien possible de rapprocher les systèmes sénégalais et allemand sur la question mais en se gardant d’entendre la notion de contrat réel au sens du Cocc. Cependant, en distinguant le contrat obligationnel du transfert de la propriété qui se fait par la délivrance, le législateur sénégalais, tel Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, 39 se rapproche du système allemand, voire consacre la théorie savignienne du contrat réel. En effet, dans la construction savignienne, la remise de la chose n’est pas une condition de validité du contrat obligationnel qui obéit aux conditions de fond et de forme des contrats en général. La remise de la chose est plutôt considérée comme un effet découlant du contrat de base, en raison de la force obligatoire découlant d’une norme supérieure. On pourrait affirmer que le législateur reprend cette conception savignienne à l’article 5 du Cocc. La délivrance de 35 L’article 496 du Cocc cite comme contrats relatifs à la remise d’une chose le contrat de dépôt, le contrat de prêt et le contrat de louage. 36 Un contrat peut faire naitre un rapport d’obligation au sens technique du terme, transférer ou éteindre des droits. 37 C. Delobel, La force obligatoire du contrat en confrontation, Petites affiches, 06 février 2012, n° 26, p. 6 ; D. Mazeaud, Force obligatoire du contrat à l’égard des tiers, RDC, 1er avril 2007, n° 2, p. 267 ; M. Mekki, Le nouvel essor du concept de clause contractuelle, RDC, 2006, p. 1051 ; L. Aynès, A propos de la force obligatoire du contrat, RDC, 1er décembre 2003, n° 1, p. 323 ; H. Lecuyer, Redéfinir la force obligatoire du contrat ?, Petites affiches, 06 mai 1998, n° 54, p. 44. 38 P. Ancel, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ. 1999, p. 771. 39 Molière, Le bourgeois gentilhomme, 1670, Le Livre de poche, 2012, 160 p. la chose est une modalité d’exécution de l’obligation de donner et non une condition de validité du contrat de base. Ainsi, lorsqu’il est soutenu qu’en droit sénégalais le contrat de vente est un contrat réel, ce qualificatif se rapprocherait plus de la conception savignienne de la notion que de la conception sénégalaise de la notion. Cependant, une différence fondamentale existe entre les systèmes allemand et sénégalais en ce sens que dans le premier système nommé la nullité de la vente n’affecte pas la validité du transfert de propriété. Cela s’explique par la théorie de l’abstraction qui ne crée pas un lien, notamment causal, entre les deux contrats. Tout le contraire du droit sénégalais dans lequel la nullité du contrat de base entraine celle du transfert de propriété. Il y a donc un lien causal entre les deux contrats. La cause de l’obligation de transférer la propriété se trouve être le contrat obligationnel. Il y aurait comme une situation d’interdépendance contractuelle justifiée par l’attente d’une contrepartie créant ainsi une situation d’indivisibilité des deux contrats.40C’est pourquoi, on ne saurait sanctionner l’absence de délivrance de la chose par la nullité du contrat car dans ce cas on considérerait l’inexécution de cette obligation comme une violation d’une condition de validité du contrat. En tant que l’inexécution de l’obligation de délivrance ne peut être sanctionnée par la nullité, on pourra considérer que la délivrance est un effet légal du contrat dont la sanction de l’inexécution peut être trouvée dans le droit commun.41 Les systèmes allemand et sénégalais de transfert de la propriété se présentent donc de façon différente. L’Allemagne appartient à la famille du transfert de propriété abstrait alors que le Sénégal appartient à la famille du transfert de propriété causal. 42 En plus de cette condition classique relative à un contrat au contenu obligationnel, l’obligation de donner suppose en droit sénégalais le transfert effectif de la chose (2). 2. L’exigence d’une tradition réelle 40 J.- B. Seube, Clauses « conciliables » et « inconciliables » avec l’interdépendance des contrats, RDC, 1er mars 2014, n° 1, p. 64 ; L. Mathias, Retour sur l’interdépendance contractuelle, L’Essentiel Droit des contrats, 02 juillet 2013, n° 7, p. 1 ; J. Attard, Interdépendance contractuelle : consécration de l’approche « objective »par une chambre mixte de la Cour de cassation, (Cass. ch. Mixte, 17 mai 2013, ; 2 espèces), Petites affiches, 28 août 2013, n° 172, p. 9 ; D. Mazeaud, Groupes de contrats: Liberté contractuelle et réalité économique, D. 2011, p. 566 ; J. Mestre ; B. Fages, Cause toujours plus, RTD civ. 2007, p. 105 ; R. Boffa, Cause, caducité, indivisibilité : un bel ensemble notionnel, D. 2006, p. 2656. 41 V. la partie sur « le retard subi. » 42 Il s’agit des trois grandes familles de système de transfert de propriété avec le système consensualiste français. V. N. Gbaguidi, La coordination du système de transfert de propriété et du système consensualiste en matière de conflit mobile mobilier, op. cit. p. 8. L’autre particularité de l’obligation de donner en droit sénégalais réside dans l’exigence du transfert de la chose. Il est envisagé par le législateur sous le terme de délivrance.43 Prévue à l’article 5 du Cocc, elle est la modalité d’exécution de l’obligation de donner. En outre, elle marque, pour le créancier, le point de départ de l’acquisition des droits sur la chose.44 Les dispositions liminaires du Cocc que sont les articles 4 et 5 doivent nécessairement être combinées avec les dispositions du même code portant sur la vente, 45 les dispositions du droit commun des obligations portant sur l’obligation de donner étant très laconiques. Les dispositions portant droit spécial de la vente reviennent avec forces détails sur la délivrance en obligeant d’abord le vendeur à transférer la propriété de la chose vendue parce qu’il en doit délivrance et garantie à l’acquéreur. C’est l’exécution de l’obligation à délivrance qui assure le transfert de la propriété de la chose à l’acquéreur. 46 La délivrance oblige le vendeur à accomplir les actes nécessaires pour procurer la chose à l’acheteur. 47 Avec le droit de la vente, le législateur précise ce qu’il avait déjà annoncé à l’article 5 du Cocc, l’exécution de l’obligation de donner par la délivrance. Par contre, ce qu’il est important de noter, c’est que l’obligation de donner, en droit sénégalais, avec l’obligation de délivrance qui pèse sur le vendeur, est une véritable obligation au sens technique du terme à laquelle est attaché un effet de droit, c’est-à-dire le transfert de la propriété de la chose vendue. En effet, une fois le contrat obligationnel conclu entre les parties, nait au profit de l’acheteur un droit sur le vendeur de lui transférer la propriété de la chose. Il s’agit ici de l’effet légal du contrat obligationnel, le véritable sens à donner à la notion de force obligatoire. Partant, la notion d’obligation de donner retrouve ici tout son sens technique d’abord en tant qu’obligation au sens de l’article 1 er du Cocc, c’est-à-dire un lien entre un débiteur et son créancier, ensuite , en tant qu’engagement de dare , c’est-à-dire transférer la propriété. Dès lors, il parfaitement exact de dire que l’obligation de donner existe en droit sénégalais. Ce qui est confirmé d’ailleurs par les dispositions de l’article 261 du Cocc. 48 43 La délivrance doit être distinguée de la livraison qui est une opération purement matérielle. …Sauf volonté contraire des parties et sous réserve des dispositions particulières à la propriété et aux meubles immatriculés » Article 5 45 V. Deuxième partie des Contrats spéciaux telle qu’issue de la loi n° 66-70 du 13 juillet 1966 : articles 257 à 826. 46 V. art. 276 du Cocc. 47 Art. 277 du Cocc. 48 « Les parties peuvent s’obliger par contrat à transférer la propriété d’une chose. » 44« Comme suggéré plus haut, 49 l’obligation de donner s’entend plus précisément du transfert des droits réels sur une chose dont on est propriétaire. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de transférer un droit réel principal, la propriété. L’obligation de donner pouvant consister aussi à transférer un démembrement du droit de propriété ou un petit droit réel. 50 Dans tous ces cas le débiteur est tenu en raison d’une chose. 51 De ce point de vue, le droit sénégalais se distingue foncièrement du droit français qui considère la délivrance comme une simple opération matérielle de transport de la chose en la puissance et possession de l’acheteur,52 étant entendu que la propriété avait déjà été transmise dès l’échange des consentements entre les parties. 53 Vu l’importance qui s’y attache, l’exercice de l’obligation de délivrance est fortement encadré par le législateur. Ainsi, elle s’opère chez l’acheteur, sauf usage ou convention contraire.54 Concernant la date, l’idéal serait que les parties la déterminent ensemble. Cependant, si elles n’y ont pas procédé, les usages seront une boussole, à défaut la délivrance devra se faire dans un délai raisonnable. 55 Tout de même, la délivrance reste subordonnée au paiement du prix de la marchandise par l’acheteur, à moins qu’un délai de paiement ne résulte de la convention des parties.56 Cette condition remplie, le vendeur doit livrer la chose convenue en quantité et en qualité. 57 Il doit éviter les griefs relatifs à une inexécution ou une mauvaise exécution de son obligation. 58 Ici apparait la particularité de la conception sénégalaise de la tradition réelle. En effet, en faisant de l’obligation de délivrance une obligation distincte ou mieux le mode d’exécution de l’obligation de donner, le législateur sénégalais crée, comme nous l’avons précédemment montré, une obligation seconde, distincte. Cette obligation, dont l’inexécution peut être sanctionnée, est une véritable obligation de donner et non de faire. 59 En droit français, les partisans de l’obligation de donner la justifie en disant qu’elle existe même si elle nait pour disparaitre automatiquement reconnaissant ainsi que cette obligation mort-née est, dans son 49 V. introduction. Par exemple, le droit d’usage, le droit de superficie ou le droit de passage. 51 F. Terré ; Ph. Simler, Droit civil, Les biens, Paris, Dalloz, 7ème édit. 852 p., p. 863 et s. 52 Art. 1604 du Code civil. 53 L. Gaudin, Regards dubitatifs sur l’effectivité des remèdes offerts au consommateur en cas de défaut de conformité de la chose vendue, D. 2008, p. 631. 54 Art. 278 Cocc. 55 Art. 279 Cocc. 56 Art. 280 Cocc. 57 Articles 283 et 284 du Cocc. 58 D. Mainguy, Contrats spéciaux, Paris, Dalloz, 2010, 621 p. p. 167 et s. 59 N. Prybys-Gavalda, La notion d'obligation de donner, thèse, Montpellier, 1997 ; S. Vicente, L'activité en tant que bien. Réflexions sur les fondements de la distinction des obligations de faire et de donner, thèse, Grenoble, 1999 ; A.-S. Courdier-Cuisinier, Nouvel éclairage sur l'énigme de l'obligation de donner. RTD civ. 2005, p. 521. 50 exécution, plus une obligation de faire qu’une obligation de donner. 60 Mais en droit sénégalais, étant entendu que la délivrance opère transfert de propriété, il y une obligation de donner. De là découle, peut-être, la faiblesse conceptuelle et son corollaire le peu d’intérêt scientifique de la notion d’obligation de donner en droit sénégalais. Dans son exécution, elle se confond avec l’obligation de faire, même si son ontologie est celle d’une obligation de donner. Pour notre part, nous considérons que toutes les fois que la délivrance n’opère pas transfert de propriété et qu’elle consiste uniquement en une opération de mise la chose en la « puissance et possession de l’acheteur », il ne saurait, dans ce système exister une obligation de donner mais à tout le moins une obligation de faire. Sur ce point précis le droit sénégalais montre sa spécificité. L’obligation de donner ne se conçoit pas sans délivrance, en d’autres termes, elle ne s’exécute pas par le seul effet des obligations. B. L’absence de transfert de propriété par le seul effet des obligations La conception sénégalaise de l’obligation de donner est clairement celle d’un rejet du transfert de propriété par le seul effet des obligations, c’est-à-dire dès l’échange des consentements entre les parties. Le transfert solo consensu de la propriété n’est pas consacré (1). En cela, le législateur sénégalais s’aligne sur la tendance contemporaine (2). 1. Le rejet du transfert solo consensu de la propriété Le contrat per se ne peut pas avoir pour effet le transfert de la propriété de la chose vendue. Cette position est celle adoptée par le législateur sénégalais. Mais il aurait pu en être autrement puisque le système juridique de référence, à savoir le droit français, a une autre conception du transfert de propriété. En effet, le droit français consacre le transfert de la 60 N. Prybys-Gavalda, La notion d'obligation de donner, thèse, Montpellier, 1997 ; S. Vicente, L'activité en tant que bien. Réflexions sur les fondements de la distinction des obligations de faire et de donner, thèse, Grenoble, 1999 ; A.-S. Courdier-Cuisinier, Nouvel éclairage sur l'énigme de l'obligation de donner. RTD civ. 2005, p. 521. 60 Ce débat existe aussi en droit français. Les propos de cet auteur en attestent. L’obligation de donner « se prolonge en une obligation de livrer qui est une obligation de faire : en matière immobilière, ce sera celle de passer l'acte authentique nécessaire à la publicité foncière (si l'une des parties refuse de souscrire à l'acte notarié constatant la vente, il pourra y être pallié par une constatation judiciaire, le jugement étant ensuite publié) ; en matière mobilière, le créancier dispose de mesures d'appréhension à cette fin. En ce qui concerne les choses de genre, le transfert ne s'opère qu'au moment de l'individualisation, laquelle ne se fait généralement qu'au moment de la livraison : on sort alors là aussi du domaine de l'obligation de donner pour rejoindre celui de l'obligation de faire ». V. Y. Picod, Répertoire de droit civil, Obligations de donner, de faire ou de ne pas faire, pp. 30-40. propriété par le seul effet des obligations. Il en est de même également de plusieurs pays africains francophones,61 héritiers de la tradition du droit civil français.62 Comme le disait Troplong, le code civil a donné « au droit français une physionomie toute particulière », « en attribuant aux obligations l'effet de transférer la propriété de la chose vendue par la seule puissance du consentement.»63 L’explication de cette conception française du transfert de propriété est à rechercher dans les idées de la philosophie des Lumières 64 qui professe que chaque homme est fondamentalement libre. 65 Dans ces conditions, c’est la volonté individuelle qui peut être la source essentielle de toute obligation.66 Les jusnaturalistes ont considéré qu'il « s'agit d'une qualité purement morale. Ainsi, le transfert de propriété peut aisément se passer de la tradition réelle, et s'effectuer d'une façon abstraite, intellectuelle.» C’est la consécration du transfert de propriété consensuel 67 t l’exaltation de la liberté individuelle.68 La Cour de cassation française elle-même ayant dans les affaires concernant l’indétermination du prix de vente redonner une nouvelle vie à l’obligation de donner en cantonnant la possibilité d’un prix indéterminé aux contrats contenant une obligation de donner.69 Ce « surprenant réveil de l’obligation de donner » n’en occulte pas moins les difficultés que soulève la conception française du transfert de propriété.70 Que dire aussi de la 61 R. Adido, Réflexion sur le transfert de propriété des marchandises vendues dans l’espace francophone OHADA à la lumière du droit français, Rec. Penant n° 845, pp. 464-482, p. 465. 62 On pourrait citer le Togo, le Bénin, le Cameroun, le Gabon, la Côte d’ivoire, le Niger. 63 J. P. Chazal, Le transfert de propriété par l’effet des obligations dans le code civil, RTD civ. 2000, p. 477, op. cit. p. 478. 64 « Rappelons que Portalis avait fait des lectures approfondies, pendant son exile allemand, de Kant et a même formulé, dans son texte autobiographique de cette période, des analyses pointues du système Kantien. La primauté de la liberté, à la base la « critique de Kant », et son corollaire, la volonté indépendante de l’individu, étaient évidemment des idées qui s’inséraient parfaitement dans le discours du codificateur français qui chercha, du moins partiellement, à couler dans un moule juridique certaines idées des Lumières européennes. V. B. 65 J. P. Chazal, L’autonomie de la volonté et la « libre recherche scientifique, RDC, 2004/3, p. 621. 66 Les auteurs qui inspirent directement le code civil, comme Domat et Pothier, les rédacteurs du code civil, et surtout ses interprètes du XIXe et du début du XXe siècle fondaient le contrat sur la théorie de l’autonomie de la volonté. Le contrat repose sur la volonté de ceux qui s’engagent. 67 J. Gbaguidi, La coordination du système de transfert de propriété et du système consensualiste en matière de conflit mobile mobilier, op. cit. p. 8. 68 Portalis, emporté par sa verve post-révolutionnaire, déclara « la volonté de l’homme, aidé de la puissance de la foi, franchit toutes les distances, surmonte tous les obstacles, et devient présente partout comme la loi même ». V. J. E Portalis, Présentation au corps législatif et exposé des motifs, in P. A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Paris, 1836, vol. 14, p. 113, op. cit. note 18. 69 M. Jeol, Le contenu juridique des décisions du 1er décembre 1995, RTD com. 1997, p. 1. 70 D. Talon, Le surprenant réveil de l’obligation de donner (à propos des arrêts de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en matière de détermination du prix), RTD civ, 1992, p. 67 vente de choses futures. La Cour de cassation, après valses hésitations, a fini par asseoir une solution tendant à une application littérale de l’article 1582 du Code civil français. 71 Cette conception française du transfert de propriété ne fait pas l’unanimité dans la doctrine française. Les avis étant divers et partagés. 72 Beaucoup d’auteurs, des classiques 73 aux modernes,74 ont contesté ce qui est souvent considéré comme une construction, une interprétation de la loi, en l’occurrence les articles 1136, 1138 et 1582 du Code civil français. Ces atermoiements de la doctrine et de la jurisprudence ont favorisé le développement d’un courant doctrinal hostile à toute idée d’une obligation de donner. La considérant comme une obligation impossible, d’une part, parce que ce transfert s’opérant de plein droit dès l’échange des consentements, et comme une obligation inutile, d’autre part, parce que la reconnaissance des obligations de donner n'est nullement nécessaire pour expliquer les mécanismes juridiques classiques, ni les diverses solutions retenues par le droit positif. 75 Pour cette auteure, le transfert de propriété est un effet légal du contrat que ne peut expliquer une quelconque obligation de donner. Cette position peut avoir à son secours cette jurisprudence de la Cour de cassation française qui estimait que « la délivrance, que le vendeur est dans l'obligation de faire, n'est que le transport de la chose vendue en la jouissance et possession de l'acheteur ».76 En effet, il est important de distinguer le transfert de la propriété qui porte sur le droit, sur la maitrise juridique de la chose, de la délivrance qui porte sur la possession, la maitrise matérielle de la chose. 77 Le choix d’un transfert de propriété consensuel, qui a été repris par plusieurs pays africains francophones, doit aussi être questionné au regard de son aptitude à satisfaire à des exigences de sécurité des transactions. Les solutions juridiques mises en œuvre dans les pays africains ne doivent pas seulement être le produit d’un pur mimétisme juridique, elles doivent également servir des impératifs de sécurité et de fiabilité juridiques. Un système de transfert de propriété consensuel ne nous semble pas être conforme à la tradition africaine, qui de notre point de vue, semble s’attacher à la remise effective de la chose, au moment de la 71 M. Thioye, Vente de meubles à fabriquer : le contrat est parfait dès qu'il y accord sur les éléments essentiels, D. 2000, p. 622. 72 En guise d’illustration, v. P. Bloch, L'obligation de transférer la propriété dans la vente, RTD civ. 1988, p. 673 s. 73 Toullier, Le droit civil français, 6ème éd. par Duvergier, liv. III, tit. VI, n° 11. 74 M. Fabre-Magnan, Le mythe de l’obligation de donner, op. cit. ; A. S. Courdier-Cuisinier, Nouvel éclairage sur l’énigme de l’obligation de donner, op. cit. 75 M. Fabre-Magnan, Le mythe de l’obligation de donner, op. cit. p. 3 et 4. 76 Req. 12 avr. 1831, D. 1832.1.54. 77 V. D. Mainguy, Contrats spéciaux, op. cit. p. 145. conclusion du contrat. 78 Il s’agit plutôt d’un système qui s’attache à la remise effective de la chose. La propriété et la possession vont de pair. La doctrine montre bien que dans la société africaine les contrats étaient conclus et s’exécutaient de manière instantanée, le transfert de propriété intellectuel joue un rôle secondaire ce qui laissait peu de place à un transfert différé de la propriété.79 Cela pose le débat du mimétisme juridique dans les pays africains francophones. La règle reçue du droit français a-t-elle été questionnée du point de vue de son aptitude à satisfaire les exigences des sociétés africaines ? Le président Kéba Mbaye a longtemps défendu un droit du développement 80 pour les pays africains mais encore faudrait-il que ce droit soit adapté. Ce souci de l’adaptation de la règle aux réalités sociales, semble être celui du législateur sénégalais. La solution du transfert solo consensu de la propriété est très peu protectrice des intérêts de l’acquéreur. En le rendant propriétaire sans la possession de la chose, la loi fait peser sur lui les risques, en application de la règle res perit domino. Peut-on se satisfaire d’une telle solution en Afrique ? Ce principe y semble irréel, inadapté. On attendait alors de l’Ohada qui promeut l’harmonisation voire l’unification du droit des affaires 81 en Afrique une prise de position nette par rapport à la question du transfert de propriété. Allait-elle favoriser un système de transfert consensuel de la propriété ou plutôt le système de transfert causal de la propriété adopté par le Sénégal ? L’article 275 de l’AUDCG dispose que « la prise de livraison opère transfert à l’acheteur de la propriété des marchandises vendues ». Le droit Ohada opte donc pour un transfert de propriété à la livraison de la marchandise à l’acheteur et se range ainsi du côté de la solution choisie par le législateur sénégalais. Une telle prise de position du législateur communautaire est plus conforme aux réalités africaines dans la mesure où elle apporte de la sécurité dans les transactions. L’Ohada n’est pas esseulée dans la position qu’elle adopte. En effet, comme nous l’avons préalablement montré avec les droit allemand, plusieurs autres pays et organisations internationales qui promeuvent le commerce international s’inscrivent dans la même perspective que l’Ohada. Ce qui permet de dire que le Sénégal, en faisant ce choix d’un transfert de propriété causal, s’aligne sur la tendance contemporaine. 2. L’alignement sur la tendance majoritaire 78 Comme le dit un adage wolof « j’ai un chameau, il se trouve en Mauritanie ». En d’autres termes, on n’achète pas ce que l’on n’a pas vu. 79 N. Rouland, Anthropologie juridique, Paris, PUF, 1988, para 160-170. 80 Kéba Mbaye, Le droit au développement, in Ethiopiques n° 21, janv. 1980, disponible sur http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article736 consulté le 08 novembre 2014. . 81 B. Martor (alii), Le droit uniforme africain des affaires issu de l’Ohada, Paris, LexisNexis, Litec, 2006, 344 p. En faisant un peu de droit comparé, on se rend compte que la France est l’un des rares pays, compte non pris de ses anciennes colonies francophones d’Afrique noire, a avoir consacré le transfert de propriété solo consensu.82 La ligne de fracture, sur cette question, traverse la famille romano-germanique qui n’a donc pas la même position sur la question. La Suisse par exemple, bien qu’elle ait adoptée un code civil 83, n’en a pas pour autant adopté toutes les solutions contenues dans le Code civil français. Sur la question particulière du transfert de propriété, le code civil suisse a adopté la solution du transfert causal abstrait comme mode de transfert de la propriété. La position du droit suisse sur la question emprunte au droit allemand, qui comme nous l’avons souligné, adopte une position de rupture relativement au droit français suite aux idées développées par Savigny sur l’acte abstrait. Ainsi, la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche sont à ranger dans la catégorie des pays de tradition réelle abstrait. En poussant la comparaison plus loin, des pays tels que la Turquie, qui s’est inspirée du Code civil suisse, la Corée du Sud, qui elle s’est inspirée du BGB allemand, ont également adopté le transfert de propriété abstrait.84 Si la ligne de fracture quant à la question du transfert de propriété semble être entre la famille romaine et la famille germanique, que dire des différences d’approches qui existent à l’intérieur même de la famille romano-germanique ? Le droit espagnol85 est porteur d’une solution consacrant la tradition réelle qui a eu à inspirer plusieurs pays d’Amérique latine. Les exemples pourraient être multipliés sans que l’on puisse trouver de pays qui adopte le système consensualiste français, en dehors de la France et de quelques pays africains francophones. Mais c’est surtout au niveau international et communautaire, lorsqu’il s’agit d’élaborer une législation commune à plusieurs Etats, que la délicate question du moment du transfert de propriété refait surface. Parce qu’épineuse, peut-être, et n’étant pas le problème fondamental en matière de commerce international, assurément, cette question a été éludée par certains textes internationaux. Il en est ainsi de la Convention de Vienne sur la vente internationale de 82 Les juristes français semblent tenir à l’obligation de donner et à ses conséquences plus parce qu’il s’agit d’une tradition du droit français que par efficacité. C’est pourquoi, dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations, dit projet Catala, la volonté est affichée de réduire les effets induits par l’obligation de donner en consacrant une forme dégradée d’obligation de donner à savoir l’obligation de donner à usage. V. G. Pignarre, L'obligation de donner à usage dans l'avant-projet Catala Analyse critique, D. 2007, p. 384. 83 Le code civil suisse est un savant dosage entre le code napoléon et le BGB, le Code civil allemand. Il traverse donc toute la famille romano-germanique pour adopter parfois des solutions originales par exemple le rôle important que le juge joue en matière contractuel en complétant la volonté des parties. 84 B. Winiger, Le transfert de propriété en droit français et suisse, in Le centenaire du Code civil suisse : colloque du 5 avril 2007, Société de législation comparée, 2008, pp. 169-186. 85 V. la règle de la « tradicion real » posée par les articles 609 et 1095 du Code civil espagnol. marchandises (CVIM), qui, pour avoir un champ d’application large, n’en réglemente pas pour autant cette question. 86 En effet, la CVIM a préféré aborder la question du transfert des risques en distinguant selon que la vente implique un transport ou non. 87 Comme précédemment montré, les Etats parties de l’Ohada ont consacré la solution du transfert causal de la propriété ce qui fait dire à un auteur que « les Etats de l’Ohada tournent donc dos au principe solo consensu qu’ils ont reçu de leur histoire. » Il nous semble important de se démarquer de cette interprétation excessive de l’article 283 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général. En effet, il ne faut pas donner à cette solution Ohada une portée autre que celle de régir les ventes commerciales. Le champ d’application de ce texte étant de régir uniquement les contrats commerciaux et non les contrats civils, on ne saurait en tirer comme conséquence, sans déborder le lit naturel de ce texte, qu’il a eu comme ambition de consacrer désormais, dans tous les Etats parties, la règle du transfert solo consensu de la propriété. 88 Il demeure toujours nécessaire, même avec l’existence de l’article 283, de rappeler la validité des règles nationales portant sur les contrats spéciaux lorsque ces derniers entendent réglementer les contrats civils.89 Les règles nationales portant contrats spéciaux ne sont pas toutes abrogées 90 ou neutralisées par l’effet de l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme sur le droit commercial général.91 Cette interprétation de la portée matérielle de la solution de transfert de propriété posée par l’Acte uniforme sur le droit commercial est inexacte. 86 La Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises constitue un corps de règles matérielles et supplétives destinées à régir principalement toute vente internationale de marchandises conclue entre des contractants établis dans des Etats signataires différents. 87 Si la vente n’implique pas un transport, la convention prévoit que les risques sont transférés à l’acheteur lorsqu’il retire les marchandises mises à sa disposition par le vendeur. CVIM art. 69-1. Lorsque la vente nécessite un transport, elle prévoit que les risques sont transférés à l’acheteur à partir de la remise des marchandises au premier transporteur pour transmission à l’acheteur (CVIM art. 67-1.) 88 R. Adido, Réflexion sur le transfert de propriété des marchandises vendues dans l’espace francophone à la lumière du droit français, Rec. Penant n° 845, pp. 464-482. 89 Rappelons l’article 2 du Cocc qui refuse toute distinction entre les obligations civiles et commerciales. Comme l’explique cet auteur, « tous les contrats sont… des éléments de la vie économique sans que le développement puisse être considéré comme un monopole de l’activité industrielle ou commerciale ». V. R. Decottignies, Réflexions sur le projet de code sénégalais des obligations, op. cit. p. 175. 90 P. Diedhiou, L’article 9 du Traité de l’Ohada : Quelle portée abrogatoire et supranationale, Rev. de droit uniforme, vol. 12, n° 2, 2007, p. 265. 91 C’est le cas en droit sénégalais avec la deuxième partie du Cocc portant sur les contrats spéciaux qui demeure applicable. II. Une apparence trompeuse La solution de transfert de propriété adoptée par le législateur sénégalais est souvent présentée de façon simple par opposition à la solution du droit français en insistant sur la place qu’y occupe la délivrance comme mode de transfert de la chose. Mais à étudier de près la solution sénégalais et en la mettant en rapport avec les autres dispositions du Cocc, un devoir de mise en cohérence s’impose. C’est le cas dans les situations de retard de transfert de la propriété (A) et dans les situations de transfert de la propriété immobilière (B) A. Le retard dans le transfert de propriété Aussi bien le caractère de la règle posée par le législateur que le non-respect par le débiteur de ses obligations peuvent expliquer des situations de retard consenti (1) ou de retard subi (2) dans le transfert de la propriété. 1. Le retard consenti La solution de transfert de propriété adoptée par le législateur sénégalais est souvent présentée avec une vigueur telle qu’elle occulte sa véritable nature. En effet, une lecture attentive des dispositions de l’article 5 du Cocc permet d’avoir l’exacte portée de la règle posée. Le législateur dispose d’abord que « le créancier acquiert le droit sur la chose au moment de la délivrance ». Cela signifie, comme le précise le législateur, 92 que le droit de propriété sur la chose vendue s’acquiert avec la délivrance, avec la possession matérielle de la chose. Le législateur ne s’arrête pas en si bon chemin, il précise « sauf volonté contraire des parties ». Ce qui signifie que les parties peuvent organiser autrement le transfert de la propriété de la chose vendue en s’affranchissant de ce qui semble être un principe.93 Mais pour être un principe, la solution du transfert de propriété par la délivrance n’en est pas pour autant une règle d’ordre public, les parties ayant la possibilité d’organiser autrement le transfert de propriété. Cette solution de principe peut s’analyser dès lors comme une règle supplétive de volonté. On peut trouver plusieurs arguments au soutien de cette position. 92 Le législateur précise, pas dans le corps de la disposition, mais dans le chapeau résumant la disposition ceci « Exécution de l’obligation de donner, transfert de la propriété ». 93 Le transfert de propriété par la délivrance, principe ou exception ? Il semblerait que la solution sénégalaise soit bien le principe en ce que le législateur dégage d’abord la solution pour ensuite laisser la possibilité aux parties de s’organiser autrement. C’est d’ailleurs, le véritable sens qu’il faut donner à la notion de règle supplétive, c’est-à-dire une règle qui s’applique à défaut de choix des parties. D’abord, un premier argument tiré de la philosophie générale du Cocc qui pose le principe du consensualisme comme un des trépieds de la législation.94 Ensuite, un argument tiré de la deuxième partie du Cocc intitulé « Des contrats spéciaux » qui, en son article 258, consacre le caractère supplétif de la volonté des contractants des dispositions qui y sont contenues. 95 Ce constat emporte une première conséquence qui est celle de la possibilité, en droit sénégalais, d’organiser un transfert de propriété solo consensu. Les parties à un contrat peuvent trouver des vertus simplificatrices à cette solution et décider de l’adopter contractuellement. Ceci serait notamment conforme aux dispositions de l’article 5 qui le prévoient expressément. Rien ne s’y oppose donc, la solution du transfert de propriété par la délivrance n’étant pas d’ordre public. La deuxième conséquence concerne essentiellement le transfert de propriété retardé dans l’intérêt du vendeur.96 Toutes les fois que le prix de la vente n’a pas été payé au comptant, notamment lorsque la vente est à tempérament, 97 une clause de réserve de propriété pourra être introduite dans le contrat soumettant le transfert de la propriété au paiement intégral du prix. 98 Dans le cadre de l’Ohada, les Etats africains francophones ont également choisi une solution de transfert de propriété. Ce choix trouve son expression dans l’Acte uniforme sur le droit commercial général, 99 en son article 275. 100 Contrairement à la majorité de ses Etats parties, l’Ohada a fait le choix d’un transfert de propriété assujetti à la délivrance de la chose, emboitant ainsi le pas du législateur sénégalais. Ainsi, dans les ventes qui entrent dans le champ d’application de l’AUDCG, les parties peuvent organiser le transfert de propriété en s’attachant à la délivrance comme moment de transfert de la propriété ou, comme le prévoit le texte, en décidant d’un transfert solo consensu de la propriété, ou en ayant recours à une clause de réserve de propriété ou simplement décider de déplacer le moment du transfert de propriété dans les ventes à distance impliquant un transport de la marchandise. 94 V. art. 41 du Cocc. V. article 258 du Cocc qui dispose « les dispositions de la deuxième partie du Cocc sont supplétives de la volonté des contractants… ne tolèrent pas la convention contraire, les règles concernant les contrats portant sur les immeubles immatriculés et fonds de commerce, les baux à usage d’habitation ou à usage commercial, l’assurance ainsi que toute disposition particulière expressément déclarée d’ordre public. » certaines de ces matières citées par l’article 258 Cocc n’entrent plus dans le champ de compétence des autorités nationales suite à la naissance de certaines organisations communautaires . En effet, plusieurs dispositions du Cocc ont été abrogées par l’effet de l’entrée en vigueur de certains Actes uniformes de l’Ohada ou par l’effet du code CIMA. Il en est ainsi, concernant l’Ohada, des dispositions relatives à la vente commerciale, aux baux commerciaux. Concernant le Code CIMA, il rend sans effet les dispositions du Cocc portant sur les contrats relatifs aux risques. 96 Tel est le titre de l’article 353 du Cocc. 97 Art. 354 Cocc. 98 Art. 359 Cocc. 99 AUDCG dans le texte. 100 « La prise de livraison opère transfert à l’acheteur de la propriété des marchandises vendues. » 95 Le choix fait par l’Ohada, d’une flexibilité en matière de transfert de propriété doit être apprécié à la lumière des difficultés soulevées par la solution française de transfert de propriété. L’existence d’une solution de transfert de propriété flexible et ouverte permet, dans les pays de l’espace Ohada, d’avoir un rapport à la clause de réserve de propriété différente. En effet, les parties à un contrat, dans l’espace Ohada, ne devraient pas avoir un recours le même recours à la clause de réserve de propriété que ce qui est noté en droit français. En droit français, le recours quasi-systématique des parties à la clause de réserve de propriété est justifié par la volonté des contractants de contourner les rigueurs des dispositions du Code civil relative au transfert de propriété. L’explication est à trouver dans la position de rigueur du législateur français sur la portée de la règle posée par les articles 1138 et 1583 qu’il considère comme une règle d’ordre public, ne laissant ainsi pas le soin aux parties d’organiser le transfert de propriété, sauf le recours à la clause de réserve de propriété. L’attachement à cette règle peut aussi expliquer son maintien dans les projets français de réformes du droit des obligations,101 de même que l’insistance des juristes français pour sa consécration dans les projets européens d’édification d’un droit européen des contrats. 102 2. Le retard subi Les situations qui peuvent être envisagées ici sont diverses et variées. 103 Le vendeur peut être en retard dans l’exécution de son obligation de délivrance, livrer une chose non conforme, livrer une chose viciée, 104 ou enfin ne pas exécuter totalement ou partiellement son 101 Dominique Fenouillet, Regards sur un projet en quête de nouveaux équilibres : présentation des dispositions du projet de réforme du droit des contrats relatives à la formation et à la validité du contrat, RDC, 01 janvier 2009 n° 1, p. 279 ; P. Catala, Bref aperçu sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations, D. 2006, p. 535 ; V., Avant-projet de réforme du droit des obligations (article 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (articles 2234 à 2281du Code civil), Rapport à M. Pascal Clément, Ministre de la justice, Garde des sceaux, 22 septembre 2005, disponible sur http://www.justice.gouv.fr/art_pix/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf consulté le 08/11/2014. 102 B. Fages, Quelques évolutions du droit français des contrats à la lumière des principes de la Commission Lando, D. 2003, p. 2386 ; A. Debet, Le code européen des contrats : Avant-projet, RDC, 01 décembre 2003, n° 1, p. 217 ; D. Tallon, Les principes pour le droit européen des contrats : Quelles perspectives pour la pratique ? Defrénois, 15 juin 2000 n° 11, p. 683 ; B. Fauvargue-Cosson, Droit européen des contrats : bilan et perspectives pour la prochaine décennie, RDC, 01 janvier 2010, n° 1, p. 316. 103 Il y a une sanction propre aux ventes commerciales, c’est la faculté de remplacement. Lorsque la vente porte sur une chose de genre, l’acquéreur peut acheter chez un tiers la chose non livrée et exiger du vendeur le remboursement du prix de remplacement. V. art. 285 Cocc. 104 Article 295 du Cocc. obligation.105 Toutes ces situations sont à considérer comme des situations d’inexécution contractuelle.106 Dans pareilles situations, plusieurs remèdes s’offrent à l’acheteur. Il serait fastidieux ici de tous les reprendre, ils s’agit pour l’essentiel de toutes les techniques de garantie de paiement que le débiteur a à sa disposition contre un créancier mauvais payeur. 107 Par contre, on pourrait citer certains mécanismes spécifiques, c’est le cas de l’obligation de garantie que doit le vendeur à l’acquéreur. 108 Il s’agit de la garantie contre l’éviction, de la garantie du fait personnel et du fait d’un tiers, et de la garantie contre les vices cachés. 109 Le vendeur étant garant des vices cachés de la chose alors même qu’il ne les aurait pas connus, 110 la loi organise, lorsque le vice est d’une certaine gravité, 111 un régime de protection de l’acquéreur.112 Mais il peut s’agir aussi d’une action en responsabilité de droit commun telle que prévue par l’article 118 du Cocc.113 Le créancier de l’obligation de délivrance pourrait voir sa responsabilité engagée en cas d’inexécution de son engagement. Mais en lisant les dispositions de l’article 119 du Cocc, 114 on pourrait penser que le créancier de l’obligation de délivrance pourrait engager aussi bien la responsabilité contractuelle que la responsabilité délictuelle du vendeur, dans les deux cas le vendeur ayant manqué à son obligation. En effet, cette disposition est souvent présentée souvent comme le siège d’une certaine unité de la faute et par suite d’une certaine unité des ordres de responsabilité délictuelle et contractuelle. Le manquement auquel se réfère l’article 119 du Cocc correspond à la faute dans sa double dimension objective et subjective, c’est-à-dire, dans la conception de Planiol,115 reprise 105 F. Terré (alii), Droit civil : les obligations, op. cit. p. 564 et s. V. M. Fabre-Magnan, Droit des obligationsContrat et engagement unilatéral, op. cit. p. 641. 106 P. Stoffel-Munck, Exécution et inexécution du contrat, RDC, 1er janvier 2009, n° 1, p. 333 ; D. Tallon, L’inexécution du contrat : pour une autre présentation, RTD civ. 1994, p. 223 ; P. Rémy-Corlay, Exécution et réparation : deux concepts, RDC, 1er janvier 2005, n° 1, p. 13. 107 On peut renvoyer également au droit des sûretés et rappeler les possibilités offertes par l’action en revendication. 108 Art. 287 Cocc. 109 Art. 300 du Cocc. 110 Article 295 Cocc. 111 Il s’agit de la distinction classique entre vice apparent et vice caché. V. les art. 296 et 297 du Cocc. 112 Riffault-Silk, Distinction entre la garantie des vices cachés et la responsabilité contractuelle, RJDA, 7/13, pp. 541-547. 113 « Est responsable celui qui par sa faute cause un dommage à autrui.» 114 « La faute est un manquement à une obligation préexistante de quelque nature qu’elle soit » 115 Selon la définition célèbre de Planiol, une faute sera retenue en cas de « violation d’une obligation préexistante. » Cette obligation préexistante n’est d’ailleurs pas nécessairement prévue par une règle expresse, donc par un texte, mais peut être découverte par les juges à l’occasion d’un litige. La définition de Planiol a été critiquée comme étant circulaire : la faute est en effet définie comme la violation d’une obligation préexistante, mais comment savoir quand il y a obligation préexistante si ce n’est précisément en admettant que le par le législateur sénégalais, « le manquement à une obligation préexistante de quelle que nature qu’elle soit » Le droit sénégalais semble donc consacrer une unité de la faute délictuelle et contractuelle, ce qui a comme corollaire une unité des deux ordres de responsabilité délictuelle et contractuelle. 116 En d’autres termes, il n’y a pas lieu de distinguer, en droit sénégalais, responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle. L’existence d’un manquement suffit à engager l’une ou l’autre responsabilité. Cette conception de la responsabilité en droit sénégalais semble trouver grâce aux yeux de cette partie de la doctrine française qui estime aussi qu’il n’existe que la responsabilité délictuelle, la responsabilité contractuelle étant une création de la doctrine moderne, « un faux concept ».117 Pour cette partie de la doctrine, les dommages et intérêts dus par le débiteur ne seraient en réalité qu’une forme d’exécution du contrat par un équivalent monétaire. 118 Mais cette conception semble bien curieuse à plusieurs égards. D’abord dire que les dommages et intérêts sont une forme d’exécution par équivalent, c’est consacrer la possibilité d’une exécution forcée de toute obligation de faire ou de donner, ce que le droit français ne prévoit pas, 119 à moins d’une interprétation généreuse des dispositions de l’article 1184 al. 2 du Code civil.120 D’un autre point de vue, et à y voir de plus près, on n’engage pas la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle de la même façon. 121 Dans la responsabilité délictuelle, il est nécessaire de rapporter la preuve d’un préjudice,122 ce qui n’est pas le cas comportement était fautif ? V. M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, Responsabilité civile et quasi-contrats, op. cit. p. 93. 116 J. P. Tosi, Droit des obligations au Sénégal, Paris, LGDJ, 1981, 414 p., p. 180. 117 P. Rémy, La responsabilité contractuelle : histoire d’un faux concept, RTD civ. 1997, p. 323. 118 V. surtout, Ph. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, n° 802 s. D. Tallon, L’inexécution du contrat : pour une autre présentation, RTD civ. 1994, p. 223. 119 Le droit français pose comme principe que l’obligation de faire se résout par le paiement de dommages et intérêts. V. l’article 1142 Code civil « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommage et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. » 120 « La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté a le choix …de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible ». 121 On peut citer cet arrêt de la Cour de cassation française, ch. Com. qui refuse d’assimiler la faute délictuelle et la faute commerciale, contrairement à la Ch. Civ. V. Com. 5 avr. 2005, Société Merck santé France c/ SEFRB, pourvoi n° 03-19.370, FS-P+B, Resp. civ. et assur. 2005. comm. 174, obs. H. Groutel. V. P. Jourdain, Relations entre faute contractuelle et faute délictuelle : la division s'installe au sein de la Cour de cassation , RTD civ. 2005, p. 602. 122 Req., 25 mai 1936: « Attendu que, pour que l’inexécution d’une obligation donne lieu à dommages et intérêts, « il faut que cette inexécution ait causée au créancier un dommage ». V., Civ. 1ère, 18 nov. 1997, Bull. civ. I, n° 317; D. aff. 1998, p. 20; Resp. civ. et assur. 1998, comm. 53; Civ. 1re, 26 fév. 2002, Bull. civ. I, n° 68 ; Defrénois, 2002, p. 759, obs. E. Savaux ; RTD civ. 2002, p. 896, obs. P-.Y. Gautier; Com., 9 avr. 2002, JCP 2003, II, 10067, note J.-M. Tengang; Civ. 3e, 3 déc. 2003, Bull. civ. III, n° 221; Contrats, concurr. consom. 2004, comm. 38, obs. L. Leveneur ; RTD civ. 2004, p.295, obs. P. Jourdain ; RDC 2004 p. 280, obs. Ph. Stoffel-Munck ; JCP 2004, I, 163, n° 2 s., obs. G. Viney ; D. 2005, pan. p. 187, obs. D. Mazeaud, qui énonce solennellement que « des dans la responsabilité contractuelle. Enfin, la responsabilité délictuelle présente plusieurs situations de responsabilité objective, donc sans nécessité de faute prouvée, du fait d’autrui, des animaux ou des choses que l’on ne retrouve pas dans la responsabilité contractuelle. 123 Dès lors, le régime de responsabilité qui sied en cas de manquement à l’obligation de délivrance est le régime de la responsabilité contractuelle, 124 en cas d’existence d’un contrat valablement formé et de violation d’une obligation découlant de ce contrat. La question que l’on doit se poser par ailleurs est de savoir quelle est la nature de la réparation de l’inexécution de l’obligation de délivrance ? S’agit-il du paiement de dommages et intérêts ou d’une exécution forcée? En droit sénégalais, l’obligation de donner s’exécutant par la délivrance de la chose, son inexécution donne lieu à la violation d’une véritable obligation. C’est le cas dans le droit de la vente, en ce que le débiteur s’oblige à transférer la propriété de la chose. 125 En tant que telle, l’exécution forcée de l’obligation de donner ne pose aucun problème en droit sénégalais, comme en attestent les dispositions de l’article 195 du Cocc.126 C’est le cas d’ailleurs, en droit sénégalais, pour toutes les obligations, quel que soit leur objet.127 Une lecture attentive du Cocc, non teintée d’arrière-pensée de droit français, 128 autorise une telle interprétation. Les dispositions de l’article 105 du Cocc, qui fonde cette interprétation, faisant référence à l’inexécution du contrat synallagmatique et non à telle ou telle obligation selon son objet. dommages et intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu'il est résulté un préjudice de la faute contractuelle ». V. aussi les arrêts qui tirent les conséquences de la mise en œuvre d’une responsabilité, notamment en faisant courir le délai de prescription de « l’action en responsabilité contractuelle » du jour de la réalisation du dommage ou de sa révélation, et non du jour du contrat (Soc., 18 déc. 1991, Bull. civ. IV, n° 598 ; 1er avr. 1997, RTD civ. 1997, p. 957, obs. P. Jourdain). 123 P. Jourdain, La distinction des responsabilités délictuelle et contractuelle : état du droit français, 9 p. Inédit. 124 Il faut préciser que les contractants peuvent assumer une responsabilité délictuelle notamment envers les tiers lorsque la violation d’une obligation contractuelle entraine un préjudice pour un tiers. V. L. Leturmy, La responsabilité délictuelle du contractant, RTD civ. 1998, p. 839. 125 V. art. 276 du Cocc. 126 V. les articles 194 à 199 du Cocc. 127 V. art. 105 du Cocc. 128 Le débat existe en droit français de savoir si le créancier d’une obligation de faire ou de ne pas faire peut être contraint à exécuter son obligation, en dépit des dispositions de l’article 1142 du Code civil. Certains auteurs, et pas des moindres, pensent que c’est possible même si la jurisprudence en la matière semble très déroutante en raison de ce qui semble être une instabilité. Cependant, même si une doctrine importante est favorable à l’exécution forcée de l’obligation de faire, le principe de la résolution par le paiement de dommages et intérêts reste le principe en droit français. V. P. Delebecque, L’exécution forcée, RDC, n°1, janv. 2006, p. 1 ; W. Jeandidier, L’exécution forcée des obligations contractuelles de faire, RTD civ. p. 700 ; D. Mazeaud ; Y-M. Laithier, La nature de la sanction : satisfaction du bénéficiaire par des dommages et intérêts ou primauté de l’exécution en nature ?, RDC, n°2, avril 2012, p. 681 ; G. Viney, L’exécution forcée en nature de l’obligation contractuelle de faire ou de ne pas faire préférée aux dommages et intérêts, RDC, 1er juillet 2007, notes sous Cass. civ. 14 février 2007 et cass. civ. 16 janvier 2007. L’exécution forcée peut être poursuivie de deux manières. « L’exécution en nature, obligeant le débiteur à fournir ce à quoi il s’est engagé 129 ou l’exécution par équivalent, le versement d’une somme d’argent, envisagée non pas comme des dommages et intérêts mais plutôt comme une remplacement, un équivalent de ce à quoi le débiteur s’est engagé et qu’il n’a pas honoré. » L’article 105 permet au créancier de l’obligation de demander une réparation pécuniaire pour le préjudice né de l’inexécution contractuelle en même temps qu’il offre la possibilité de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation. 130 Ce faisant, le législateur sénégalais introduit comme une autonomie entre les deux modes de réparations et permet au créancier de pouvoir cumuler les deux voies. En effet, comme le montre un auteur, « …l’exécution forcée est demandée pour l’avenir alors qu’il ne reste plus que les dommages et intérêts pour compenser le préjudice déjà réalisé de façon irréversible, mais cette conjonction même marque leur hétérogénéité et l’utilité de chacun d’eux pour garantir les intérêts légitimes du créancier »131 Comme on peut le constater, si la complexité baigne la question du transfert de propriété, que dire alors lorsqu’il s’agit du transfert de la propriété immobilière. Sur la question, un véritable imbroglio s’est créé avant que la Haute juridiction sénégalaise ne vienne trancher la question. 2. Les vicissitudes dans le transfert de la propriété immobilière La question du transfert de la propriété immobilière a fait l’objet en droit sénégalais d’une appréciation diverses. Les textes du Cocc ont été diversement interprétés par la doctrine (2) mais également par la jurisprudence (2) même si les juges ont adopté une lecture qui ne laisse également pas indifférent. 1. Les divergences doctrinales Le transfert de la propriété immobilière, une fois n’est pas coutume, a donné lieu en droit sénégalais à une intervention remarquée de la doctrine. 132 Pas que le législateur sénégalais 129 V. les articles. 194 à 199 du Cocc. Le Code civil québécois, article 1590, comporte une disposition similaire à l’article 105 qui liste de façon cohérente l’ensemble des remèdes possibles en cas d’inexécution du contrat. Certains auteurs français appellent à l’adoption de la même technique en droit français afin d’avoir une présentation plus cohérente du droit de l’inexécution contractuelle. V. D. Talon, L’inexécution du contrat : pour une autre présentation, RTD civ. 1994, p. 223, op. cit. p. 233. 131 G. Viney, L’exécution forcée en nature de l’obligation contractuelle de faire ou de ne pas faire préférée aux dommages et intérêts, RDC, 1er juillet 2007, n° 3, p. 741. 132 A. Faye, Le transfert de propriété dans la vente de l’immeuble en droit sénégalais, Revue Droit sénégalais, Université de Toulouse, Presses universitaires de Toulouse 1 Capitole, n°8, nov. 2009, p. 257 et s. ; B. Diallo, 130 n’ait pas précisé le moment du transfert de la propriété immobilière, les dispositions de l’article 5 du Cocc répondant à suffisance à cette question, mais plutôt parce que les dispositions des articles 321, 322, 323, 382 et 383 du Cocc donnent lieu à une intelligence différente. En la matière, la difficulté majeure qui existe en droit sénégalais est celle de la nécessité de distinguer l’avant-contrat du contrat définitif en matière de la vente d’un immeuble immatriculé. Faut-il se plier à un formalisme ou plutôt laisser jouer le consensualisme ? Cette question est importante parce qu’au-delà de la question relative à la sécurité des transactions en matière immobilière, l’autre question qui se pose est celle de la distinction de l’obligation de faire et de l’obligation de donner. Le législateur sénégalais a clairement pris position sur la question du transfert de la propriété immobilière. A l’article 5 du Cocc, il y dégage la particularité du transfert de la propriété immobilière. 133 En matière immobilière, la véritable question qui se pose n’est pas celle du transfert de la propriété mais plutôt la question du rôle de l’avant-contrat en la matière. Sur cette question, le recours à des mécanismes simples du droit des obligations aurait permis de régler la question sans dénaturer la lettre des articles 382 et 383 du Cocc. D’abord, on pourrait avoir une autre conception de la question en s’attachant, dans un premier temps, à l’objet de l’obligation des parties. Il ne fait aucun doute, qu’il s’agisse de l’avantcontrat ou du contrat définitif, que l’objet de l’obligation de parties porte sur le transfert d’un droit réel. Il s’agit donc dans les deux cas d’une obligation de donner qui engendre des conséquences multiples. Cette position n’est pas partagée par une grande partie de la doctrine intervenue sur la question. En effet, pour aboutir à une telle conclusion il faut admettre d’abord l’autonomie de l’avant-contrat portant sur la vente d’un immeuble immatriculé. Les articles 382 et 383 du Cocc sont situés dans la deuxième partie du Cocc Des Contrats spéciaux, en son Chapitre II, Les contrats relatifs aux droits réels portant sur les immeubles immatriculés. L’article 382 est relatif à l’avant-contrat et dispose que «l’acte par lequel les parties s’engagent à acquérir un droit sur l’immeuble est une promesse synallagmatique de contrat. – Elle oblige l’une et l’autre à parfaire le contrat en faisant procéder à l’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété foncière. » Quant à l’article 383, il dispose « le contrat doit, à peine de nullité absolue, être passé par Promesse sous seings privées de vente d’immeuble immatriculé ne vaut ? Observations sur CS Sénégal n° 79 du 16 juillet 2008, Aliou Bathily c/ Abdoul Diallo, Revue Droit et ville, n° 71, 2011, pp. 175-197 ; M. Ndiaye Mbaye, Les transactions immobilières au Sénégal, in De l’esprit du droit africain, Mélanges en l’honneur de Paul Gérard Pougoué, Wolters Kluwers, 2013. 133 « Le créancier acquiert le droit sur la chose au moment de la délivrance…sous réserve des dispositions particulières à la propriété foncière… » devant un notaire territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires. » A s’en tenir à l’article 382 du Cocc, il s’en infère que l’engagement des deux parties, qui de céder un droit sur l’immeuble qui d’acquérir ce droit, est une promesse synallagmatique de contrat. Il s’agit donc d’un avant-contrat portant sur l’engagement des parties de céder ou d’acquérir un droit réel immobilier. L’avant contrat est certes une promesse de contrat mais il reste et demeure un contrat de promesse. 134 Il s’agit d’un contrat préparatoire à la conclusion d’un autre contrat, d’un contrat autonome par rapport au contrat principal dont il est l’augure. 135 A ce titre, les parties restent tenues, l’une envers l’autre, de l’exécution de leur engagement contractuel. 136 Dès lors, l’intelligence qu’il mérite d’avoir de l’article 383 du Cocc est celle d’une disposition faisant référence au contrat définitif, celui dont l’avant contrat était un contrat préparatoire. Ce contrat définitif seul doit être passé par devant notaire. En tant que contrat synallagmatique, la promesse de contrat portant sur un droit réel immobilier doit obéir au régime des contrats s’agissant plus précisément de la sanction de l’inexécution contractuelle. En effet, en ne considérant pas la promesse de contrat relative aux droits réels portant sur les immeubles immatriculés comme un véritable contrat et en ne leur appliquant pas le régime de la sanction de la violation d’une obligation contractuelle,137 l’interprète méconnait le sens et la portée véritable de cette disposition. Pour une bonne intelligence de ces deux articles, le retour à la théorie générale des obligations pourrait être d’un grand secours au moment de dégager l’essence de ces dispositions. L’objet et la cause pourraient être appelés. 138 Le rappel de la situation spatiale des articles 382 et 383 n’était pas anodin en ce qu’il permet de garder en mémoire que ces deux dispositions sont situées dans la partie du Cocc portant sur les contrats relatifs aux droits 134 F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, op. cit. pp. 194-197. L’avant-contrat ne doit pas être confondu avec l’offre qui est une manifestation unilatérale de volonté et donc un acte juridique unilatéral. V. M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, Contrat et engagement unilatéral, op. cit. p. 236 et s. 136 L. Boyer, Les promesses synallagmatiques de vente : contribution à l’étude des avant- contrats, RTD civ. 1949, 1 et s. P. Chauvin, Quelle sanction en cas de violation d’un pacte de préférence, RIDA 8-9/ 2006 D. Mazeaud, Mystères et paradoxes de la période précontractuelle, in Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, p. 637 ; J. Mestre, La période précontractuelle et la formation du contrat, Les Petites Affiches, 5 mai 2000, 7. P ; Mousseron, Conduite des négociations contractuelles et responsabilité civile délictuelle, RTD com., 1998, 243 ; J. Schmidt-Szalewski, La période précontractuelle en droit français, RIDC 2-1990, pp. 545-566. 137 J. Schmidt- Szalewski, La force obligatoire à l’épreuve des avant-contrats, RTD civ. 2000, p. 25. 138 J. Ghestin ; G. Loiseau ; Y. –M. Serinet, Traité de droit civil, La formation du contrat, 4e éd., LGDJ, Lextenso éditions, 2013, t. 2 L'objet et la cause ; X. Lagarde, L’objet et la cause du contrat, entre actualités et principes, Petites affiches, 06 avril 2007, n° 70, p. 6. 135 réels portant sur les immeubles immatriculés. En prenant la notion d’objet, 139 principalement l’objet du contrat, 140 on pourrait, en considérant ce qui est dû par les parties, procéder à une réjuvénation de l’avant-contrat relatif au transfert de droits réels immobiliers. Lorsque des parties, dans un acte juridique, s’engagent, l’une à céder, l’autre à acquérir un droit sur l’immeuble, il est question du transfert d’un droit réel immobilier. 141 Cet engagement de transfert d’un droit réel immobilier, 142 à bien des égards, s’apparente à une obligation de donner qui s’entend de l’obligation de transférer un droit réel sur une chose dont on est propriétaire. De surcroit, il s’agit d’une promesse de vente. Or, on sait que dans la vente le vendeur s’engage à transférer la propriété d’une chose. 143 En se fondant sur cette interprétation, on pourrait considérer que la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé engage son débiteur à transférer à son créancier un droit réel sur l’immeuble. Une telle interprétation pourrait se heurter à la spécificité de la transaction immobilière, notamment à l’avant-contrat en la matière. En effet, l’’article 323 du Cocc oblige les parties à une promesse synallagmatique qui ne peut pas se passer librement à parfaire le contrat en accomplissant les formalités nécessaires à sa formation. A s’attachant à la cause, 144 dans sa double dimension objective et subjective 145, un raisonnement similaire peut être mené. Si la promesse synallagmatique engage les deux 139 V. les articles 73 et 74 du Cocc qui distinguent la cause du contrat de la cause de l’obligation. L’article 73 dispose que « l’objet du contrat est fixé par la volonté des parties dans les limites apportées à la liberté contractuelle. » Quant à l’article 74 du Cocc, il dispose que « la prestation promise doit être possible et porter sur des choses qui sont dans le commerce.- Elle doit être déterminée ou déterminable quant à son espèce et à sa quotité.- Elle peut porter sur des choses futures. » 140 S’agissant de l’objet, plus précisément l’objet du contrat, il s’agit de ce à quoi les parties se sont engagées. Il s’agit de la réponse à la question Quid debetur, qu’est-ce qui est dû ? V. M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, Contrat et engagement unilatéral, op. cit. p. 375. 141 Au Sénégal, les droits réels immobiliers sont énumérés à l’article 19 de la loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant Régime de la propriété foncière, J.O. n° 6607 du 13 août 2011. Il s’agit de la propriété des biens immeubles, l’usufruit des mêmes biens, les droits d’usage et d’habitation, l’emphytéose, le droit de superficie, les servitudes et services fonciers, les privilèges et hypothèques. Pour des développements plus précis sur la question, V. M. Ndiaye Mbaye, Les transactions immobilières au Sénégal, op. cit. pp. 520, 521 et 544. 142 V. F. Terré et P. Simler, Droit civil, Les biens, Paris, Dalloz, 2006, 852 p. p. 43 et s. 143 V. art. 264 du Cocc. 144 Le législateur distingue aussi la cause de l’obligation de la cause du contrat. V. respectivement les articles 76 et 77 du Cocc. J. Ghestin, Cause de l’engagement et validité du contrat, Paris, LGDJ, 2006, 960 p. E. Savaux, Toujours la cause avec des interrogations sur le rôle de la Cour de cassation en matière de contrôle de son existence, RDC, 1er sept. 2014, n°3, p. 342 ; Y- M. Laithier, La cause n’est pas un remède contre les contrats non rentables, RDC, 1er sept. 2014, n°3, p. 345 ; G. Goubeaux, Leçon de cause : A propos de l'ouvrage de Jacques Ghestin : Cause de l'engagement et validité du contrat, publié aux éditions LGDJ, RTD civ. 2007, p. 47. X. Lagarde, Sur l’utilité de la théorie de la cause, D. 2007, p. 740 ; O. Tournafond, Pourquoi il faut conserver la théorie de la cause en droit civil français, D. 2008, p. 2607 ; J. Mestre, B. Fages, Cause toujours plus, RTD civ. 2007, p. 105 145 Il s’agit de l’intérêt retiré du contrat, l’intérêt matériel. Il s’agit de la contrepartie reçue en échange de sa propre prestation. On est ici dans la cause de l’obligation, la cause objective. Mais la cause c’est également aussi le mobile ayant conduit à la conclusion du contrat, le motif déterminant de la volonté des parties, c’est la parties,146 son contenu obligationnel bien déterminé, 147 il appartient dans ce cas au juge de faire respecter par le débiteur son obligation de payer. Dans le cas contraire, et en s’appuyant sur la théorie de la cause subjective, un tel engagement pourrait être frappé de caducité. 148 On pourrait également ici invoquer la notion de bonne foi dans l’exécution des obligations contractuelles. La personne qui s’engage à transférer un droit réel immobilier, lorsque toutes les conditions sont réunies, mais qui manque à son obligation, fait preuve de déloyauté dans l’exécution de son obligation. Il est vrai qu’à une époque où l’analyse économique du droit149 fait son apparition dans les pays de tradition juridique française, il ne serait pas hasardeux de voir préférer la rupture du contrat, si le promettant trouve un meilleur prix ailleurs, ou à tout le moins, le paiement de dommages et intérêts. 150 La plupart des auteurs qui se sont intéressés à la question développent des avis divergeant sur la question. D’abord, Amadou Faye, qui après une étude détaillée de la question, tire la conclusion suivante. D’abord, il reconnait la qualité de contrat autonome à la promesse synallagmatique de vente d’immeuble immatriculé, parce que « librement consentie ». Ensuite, et comme pour couper la poire en deux, estime cependant que celle-ci doit être passée par devant notaire. 151 Pour nous, l’auteur ne tire pas toutes les conséquences de ses propres constatations parce que si la promesse de vente en matière immobilière est autonome, cette autonomie doit emporter toutes les conséquences que prévoient les règles d’exécution des obligation, les contrats spéciaux y compris aussi les règles relatives aux immeubles immatriculés. A la faveur d’une décision de la Cour de cassation dans laquelle la Haute juridiction sénégalaise niait toute valeur à la promesse synallagmatique sous seings privées de vente cause du contrat, la cause subjective. V. M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, Contrat et engagement unilatéral, op. cit. pp. 427 et 445. 146 V. art. 322 du Cocc. 147 J. Schmidt- Szalewski, La force obligatoire à l’épreuve des avant-contrats, RTD civ. 2000, p. 25 148 J. Dubarry, L’imprévisible sanction de l’imprévision par la caducité du contrat suite à la disparition de sa cause, Cour de cassation Com. 18 mars 2014, AJCA 2014, p. 78 ; N. Haoulia, La caducité de la promesse synallagmatique de vente à défaut de réalisation d’une condition suspensive, Petites affiches, 21 août 2013, n° 167, p. 12. 149 S. Rousseau, L’analyse économique du droit, D. 2009, p. 352 ; M. –A. Frison-Roche, L’intérêt pour le système juridique de l’analyse économique du droit, Petites affiches, 19 mai 2005, n°99, p. 15 ; L. Grynbaum, Le développement de l’analyse économique du droit : vers un néo-positivisme ? RDC, 1er octobre 2005, n°4, p. 1265 ; G. Canivet, La pertinence de l’analyse économique du droit : le point de vue du juge, Petites affiches, 19 mai 2005, n° 99, p.23 ; B. Deffains, Le défi de l’analyse économique du droit : le point de vue de l’économiste, 19 mai 2005, n° 99, p. 6. 150 D. Mainguy, L’efficacité de l’efficacité de la rétractation de la promesse unilatérale de contracter, D. 2011, p. 1460. 151 A. Faye, Le transfert de propriété dans la vente de l’immeuble en droit sénégalais, op. cit. p. 265. d’immeuble immatriculé, 152 Boubacar Diallo prend nettement le contre-pied de la position de la Cour en plaidant pour une nécessaire distinction de l’avant-contrat, valable sous seings privées, du contrat seul qui doit obéir au formalisme.153 Ce que l’on comprend des critiques fondées de cet auteur, c’est que l’avant-contrat devrait bénéficier d’une certaine autonomie qui ressortit d’une lecture attentive des articles 323, 382 et 383 du Cocc et d’un compréhension claire des notions d’avant-contrat et de contrat telles que consacrées par la théorie générale des obligations. Comme on le constate, entre les auteurs Faye et Diallo, la position est plus tranchée pour le dernier cité qui en appelle même à une Chambre réunie ou à une intervention du législateur « pour une réécriture équivoque de ces textes, pour que vaille la promesse sous seing privé de vente d’immeuble immatriculé !»154 Comme pour mettre un terme à cette controverse, Mayatta Ndiaye Mbaye, parlant des « transactions immobilières au Sénégal » revient sur la « source de la controverse » qui est selon lui « une ambiguïté notionnelle ». En effet, pour cet auteur, la controverse doctrinale vient du fait que le législateur utilise de manière indifférente, notamment à l’article 382 du Cocc, les notions « d’acte », de « contrat » et de « promesse synallagmatique ». Pour l’auteur, toutes ces notions désignent une seule et même convention. Il considère donc que le sens de l’article 382 du Cocc « ne fait l’objet d’aucun doute ».155 En somme, l’auteur n’est pas pour l’autonomie de l’avant-contrat. Au contraire, il estime qu’en matière de transaction immobilière, l’avant-contrat se mue en contrat définitif. Il est le contrat définitif dès l’inscription de la transaction au Livre foncier. » Il poursuit en disant « il n’est donc pas exigé l’accomplissement d’une double formalité : l’établissement d’un acte notarié avant la phase ultime de la transcription de la transaction au Livre foncier…l’avant-contrat qui est le support de l’obligation de parfaire le contrat es dépourvu, seul, d’autre effet. » Cette position doctrinale très séduisante suscite d’autres interrogations. Il semblerait, à lire l’auteur, qu’il n’envisage l’avant-contrat en matière immobilière que comme un dégradé du contrat qui lui doit être notarié. Un avant-contrat non notarié ne vaut. L’auteur semble consentir une parcelle de vie à l’avant-contrat que dans une sorte de réduction pour excès. ns qui est la réduction pour excès. Parce que les parties n’ont pas procédé par acte authentique, 152 « Attendu qu’en vertu de ces textes d’ordre public (articles 323, 382 et 383 du Cocc), la vente et la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé, ainsi que la procuration donnée pour conclure de tels actes doivent, à peine de nullité absolue, être passées par devant notaire. » V. Arrêt de la Cour suprême (ex. Cour de cassation) n° 79 du 16 juillet 2008, Aliou Bathily c/ Abdoul Diallo. Inédit. 153 B. Diallo, Promesse sous seings privées de vente d’immeuble immatriculé ne vaut ? Observations sur CS Sénégal n° 79 du 16 juillet 2008, Aliou Bathily c/ Abdoul Diallo, Revue Droit et ville, n° 71, 2011, pp. 175-197 154 Ibid. 155 Mayatta Ndiaye Mbaye, Les transactions immobilières en droit sénégalais, op. cit. p. 531. donc leur convention reste un avant-contrat.156 Cette interprétation laisse perplexe parce qu’elle semble ne pas prendre en compte la situation des parties qui souhaitent procéder en deux étapes, d’abord en concluant un avant-contrat, attendant peut-être, un concours bancaire, ensuite passer devant le notaire pour parfaire le contrat. On ne saurait exclure la possibilité, en matière immobilière de l’avant-contrat. « L’ambiguïté notionnelle » ne devrait pas exister si l’on retournait à la théorie générale du contrat et que l’on acceptait de rendre à chacune de ces notions son sens véritable, son autonomie. D’ailleurs, l’article 323 du Cocc semble prendre en compte cette préoccupation lorsque le législateur y déclare que « la promesse synallagmatique est une vente parfaite lorsque le contrat peut être passé librement. » Cet alinéa consacre simplement que la promesse de vente vaut vente lorsque les parties sont d’accord sur le prix et la chose. Cependant, comme dans le souci de prendre en compte certaines ventes particulières, comme en matière immobilière, le législateur précise que « dans le cas contraire, elle oblige les parties à parfaire le contrat en accomplissant les formalités nécessaires à sa formation ». Le mot est lâché, « parfaire le contrat ». L’essentiel de la controverse doctrinale relevée tourne autour de cette notion. Un auteur comme Mayatta N. Mbaye en a une idée plus technique parce que ne semblant prendre en compte que la logique du droit immobilier. Ainsi, il estime que parfaire le contrat implique uniquement l’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété et des droits fonciers. Mais un autre entendement de la perfection du contrat pourrait être proposé et qui serait sans doute conforme aux idées développées par Boubacar Diallo et Amadou Faye, ce qui est parfait c’est « ce qui est fait jusqu’au bout, totalement. ». En matière immobilière, l’avant-contrat ne va pas jusqu’au bout, donc il n’est pas un acte parfait, il s’agit d’un acte préparatoire. Pour aller jusqu’au bout, il faudrait passer l’acte de vente devant notaire, pour assurer la formation du contrat. En effet, le formalisme imposé par le législateur commence à poindre lorsque les parties décident de conclure un contrat. Par la suite, les parties doivent satisfaire une autre formalité à savoir à l’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété et des droits fonciers dont découle deux conséquences : opposabilité de la transaction aux tiers et l’exécution de l’obligation de donner, à savoir la délivrance qui s’entend ici du transfert de droit réel organisé par l’article 381 du Cocc. Cette grande divergence doctrinal a été favorisée par une jurisprudence diverse, variée sur la question. 156 « En tant que contrat solennel, la transaction immobilière reste objectivement un avant-contrat tant que l publicité foncière n’a pas été accomplie. Ce qui consiste donc à dire que le contrat n’est définitif que si l’avantcontrat fait l’objet d’une perfection qui en fait un contrat définitif » V. Mayatta Ndiaye Mbaye, op. cit. p. 533. 2. Les interprétations prétoriennes Une valse-hésitation a caractérisé la jurisprudence sénégalaise sur la question de l’interprétation des articles 382 et 383 du Cocc notamment. Aussi bien les juridictions du fond, plus précisément la Cour d’appel de Dakar, que le juge du droit, la Cour suprême, ont eu une lecture équivoque du Cocc en la matière. En effet, les juges du fond et le juges du droit ont tantôt dit une chose, tantôt dit le contraire. Il était temps que la Chambre réunie de la Cour suprême vienne tirer le rideau final en signe de dernier acte d’une pièce qui n’a que trop duré. Entre les juges du fond et la Cour suprême, la question longtemps discutée était de savoir s’il fallait consacrer l’autonomie de la promesse de vente d’immeuble immatriculé ? De la réponse négative ou positive à cette question dépendait la classification engendrée par cette obligation, entre obligation de faire ou obligation de donner. Sans pouvoir retracer ici toutes les décisions nombreuses rendues sur la question, quelques-unes des plus illustratives sont rappelées ici. Sur la question de la perfection du contrat, une juridiction du fond a estimé que la perfection du contrat obligeait les parties à procéder en deux temps d’abord en passant par devant notaire, ensuite en accomplissant les formalités d’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété et des droits fonciers. 157 Pour les juges du fond, la promesse de contrat ne fait peser sur les parties qu’une obligation de faire et ne saurait à elle seule entrainer le transfert de la propriété des immeubles promis à la vente. Une telle décision est plus que surprenante puisqu’elle ne prend pas suffisamment en compte l’objet du contrat, à savoir la promesse de vente. A supposer même que cette obligation, selon son objet, est une obligation de faire, la Haute juridiction sénégalaise pourrait s’inspirer de son homologue français qui a jugé que l’exécution forcée en nature d’un avant-contrat était possible malgré la barrière que représente l’article 1142 du Code civil. 158 C’est pourquoi, et sans aucune surprise, cette décision de la Cour d’appel de Dakar fut déférée à la censure de la Cour de Cassation. Le moyen unique du pourvoi était fondé sur la violation de la loi notamment les articles 3, 4 et 5 du Cocc en ce que les juges du fond considéraient que la perfection de la vente était une obligation de faire que par suite, le débiteur ne pouvait être contraint à transférer la propriété du bien immeuble. Au visa des articles 3, 4 et 5 du Cocc, la Haute juridiction sénégalaise considérât que le débiteur était bien tenu d’une obligation de donner et 157 158 CA Dakar, n° 21 du 15 janvier 2004. Inédit. D. Mazeaud, Exécution forcée en nature des avant-contrats, RDC, 1er octobre 2006, n° 4, p. 1080. devait délivrer la chose en tenant compte des dispositions propres aux contrats spéciaux, les dispositions particulières à la propriété foncière et immeubles immatriculés. 159 Plusieurs enseignements peuvent tirés de cette décision. D’abord, la Cour fait une analyse en termes d’obligation de donner. Elle considère que le promettant est débiteur de l’obligation de transférer la propriété dans une promesse synallagmatique de vente. Pour ce faire, elle convoque les dispositions des articles 3 portant sur la classification des obligations selon leur objet, ensuite l’article 4 sur l’obligation de donner et enfin l’article 5 sur l’exécution de l’obligation de donner par la délivrance. Ce faisant, elle donne un ancrage théorique et réel à sa décision. Une telle position de la Cour doit –elle saluer puisqu’en plus de donner vie à des dispositions qui peuvent paraitre les parents pauvres du Cocc, la Haute juridiction donne une vie juridique à l’avant-contrat. L’autre enseignement que l’on peut tirer de cet arrêt est qu’en considérant que la promesse de vente d’immeuble engendre une obligation de donner et non une obligation de faire, la Cour de cassation censure la Cour d’appel qui estimait que la violation de la promesse de vente, en tant qu’obligation de faire, ne pouvait ouvrir droit qu’à des dommages et intérêts, mais surtout confirme la possibilité d’une exécution forcée de la promesse de vente d’immeuble immatriculé. Ce qui est sommes toutes logique dans la mesure oü il s’agit de l’exécution d’une obligation de donner. En renvoyant à la Cour d’appel de Dakar autrement composée pour qu’il soit à nouveau statuer sur l’affaire, la Haute juridiction ne pensait pas que celle-ci allait résister en confirmant sa position. Ainsi, l’arrêt de la Cour d’appel de Dakar, rendu dans la même affaire et entre les mêmes parties procédant en la même qualité, sera attaqué par l’un des moyens formulés au premier arrêt la chambre civile qui dû ainsi, par un arrêt de renvoi, saisir les chambres réunies de la Cour de cassation. 160 Par décision en date du 19 juin 2012, 161 les Chambres Réunies de la Cour suprême rejettent le pourvoi en ces termes « Mais attendu que, contrairement à la jurisprudence invoquée par le moyen, les dispositions des article 321, 322, 323, 382 et 383 du COCC n’exigent aucune forme particulière pour la validité de la promesse synallagmatique de contrat ou avant contrat qu’il faut distinguer du contrat, lequel, lorsqu’il s’agit d’un immeuble immatriculé, doit être passé, à peine de nullité absolue, par devant le 159 Cour de cassation du Sénégal. La société Express transit c/La compagnie bancaire de l’Afrique occidentale, arrêt n° 19 du 16 janvier 2008. Disponible à l’adresse http://ww.coursupreme.sn/images/Juris/Civcom/BACS16/BACS16CIV_N19_16_01_2008.pdf consulté le 10 novembre 2014. 160 V. art. 53 de la loi 2008-35 sur la Cour suprême. 161 Cour suprême du Sénégal, arrêt n° 11 du 19 juin 2012, CBAO c/ Express Transit. Inédit. notaire sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ; que la promesse synallagmatique de contrat oblige les parties à parfaire le contrat ; Et attendu qu’en ordonnant la perfection de la vente, après avoir relevé que « l’engagement de la CBAO de céder les TF N°s 81/DP et 3409/DG à l’Express Transit et la levée de l’option par cette dernière constituent une promesse synallagmatique de contrat qui oblige les parties à parfaire le contrat », la cour d’appel, loin de violer les textes visés au moyen, en a fait l’exacte application. Cet arrêt de principe, parce que rendu par les Chambres réunies de la Cour suprême, sonne le glas de toute velléité de résistance de la part des juges du fond. 162 En effet, les Chambres réunies viennent adouber la première chambre civile dans son premier arrêt CBAO c/ Express rendu par la Chambre civile dans l’affirmation de l’assimilation de la promesse de vente d’un immeuble immatriculé à une obligation de donner. Mais surtout les Chambres réunies ont rendu une décision de haute portée pédagogique. A travers les termes utilisés dans sa décision, la Haute juridiction a entendu mettre fin à la politique doctrinale et jurisprudentielle. Les juges du droit disent d’abord « les dispositions des articles 321, 322, 323, 382 et 383 n’exigent aucune forme particulière pour la validité de la promesse synallagmatique de contrat ou avant-contrat qu’il faut distinguer du contrat… » Avec cette affirmation, la Cour consacre l’autonomie de la promesse de contrat ou avant-contrat, qui ne nécessite aucune forme particulière pour sa validité. Une autonomie par rapport au contrat définitif qui, lorsqu’il s’agit d’un immeuble immatriculé, doit être passé, par-devant notaire, sous peine de nullité absolue. L’autonomie des deux conventions induit l’obligation pour les promettants de parfaire le contrat. Cette perfection étant entendue au sens de la Chambre civile statuant dans l’affaire CBAO c/ Express transit. Avec cette décision des Chambres réunies, on peut désormais considérer que la promesse de vente d’immeuble immatriculé n’est plus ce serpent de mer dont l’autonomie, voire l’existence pouvait être contestée. 163 Il est vrai, la sécurité est une valeur recherchée dans une économie, mais peut-on attendre du juge du droit une interprétation de dispositions claires et précises ? Mais pour éviter encore les controverses, le législateur à meilleur temps de procéder à une modification de la loi. 162 V. art. 54 de la loi 2008-35 sur la Cour suprême. Un auteur comme Mayatta Ndiaye Mbaye estime que « l’impact de cette décision reste insignifiant dans la pratique. En effet, l’affirmation nette d’une solution par la Cour suprême ne suffit pas à donner à la solution jurisprudentielle le caractère de norme juridique établie ; faut-il encore l’assentiment donné à la solution par les intéressés ». V. Mayatta Ndiaye Mbaye, Les transactions immobilières au Sénégal, op. cit. p. 543. 163 Par ailleurs, la consécration de l’autonomie de la promesse de vente d’immeuble immatriculé à laquelle appelait la doctrine 164 devrait désormais permettre une meilleure protection des intérêts du créancier de la promesse de vente. Sans nier le rôle important du notaire dans la sécurisation des transactions immobilières, la possibilité désormais ouverte par la Haute juridiction d’une exécution forcée de la promesse de vente d’immeuble immatriculé va faciliter l’exécution volontaire de cet avant-contrat. 164 V. Boubacar Diallo, op. cit.