La retractation de rengagement

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La retractation de rengagement
Juridique Entreprise et expertise
La rétractation de l’engagement
unilatéral en droit des sociétés
Les engagements unilatéraux rythment la
vie des sociétés et se présentent sous de
nombreuses formes : promesse unilatérale
de cession d’actions, de porte-fort, pacte de
préférence…
Par Jean-Pierre
Thuillant,
avocat associé,
DS Avocats
D
e récentes décisions rendues en matière de
promesses unilatérales de ventes risquent pourtant de venir en affaiblir leur portée.
1. La rétractation du promettant
Depuis un arrêt du 15 décembre 19931, la 3e chambre
civile avait retenu que : «Tant que les bénéficiaires
n’avaient pas déclaré acquérir, l’obligation de la promettante ne constituait qu’une obligation de faire et que
la levée de l’option postérieure à la rétractation de la
promettante, excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir.»
Cette position qui constituait un revirement inattendu
avait été considérée par la doctrine comme un arrêt de
circonstance et un arrêt de la même 3e chambre civile du
8 septembre 2010 n° 09-13.345 était venu redonner de
l’espoir il est vrai dans des circonstances particulières, le
promettant étant décédé avant la date de levée d’option.
Après de nombreux rebondissements2 et quelques
résistance de cour d’appel, la Cour de cassation vient de
confirmer dans deux arrêts sa position de 1993 (Cass. 3e
civ. 11 mai 2011 et Cass. com. 13 septembre 20113 retenant pour la première fois cette solution en matière de
promesse unilatérale de cession d’actions, limitant ainsi
l’efficacité des promesses unilatérales de ventes.
L’intérêt de ces deux arrêts réside notamment dans le
fait que la chambre commerciale s’aligne sur la position
de la chambre civile faisant perdre ainsi tout espoir qui
aurait pu naître d’une divergence entre chambre civile et
commerciale, tranchée par l’assemblée plénière.
avec la collaboration
de Gwenaëlle de Girval
2. Le sort des engagements unilatéraux
Les récentes décisions rendues en matière de promesses
unilatérales de ventes peuvent-elles être étendues à tous
les engagements unilatéraux ?
Dans un pacte de préférence, le promettant s’engage
unilatéralement à ne pas céder les titres avant de les
avoir proposés au bénéficiaire. Depuis 20064, la Cour de
cassation considère que le non-respect du pacte peut être
sanctionné par la nullité de la cession passée en violation
du pacte et la substitution du bénéficiaire du pacte à l’acquéreur. Il semble improbable que les récentes décisions
rendues en matière de promesses unilatérales de ventes
portent atteinte à la position de la Cour. L’efficacité des
pactes de préférence semble dès lors garantie.
Dans la promesse de porte-fort, le promettant s’engage
unilatéralement envers le bénéficiaire à faire ratifier ou
exécuter un acte ou une action par un tiers. Il promet
le fait d’un tiers qui peut refuser de tenir l’engagement.
Le non-respect de son engagement par le promettant ne
peut être sanctionné que par l’allocation de dommages et
intérêts5. En effet, le tiers peut refuser de céder les titres
et il n’est pas possible de le forcer à les céder puisque tant
qu’il n’a pas ratifié la promesse il n’est pas engagé. La solution applicable en matière de promesses unilatérales de
ventes s’applique donc en ce sens que le promettant peut
se dégager de sa promesse mais sa justification, la nonratification du tiers ou son refus, est née du texte même
de l’article 1120 du Code civil qui en prévoit les sanctions.
Un pacte de non-acquisition s’analyse comme l’engagement unilatéral de ne pas acquérir les titres d’une société.
1. Cass. 3e civ. 15 décembre 1993, n° 91-10.199.
2. Cass. 3e civ. 28 octobre 2003, n° 02-14.459 ; Cass. 3e civ. 25 mars 2009, n° 08-12.237 ; Cass. 3e civ. 8 septembre 2010, n° 09-13.345.
3. Cass. 3e civ. 11 mai 2011, n° 10-12.875, Cass. com., 13 septembre 2011, n° 10-19.526. A contrario, dans un arrêt du 6 septembre 2011 (n° 10-20.362),
la 3e chambre avait semé le trouble en retenant que malgré la rétractation du promettant la levée de l’option devait produire son effet. Mais la portée est encore
incertaine (JCPG, n° 48, 28 novembre 2011 p. 1316 «Promesse unilatérale de contracter : un revirement à petits pas feutrés», L. Perdrix ; Dalloz 2012, p. 231 «De la
prétendue rétractation du promettant dans la promesse unilatérale de vente ou pourquoi le mauvais usage d’un concept inadapté doit être banni»,
N. Molfessis).
4. Cass. chbre mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376.
5. Cass. 1re civ. 26 novembre 1975, n° 10.356.
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La Cour de cassation6 a récemment refusé de sanctionner
la violation d’un tel pacte par la cession forcée des titres
acquis en violation dudit pacte au motif que cela aurait
augmenté la participation du demandeur dans la SA ce
qui portait atteinte au principe
de réparation intégrale du
S’il ne semble pas que
préjudice. Cependant, la Cour
admet implicitement, par réféles décisions rendues en
rence à l’article 1143 du Code
matière de promesses
civil7, que la cession passée
en violation d’une obligation
unilatérales de ventes
de ne pas faire puisse être
puissent altérer l’efficacité
annulée pour rétablir la situation dans laquelle se seraient
de tous les engagements
trouvées les parties s’il n’y avait
unilatéraux, elles risquent
pas eu de violation du pacte.
L’engagement unilatéral issu
en revanche de perturber
d’un pacte de non-acquisition
le bon déroulement des
est de nature différente de celui
issu de la promesse unilatérale
cessions d’actions.
de ventes puisqu’il consiste à
ne pas acquérir et pose alors en
priorité la question de la nullité de l’acte passé en violation du pacte, nullité acceptée par la Cour de cassation.
La nature de l’engagement unilatéral étant différente et la
sanction de sa violation étant expressément prévue par
le législateur il semble peu probable que les décisions
rendues en matière de promesses unilatérales de ventes
affectent l’efficacité du pacte de non-acquisition.
Par la clause de «buy or sell» un actionnaire s’engage
unilatéralement à racheter les titres d’un autre actionnaire si ce dernier refuse son offre de vente. La cour
6. Cass.Com.,
d’appel de Paris8 a déjà accepté l’exécution forcée d’une
24 mai 2011, n° 10telle clause dans un cas où les titres n’avaient pas été
24.869.
7. Article 1143
cédés à un tiers car «aucune impossibilité matérielle,
du Code Civil :
juridique ni morale ne lui fait obstacle, le débiteur de
«Néanmoins le
créancier a le droit
l’obligation étant demeuré propriétaire des tires (…)».
de demander que
Bien qu’actuellement encore citée par certains auteurs,
ce qui aurait été fait
par contravention à
cette décision a été rendue en 2001 et peut donc être
l’engagement, soit
affectée par les récentes décisions rendues en matière de
détruit ; et il peut
se faire autoriser
promesses unilatérales de ventes.
à le détruire au
dépens du débiteur,
sans préjudice
des dommages et
intérêts s’il y a lieu».
8. CA Paris,
21 décembre 2001,
n° 2001/09384 «SA
Banque de Vizille c/
Sté MGP Finance et
autre».
9. Cass. 3e civ.
27 mars 2008, n° 0711.721.
10. Bull. Joly
Sociétés, sept. 2011
«Faut-il désespérer
des promesses
unilatérales
de contrat ?»,
D. Mazeaud.
11. Cass.Com.
18 janvier 2011,
n° 09-16.863.
3. Les moyens visant à assurer l’efficacité
des engagements unilatéraux
S’il ne semble pas que les décisions rendues en matière
de promesses unilatérales de ventes puissent altérer l’efficacité de tous les engagements unilatéraux elles risquent
en revanche de perturber le bon déroulement des
cessions d’actions. En effet, ces promesses sont présentes
à chaque fois qu’une cession d’action est étalée dans le
temps. Il faut donc prévoir des mécanismes pour tenter
de garantir leur efficacité.
Un premier moyen consiste à insérer dans le contrat une
clause de formation et d’exécution forcée. La validité
d’une clause d’exécution forcée a été approuvée par la
Cour de cassation dans un arrêt du 27 mars 20089.
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Il est cependant important de prévoir à la fois une clause
de formation et d’exécution forcée du contrat, car dans
ses arrêts récents la Cour de cassation ne se fonde plus
sur l’article 1142 du Code civil mais uniquement sur les
articles 1101 et 1134 pour refuser l’exécution forcée.
Denis Mazeaud propose la clause suivante : «Par le
présent contrat de promesse unilatérale, les parties
conviennent que la formation du contrat promis dorénavant est exclusivement subordonnée au consentement
du bénéficiaire, indépendamment du comportement du
promettant. Le promettant reconnaît que la rétractation
de son consentement, avant l’expiration du délai d’option, serait dépourvue de tout effet sur la conclusion du
contrat promis, et accepte s’il refuse de prêter concours
à la réalisation de l’acte authentique, que celle-ci puisse
être judiciairement constatée10.»
Il peut également être intéressant d’insérer dans le contrat
une clause de dédit ou une clause pénale. Ces clauses ne
sont pas aussi efficaces qu’une clause de formation ou
d’exécution forcée, puisqu’elles n’ont qu’une dimension
indemnitaire, mais peuvent avoir un effet dissuasif sur
les parties.
La clause pénale est révisable par le juge mais ce n’est
pas le cas de la clause de dédit. La chambre commerciale
de la Cour de cassation11 veille au respect de la distinction entre les deux clauses et se refuse à requalifier en
clauses pénales révisables les clauses de dédit portant
une indemnité élevée.
Les cocontractants pourront également décider de
recourir à la fiducie. Le fiduciaire, chargé de l’administration des titres, aurait pour obligation de les transférer
au bénéficiaire de la promesse lors de la levée de l’option,
sans pouvoir recevoir de contre-ordre conçu unilatéralement par le fiduciant.
Dans l’hypothèse d’un pacte d’actionnaire, la société peut
intervenir au pacte. L’idée est de faire signer le pacte par
la société, de la faire intervenir ou de lui notifier le pacte.
Cette technique pourrait être utile s’agissant de s’opposer
à un transfert de propriété des titres en refusant de
procéder aux mouvements de titres sur son registre, en
revanche il est plus difficile de voir en quoi elle pourrait
forcer un tel transfert.
Enfin, il peut être décidé que le pacte d’actionnaire sera
détenu par un tiers. Le tiers sera chargé, sous sa propre
responsabilité de procéder aux inscriptions dans les
registres de mouvements de titres et comptes d’actionnaires de la société émettrice, après vérification de la
conformité desdits mouvements aux dispositions du
pacte d’actionnaire.
Ce dispositif peut permettre de limiter les conséquences
immédiates de l’infraction au pacte d’actionnaire et
également, si nécessaire, de faciliter la démonstration de
la mauvaise foi du tiers. Une de ses limites est la question de la révocabilité du mandat, mais il existe plusieurs
moyens de pallier cette difficulté. Il est à craindre que
peu de professionnels voudront se lancer dans cette
mission à risque. n