Conflit fémoro-patellaire

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SAMEDI MATIN
ATELIER C5
ACFM
EXAMEN DU GENOU DOULOUREUX SANS ANTÉCÉDENT TRAUMATIQUE
Yves Demarais, Bernard Desnus, Philippe Le Van et Didier Rousseau.
Conflit fémoro-patellaire
Quel diagnostic étiologique ?
Souvent appelé syndrome rotulien, c’est l’une des pathologies les plus fréquentes
du genou non traumatique.1, 2 Sont concernés aussi bien le sportif que le sédentaire.
Bernard Desnus, médecin généraliste, médecin du sport, médecin de l’INSEP, 94300 Vincennes,
chargé du dossier Traumatologie à l’ACFM. [email protected]
Douleur de la face
antérieure du genou
Cette douleur (ou gêne) survient dans
les escaliers, en position assise prolongée, accroupi ou en se relevant, ou
encore, lors de la course à pied, d’où son
nom de « genou du coureur ». Son installation est parfois retardée comme
après la descente ou la montée sur un
sol peu stable au cours d’une course en
montagne. Cette symptomatologie est
souvent spontanément décrite par le
patient.
L’examen clinique est identique à celui
du genou traumatique testant l’ensemble des structures anatomiques.3 Les
signes positifs sont : douleur à la pression de la rotule, test d’appréhension
(Smilie), test du rabot, sensibilité des
(ou d’une) faces postérieures de la
rotule, et sensibilité d’une (ou des)
crête(s) condylienne(s). Le côté opposé
est aussi examiné, pour relativiser la
sensibilité et la laxité propres à chaque
patient.
Le traitement symptomatique2 comporte l’exclusion temporaire des activités douloureuses avec des propositions
alternatives pour le sportif (vélo, nage
libre) ou la réduction de ces activités en
deçà du temps où apparaît la douleur
par fatigabilité. Le glaçage est souvent
préconisé comme antalgique. La kinésithérapie axée sur le renforcement
du quadriceps est efficace. Certains
préconisent le port de semelles orthopédiques, qui donne parfois satisfaction
aux patients. Les AINS sont souvent utilisés sans avoir apporté la preuve de leur
efficacité.2
Cependant, le traitement symptomatique ne semble pas améliorer le devenir
à long terme des patients en comparaison avec ceux sous placebo dont les deux
tiers s’améliorent spontanément.4 Mais
le dernier tiers conserve des troubles
fonctionnels 7 ans après ; l’exploration
par IRM montre alors : 19 % de lésion
modérée et 5 % de sévère, évoquant une
relation éventuelle entre le conflit
fémoro-patellaire et l’arthrose fémoropatellaire. Alors, quel traitement étiologique préconiser ?
Diagnostic étiologique
Le mécanisme du syndrome rotulien est
sujet à de nombreuses controverses .5-7
Souvent, sont évoqués soit des défauts
d’alignement de la rotule dans le rail des
condyles par genu varus ou genu valgus,
une anomalie du fémur ou du tibia, soit
une anomalie du complexe femoropatellaire due à une patella plana, des
crêtes condyliennes réduites, des laxités
des ailerons.1, 2, 7 Mais ces anomalies sont,
d’une part, peu corrélées au syndrome
rotulien1, 2 et, d’autre part, elles ne peuvent être suspectées quand elles apparaissent plusieurs années après la
puberté sans que le patient ait changé
d’activité (comme l’adoption d’un facteur
déclenchant, telle que la pratique
récente de la course à pied). Elles sont
souvent symétriques, alors que le syndrome ne se manifeste bilatéralement
qu’une fois sur dix et ne le devient qu’une
fois sur quatre.4
D’autres auteurs1, 8 ont évoqué la responsabilité de l’extrémité du membre
inférieur, soit par pathologie locale
(pied plat) soit du fait d’une semelle ou
chaussure mal adaptées chez le coureur
à pied (pronation du pied avec rotation
interne du fémur ou du tibia). Ces
pathologies n’apparaîtraient qu’à la
course et tardivement à la marche.
Mais quelle que soit l’étiologie, la douleur n’apparaît que lorsque le genou est
en flexion. Cette situation se caractérise
par une force pouvant atteindre jusqu’à
7 fois le poids du corps, répartie sur une
surface de contact femoro-patellaire
inférieur à 4 cm2,5 mais aussi par une
mobilité du tibia de 30° en rotatoire
interne et de 40° en externe ;7 les ligaments croisés et latéraux n’assurant plus
le verrouillage rotatoire, une mobilité
en varus ou valgus est permise par les
ligaments latéraux détendus, contrairement à la position en extension.5, 7 En
conséquence, en cas de désynchronisation entre la position du tibia et l’activité
musculaire, la rotule peut se trouver
désaxée avec un contact fémoral réduit
et de fortes pressions dépassant les
limites physiologiques des cartilages.
Il est probable que la cause soit multifactorielle et que des facteurs morphologiques tels qu’une anomalie de l’angle Q
(figure) favorisent l’apparition du syndrome lorsque les schémas moteurs de
LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 22 l N° 806 l 30 SEPTEMBRE 2008
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DR
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B
A
C
Figure – A : mise en évidence de l’angle Q. B : position du genou au cours des différentes
activités. C : genou en flexion.
l’appui sur le sol avec le genou fléchi
modifient l’angle d’ouverture du pied et
la rotation tibiale.
L’instabilité et la douleur semblent être
les deux causes de modification de ces
schémas moteurs. L’instabilité peut provenir de la qualité du sol (pente, sol glissant), mais aussi des fréquentes séquelles
d’entorse responsables d’instabilités
fonctionnelles.9 Dans ces cas, la rotule se
désaxe vers l’extérieur.
L’hallux valgus douloureux, l’aponévrosite plantaire ou toute autre pathologie
douloureuse du premier rayon du pied,
modifient le déroulement du pied, désaxant la rotule vers l’intérieur.
Mais ces mécanismes sont aussi trouvés
avec des chaussures de ville ou de sport,
inadaptées ou usées, ou encore avec des
semelles orthopédiques inappropriées.
Examiner d’abord cheville,
pied et chaussure
L’examen global du membre inférieur,
est nécessaire et tout particulièrement
celui du pied (interrogatoire, inspection
et testing) et de la cheville.
Les pathologies de la cheville sont parfois
identifiées par l’interrogatoire, le patient
ayant observé que sa cheville se tordait
ou « était fragile ». Le plus souvent, les
entorses chroniques bénignes sont normalisées et oubliées : on trouve alors une
sensibilité à la palpation du faisceau
antérieur du ligament latéral externe,
mais surtout une instabilité relative par
rapport au côté opposé, en testant sa stabilité en monopodal, d’abord les yeux
ouverts puis les yeux fermés. Ce test peut
s’effectuer pieds nus, mais il est parfois
intéressant de constater l’instabilité
provoquée par une chaussure mal
conçue ou usagée.
Quelquefois le patient a lui-même
constaté à la marche et/ou à la course
une asymétrie de l’ouverture de ses
pieds.
Devant les causes multiples du conflit
fémoro-patellaire, comment apprécier
la responsabilité d’une pathologie du
pied, de la cheville ou de la chaussure ?
Mécaniquement, la relation de cause à
effet n’est pas improbable. De nombreux programmes de renforcement du
quadriceps participent à la rééducation
proprioceptive de la cheville, en comprenant des exercices en monopodal.
Mais l’examen du membre inférieur
s’effectue en comparaison avec le côté
opposé. En présence d’un syndrome
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rotulien unilatéral associé, du même
côté, à une pathologie du pied ou de la
cheville ou encore à une chaussure inadaptée, la probabilité selon laquelle l’association est due au hasard est de 25 % ;
elle n’est que de 3,3 % si nous prenons en
compte dans le calcul que la prévalence
des anomalies de l’extrêmité du membre
(pathologies pied ou cheville, anomalies
de chaussure) est de l’ordre de 10 % dans
la population. La mise en évidence que
la cause précède l’effet augmente encore
la probabilité d’une association causale.
Le même raisonnement s’applique
lorsque le syndrome rotulien est bilatéral et qu’une pathologie identique
est observée aux deux extrémités des
membres inférieurs.
Conclusion
Explorer d’abord le pied, la cheville et
les chaussures est souhaitable avant de
prescrire l’imagerie (radiologie, scanner, arthro-Scan ou IRM), qui souvent
n’apporte pas d’argument pour le choix
du traitement. ●
RÉFÉRENCES
1. Juhn MS. Patellofemoral pain syndrome: a review
and guidelines for treatment. Am Fam Physician
1999;60:2012-22.
2. Dixit S, Difiori J, Burton M, Mines B. Management of patellofemoral pain syndrome. Am Fam
Physician 2007;75:194-202.
3. Desnus B. Le genou traumatique : quel examen
clinique. Rev Prat Med Gen 2007;21:1025-6.
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5. Bonnel F, Canovas F, Dusserre F. Patella et appareil extenseur du genou : anatomie-physiologie du
frein hydraulique tridimensionnel. Cahiers d’enseignement de la SOFCOT 1999;71:4-20.
6. Viel E, Asencio G, Blanc Y, et al. La marche
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7. Kapandji Ai. Physiologie articulaire, membre inférieur. Paris: Maloine; 1965.
8. Powers C. The influence of altered lower-extremity kinematics on patellofemoral joint dysfunction: a theoretical perspective. J Orthop Sports Phys
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9. Freeman M. Instability of foot after injuries to
the lateral ligament of the ankle. J Bone Joint Surg
Br 1965;47:669-77.
L’auteur déclare n’avoir aucun
conflit d’intérêts concernant cet article.