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Avant de commencer cette conférence consacrée aux gens du voyage, nous avons dès le début de cette tenue écouté successivement : - MINOR SWING interprété par REINHARDT-GRAPELLI - POR EL CAMINO DE RONDA par MANISTAS DE PLATA et - LES NOMADES par JEAN FERRAT Au cours de celle-ci et en mémoire aux nombreuses victimes de cette communauté pendant la seconde guerre mondiale, nous écouterons pendant quelques instants un extrait de l’hymne Rom. L’idée m’est venue après avoir assisté à une soirée débat le jeudi 28 février 2013 au Centre d’animation de Beaulieu organisée par la section de Poitiers de la L.D.H. et l’association départementale pour l’accueil et la formation des gens du voyage, ayant comme thème « gens du voyage, du mythe à la réalité ». Cette réunion a été un succès vu le nombre important de participants et en particulier celui de la jeunesse. Une première occasion de favoriser la rencontre entre voyageurs et sédentaires bientôt concernés par l’implantation d’un centre d’accueil prochainement installé dans le quartier de Beaulieu. Une telle rencontre permettra dans un proche avenir de faciliter la cohabitation et d’apaiser les litiges de voisinage. Avant de retracer l’historique, les discriminations, les modes de vie des gens du voyage, appellation administrative qui ne colle pas à leur diversité, permettez-moi de citer l’intervention de Christian QUELLA, ancien directeur de l’APAPGV86, qui, lors de cette réunion, signale que les gens du voyage se protègent de l’extérieur car ils ont pendant toute leur histoire de plus de 600 ans en Europe souffert des rejets des populations sédentaires. Dans notre région, je cite encore l’orateur, « ils travaillent sur les marchés dans la région Poitou-Charentes, qui, sans leur présence, auraient depuis longtemps disparu. Ils effectuent aussi comme main d’œuvre temporaire et en sous-traitance les réparations sur les pylônes électriques, dans les centrales nucléaires et dans bien d’autres travaux industriels et du bâtiment ». Ils pratiquent bien entendu des activités plus traditionnelles, la vannerie, le rempaillage des chaises, la récupération des métaux, le nettoyage des tuiles et des cheminées, le maraîchage et tous les métiers que chacun de nous exercent. Bien entendu, ils touchent comme citoyens résidants en France qu’ils soient français ou non les indemnités de chômage, les allocations familiales et autres allocations sociales, ce qui est parfaitement normal. Leurs caravanes, lieu d’habitation mobile, ne peuvent être tractées et déplacées que par une voiture de grosse cylindrée, ce qui fait souvent des envieux et interroge parmi la population sédentaire, mais le coût d’investissement caravane-voiture dépasse rarement les 100 000 €. La question que devraient se poser les personnes sédentaires et qui se permettent de telle réflexion est : « Qui est le plus riche, eux ou celui qui souvent est propriétaire d’une habitation fixe, possédant aussi une voiture et autres biens » Comme tout citoyen, ils s’endettent mais souvent à un taux d’intérêt beaucoup plus élevé, les banquiers ne leur accordant pas facilement des crédits, compte tenu de leur mobilité. « Il faut déconstruire les préjugés sur les gens du voyage » se permet d’insister Malik SALEMBOUR, vice-président de la L.D.H., association qui agit pour que les citoyens français en itinérance aient les mêmes droits que les autres et que leurs spécificités soient prises en compte. La loi, d’après les 2 intervenants, pourrait évoluer en ce sens car il existe encore une législation discriminatoire, malgré les nouvelles mesures prises par le Conseil constitutionnel le 5 octobre 2012 : cette mesure particulièrement discriminatoire nécessite de justifier de trois ans de rattachement ininterrompu à la même commune pour l’inscription sur les listes électorales. Aujourd’hui, le droit d’inscription doit être ramené de trois ans à six mois comme pour n’importe quel citoyen français. Ont également été abrogés les carnets de circulation qui devaient être visés tous les trois mois, sans quoi les intéressés pouvaient être passibles d’une peine d’emprisonnement. Ils restent toutefois assujettis à un livret de circulation et sont dans l’obligation d’être rattachés à une commune. Ces mesures sont bien sûr une amélioration, mais de nombreuses associations et le syndicat de la magistrature continuent de réclamer une égalité totale de droits entre tous les citoyens. Les gens du voyage, malgré une loi de 2000 non appliquée par la majorité des maires de France qui estiment que la caravane n’est pas considérée comme un habitat normal, considère qu’il existe toujours une discrimination de fait : - pas d’accès à certaines aides comme l’A.P.L., assurances sur-bonifiées, prêts à l’acquisition à des taux plus élevés. C’est pourquoi, il y a lieu de modifier le Code de l’Urbanisme afin d’imposer la prise en compte effective de ce mode d’habitat dans les documents d’urbanisme au même titre que l’habitat individuel, collectif ou de loisirs facilitant ainsi l’intégration et la reconnaissance de ces communautés. Le terme « gens du voyage » est une appellation administrative mise en place en 1972 par deux décrets qui se référaient à la loi du 3 janvier 1969 pour désigner les populations ayant une activité économique ambulante et sans domicile fixe. Dans la pratique, ce terme générique fait référence à des populations qui s’auto-désignent « Roms, Manouches, Gitans, Tziganes, gens du voyage et aussi nomades, Romanichels ». La variété des appellations est le reflet de la diversité des populations concernées, leurs dénominations sont aussi multiples que leur histoire et leur culture méconnues. 2 Le peuple tzigane est parti il y a longtemps vers les 8ème et 9ème siècles du nord de l’Inde, c’est la seule information sûre. Leur départ de ce pays reste un mystère lié peut-être à l’échelle sociale sur laquelle ils se situaient dans le système hindou des castes. Au début du 2ème millénaire, en Grèce, à cause de leur savoir-faire auprès des animaux, ils ont été confondus avec une secte religieuse (Astiganoï) connue pour ses pratiques magiques : l’empereur Constantin Monomachus a fait appel aux savoirs des Atsiganoï pour se débarrasser des animaux sauvages qui détruisaient le parc animalier impérial de Constantinople. Le nom d’Egyptiens, Gypses, Gitans leur a été donné dans l’Occident de l’Europe, vers les 16ème – 17ème siècles et repose sur une confusion. A la question « d’où venez-vous ? », les nouveaux arrivants répondaient « de Gypte », qui était une petite ville située dans le Péloponèse (Grèce actuelle). Bohémiens est dû aux lettres de protection accordées par l’empereur germanique Sigismond de Bohème. A la question « d’où venez-vous ? », ils répondaient en montrant ces lettres : Bohémiens. Gens du Voyage est une appellation administrative utilisée exclusivement en France et qui date du début du 20ème siècle. Si tous ces noms ont été donnés par les « gadgé » (étranger en langue romani), Manoucha en revanche signifie en romani « être humain ». « Les Romanichels », est l’adaptation du « romani cel », qui signifie « peuple tzigane » en romani. Quant à Rom, il ne s’agit plus ici d’un surnom mais également d’un mot de la langue romani signifiant « époux » et par extension « être humain ». Au 15ème siècle, ils arrivent en France où ils sont bien reçus par la population locale de par leur pittoresque, leur exotisme et la curiosité due au mystère que représente leur voyage lointain et leur joie de vivre et de liberté. Cette situation ne durera pas puisqu’un journal de Paris de 1427 les décrit et je cite « ces hommes noirs et ces femmes plus noires et les plus laides qu’on puisse voir, les cheveux noirs comme la queue d’un cheval et avec eux des sorcières qui lisaient le passé et l’avenir dans les lignes de la main etc, etc.. permet à l’Evêque de Paris de les excommunier et de prendre des mesures pour qu’ils soient chassés de France ». Cette population itinérante est étrangère au vécu commun des populations européennes. Ils ne peuvent pas « se soumettre » car le fonctionnement de la société occidentale du 15ème siècle leur est inconnu. L’incompréhension est des deux côtés. Ils apparaissent donc aux populations locales comme insoumis, leur conduite surprenante. Tout cela engendre leur mauvaise réputation qui, à ce jour, n’a pas disparu, suivie de méfiance voire d’hostilité des populations sédentaires locales. Les tziganes passent en Espagne où les choses ne tardent pas à se dérouler de la même façon. En Espagne comme en France, ils sont persécutés à tout propos pour des méfaits réels (larcins) ou imaginaires (rapt d’enfants), pour insoumission, vagabondage, voire 3 anthropophagie. Au 16ème sicle, ils seront déportés dans les colonies d’Amérique. En France, sous Louis XIV, ceux qui voulaient échapper aux galères avaient le choix de s’exiler en Amérique et ont colonisé la Louisiane. Certains groupes, mettant à profit leur métier, leur savoir-faire ou leur talent, ont bénéficié de la protection des commanditaires des seigneurs, ont accepté les services des mercenaires de certains chefs de groupe. Au 17ème siècle, la noblesse des châteaux appréciait beaucoup leur talent de musiciens et d’amuseurs publics. Ils s’illustrent comme dresseurs d’animaux et en particulier dresseurs de chevaux qui ont généré des familles de cirque célèbres comme les BOUGLIONE, les ZAVATTA et bien d’autres encore. Ils seront reconnus comme musiciens d’exception dont certains feront de grandes carrières internationales. Le guitariste Django REINHARD influencera durablement le jazz en y mêlant la musique tzigane. Le pianiste Georges CZIFFRA a marqué l’histoire du piano par ces dons d’improvisation et le guitariste Manistas de PLATA né en 1921 dans le sud de la France vendra plus de 93 millions d’albums contribuant ainsi à la diffusion de la musique flamenco : aujourd’hui, il vit dans un petit logement de 24 m² à la Grande Motte, malade, ruiné et cloué dans un fauteuil roulant n’ayant même pas les moyens de se payer une auxiliaire de vie. Il regrette de ne pas avoir investi et placé une partie de ces gains. Mais ce n’était pas sa culture. Pour lui, les gitans, acheter de la terre, ça ne se fait pas. La terre, c’est pour les morts. Pour conclure sur ce sujet, le 8 et 11 novembre dernier a eu lieu au Majestic de Neuville de Poitou un concert de Flamenco au profit de la Ligue contre le cancer qui a fait salle comble. Un groupe de musiciens tziganes dirigé par un guitariste remarquable né en 1968 à Neuville de Poitou a animé cette soirée. Issu d’une famille de gitans de la province de Lérida en Espagne, il a été contraint par le régime franquiste de franchir les Pyrénées d’où son nom Juan de Lérida. Pourquoi ce guitariste aussi exceptionnel que précoce n’enregistre son premier disque qu’à l’âge de 40 ans ? Comme nombre de musiciens gitans, le succès ne l’obsède pas. Juan de Lérida ne court pas après la reconnaissance, si ce n’est celle de sa communauté et de ses musiciens. Avec Karine Gonzalez ; artiste maitrisant parfaitement le Flamenco, ils contribuent comme leurs anciens à faire connaître et aimer leur culture et leur musique. Sans oublier le groupe Gipsy Kings qui vient d’obtenir comme premier groupe français le disque d’or aux Etas-Unis. Une vague migratoire vers la France sera enregistrée au 19 ème siècle, les Romanichels arrivés en guenilles et dans un état de santé extrême s’installent aux alentours de Paris. Il est aujourd’hui d’usage de distinguer trois ensembles principaux parmi les 10 millions de Tziganes européens et gens du voyage. Les Roms dits tziganes orientaux dont 20 000 en France sont principalement installés en Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Slovaquie, Serbie, Kosovo soit 85% pour 4% de sintes et Manouches dénommés Tziganes germaniques installés eux principalement dans l’Est de la France, l’Allemagne, l’Autriche et le Nord de l’Italie. 4 Les Tziganes ibériques qui représentent 10% environ sont eux en Espagne, Catalogne, Portugal et en partie dans le Sud de la France ainsi que dans le Poitou-Charentes. A signaler que le Neuvillois qui fut propice à différentes périodes de son histoire d’invasions successives a été aussi une zone de prédilection pour les gens du voyage, en particulier la commune de Neuville de Poitou qui non seulement a été au centre mais un lieu de passage. Certains se sont installés pour une période plus longue, en particulier dans la « Cour Nivelle » de Neuville de Poitou où ils demeureront des mois, des années pour certains, et un jour, ils partiront comme ils sont venus en toute liberté et indépendance. Cette classification est bien entendu très schématique. Le choix appartient avant tout aux intéressés qui eux-mêmes peuvent d’ailleurs s’auto-désigner de façon différente selon les circonstances et les interlocuteurs. Ainsi, ils peuvent se présenter comme manouches, voyageurs, tziganes, gitans et même roms, terme que beaucoup de gens du voyage ne peuvent adopter surtout actuellement et en particulier en France pour les raisons de rejet du nom Rom par la population locale. La dénomination « Rom » choisie lors du premier congrès mondial Rom à Londres en 1971 recouvre une multiplicité de population que j’ai déjà citée tout à l’heure. Le Romani, la langue parlée par les Roms est dérivée d’une langue parlée au Nord de l’Inde. Elle a de nombreuses variantes qui ont fait des emprunts lexicaux aux langues autochtones. C’est dans les Balkans que la langue romani est la plus parlée, elle figure même sur la liste des langues protégées par la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe. Les Roms et autres populations concernées se définissent comme une nation, mais une nation « sans territoire » compacte et sans appartenance à tel territoire. Ils sont en général des ressortissants des pays où ils résident, ils ne revendiquent pas de territoire mais les mêmes droits et devoirs que les autres citoyens. Les Roms appartiennent à l’Histoire, à la culture du pays dans lequel ils vivent : musulmans en Bosnie, orthodoxes en Roumanie, français pour les manouches et européens en Europe. Un peuple sans nation, c’est un concept qui colle fort mal avec l’héritage des démocraties européennes, pour qui seul l’état nation compte. Alors, la chance des Roms, c’est l’U.E. Leur drapeau adopté lors de leur premier congrès à Londres en 1971 représente un peuple et non un état avec des frontières définies : La couleur bleue symbolise le ciel, la liberté, la spiritualité, l’éternel ; Le vert représente la nature, la terre, la fertilité et le matériel, La roue à 16 rayons de couleur rouge symbolise la roulotte, le voyage, la croissance et le progrès, mais renvoie également à leurs origines indiennes, leur mère patrie d’où ils ont émigrés, la roue 5 s’inspire de celle du drapeau indien « la charkha » qui comporte 24 rayons comme les heures d’une journée. Bleu comme le ciel et la mer Vert comme les forêts et les prairies Rouge comme le sang versé « lors des persécutions que nous avons subies au cours des siècles ». Que de symboles, n’est-ce pas ! pour ce peuple voyageur. Gelem-Gelem ou Dzelem-Dzelem est leur hymne. C’est l’image du petit groupe des gens du voyage sur un tapis roulant au-dessus du Monde se posant de fleur en fleur comme une abeille. Les paroles ont été composées par Jarko Javanovic, poète rom originaire de l’ex-Yougoslavie dont la plupart des familles a été déportée et a péri à Auschwitz. Interprétée par Esma REDZEPOVA « Reine des Tziganes », née à Skopje, capitale de la Macédoine, elle a adoptée 47 enfants, jouant et chantant à ses côtés. Permettez-moi de vous demander de consacrer quelques minutes avant de continuer cette planche en écoutant un extrait de cette hymne en mémoire des 500 000 tziganes de tous les pays d’Europe qui furent massacrés et gazés pour la plupart à Auschwitz-Birkenau. 20 000 venaient de France où existait une trentaine de camps d’internement, certains ouverts en 1940 avant l’occupation allemande. La France et l’Italie contribuèrent largement et sans la moindre retenue à l’extermination des Roms européens. Malheureusement, en 2013, un élu de notre République se permet de dire « comme quoi Hitler n’en a peut-être pas tué assez ». Le dernier camp à fermer est le camp des Alliés à Angoulême qui a fonctionné jusqu’au 1 juin 1946. A la sortie, les familles libérées ne retrouvent pas leurs roulottes et chevaux qu’elles possédaient et sans aucune aide ou indemnisation. A noter que lors du procès de Nuremberg qui jugea les criminels de guerre, aucune déposition de Rom ne fut entendue. er Historiquement, les populations nomades ont toujours été mal perçues par les autorités françaises, la classe dirigeante perpétuant une longue tradition, la stigmatisation des populations nomades, conséquence d’une politique unitaire de longue date. L’Etat français, quelque soit le régime, République ou Vichy, n’aime pas que des gens circulent comme bon leur semble en toute liberté et en dehors de tout cadre réglementaire. Le texte fondamental à cet égard fut la loi du 16 juillet 1912 qui impose le port d’un carnet anthropométrique d’identité à faire viser à l’arrivée et à chaque départ de chaque commune, ainsi que d’un carnet collectif pour ceux qui se déplacent en groupe. Cette loi en vigueur jusqu’en 1969 constitue un cas probablement unique en droit français de législation appliquant à une certaine catégorie de gens, les nomades et les 6 gens du voyage en particulier, un régime d’exception rejetant cette catégorie de population hors du droit commun. Déjà, durant la 1ère guerre mondiale, les tziganes alsaciens et lorrains de nationalité allemande sont internés en tant que civils ennemis et ceux de nationalité française qui circulent dans les zones de combat, sont arrêtés sous divers motifs et internés au camp de Crest de 1915 à 1919. Dès le début de la seconde guerre mondiale, la France dite républicaine n’attend pas l’occupation de son territoire par les nazis pour prendre les mesures privatives de liberté à l’encontre de cette population nomade – gens du voyage et tziganes. Près de 7 000 d’entre eux seront internés en France dans de nombreux camps et dans le plus grand dénouement, camps qui seront bientôt plus de trente sur l’ensemble du territoire. Ces camps étaient inadaptés pour recevoir les familles, femmes, enfants de tous âges, personnes âgées parfois handicapées et malades. Ces camps étaient insalubres, peu ou pas chauffés et la nourriture était bien entendu insuffisante et les maladies courantes. Plusieurs camps d’internement ont donc été crées dans la région Poitou-Charentes dont un à Rouillé et deux dans la région de Poitiers, dont celui de la Chauvinière et celui de la route de Limoges. Ce dernier demeure le plus important. Il ouvre dès en 1939 pour devenir centre d’internement des réfugiés espagnols puis de centre de concentration des nomades, gens du voyage et israélites à partir du second trimestre de l’année 1941. Déjà, et dès la fin de l’année 1940, la présence de tziganes, de nomades dans la région inquiète un commandant de la gendarmerie qui suggère de les rassembler dans un même lieu. En fait, les allemands n’ont eu qu’à s’inspirer de la législation française relative à la circulation de cette population et d’un rapport du 6 avril 1940 que le président du conseil adressait au Président de la République, Albert Lebrun pour agir. Les mesures de ce rapport étaient : « En période de guerre, la circulation des nomades, individus errants, généralement sans domicile fixe, ni patrie, ni profession effective, constitue pour la défense nationale et la sauvegarde du secret, un danger qui ne doit pas être écarté. Les incessants déplacements des nomades qu’il ne faut pas confondre avec les forains industriels ou commerçants pour la plupart honorablement connus leur permettent de surprendre des mouvements de troupe, des emplacements d’unité et des dispositifs de défense et renseignements militaires importants qu’ils sont susceptibles de communiquer à des agents ennemis ». Le même jour, un autre décret est signé, assignant à résidence les nomades : 7 Article 1 : la circulation de nomades est interdite sur la totalité du territoire métropolitain pour la durée de la guerre. Article 2 : les nomades, c'est-à-dire toutes les personnes réputées telles dans les conditions prévues à l’article 3 de la loi du 16 juillet 1912 sont astreints à se présenter tous les 15 jours qui suivront la publication du présent décret à la brigade de gendarmerie ou du commissariat de police le plus voisin où ils se trouvent. Il leur sera enjoint de se rendre dans une localité où ils seront tenus à se rendre sous la surveillance de la police. Cette localité sera fixée pour chaque département par arrêté du Préfet. A leur tour, s’appuyant sur la législation française, les autorités allemandes étendent ces mesures aux forains et à tous ceux qui exercent des professions ambulantes et interdisent par une ordonnance du 22 novembre 1940 l’exercice de ces professions sur tout le territoire occupé et en particulier en Poitou-Charentes. Comme vous pouvez le constater, la vie de ces populations n’était pas un long fleuve tranquille et plein de dangers qui pourrait malheureusement encore survenir pour elles. Les gens du voyage sont actuellement environ 400 000 en France depuis plusieurs siècles et sont toujours français. Des Roms étrangers venus principalement de Roumanie et de Bulgarie, donc citoyens européens, sont 20 000 environ actuellement en France, et bien que rattachés à la même communauté historique, ces deux groupes n’ont presque plus de lien entre eux depuis longtemps. La religion Les cultes pratiqués par les gens du voyage et les roms sont variés et se rattachent généralement à la religion dominante du territoire sur lesquels ces peuples se sont implantés. Ainsi, en Italie ou en Irlande, les Roms se disent plutôt catholiques, en Bulgarie orthodoxes ou musulmans. Dans certains pays, la religion revendiquée et les fêtes religieuses pratiquées peuvent puiser dans plusieurs confessions, comme en Bulgarie où certains groupes sont baptisés par un prêtre orthodoxe et enterrés par le hodja musulman. Les rituels tournent principalement autour de la naissance et de la mort, et les pèlerinages sont l’occasion de rencontres entre les groupes familiaux. Depuis le milieu du XXème siècle, le mouvement pentecôtiste tsigane connaît un grand essor et joue également un rôle politique, comme force revendicatrice auprès des Etats. En France, on constate une progression de l’évangélisme aux dépens du catholicisme. Ces pratiques religieuses permettent de ressouder les familles parce qu’elles voient l’univers qui les entoure en pleine désintégration. 8 La famille Les gens du voyage conservent leurs rites, l’attachement à la famille, la solidarité et la fraternité. Le mariage est une des choses les plus importantes, la cérémonie du mouchoir est gérée par une matrone agréée par la communauté. Seule la présence des femmes des deux familles certifie que la mariée est vierge. Cette cérémonie officialise le mariage qui est plus important pour eux que celui de la mairie et parfois non nécessaire. La famille s’entend dans son sens le plus large. Parents et enfants mariés ou concubins continuent souvent à cohabiter. Frères et sœurs, cousins et cousines maintiennent toute leur vie des liens importants. Dans un système structuré par l’Ethnie, le Clan et la Famille, l’individu n’ a de sens qu’en étant que membre d’un groupe familial élargi. La famille forme une entité spécifique qui s’ancre profondément en chacun des individus. La meilleure preuve en est que lorsqu’un conflit personnel oppose un membre d’une famille à un membre d’une autre famille, c’est l’ensemble des relations de famille à famille qui se trouve engagé dans le conflit. L’autorité revient au père qui ordonne les décisions importantes de la vie quotidienne. L’enfant, très valorisé par la communauté, légitime le lien du couple et la première naissance donne à ses parents un statut d’adulte à part entière dans le groupe. Les Tziganes n’ont pas de gouvernement, ni de « pouvoir » qui régissent leur organisation sociale. L’idée de représentativité d’un groupe par un ou des individus qui exercerait une pression leur est étrangère. La seule autorité reconnue est celle que le respect inspire. Elle se fonde sur des notions morales d’honneur, de sens du devoir et des valeurs communes. L’ensemble des rapports sociaux est guidé par un impératif : le respect des affaires de chacun. Du voyage à la sédentarisation Nomades, sédentaires, semi-sédentaires, les statuts des familles fluctuent. Si la société rurale du début du siècle était favorable aux petits métiers tels que la vannerie, le rempaillage des chaises, l’aiguisage, le ferraillage…, la fabrication industrielle d’objet de première nécessité, le développement de l’information et de la publicité ainsi que les nouvelles habitudes de consommation ont imposé, progressivement pour les uns et brutalement pour les autres, une rupture dans les modes de vie traditionnelle, forçant nombre d’entre eux à la sédentarisation. 9 La sédentarisation, lorsqu’elle n’est pas volontaire et choisie provoque généralement : - une coupure entre la famille et le groupe élargi. - une réduction des échanges intercommunautaires pouvant engendre des situations conflictuelles entre les groupes. - une désorganisation des pratiques professionnelles multipliant des risques de paupérisation. Ainsi, certaines familles, ayant à peine maintenu une économie de survie faute de lieux adaptés et ne voyageant plus, occupent des terrains publics ou privés. D’autres ont acheté des terrains sur lesquels s’installent des caravanes et parfois des abris précaires. Leur façon de vivre, où la notion de liberté n’est pas absente, est pour la plupart des gens du voyage leur seule façon de vivre et surtout la seule qu’ils ont vécue depuis toujours. La durée de stationnement est variable. Elle est normalement de 3 mois maximum mais des dérogations sont prévues, le principal motif étant la scolarisation des enfants, elle peut donc aller jusqu’à 9 mois. Le voyage est contraint également par les disponibilités des places insuffisantes dans les aires situées dans l’ensemble du territoire pourtant obligatoires pour les communes de plus de 5 000 habitants. A signaler que le Grand Poitiers est un modèle au niveau des grandes villes d’après les associations de défense des gens du voyage. Le département de la Vienne concernant les aires d’accueil pour les gens du voyage fait partie avec les Côtes d’Armor et le Calvados des 3 départements qui présentent des taux de réalisation supérieure à 100% par rapport aux objectifs fixés. Fin 2011, le taux de réalisation était de 124%, à titre de comparaison, celui de la région PACA n’est que de 24%. Les lois dite « Loi Besson » du 31 mai 1990 et du 5 juillet 2000 relatives à l’accueil et l’habitat des gens du voyage ont pour objectif de parvenir à une cohabitation harmonieuse de tous et de concilier la liberté constitutionnelle d’aller et venir et le souci également légitime des élus locaux d’éviter les installations illicites qui occasionnent des difficultés de coexistence avec les administrés. Elles évitent « le communautarisme » de cette communauté et une incitation à la sédentarisation afin d’intégrer les gens du voyage à la société française. En 2006, un tiers des départements français n’avaient pas encore établi de schémas d’implantations d’aires d’accueil. Ces aires d’accueil permettent aux gens du voyage lors de grands rassemblements souvent religieux, économiques ou culturels de se regrouper sans devenir hors la loi en occupant de force des terrains non seulement municipaux (terrains de sports en particulier) mais aussi privés. 10 Or, une directive du 9 septembre 2005 aux préfets de France permet de solliciter les forces de police et de gendarmerie pour expulser les gens du voyage en stationnement illégal, ce qui est toujours très difficile à faire et peut parfois dégénérer en violence. Ce peuple venu d’ailleurs depuis bien longtemps n’a, contrairement aux peuples européens sédentaires, ni envahi, ni occupé, ni colonisé par des conquêtes guerrières d’autres territoires ou pays du monde entier. Il n’a non plus au nom d’idéologie religieuse, politique, financière détruit à tout jamais de nombreuses civilisations et pour en citer quelques unes celle des Indiens d’Amérique du Nord ou celle des Incas d’Amérique du Sud, sans parler des civilisations africaines. Ce peuple, qui a une façon de vivre différente de la nôtre due à sa mobilité et il faut bien le dire à sa liberté, peut parfois commettre quelques larcins ou incivilités mais compte tenu de notre histoire parfois tragique envers les autres, devrions nous n’être pas indulgents à leur égard et leur donner dans la mesure de nos possibilités les moyens nécessaires pour ceux résidants en France ? l’accès au logement, à la santé, à la citoyenneté, à l’éducation et faciliter leurs déplacements et stationnements en respectant les lois en vigueur concernant les aires d’accueil, permettant plus facilement leur intégration dans notre société structurée, sécurisée et individualiste. La Cour européenne des Droits de l’Homme a condamné le 17 octobre 2013 la France pour avoir prononcé en 2004, sans nécessité apparente, l’expulsion d’un campement de gens du voyage et sans leur proposer de solutions satisfaisantes de relogement. L’affaire, concernant une procédure d’expulsion qui n’a finalement jamais été exécutée à Herblay (en région parisienne), était portée par vingt-six gens du voyage et l’association ATD Quart Monde. Cette dernière s’est réjouie d’une « décision historique », appelée selon elle à faire jurisprudence. Pour conclure cette conférence consacrée aux gens du voyage bien incomplète, je vous propose d’écouter « Salut Gitan » interprété par RENAUD et au cours de la tenue, « le Gitan » de Daniel GUICHARD et « mon pote le Gitan » par Yves MONTAND pour la terminer. Pierre MADEVON Le 15 novembre 2013 11