Sport et information sportive sur Internet: émergence d`une industrie

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Sport et information sportive sur Internet: émergence d`une industrie
Laurent Collet
Françoise Papa
Université Stendhal
Grenoble
FRANCE
Sport et information sportive sur Internet: émergence d'une
industrie de la relation?
NOTA BENE
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2
Sport et information sportive sur Internet : émergence d’une industrie de la relation ?
Difficile d’ignorer aujourd’hui le développement des communautés sur Internet, qu’elles soient initiées par des
sociétés commerciales, des associations à but non lucratif, par des groupes informels ou par des individus. La
définition du terme de communauté, tout comme leur genèse nous interrogent : comment (se) sont organisées les
communautés et quels types de sociétés (modèles de comportements et rapports entre individus) proposent-elles ?
Sur un plan macro social, de quelles logiques sociales sont porteuses ces communautés ? en quoi nous renseignentelles sur l’évolution de la société ?
Les activités de production, centrales dans l’ensemble des activités sociales et comme lieux d’intégration sociale, ont
longtemps défini la place des individus dans la société (Barel, 1990 ; Castel1, 1995). Aujourd’hui, bien que tournées
vers la production de biens matériels, les entreprises se transforment en agents susceptibles de fournir toute une
gamme de services (Rifkin, 2000). Ces activités tendent conjointement vers la rationalité (organisation scientifique
des comportements et des relations) et vers l’échange marchand. Cette configuration dans sa dimension intégrative
(ou désafilliatrice) s’articule à un espace public d’argumentation, même si cet espace est de plus en plus morcelé et
investi par les acteurs dominants de la société qui cherchent à l’organiser à leur avantage (Miège, 1997). Enfin, ce
procès de rationalisation (quantification) et de marchandisation croissante de tous les aspects de l’existence trouve de
nouveaux débouchés avec l’investissement de la sphère privée et familiale, au sein de laquelle les technologies de
l’information et de la communication ont permis de développer le mode de consommation privative, domestique des
produits culturels et informationnels.
Technologies relationnelles, les technologies de l’information sont des vecteurs de relations, dans l’objectif
clairement affiché de mettre l’expérience individuelle sous l’emprise d’intermédiaires marchands2. Pour atteindre ce
but, l’instauration de communautés de consommateurs réunis par un intérêt commun devient un enjeu central pour
les firmes qui en contrôlent les modalités d’accès.
Le développement des communautés sur Internet s’inscrit par ailleurs dans ce processus général et paradoxal du
développement de l’individualisme de masse (Dumont, 1983; Elias, 1987; Kaufmann, 2001) ou encore
d’individualisme du marché, marqué par l’accroissement de l’indétermination des positions en société. Ce procès
d’individualisation de la société nous conduit à reprendre l’hypothèse du développement de sociabilités flottantes qui
ne parviennent plus à s’inscrire dans des enjeux collectifs et qui rendent difficile l’inscription du sujet dans des
structures qui portent un sens (Castel, 1995)3.
Ce point de départ de la réflexion trouve un prolongement dans l’hypothèse d’une prise en charge, via les
technologies d’information et de communication, par les groupes industriels eux-mêmes des fonctions de
différenciation et d’intégration des individus dans des unités sociales quand ce qui fait défaut est moins la
1
Le travail est moins ici compris comme rapport technique de production que comme “ support privilégié
d’inscription dans la structure sociale ” ou encore comme “ grand intégrateur ”.
2
Voir notamment La colonisation de l’expérience vécue à travers la presse écrite sur Internet, Laurent Collet et
Marin Ledun, VIIIe colloque franco-roumain, Médias, Nouvelles technologies et redéfinition des territoires de la
communication, Bucarest, 28 juin-1er juillet 2001.
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Castel qui postule la complémentarité de ce qui se passe sur un axe d’intégration par le travail et la densité de
l’inscription relationnelle dans des réseaux familiaux et de sociabilité.
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3
communication avec autrui que l’existence de projets à travers lesquels les interactions prennent sens (Castel op.
cit.).
Dans le même temps, nous supposons que les différentes communautés intègrent le processus d’industrialisation de
la société et ses procédés de rationalisation des comportements et de marchandisation des rapports sociaux à un
niveau mondial. Ceci entraîne l’expression d’autres hypothèses secondes :
- d’une part, la rationalisation et la marchandisation des relations entre individus comme moteur de la différenciation
et de l’intégration des individus au sein des communautés,
- d’autre part, le développement d’une industrie de la relation ou de l’interrelation sur la base de modes de
production, distribution et marchandisation de l’usage de formes symboliques et de formes d’interdépendance
humaine.
Nous avons choisi le champ du sport et de l’information sportive pour examiner ces hypothèses en raison de la
centralité du paradigme sportif dans les sociétés contemporaines.
Le sport et les valeurs sportives sont aujourd’hui vécus par ses acteurs et perçus dans la société parmi des éléments
centraux dans une perspective d’intégration sociale. Les médias et particulièrement la télévision, en médiatisant les
sports participent largement de la structuration de cette perception commune : la mise en visibilité du sport et de ses
valeurs est en même temps celle des valeurs des sociétés contemporaines. Ce processus de “ sportivisation ” de la
société est au croisement de logiques qui relèvent des champs de l’économie, de la culture, du politique, du social,
dans leurs dimensions matérielles et symboliques. De ce point de vue le sport constitue au sens de Marcel Mauss
“ un fait social total ”.
On peut formuler l’hypothèse s’agissant de la sphère du sport/du champ sportif que cette tâche de prise en charge des
individus est partiellement dévolue aux institutions sportives -en tant qu’elles sont l’émanation de collectifs et
d’individus réunis par des pratiques sociales communes- adossées à des dispositifs techniques et médiatiques qui
sont autant l’agent des transformations que cette tâche impose à des organisations structurées sur un modèle
aujourd’hui contesté, que les fournisseurs d’un modèle d’organisation et de mise en société “ idéal ” c’est-à-dire en
phase avec les représentations connexionistes aujourd’hui fortement valorisées.
Cette prise en charge pose question avec l’arrivée d’Internet qu’il s’agisse des pratiques de gouvernance et de la
légitimité des institutions sportives, mais aussi des relations entre sport et média. Nous examinerons plus
particulièrement ici le second de ces aspects parce qu’il pèse fortement sur le premier.
Nous formulons à partir du constat de la reconfiguration des relations entre la sphère du sport et celle des médias, les
trois hypothèses suivantes :
- l’interdépendance des acteurs associés sur les sites d’informations sportives participe de la constitution d’une filière
de production/médiatisation du sport, à terme contradictoire avec les exigences de l’information.
- l’affaiblissement du modèle journalistique traditionnel en raison d’un contrôle accru par les sources
institutionnelles sur les contenus diffusés et d’une marchandisation de tous les aspects qui entourent la performance
et l'événement sportifs médiatisés. Le marché du sport partage désormais le même espace-écran que l'information
sportive.
- le renouvellement des modalités de la relation entre le champion et l’internaute où le dispositif exclut
symboliquement les médiateurs de l’information. Aux dispositifs centrés sur les contenus se greffent des dispositifs
privilégiant la relation.
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Ce processus de construction du consommateur/acteur bénéficie de la sophistication des techniques marketing : il
s’appuie sur des dispositifs interactifs de prise en charge et de standardisation de la relation sur le mode de la
gratuité, prélude à la consommation marchande et modèle de réalisation de soi.
• Relations sports-médias : une interdépendance informationnelle
La montée en puissance de nouveaux acteurs sur Internet conduit à une redéfinition des relations entre les agents
parties prenantes de l’économie du sport -sportifs et institutions sportives, médias et sponsors- et accélère la
conclusion d’alliances entre fournisseurs de contenus, opérateurs sur le réseau, firmes et institutions sportives.
Ainsi que nous l’avons établi par ailleurs, l’équilibre des forces en présence –marqué jusqu’alors par la prééminence
du média télévision- est en train de se modifier sous l’effet de la croissance rapide de nouvelles modalités de
médiatisation du sport et du poids des géants du sport télévisé : l’interdépendance qui caractérisait les relations entre
institutions sportives et médias évolue vers la domination des groupes de communication constitués à l’échelle
planétaire. L’alliance récente entre Vivendi Universal (Canal plus) et Bertelsmann (RTL Group) a conduit à la fusion
de leurs activités de gestion de droits sportifs avec le Groupe Jean Claude Darmon; l’intérêt que porte le groupe
Kirch (détenteur des droits audiovisuels des deux prochaines coupes du monde pour l’Europe et les E-U) au groupe
de marketing sportif ISSM-ISL déclaré en faillite en mai 2001, possesseur des droits télévisés et marketing de ces
mêmes coupes hors Europe et E-U, témoignent de l’ampleur de ce mouvement. L’hypothèse de la constitution de
filières intégrées de production/médiatisation du sport semble dès lors se confirmer. Si on ajoute au contrôle du
marché des droits et du marketing sportif, le contrôle de l’image de clubs, de fédérations, de ligues nationales et celui
de la diffusion des événements sportifs on peut légitimement s’interroger sur l’autonomie décisionnelle des
institutions sportives. La maîtrise des réseaux de diffusion, la maîtrise des contenus, confèrent à ces groupes un
pouvoir dans la négociation jusqu’ici inégalé.
Les conséquences de ce déséquilibre sont diverses : la situation porte en germe le risque d’une “ privatisation ” des
événements sportifs dont la diffusion, aux mains d’opérateurs parfois en situation de monopole, conduit à une remise
en cause du droit à l’information. Des aménagements au principe de l’exclusivité sont désormais nécessaires : la
logique de l’accès sélectif qui prévaut devient en effet contradictoire avec les intérêts mêmes de la diffusion la plus
large possible des manifestations sportives. L’Union Européenne, dans la continuité de la défense du libre accès aux
“ événements d’importance majeure pour la société ”4, a ainsi entériné le principe de diffusion en clair dans les
espaces nationaux des matchs des équipes nationales parties prenantes de la compétition lors de la coupe du monde
2002 de football pour les pays demandeurs, alors que l’exclusivité accordée au groupe Kirch pour l’espace européen
se traduit par un accès sélectif aux matchs de la compétition.
L’interpénétration de plus en plus marquée des logiques communicationnelles des institutions et des firmes présentes
dans le champ du sport, et de la production informationnelle fait également question. L’information sportive se
constitue aujourd’hui comme un produit d’appel au service de stratégies qui ne sont pas toujours sous-tendues par le
souci de délivrer une information sportive de qualité. Dans un contexte de montée en puissance des services, on
4
Article3a 89/552/CEE Directive Télévision sans frontières.
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5
s’achemine vers une redéfinition de l’articulation information-communication et l’émergence de nouveaux
dispositifs qui associent information, communication et services.
Désormais des accords se multiplient entre organisateurs de manifestations sportives et sites d’informations sportives
qui conduisent à l’élaboration et à la diffusion d’informations communes sur les sites institutionnels et sur les sites
d’information sportive. Ce fut par exemple le cas lors des Jeux de Sydney 2000 pour le site officiel du CNOSF
“ France Olympiques ”, le site de France Télévision et le site Sports.com dont le partenariat se traduisit par un
échange de contenus.
L’analyse du site de la fédération française de handball effectuée lors du mondial de janvier 2001 montre que des
alliances avec des fournisseurs de contenus spécialisés se mettent en place lors d’événements sportifs potentiellement
générateurs de fortes audiences. Ces alliances permettent de multiplier les points d’accès à l’événement, d’accroître
la visibilité des institutions sportives organisatrices de la manifestation et les consultations des sites d’information
partenaires.
Lors du mondial 2001, trois points d’accès privilégiés ont été proposés : à partir du site de la fédération française, du
site officiel de l’événement (temporaire) et du site d’information Sports.com. Comme cela avait été observé lors des
Jeux de Sydney, ces accords conduisent à la présentation de contenus identiques s’agissant de l’information de type
news magazine : c’est ainsi que Sports.com a pris en charge l’élaboration des contenus rédactionnels du site
événementiel, une partie de ces contenus étant proposés avec une mise en page différente sur le site fédéral.
Cet échange de services est une garantie pour chaque partenaire : la maîtrise des outils de communication sur
Internet par le média spécialisé est mise au service de non professionnels de la communication ici les fédérations
sportives, en échange de l’exclusivité de l’information institutionnelle pour les médias partenaires.
Ces accords ne sont pas sans conséquences sur les contenus rédactionnels, sur la hiérarchisation de
l’information. L’absence de signature souvent rencontrée renforce le sentiment de “ mélange des genres ” qui saisit
le lecteur ; la priorité donnée à tel ou tel événement figurant en “ une ” correspond plus aux partenariats que les
médias électroniques peuvent nouer avec les institutions sportives qu’à une conception journalistique de la
hiérarchisation de l’information. La relation des journalistes à leurs sources est également modifiée : les principes
d’exclusivité accordées selon le bon vouloir des organisateurs d’événements sportifs ne sont pas de nature à
encourager la production d’une information distanciée et critique.
Cet affaiblissement du modèle journalistique est plus sensible sur les sites des nouveaux médias, qui, pour être
visibles et crédibles, doivent impérativement s’allier avec les institutions sportives, les agents de marketing sportif
voire des sportifs. Les sites d’informations sportives émanant de médias traditionnels (presse écrite, radio ou
télévision) sont en mesure de résister parce que s’appuyant sur une activité hors Internet largement établie et légitime
: leur économie n’est pas exclusivement fondée sur la rentabilité de leurs sites, complémentaires, et leur culture
professionnelle diffère.
Les fédérations rencontrent ainsi un écho favorable à la diffusion de leurs messages institutionnels et de leur
communication auprès des médias partenaires, une professionnalisation de leurs contenus diffusés en propre, et des
contenus informationnels attractifs dont ils peuvent user. De leur côté, les nouveaux médias disposent d’une plus
grande proximité avec les sources institutionnelles, d’un accès privilégié aux événements sportifs (avantage
concurrentiel) donc jouissent potentiellement d’une crédibilité forte pour leurs publics. Enfin les firmes sponsors des
manifestations internationales, présentes sous forme de vignettes ou de bandeaux sur les sites d’information et sur les
sites institutionnels, bénéficient de la forte fréquentation de ces sites lors des compétitions.
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Nous sommes donc en présence d’un processus de légitimation réciproque chacun allant par des alliances
commerciales chercher chez l’autre partenaire ce qui est de nature à asseoir sa position dans sa propre sphère.
• L’information sportive : produit d’appel pour les services et vecteur de relations
Désormais le marché du sport partage le même écran que l’information sportive ainsi qu’en témoigne la montée en
puissance des services proposés sur les sites. L’information péri-sportive a désormais largement sa place et à tout
événement sportif sont associées des prestations de services variées : transport, hébergement, billetterie, achat de
matériel et de marchandises, produits dérivés, activités physiques5, sont systématiquement proposés. Parfois ces
services n’ont qu’un très lointain rapport avec l’événement sportif ou le sport : leur présence s’explique par les
partenariats noués entre firmes et sites diffuseurs d’informations en quête de financements publicitaires encore
aléatoires sur Internet 6. Ces services ne sont pas tous nouveaux et sont souvent déjà accessibles par d’autres canaux.
Leur mise en ligne renforce le lien qui s’établit entre une pratique sociale (le sport et sa diffusion/consommation
médiatique) et l’offre de consommation directe de produits et services sur un mode continu.
L’intérêt que portent les firmes au champ sportif réside grandement dans le fait qu’elles n’ont pas à constituer une
communauté d’intérêt autour de leurs produits ou services : cette communauté pré-existe grâce au sport et elle génère
d’ores et déjà un trafic important sur Internet. Reste à capter son attention, à la détourner vers ses propres produits et
à la fidéliser. L’enjeu est en premier lieu d’accéder à ces publics au demeurant déjà sélectionnés et ciblés, autre
avantage.
Alors que les sites sportifs sont obligés de commercialiser leurs contenus à des fins d’équilibre, sinon de rentabilité,
auprès d’autres supports d’information (portails généralistes sur Internet, radios locales, etc) cet accès est facilité
pour les entreprises sponsors auxquelles les sites vendent leurs contenus7 ce qui explique les stratégies d’alliances
tous azimuts qui se déploient sur Internet autour des sites sportifs. Les fédérations sportives sont évidemment
courtisées par les sponsors et les nouveaux médias : les sites officiels de compétitions sont les plus prisés8 en raison
du trafic qu’ils génèrent mais aussi parce qu’ils permettent de basculer sur les sites pérennes des fédérations sportives
organisatrices9.
Produit informationnel, produit de divertissement, produit marchand, le sport est aussi un formidable vecteur de
relations entre sportifs et amateurs d’émotions sportives.
5
Sporever propose sur abonnement des plans d’entraînement personnalisés pour la pratique du jogging.
Sportal, le premier opérateur européen de sites sportifs est actuellement confronté à des difficultés majeures de
financement : ses actionnaires (BskyB, Fininvest, Europ@web, 3i) refusent de combler un déficit de 50 millions de
francs qui s’ajoutent aux 600 millions déjà abondés depuis sa création en juillet 1998 pour un CA annuel de l’ordre
de 70 millions de francs en 2000.
7
Sporever cède du contenu à la Société Générale sponsor du rugby, Sports.com alimente Lacoste pour le tennis, et
Sport24 livre des contenus clés en mains pour les sponsors de diverses manifestations pour la durée des
compétitions : Peugeot, GDF, Crédit Agricole en bénéficient.
8
Le site officiel de Roland Garros a enregistré près de 5 millions de pages vues quotidiennement pendant la
manifestation 2001(source : Le Monde du 13/06/2001).
9
Ces mêmes sponsors sont donc présents sur les sites des fédérations ; le site de la Fédération française d’athlétisme
présente en vignettes ses principaux sponsors (Adidas, Caisse d’Epargne, Gaz de France) et partenaires (Vandystadt /
Allsport France, Sport24.com) : ces partenariats sont activés au gré des événements (meetings internationaux,
courses sur route ou autres).
6
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Au centre des dispositifs interactifs proposés, la relation internaute/champion tient une place essentielle. Les sites
sportifs proposent un renouvellement des modalités de cette relation en excluant symboliquement les journalistes.
Les champions partenaires des sites sont supposés répondre directement aux sollicitations de leurs supporteurs sans
la médiation des journalistes : ils représentent un produit d’appel intéressant et permettent de fidéliser les internautes.
Par ailleurs se greffent des espaces de discussion ainsi que des dispositifs interactifs destinés à recueillir les avis des
internautes sur des questions les plus diverses, ou à développer les paris et pronostics sportifs. Ces dispositifs
permettent de profiler les usagers des sites et donc de constituer des bases de données fiables pour attirer annonceurs
et financeurs potentiels. Simultanément les sites officiels des champions se multiplient ; présentés par leurs
promoteurs comme le meilleur moyen d’établir un contact direct entre champions et admirateurs, la première
personne du singulier est de rigueur dans les échanges, accréditant ainsi l’illusion d’une communication directe, non
médiée.
Or ces sites, dont les contenus sont produits par des sociétés spécialisées (Athleteline ; CanalNumédia, filiale de
Vivendi ; Sporever etc.) sont avant tout le moyen de contrôler l’information délivrée. Ce contrôle est exercé
conjointement par le sportif et la société qui met en ligne ses commentaires. Ces partenariats impliquent des contacts
téléphoniques réguliers débouchant sur l’autorisation de mise en ligne de contenus “ originaux ” en contrepartie
d’une participation aux bénéfices. Ceux-ci étant minimes, l’intérêt principal réside pour le champion dans le fait de
maîtriser de bout en bout sa communication et son image au détriment souvent d’une réelle information.
Réservant leurs commentaires à quelques sites ou réseaux “ officiels ”, à leurs propres sites ou à ceux avec lesquels
ils sont contractuellement liés, les athlètes sont objectivement de moins en moins disposés à répondre aux
sollicitations parfois dérangeantes des journalistes et rechignent souvent à se plier aux obligations des conférences de
presse officielles particulièrement en période de crise ou de difficultés10.
Là encore les logiques informationnelles cèdent devant les exigences du marketing sportif : la communication
exclusive et contrôlée vise à s’affranchir partiellement des médias à défaut de les contrôler, au nom d’une nouvelle
légitimité, celle de la relation directe, authentique, individualisée entre le champion et ses admirateurs.
Or il faut garder à l’esprit que cet échange “ authentique ”, “ unique ”, relève d’un processus d’industrialisation de la
relation : Internet permet ainsi la production en série, massive de relations individualisées. Cette tendance, à l’œuvre
dans tous les dispositifs médiatiques fait qu’Internet se constitue aujourd’hui comme le “ terminal relationnel ” par
excellence (Ehrenberg, 1995).
• L’émergence des industries de la relation ?
L’analyse des sites consacrés au sport montre qu’aux dispositifs privilégiant les contenus, selon le modèle des
médias de masse ou segmentés, se greffent de manière systématique des dispositifs privilégiant la relation. Ce
processus est en même temps celui du passage de la position de “ spectateur ” à la construction de la position de
consommateur/acteur du sport et/ou de l’information sportive : il est rendu possible d’une part, par la sophistication
des techniques marketing sur Internet à visées marchandes explicites, et s’appuie d’autre part, sur la mise en œuvre
de technologies de prise en charge de la relation et de conformation des individus dans l’espace du réseau sur le
10
On se souvient des réticences marquées du capitaine de l’équipe de France de football, D. Deschamps, à se plier au
rite des conférences de presse lors de l’Euro 2000 face à des questions de journalistes qu’il estimait mal venues,
réservant de facto ses déclarations à son site. Ce boycott de la presse sportive devait rapidement s’achever face aux
nécessités de toucher un public large qui comprenait mal les raisons de ce silence.
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mode de la gratuité. Ainsi Internet et l’interactivité qu’il organise, s’inscrit bien dans le prolongement de ce que le
courrier des lecteurs, la prise de parole des auditeurs et la mise en scène télévisuelle de l’interaction ont, selon leurs
modalités propres, permis et accompagné : à travers la mise en visibilité de la relation de l’individu à la société, c’est
un modèle de consommation dans lequel domine la réalisation de soi que donne à construire ce terminal relationnel.
En ce sens, Internet apparaît aussi comme le média de l’individualisation de la consommation de masse.
Cette réalisation de soi a lieu dans le cadre d’unités sociales, dont le propre est de permettre la survie de leurs
membres et l’organisation de leurs relations. L’analyse de l’articulation individu/société demande, selon Norbert
Elias, de penser la société, au caractère mouvant, en termes d’interdépendance des individus, de processus de
différenciation et d’intégration : des configurations apparaissent, d’autres disparaissent et des formes de liens entre
individus se transforment sous l’effet de l’évolution des unités sociales (Elias, 1997, p. 167). Au moi abstrait, à la
conception de l’homme séparé, s’oppose l’idée que “ l’homme est un processus ”.
Dans le même temps, penser la réalisation de soi et les stratégies de différenciation et d’intégration dans des
configurations socio-économiques informationnelles, communicationnelles et culturelles doit prendre en compte le
long terme, la longue durée. Lorsque les unités traditionnelles (famille, religion, Etat, …) qui ont historiquement
assuré les fonctions d’intégration et de coordination n’ont plus l’exclusivité de cette tâche, dans quelle mesure des
groupes industriels peuvent-ils endosser cette fonction ? Ils ne le peuvent pas sur le modèle qui a prévalu jusqu’alors
selon J. Rifkin, qui nous rappelle que “ c’est sans doute là qu’est le talon d’Achille de l’âge de l’accès, dans la
conviction mal fondée que des rapports de type marchand et des réseaux informatisés peuvent remplacer les
relations et les liens communautaires traditionnels. C’est une grave erreur. Ces deux modes d’organisation de
l’activité humaine reposent sur un ensemble de valeurs et de présupposés complètement différents, ce qui les rend
parfaitement incompatibles. ”
Le “ caractère mouvant ” des sociétés ne doit pas faire oublier les tendances lourdes à l’œuvre dans l’évolution de la
société, comme la rationalité technique, l’industrialisation des activités humaines, l’individualisation des pratiques
(Miège, 1987). Ces tendances conditionnent en partie la production de l’univers matériel (ici le réseau) d’un double
point de vue :
- comme lieu d’inscription de la mémoire sociale -le réseau comme dispositif sédimentateur d’une mémoire
culturelle et outil d’incorporation des dispositions, de systématisation des conduites ;
- comme idéologie, comme représentation agissante -le réseau comme modalité d’inscription de l’individu dans le
tout social.
Les habitudes vues “ comme un instrument majeur de la construction de l’individu, assurant la médiation entre les
corps individuels et l’héritage culturel. L’habitude est une sédimentation du passé conditionnant l’avenir, liant
intimement individu et société ” (Kaufmann, 2001), ou selon Weber, comme un “ ethos ”, soit un principe
systématisant les conduites, sont au principe de l’établissement de dispositions. Ces dispositions individuelles et
collectives à la rationalisation des conduites peuvent ainsi conduire à des modes rationnels de relations entre
individus ; rationalité acquise rendant possible sa formalisation et sa matérialisation dans des dispositifs techniques.
La rationalisation des relations si ce processus est en cours, passe par la technicisation de l'accès à la communication
avec les autres (Jouet, 1992) ; elle induit l’idée d’un “ formatage ” des pratiques informationnelles,
communicationnelles et culturelles.
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9
Des modules comme la construction de pages personnalisées d’information sportive, l’expression dans des forums de
discussion sur des sites de sportifs, la possibilité de disposer de symboles identitaires comme des messageries
électroniques reprenant le nom d’une fédération, d’une communauté ou d’un média rendent réalisable une certaine
forme de production sérielle, donc standardisée et normalisée, de plate-formes d’intégration / différenciation sociale,
d’accès individualisé et/ou privilégié à des contenus et à d’autres internautes partageant plus ou moins les mêmes
passions, pratiques et systèmes de valeurs. En définitive, ces plates-formes permettent le partage d’expériences
individuelles et l’élaboration de cadres communs d’action (préalables à l’incorporation de savoirs faire techniques et
relationnels puis à la création d’habitudes) en matérialisant les échanges. Le sport présente à cet égard l’indiscutable
avantage de proposer à partir de pratiques sociales diversifiées, des représentations collectives largement partagées et
identifiées, aisément mobilisables dans ce processus de création d’habitudes. Par ailleurs, il constitue une modalité
de socialisation importante marquée par la construction d’une partie de l’identité sous forme collective.
Du point de vue de l’idéologie, les discours sur la “ société de l’information ” contribuent à masquer le caractère
social du processus de l’individualisation en faisant de l’individu le seul acteur libre et autonome de son
individualisation alors même que cette celle-ci ne peut être que relative : “ tout se joue dans les mécanismes de cette
production croisée. (...) L’individualisation produit bien un individu plus autonome. Mais le danger est grand à
partir de ce constat et sous l’influence de l’idéologie ambiante, d’oublier le processus social qui produit cet individu
plus autonome, et en conséquence, de se tromper lourdement sur les caractères de l’autonomie ” (Kaufmann, 2001).
En effet, selon J. Rifkin, l’économie est en train de passer d’une perspective centrée sur la production axée sur le
marketing et l’obsession des ventes, à une conception centrée sur les réseaux de relations dont l’obsession est
d’exercer un maximum de contrôle sur le temps de la vie quotidienne. Ce processus de marchandisation du quotidien
existentiel de l’individu repose sur l’individualisation et la réification des rapports humains, que rendent d’autant
plus aisées les technologies qui permettent d’embrasser la totalité de l’existence d’un individu (e-mail, forums de
discussion, chat, espaces de travail coopératif, etc.) et qui en retour tirent leur légitimité du système de croyances
ambiant. Par suite, “ dans une économie de prestataires et d’usagers fonctionnant en réseau et où l’interdépendance
est le principe structurant toute activité, la notion de liberté prend une tout autre signification. Ce sont les droits
d’inclusion et d’accès, plus que l’autonomie et la propriété, qui définissent fondamentalement la liberté. La liberté
devient la mesure de la capacité d’un individu de nouer des relations, de forger des alliances et de s’impliquer dans
des réseaux d’intérêts communs. Être connecté, c’est être libre. ”
Ainsi les technologies de l’information et de la communication se constituent comme le support privilégié du
développement du capital relationnel des individus renforçant du même coup la croyance collective en leur
effectivité et les visions connexionnistes de l’être en société. Dans le même temps, elles réalisent l’idéal de
l’homme relié : être possesseur de lui-même c’est-à-dire être le produit de son propre travail sur soi (Boltanski,
1999).
Le concept de reproduction demeure central dans tout processus d’industrialisation. Appliqué à la question des
relations entre individus dans un cadre social, le concept de reproduction suppose l’existence d’individus en même
temps détachés et susceptibles de s’inscrire (dans un/des collectifs flottants ou non). Modes de comportements et
systèmes de valeurs partagés par plusieurs individus (les pratiquants d’une discipline sportive par exemple) peuvent
ainsi être proposés à une majorité élargie sous une forme marchande et/ou non marchande. On peut reprendre la
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réflexion selon laquelle “ à la reproduction en masse correspond en effet, une reproduction des masses ” (Benjamin,
1933).
En
quoi
les
technologies
de
l’information
participent-elles
de
ce
processus
qui
associe
production/reproduction en masse et des masses ?
Au premier chef, elles nourrissent cette idéologie de l’individualisme11 en contribuant à masquer le caractère social
du processus d’individualisation. Ensuite, en tant que dispositif technique, économie, elles apportent la dimension
holiste à ce processus d’individualisation en permettant simultanément la généralisation des pratiques sur un mode
individualisé et le sentiment d’inscription dans un collectif, une communauté, aussi éphémères soient-ils.
Les outils de communication et d’échange participent à l’émergence de nouveaux types de communautés d’individus
appelées aussi “ communautés d’intérêt ”. Ils matérialisent également les contenus des échanges entre individus en
même temps qu’ils en fixent le dispositif de mise en contact. La modularisation de l’offre est alors centrale : à partir
d’elle se réalise la production sérielle de la différenciation, de l’accès individualisé et/ou privilégié à un complexe
produits/services de communication et d’information.
Pour ce qui est des services d’échange, les forums d’expression sur les sites des fédérations sportives, de certains
sportifs médiatiques et de médias font partie de ces services associés à la diffusion de l’information qui tentent de
créer une relation privilégiée avec des pratiquants, des supporters ou des lecteurs. Organisés de manière à permettre
aux internautes de réagir sur l’actualité, ils fournissent aux sites des contenus informationnels car, si un modérateur
supervise le forum et garantit le respect d’une certaine éthique, il produit aussi des résumés des interventions, que
l’on peut considérer comme des produits informationnels, en les sélectionnant et les recoupant. En ce qui concerne
les services d’information, les pages personnalisables d’information sportive sont générées automatiquement par des
bases de données dynamiques qu’il suffit d’alimenter en nouvelles informations pour qu’elles produisent de
nouvelles pages dont l’accès est individuel. Dans le processus de diffusion de l’information, l’alimentation de ces
bases en informations nouvelles enrichit automatiquement les pages individuelles des internautes en actualités
nouvelles.
L’individu est donc en situation de co-production des contenus et des services qui lui sont destinés en propre : il
devient l’agent de sa construction comme individu/consommateur sans pour autant en avoir la maîtrise, celle-ci
restant aux mains des groupes qui détiennent l’accès aux réseaux et services. Ceci illustre l’idée émise par Durkheim
selon laquelle la vie collective n’est pas née de la vie individuelle, mais c’est, au contraire, la seconde qui est née de
la première.
De la combinaison des services d’information et de mise en relation, naît l’illusion d’appartenir à une communauté
car, si effectivement l’accès et l’expression sont individuels, la production des points de vue est massive,
standardisable et normalisable, et leur diffusion est automatisable et sur-mesure en série. Cette articulation entre une
offre généraliste et une fragmentation de l’information n’est pas propre à Internet. La recherche de la maximisation
des profits, qui explique l’éclatement de l’offre des médias et sa segmentation, a commencé avec le papier et les
suppléments thématiques. Par contre, Internet permet une fragmentation plus fine de l’audience favorisant le passage
d’une massification à une individualisation sérielle de l’offre du produit/service informationnel, communicationnel et
culturel. Ce que l’on appelle les communautés sur Internet pourraient alors constituer, en soi, des “ industries de la
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“ La nation est précisément le type de société globale correspondant au règne de l’individualisme comme valeur.
Non seulement elle l’accompagne historiquement, mais l’interdépendance entre les deux s’impose, de sorte que l’on
peut dire que la nation est société globale composée de gens qui se considèrent comme des individus. C’est une série
de liaisons de ce genre qui nous autorise à désigner par le mot individualisme la configuration idéologique moderne.”
(Dumont, 1983).
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relation ” se fondant sur des modes de production et de distribution/commercialisation de services relationnels entre
internautes d’une part et entre internautes et offreurs de contenus informationnels, communicationnels et culturels
d’autre part.
L’enjeu ne consiste t’il pas alors à asseoir la marchandisation de la relation sur le modèle des relations de
communauté fondées sur la gratuité et la création d’obligations réciproques, avec, en ligne de mire, l’affirmation
d’une “ destinée collective ” construite par la médiation des réseaux techniques ? Ceci ouvre d’autres perspectives
de recherche parmi lesquelles l’exploration des modalités de l’articulation don/marchandise, dont le champ du sport
constitue une nouvelle fois un exemple pertinent.
Août 2001
Laurent Collet & Françoise Papa
Université Stendhal
Grenoble
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Indications bibliographiques
Adorno, Theodor W. & Horkheimer, Max, La dialectique de la raison. Fragments philosophiques (1944), Paris,
Gallimard, 1974.
Boltanski, Luc & Chiapello Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
Castel, Robert, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.
Dumont, Louis, Essais sur l’individualisme. Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Paris, Le
Seuil, 1983.
Ehrenberg, Alain, L’individu incertain, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
Ehrenberg, Alain, Le culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy, 1991.
Elias, Norbert & Dunning, Eric, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1986.
Elias, Norbert, La civilisation des mœurs, trad. du tome 1 de Über den Prozess der Zivilisation (1939), Paris,
Calmann-Lévy, coll. Pocket, 1976.
Kaufmann, Jean-Claude, Ego. Pour une sociologie de l’individu, Paris, Nathan, mars 2001.
Miège, Bernard, La société conquise par la communication, Presses Universitaires de Grenoble, 1989.
Rifkin, Jeremy, L’âge de l’accès. La révolution de la nouvelle économie, trad. Marc Saint-Upéry, Paris, La
Découverte, 2000.