Les terres agricoles et les forêts dans la mondialisation

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Les terres agricoles et les forêts dans la mondialisation
Les terres agricoles et les forêts dans la mondialisation
Les terres agricoles et les forêts
dans la mondialisation :
de la tentation de l'accaparement
à la diversification des modèles ?
par Monsieur Alain Karsenty
chercheur
Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) Montpellier
et Monsieur Symphorien Ongolo
doctorant à l'École polytechnique fédérale (ETH) de Zurich
C~2Demeter
L'agriculture, champ géopolitique du
e qu'il est convenu d'appeler « les
acquisitions de terres à grande échelle
dam les pays du Sud " a été remis à
l'ordre du jour, dans une nouvelle version,
depuis 2008, au lendemain de la double crise
financière et alimentaire de 2007-2008 1.
Cene pratique ancienne - mais réccnte
dans sa nouvelle version - a été fortemenr
médiatisée, notammenr à panir de l'affaire
Daewoo J Madagascar : le groupe coréen
Daewoo Logistic s'était vu amibuer 1,3 mil­
lion d'hectares pat le gouvernement malgache
de l'époque, mais cet accord a été immédia­
tement dénoncé par l'opposition et n'a pas
peu contribué à la révolte qui a conduit à
la destirution du président Ravalomanana.
Depuis lors, le sujet est devenu une préoc­
cuparion tant des organisations de la société
civile, des institutions internationales que
de la presse mondiale. Dans la perception
du phénomène, les enjeux de sémantique ne
sont pas négligeables: la presse anglophone a
consacré l'expression brutale de land grab­
bil1g», Jacques Diouf, ancien directeur géné­
raI de la FAO a évoqué un « néo-colonialtsme
agraire et les termes « d'accaparement l>, de
100 " razzia» ou " d'appropriatton " des terres se
dispurent généralement les titres des médias.
Plus prudente, l' Internatiol1al Lal1d Coalition
(ILC), qui regroupe quatre-vingt-une organi­
sations et institutions internationales, parle
de " pressions commerciales sur les terres » afin
de prendre en compte le fait que, souvenr, le
foncier ne change pas de mains.
Le présent article se propose de montrer que
l'expression utilisée par l'ILe reflète mieux
la diversité des pratiques et des modèles qui
se développent, tant pour les terres agricole~
convoitées par des investisseurs aux moti­
vations variées, que pour les espaces boisés
qui, eux, intéressent aussi Ja finance car­
bone. Nocre hypothèse est que le modèle que
désigne « l'accaparement ,. de~ terres agricoles
va rapidemenr arteindre ses limites en raison
des résistances prévisibles des paysanneries el'
des populations locales:
• D'une part, ces mouvemenrs d'opposition
augmenteront au fur et à mesure que seront
connues les informations contenues dans
les contrats, souvent signés en toute opaciré
C
entre gouvernements locaux et investisseurs
étrangers.
D'aurre parr, la mise en œuvre de ces
contrats confrontera les investisseurs à la
difficulré de justifier devant les opinions
publiques, nationales comme internatio­
nales, des pratiques de m3rginalisarion
directe ou indirecte de popuJations pauvres,
qui se verraient privées sinon de leur droit
d'accéder à la twe, du moins de leurs droits
de rransmerrre leur parrimoine foncier à
leurs descendants.
Le besoin d'investissements nouveaux et mas­
sifs dans les agricultures du Sud n'étant pas
contestable, des modèles de contracrualisa­
tion de la production fondés sur le maintien
•
XXI
<;iecle
des paysans sur leurs terres - modèles prati­
qués depuis bien longtemps dans cenaines
zones comme, par exemple, au Sahel pour la
production coronnière - se développent. Si
les contrats sont équitables, ils peuvenr abou­
tir à des siruarions de gains mutuels entre les
investisseurs et les paysans.
1. UN PHÉNOMENE
o
E
En préambule, il faut rappeler que cinq mi/­
lions d'hectares encrent en culture chaque
année en moyenne dans les pays en déve­
loppement, souvent aux dépens des forêts
ou des zones pastorales. Cene question de
. 1.
... t.
1
-,
••
(<
l)
1 GRAIN, 2008. B,sée il Barcelone, l'o(ganlsatioll Iloll-gou­
vernementale GRAJN a élé l'une des premieres il relayer C<(le
nouvelle verSion ,ra<qlll~illoll des [wes il grande ",helle. Elle l,
qu.llfi, d'" ac((/pam'netil dts (fIT',,, dans son rappon d'oclobre
2008, SOH un mOI~ Jvan< " l'affiure DdfWOO" à Marhgascar
7
de 9 ans de libre cxp'ioitarjon du chemin de fer enrre San José e
1 .
.1
Les terres agricoles et lec; forets dans la mondIalisatIOn
la conversion des terres boisées en zones de
cuhure, d'élevage ou de plantation indus­
trielle d'arbres par de grandes entreprises est
traitée d'une manière ambiguë dans les docu­
ments. En effet, ces terres n'étanr pas consi­
dérées comme" arables ", la conversion des
forêts en zones artificialisées - qui entraîne
pourrant une modification des droits de
propriété dans de nombreux cas - n'est pas
toujouts prise en compte dans les rapports
ou les articles de presse. Il est vtai que, dans
la plupart des cas, ce sont des investisseurs
nationaux qui, comme au Brésil ou en Indo­
nésie, sont à l'œuvre et que les populations
concernées SOnt plutôt moins nombreuses
que sur des espaces déjà artificialisés leur
« empreinte agralre}1 est moins visible.
Si ce phénomène n'est pas nouveau (Enradré
1), il semble qu'une accélération des opéra­
tions se produise depuis 2005-2006 Quelles
en sont les raisons > Les analystes avancenr
pl usieurs explications :
• Les crises financières et des prix alimen­
taires de 2007-2008 semblent avoir mar­
qué un tournant décisif Les pays fortement
dépendants des importations agricoles qui,
jusque-là, comptaient sur le marché inter­
national pour assurer leur sécurité alimen­
taire, Ont réalisé que les tensions sur ces
marchés pouvaient occasionner une rrès
forte augmentation des prix et remettre en
question leur sécurité alimentaire, La plu­
part de ces pays disposant de réserves finan­
ciètes sinificatives, ils om infléchi leur stra­
tégie en tentant d'acquérit directement des
terres agricoles dans les pays où cela s'avère
eossible.
• A ces suatégies étatiques, s'ajoutent les
calculs des investisseurs privés en quête de
nouvelles valeurs d'investissements sûres,
après l'effondrement du marché de l'immo­
bilier et la crise boursière. Dans ce contexte,
la demande de produirs alimenraires en
forte augmentation du fait de l'accroisse­
ment de la population mondiale, J'enrichis­
sement des habitants des pays émergents,
ainsi que la mobilisation de surfaces pour les
agro-carburants donnent aux terres arables
une dimension spéculative du fait de leur
valeuf stable et potentiellement croissante.
Ce d'aurant plus que la planète perd chaque
année environ 0,5 % de ses terres arables,
S'ajourent d'aurres considérations plus
locales. Les fermiers (blancs) sud-africains
ont ainsi passé, via leur Chambre d'agri­
culture, un accord avec le Congo - Brazza­
ville pour louer 200 000 hectares de terres
agricoles dans la région du Niari 2 : ceci
en parcie afin d'anticiper les risques d'une
réforme agraire en Afrique du Sud qui les
affecrerait ",
2. UNE RÉALITÉ
EN DÉCALAGE
r L
NNONCES
En 2010, la Banque Mondiale a publié un
rappon 4 qui, sans être exhaustif, apporte
un ensemble d'éléments tangibles permet­
tam d'éclairer le phénomène. n souligne
notammem que, si l'on se fie aux dépêches
d'agences, l'ensemble des investisseurs étran­
gers aurait exprimé l'intention d'acquérir
56 millions d'hectares, dont les dellX tiers
(29 millions) en Afrique subsaharienne.
101
2 Cette opéraClon avait été annoncée rnlua1emcnt et de
manière erronée p:ar l'agence d'informatlons Reuters comme
porunt sur lO mdltons d'htccares.
3. En 2011, le, autOnrés congol~lsel ont annoncé qu'une pre­
mière rranche df 80 000 hectares éraie m"e à dlspomion des
opérateurs ,ud-JfTlcains. Ces cents, dont 63 000 hecrares se
rrouvent dans le département du Niari er 17000 dans celui de
la Boutnu, ,onr desrlOées à h réabsatlnn de trJvaux de nllSe
en œUVff.' d'un complexe agro-Jodusme-] de cultures vivrières et
frUitières, amsi que d'élevage de [,OVIOS. Ce fatSanl, le Congo
ne fail que renoner avec la Situation qui prél·alalt dans les
années sOlxame~Jlx e( quatrt·vtngtS, où des opér;J[f'urs écran·
gers avaÎenr efFectué d'Importants a.ménag~me[)(s agricolès
d3Jls cene région et dlSPOSOICOl de nombreusèl fermes, avant
de devolt partir suire aux lToubles soclo-polingues des années
guam-Vingt-diX dans ce pays.
4 WorlJ Bank, 2010. RlSlnggillb'Ji interm ln fimnland Cnn Il
wid s(611/Inabl, and equl/l/bie benprs '
é~2Demeter
L'agriculture, champ geopol't que du
Mais ces invesrissemenrs annoncés n'ont
en fait connu un début de concrétisation,
sur 20 % des surfaces et ce chiffre relativise
forcement la porcée des annonces. Ainsi, au
Mozambique, l'un des pays les plw, concer­
nés par ces acquisitions, au moins 50 % des
2,7 millions d'hectares rransférés enrre 2004
d 2008 restaienr sans véritable uace d'ac­
tivité en 2009. Le Soudan esr sans doute le
pays où les acquisitions de terres ont été les
plus importantes, exception faite de l'Ar­
gentine où 32 millions d'ha, soit 10 % du
terriroire, seraient aux mains d'étrangers. Au
Soudan, le phénomène n'est cependanr pas
récent : avec près de 4 milliom d'hecrares
concédés, le pays se classe devant le Mozam­
bique et l'Éthiopie (J,2 million d'ha). Mais
la majorité des acquisitions réalisées est le fait
d'investisseurs narionaux : le pourcentage est
de 78 % au Soudan, 53 % au Mozambique
et 49 % en Érhiopie. Une érude conduite
entre 2009 et 2010 par un groupe d'orga­
nisations internationales et africaines ) au
Bénin, au Burkina Faso, au Ghana, au Mali
et au Niger relève que la grande majorité des
opérations porte sur des surfaces inférieures
102 à 1 000 ha. Elles sont le fait d'agro-investis­
seurs nationaux qui unlisent les voies coutu­
mières pour obtenir des droirs exclusifs sur
la terre, d'abord sous forme d'achats (58 %),
puis de location (36 %). ToutefOls, la nature
des droits effecrivemell( transférés fait sou­
vent l'objet d'interprérations conttadictoires
entre les parties à la transaction.
supérieures à 10 000 ha dans le cadre du
projet Malibya, J'opération menée par l'État
libyen au Mali, avec un accord conclu pour
une surface de 100000 hectares en zone irri­
gable (Encadré 3).
Les fonds souverains de la Chine, l'Arabie
saoudite ou d'autres pa)'s du Golfe soucieux
d'assuret leur sécurité alimentaire ne som pas
les acteurs dominants de ces acquisitions. Les
principales forces motrices en sont bien les
investisseurs privés, locaux ou internationaux.
Là encore, il est possible que des groupes pri­
vés comme, par exemple, le groupe Bin Laden
en Arabie saoudite, servent également des
intérêts nationaux, mais la réalité des choses
semble indiquer que les logiques d'affaires
pèsent - encore aujourd'hui - davantage
1
Il est certes difficile de savoir si cercains de
ces investisseurs nationaux ne som pas liés
à des imérêts étrangers, mais la réalité de la
prééminence des investisseurs nationaux rend
difficile l'évocarion systématique d'un li néo­
colonialisme agraire », même si cenaines opé­
rations peuvent fort y ressembler. Les surfaces
concernées par les projets som en moyenne
Inférieures à 10 000 ha. Les grandes opéra­
rions sont rares C( jamais encore concrétisées,
même si les médias se font régulièrement
J'écho d'opérations de plusieurs milliers,
voire millions d'hectares. En Éthiopie, la
surface moyenne des opérations n'est que de
ïOO ha - comre 8 000 ha au Soudan - et
la grande majoriré d'entre c1les est destinée
à la culture vivrière, notamment de céréales.
Les agro-carburants reptésemem moins de
20 % des projets. Seule exception notable:
les contrats effectifs, portant sur des surfaces
CA--~tOemeter
1
XXI
5
ecl·
que les strarégies étatiques. Un expert rap­
pone aInsi que le groupe Bin Laden, associé
à Middle East FoodstuffConsortmm, une autre
firme d'investissement saoudienne, a acquis
500 000 hectares de tetres en Indonésie pour
exploitet des rizières ". Cette opérarion a été
réalisée avec un apport de fonds indonésiens
au capital d'investissement du projet. Dans
le cas de la Chine, l'appui insritutionnel de
l'Étar peut s'avérer plus direct. C'est le cas
avec les deux géams du secteur énergétique,
auparavant spécialisés dans le pén'ole et le
gaz et aujourd'hui à la tête d'activités dans
les biocarburants: les emreprises publiques
SINOPEC (Gina Petro!eum and Gimica!
) 111I"or51 et al. 2011
6 (houquer (20 JI).
les terres ag Icoles et les foret<:. dans la f110ndlallsatlOrl
CorporatIOn) et CNPC (Chma National
Petroleum Corporation). En 2008, SINOPEC
aUfJi: engagé un investissement de 5 mll­
liatds de dollars pour créer des plantations
de palmiers à huile et de }atropha {urcas en
Indonésie, la production éIant destinée à LI
fabrication de bIOcarburants en Chine 7.
La déforestation se définit comme la conver­
sion de terres bOisées à d'autres usages, essen­
tiellement agricoles ou pastoraux. Sous les
[topiques humides, l'exploitation forestière
est sélective et il est rare qu'elle conduise
directement à un abarrage ou à des dégâts
suffisants pOlir parler de déforestation, hor­
mis des cas d'exploitations ttès intensives en
Asie du Sud-Est g
Si l'exploitation est suil'ie d'un déboisement,
c'est toujours pour utiliser la terre il d'aunes
fins. Il peut s'agir de planter des arbres à
croissance rapide, comme des Acaoas man­
gium ou des eucalyptus pour fabriquer de la
pâte il papier, des hévéas ou, plus fréquem­
ment, des palmiers à huile. En Amazonie
brésilienne. J'élevage extensif de bovins est la
première cause de déforestation. Cincertitude
quant aux droits fonciers sur les forêts de
cette tégion constitue un faeteur catalysant
des srratégies d'appropriation par la " mise
en ~'aleur" sur de grandes sutfaces. Les inves­
tisseurs SOnt nationaux et la consommation
de viande d'Amazonie est essentiellement
brésilienne. En Asie du Sud-Est, l'expansion
du palmier a été fulgurante depuis une quin­
zaine d'années et elle s'est largement faite
aux dépens des forêts. Sur la période 1990
- 2005, 55 à 59 % de l'expansion du pal­
mier à huile en Malaisie et au moins 56 %
en Indonésie ont été réalisés au déttiment
des forêts ~. Quant aux usagês locaux prati­
qués par les populations, il est facile de com­
prendre qu'ils deviennent quasi impraticables
après la conversion de la fotêt en champs de
palmiers ou d'eucalyptus.
Cerre poussée des plantations depuis une
quinzaine d'années esl mue par les investis­
sements des grandes sociétés. Elle résulte peu
des petItS ou moyens exploitants, comme
c'était le ca~ dans les années soixante-dix
grâce aux grands programmes de colonisa­
rion et aux ouvertures de routes financées par
les États 10 La rentabilité de la produccion
d'huile de palme est ttès importante puisque
les marges bruces annuelles peuvent atteindre
3 500 - 4 000 dollars par hectare. Le pocen­
riel mondial de développemenr du palmier
à huile teste très importanr dans les zones
tropicales et la demande croissante d'agto­
carburants devrait encore accroître sa profi­
tabilité et son expansion. En Afrique, le Libe­
ria est, avec l'Angola. l'un des premiers pays
d'accueil des investissements agricoles asia­
tiques pour le palmier. LlO dernier, le groupe
malaisien Sime Darby a obtenu une conces­
sion de 220 000 ha pour y établir une plan­
tacion, rejoignant ainsi d'autres acteurs indo­
nésiens et singapouriens implanré~ depuis
peu. Au Gabon, la société OLAM, basée à
Singapour, a prévu d'implanter 300 000 ha
de planrations de palmier à huile sur des
forêts secondaires: une première tranche de
38 000 ha est en cours de réalisation au sud­
est de Libreville Il. La taille importante de
ces opérations est permise par la « présomp­
tIOn de domanialité" sur les forêts. Celle-ci
permet en effet aux gouvernements de s'au­
tOriser à attribuer des surfaces considérables
sur ce qu'ils esriment êtte « leur" domaine,
sans concertation avec les populatiom qui y
exetcent des droits coutumiers.
4. L'ARRIVÉE
DE LA FINANCE CARBONE
DANS LE PHÉNOMÈNE
D'ACCAPAREMENT
ES TERRES
Pour protéger les lOnes de « haute valeur éco­
logique ", des associations de procection de la
nature, souvent associées à des mécènes ou
à des fondations d'entreptises, achètent des
terres afin de les soustraite à l'exploitation
forestiète ou à la conservation foresciète. En
2004, l'organisation non-gouvernementale
The f\Tature Conservancy a ainsi acquis près
de 150 000 heCtares dans une forêt de mon­
tagne au Belize: l'acquisition a été faite au
nom de l'État mexicain, mais financée par
l'ONG américaine pour que cene zone béné­
ficie d'une protection permanente. Mais de
tels achats sont rares. En 200S, l'affaite Cool
Earth a suscité une levée de boucliers au
Brésil face à ce qui a été perçu comme une
forme d'éco-colonialisme et une tentative
d'achat en sous-main d'une partie de l'Ama­
zonie, au nom de la protection de la forêt.
John Eliasch, conseiller du Premier Ministre
C~zDemeter
britannique sur le changemcnt climatique,
mais aussi prospère capitaine d'indusrrie et
fondateur de l'ONG Cool Earth avait en effet
proposé de sauver les forêts tropICales Il en
sécumant des terres qui sfralent, smon, ven­
due, aux exploitants forestiers et aux éleveurs».
Cool Earth a fait l'objet d'une enquête au
Brésil pour rachat présumé, Via des intermé­
diaires, de 160 000 heCtares dans l'État ama­
zonien du MatO Grosso. L'ONG a démenti,
mais une dépêche de l'Agence Ftance Ptesse
datée du 26 mai 2008 rapporte néanmoins
que John Eliasch aurait déclaré devant un
parterre d'hommes d'affaires internarionaux
qu'il « suffisait" de téunir 50 milliards de dol­
lars pour sauvet la forêt amazonienne de la
destruction.
Acheter des teetes boisées pour les conserver
constitue une solution onéreuse et diflîcile­
menr praticable pour des raisons politiques,
mais aussi du fait de l'impossibilité juridique
liée à la ftéquente propriété publique des
forêrs ou, plus exactement et comme nous Ic
verrons plus loin, au régime de la domanialité
dans Je monde tropical. Plutôt que de ren­
tcr d'acquérir la pleine propnété des terres,
les investisseurs en conservation préfèrent
103
donc se concentrer sur l'acquisition de droits
d'usages: soit avec l'État, sous le régime de
la concession, soir avec les propriétaires pri­
vè, ou les détenteurs coutumiers, sous forme
d'arrangements contractuels. En Amérique
du Nord, de nombreuses otganisations de
défense de l'environnement recourent ainsi
<lUX servi rudes de consetvation (conservation
easements). Il s'agit d'un accord au terme
duquel un propriétaire tenonce à « déve­
lopper » rout ou panie de ses terres contre
paiements lè. C'est généralement une ONG
de conservation qui se pone acquéreur des
droits d'usage ainsi cédés par le propriétaire.
La contrepartie peU( ptendre la forme d'une
compensation financière, correspondant en
principe à la réduction de la valeut vénale de
7. D'après SchOll (2009 40)
g LJ dégradation de Jo forét prtOlalIe >eSl si imporJ3111e que
les op3ces p<:r(lJrbe~ sonl envahIS par /rnpertlta ry!illdrjto, une
rspece mva"ve de grammée herbae<'e YUI se dévtloppe sur Je,
sols 'ppaovris. entralnan< une pmurbatlon dan, 1" h'ltion de
l'JZNe du sol et une compétition av'c b arbres
9. D'"près Koh Ct Wilco\'c (2008)
10 Rudel. 2007. BlIiler er bllrance. 2009
1] Kars.nll', 2010
12 Gull,s()n el al. 200!.
L'agrlcul~ure,
la propriété liée à l'amputation d'une partie
de ses attributs d'usus, incluant le manque à
gagner qui découle du tenoncement à l'ex­
ploitation forestière (attributs relevant du
fructus).
Ce type de principe fait l'objet de plusieurs
déclinaisons. Cool Earth propose aux par­
ticuliers, aux collectivités et aux entreprises
« d'adopter" une parcelle de forêt tropicale,
localisable sur Google Eartk CONG s'engage
à négocier avec les usagers locaux un accord
rémunéré de conservation. De son côté,
Conservation international (CI) a développé
un concept d'accords incitatifs de conser­
vation, dont la finalité est de dédommager
directement les ayants droit et les collectivi­
tés concernées par le coût du « renoncement
au développement » dans les zones conser­
vées 13. C'est la form ule des « concessions de
conservation », qui ne requiert pas l'existence
préalable de droits de propriétés privées indi­
viduels sur les forêts à conserver. Dans ce
schéma, les promoteurs de la conservation
- ONG, collectivité publique, État ou indi­
vidus - proposem de se porter acquéreurs du
droit d'exploitacion qui constitue la base de la
104 concession forestière, afin d'empêcher toute
exploitation commerciale. En Equateur, au
Cambodge, à Madagascar et dans d'auttes
pays du Sud, CI propose ses « conservation
incentives agreements ') à des communautés
paysannes insrallées dans des zones riches
en biodiversité, généralement des forêts et
l'organisation entend dorénavant faire finan­
cer ces réalisations par la finance carbone
(Encadré 4). CI cible ainsi, particulièrement,
le marché volontaire du carbone qui sert de
débouchés à ce qui est désormais qualifié de
projets REDD+ pour Réduction des émissions
issues de la déforestation et de la dégradation.
Au Guyana et au Pérou, où sont en jeu de
vastes surfaces de forêts, CI a établi deux
« concessions de conservation ", un concept
devenu très populaire dans le monde de la
conservation, Celles-ci s'accompagnent de
restrictions de droits d'usage pour les popu­
lations locales, noramment en matière d'agri­
culture et de chasse, mais les modalités de
compensation de cette perte de droits d'usage
restent assez Aoues.
Plus récemment, des cas documentés d'ex­
pulsions de paysans ont été présentés : en
Ouganda dans un rapport de l'ONG Oxfam
daranr de 2011 et au Kenya dans un article du
quotidien britannique 7he Guardian publié
charnp geopolltlque du
en 2009. Dans chaque cas, des (' investisseurs
carbone Il internationaux sont impliqués dans
une opération de restauration, de conserva­
tion ou de plantation de forêts. En Ouganda,
la société britannique New Forest Company
a mis en œuvre un projer dans le cadre du
mécanisme de développement propre (MOr)
créé par le protocole de Kyoro. Le projet
ougandais consiste à planter des arbres afin de
recevoir des ctédits carbone négociables sur
le marché du même nom. Oxfam reproche
à NFC d'être indirectement responsable de
l'évicrion de vingt mille personnes, certes
occupants illégaux, mais installés depuis
longtemps dans la zone du projet. Au Kenya,
la société Wil.dlife WOrks Carbon d entrepris
en 2011 un projet REDD+ de 32 000 hec­
tares dans le sanctuaire de Rukinga, au sud
du pays et elle aurait fair déplacer plusieurs
C~2Demeter
XXI'
siecie
centaines de personnes, des occupanrs égaIe­
ment réputés illégaux, Le problème est qu'en
Afrique, les" occupants illégaux ", souvent des
migrants, ont parfois acheté leurs terres de
bonne foi à des narifs, dans le cadre de tran­
sactions cerres illicites aux yeux de la loi, mais
considérées comme légitimes localement - er,
en cas de conRits fonciers, les aetes de vente
sous seing privé sont souvent jugés recevables
par les tribunaux locaux.
Néanmoins, ces phénomènes induirs par la
perspective de bénéfices sur le marché du car­
bone restent très limités en termes de surfaces
et ils pourraient faire long feu si les négocia­
rions internationales sur le climat continuent
à s'enliser. La « reprise en main" d'un certain
13 NIe"en et RICl" 2004.
Les terres agricoles et les foréts dans la mondialisation
nombre de parcs er réserves forestières ayant,
au fil du temps, été occupés par des paysans
en quêre de rerres agricoles et pasrorales est
certes favorisée par la finance carbone. Mais
l'exrension de ces aires protégées est peu pra­
ricable quand la densiré de papularion esr
significative. Même dans des régions encare
considérées par les gouvernemenrs comme
" vides de papularion - par exemple, cer­
taines panies de l'Afrique centrale ou de
l'Amazonie - les extensions risquenr d'èrre
canrrariées par la reconnaissance internatio­
nale des droits des \< populatIOns autochtones»
consacrée à l'ONU 14 Les « espaces Vides» ont
sans do ure définitivement disparu des repré­
semarions considérées comme légitimes dans
le nouveau régime international de l'environ­
nement.
>l
5. LE MODÈLE
DE L'ACCAPAREMENT
- -1 DE' f
7
Si l'on assiste incontestablement à une nou­
velle vague d'invesrissemenrs directs, étran­
gers ou nationaux, dans les terres agricoles,
le modèle qui s'imposera à moyen terme n'esr
pas encore stabilisé. D'abord parce que les
achat, de rerres sont rares, sauf en Argentine,
en Uruguay ou au Brésil quand la législarion
le permer. Dans I~ plupart des cas, il s'agit
de locations à l'bat (parfois sous forme
de concessions foncières) pour des durées
variables, mais communémenr de ['ordre du
siècle (de vingt à cinquame ans au Liberia).
Le, transferts en pleinc propriété concernent
les zones où doivent être insrallées les unités
de rransformation. Les contrats som assor­
tis de cahiers des charges dom les contenus
varient (création d'emplois, de routes, d'in­
frastructures, ere.) et dont le non-respect
peut enrraîner l'annulation du contrat de
locarion ou de concession. Cette possibilité
reste routefois largement théorique car les
gouvernements hésitent à annuler l'opétation
quand sont en jeu des emplois et des revenus
locatifs ou des raxes.
Ces transactions conduisent-elles à des
déplacements de population' C'est parfois
le cas. Au Mali, l'étude d'impact menée sur
l'un des deux imponanrs projers d'investis­
sements étrangers prévoit que 127 ménages,
soi t 1 644 person nes, devront êrre déplacés et
compensés. Dans les autres pays, l'analyse des
contrats l5 indique que les gouvernements
s'engagent au préalable à acquérir les drair, de
propriété ou d'usage pour, ensuite, les mettre
à disposition des investisseurs. Mais l'équité
des compensations dépend de la capacité des
organisations paysannes et des sociétés civiles
il faire valoir leurs droits. Quand des activi­
rés d'irrigation sont prévues, la concurrence
pour l'accès à l'eau n'est généralement pas
prise en compte dans les contrats. Dans les
zones fotestières, où l'empreinte agraire des
populations est moins visible, les compen­
sations - quand elles existent - ne prennent
en compre ni les usages non-agricoles (col­
lecte, chasse), ni la dimension de réserve fon­
cière des forêts au sein des finages villageois.
Quant aux populations semi-nomades, non
tournées vers l'agriculture, comme les Pyg­
mées, elles sont souvent les principales per­
dantes de la conversion des forêts à des usages
agro-industriels.
Dans de nombreux cas cependant, les inves­
tissements n'impliquent pas de déplacement
des populations, ni de transfert du foncier.
La contractualisarion des exploitants fami­
liaux pour l'achat de leurs productions dans
une logique de construction de filière inté­
grée constitue une option souvent pratiquée
et qui pourrair bien s'affirmer comme la seule
viable à tetme. Ce modèle est celui, entre
aurres, de la Fondation de l'Aga Khan, qui
encadre 60 000 petits exploitants au Kenya
pour la production de haricots verts, dont
une grande partie esr exportée vers l'Eu­
rope. Le prix de vente de la production est
convenu à l'avance avec le client européen,
mais aussi avec les fournisseurs kenyans afin
de se prémunir conrre les risques de volatilité
des prix. Les agriculteurs bénéficient donc
d'une garantie de débouchés et de revenus,
ainsi que de conditions privilégiées d'accès
aux intrants, de formation et d'assistance
technique. Comme le note le rapport publié
en 2010 par le Centre d'Analyse Straté­
gique IG, « Le modèle de l'agnculture contrac­
tu('!!e, basée sur de petites exploitations sur le
format de l'out-grower scheme a été privilégié
pour ses avantages en termes de coûts (couver­
ture des risques rlimatiques par l'atomisation
des fournisseurs, con trôle de qualité, absence
d'mvestissement engendrant des coûts dits 'irré­
cupérables) j,. Toutefois, ce modèle n'esr pas
exempt de risque pour les agriculteurs. En
Tanzanie en 2009 par exemple, l'abandon,
suite à la crise financière, du projet d'une
entreprise suédoise visanr à produire du
C~tDemeter
carburant à partir de la canne à sucre, a été
lourd de conséquences pour les agriculteurs
qui s'étaient reconvertis dans la culture de
canne, avec l'espoir de participer au réseau
de petits producteurs. Ils ont soudainement
vu disparaître tolite perspective d'écouler leur
nouvelle production. Mais ce risque peur
être atténué. Darts le projer kenyan évoqué
ci-dessus, l'en rreprise exige des agriculteurs
conrracrualisés qu'ils ne consacrent pas plus
de 25 % de leurs surfaces à la culture du
haricot, afin de conserver une dynamique
d'agriculture vivrière dans la zone. Ce type de
disposition pourrait facilement être exigé par
les gouvernements et inscrir dans les cahiers
des charges des investisseurs agro-industriels.
Les investisseurs sont généralement réticenrs
il dépendre des exploitarioll.'> familiales pour
assurer la producrion agricole dont ils ont
besoin, noramment quand celle-ci doir ali­
menter des unités de transformation indus­
trielle. Ils sont plus enclins à envisager des
formules de location. Néanmoins, l'écart très
important entre les intenrions en termes de
superficies er les téalisations indique de réelles
difficulrés à mobiliser la rerre pour mener à
bien ce genre d'opérarions, Mis à part de
grands pays disposant de terres arahles abon­
dantes et d'une paysannerie relativemenr peu
nombreuse - comme l'Argentine, l'Uruguay
ou l'Ukraine - il esr difficile, même pour
des gouvernements autoritaires, de pa.s~er
outre les droits fonciers locaux en s'enfer­
mant dans un têtc-à-têre discrétionnaire avec
les investisseurs, qu'il s'agisse d'Érars ou de
firmes privées. De plus, la démographie n'est
plus celle de l'époque coloniale. En Afrique
par exemple, il faut rappeler l'augmenta­
rion rapide des densités de popularion entre
1950 et 2000 I? Les préviSIOns pour 2050
prévoient même une accélération de cette
tendance (Graphique 1). Même si une partie
de cette augmentation sera absorbée par les
villes, on entrevoit les difficulré~ prévisibles
de rou re tenrarive de « néo-colonialisme »
agraire qui serait conduite par des investis­
seurs érrangers. La multiplicarion des conAirs
fonciers dans les pays du Sud, notamment en
14. Von à ce 5LLlor, b Déclaration des Na(rOLLS Unies sur les
JroHs des peuples autochtones adoprée en 2007.
15. CûrLLi~, 2011.
16 La ml>Slûn éra" pré>ldee par Mlchel Clave. d"ocreur Ag"­
culture aLL Créd" Agncûie
17 Corula, 20 11
L'agriculture, champ géopolitique du
GRAPHIQUE 1
Éyolution potentielle des den~ités dtc population au km!
dans quatre pays africains entre 1950 à 2050
135
131
120
105
Madagascar: 91
90
75
GO
45
30
15
Éthiopie:
17
4 7
0
1950
2000
2050
Sauret': UN, 2011. World Popu/atlOn Prospects: The 2010 Rel/won, Popu/atlon DiVision ofthe
Department ofEconormc and Social Ajjàirs ofthe Unl!ed NatJons SecrelrrrirJt
(http//e.<a.un.org/wpp/unpp/p2kOdala.aJp).
106 Afngue,
.
d
' conrn' b
.
1es
evraH
uer 'a convaincre
investisseurs potenriels qu'il leur sera difficile
d'é"iter les formules de contracrualisation
s'il, veulem bénéficier d'un climat social cor­
rect pour sécuriser leurs investissemeiHs.
6. DES GAINS MUTUELS
POSSIBLES?
Derrière ces nouveaux investissements agri­
coles, on voit ressurgir des craintes pour la
paysannerie dans les pays en développement
et une discussion déjà ancienne de l'écono­
mie rurale: celle de l'opposi(jon enrre agri­
culture indusrrie1Je s'appuyant sur le travail
salarié et agricuicure paysanne, de pente
exploitation familiale. JI n'est pas sùr que les
faits donneront beaucoup de grain à moudre
pour alimenter le débaL Par contre, le constar
du manque de capital (en termes de capaci­
tés d'investissement) des exploita rions fami­
liales dans les pays du Sud faIr consensus. Il
est égalemenr avéré que, du fait à la fois de
ce manque de capital et de la faiblesse des
infrastructures, de nombreuses régions pro­
pices à l'agriculture (hors forêts) sonr sous­
utilisées. Un rapporr de la Banque Mondiale
et de la FAü de 2009 indique qu'environ 400
des 600 millions d'hecrares de savane de la
région guinéenne de l'Mnque pourraiem être
utilisés à des fins agricoles, mais que moins
de 10 % de cette surface sone cultivés. En
Afrique cenrrale, un pays comme la Répu­
blique démocratique du Congo - le Congo
Kinshasa - naguère grand producteur de
denrées alimentaires, dispose d'un énorme
potentiel inexploité, mais ses paysans ne peu­
venr le mettre en valeur faute de capital. À
cela s'ajourent des difficultés pour écouler
la production du fait de la dégradation des
infrasrructures et des tracasseries qui comti­
went une forme de racker à peine déguisée,
perpétré par les agents mal payés de ld force
publique. Des investissemems importants,
publics comme privés, dans les infrastruc­
tures, l'environnemem économIque et la
gouvernance sont absolumem nécessaires afin
d'assurer la sécurité alimentaJre et permetrre
au pays de rmouver sa condition d'expor­
tateur. Si les politiques publiques favorisent
le développement d'un modèle d'agriculrure
contractualisée, accordmr la prionré à la
construction de filières inrégrées, des gains
mutu~ls enere partenaires - entreprises, pay­
sans, Etats - sont parfairemem possibles. Par
ailleurs, la lutre contre la déforestation, qui
C~îDemeter
XXI
siecl e
a pris une place si importante dans l'agenda
international avec le mécanisme REDD+, a
toUt à gagner d'un couplage avec l'agenda
du développemem 'lgricole. Ce rapproche­
ment permettrait d'intégrer explicitement la
cOlHtainte de conservarion des écosystèmes
naturels dans les politiques er les ac[i~ns d'in­
tensification de la producrion, mais aussi de
jouer sur une palette diversifiée d'itinéraires
techniques, telle l'agro-foresterie dans les
zones péri-forestières.
Un contrat ne constitue évidemment jamais
une garantie d'équité. En analysant le modèle
de contrat proposé par l'entreprise indienne
Varun aux paysans malgaches IR, des cher­
cheurs 19 om mo n rré que le pa nage des
récoltes proposé était désavamageux pour
les paysans auxquels Varun se proposait
de louer la terre (en employant une partie
d'entre eux pour cultiver le riz) er de verser
30 % des fucures récoltes. De même, un rap­
pon mon ue la gtande dispari té des clauses
conrracruelles : celles-ci sont, par exemple,
plus avantageuses pour les paysans du Liberia
OLI l'inRuence de la Banque Mondiale et des
organ isarions internarionales (sr fone 2U.
7. DES POLITIQUES
PUBLIQUES POUR
GARANT R 'ÉQUITÉ
Le débat entre tenams de la non-imervenrion
dans J'évolution des pratiques coutumière~
er partisans de la codification pourrair éga­
Iement rebondir à la lumière de ces nouvelles
dynamiques : en parriculier, au regard de
l'importance de "acquisition des terres par
les investisseurs nationaux et ies élttes locales.
Nombre d'analysres sonr intéressés par la Aui­
dité er le l.aissez-faire qui constiruaienr l'une
des facettes de l'indirect Tule britannique 21
er permettaient, en principe, J'ajustement
permaneIH des règles locales aux cond itions
du moment. Mais, comme l'a remarqué le
géographe Michael Mortimore, spécialiste
de ce régime, c'esr prendre le risque de voir
exclure b groupes les plus faibles de l'accès à
IS. Cc cOJ1lra, n'~ nnal,mcnt pa> .té cun"cCi'. Ju r"ir Je 1,
crise poltllquc l M3dag3sc~r déclenchée ell 200S
I~. ,~ndrianirina-Ratsialonana et Tl'\'ssier (2010)
20. Corula, 2n 1J.
21 1:lI1dlfw rule esr un concepr qUI conlère l l'Éw un rôle
dt [rm.tee (suuverJÎneté pour 35surer le hlt'll commun) dans
le cadre J'un système duol"" (circlt " moJunc " vwu.' droit
coutumIer)
Les terres aqrlcoles et les forets dans la mondlallc;a.lon
la terre 22 ]vliné par la corrupüon de l'État et
son instrumentalisation par des intérêts PJr­
ticuliers, l'indu-ect mie a finalemenr permis
aux notables ruraux de l'Afrique de l'Ouest
anglophone de se constituer des patrimoines
fonciers privés, aux dépens des plus pauvres
et des groupes marginaux. Devanr ce constat,
Morrimorc envisage positivement le recours il
des formes de codification, comme au début
de l'indirect rule et malgré les risques de crtS­
tallisatlOY/ des couru mes : ceci afin de proté­
ger explicitement des prariques et des groupes
menacés par l'appétit foncier des élites qui
savent si bien tOurner les règles coutumières
à leur profit.
Les politiques publiques seront donc essen­
tielles pour garantir l'équité, Dam de nom­
breux pays, l'abandon de la présomption de
domanialité sur les tertes cultivées, pastOrales
ou forestières constitue un préalable indispen­
sable pour que leurs usagers puissent acqué­
rir une meilleure sécurité foncière. en faisam
reconnaître leurs droits locaux. Cette mesure
rendrait en effet plus difficiles les allocations
arbitraires de supetficies à des investisseurs
par des administrations peu scrupuleuses.
De ce point de vue, la loi foncière malgache
de 2008 constitue une solution iJl(éressanre
car elle inverse le sens de la présomption de
propriété : les terres non immatriculées au
nom de l'État ou des collectivités locales som
réputées constituer des" proprtétés prl1'ées non
titrées" de leurs usagers. ParaJlèlement, un
programme de distribution de cernficats fon­
ciers sur la base d'enquêtes contradictoires et
de relevés parcellaires est en cours - même si
son déploiement a été freiné par la crise insti­
tlItionnelle sur la Grande Île - afin d'entériner
des droits de propriétés reconnus aux occu­
pants. Bien sûr, voter des lois ne suffit pas. Il
faut aussi que prévale l'état de droit. Néan­
moins, un cadre juridique favorable constitue
un point d'appui pour les batailles syndicales
et la mobilisation des sociétés civiles,
8. CONCLUSION:
LE RÔLE - CLÉ
DES GOUVERNEMENTS
ET L'EXIGENCE
DE TRANSPAPf CE
La vague spectaculaire d'annonces média­
tisées concernant les acquisitions de terres
à large échelle, amorcée en 2008 semble
aujourd'hui perdre de sa force, sans toutefois
s'arrêter. La plupart des études consacrées à
cene question s'accordent à dénoncer les
dérives du commerce foncier international.
Relayées par les projecteuts médiatiques, elles
ont permis de mettre en évidence l'opacité
qui enroure ces contrats d'achat ou de loca­
tion, les asymétries de pouvoirs entre acteurs
et le manque d'équité, voire l'injustice qUI
frappe les plus fàibles. Dans ce jeu à troIS
entre États, privés (entreprises et élites) et
populations rurales, ces dernières s'avèrent les
plus vulnérables_ Elles sone en effet peu aptes
à négocier des conditions favorables auprès
des Junes acteurs du jeu.
Face à cerre pratique que la SOCiété civile a
qualifiée d'" accaparement des tc,res ", ia struc­
turation de filières intégrées, via la con trac­
(U,llisatioJl avec les exploitations familiales,
peut constituer une option plus durable et
plus équitable. Toutefois, comme l'a souli­
gné en 2009 Olivier de Schuner, rapporteur
spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation
qui veut éviter que les paysans ne deviennenr
" des ouvriers sans POUIl0t)" sur leur;- propres
tm'Cs" 2\ il est nécessaire d'encadrer ce type
de mesures afin d'éviter certains risques
notamment en termes d'insécurité ,dimen­
taire, si les f)dysans consacraient toutes leurs
terres à la production de produits d'exporta­
tion, au détriment des cultures vivrières. De
même, les exploitants familiaux étdnt mal
outillés pour négocier des contrats gagnant
- gagnant avec les investisseurs, ce rôle de
contrôle el de garantie d'équité devrait reve­
nir aux gouvernements des pays hôtes. Tou­
refois, l'expérience des ventes ou des locations
de terres à grande échelle dans les pays du
Sud a prouvé que les gouvernements de ces
pays sont souvent plus soucieux des intérêts
des invesrisseurs - qui se confondent parfois
avec les leurs - que des intérêts ou des droits
des populations, Comme le note le Comité
technique roncier et Développement 2'1 les
possibilttés d'enrichlSJernent personnel des gou­
llernants et des responsablô de haut niveau dans
le cadre de la préparation de ces accords et leur
pOids dans la déclS/on polttique sont générale­
ment passés ;ous silence 1).
Sr les gouvernements des pays hôtes s'avèrent
peu enclins à garantir l'intérèt général lors de
la signature de ces contrats, faudra-t-il alors
se référer, comme l'a suggéré le professeur
de droit Anastasia Telesetsh ell 20 J 1, à une
régulation de cwe pratiqu~ par la l, médza­
'l
é~tDemeter
tion 2'; " au niveau international; Ce d'autant
que les mesures volontaires d'encadrement de
ces investissemerm agricoles 26 SOnt parfois
ignorées aurallt par les investisseurs que paf
les gouvernements des pa)"s récipiendaires.
Certe approche esr sans aucun doute néces­
saire, mais on peut pemet que son efficaciré
risque d'être limitée. Sa mise en œuvre pour­
rait se heurter à des réaffirmatiollS un peu
crispées de souveraineté de la part des pays
réfractaires à ce qui sera vite qualifié d' « ingé­
rence ». E!1fin, il reste le problème de la capa­
cité des Etats" fragiles» ou " défatllants » à
faire appliquer de relies mesures, même
lorsque leurs gouvernements acceptent de se
plier à de telles règles du jeu ".
la transparence reste une condition indis­
pensable. Tous les conttats signés ne sont pas
accessibles au public et ceci est préjudiciable
à la recherche de l'équité. Dans le domaine
des industries exrractives, il existe un pro­
gr,lmme, baprisé lTIE 27, de transparence
des revenus versés par les entreprises aux
gouvernements que l'on peur résumer par le
slogan proposé par des ONG : « Publiez ce
que 1l0US payez l". En marière d'acquisition
des terre" le monde aurait besoin d'un pro­
107
gramme dont le mot d'ordre serait" Publiez
ce que 1l0US jignez 1" et qui se prolongerait par
une évaluation régulière et indépendante de
la mise en œuvre des engagements pris par
les investisseurs_ Peur-êue, demain, un label
d'" inlle;·tissement roY/tractuel mpomable" spé­
cifique viendra-t-il prendre sa place aux côtés
des labels existants sur l'huile de palme, le
bai, ou le soja" respoYIJables }) )
l(
22 MUf(lmorc l ')~8
23. Allu"I(,on .\ ['A,sembtée générale de l'ONU à New
York le 24 oerobre 2011 (v,"\\w.sriood.org/index.php/îrl
co ln l'onen rlco [uen r/afliclel 1-Iarest-news/ t704-farmers­
ln LI 51- n0( - be~<1 isem pm\'(;' rfJ-laboll ref$' {Hl- (he.- i r~own -1 and ~ II n·
r>ghr-to-jood-expcrt )
24.211\0: l'l.
25. Tdesetsky (211\1) l' ro l''''' la cré"lion d'ull " Bureau ill[er­
n;l(lon~1 de medt<1UQn l"~ organi::.me opérarJunnel qui ~ecür
l'lad 'ou, la [uldle du Seer~cari"l général des N,lions unies.
Le bUl prlnClp,1 ,le cette inSlancc se"il de définir, d'aider ~
la mise ~n Ot'llvre e[ J'assurer k suivi J'un Glhier des chafge~
SOCJlH::l1\'HOnnemeJ1l;.l! en m..ltière d'investissements agricoles
d.ln, les p"y, du Sud (cr organisme mait chargé 1) de " pro­
téger [,~"$ (<:Ht',s 3rahlcs dt 1.1 Jégrad:nion ("(wironnemenrale>l
3 Ir3\'(f::' notammem Jes. p]an~ de micîgarion à. imposer
aux invesltsseurs comme 1''''.llables ~ l'exécutiun de leurs pro­
jets et 2) d'aider les gouvernements à gara",;r l'intérér général
da.D5 les ContrJ{$ dïtwt'~lIssc'n)L~nrs .tgricoles $îgnts JVC'( leurs
(i
Il
r3rt~1l3Ircs.
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