Trois questions à Laurent BègueJeux vidéo et - Arcades
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Trois questions à Laurent BègueJeux vidéo et violence : le débat relancé 1 sur 3 http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=... Article de la rubrique « Actualité de la recherche » Mensuel N° 236 - avril 2012 Dans la tête de l'électeur Trois questions à Laurent Bègue Jeux vidéo et violence : le débat relancé Propos recueillis par Sarah Chiche Faut-il condamner la violence des jeux vidéo ? Une récente étude française fait rebondir un débat éminemment polémique. La polémique concernant la dangerosité des jeux vidéo violents va bon train. L’année dernière, deux études, l’une menée en Suède par Christopher Ferguson, l’autre, reprise aux États-Unis par la Cour suprême américaine, concluaient à l’inexistence de lien de cause à effet entre jeux vidéo et actes de violence. Par ailleurs, certains sociologues et les communautés de joueurs estiment que pour démontrer l’impact des jeux vidéo sur l’agressivité, il faudrait suivre une population de joueurs sur au moins vingt ans – ce qui n’est jamais le cas des études évoquant un lien entre jeux vidéo violents et agressivité, toutes basées sur le court terme. Pourtant, une nouvelle étude publiée par des chercheurs de l’université de Grenoble relance le débat et va plus loin encore : les jeux vidéo violents susciteraient des pensées hostiles qui entraîneraient un comportement plus agressif avec les autres. Professeur de psychologie sociale à l’Université PierreMendès-France (Granoble) et coauteur de l’étude, Laurent Bègue nous explique son point de vue sur la question. Vous soutenez que les jeux vidéo donnent des pensées hostiles et que ces pensées sont susceptibles d’engendrer des comportements violents. Comment en êtes-vous arrivé à ces conclusions ? L’écrasante majorité des études montre déjà un effet des jeux violents sur l’agression. Selon la plus récente synthèse de la littérature publiée par Craig Anderson de l’université de l’Iowa, fondée sur 136 articles scientifiques (incluant 130 000 personnes au total et employant des méthodologies variées), le lien entre les jeux vidéo violents et les pensées, émotions et conduites agressives est avéré. Et cette méta-analyse démontre également un effet de diminution des conduites prosociales. Le lien empirique n’est donc plus à démontrer aujourd’hui, quoi qu’en disent les gamers et quelques démago-geeks qui caressent l’industrie du jeu violent dans le sens du poil (« les données sont contradictoires », « les études sont mal faites »… ). Nous avons montré que les pensées hostiles suscitées par la pratique des jeux vidéo 12/10/2012 17:19 Trois questions à Laurent BègueJeux vidéo et violence : le débat relancé 2 sur 3 http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=... faisaient le lien entre les jeux violents et le comportement agressif. Après une phase de familiarisation, 136 adultes ont joué durant vingt minutes à un jeu violent ou à un jeu d’action non violent. Ensuite, les participants devaient lire deux scénarios ambigus et imaginer la suite de l’histoire. Dans une seconde étape de l’expérience, chaque participant réalisait une tâche compétitive contre un partenaire : il devait appuyer aussi vite que possible sur une touche dès qu’il percevait un signal sonore. Le perdant recevait un son désagréable dans les oreilles. Les participants croyaient que l’intensité du son avait été choisie par leur adversaire. Les résultats ont montré que les participants ayant joué à un jeu vidéo violent, quel que soit leur sexe, avaient davantage de pensées agressives et défiaient davantage leur adversaire. Des soldats américains victimes de syndrome de stress posttraumatique se sont vus proposer de jouer à Virtual Iraq, un jeu de simulation de scènes de guerre. Revivre via le jeu vidéo une scène traumatique pour ne plus y penser sans cesse aurait, paraît-il, des effets thérapeutiques. Qu’en pensez-vous ? Selon les recherches sur l’étiologie des traumatismes de guerre publiées dans des revues scientifiques comme le Journal of Traumatic Stress, l’un des principaux facteurs de souffrance et de stress durable des soldats est d’avoir tué des civils ou militaires au combat. L’utilisation du jeu vidéo violent pour favoriser une désensibilisation est donc cohérente. Mais rappelons que la thérapie par jeu virtuel n’en est qu’à ses débuts, et la poignée de travaux scientifiques qui démontrent un effet favorable ne concerne pour le moment que quelques dizaines de personnes dans le monde. J’ai passé mon adolescence à jouer à Mortal Kombat et à Tomb Raider mais je ne me suis jamais battue avec qui que ce soit. Comment expliquez-vous cela ? C’est l’argument n° 1 des gamers adeptes des jeux violents ! Exigez-vous que les jeux violents aient une capacité d’influence massive pour que l’on reconnaisse leurs effets ? Comme je l’indique dans mon livre (1), les facteurs de violence sont nombreux et les jeux vidéo n’ont pas un poids aussi massif que de nombreuses autres causes individuelles ou sociétales. Dans notre étude française, le groupe ayant joué à l’un des jeux violents avait une augmentation de l’ordre de 15 % de la violence telle que nous la mesurons (chocs sonores à un adversaire). Il ne faut donc pas s’attendre à ce que la quasi-totalité des joueurs devienne des monstres assoiffés de sang ! Le problème principal des jeux vidéo violents tient à leur contenu et aux inculcations conscientes et inconscientes qu’ils induisent. J’insiste, le jeu vidéo en soi n’est évidemment pas à incriminer, bien au contraire : il s’agit d’un outil pédagogique performant et d’un loisir très populaire. Un autre problème concerne l’indépendance des experts par rapport à une industrie juteuse qui pèserait 74 milliards de dollars en 2011. La posture démagogique consistant à nier les faits scientifiques est douteuse, surtout de la part de soi-disant « psychologues du numérique », et rappelle celle qui a conduit l’industrie du tabac à affirmer il n’y a pas si longtemps que les effets nocifs imputés à 12/10/2012 17:19 Trois questions à Laurent BègueJeux vidéo et violence : le débat relancé 3 sur 3 http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=... leurs produits n’étaient que de la fumée. (1) Laurent Bègue, Psychologie du bien et du mal, Odile Jacob, 2011. Laurent Bègue Professeur de psychologie sociale à l’université Pierre-Mendès-France (Grenoble), membre de l’Institut universitaire de France, visiting professor à l’université de Stanford (Californie), il est l’auteur de Psychologie du bien et du mal (Odile Jacob, 2011) et de L’Agression humaine (Dunod, 2010). 12/10/2012 17:19