L`assemblée des retraités lorientais
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L`assemblée des retraités lorientais
L’assemblée des retraités lorientais + Sommaire Mai 2016 PERSONNALITÉS_____________________ 4 I 9 > Quelques Lorientaises célèbres... > Plaidoyer pour Jean-Louis Gérard > Le professeur Mazé > Hippolyte-Magloire Bisson 4 Quelques Lorientaises célèbres, et d’autres moins SPORTS________________________________________ 10 > FCL, un club qui a la pêche TRANSPORTS_______________________________11 > Le bassin à flot déborde > Arrivée du train : à toute vapeur ! 10 FCL, un club qui a la pêche LOISIRS__________________________________12 I 13 > À la recherche des cinémas disparus… BOTANIQUE_________________________ 14 I 15 > Le difficile voyage des plantes exotiques SANTÉ___________________________________ 16 I 17 > Microbes et virus dans l’histoire > Les hôpitaux civils et militaires 12 À la recherche des cinémas disparus… LIEUX____________________________________ 18 I 22 > Le château de Tréfaven > Histoire de l’île St-Michel > La croix de la Perrière > L’industrie du froid à Lorient POINT DE VUE_____________________________23 2 Lorient + Mai 2016 21 Histoire condensée de l’île Saint-Michel Photos d’archives © Collection archives municipales de Lorient Edito « Depuis 1666, la ville affirme ses capacités de séduction, sa force de caractère et une redoutable volonté. À travers ses métamorphoses, elle se forge une identité, singulière et sensible. » « U ne ville finit par être une personne » disait Victor Hugo. Du haut de ses trois siècles et demi d’existence, Lorient affiche toute sa jeunesse. Née d’un père ouvrier, d’une mère océan, elle évolue en bonne compagnie, grandit sans arrogance. Clos à ses débuts, fortifié pendant la Seconde Guerre mondiale, son territoire est maintenant résolument ouvert aux autres, de l’agglomération jusqu’à ses jumelles internationales. Jadis abîmée, aujourd’hui Lorient se rebâtit, tellement urbaine et naturelle. Désireuse de modernité, elle lie son destin à l’architecture. Après Jacques V Gabriel, Georges Tourry, Roland Castro, Henri Gaudin, Jacques Ferrier, ou Jean de Giacento, son écriture se poursuit, à l’image des prochaines transformations dans le quartier de la gare. Plus que jamais agissante en ce XXIe siècle, la voilà inscrite dans son temps, donnant des signes d’avenir. Ils portent les noms d’éducation, d’habitat abordable, de maîtrise de l’énergie… Avec audace, elle invite à regarder devant soi. Premier pôle de course au large, place portuaire forte, la maritimité lui fournit encore toute son énergie. Fidèle à sa réputation solidaire, elle préserve sa fortune sociale, entretient son capital collectif. Joyeuse et conviviale, Lorient aime jouer de toutes ses passions, interceltiques, footballistiques, nautiques… Depuis 1666, la ville affirme ses capacités de séduction, sa force de caractère et une redoutable volonté. À travers ses métamorphoses, elle se forge une identité, singulière et sensible. C’est certain, Lorient a une âme, et 59 000 cœurs battants. Et elle a la chance de pouvoir compter sur de nombreux talents pour l’animer, sur de nombreux acteurs désireux de travailler collectivement à son destin. C’est précisément à cela que s’emploie toute l’équipe du Lorient +. Aussi, je les remercie publiquement pour la constance de leur engagement et la passion avec laquelle chacun d’eux se mobilise en faveur de la Ville et des Lorientais. Norbert Métairie Maire de Lorient Président de Lorient Agglomération Lorient + Mai 2016 3 Personnalités Quelques Lorientaises célèbres, et d’autres moins Le 350e anniversaire de Lorient nous donne l’occasion de nous remémorer quelques-unes des femmes célèbres natives de notre ville. Des rues parfois portent leurs noms. D’autres femmes ont aussi fait l’histoire de notre ville. C’est le moment de le rappeler. Marie Dorval Marie Dorval (Marie Amélie Thomas Delaunay), née le 6 janvier 1798 à Lorient et morte le 20 mai 1849 à Paris, est l’une des plus célèbres actrices françaises du XIXe siècle. Ses succès au théâtre et sa vie sentimentale bien remplie contribueront à en faire un mythe. Claire Droneau Clin d’œil Rappelons ici les trieuses de poisson. Elles traversaient la rade pour venir travailler au port de pêche. Leur lutte a permis d’améliorer leur métier. Et puis, sonne encore à nos oreilles l’appel des marchands ambulants de sardines « Ah la belle, à la fraîche ! ». Les courageuses lavandières qui, été comme hiver, lavaient le linge dans tous nos lavoirs méritent aussi d’être citées dans ces colonnes. 4 Lorient + Mai 2016 C’est elle qui, en 1740, a fait don de son hôtel particulier pour qu’il soit transformé en Hôtel-dieu, converti en « maison de la miséricorde ». La maison de la miséricorde est donc le premier hôpital de Lorient. Il n’en subsiste que le grand portail à la cité Allende. Rita Strohl Née en 1865, elle n’a pas de rue à son nom. Elle fut une pianiste et compositrice très célèbre mais il est curieux qu’aucune de ses œuvres n’ait été éditée. Elle décède en 1941. Sophie Hüe Sophie Hüe (1893) est une poétesse française. Née Sachs, à Lorient, elle passa toute sa vie en Bretagne, écrivant des fables et des poèmes. Elle collabora à Personnalités Curiosité depuis l’origine... la revue l’Hermine. Son recueil « Les maternelles » a reçu un prix de mille francs de l’Académie française. Charitable, elle a fait don des bénéfices pour des œuvres caritatives. Elle est décédée à Rennes en 1893 à l’âge de 28 ans. En 1895, le jardin public à l’angle de la rue Beauvais et du cours de Chazelles prend le nom de Jardin Public Sophie Hüe. Denise Court Denise Court était la « dame de cœur » de Lorient. Adjointe au maire de 1959 à 1965, elle a été conseillère générale de Lorient Centre de 1957 à 1993. Amie loyale de Raymond Marcellin, elle a souvent été la seule à représenter la droite dans une ville de gauche. Denise Court s’est toujours battue pour sa ville et l’action sociale. Elle s’est éteinte à l’âge de 93 ans. La chronique d’E. Mancel intitulée « origine de la ville de Lorient » éditée en 1861 est pleine d’enseignements. L’établissement de l’Orient relevait de la paroisse de Plœmeur. On apprend que le 18 mai 1671 fut célébré dans l’oratoire de L’Orient le premier mariage, celui de Jan Le Marquer matelot résidant dans l’Orient ! Quant à savoir qui fut la première Lorientaise, difficile d’être précis. La consultation des registres départementaux de la paroisse de Plœmeur et la lecture de l’ouvrage de F. Jégou » Histoire de la fondation de Lorient « nous indiquent qu’Yves Le Pichon en serait l’heureux papa. Il habitait sur la lande du Faouëdic au pied de la muraille de l’établissement de la compagnie des Indes. Il y avait là les quatre premières maisons de notre ville. La petite fille serait née le 4 mars 1678, fille légitime d’Yves Le Pichon et de Françoise Le Thiec. Elle s’appelait Louise. Les historiens, les vrais, nous corrigeront si nous n’avons pas été rigoureux. C’est aussi le but de ces réflexions hésitantes. Monique Autret Marie-France Prado Jean-Paul Rocher Lorient + Mai 2016 5 Personnalités Plaidoyer pour Jean-Louis Gérard* Jean-Louis Gérard, riche négociant de Lorient, massacré le 15 septembre 1792. Il fut sorti de prison par la foule qui le lyncha au cours d’une émeute populaire, étant accusé de cacher des armes. J e ne vous ai jamais côtoyé, question de siècles et de conditions sociales aussi. Vous étiez un riche négociant, je ne suis qu’un ouvrier, de ceux que l’on nomme les prolétaires. Et pourtant, votre ignominieuse mise à mort me révolte. Il y a quelque temps encore, j’ignorais jusqu’à votre nom, votre existence. Vous n’étiez pour quelques érudits qu’un de ces nombreux défunts de l’histoire avec un petit h, dont la plupart innocents tués pour des motifs futiles. Qui étiez-vous pour avoir perdu la vie de cette manière ignoble qui ne grandira pas vos meurtriers, groupe aveuglé par une haine incontrôlable ? D’après les papiers officiels, un homme riche, mais pour le reste, honnête commerçant ou profiteur assoiffé d’argent et de pouvoir ? Étiez-vous de Lorient, ou Breton, ou rien de tout cela ? Vous, le ci-devant citoyen Jean-Louis Gérard vous avez été, si j’ose dire, « embastillé », peut-être de manière légale. Mais vous avez été étripé dans la clandestinité, peut-être au petit matin. Que vous reprochaient-ils ? On parle de cache d’armes. Était-il nécessaire de vous sortir de prison et de vous livrer au peuple ? Votre mort arrangeait-elle l’un de vos concurrents ? Vos geôliers vous ont-ils défendu ? Ou alors vous avaient-ils jugé coupable, sans aucune forme de procès ? Vous 6 Lorient + Mai 2016 étiez semble-il un nanti dans un monde de misère, sûrement qu’un sentiment de jalousie montait de cette foule en colère ! Étiez-vous un bon mari, un bon père ? Que je sache, personne, ni dans la bourgeoisie ni chez les marchands, n’a tenté de réhabiliter votre mémoire. Est-ce l’ignominie de votre mise à mort qui a justifié votre disparition, votre effacement des mémoires collectives ? Ou alors vous n’avez été qu’un « dommage collatéral » d’une époque troublée, sanguinaire et vengeresse ? Un hommage Les révolutions réclament leur lot de morts et d’exécutions d’innocents comme si cela était la condition, l’exigence d’une victoire, une nécessité absolue ! Pourquoi ? Était-il également capital de guillotiner de nombreux prêtres, dont certains étaient proches de la masse des petits paysans que vous étiez supposés émanciper ? Fallait-il vraiment supplicier ces hommes en place publique, dans un décorum aussi somptueux que macabre ? Eux ont eu droit à des éloges posthumes, l’Église s’en est chargée au nom de la charité chrétienne ! Elle n’en a pas fait des saints mais au moins des martyrs, statut, à mon goût, bien mérité. Bourreaux anonymes, autour de ce corps ensanglanté et encore chaud, avez-vous fait ripaille ou festoyé, chanté et dansé ? Le sang versé vous a-t-il satisfait ? En cette époque troublée, une république débutante et aux abois avait beaucoup d’ennemis, de l’intérieur et de l’extérieur. Le moindre prétexte mettait le feu aux poudres, pour vous le prétexte fut une possible cache d’armes. La paranoïa régnait sur la région, les autorités voyaient des complots partout et en inventaient pour entretenir un climat de terreur dans la population. L’Anglais et ses espions motivaient cette crainte et la répression féroce. La religion était l’ennemie de l’intérieur, suppôt, non pas de Satan mais du monde ancien. Église, dernier refuge de la noblesse, et de ses serviteurs qu’il fallait éliminer ! Chrétiens, mécréants ou révolutionnaires avez-vous par simple charité une pensée pour ces innocents assassinés ? Aujourd’hui, en 2016, nous fêtons les 350 ans de la ville de Lorient. Je prends la plume pour rendre hommage à des inconnus dont les destins tragiques sont hélas ignorés. Anonymes parmi les anonymes, Jean-Louis Gérard vous méritez que l’on s’attache à votre sort, par respect pour toute vie humaine. Yvon Bouëtté *et les autres victimes innocentes des années de Terreur durant la Révolution française. Personnalités Le professeur Mazé Une des rues longeant l’actuel Lycée Dupuy de Lôme à Lorient porte son nom : le professeur Mazé était professeur de mathématiques du lycée. Résistant, il fut exécuté par les troupes d’occupation en 1944 à Port-Louis. Il était fort apprécié de ses élèves qui l’avaient surnommé « Jésus » en raison de sa longue chevelure tout à fait inhabituelle pour un homme à cette époque. Aimé de ses élèves, de ses collègues et de tout le monde, il fréquentait régulièrement le Café de Paris, place Alsace-Lorraine à Lorient où il venait se détendre en compagnie d’autres « intellectuels » ou de clients de la bonne société lorientaise de l’époque. Ma mère, Janine Mahé, fille des propriétaires, alors en classe de 6e, 5e puis 4e, faisait ses devoirs dans un coin du Café mais quand il s’agissait des exercices de maths, Monsieur Mazé la voyant en grande « difficulté » lui apportait son aide précieuse. Cela lui permettait d’avoir de bons, même très bons résultats bien supérieurs à ceux obtenus lors des contrôles en classe ! Cela faisait dire à son Jeanine (à droite), «élève» du professeur, et ses parents propriétaires du Café de Paris professeur que « quelqu’un l’avait aidée » ! Effectivement, c’était le professeur Mazé, agrégé en mathématiques et enseignant aux élèves préparant les grandes écoles qui lui avait résolu ses problèmes et équations ! Cela n’a pas pour autant permis à ma mère d’exceller dans cette matière… il lui aurait fallu probablement davantage de cours particuliers ! Un sort tragique Début 1943, le lycée est transféré à Guémené-sur-Scorff à la Pomme d’Or. En décembre de cette même année, il écrit à mes grands-parents, Monsieur et Madame Mahé, que « la vie à Guémené, quoique chère, est agréable, la nourriture ne manque pas, s’il y avait des logements, ce serait l’endroit idéal pour attendre la fin des hostilités » et termine sa lettre « avec l’espoir de vous retrouver un jour au nouveau Café devant un demi bien tiré ». En effet, c’était mon grand-père qui tirait lui-même sa bière tous les jours, contribuant ainsi à la qualité et à la bonne réputation de son établissement tant pour cette boisson que pour son café, son porto ou son cognac. Hélas, on sait le sort tragique qu’Émile Mazé connut en mai 1944 en raison de son appartenance à la Résistance puisque son corps fut retrouvé dans un charnier à Port-Louis en 1945. Mes grandsparents avaient acheté le Café de Paris en 1931 et l’exploitèrent à cet emplacement jusqu’aux bombardements aériens du 26 janvier 1943 puisqu’il fut alors entièrement détruit par des bombes explosives et incendiaires. Ils se réfugièrent alors à Érigné près d’Angers puis rentrèrent enfin à Lorient après plus de 3 ans d’exode, en avril 1946. Après de nombreuses discussions et échanges de courrier avec les autorités locales, ils se réinstalleront place Clémenceau, pour faire brasserie, café, PMU et bals avec orchestre plusieurs fois par semaine, dont le dimanche après-midi. Le succès est énorme dans cette période d’aprèsguerre où la population cherche à se distraire. C’est aussi la période de la « Reconstruction » en attendant de pouvoir se réinstaller en 1953 à son emplacement d’origine place Alsace-Lorraine dans l’immeuble doté de la « Première pierre » de cette place, déposée le 23 avril 1950 par le président de la République Vincent Auriol. Béatrice Joly-Hacquard Lorient + Mai 2016 7 Personnalités Hippolyte-Magloire Bisson Dans un petit jardin public de Lorient, on peut apercevoir une statue de bronze perchée, très haute, sur une colonne. Ce petit jardin public est bordé par les rues du Couëdic, du docteur Waquet et Joseph Rollo. Hippolyte-Magloire Bisson (1796-1827) est honoré à cet endroit. L e 2 février 1796, une diligence roulait à vive allure sur un chemin sinueux et cahoteux du centre Bretagne menant à Guémené-sur-Scorff. Dans cette voiture, se trouvait notamment une jeune femme, enceinte, qui voulait accoucher chez sa mère. Tout à coup, cette diligence fut attaquée par des chouans qui croyaient y trouver, à l’intérieur, un révolutionnaire (Français). Sans penser plus précisément, ces chouans tuèrent le cocher et par le bruit qu’ils firent, les chevaux de la voiture s’emballèrent et se mirent à courir n’importe comment avec la jeune femme toujours dans la diligence. Après les émotions très fortes et les secousses importantes endurées par la jeune femme, cette dernière donna naissance, avant de mourir, à un petit garçon qui fut appelé Hippolyte-Magloire Bisson. Ce petit bébé fut confié à sa grandmère, issue de la haute noblesse bretonne, pour son éducation à Guémené-sur-Scorff. Son père, négociant à Lorient, ne pouvait pas s’en occuper. Des rêves de voyage Hippolyte-Magloire vécut sa tendre enfance à Guémené-surScorff et plus tard il suivit ses études au collège d’Avranches et à celui de Vendôme jusqu’à l’âge de 13 ans. Pendant ces années 8 Lorient + Avril 2016 d’étude, Hippolyte-Magloire rêva de voyages vers les régions lointaines, de navigations sur les bateaux à voiles, de connaître le monde. Dès qu’il le put, il s’engagea, comme mousse, sur un navire à voiles du port de Lorient, en 1809, pour apprendre le dur métier de marin. Ensuite, il fut admis, en 1811, à suivre les cours de ‘’l’école de la mer’’ qui se tenaient à Brest, sur le navire Tourville, afin de se préparer à une formation d’officier de navigation militaire. Après avoir réussi ses études, HippolyteMagloire fut nommé aspirant de première classe, en 1815. Bisson explora le monde pendant 6 années, au cours de voyages qu’il avait toujours espérés. En 1821, il fut nommé enseigne de vaisseau de la marine militaire. En 1827, les gouvernements français, anglais et russe décidèrent d’aider les dirigeants grecs à libérer leur pays de l’occupation turque. Dans les nombreuses îles grecques se cachait un grand nombre de bateaux pirates qui semaient le malheur parmi les navires de commerce navigant dans la mer méditerranée orientale. Il était donc nécessaire de mettre de l’ordre dans ces lieux en maîtrisant la flotte égypto-turque, d’une part, et les entreprises nuisibles de ces pirates grecs, d’autre part. À cette époque, Bisson se trouvait sur un des bateaux français qui naviguaient en ces lieux. Au cours d’une de leurs interceptions en mer, les marins français arrêtèrent un bateau grec, douteux, qui s’appelait ‘’Panayoti’’. Ce navire fut envoyé dans le port le plus proche du lieu de son arrestation, après avoir vérifié et s’être assuré des mauvaises actions de son équipage. Ensuite il fallut se rendre dans un autre port pour juger ces criminels et assurer l’avenir du ‘’Panayoti’’ selon les lois internationales. Bisson commandant Pour ce voyage, Bisson fut choisi comme commandant du Panayoti avec un équipage réduit à 15 marins, un officier pilote nommé Trémintin et six prisonniers grecs attachés à fond de cale. Pendant le voyage, le Panayoti fut pris dans une tempête épouvantable qui le contraignit à aller se protéger dans une anse de la petite île grecque Stampalie. Au cours de cet arrêt, Personnalités L’histoire de la statue d’Hippolyte Bisson Comme partout en France, la Ville de Lorient est touchée par la loi de réquisition des métaux non ferreux du 11 octobre 1941, mise en place par le gouvernement de Vichy, sous l’autorité du commandement militaire allemand. L’amiral Darlan informe le préfet régional de Rennes qu’il a décidé à titre exceptionnel - à la demande de la Ville de Lorient - que la statue Bisson n’aille pas à la fonte. Toutefois, le commissariat à la mobilisation des métaux non ferreux revient sur cette décision, et informe le maire de Lorient que la statue Bisson se retrouve sur la liste d’enlèvement définitive du Commissariat national, à dater du 1er juin 1943. Le maire de Lorient ne veut toutefois pas s’avouer vaincu, et écrit le 27 juillet au préfet délégué au ministère de l’Intérieur pour défendre le monument à la gloire de « l’enseigne de vaisseau Bisson… qui n’hésita pas à mettre le feu deux prisonniers réussirent à s’enfuir. Bisson prit conscience du danger : ils avaient la possibilité de renseigner leurs amis et avoir l’intention de reprendre le bateau aux Français. Dans la soirée, deux bateaux pirates grecs, à l’attitude menaçante, s’approchèrent. Un combat inégal s’engagea sur le Panayoti entre les quelques marins français et les nombreux pirates grecs. Quand Bisson s’aperçut qu’il perdait l’avantage de l’engagement, il donna l’ordre à Trémintin de plonger dans la mer et de se aux barils de poudre plutôt que de se rendre aux ennemis d’alors… ». S’ensuit alors une histoire incroyable faite de lettres, d’articles et parties de « cachecache » pour sauver la statue de la fonte. sauver. De son côté, quoique blessé, le commandant du navire français prît une torche éclairante, sauta dans la cale et mit le feu dans la réserve de poudre à canon. Une explosion épouvantable s’ensuivit, tuant HippolyteMagloire, et 80 pirates grecs. Le Panayoti coula dans cet engagement C’était le 4 novembre 1827. En apprenant la mort de Bisson, le monde entier fut stupéfait de son geste pour sauver son honneur de marin. Le Panayoti n’ira pas avec les marins pirates grecs et Bisson sera très « Bisson a été descendu de son socle sans ménagement le 13 août dernier » titre dans son édition du 26 août, Le Nouvelliste du Morbihan, alors qu’un article du journal OuestÉclair du 4 septembre, indique que la statue a été déboulonnée de sa colonne « sur l’ordre d’un comité de récupération », pour être dirigée vers la fonte… Il semblerait que la marine ait participé à son sauvetage. « Pendant l’Occupation, au moment où les autorités allemandes avaient pris des dispositions pour enlever la statue de notre compatriote Bisson, la Marine a fait disparaître cette statue. Ce travail habile a été réalisé par la compagnie des marins pompiers de Lorient sous la direction de Monsieur l’Officier principal des Équipages Musseaux ». Aujourd’hui, la statue est toujours sur son socle … connu et respecté par ses pairs. Trémintin et quatre matelots français survécurent. Ainsi ces derniers purent raconter l’histoire d’Hippolyte-Magloire Bisson et son sacrifice sur le Panayoti. René Jeannès Membre du groupe ‘’Mémoire vivante de la construction navale’’ Merci à Maryse Emery et à Gérard Guégan pour leur livre très bien renseigné : « Hippolyte Bisson Capitaine du Panayoti » Lorient + Avril 2016 9 Sports FCL, un club qui a la pêche C’était comment avant ? Quand le football était un jeu et non un combat, quand les clubs se créaient autour de bénévoles et d’idées communes ! Pour le savoir, plongeons ! Comme les gardiens de but ou les oiseaux marins dans le port, revivons l’histoire du FC Lorient qui vient de fêter cette année ses 90 ans ! Âge respectable s’il en est ! U ne rencontre dans un bistrot, une idée en l’air, un ballon (de rouge ?), un nom « La Marée Sportive » car cette équipe était corporatiste, une famille, les Cuissard. Mme Caroline Cuissard et son époux Joseph décident de rejoindre le championnat amateurs ; le 2 avril 1926, le football club de Lorient est officiellement créé. « Les merlus » au début étaient le grondin, les couleurs « tango & noir » viennent d’un pull tricoté main et porté par Madame Jean Nioche… comme quoi il ne faut pas toujours chercher bien loin ce que l’on a devant les yeux ! Antoine Cuissard, dit Tatane, Yvon Goujon et Yannick Stopyra ; ces noms qui ne disent peut-être plus grand-chose aujourd’hui sont pourtant ceux d’une grande famille de footballeurs tous internationaux. Les déplacements étaient eux aussi d’époque : SNCF en troisième classe, banquettes en bois… être footballeur n’était pas toujours une sinécure. Mais quand les matchs étaient à la maison alors là… Gargantua, Pantagruel et quelques spécialités locales terminaient le match dans l’assiette de tout ce beau monde... je vous laisse deviner. Les conditions de jeu : Georges Girot, un des entraîneurs de l’époque, se souvient : on ne pouvait tacler que si le terrain était gras. Un match amical « Lorient/ URSS 0-0 », les Soviétiques ont vu rouge et, mauvais coucheurs, ont accusé... la pluie ! Alors que de mémoire bretonne, on pouvait à la limite (du hors-jeu) parler d’un léger crachin ! Yvon Bouëtté 5 août 2006, premier match de Lorient en D1 Les stars de Paris croient faire les malins... mais Lorient va leur jouer « Premier Tango à Paris ». Dans la défense parisienne, cela rentre comme dans du beurre... et l’addition aurait pu être plus salée ! Et ce n’était pas du cinéma ! Pour moi, un homme, plus que les présidents ou les joueurs, symbolise le mieux le club et la ville, c’est Christian Gourcuff. Sorte d’OVNI dans le football moderne, entraîneur de la vieille école (il était prof de maths), il représente une fidélité et donne une caution morale qu’a perdu par exemple le grand voisin nantais. Un mot aussi sur une autre célébrité locale, Didier Le Botmel, élu deux fois meilleur speaker de la Ligue 1... une distinction qui ne le laissa pas sans voix ! 10 Lorient + Mai 2016 Quelques commentaires du temps jadis... - Ah, ah, à l’époque, c’était pire que la légion étrangère. C’est pas comme maintenant… - Au milieu des années 50, les joueurs en avaient ras-le-bol de perdre. Un jour, ils ont décidé d’aller prendre l’apéro avant de jouer contre Quimper. Deux tournées d’une célèbre marque d’alcool anisé ont été commandées. Résultat : Lorient met une raclée aux Quimpérois. - Eh bien, 2 500 fr (salaire de l’époque). On ne se plaignait pas, c’était un bon revenu à l’époque. J’étais électricien de formation, électricien dans le bâtiment ; je vivais mieux en jouant au foot... Même si on était parfois payé tous les deux ou trois mois, car le club connaissait d’importantes difficultés financières... Transports Le bassin à flot déborde Retour sur le mini raz-de-marée provoqué par le pinardier « Mater Dei » lors de son entrée dans le port de commerce. L e 2 décembre 1959 était un jour de marée à fort coefficient :106. Les navires de gros tonnage pouvaient entrer dans le bassin à flot de Lorient car c’était encore l’époque du « pont tournant », pas celle du « pont levant ». Ce dernier sera construit en 1967 et prendra le nom de celui qui plaida avec véhémence pour le maintien de ce qui reste du bassin, le pont François Le Corre (alors avocat au barreau de Lorient et conseiller municipal). Ce jour-là, le pinardier Mater Dei, construit à Hambourg pour l’Armement Salahun - Hacquard en 1957, et qui transportait du vin en vrac entre l’Afrique du Nord et les ports bretons de Lorient et Quimper, entrait dans le port de commerce de l’époque, pour y subir quelques réparations. Le déplacement du navire de 62 mètres et de 55 tonneaux jauge brute, entrant à marée haute, provoqua un mini raz-de-marée sur la place Jules Ferry. L’eau se propagea entre les baraques présentes sur le terre-plein. Après un moment d’inquiétude, la mer se retira sans faire de dégâts. C’était en effet l’époque euphorique de l’importation des vins d’ Algérie à Lorient qui va s’étendre de 1952 à 1962 : de la Reconstruction à l’Indépendance de l’Algérie. Ce sont « Les Dix Glorieuses » pour toute la filière des entreprises de transit (CGAM, Bérard, Silvestre), les pinardiers qui font plusieurs rotations mensuelles et les négociants (Margnat, Courset, Le Bris...). Le vin de table de cette provenance dénommé « Gros Rouge » est fort apprécié dans la région lorientaise. Mais, l’évolution des goûts, et surtout la guerre qui obligera l’Algérie à trouver d’autres débouchés que la France, mettra fin à cette période prospère de Lorient, à cette saga. Béatrice Joly-Hacquard À toute vapeur Le prolongement de la ligne de chemin de fer de Savenay à Lorient permet dès le 21 septembre 1862, il y a donc 154 ans, de rallier Lorient à Paris en 21 heures 30. Aujourd’hui en 2016, la durée du trajet est de 3 h 44. En 2017, le trajet se fera en 2 h 50. L ’arrivée du train à Lorient le 21 septembre 1862 et l’inauguration de la gare de Lorient font l’objet d’une grande cérémonie, accompagnée de réjouissances populaires. Une foule de curieux venue de tous les points du Morbihan s’installe cours de Chazelles et aux abords du Scorff pour assister au spectacle de la locomotive à vapeur, pénétrant sous la verrière de la gare pendant que les musiques de l’artillerie de marine exécutent l’hymne impérial. L’évêque de Vannes procède à la bénédiction de la locomotive, viennent ensuite les discours des autorités civiles et militaires. Plusieurs banquets sont organisés dans toute la ville de Lorient, suivis par une fête populaire, et en fin de journée, illuminations sur les monuments de la ville et feu d’artifice sur la rive droite du bassin à flots, clôturèrent cette journée inaugurale de l’arrivée du train à Lorient. Lorient, enfin reliée à la capitale et aux autres villes, a vu ainsi son essor économique se développer. Rolland Merrien Lorient + Mai 2016 11 Loisirs À la recherche des ciné 28 décembre 1895 : c’est la première représentation publique et payante du cinématographe des frères Lumière à Paris. 1896, l’aventure du cinéma démarre à Lorient… D ès 1896, le cinéma fait ses premiers pas à Lorient dans les baraques foraines, lors des foires annuelles de Pâques et de la Victoire. Le public y apprécie surtout les scènes filmées à Lorient. 1er avril 1897 : le théâtre municipal, installé au bas du cours de la Bôve, accueille une première projection publique de cinq minutes. La société Omnia, filiale de Pathé, y organise ses essais de séances permanentes en 1908 : les films se partagent alors la salle avec les pièces de théâtre. Succès mitigé, l’expérience cesse rapidement. Pourtant le public est intéressé et dès 1911, la première salle entièrement dédiée au cinéma voit le jour cours de Chazelles (au coin de la rue Jules Guesde) sous l’égide de la SA Skating-Cinéma, car elle est voisine d’un espace pour patin à roulettes. L’Omnia-Pathé occupera ces locaux jusqu’en 1943. Ceux-ci, entièrement en bois, ne présentent pas toute la sécurité nécessaire, mais les spectateurs n’en sont pas conscients et la fréquentation est bonne. Le premier film diffusé est «Le Roi des resquilleurs» avec Maurice Chevalier. La société Poulain, ayant racheté les lieux dès 1912, propose des bons de réduction aux enfants dans ses tablettes de chocolat et les écoliers, en grand nombre, créent souvent dans la salle des chahuts indescriptibles ponctués de hurlements. Ambiance qu’on ne tolérerait plus guère de nos jours ! Transformé en cantonnement pendant la Première Guerre mondiale, l’Omnia rouvrira fin 1918. La 12 Lorient + Mai 2016 Festival des dessins animés en 1958 à l’Armor Palace société concurrente de Pathé, Gaumont, ouvre aussi une salle en 1911, cours des Quais (quai des Indes), mais l’expérience ne dure qu’un peu plus d’un an. De nouvelles salles En 1915, des particuliers d’Évreux reprennent les projections au théâtre de films distribués par Gaumont. Pendant la guerre, théâtre et cinéma alternent donc à nouveau, mais faute de publicité pour les films, dès 1919 les séances de cinéma cessent au théâtre. La municipalité autorise la création d’une seconde salle à la société Pathé : l’Electric-Cinéma, 4 rue Saint-Pierre. Il alterne projections et divertissements avec des artistes ; la salle prospère et devient le Royal-Cinéma en 1924 : c’est alors un bâtiment avec une coupole, l’ambiance y est intime et la lumière tamisée. Agrandi en 1932, il dispose de 475 places avec deux balcons et fonctionne sans arrêt jusqu’aux bombardements de 1943. En 1920, dans un des lieux les plus animés de la ville, la place Bisson (en haut du cours de la Bôve), une nouvelle salle voit le jour. C’est le Select-Palace, qualifié de plus beau cinéma de Lorient et de plus moderne de Bretagne. Les 1 000 ampoules du plafond donnent une intense clarté et illuminent la coupole, la sécurité y est optimale et les conditions de visionnement excellentes pour les 1 200 spectateurs. Le 17 décembre 1930, c’est la première salle de Lorient à programmer un film parlant «Le Chemin du paradis». Elle reste en tête du palmarès des cinémas jusqu’en 1943. Salles de loisirs Le premier cinéma de quartier, l’Armor-Palace , s’installe à Merville en 1933 pour des distractions de proximité. Malheureusement, la coquette salle de la rue de Larmor, est détruite dix ans plus tard. Le dernier cinéma aménagé avant-guerre est le Rex : il date de 1937. C’est une construction en longueur, enclavée entre deux Loisirs émas disparus… habitations, située rue Française (rue Xavier de Langlais aujourd’hui, tout près du quai des Indes). La salle en gradins dispose d’un balcon, de fauteuils spacieux, d’une visibilité et d’un son parfaits. Parallèlement à ces exploitations commerciales, de nombreuses projections ont également lieu dans des salles de loisirs municipales ou paroissiales : la salle Saint-Louis (place Anatole Le Braz), avec ses 461 places, accueille dès 1921 des programmes familiaux, choisis pour leur qualité morale ou même moralisatrice. le Familia-Ciné (rue Plonquet, paroisse Saint-Christophe à partir de 1933). On trouve aussi le CinéCabane dans une église en bois à Keryado. Sans oublier le Cinémaéducateur qui, à partir de 1926, met à la disposition des écoles du matériel et des films pour compléter les leçons. De 1948 jusque dans les années 80, le Patronage laïc de Lorient en assure la gestion dans une salle dédiée à la Cité Allende. Avant-guerre, les Lorientais disposent donc de près de 4 000 places de cinéma ; les bombardements de 1943 vont stopper cette activité. Après-guerre, la Le Club retrouve sa couleur reconstruction des salles se fait attendre, la priorité étant de reloger les habitants. En attendant, la municipalité accorde une concession d’exploitation dans la salle des fêtes, rescapée des bombes (angle quai des Indes et rue de la Patrie). Reconstructions Le Royal est le premier cinéma à être reconstruit à son nouvel emplacement, place Aristide Briand, en 1951 ; il accueille aussi des ballets, pièces de théâtre et concerts dans une salle de 1 300 personnes avec deux balcons. Le jeune chef d’orchestre Roberto Benzi s’y produit en 1964, Coluche en 1975. Il s’agrandit ensuite, passant d’une à trois, puis sept salles en 1984. Malgré une programmation plus exigeante et des films en VO pour se démarquer, il perd peu à peu son public, face aux complexes récemment construits à Lanester d’abord, puis Lorient (1999), et doit fermer le 23 octobre 2001. C’est la FNAC qui occupe maintenant le bâtiment. Les directeurs du Royal exploitent aussi le Ciné-Paris, rue Paul Guieysse, ensuite appelé le Zen , avant d’être remplacé par l’Hôtel des ventes. L’Armor-Palace est rebâti à la même adresse avec 574 places (orchestre et balcon) en 1952. Devenu le Club-Armor, puis le Club, il se spécialise dans les films policiers et d’horreur, puis en films classés X les deux dernières années de son exploitation. Le public n’est plus au rendez-vous et les portes se ferment fin décembre 1985. Les propriétaires des lieux depuis 1991, ont conservé la façade du cinéma, facilement identifiable avec sa pimpante peinture jaune. Autre salle de quartier à Keryado, le Family, inauguré en 1938 rue Pierre Philippe, à la place d’un ancien gymnase, subit un cyclone en 1946 et un incendie en 1949. Il reprend du service mais délaissé lui aussi, il devient en 1982, le City, salle municipale dédiée au spectacle vivant. Ce n’est qu’en 1958 que le Rex rouvre ses portes à sa nouvelle adresse, rue Paul Bert. Fin 1981, il est restructuré et passe d’une à cinq salles ; malgré tout, son exploitation s’arrête à l’été 1999, au moment de l’ouverture du Cinéville. Aujourd’hui, les lieux sont encore inoccupés. Art et essai La dernière tentative d’implantation d’un cinéma, classé «Art et essai», date de septembre 1971, rue Claire Droneau. Jacques Sinquin y fonde le Studio-Merville disposant de 500 places. La programmation de qualité, souvent en VO, ravit les spectateurs qui se déplacent parfois de loin pour voir des films rares. Face à la concurrence des multisalles, l’aventure se termine en avril 1985. La municipalité achète alors le bâtiment pour y installer le théâtre du Quai Ouest qui deviendra le CDDB, Centre dramatique de Bretagne. Aujourd’hui, les places de cinéma sont concentrées en un seul lieu et leur nombre divisé par deux depuis les années 30 : 2 100 places dans les 11 salles du Cinéville, 300 000 spectateurs pour 400 films en 2015, une bonne fréquentation au vu de la population. Françoise Defassiaux Lorient + Mai 2016 13 Botanique Le difficile voyage des plantes exotiques La Compagnie française pour le commerce des Indes Orientales est une entreprise française créée par Colbert et signée par Louis XIV, le 23 août 1664, pour concurrencer sa rivale anglaise mais aussi la Compagnie hollandaise des Indes orientales. Son siège est à Lorient. Cet outil commercial important suscite beaucoup de convoitise chez certains, beaucoup de rêves chez d’autres. M algré une flotte nombreuse en bon état, les conditions de navigation restent difficiles. Les voyages sont très longs et la météo de l’époque ne donne pas de bulletins quotidiens. Cependant, le problème crucial de ces traversées reste celui de l’eau à distribuer à bord. Généralement, la ration quotidienne pose souci et l’on raconte beaucoup l’anecdote du capitaine d’infanterie Gabriel de Clieu, à qui Antoine de Jussieu avait confié, en 1720, deux pieds vivants de « café de Moka » pour son introduction à la Martinique. « Pendant deux semaines, le navire est encalminé sous les tropiques... Les quantités d’eau sont rationnées et afin de ne pas perdre la plante encore vivante, de Clieu partage sa faible ration d’eau avec le plant de café. » (1) 14 Lorient + Mai 2016 Mais le navire, plus que tout autre engin, reste, pour bien des hommes, un moyen d’ouverture vers l’extérieur. C’est pourquoi notables et simples matelots recommencent et recommencent encore le voyage. La « boîte », sommairement construite pour abriter la plante rare, s’améliore et au fil du temps, on arrive à la « caisse de Ward » où la plante est très protégée, à l’abri des embruns et des animaux... et puis « si l’eau est rare dans le vaisseau, il faut tâcher de se procurer de l’eau de pluie ; elle est bonne pour les plantes quoiqu’elle soit mêlée de goudron, ce qui la rend aussi nuisible que désagréable aux hommes et aux bêtes » (2) Alors, les hommes vont engager des recherches pour essayer de transformer l’eau de mer en eau douce. « Un médecin nantais, Jean Gaultier (1673-1763), alors qu’il est médecin-chef de la Compagnie des Indes à Lorient, invente en 1717 un appareil à distiller l’eau de mer. Il peut fournir 140 pintes (130 litres environ) par 24 heures. Les procès-verbaux d’essai, à terre et en mer, attestent à la fois du bon fonctionnement et de la bonne qualité de l’eau » (3) Un autre problème se pose : si la plante arrive en bon état en France, comment l’adapter au climat français ? Les résultats venant Botanique du roi. Mais bientôt, ce service ne tient plus dans un si petit espace. Alors, enfin, en 1759, on crée près de l’apothicairerie un vaste jardin botanique, confié au Docteur Galloys, dont le frère, aumônier à la Compagnie des Indes, se passionne pour la botanique. C’est le premier « jardin-reposoir de port », dont la vocation est de « recueillir les végétaux exotiques ramenés par les bateaux des Compagnies, les remettre en état et ensuite les envoyer, par terre ou par mer, à leur destination » Pendant plusieurs années, le Docteur Galloys consacre ses loisirs à ce jardin. À sa mort, en 1779, la serre chaude contient des plantes exotiques qui seront acheminées vers les serres du Roi à Versailles. Les autres végétaux ont sans doute été vendus à de riches propriétaires cédant à la mode de l’exotisme de la fin du XVIIIe et du XIXe siècles. Le docteur Galloys n’a pas de remplaçant, la serre n’est plus entretenue et malheureusement l’endroit devient rapidement un tas de décombres. Raymonde Lancelot et Georges Le Moil (1) (2) (3) « Voyages et survie des plantes au temps de la voile » de Yves-Marie Allain, ancien chef des Espaces verts de la Ville de Lorient. - Ed. Champflour, 2000. © G. Broudic - Musée de la Compagnie des Indes - Ville de Lorient de l’étranger sont rares. Pourtant, Colbert, dès 1660, avait missionné des capitaines de navires ; il faut prendre exemple sur les jardins : les plantes qui arrivent en France en bon état doivent être « rafraîchies » et « réconfortées ». Lorient, vouée toute entière à la Compagnie des Indes, ne possède pas de jardin. Alors, en 1724, soixante ans après sa création, la Compagnie organise quelques cultures auprès de son petit hôpital en centre-ville ; en 1725, une importante apothicairerie est fondée dans l’Enclos du port, près du nouvel hôpital de la Compagnie des Indes. Le chef apothicaire dirige un service autonome, à Brest ou à Rochefort, il est sous l’autorité «Madame de Sévigné débarquant à Lorient» de Pierre Cadre. Un pastel sur toile réalisé vers 1933. Lorient + Mai 2016 15 Santé Microbes et virus , quelle histoire ! Épidémies, maladies… la région n’a pas été épargnée La peste De 1968 à 1700, une épidémie de peste ravagea la région. D’octobre à novembre 1699, on dénombra 118 décès à Ploemeur, 493 à Hennebont en moins de 3 mois (1/3 de la population à cette époque). De cette période date le culte de Notre-Dame-du-Vœu au mois de septembre à Hennebont. Le microbe transmis par les puces et les rats ne fut identifié qu’en 1894 par Yersin, d’où son nom « bacille de Yersin ». Le scorbut En 1706, arrivée de 500 scorbutiques marins des mers du Sud. L’hôpital-hospice de Port-Louis étant saturé, on fit appel aux autres hôpitaux de la région : Quimperlé, Hennebont, Auray et Vannes. On découvrira vers 1930 que la maladie n’est pas due à un 16 Lorient + Mai 2016 microbe, mais à un manque de vitamine C dans l’alimentation. Le typhus En 1746, le typhus s’abattit sur 2 vaisseaux royaux, Le Tigre et La Borée. On débarqua les malades à l’hôpital de Port-Louis et on les enterra peu de temps après dans le cimetière provisoire. Le responsable de la maladie, le bacille Rickettsia est transmis par les poux. La fièvre jaune En 1848, un bateau « La Bretonne » en provenance des Antilles arrive à Lorient. Son équipage est atteint de fièvre jaune. Les malades furent mis en quarantaine sur l’île St-Michel, soignés par un officier de Santé et l’île arbora le drapeau jaune. Le virus Amaril découvert plus tard est inoculé à l’homme par le moustique zébré. Le choléra Lors de l’épidémie de 1832, le Docteur Bodélio n’hésitait pas à se coucher dans le même lit que le malade. Il entend démontrer la non-contagion. La découverte du Vibrion cholérique (ou « bacille virgule ») par Koch en 1883 lui donnera tort ! Ce microbe est transmis par l’eau et les aliments souillés. La rage En 1901, 100 chiens furent pendus ! 2 fillettes et leur mère allèrent à Paris pour être traitées à l’institut Pasteur. En 1938, M. Le Gal garde-barrière mordu par un chien blessé par une automobiliste alla se faire soigner à Paris en emportant avec lui la tête du chien ! La tuberculose et la grippe espagnole de 1918 n’épargnèrent par les Lorientais. Santé Les Hôpitaux civils et militaires Maison de la Miséricorde – 1731, devenue Hôtel Dieu Hôpital dans le château féodal de Tréfaven – 1720 Hôtel-Dieu – rue Jules Legrand – 1742 à 1906 Créé par Claire Droneau, en 1938 sera transformé en « cité des œuvres sociales » et s’appellera « Cité Allende » en 1973 Lazaret : île St Michel – 1824 Ambulance centrale maritime dans l’enclos de la Marine – 1884 Hôpital maritime Calmette 1936 à 1999 Hôpital Bodélio – 1906 Deviendra Centre Hospitalier Bodélio jusqu’à sa fermeture en 2013 Clinique mutualiste accréditée en 2001 Hôpital du Scorff à partir de 2012 Hélène Savina Lorient + Mai 2016 17 Lieux Le château de Tréfaven Quand les Lorientais se promènent le long de la rivière du Scorff, en se dirigeant vers Kerdual et Quéven, tout au bout de cette belle promenade dite « du Scorff », ils découvrent un ensemble de bâtiments industriels à l’abandon : la pyrotechnie de Tréfaven. S i on regarde bien, on voit un corps de bâtiment qui se détache de l’ensemble par sa hauteur. C’est le château de Tréfaven, la plus vieille construction de Lorient, et de la région. Ce château bâti au MoyenÂge dont le nom aurait comme signification ; Tref : lieu fortifié et Aven : rivière, situé sur la rive droite du Scorff, dans la paroisse de Ploemeur, tout près de Lorient qui n’existait pas encore, de Kermenet-Eboe avec St-Caradec à Hennebont. Vers 1216, il est la propriété d’Henri II de Léon qui embarquait de là vers les croisades en 1217. Le château devient le bien de la Maison des Rohan vers 1322. Il était flanqué de deux grosses tours qui surveillent l’entrée des rivières. En 1474, le vicomte de Rohan partage ses biens et c’est ainsi par héritage que les Rohan-Guémené deviennent les nouveaux seigneurs de ce qui s’appellera, plus tard, Lorient. Le château va servir d’hôpital, de prison et de poudrière avec la Compagnie des Indes. On y a hébergé des forçats, lors du creusement du canal de Nantes à Brest, on parle même d’une révolte d’esclaves noirs vers 1720. En 1803, une tempête fait s’écrouler une partie du Château, l’aile en direction de Kerdual. Sous la révolution de 1789, il est déclaré bien national et vendu à des particuliers. Le 6 mars 1805, la Marine l’achète au dernier propriétaire, la veuve Arnoux, 18 Lorient + Mai 2016 dont le mari était constructeur de bateau. Déménagement des munitions Pendant cent soixante-sept ans, il va servir à la Marine Royale, puis Nationale comme poudrière et dépôt de munitions actives, en supplément de la pyrotechnie de l’île St-Michel (fermée après la guerre 39/45). Avec la construction de la pénétrante Nationale 165 du pont sur le Scorff et de l’urbanisation des années 1965, la naissance du quartier du Bois-du-Château va obliger la Marine à déménager les munitions actives vers les centres du ZAC Quéven et du Mentec. Au début des années 2000, la Marine Nationale quitte définitivement Tréfaven. Actuellement, le site abandonné, le château attend des jours meilleurs, avant qu’il ne devienne une vraie ruine par manque d’entretien. Il pourrait être mis en valeur au milieu d’un parc, et il serait la touche finale de cette superbe promenade dite du Scorff. Les membres de Lorient Plus, et anciens parmi eux de la pyrotechnie de Tréfaven se feront un plaisir de fournir aux plus curieux, les renseignements et anecdotes qui sont en leur possession, sur l’histoire de cette vénérable bâtisse. Norbert Olivares et Michel Jaffré Lieux Qui suis-je ? Tout comme Lorient, je suis née de la volonté royale de Louis XIV. Je vais sur mes 305 ans cette année, et reste le plus petit des quatre monuments historiques de la ville. C omme vous pouvez le constater mon compagnon, le « Chêne Vert » situé avenue de la Perrière me masque, et continue ses travaux d’approche, il m’effleure gentiment actuellement … Finirat-il par m’engloutir ? Hum ! Affectueusement, je n’en doute pas… Vous qui passez sans me voir, vous mes amis (et « parents ») de l’école des Beaux-Arts qui dès les premiers beaux jours, piqueniquez ou vous détendez à mes pieds, savez-vous encore ce que je représente ? Quelques férus d’histoire locale se rappellent à vous, de temps à autre, par des articles et donnent mes patronymes, à savoir : mon nom de baptême « Croix de la Vérité », mon usuel « Croix de la Perrière », en 1830 « Vraie Croix », ou parfois encore « Croix Morin »… Pourquoi ces différentes appellations ? Eh bien, je vais vous conter ma vie sur trois siècles ! Oh ! Rassurezvous, je vous en narrerai que les « grandes lignes » ! Ma naissance est pour le moins curieuse… Comme je vous l’ai dit en titre, je suis née en 1711 de la volonté de Louis XIV, et grâce à sa « cassette » personnelle. Pourquoi ? dans la « première église » SaintLouis de Lorient afin d’augmenter son butin (4 chandeliers), par un nouveau vol de 2 ciboires d’argent, fracturé le tabernacle et... répandu les hosties » Sacrilège abominable ! Arrêté dès le 24 octobre 1710, il fut remis à la Sénéchaussée d’Hennebont, condamné le 5 décembre d’avoir le poing coupé et à être brûlé vif (on ne plaisantait pas à cette époque !..) Puis après avoir interjeté appel, notre voleur voit sa sentence adoucie quelque peu : sa pendaison eut lieu le 5 février 1711 ! Parallèlement, sur le lieu (Perrière à Colin) où les deux ciboires avaient été enfouis et retrouvés, « Louis Le Grand » a fait ériger de ses deniers un monument expiatoire, donc « moralisatrice ». L’ordre a été donné à l’Académie des Inscriptions de l’époque de réaliser le dessin préparatoire de la pyramide et de libeller le modèle des trois inscriptions (en latin, français et breton) qui se devaient d’orner ledit monument (ces documents sont toujours conservés). Ce terrain situé au village de Kergroix en Plœmeur, appartenait aux Oratoriens de Nantes (après cession par l’abbaye de Ste Croix de Quimperlé), j’y vivais paisiblement jusqu’à la Révolution… (Suite en page 20) Un monument expiatoire Dans la nuit du 19 au 20 octobre 1710, un matelot génois du nom de Giacomo Gropallo navigant sur la frégate corsaire français Galathée (ortographe de 1711) s’est introduit une troisième fois Lorient + Mai 2016 19 Lieux Je ne me permettrais pas de vous rappeler la mise en vente des biens de l’église en 1789, mais je l’ai subie ! Nous avons figuré sur les listes de « Biens nationaux » : la propriété et moi ! Je suis vendue le 6 ventôse an VI (24 février 1798), au dixième feu, au profit de Joseph Morin, cultivateur de cette tenue, pour un montant de 20 300 francs de l’époque. Un bien ecclésiastique En 1830, la famille Morin, en règlement de succession, décide de partager le domaine en : « trois lots de deux moulins à vent, l’un à Kergroise (Lorient) – l’autre à Kérantonel – (Ploemeur) et leurs dépendances… « Dont : moi ». Tirage au sort : je reste sur l’une des parcelles de Joseph Morin, maître meunier, patenté à Kergroix. Quelle chance, car le croirez-vous ? Je suis attaquée et mutilée le 22 septembre 1906, croix arrachée, pierres descellées ! Blessée par un nouveau décret : séparation de l’église et de l’État ! Il s’en suit : onze ans de batailles juridiques, tribunaux de Lorient, cours de Cassation, tribunal de Vannes. La famille Morin qui me protège et se bat pour moi, obtient gain de cause en… 1913 ! À l’époque j’ai fait couler beaucoup d’encre tant par la presse que par la justice. En 1926, « ma » famille Morin & Consorts me cède à l’évêché de Vannes avec un terrain de 94 m2 environ. Avez-vous remarqué que l’Histoire se répète ? Je reviens sur une terre ecclésiastique appartenant à l’Association diocésaine de Vannes, et le suis toujours ! Bien qu’ébranlée, pour ma part, j’ai résisté aux bombardements de 1939-1945. Grâce à M. René Guillaume qui m’avait 20 Lorient + Mai 2016 « croquée » en 1921, puis aux différents intervenants des BeauxArts (qui dépendaient alors du ministère de l’Éducation nationale), j’ai été inscrite aux monuments historiques le 13 avril 1944 (pendant la « Poche de Lorient »). Pendant ces périodes : j’ai voyagé ! Dans l’entre-deuxguerres pour l’installation de l’usine St-Gobain (fabrique d’engrais et de superphosphates), je suis « démontée et remontée » sur une éminence au-dessus de Kéroman et de Kergroise… Je bénéficie d’un nouveau « look » : sur un piédestal et avec un escalier à… double rampe ! En 1947, nouveau déménagement pour les travaux de terrassement et d’alignement de l’avenue de la Perrière. Un comble pour moi, mes plaques explicatives se sont en...volées ! (Il est dit en 1947 qu’il en restait deux). Et à ce jour, je reste totalement dénudée ! Un marqueur Il me faut dire aussi que depuis les années 60, je me trouve englobée dans le réseau de nouvelles circulations entre les quartiers de Carnel et du port de Pêche… Et, je deviens quelque peu invisible… En résumé, ne suis-je pas un marqueur entre l’histoire ancienne, et l’histoire moderne de la ville ? N’ai-je pas participé à l’expansion de Lorient ? Compte tenu des aléas de ma longue vie, sans être un site remarquable – ma modestie en souffrirait – Messieurs mes « Protecteurs » (Société diocésaine de Vannes, Service territorial de l’Architecture et du Patrimoine de Vannes, voire les services culturels de la Ville,) – j’en appelle à vous. S’il est impossible de me réhabiliter, puisje au moins espérer que vous me renommiez ? Car sans aucun nom, pas d’histoire et, pas d’histoire…, plus de mémoire ! Comme vous l’avez certainement remarqué, quant à moi, je me modernise et me suis « glissée » sur Internet… D’éventuelles recherches avec une « base nominative » seraient plus aisées, sans doute… Qu’en dites-vous ? À tous, et profitant des 350 ans de la ville, je vous remercie de m’aider à reprendre… Vie ! Au plaisir de votre visite… Pour la Croix de la Perrière, Maryse Le Roux Lieux Histoire condensée de l’île Saint-Michel Tanguethen : c’est-à-dire en breton, celui qui porte le feu, nom donné à l’île St-Michel qui fait face au port de pêche dans la rade de Lorient. Il fut baptisé plus tard du nom de l’archange protecteur Saint-Michel. C ’est un îlot de 4,72 hectares. Au XIe siècle, l’implantation d’un prieuré dépendant de l’Oratoire de Nantes fera connaître la prospérité pendant six siècles aux moines de l’île : en effet, chaque bâtiment empruntant la passe et transportant des marchandises paie au prieur des droits en nature : pots de vin, minots de sel etc… Il a aussi la garde de l’étalon de la mesure de vin d’Hennebont. Il recueille la dîme de l’île de Groix dont il est le recteur. Deux chapelles sont édifiées. L’édit du 17 juillet 1618 créant Port-Louis balaiera les droits des moines sur la rade. En 1746, un débarquement avorté des Anglais qui tentent de prendre la ville, incite la Compagnie des Indes à acheter l’île, et, à l’Armor, on y dresse des fortifications : 29 canons, 3 mortiers, quelques magasins à poudre et à boulets. Stockage secondaire En 1790, la Marine prend définitivement possession de l’îlot. Au 19e siècle et pendant dix ans, les grandes épidémies (choléra, fièvre jaune) obligent les autorités à construire un lazaret pouvant accueillir 500 malades. Les épidémies ayant cessé, les bâtiments servent à nouveau de poudrière et de stockage de munitions jusqu’en 1918. Dans les années 1920, l’activité est transférée à Tréfaven. Mais l’île sert toujours de stockage secondaire avec un surveillant civil et deux militaires. L’invasion nazie permet aux Allemands de construire des bunkers armés, d’installer des batteries d’artilleries et ce, jusqu’en 1945. À la Libération, l’île est abandonnée à son sort et en l’état, minée, munitions de tous calibres, épars, non explosées, végétation sauvage, interdite quand même et défense d’y entrer. De 1969 à 1973, une grande opération de déminage est effectuée : l’opération Dragon. Depuis, l’île est toujours sous le giron de la Marine, elle sert à l’entraînement de nos commandos, fusiliers marins (Groufumaco) de Lorient. Norbert Olivares et Michel Jaffré Lorient + Mai 2016 21 Lieux L’industrie du froid à Lorient : la glacière L’homme des pays tempérés s’est rapidement rendu compte que les denrées périssables pouvaient être conservées dans de bien meilleures conditions, hiver comme été. Étant donné le caractère éminemment fragile du poisson, il n’est pas étonnant qu’il se soit rendu compte, très tôt, qu’il pouvait se servir du froid pour le conserver. L es peuples nordiques enfouissaient dans la neige les denrées à conserver. On transportait à Rome les poissons du Rhin dans de la neige ou de la glace naturelle pendant la période gallo-romaine. Ce n’est qu’à partir des années 1850-1900 que l’on porte vraiment un intérêt au comportement des produits alimentaires, au froid et aux conditions optimales à réaliser pour cette conservation. Le congrès scientifique international à Paris en 1905 prend pleinement conscience de cette demande de froid artificiel qui s’accroît. Pour y faire face, la construction du matériel frigorifique s’industrialise à un rythme rapide, dans les années 1920. Le cheptel ayant disparu pendant la guerre de 1914-1918, le poisson conservé au froid est une source de protéine dont la population a grand besoin. Louis Nail, secrétaire de la Marine depuis octobre 1915, obtint à force d’insistance que ce « frigo » voit le jour à Lorient. La guerre prit fin sans qu’il soit réalisé. Les travaux commencent dès 1919. Nail devenu le « bras droit de Clémenceau », eut l’idée, avec l’ingénieur des Ponts et Chaussées Henry Verrière, d’un grand port de pêche pouvant utiliser cette imposante réalisation. Cette réalisation se fera, sans compter les discussions politiques avec les autres ports bretons, 22 Lorient + Mai 2016 surtout avec les Douarnenistes, les Concarnois et les Rochelais. Les décideurs lorientais ont montré une sacrée volonté pour sa construction car les journalistes de l’époque traitaient leur projet de pharaonique, de deuXIème Versailles, et j’en passe. Il est vrai que l’on sortait d’une guerre dans laquelle la Bretagne avait payé un lourd tribut et que nous avions une dette envers les veuves et les pupilles de la Nation. Mais cette unité de froid allait ô combien modifier l’économie lorientaise, ainsi que le bien-être de tous les Français et des Européens frontaliers. M. Tayon, pour l’ensemble des travaux du port, et M. Gaudibert, pour la partie technique du frigo, étaient les collaborateurs de confiance d’Henry Verrière. Le système Ottesen fut retenu pour la conception de la glacière. À l’origine, le frigorifique est une construction monumentale érigée sur des voûtes en pierre, construite à même la plage, entourée d’eau. Les quantités de matériaux sont impressionnantes : 5 000 m3 de pierres du pays et moellons bruts ; 9 000 m 3 de gravier ; 2 500 m 3 de sable ; 2 000 tonnes de ciment pour le béton armé ; 900 m 3 de liège granulé ; 30 000 m3 de tuiles mécaniques ; 1 000 m3 de vitrerie. Et pour l’installation du frigorifique : 236 tonnes de fonte ; 223 tonnes d’acier doux, 120 tonnes de tubes en acier. Un reportage photographique sur l’évolution des travaux montre un bâtiment élevé entièrement en pierre pour les murs extérieurs. Les façades ont reçu un enduit de finition mortier à la chaux. Le bâtiment est à peine achevé lorsque les officiels en chapeau melon l’inaugurent, dans le cadre de la semaine du poisson, le 29 août 1920 avec moult drapeaux, banderoles tricolores, un vrai lancement de vaisseau ! Mais son entrée en service s’effectue en février 1922. Quels que soient la distance, le lieu, le jour, il y avait du poisson frais (raisonnablement dirons-nous) dans nos assiettes. Pourquoi avoir choisi comme sujet, l’histoire de ce frigorifique, la glacière, bâtiment emblématique de la ville ? C’est sans doute sa disparition prévue, car devenu réellement inutilisable, qui m’y conduit. Durant 80 ans, cette glacière a joué un rôle quant à la distribution du poisson en France et en Europe, sans compter son importance pour l’économie lorientaise. Cette industrie du froid a toujours sa place à Lorient avec de nouvelles conceptions tenant compte des demandes des mareyeurs, des chalutiers, des artisans de pêche et des poissonniers. Claude Chrestien Point de vue À propos de patrimoine E n 2006, lors de l’obtention par Lorient du label « Ville d’art et d’histoire », des esprits chagrins se sont étonnés, constatant que l’histoire de la ville se résume à un peu plus de 3 siècles et que le patrimoine – témoignage de l’évolution de la commune – ne se confond pas nécessairement avec œuvres d’art. Comme semble le prouver le choix récent de l’UNESCO préférant l’œuvre de Vauban à celle du Corbusier pour le classement au patrimoine mondial, beaucoup de gens sont encore sensibles aux vieilles pierres, aux quartiers historiques. À cet égard, Lorient aurait un patrimoine plus riche si… Si la prospérité de la Compagnie des Indes avait été plus durable, peut-être aurait-on réalisé le projet primitif de Gabriel qui, jugé trop coûteux, obligea à renoncer au vaste Hôtel des Ventes qu’auraient alors encadré les deux pavillons Louis XV actuels. L’ensemble aurait été digne de la place de l’Hôtel de Ville de Rennes, reconstruite par ce même architecte après l’incendie de 1720. Si le temps et la Révolution n’étaient pas passés par là, on pourrait découvrir au bord du Scorff le Château médiéval de Tréfaven (remanié en 1666) avec son imposant corps de logis et les étoffes », c’est parce qu’elle est reçue somptueusement par les officiers dans l’Enclos et que la ville est encore presque inexistante (en tout cas, elle apprécierait les couleurs des pavillons 1930 de la rue qui lui est dédiée). Stendhal, y séjournant en 1837, monte au sommet de la « Tour Ronde » et conclut « Comme toute chose à Lorient, rien n’a été donné au plaisir des yeux et cette tour a la forme atroce d’un pain de sucre ». Flaubert, de passage en 1847, a cette formule définitive : « Lorient, nullité complète, rues basses et alignées ». encadré par deux tours massives, au milieu d’un vaste bois de hêtres (cet arbre, si abondant en Bretagne, qui a donné son nom au Faouedic, au Faouet, au Faou). S’il n’y avait pas eu la guerre, on verrait encore l’église du 18e que certains regrettent (et pourtant un voyageur, en 1839, la considérait « comme une œuvre incohérente et ridicule, qui a l’air d’une bourse ou d’un marché, avec une tour encore plus stupide que le reste »). En fait, Lorient a séduit peu de voyageurs au cours des siècles. Si Madame de Sévigné, y passant en 1689, est charmée par les « marchandises, les porcelaines Alors, si le passé a laissé peu de témoignages artistiques, si la base de sous-marins est un patrimoine douloureux, si la reconstruction a été de qualité inégale en raison de la participation de très nombreux architectes, il faut regarder le présent et se tourner vers l’avenir. Avec Malraux qui, un des premiers, a pris en compte l’architecture moderne et considérait Le Corbusier et Niemeyer comme des visionnaires, adhérons à notre patrimoine de demain : Grand Théâtre, Centre Aquatique, Cité Tabarly, et applaudissons une architecture parfois audacieuse et, en tout cas, non conformiste. Jean Rameau Lorient + Mai 2016 23 du 6 1 0 2 i a 23 au 27 m s u l p t n e i r o L e n i a m e S s n a 0 5 3 s e d e d La bala . . . s e r t n o c n e r Visites, Visites gratuites et sur réservation. Inscriptions et renseignements en mairie au 02 97 02 21 23.