Pleins feux sur la bataille de Koh Chang

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Pleins feux sur la bataille de Koh Chang
Actu I LE VILLAGE
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Pleins feux sur la
bataille de Koh Chang
Le 17 janvier, la Thaïlande
célèbre le 70ème anniversaire de la bataille de Koh
Chang, un conflit l’opposant à la France, sortie
victorieuse. C’est le moment qu’à choisi Eric
Miné pour la parution de
son roman consacré à cet
épisode historique méconnu, car complètement
absent des livres scolaires. G.D.
L
a bataille de Koh Chang ?
Inconnue au bataillon.
Voilà ce que vous répondra la majorité de votre entourage si vous tentez le sondage.
Pourtant, l’impact de ce pan de
l’histoire sur le visage actuel de la
Thaïlande se voit comme le nez
au milieu de la figure. Architecturalement, d’abord, puisqu’il a motivé la construction du Victory
Monument, au cœur de Bangkok.
Politiquement, ensuite, puisqu’il
s’agit de la seule et unique victoire
navale, flotte contre flotte, des
troupes françaises pendant les
deux guerres mondiales. Mais
aussi parce que cette bataille
n’avait finalement aucune raison
d’être. Alors pourquoi a-t-elle eu
lieu ? « Pour comprendre, il faut
se pencher sur les manœuvres
politiques en France même l’année précédente. Il y avait pas mal
de querelles de clocher au sein du
gouvernement de Vichy à
l’époque, Pétain ne s’entendant
pas avec son président du conseil,
Pierre Laval. Les deux hommes
n’étaient pas du tout d’accord sur
les directions à donner en termes
de diplomatie étrangère, ce qui a
contribué à mettre le projet de
pacte de paix avec la Thaïlande en
échec », explique Eric Mimé.
Au début de la guerre, le Japon
supporte mal la présence française en Indochine. Il souhaite
profiter de la défaite française de
1940 pour parvenir à réaliser ses
objectifs expansionnistes. Pour
cela, le Japon souhaite utiliser son
voisin siamois. La Thaïlande, elle,
négociait alors depuis plusieurs
mois avec la France un éventuel
pacte de non-agression pour faire
barrage aux puissants Japonais.
Mais, brutalement, le pays retourne sa veste en déclarant que
la signature d'un tel traité n'a aucune raison d'être. Pourquoi ?
C’est que le Japon lui a proposé
sa neutralité sur des territoires au
Laos et au Cambodge. Désireux
de venger l'affront qui avait été
fait au royaume de Siam en 1893
et 1904 lors des traités territoriaux imposés par la France, le
gouvernement du Premier ministre Plaek Pibulsonggram accepte
donc cet accord. Dès la fin de
1940, le Siam revendique haut et
fort sa souveraineté sur tous les
territoires situés à l'est du Mékong, avant de mobiliser ses
troupes aux frontières du Cambodge. Commence alors une
série de provocations et d’occupation de territoires indochinois.
La France réagit vivement et un
véritable état de guerre s’installe
entre les deux pays. Le 16 janvier
1941, la France lance une large
contre-offensive terrestre sur les
villages de Yang Dang Khum et de
Phum Préav, où se déroulent de
féroces combats. La contre-attaque française est un échec et
s’achève par une retraite. Mais les
Thaïlandais ne peuvent poursuivre les forces françaises, leurs
chars ayant été cloués sur place
par l’artillerie de Vichy. Le gouverneur général de l'Indochine,
l’amiral Decoux, ordonne alors
d'exécuter une opération contre
la Marine thaïlandaise dans les
eaux de Koh Chang. La bataille a
lieu le lendemain. Deux heures de
combat pour un bilan plus que
lourd côté thaïlandais : trois torpilleurs coulés, et entre des dizaines et plusieurs centaines de
mort, selon les estimations. La
flotte française, elle, est intacte. «
Mais le pays ne pourra jamais bénéficier de la gloire de cette victoire, puisqu’elle était l’œuvre de
Vichy », explique Eric Miné. Pas
question, donc, d’en faire la promotion. Encore moins de l’inscrire au programme scolaire.
Le poids de la bataille
« Cet épisode a eu de lourdes
conséquences sur le
développement économique de
la Thaïlande », continue l’auteur.
Car, quand le pays a opté pour le
camp nippon, ça n’a pas du tout
Eric Miné
Koh Chang la victoire perdue, d’Eric
Miné, Soukha Editions, Paris (soukhaeditions.fr)
En vente chez Carnets D’Asie
(Bangkok et Phnom Penh), Alliance
française de Phuket, Duang Kamol
Book Store (Pattaya), Monument
Books (Vientiane, Luang Prabang,
Paksé)
Rencontre avec Eric Miné le 10 février
au Club Ensemble de Pattaya
plu à la Grande-Bretagne et aux
Etats-Unis, qui lui ont imposé un
embargo sur le pétrole dès avril
1941. Egalement parce que la
majeure partie de sa flotte de
guerre marine moderne est
passée à la trappe. « C’est
pourquoi j’ai souhaité inscrire
mes personnages au cœur de
cette épisode passionnel, tant
côté français que siamois »,
explique l’écrivain.
Deux hommes, originaires des
deux camps adversaires, évoluent
dans ce climat balançant entre
rénovation et révolution
nationale. Le destin croisé d’un
officier de marine français et de
son frère d’adoption thaïlandais,
quand tous les repères s’inversent
à cause des délires hitlériens. On
peut y lire l’incompréhension et le
choc des cultures. Mais aussi le
désir de modernisation siamoise à
outrance, et ce fascisme ambiant
qui donne des ailes. On y
retrouve l’ambiance coloniale
indochinoise, ce territoire où la
France n’est pas chez elle mais fait
comme si, déployant un faste
comme jamais elle n’aurait osé.
On s’y balade dans les rues du
Bangkok des années 40, avec ses
citadins branchés. On jauge leur
mode vestimentaire, leur
nonchalance aussi. Bref, un
condensé d’atmosphères dont le
récit, sous la plume d’Eric Miné,
en dit bien plus long sur cette
époque charnière ambiguë que
n’importe quel rapport guerrier
ou scolaire. « Je trouve qu’avec
un roman historique, le message
passe plus facilement qu’avec un
essai », dit l’auteur. Vrai,
puisqu’on y perçoit tout l’excès
de l’époque, avec sa déraison, ses
rêves de grandeur et sa fantaisie.
Avec ce roman, pas besoin de
porte spatio-temporelle pour un
retour au passé.
A vos livres, et bon voyage !