l`extension d`euromediterranee

Transcription

l`extension d`euromediterranee
19
Aménagement du boulevard
de la Corniche © Labtop
L’EXTENSION D’EUROMEDITERRANEE
MARSEILLE JOUE LES PROLONGATIONS
Le suspens a pris fin le 13 novembre dernier, l’équipe de François Leclercq a été choisie pour
réaliser la deuxième phase d’Euroméditerranée, devenant ainsi la plus grande opération de
rénovation urbaine d’Europe. Parmi les projets phares, l’enfouissement partiel de l’A55 et l’aménagement d’une coulée verte destinée à créer des zones de loisirs, des espaces publics et réintroduire une qualité de vie dans un espace longtemps délaissé. L’architecte-urbaniste nous explique
les grandes lignes de son projet qu’il définit volontiers comme « territorial », marqué par un
souci de reconquête du littoral et d’amélioration de l’existant.
Quelle est la clé de voûte du projet ?
F. L. : Le point central du projet est la
création d’un parc humide de 14 hectares,
Et le marché aux puces ?
F. L. : Je ne veux pas le démolir, mais
il faut l’intégrer dans le remodelage du
quartier. Le réaménagement du quartier
des puces serait l’occasion d’utiliser les
grandes parcelles dégagées pour insérer
un parc des expositions, un palais événementiel ou m˜me un casino. Mais il
faut partir du vivant, de ce qui existe, en
l’occurrence de l’activité du marché aux
puces pour créer des connivences entre
les commerces et les lieux de vie.
Aménagement du boulevard de la
Corniche © Labtop
F. L. : Euroméditerranée repose sur trois
points cruciaux :
- L’évidence métropolitaine
Marseille existe de fait comme une métropole, elle est en place. Au-delà de toute
idée politique, la ville est divisée en trois :
le Vieux Port, le sud – lieu magique avec
les plages et la corniche – et le nord souffrant des autoroutes et du port industriel
qui emp˜che l’accès à la mer, pourtant
toute proche. Mais Euroméditerranée est
une pointe entrante dans la métropole, elle
pénètre dans le centre ancien ; ces quartiers nord sont un espace actif, réunissant
les lieux de transport, gares et aéroports,
sur lesquels on doit s’appuyer. Il ne faut
plus voir les axes comme des fractures
qui lacèrent la ville, mais comme des réseaux communicants. Avec ce projet, on
passe de la ville lacérée, traversée, à la
ville desservie.
autour duquel s’organiserait le quartier. Il
faudra terrasser le vallon des Aygalades
jusqu’à la nappe pour amener l’eau de
manière permanente. Le parc continu se
prolongera jusqu’à la mer par la création
d’un cours très arboré. Nous avons imaginé ce parc comme une zone humide capable de changer de visage selon les saisons
et les intempéries. Autre utilité pratique,
le parc servira aussi de bassin de rétention car Marseille connaît des problèmes
d’écoulement des eaux de pluie.
D’énormes travaux sont à prévoir,
notamment au niveau des infrastructures ?
F. L. : Les travaux ne vont pas changer la
trame urbaine, mais la compléter, l’améliorer. Par exemple, l’autoroute A55 va
subir une translation : la passerelle, devenue obsolète, sera démolie et remplacée
Doit-on s’attendre à beaucoup de démolitions ?
F. L. : Les démolitions concerneront surtout les gares et les hangars qui n’ont plus
aucune utilité – comme la gare du Canet
qui ne sert plus depuis des années. Quant
aux immeubles, je préfère de loin la réhabilitation. Il faudra les rehausser, les
retravailler pour les amener au standard
de confort.
En a-t-on fini avec l’étalement urbain
de Marseille ?
F. L. : Ici, nous avons l’occasion de
construire la ville sur la ville, d’occuper
des territoires déjà existants, mais sousexploités. Cette situation correspond aux
idées défendues par le développement
durable, mais il ne faut pas ˜tre trop coercitif. Mon objectif avant tout est de créer
la situation urbaine la plus agréable pos-
sible. Les gens veulent un pavillon et un
jardin, il faut donc inventer une nouvelle
façon de penser l’habitat.
Quels types de logements sont prévus ?
F. L. : Jusqu’à présent, le quartier était
peu peuplé, nous allons construire des
logements pour près de 30 000 personnes
dans un cadre arboré et agréable. Il reste
maintenant à créer de la mixité sociale
et qu’elle fonctionne dans les deux sens.
Le centre de Marseille est l’un des plus
pauvres d’Europe, il faut donc préserver
le caractère populaire de ces quartiers et
inciter les classes plus aisées à s’y installer. Nous aimerions qu’Aix vienne vivre à
Marseille ! Il y a encore beaucoup de travail, mais nous sommes en train de réunir
les meilleures conditions pour que tout
le monde s’y retrouve. Il faut construire
l’égalité spatiale autant que l’égalité sociale.
Rien ne sert de faire des appartements
vertueux si le fait d’y habiter ne donne
qu’une seule envie, prendre un avion low
cost pour fuir son intérieur… Tout est lié,
il faut beaucoup de bonne volonté…
Les urbanistes ont le vent en poupe en ce moment : Euralille, Lyon
Confluences, le Grand Paris, et main-
« Avec Euroméditerranée
on passe de la ville lacérée à la ville desservie […].
Mon objectif est avant
tout de créer la situation
urbaine la plus agréable
possible.»
21
tenant l’extension d’Euroméditerranée. Le métier d’urbaniste est-il en
train de gagner en reconnaissance
par rapport à celui d’architecte ?
F. L. : Les urbanistes ont une prise de position globale à toutes les échelles ; politiquement, on peut agir sur plus de leviers.
On a une vraie possibilité de montrer
qu’une ville agréable peut attirer les acteurs économiques. Les grands gestes architecturaux ne me dérangent pas, bien
au contraire, tout dépend du socle sur
lesquels ils sont posés ! Je suis également
architecte et je veux que l’on continue à
faire de beaux bâtiments, je veux créer le
support de bâtiments incroyables.
Propos recueillis par Marion Bertone
L’extension d’Euroméditerranée s’est
vu attribuer le label éco-cité le 4 novembre dernier. Comment cela se
traduit-il dans la définition du projet ?
F. L. : Outre la création du parc des Aygalades, j’ai voulu développer l’idée de la
ville durable méditerranéenne. Toutes
les conditions sont réunies ; le vent, la
mer, et le soleil représentent d’énormes
atouts (300 jours d’ensoleillement par an
et 80 de vent). L’ampleur du projet permet de travailler à tous les niveaux : à
petite échelle, on agit sur le vent, la protection solaire des immeubles, les panneaux photovoltaïques ainsi que le recyclage des eaux grises. À grande échelle,
on aimerait faire une boucle énergétique
avec la mer, permettant une production
de froid et de chaud, à partir de la géothermie de la mer.
Mais en premier lieu, je veux réaliser de
très beaux logements, très confortables.
Coupe perspective de la réhabilitation du Canet © Labtop
Périmètre d’extension d’Euroméditerranée :
169 hectares délimités par le cap Pinède et les
Arnavaux au nord, le village du Canet à l’est
et la tour CMA au sud réalisée par Zaha Hadid
(territoire marqué par les locaux industriels du
xixe siècle, le port marchand et des infrastructures routières)
Maîtrise d’œuvre : François Leclercq Architectes
Urbanistes, Rémy Marciano Architectes, Jacques
Sbriglio Architectes, SETEC, Agence TER – Olivier
Philippe Paysagistes
Maîtrise d’ouvrage : Établissement public de
l’État EUROMÉDITERRANÉE, OIN (Opération d’intérêt national)
Programmation de l’extension : 14 000 logements, 500 000 m2 de bureaux, 100 000 m2
d’équipements publics, 100 000 m2 de commerces, 14 hectares d’espaces verts publics,
20 000 emplois, 30 000 habitants
Investissements : 3,5 milliards d’euros
Calendrier prévisionnel :
2009 Concours – choix du projet d’aménagement
2010 Mise au point du plan guide
2013 Premières opérations
archi _ actualité urbanisme
Comment s’est construit le projet
d’extension d’Euroméditerranée ?
par une voie rapide enchâssée dans le talus surplombant le triage d’Arenc. Elle devient une sorte de strip urbain sur lequel
sera aménagée une promenade ouverte
aux piétons offrant des vues scéniques
extraordinaires sur le littoral. Il y a là un
intér˜t foncier évident.
fiche technique
Archistorm : Qu’est-ce qui caractérise l’urbanisme de Marseille ?
François Leclercq : Pour ce projet, je me
suis beaucoup promené, j’ai voulu m’immerger dans sa géographie. Marseille est
une ville-relief, elle a les qualités de ses
défauts ; elle jouit d’une situation urbaine
exceptionnelle (les collines, la Méditerranée) qui donne à voir des panoramas
fantastiques notamment sur la mer, mais
la circulation est rendue très difficile pour
ces m˜mes raisons. D’autant plus que les
grands réseaux pénétrants, l’A7 et l’A55,
se sont faits contre la ville.
- La reconnaissance du fait géographique
Quand on regarde ce territoire de 169
hectares, il correspond à une vallée, une
cuvette. On peut mettre en évidence cette
géographie. Nous allons remonter cette
vallée, faire redécouvrir le ru des Aygalades et le mener jusqu’à la mer grâce à
l’aménagement d’un jardin. On recrée un
parcours naturel.
- La réalité historique
Cette zone est une sorte de bouchon pour
l’instant. Il faudra avant tout prolonger la
trame existante. Ce projet ne doit surtout
pas ˜tre une rupture dans le tissu urbain,
mon but est la continuité – réaliser « la
ville continue ».