APPROCHE COGNITIVE DU TROUBLE DE PERSONNALITÉ LIMITE

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APPROCHE COGNITIVE DU TROUBLE DE PERSONNALITÉ LIMITE
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Revue québécoise de psychologie, vol. 24, n 2, 2003
APPROCHE COGNITIVE DU TROUBLE DE PERSONNALITÉ
LIMITE : INTÉRÊT ET LIMITES ACTUELLES
Sébastien BOUCHARD1
Clinique Le Faubourg Saint-Jean
Centre hospitalier Robert-Giffard
Résumé
Cet article présente des conceptions cognitives-béhaviorales du trouble de personnalité
limite (TPL) et fait état du manque de recherches empiriques appuyant leur développement.
Puis il résume deux des principaux modèles, soit celui de Linehan et celui de Layden,
Freeman et Newman et Morse, et révèle les questions suscitées par ces modèles. On y
expose ensuite les limites actuelles et de l’approche cognitive du TPL. L’auteur souhaite
stimuler l’intérêt pour le développement d’une conceptualisation cognitive-béhaviorale du TPL
s’appuyant plus étroitement sur la recherche fondamentale et sur la recherche clinique.
Mots clés : trouble de personnalité limite, thérapie cognitive-béhaviorale
INTRODUCTION
Bien que la définition formelle du trouble de personnalité limite (TPL)
n'ait été intégrée au Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders
(DSM) qu'en 1980, le concept de personnalité limite est employé à
l'intérieur de l'approche psychanalytique dès 1938 (voir Stern, 1938). À
cette époque, le terme était utilisé pour décrire un groupe particulier de
patients qui ne bénéficiait pas du traitement psychanalytique traditionnel et
qui semblait se situer aux limites de ce que la psychiatrie de l'époque
nommait les « névrotiques » et les « psychotiques » (Linehan, 1993).
Depuis les dix dernières années, la communauté scientifique manifeste
un regain d'intérêt pour l'étude et le traitement du TPL. Dans la banque de
données Psyclit, le nombre de publications comportant comme mot-clé
borderline personality est passé de 665 dans les années 1980 à 1 643 au
cours des dix dernières années. Paradoxalement, et en contraste avec
leur riche histoire d'études empiriques, les modèles et les traitements
cognitifs semblent encore virtuellement absents de ce mouvement (Arntz,
1. Adresse de correspondance : Sébastien Bouchard, Clinique Le Faubourg Saint-Jean,
e
CHRG, 175, rue Saint-Jean, 3 étage, Québec (QC), G1R 1N4. Téléphone : (418) 6486166, poste 334. Courriel : [email protected]
211
1999); seulement 107 des 1 643 publications mentionnées ci-dessus
utilisent l’expression cognitive-therapy.
Le présent article vise à dénoncer la tendance actuelle des approches
cognitives à laisser tomber, du moins en partie, leur tradition empirique
dans le cas de la conceptualisation du trouble de personnalité limite. Nous
passerons en revue les deux principaux modèles de conceptualisation
cognitive de ce trouble : d’abord, la conceptualisation de Linehan (1993),
puis celle basée sur les travaux de Beck (Beck et Freeman, 1990) et de
ses successeurs (notamment Layden, Newman, Freeman et Morse,
1993). Après une revue de ces deux modèles, nous souhaitons soulever
divers questionnements pouvant stimuler la recherche. Un objectif avoué
de nos efforts est de susciter un intérêt pour l'étude empirique des
postulats en vogue concernant la conceptualisation cognitive du TPL. Mais
il convient d’abord d’établir ce qu'est l’approche cognitive du TPL.
SPÉCIFICITÉS DE L'APPROCHE COGNITIVE DU TPL
Afin de permettre au lecteur de situer l'approche cognitive par rapport
aux autres approches psychothérapeutiques, il est important d’en définir
les singularités. Toutes les thérapies cognitives s'articulent autour de
postulats et de principes communs (Beck et Freeman, 1990; Vallis, Howes
et Miller, 1991). Ces postulats et principes serviront plus tard de critères
permettant d'évaluer les modèles les plus représentatifs d’une approche
cognitive-béhaviorale du TPL.
Selon Vallis et al. (1991), les thérapies cognitives seraient basées sur
les cinq principes suivants : la phénoménologie, la collaboration, l’activité,
l’empirisme et la généralisation. Premièrement, une approche
phénoménologique implique que l'échange thérapeutique se fonde sur
l'expérience subjective et idiosyncratique du patient. Ainsi, toute forme de
psychothérapie cognitive est solidement ancrée sur ce que le patient
rapporte de sa propre expérience.
Deuxièmement, la nature de la relation thérapeutique en est une de
collaboration; le patient et le thérapeute travaillent ensemble sur des
objectifs préalablement négociés. À cet égard, Beck, Rush, Shaw et
Emery (1979) insistent pour préciser que leur approche correspond plus à
une attitude du type « c'est vous et moi contre la dépression » plutôt que
« c'est moi qui vous traite ».
Troisièmement, il s'ensuit que la thérapie cognitive est une approche
active, les deux parties assumant un rôle actif dans les échanges qui ont
lieu. Ce point est relativement unique à la thérapie cognitive. D'ailleurs, la
plupart des thérapies non cognitives considèrent l'activité du thérapeute
comme un facteur négatif. Par exemple, Vallis et al. (1991) rapportent que
les thérapeutes cognitifs expérimentés posent plus de questions brèves
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RQP, 24(2)
(oui/non) et interrompent plus souvent leurs clients que ceux utilisant
d’autres approches.
Quatrièmement, la thérapie cognitive demande une approche
empirique face aux difficultés rencontrées par le patient. Le processus de
construction du réel (qu'il soit conçu en termes de pensées automatiques
ou de schémas) est sujet à une évaluation stricte et à une
opérationnalisation tangible. Il est de notre avis que ce principe demande
aussi que la formulation de cas réponde à des critères suffisants de
scientificité. Comme nous tenterons de le démontrer, ce critère est sujet à
un certain relâchement de la part des tenants d’une approche cognitive du
TPL.
Enfin, le cinquième principe commun aux approches cognitives se
caractérise par la prescription d'activités conçues pour faciliter la
généralisation des changements thérapeutiques faits à l'intérieur des
sessions. Les thérapies cognitives ne sont pas exclusivement axées sur
les interactions entre patient et thérapeute à l'intérieur des sessions; une
grande attention est accordée à ces « devoirs » qui auraient un effet
important sur les résultats du traitement (Persons, Burns et Perloff, 1988).
Selon nous, il serait important d’ajouter un sixième principe afin de
mieux circonscrire l'identité de la thérapie cognitive : se référer aux
théories cognitives de la personnalité lors de la formulation de cas. Par
exemple, Sterrenberg et Thunnissen (1995) ont publié un article où
l'analyse transactionnelle est présentée comme un traitement cognitif du
TPL. Après lecture, l'omniprésence de concepts psychanalytiques nous
laisse croire que ce traitement n'avait de cognitif que le nom. Nous avons
d'ailleurs noté un certain degré d'ambivalence quant aux allégeances
théoriques de certains auteurs qualifiant leur traitement de traitement
cognitif (Dungee, 1993; Ryle, Leighton et Pollock, 1997; Sterrenberg et
Thunnissen, 1995).
SURVOL DES DEUX
COGNITIVES DU TPL
PRINCIPALES
CONCEPTUALISATIONS
À ce jour, on compte seulement trois manuels de traitement cognitifbehavioral spécifique aux TPL (Layden et al., 1993; Linehan, 1993; Ryle,
Leighton et Pollock, 19971). Parmi ces manuels, deux semblent être à
1.
Jeffrey Young (1990) nous promettait un manuel de traitement centré sur les schémas
pour les TPL depuis déjà quelques années (cité dans Arntz, 1999). Ce livre (Young,
Klosko et Weishaar, 2003) a finalement été publié au moment de l’écriture de cet article
et ne couvre pas seulement le traitement des TPL. Il deviendra sans doute un
incontournable dans le domaine.
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l’origine de la majorité des recherches et des communications que nous
avons recensées1.
Notre objectif n'étant pas de faire la recension de tous les auteurs ayant
proposé un traitement cognitif du TPL, nous avons choisi de limiter notre
exposé aux deux groupes de travail influençant actuellement le plus le
développement de la conceptualisation cognitive du TPL. En premier lieu,
nous nous sommes intéressé aux travaux de Linehan (1993), qui est, sans
contredit, l'auteur d'approche cognitive-béhaviorale ayant suscité le plus
de publications sur le TPL. Ensuite, les travaux de Layden (Layden et al.,
1993) nous ont semblé faire une avancée considérable quant aux
formulations cognitives du TPL rapportées dans la littérature (Kuyken,
1999).
La thérapie dialectique-comportementale de Linehan
Linehan (1993) figure parmi les pionniers dans le développement d'un
traitement du TPL validé empiriquement. Elle a développé une approche
intégrative appelée « thérapie dialectique-comportementale » (TDC) et en
a explicité les principes et les techniques dans un manuel de traitement.
Avec ses collègues, elle a mis sur pied un programme de recherche
unique visant à produire des études contrôlées sur l'efficacité de son
approche. À ce jour, son équipe a produit plus de 25 publications et a
suscité un engouement certain pour la TDC; cependant, la TDC n'a donné
lieu qu’à une seule étude adéquatement contrôlée et portant sur un petit
échantillon (voir la critique de Scheel, 2000). Pourtant, la TDC est
présentement le seul traitement psychosocial qui existe pour les
personnes souffrant du TPL et qui dispose de données publiées provenant
d'une étude randomisée (Robins, 1999).
Linehan (1993) conceptualise le TPL à partir d'une théorie
biopsychosociale (Millon, 1981). Selon elle, les difficultés que rencontrent
les personnes atteintes du TPL sont principalement attribuables à deux
facteurs interactifs : d'une part, ces personnes présenteraient une
dysfonction primaire des mécanismes de régulation des émotions et,
d'autre part, les effets de cette dysfonction se potentialiseraient dans un
environnement familial invalidant.
La notion d'invalidation des émotions est centrale dans l'approche de
Linehan (1993). En résumé, sa théorie avance que l'environnement social
des personnes souffrant du TPL inhiberait le développement d'habiletés
adaptatives leur permettant de moduler adéquatement leurs émotions, a
priori, « …excessivement douloureuses, intenses, tenaces et présentant
un faible seuil d'activation » (Robins, 1999). Typiquement, l'environnement
invalidant requiert de l'enfant qu'il exprime de façon dramatique ses
émotions avant qu’on ne lui prodigue l'aide et les soins dont il a besoin;
1.
214
Les travaux de Ryle présentent un intérêt certain pour ce qui est des avenues
d’intégration entre l’approche cognitive et la théorie des relations d’objet (Kernberg,
1984), mais ils n’ont pas été retenus, compte tenu de l’objet de cet article.
RQP, 24(2)
cette attitude augmenterait la probabilité de passages à l'acte et de gestes
parasuicidaires par la suite. En particulier, le contrôle des gestes
parasuicidaires demeure l'objectif central du plan de traitement de
Linehan. Cependant, les visées de la TDC vont bien au-delà du contrôle
de ces comportements.
Linehan (1993) conceptualise le traitement du TPL en quatre stades
relativement distincts. Le stade 1 de la thérapie vise la stabilisation et la
régulation des comportements impulsifs. Le stade 2 vise la réduction des
stress post-traumatiques et le traitement (processing) émotionnel par
exposition. Le stade 3 a pour objectif d'améliorer l'estime de soi et
l'autonomie dans la résolution de problèmes. Le stade 4 vise ultimement le
déploiement des capacités à ressentir joie et transcendance.
Linehan postule que « …la plupart des comportements des TPL sont
une tentative de la part de l'individu de contrôler soit des affects intenses
ou encore les conséquences d'une dysrégulation émotionnelle ». En effet,
un déficit (inné ou acquis) dans la capacité à moduler ses émotions serait
la cause de la plupart des manifestations symptomatiques propres à ces
personnes : comportements impulsifs, diffusion de l'identité, chaos
interpersonnel, gestes parasuicidaires et suicidaires. Cette hypothèse a
l'avantage de sa simplicité (au sens épistémologique); c'est-à-dire qu'elle
répond à la règle voulant que, de deux explications possédant le même
pouvoir explicatif et prédictif, la plus simple des deux propositions devrait
être conservée. Outre son intérêt scientifique, ce postulat amène aussi le
clinicien à saisir la logique derrière le chaos apparent des personnes
souffrant du TPL, ce qui accroît sa capacité d'empathie. Enfin, ce postulat
jette aussi un éclairage nouveau sur la problématique de la diffusion de
l'identité des personnes souffrant du TPL. Pour Linehan, l'individu
développe un sens de son identité en observant ses propres
comportements et ceux de son entourage. La constance et la prévisibilité
de ses émotions à travers le temps et dans des situations diverses sont
des prérequis au développement d'un sens de l'identité. Ces deux
caractéristiques manquent gravement aux personnes atteintes du TPL.
Aussi, le clinicien voulant améliorer la stabilité du sens du self devrait axer
ses interventions sur l'amélioration des capacités de modulation affective
plutôt que de tenter d'intervenir directement sur les conceptions que le
patient entretient à son propre sujet.
Un autre apport intéressant à la compréhension du traitement des TPL
réside en la proposition de Linehan voulant que l’on rencontre
couramment trois types de dilemmes dialectiques avec ces clients, chaque
dilemme étant représenté par deux antithèses : l'auto-invalidation versus la
vulnérabilité émotionnelle, la compétence apparente versus la passivité
active, et les crises récurrentes versus l'inhibition des deuils. Le premier
dilemme place le patient (et le thérapeute) dans une position où on doit
réapprendre à valider la légitimité de ses propres réactions émotionnelles
tout en sachant que celles-ci sont normalement « hors de proportion » par
rapport à celles de son entourage. Ce point amène Linehan à suggérer
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aux cliniciens d’éviter de ne s'en tenir qu'à des techniques de modification
de comportement et de passer plus de temps (surtout en début de suivi) à
valider le vécu actuel du client, à l’accepter « radicalement ».
Le deuxième dilemme, compétence versus passivité, est déconcertant
en ce sens que le client souffrant du TPL peut faire montre d'une
compétence comportementale surprenante dans certaines sphères de sa
vie et, à d’autres moments, agir d'une manière passive et étonnamment
inadéquate. Il devient donc important de reconnaître que leur
incompétence n’est pas généralisée et est fonction de leur état affectif. Le
clinicien se doit ici d’être souple dans ses attentes de performance.
Enfin, le troisième dilemme dialectique vise l'atteinte d'un équilibre
entre, d'une part, l'expérience de crises perpétuelles et, d'autre part,
l'inhibition émotionnelle massive de deuils importants. Ici, Linehan insiste
sur une caractéristique du syndrome borderline largement sous-estimée
des approches psychodynamiques. En effet, la présence d'un évitement
cognitif chronique des stimuli rappelant diverses pertes significatives
pourrait être en partie responsable du maintien d'une dysphorie intense
chez les individus atteints du TPL. Linehan explique en détail de quelle
façon le traitement émotionnel des deuils semble se faire et quelles en
sont les conséquences sur la symptomatologie générale du TPL.
La thérapie cognitive de Beck et de ses successeurs
Lors de sa première formulation cognitive du TPL (Beck et al., 1990),
Beck propose une conceptualisation axée sur trois facteurs cognitifs interreliés : les croyances de base, une pensée dichotomique et un faible sens
de l'identité. Nous présenterons chacun de ces facteurs pour ensuite
rendre compte des ajouts et des modifications apportés par l'équipe de
Layden et al. (1993).
Premièrement, pour Beck et al. (1990), les croyances de base de
l'individu jouent un rôle central en influençant les perceptions et les
interprétations des événements et en modelant autant les comportements
que les réponses émotionnelles du client. Selon Beck, trois croyances de
base1 seraient importantes : 1) « Je suis impuissant et vulnérable »,
2) « Le monde est malveillant et dangereux », et 3) « Je suis
intrinsèquement inacceptable ».
Deuxièmement, un facteur cognitif n'ayant pas, selon Beck, reçu assez
d'attention de la part des autres modèles cognitifs-béhavioraux du TPL
concerne la pensée dichotomique. Cette dernière constitue « …la
tendance à évaluer les expériences en terme de catégories mutuellement
exclusives (bon ou mauvais, succès ou échec, digne de confiance ou
1. Mentionnons que deux équipes de recherche ont tenté de mieux circonscrire les
croyances de bases des personnes souffrant du TPL, soit celle d’Arntz, Dietzel et
Dreessen (1999) et celle de Butler, Brown, Beck et Grisham (2002).
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RQP, 24(2)
traître), plutôt que de voir ces expériences en les situant le long d'un
continuum ». L'effet de ce mode de pensée « noir ou blanc » serait
d’amener l’individu à qualifier d’extrême un événement qui aurait
normalement une position intermédiaire sur un continuum. Par exemple,
se sentir abandonné et totalement indigne d’être aimé parce qu’un ami n’a
pas retourné notre appel. Selon cette formulation cognitive, l'évaluation de
situations en termes dichotomiques mène à des réponses émotionnelles et
des actions extrêmes (automutilation, accès de rage, etc.).
Comme troisième et dernier facteur central aux TPL, Beck insiste sur le
rôle d'un sens de l'identité faible ou instable, tel que Millon (1981) l'a décrit.
La confusion en regard des buts et priorités ferait que les personnes
atteintes du TPL auraient de grandes difficultés à mener une activité
constructive et efficace orientée vers des buts à long terme, spécialement
en présence de changements émotionnels abrupts. Cela donnerait lieu à
une inefficacité et un faible sentiment d'efficacité personnelle (Bandura,
1977) et conséquemment, à un manque de motivation et à une faible
persistance face à l'adversité. Cette absence d'un sens clair de leur
identité rendrait difficile, pour les individus atteints de TPL la prise de
décision dans des situations ambiguës et serait la source d'une faible
tolérance à l'ambiguïté.
Les stratégies d'intervention privilégiées viseraient, en ordre
hiérarchique : l'établissement d'une alliance de travail, la diminution du
manque d’observance au traitement, la diminution de la pensée
dichotomique, l'augmentation du contrôle des émotions, l'augmentation du
contrôle des pulsions, le renforcement du sens de l'identité et enfin, la
modification des schémas ou des croyances de base. Cette séquence
d’objectifs de travail constitue la toile de fond sur laquelle le thérapeute
peut ensuite appliquer diverses techniques d'intervention cognitive plus
classiques. Notons que Beck et al. (1990) admettaient à l’époque que leur
modèle était préliminaire, et qu’un seul chapitre, ne contenant aucune
histoire de cas, était consacré aux personnes atteintes du TPL.
Trois ans après la publication de Cognitive therapy of personality
disorders (Beck et al., 1990), les collègues de Beck publièrent Cognitive
therapy of borderline personality disorder (Layden et al., 1993), ouvrage
présentant une conceptualisation cognitive du TPL beaucoup plus étoffée.
En plus de démontrer l'utilité des techniques cognitives standards, Layden
et al. mettent l’accent sur la thérapie centrée sur les schémas (fidèle à
Young, 1990) et sur une approche développementale du TPL.
Layden et al. (1993) proposent l'utilisation de trois modèles
développementaux pour raffiner la conceptualisation de cas : le modèle
d'Erickson (1963), la théorie du développement cognitif de Piaget (1952) et
la lecture des canaux d'intrants sensoriels liés à la consolidation de
schémas. D’abord, la référence au modèle développemental d'Erickson
oriente le clinicien vers une conceptualisation de cas tenant compte de
l'impact qu'ont eu sur le client adulte certaines crises développementales
217
passées. En particulier, l'utilisation de la théorie d'Erickson (1963) semble
permettre l'évaluation non seulement du type de schéma à l'étude, mais
aussi de sa nature (c'est-à-dire sa rigidité, son degré d'élaboration et
l'étendue de la surgénéralisation des stimuli). Pour Layden et al. (1993), le
stade de développement et l’âge auquel se produisent les abus physiques
ou sexuels influencent grandement l'intensité traumatique reliée à cet
événement. Ainsi, un patient souffrant d'un schéma d'incompétence datant
de l'école primaire (par exemple causé par des échecs scolaires reliés à la
maladie) aurait plus de chance d'être à même d’explorer et de confronter
son schéma comparativement à un autre patient souffrant d’un schéma
d’incompétence datant des premières années de sa vie (par exemple
causé par des parents hypercritiques et sous-stimulant le nourrisson). On
suggère que le premier des deux patients aurait un meilleur pronostic de
traitement.
Deuxièmement, les auteurs démontrent qu'une grande part de ce type
de thérapie cognitive consiste à favoriser le développement cognitif du
patient de façon à lui donner accès au stade des opérations concrètes et
formelles de Piaget (Piaget, 1952). Il semble en effet que le style cognitif
des personnes atteintes du TPL est, du moins par moments, caractérisé
par des modes de fonctionnement propres aux enfants préopératoires. En
démontrant clairement les liens à faire entre le développement cognitif
normal et les déficits cognitifs propres aux individus souffrant du TPL,
Layden et al. (1993) permettent de structurer les interventions du clinicien
dans le cadre d'un programme plus général de développement cognitif.
Troisièmement, l'équipe de Layden propose de tenir compte du type
d'intrant sensoriel (kinesthésique, visuel ou verbal) ayant participé à la
formation des schémas précoces d'inadaptation. À la lumière du type
d’intrant sensoriel, on peut appliquer certaines modifications techniques
afin de maximiser l'accessibilité et l'exposition à un schéma. Par exemple,
on privilégiera l'utilisation d'une couverture chauffante lors de discussions
entourant la formation d'un schéma de négligence affective datant de
l'époque où le client n'était qu'un nourrisson (intrant kinesthésique) ou
encore l'utilisation de techniques d'imagerie pour les schémas ayant été
formés à des stades précédant le développement d'habiletés langagières
élaborées (intrant visuel).
Un autre apport intéressant des travaux de Layden et al. (1993) est la
proposition de trois sous-types d’individus atteints du TPL :
l’évitant/dépendant, l’histrionique/narcissique et l’antisocial/paranoïde. Ces
auteurs démontrent clairement l'intérêt clinique d’utiliser ces trois soustypes d’individus dans leurs histoires de cas. Ces sous-types permettent
une conceptualisation de cas plus précise et donnent certaines indications
sur les facteurs de pronostic. Par exemple, une personne TPL antisocial
aura une progression beaucoup plus lente qu’un patient TPL
évitant/dépendant.
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RQP, 24(2)
La gestion des réactions contre-transférentielles est un autre point sur
lequel Layden et al. (1993) insistent. Un chapitre entier est dédié à ce
sujet. Entre autres, on y décrit les diverses formes de contre-transferts
typiques au travail avec les personnes atteintes du TPL : sentiment de
victimisation, fantasmes d’agression, fantasmes du sauveur, attitude
contrôlante, etc. Les auteurs font une distinction entre les formes saines et
les formes malsaines de contre-transfert. Ils proposent même aux
psychothérapeutes des exercices de restructuration cognitive à appliquer
sur eux-même face à un contre-transfert trop envahissant. Sans contredit,
ces efforts font contrepoids aux critiques concernant le peu d'attention
normalement portée à ce phénomène dans les thérapies cognitives
conventionnelles. Enfin, l'instauration d'un cadre thérapeutique (limit
setting) et l'utilité de la pharmacothérapie dans le traitement des TPL sont
deux autres points centraux sur lesquels Layden et al. (1993) se sont
attardés. À la fin de leur livre, cinq histoires de cas viennent appuyer les
implications de l’application de leur modèle.
LES POINTS DE CONVERGENCE ET DE DIVERGENCE ENTRE LES
DEUX MODÈLES
Les deux conceptualisations du TPL que nous venons de présenter ont
probablement plus de points en commun que de points de divergence.
Toutes deux sont fortement influencées par les fondements de la thérapie
cognitive et toutes deux se réfèrent aux théories du conditionnement
classique et du conditionnement opérant. Les divergences entre les deux
modèles semblent commencer là où, au début des années 1970, les
dissensions ont commencé à se manifester entre béhavioristes et
cognitivistes. En effet, l'attention accordée à l'inférence de construits non
observables (cognitions, schémas, intentions, pulsions) pour expliquer des
comportements mesurables semble prédominante dans le modèle de
Beck et de ses successeurs alors que chez Linehan, les concepts de
cognitions, de pensées automatiques et de schémas jouent un rôle
secondaire dans le développement de la conceptualisation de cas.
En effet, Linehan (1993) possède sans contredit le modèle le plus
« béhavioral » dans le sens où les inférences concernant les processus
cognitifs en jeu sont restreintes à leur minimum. Contrairement à Beck et à
ses collègues, Linehan se réfère abondamment aux notions d'analyse
fonctionnelle; ici, le concept de fonction est entendu au sens strict et fait
référence aux types de contingences en jeu lors de l'extinction, du
maintien ou du renforcement d'un comportement cible. Nous citons Robins
(1999, p. 66), un collègue de Linehan, à ce sujet (traduction libre) :
« La TDC n'inclut pas dans ses conceptions la notion de profondeur ou de
niveau de la personnalité ou du comportement, comme c'est le cas du
concept de schéma qui sous-tend les cognitions. Les phénomènes vus par
certains théoriciens comme une indication de la manifestation d'un schéma
est décrit en termes de patrons de comportements (observables ou
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internes). Chaque comportement est analysé dans le temps (antécédents et
conséquences) plutôt qu'en fonction de niveaux ou de profondeur. »
Chez Linehan, la question du rôle des processus cognitifs dans le
développement et le maintien du TPL semble se limiter à des
considérations dialectiques puisant à la source même de la philosophie
zen orientale. L'importance accordée à l'équilibre dialectique des
formulations de cas a ses avantages et ses inconvénients : comme
avantage, la dialectique de Linehan nous amène à viser un équilibre entre
une stratégie d'acceptation de type rogérien (Rogers, 1970) et des
stratégies de changement de type skinnérien (Skinner, 1974) pouvant
paraître intrusives ou invalidantes pour l’individu atteint du TPL.
Cependant, l'apport des sciences cognitives nous paraît relativement
mitigé dans la formulation théorique de Linehan. Par exemple, les
phénomènes de clivage (Kernberg, 1984) ou de pensée dichotomique
(Veen et Arntz, 2000) sont, chez Linehan, limités à l'assertion qu’ils sont
un indice d'un « déséquilibre dialectique » auquel on doit remédier. Cette
évidence clinique ne permet cependant pas d'étayer notre compréhension
1) des conditions dans lesquelles ce phénomène se produit, 2) des types
de stimuli pouvant induire son activation, 3) de quelle façon ce mode de
pensée concourt aux difficultés rencontrées par la personne atteinte du
TPL, et 4) et comment modifier l'intensité et la rigidité de cette distorsion
cognitive centrale. À cet effet, Beck et al. (1990) avancent que,
contrairement à Linehan, la pensée dichotomique devrait être la première
cible d'intervention en thérapie.
En tant que modèle explicatif, les travaux de Beck et de ses collègues
étayent une conceptualisation cognitive du TPL beaucoup plus élaborée,
dans la mesure où ils recourent à des construits tels que schémas,
pensées automatiques, distorsions cognitives, etc. Néanmoins, Linehan
(1993) garde une bonne longueur d'avance en ce qui a trait à la
complexité de sa conceptualisation biopsychosociale et dialectique du
TPL; chez elle, le développement du TPL peut prendre plusieurs avenues
et peut être influencé par un ensemble de facteurs interagissant
réciproquement (tempérament, environnement familial, variables
démographiques, culturelles et comportementales). En ce qui concerne le
nombre de publication concernant l’efficacité de son modèle, Linehan et
ses collègues surpassent de loin les successeurs de Beck. À l'heure
actuelle, aucune étude randomisée de l'efficacité du traitement proposé
par Beck et ses collègues n'a disposé d'un groupe contrôle du type
treatment as usual comme c’est le cas pour Linehan.
LIMITES ET CRITIQUES DES CONCEPTUALISATIONS COGNITIVES
DU TROUBLE DE PERSONNALITÉ LIMITE
Plusieurs auteurs critiquent l'état actuel du traitement cognitif du TPL.
Ces critiques proviennent autant de l'intérieur que de l'extérieur de la
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RQP, 24(2)
communauté des cognitivistes. D'abord, Westen (1991), dans un article clé
sur l'interface possible entre traitement cognitif-behavioral (TCB) et
traitement psychanalytique du TPL, avance que le TCB du TPL souffre de
certaines limitations. Ce traitement présenterait une compréhension plutôt
limitée de la motivation humaine, en insistant trop sur des postulats
rationalistes. Westen note aussi que le TCB sous-estime l'importance des
fantaisies et des expériences inconscientes. De plus, il déplore le manque
d'intérêt pour les mécanismes de défense inconscients. Il critique, en
particulier, l'absence d'une conceptualisation des niveaux d'organisation
ou de structure de la personnalité, l'accent mis sur les symptômes sans
attention suffisante aux problèmes d'investissement dans la relation
thérapeutique et l'apparent retard du TCB à reconnaître l'importance du
rôle des processus transférentiels et contre-transférentiels en thérapie.
Perris (1994) considère le modèle de Linehan comme une
conceptualisation moléculaire des difficultés éprouvés par l’individu
souffrant du TPL et déplore le manque de construit plus molaire (comme
celui de schéma). Il soutient qu'une approche constructiviste de la thérapie
cognitive pourrait améliorer le modèle de Linehan, notamment en tenant
compte d’un construit molaire tel les modèles cognitifs opérants de Bowlby
(internal working model; 1969). Ces modèles cognitifs sont définis comme
des représentations mentales de soi, de la figure d’attachement et de la
relation entre soi et cette figure. Ces modèles constitueraient les
fondements de la structure de la personnalité. Perris (1994) souligne aussi
le manque d'intérêt de Linehan pour l'enseignement de stratégies
métacognitives permettant au patient d’observer ses propres processus
cognitifs pour ensuite apprendre à agir sur ceux-ci (par exemple, noter en
soi l’activation d’un schéma de méfiance et apprendre à restructurer les
interprétations qui en découlent). Finalement, il souhaiterait que plus
d'attention soit allouée au rôle du phénomène de la recherche
inconsciente d'affects négatifs permettant l'évitement de la dissonance
cognitive (par exemple, souhaiter se faire violenter parce qu’on estime le
mériter).
Chabrol, Schmitt et Szutulman (1996) critiquent quant à eux « la
relative pauvreté du modèle cognitif de la personnalité limite » en
comparaison du souci porté à l'opérationnalisation des techniques
thérapeutiques. Selon ces auteurs, la compréhension des problèmes de
développement psychosexuel des personnes atteintes du TPL est, pour
l'essentiel, étrangère à l'approche cognitive. De plus, la gestion de
situations thérapeutiques complexes impliquant des réactions
transférentielles chaotiques serait un autre des écueils des
conceptualisations cognitives. Les auteurs ajoutent que les thérapies
cognitives font face à une énorme tache aveugle lors de leurs interventions
en omettant de concevoir certaines des réactions contre-transférentielles
comme le signe de l'opération d’une identification projective (voir
Goldstein, 1991). L'intégration de ce construit aux théories cognitives de la
personnalité pourrait, semble-t-il, améliorer grandement la santé de la
relation thérapeutique avec un individu souffrant du TPL.
221
QUELQUES
COGNITIFS
QUESTIONS
SUSCITÉES
PAR
LES
MODÈLES
La rareté des études sur le TPL ayant pour base une formulation
cognitive-béhaviorale a été soulignée. Pour ce qui est des études de
traitement, Perry et Bond (2000) ont récemment mené une méta-analyse
des études d'efficacité de la psychothérapie pour les troubles de
personnalité en général. Des 22 études retenues, seules trois
comportaient un volet sur le TCB. Cela contraste dramatiquement avec
l'habituelle supériorité du nombre d'études empiriques provenant
d'approches cognitives concernant d'autres pathologies (comme le
traitement de la dépression et des troubles anxieux). Les auteurs
concluent qu’il existe des psychothérapies efficaces pour les troubles de
personnalité, mais qu'à l'heure actuelle aucune évidence n’appuie
l'affirmation qu'il y ait une approche psychothérapeutique dont les résultats
soient supérieurs à ceux d’une autre approche.
Par ailleurs, les études visant à étudier les processus cognitifs des
personnes atteintes du TPL sont tout aussi peu nombreuses. Dans les dix
dernières années, seulement treize publications correspondent au critère
borderline personality et cognitive processes dans PsycLit. En
comparaison, sur la même période, 632 études ont porté sur les
processus cognitifs des dépressifs. Pourtant, notre revue de deux modèles
cognitifs du TPL soulève plusieurs questions pouvant stimuler la
recherche. En voici quelques exemples.
Questions suscitées par le modèle de Beck (1990) et ses successeurs
1. « Une diminution de la pensée dichotomique [...] résulte en une
diminution notable des variations soudaines de l'humeur et d'une réduction
de l'intensité des réactions émotionnelles du client, et ce, parce qu’il
évalue les situations problématiques en des termes moins extrêmes »
(Beck et al., 1990, p.201). Comment mesurer la pensée dichotomique? Le
degré de gains thérapeutiques est-il corrélé avec la diminution de
l'intensité de la pensée dichotomique?
2. « Les autorités en psychanalyse avancent que le traitement des
[personnes atteintes du] TPL demande une thérapie d'une durée de 5 à 7
ans. […] La thérapie cognitive avec un [individu souffrant du] TPL n'ayant
jamais reçu de traitement nécessite d’un an et demi à deux ans et demi de
suivi hebdomadaire » (Beck et al., 1990, p. 206). Quand allons-nous
comparer l'efficacité et la rapidité des changements relatifs à ces deux
types de traitements?
3. Les modifications techniques reliées aux types de canaux d'intrant
sensoriel (verbal, visuel, « le nuage ») propres au développement de
222
RQP, 24(2)
certains schémas permettent-elles une altération plus efficace des
schémas précoces d'inadaptation? (Layden et al., 1993).
Questions suscitées par le modèle de Linehan
1. Le modèle de la diathèse-stress concernant, d'une part, une
dysrégulation innée des émotions et, d'autre part, un environnement
familial invalidant peut-il permettre de prédire quel type de
psychopathologie se développera à l'âge adulte? Est-ce que ce modèle
bifactoriel est vraiment spécifique au développement du TPL chez la
femme?
2. La diffusion de l'identité est pour plusieurs auteurs (Kernberg, 1984;
Linehan, 1993; Millon, 1981) une problématique centrale chez la personne
atteinte du TPL. L'avenue d'intervention proposée par Linehan, soit
l'amélioration des capacités de modulation affective comme prérequis au
développement d'un sens du self cohérent et stable, est-elle suffisante
pour rendre compte du développement d'une identité moins friable chez un
client ayant bénéficié d'une psychothérapie?
3. D'après l'expérience de Linehan (1993), l'implantation de procédures
de changement cognitif structurées n'est pas conseillée avec les individus
souffrant du TPL (voir p. 369); il semble en effet que les procédures visant
directement le traitement de l'information rappellent trop fréquemment
l'attitude d'un environnement invalidant. Quelles modifications techniques
pourraient être apportées pour que les personnes atteintes du TPL
puissent bénéficier de l'efficacité reconnue de ces interventions
cognitives?
4. Bien que moins rigoureusement contrôlée, Stevenson et Meares
(1992) ont produit une étude sur l'efficacité d'un traitement
psychodynamique du TPL donnant des résultats similaires à ceux de
l'équipe de Linehan (rapporté par Scheel, 2000). Le traitement de Linehan
agit-il différemment sur certains symptômes par rapport aux traitements
psychodynamiques?
CONCLUSION
Une des motivations qui nous a amené à produire cet article vient de
l'étonnement et de la déception que nous avons ressentis lorsque nous
avons tenté de vérifier le soutien empirique des bases théoriques des
modèles cognitifs du TPL. Historiquement, la recherche fondamentale et
les études de modèles animaux ont précédé le développement des
premiers TCB. Dans le cas du traitement des troubles de personnalité, il
semble que l'empressement des cliniciens à développer des modèles de
traitement ait grandement devancé la capacité des études empiriques à
suivre et à guider le développement de modèles psychothérapeutiques.
223
Idéalement, ces études empiriques permettraient d'améliorer la
compréhension de la pathologie en rendant falsifiables des hypothèses
provenant de modèles théoriques différents.
Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer l'apparent
retard de la recherche concernant la formulation cognitive du TPL :
hétérogénéité de la population, problème d'observance au traitement,
grande attrition des échantillons, complexité de la problématique,
problème d'opérationnalisation, accessibilité de la population, etc. On
pourrait ajouter à cela le besoin criant des personnes souffrant d'un TPL
de recevoir une attention clinique plutôt que scientifique, la prédominance
du modèle psychanalytique en psychiatrie clinique ainsi que l'apparente
inégalité entre l'énergie investie dans les études de résultats de traitement
comparativement à celle investie dans l'étude des processus de
changement thérapeutique.
Certes, nous savons aujourd'hui que la psychothérapie peut être une
approche efficace du traitement du TPL (Bateman et Fonagy, 2000; Perry
et Bond, 2000). Jusqu'à récemment, de nombreux doutes planaient quant
à l'efficacité de ce mode d'intervention. Divergences théoriques mises à
part, un certain consensus semble émerger en ce qui a trait aux modalités
de traitement appropriées au TPL et aux techniques à utiliser dans le
cadre de suivis à long terme. Ce mouvement dit de traitement intégratif
(Benjamin, 1997; Millon, 1999; Stone, 2000) met à l'avant-plan l'utilisation
éclectique de techniques thérapeutiques diverses et la nécessité de
produire des modèles de traitement dont l'efficacité a été évaluée.
L'importance accordée aux considérations pragmatiques relègue, dans
une certaine mesure, à l'arrière-plan la nécessité de développer une
compréhension intégrée des processus de changement thérapeutique du
trouble de personnalité limite. D'après plusieurs observateurs (Alford et
Glass, 1992; Goldfried, 1982; Horowitz, 1991; Mahoney, 1993), l'approche
cognitive serait la source la plus prometteuse d'un langage, d'une théorie
et d'une méthode de recherche permettant l'exploration des possibilités de
rapprochement entre systèmes de psychothérapie rivaux. D'après ces
auteurs, la thérapie cognitive, avec son traditionnel va-et-vient entre la
recherche fondamentale et la généralisation rigoureuse des résultats dans
des applications cliniques, serait en voie de devenir le modèle théorique
intégratif. Le cas des conceptualisations cognitives du trouble de
personnalité limite nous permet d'émettre certains doutes quant à la
rapidité de cet avènement.
En faisant une brève présentation de deux modèles cognitifs du TPL,
nous avons espéré démontrer que la thérapie cognitive semble s'égarer de
sa voie et perdre son identité lorsqu'elle s'attaque à la conceptualisation
des troubles de personnalité en général, et du TPL en particulier. Nous
avons relevé un ensemble de questions soulevées par ces modèles et
demandant toujours à être opérationnalisées. Les modèles
psychanalytiques présentent des problèmes épistémologiques bien
224
RQP, 24(2)
connus lorsqu'il s'agit de les mettre à l'épreuve des faits (Grünbaum,
1986); en théorie, les formulations cognitives devraient avoir une longueur
d'avance dans la recherche sur les troubles de personnalité. Or, nous
avons vu que ce n’est pas le cas. Espérons que cet article encouragera
certains cliniciens-chercheurs égarés à revenir sur leurs pas et à rétablir
l'échange entre la pratique et la recherche fondamentale, entre l'induction
guidée par l'observation clinique et la déduction guidée par la théorie. Les
personnes souffrant d'un TPL ont grand besoin d'attention clinique.
Espérons que le développement d’une conceptualisation ayant une
meilleure validité scientifique favorisera une compréhension plus
approfondie de cette pathologie et, ultimement, le développement de
traitements plus efficaces.
COGNITIVE APPROACH TO THE BORDERLINE PERSONALITY DISORDER : ACTUAL
INTERESTS AND LIMITATIONS
Abstract
This article presents cognitive-behavioral conceptualisations of borderline personality
disorder (BPD) and underlines the lack of empirical data supporting their development. Two
treatment manuals are presented, Linehan’s and Layden’s. In light of these models, research
interrogations to be addressed are proposed. Limitations in actual cognitive approaches to
treatment of BPD are reviewed. The author hopes to provoke interest in the development of a
cognitive conceptualization of BPD more narrowly based on empirical research.
Key words : borderline personality disorder, cognitive-behavioral therapy
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