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Les jeux olympiques
Cinéma et le mythe
des « dieux du stade »
C
Par Patrick Gautrat
Robespierre 1970
L’idéal olympique
et les Jeux où il s’épanouit
tous les quatre ans
ont inspiré nombre de
cinéastes. Si beaucoup
de films ne méritent pas,
dans des genres fort
différents, de passer à la
postérité, quelques-uns
ont profondément
marqué le public et ont
désormais une place
de choix dans l’histoire
du cinéma, contribuant
par là même
à la propagation
et à l’enracinement
des valeurs que Pierre
de Coubertin avait fait
renaître il y a près de
120 ans.
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omment évoquer les Jeux olympiques
au cinéma sans se référer au film de
Leni Riefenstahl, Les Dieux du stade, tourné lors de la XIe Olympiade de Berlin en
1936 ? Tout, en effet, a concouru à forger
ce mythe, qu’il s’agisse de la personnalité
ambiguë au plan politique de la réalisatrice ; qu’il s’agisse de la force du message
«à la gloire de la jeunesse du monde », exaltant le corps, la volonté, la camaraderie ou
la loyauté, tous si chers au régime nazi, mais
également l’égalité des races humaines et
l’internationalisme, eux rejetés par les idéologues du national-socialisme. Les Dieux
du stade, également appelé Olympia en
allemand, veut rendre la plénitude de la
compétition olympique à travers les lentilles
de la caméra dont « les images sont, en définitive, plus belles que la réalité elle-même »,
selon Leni Riefenstahl. Pour cela, et avec
une énorme équipe et des moyens techniques révolutionnaires, elle filmera le sport
comme jamais il ne l’avait été : Les efforts
des athlètes sont suivis dans le mouvement,
souvent au ralenti, sur la piste, en dessous
et au dessus du sautoir à la perche ou du
plongeoir, à côté des cyclistes en course, au
fond de l’eau de la piscine ou encore sur le
bateau des rameurs.
Il est certes impossible d’ignorer le contexte politique de l’événement sportif tant Adolf
Hitler et la svastika y sont présents, mais
aucun succès des athlètes étrangers n’est
ignoré et, lors de l’un des rares triomphes
français, en cyclisme sur route, drapeau tricolore et Marseillaise sont longuement filmés lors de la remise des médailles…Tout
en se réfugiant derrière des commentaires
discrets, la réalisatrice du Triomphe de la
volonté (1935) envoie néanmoins, au début
comme à la fin du film, un message profondément païen. La longue introduction
fait surgir le mythe olympique au milieu de
majestueux monuments grecs et de statues
puis de corps dénudés d’athlètes ; quant au
final, il rassemble les délégations, drapeaux
abaissés, au milieu du stade devenu « cathédrale de lumière » ; lorsque la flamme s’éteint
enfin, une lueur intense monte vers le soleilApollon et illumine tout l’écran. On peut
donc comprendre que le film ait été longtemps à l’index tant était fort son impact au
service d’une idéologie dévoyée ; mais, en
elle-même, l’œuvre demeure la première
référence dans le temps au cinéma olympique et son éclat perdure, 75 ans après sa
sortie.
Tant que la télévision n’avait pas encore
acquis le monopole de diffusion des Jeux
qui est le sien aujourd’hui, plusieurs réalisateurs s’attachèrent à leur consacrer des
films se détachant autant que possible du
simple reportage, à l’unique exception de
Rendez-vous à Melbourne (1957) du
Français René Lucot, dont l’ambition était
de montrer ces « Jeux du bout du monde »
à un public qui ne les avait pas vus.
Avec le monumental Tokyo Olympiades
en 1964, Kon Ichikawa, a disposé de
moyens énormes pour mettre en avant la
dimension humaine des Jeux et la beauté
des gestes ; on ne retrouve plus l’emphase de Leni Riefenstahl mais on vit avec les
athlètes les plus obscurs et les spectateurs ;
le Cio n’apprécia pas le film et entreprit
même d’effectuer des coupures. Le même
malentendu se reproduisit en 1968 quand
Claude Lelouch filma dans Treize jours en
France, les JO d’hiver 1968 à Grenoble.
Là encore, et malgré la présence rassurante du Général de Gaulle et les exploits
superbement filmés de Jean-Claude Killy,
le Cio dénonça le caractère « décalé » du
film qui, sur la musique lancinante de
Francis Lai, voulait être différent d’un
simple reportage. Finalement, le film a été
racheté et re-masterisé par le Cio… Dernier
« documentaire » avant le triomphe total
de la télévision, Vision of eight, (1973),
permet à huit réalisateurs prestigieux de
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donner leur « vécu » des Jeux de Munich à
travers des épreuves de leur choix (Milos
Forman : le décathlon ; Arthur Penn : les
sprinters ; Arthur Schlesinger : le saut en
longueur ; Claude Lelouch : les perdants).
D’impressionnants moyens techniques
autorisent de remarquables gros plans et
aucun des drames de ces Jeux n’est ignoré, à commencer par la tragique prise
d’otages des athlètes israéliens. Différente
du simple reportage, la formule aurait pu
être reprise par la suite, mais aucun réalisateur ne se sentit plus en mesure de rivaliser avec le déferlement des images
télévisées et de leurs compilations…
L’heure était donc venue de la fiction, plus
ou moins proche de la réalité.
Les réalisateurs s’attachent alors à raconter l’histoire de quelques athlètes ou équipes
d’exception. Auparavant, en 1952, Michael
Curtiz, dans Le Chevalier du stade, avait
raconté le douloureux destin du champion
olympique indien américain, JimThorpe
incarné par Burt Lancaster, qui, vainqueur
du décathlon à Stockholm en 1912, puis
accusé de professionnalisme, dut rendre ses
médailles. Wilma (1977), de l’Américain
Bud Greenspan, narre la carrière de la
« Gazelle noire » aux trois médailles d’or à
Rome en 1960 ; la victoire la plus étonnante
de Wilma Rudolph fut cependant celle qu’elle remporta contre une poliomyélite qui
l’avait laissée paralysée jusqu’à l’âge de
quatre ans. Beaucoup plus fameux, Les
Chariots de feu (1981) de l’Anglais Hugh
Hudson, conte avec un grand souci de détails
l’odyssée de deux athlètes britanniques,
Harold Abrahams (Ben Cross) et Eric Liddell
(Ian Charleson), médailles d’or aux Jeux de
Paris en 1924 aux 100 et 400 mètres. Dans
une Angleterre encore marquée par le ségrégations sociales et religieuses, les destins
d’un jeune Juif voulant triompher de l’antisémitisme ambiant et d’un pasteur refusant
de courir un dimanche, emportent l’adhésion du spectateur enchanté par la course
de ces beaux jeunes gens vêtus de blanc le
long de la mer sur la musique accrocheuse
de Vangélis. Ainsi, les libertés prises par le
metteur en scène avec les réalités sportives
n’ont pas nuit au succès du film, quatre fois
primé aux Oscars 1982. Bien plus discret
aura été Prefontaine, consacré en 1997
par l’Américain Steven James à un cham-
pion exceptionnel de 5000 mètres (joué par
Jarod Letot), malchanceux à Munich et qui
avait tout pour triompher à Montréal. Un
accident de voiture mit fin en 1975 à la carrière de cette « forte tête » de l’athlétisme
américain dont la vie fut de nouveau évoquée l’année suivante dans Without limits,
de Tom Cruise, réalisé par Robert Towne,
avec Donald Sutherland dans le rôle de l’entraîneur du coureur. Un message simple
dans ce film : « Prefontaine courait contre
les règles et au-delà de toutes les frontières ».
Malgré de bonnes critiques, ces deux films
furent des échecs commerciaux.
Les fictions fondées sur des événements
réels peuvent également concerner des
équipes : Ainsi, Rasta Rocket, de l’Américain
Jon Turtletaub (1993), raconte l’aventure
véridique de sprinters jamaïcains se rabattant, faute de qualification, sur le bobsleigh,
discipline « exotique » pour eux. Le film vaut
surtout par sa description du racisme
ambiant aux JO de Calgary en 1988, alors
que l’épilogue s’est bien déroulé avec les
équipiers portant jusqu’à l’arrivée leur « bob »
endommagé sur leurs épaules.
En 2004, Le Miracle de l’Américain Gavin
O’Connor, exalte sur un ton épique le
triomphe des États-Unis en hockey sur glace
aux Jeux de Lake Placid de 1980. Avec des
scènes de matches superbement filmées,
l’histoire raconte surtout la mise en confiance de cette équipe d’étudiants par un
« coach » qui la convainc, partie après partie, « qu’elle joue pour le pays » et qu’elle
peut battre le champion soviétique. Une victoire in extremis (4-3) leur ouvrira les portes
de la finale – qu’ils gagneront – et l’on n’est
pas près d’oublier la reconstitution de la
scène finale où une vingtaine de grand
gaillards aux maillots blancs se jettent les
uns sur les autres au milieu de la glace dans
une patinoire en délire. Dans un registre plus
dramatique, Les Enfants de la gloire » de
la Hongroise Krisztina Goda (2006) raconte la fameuse partie de water-polo aux JO
de Melbourne en 1956, entre la Hongrie et
l’URSS, quelques semaines après l’écrasement de la révolte de Budapest. Dans une
demi-finale électrique dominée par la
Hongrie, les bagarres succèdent aux
bagarres, jusqu’à l’agression finale contre
un joueur Hongrois dont l’arcade éclate,
l’eau de la piscine rougissant alors de son
sang tandis que le public veut faire un mauvais parti aux joueurs soviétiques qui fuient
sous protection policière. Finalement vainqueurs olympiques, les Hongrois diront :
« Nous ne jouions pas seulement pour nousmêmes mais pour tous les Hongrois. Le sport
était la seule manière de nous battre ».
La forte influence américaine sur le cinéma
« olympique » a engendré plusieurs films de
pure fiction exaltant les efforts d’athlètes
résolus parvenir au sommet malgré tel ou
tel accident ou handicap.
Dans la plupart des cas, le résultat n’est pas
convaincant. Ainsi, Le Vainqueur en 1980,
de l’Américain Steven Hilliard, avec Michel
Douglas en marathonien cherchant la reconnaissance des siens, et allant finalement
aux JO ; ainsi, également, Le Feu sur la
glace de l’Américain Paul Michael Glaser
(1992) avec sa triste histoire du hockeyeur
blessé à l’œil et qui devient partenaire en
patinage artistique d’une femme infernale
avec laquelle il se qualifiera néanmoins pour
les JO. Enfin, Peaceful warriors de
l’Américain Victor Salva (2006) déroule le
scénario habituel des grandes espérances
contrariées par un accident, mais le jeune
gymnaste de talent bénéficiera des conseils
de l’étrange Socrates (Nick Nolte) pour qualifier son équipe aux Jeux.
Aux antipodes de ces hymnes un peu geignards à la victoire sur la fatalité, certains
films veulent traiter les JO sous l‘angle
comique. Si l’on excepte Folies olympiques
d’Edward Cline » (1932), où W.-C. Fields
est un délirant président-athlète dans une
principauté imaginaire voulant se renflouer
avec des médailles, la plupart de ces films
n’y réussissent pas : L’affligeant Les Fous
du stade de Claude Zidi en 1972 narre les
mésaventures des « Charlots » aux JO de
Paris en 1976 ( !) mais lasse vite par son
indigence. Plus ambitieux, L’As des as de
Gérard Oury (1981) avait tout pour réussir
avec Jean-Paul Belmondo et Marie-France
Pisier ; l’atmosphère de l’équipe de France
des Jeux de Berlin est bien rendue et l’on
sourit de voir « Bébel » porter la torche en
« marcel » et caleçon blancs devant la foule
allemande ! Mais le film sombre ensuite
dans un comique pesant à la complaisance franchouillarde. N’est pas Lubitsch qui
veut ! L’Olympiade de Berlin avait, bien auparavant, inspiré un autre film, entre le comique
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Les jeux olympiques
et l’espionnage, Charlie Chan aux Jeux
olympiques de Bruce Humberstone (1937).
En dépit d’une intrigue sommaire de vol d’un
procédé pour guider à distance les avions,
le film se déroule dans un Berlin « aseptisé » où les balourds policiers allemands sont
aux côtés des détectives américains pour
déjouer les machinations d’une mystérieuse puissance maléfique ; on est donc bien
loin des hideux SS de L’As des as et les athlètes américains se couvrent finalement de
gloire, certains documents originaux faisant
revivre les épreuves. Enfin, à l’extrême limite du mauvais goût, L’Imposteur de
l’Américain Barry Blaustein (2006) raconte les « exploits » d’un sportif se faisant passer pour handicapé mental afin de triompher
aux Jeux paralympiques et de financer l’opération d’un ami. Démasqué, il sera pardonné mais pas par la critique qui dira du
comédien « qu’il ne lui avait pas été difficile de jouer l’imbécile »…
Le plus tragique épisode des Jeux modernes,
la prise d’otages de munich, tarda à inspirer les réalisateurs car il fallut attendre 2005
et Munich de Steven Spielberg . Avec une
distribution éclatante (Daniel Craig, Yvan
Attal, Mathieu Kassovitz, Valeria Bruni-
B
U
L
L
E
T
aux Jeux Olympiques de Frédéric Forestier
et Thomas Langmann (2008), avait pourtant de réelles ambitions : tourné à grands
frais (78 M €) avec une pléiade de vedettes
(Gérard Depardieu, Clovis Cornillac, Alain
Delon, Benoît Poelvoorde, Jamel Debbouze,
Frank Dubosc..) et quelques invités de renom,
le film ne parvient jamais à vraiment amuser et les critiques furent accablantes…
même s’il attira en fin de compte une audience honorable (7 millions de spectateurs en
France).
Pour terminer de façon plus positive, on
mentionnera un film franco-grec méconnu
et très attachant, Vaincre à Olympie, de
Michel Subiela (1977), évoquant les Jeux
Antiques et tiré du roman de éponyme de
Maurice Genevoix écrit à l’occasion des JO
de Paris en 1924. Avec des acteurs de
renom (Jean Marais, Jean Topart, Georges
Marchal..) et sur une musique de Vladimir
Cosma, c’est l’histoire d’Euhtymos de Locres,
vainqueur à Olympie, mais surtout, un hommage au sport dans le cadre des sites olympiques dont il exalte les mythes. Nous voici
donc revenus à notre point de départ et aux
images impérissables du début des Dieux
du stade…
n
Tedeschi…) le film narre l’opération « Colère
de Dieu » visant à éliminer un maximum de
personnes impliquées dans cet acte de terrorisme. Posant le problème de la légitimité de ces représailles, le film s’attira les
critiques des deux bords… mais récolta
nombre d’Oscars, dont celui du meilleur fil
2006. Traitant également du terrorisme,
Prise d’otages à Atlanta de l’Américain
Albert Puyn (1997) imagine la séquestration de nageuses américaines aux JO de
1996 et la menace d’explosion de bombes
dans de nombreux sites olympiques ; des
héros « positifs » intrépides mettront hors
d’état de nuire le « cerveau » du complot.
Il ne fallait pas, enfin, oublier les jeunes spectateurs mais il n’en est pas résulté de films
de qualité. Tout d’abord, Animalympics de
l’Américain Steven Lisberger (1980), est un
dessin animé aussi long que lourd avec de
nombreuses compétitions où figurent les animaux les plus improbables ; dans ce « sousDisney » besogneux, les Français sont parfois
égratignés à travers un phacochère escrimeur arrogant, mais également rachetés par
un bouc marathonien du charmant nom de
René Fromage ! Encore plus affligeant dans
«l’échelle de Richter des navets », Astérix
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