du désert - Incredible India
Transcription
du désert - Incredible India
F JODHPUR leur du désert Si l’appel des montagnes commande, si l’appel de la mer apaise, que dire de celui du désert sinon qu’il accueille avec douleur. Est-il quelque chose de plus émouvant qu’une fleur solitaire au coeur d’un désert aride ? Trouve t’on endroit aussi riche en couleurs et histoires ? Peut-on résister à l’appel cinglant du voyage dans une telle étendue solitaire ? Jodhpur nous appelle… Sandeep Silas Destination Rajasthan Jodhpur Jaipur I l était une fois Marwar, connue jadis comme la terre de la Mort. L’esprit indomptable des Rathore peuplait cette extravagance rocheuse et inhospitalière. Glorieux, intrépides, téméraires, ils célébraient la vie dans des chants épiques, des combats héroïques, gravant la pierre de l’empreinte flamboyante de leur mépris de toute fin. Pénétrez dans les ruelles étroites et rencontrez un de ces hommes à l’épaisse moustache qui vous guidera à travers les dédales du passé cendré de son peuple. Les vents encerclent la formation rocheuse qui soutient le fort de Mehrangarh. A ses pieds, la plaine qui lui fait face fut le théâtre de nombreuses batailles. Le désert est encore humide du sang des milliers de combattants Rajput tombés fièrement ici. Une vie de liberté et de bravoure avait pour eux plus de valeur qu’une existence empreinte de paix et de simplicité. Sur la colline, trône une splendeur. Son allure autoritaire la rend imprenable. Elle apparaît sur son caillou tel un aigle qui s’abat sur sa proie. Le noble prédateur est le chinha, l’emblème des Rois. Le fort de Mehrangarh Le regard du Fort ne faiblit jamais. Il se déplace le long de murailles interminables, et lance ses canons derrière ses créneaux comme une injonction à tout impudent. Au centre, se dresse le palais-forteresse d’où s’élève sa voix princière, porté par les chattris (kiosque ou pavillon supportant un dôme rajput) et les jharokas élégamment sculptés (ensemble de balcons/fenêtres grillagé typique ressemblant à un bow-window). A ses pieds, sa taille paraît démesurée et son envergure menaçante. Ses murs vont de 6 à 36 m de haut et de 3 à 21 m de large. A son entrée, un panneau griffonné porte l’impact de l’explosion de Rudyard Kipling devant ce spectacle : « Une œuvre fabriquée par des anges, des fées et des géants ». Face à sa grandeur, en contrebas et dans une confusion ordonnée s’étend une ville immense composée de rues animées et de maisons blanches et bleutées. Au cours des siècles précédents, ce blanc-bleu signalait la boutique de l’orfèvre. Aujourd’hui encore Marwari cache de l’or dans ses boîtes ! Jey Pol représente la grande entrée du Fort. Au-dessus de la porte, les vestiges d’une poulie utilisée pour puiser et remonter l’eau. A l’intérieur, il y a un chattri à Kirat Singh Sodha, un héros qui défendit Mehrangarh en 1808 contre l’armée d’invasion de Jaipur et perdit la vie à cet endroitmême. A quelques mètres, une autre porte, encore des stigmates de canon sur sa poitrine fière. Ils racontent l’offensive du Maharaja Jagat Singh de Jaipur sur Jodhpur, à l’instigation de Sawai Singh Champawat. La ville fut prise, mais le Fort ne tomba pas. Les canons des assiégeants, placés à proximité du réservoir de Rasolai Singodian-Ki-Bhekri, ne parvinrent jamais à ébranler la fierté du Maharaja Mansingh. La pierre était si solide que les boulets de canon lobés furent incapables d’en décaper ne serait ce qu’un mètre-carré. Faites demi-tour et remontez la pente, le son des Shehnai et Ek-Tara résonne entre les murs. Ils renvoient l’image de l’entrée triomphale du Roi, de retour vainqueur de la bataille livrée et qui salue la foule à dos d’éléphant. Les musiciens jouaient à un rythme effréné, tandis que les dames du harem royal inondaient sa procession, depuis les jharokhas innombrables, de milliers de pétales de roses, elles saluaient la bravoure de leur puissant bien-aimé d’œillades énamourées. Depuis 1459 avant JC et l’érection de Mehrangarh par Rao Jodha, chef de la 17e Dynastie Rathore, le Fort règne sur Marwar. INDES Mars-Avril 2013 55 Destination Les canons du Fort de Mehrangarh Un vieux portemanteau rouillé en fer forgé est disposé près d’un restaurant. Croyez-moi, les motifs sculptés qui y figurent sont d’une incroyable beauté. Le nakaar-khana expose toujours les tambours antiques qui ont jadis battu en l’honneur du Roi. Suraj Pol représente l’entrée du musée du Fort. Elle vous mène à une impressionnante collection d’armes et d’objets. La famille du gotra (clan) de Rathore était Gautam et leur nishan (drapeau) était le pachranga. Un trône de marbre érigé sur une plate-forme surélevée, le sangar choki, aveugle votre regard. Cette pièce fut celle des audiences publiques de sa Majesté. 56 Mars-Avril 2013 INDES La collection royale de haudahs (sièges placés sur le dos des éléphants) est remarquable. La plupart sont en argent et ont été amoureusement modelés par des artisans. Elle présente, entre autres exemples, celui qui a été offert, le 18 décembre 1657, par l’Empereur Shah Jahan au Maharaja Jaswant Singh I, en gage d’amitié. Une autre salle présente une série de palki, ou chaises à porteur pour dames de la cour. Ils sont au moins aussi délicats que l’ont été les Reines de Marwar. Deux sont particulièrement remarquables : tamjham et pinjus. Un autre, mahadol, est un butin de guerre rapporté par Ajai Singh après sa victoire en 1730 sur Sarbuland Khan, gouverneur du Gujarat. La vie à la cour Rajput Les hommes Rajput au combat, les Reines prenaient en charge l’éducation des enfants, futurs guerriers protecteurs de Marwar. Huit palnas (balançoires), toutes peintes avec de l’or, étincelantes avec leurs motifs divers représentant le soleil ou d’autres emblèmes royaux et figurant sur leurs crêtes des fées veillant avec bienveillance sur des enfants en train de se divertir. Seules, des berceuses douces et des chansons de bravoure susurrées aux oreilles des tempétueux Rajput, calmaient leurs sautes d’humeur. Songer que ces objets si fins ont bercé les jeux d’enfants de si puissants monarques me fait glisser dans d’impénétrables rêveries romantiques. A cette époque, la vie était à la fois rude et délicate. Que ces pièces merveilleuses en pierre, argent, bois et ivoire, puissent avoir été conçues de manière si complexe et élégante au milieu des menaces, des guerres et de conditions de vie ardues me semble proprement ahurissant. Voyez par vous-même, des salles aux couleurs chatoyantes, des narguilés d’argent, des trousses de toilettes et des boîtes à bijoux en ivoire, des fusils et des pistolets décorés, des épées et des poignards dentelés, des lances et des coiffes de guerre fabriquées avec de nobles étoffes : l’amour d’un peuple pour la liberté et ses richesses saute aux yeux ! C’était aussi l’époque des célébrations, les Rajput savaient y faire pour conquérir avec tendresse le coeur de leurs belles. Le Sheesh Destination Chambre du Palais de Mehrangarh Fort Mahal est une chambre délicate située à l’intérieur du Fort. Elle est soigneusement décorée de fresques et incrustée de petits miroirs. Le plafond paraît composé d’une multitude de billes de verre colorées. Eclairée comme un planétarium, la chambre donne l’effet de tourner dans une galaxie de millions d’étoiles scintillantes. La salle de danse est une autre pièce époustouflante. Peinte au pinceau d’or, sophistiqué jusqu’aux plinthes, elle plante à l’heure du bal une reconstitution historique où votre cavalière vous enivre jusqu’à l’extase de ses tournoiements incessants. La brise aux étages supérieurs est puissante, comme les princes qui régnaient ici. Hauts dans le ciel, les aigles au regard perçant font leur ronde. Une peinture de Veer Durga Das Rathore (1638-1718), représenté dans la jungle et cuisinant sa nourriture sur le tombeau d’un homme inconnu est un rappel mélancolique du prix que Rathore eut à payer à Aurangzeb pour préserver sa liberté à Marwar. Les hommes Rajput s’imposaient une discipline stricte dans leurs vies privées. La purdah (rideaux) séparait les hommes des femmes. Les galeries étaient propres à chacun : Mardani Deodi pour les nobles et Zenani Deodi pour leurs dames. La chambre de la Reine et de ses servantes était protégée des regards par des fenêtres doublées d’un écran grillagé ; fait de pierre et non de bois : l’oeil s’y laisse tromper tant le travail est ouvragé ! Les Rois vivaient vaillamment et mouraient dans l’honneur. A l’extérieur du Fort, un cénotaphe de marbre jouxte une masse d’eau retenue par la roche brute. Il commémore le Maharaja Jaswant Singh. Son chatri est appelé Jaswant Thada. Sa base exquise est surmontée d’un étage rectangulaire à partir duquel s’élève comme un pic une structure pyramidale, symbole de l’épée que fut le Monarque. Tout autour, une flopée de petits chatri qui immortalisent respect et amour du Souverain, l’entoure chaleureusement. De Jodhpur à Mandore Le destin de la guerre était de ne pas vivre éternellement. L’âge de la diplomatie remplaça l’âge des armes. Umaid Bhawan Palace, un bâtiment érigé de 1929 à 1943 dans le style colonial du XXe siècle incarne une nouvelle ère de paix et de prospérité. Il était initialement prévu en marbre, mais les conseillers et experts royaux insistèrent pour privilégier une variété locale de grès, prédisant que le marbre ne conviendrait pas à cette nouvelle Dynastie. Trois milles artisans consacrèrent quatorze ans de leur vie à construire cet agrégat de pierres des sables de 365 salles. Le célébrissime peintre polonais Norblin y trouva matière à échauffer son imagination, lui à qui les lieux inspirèrent des fresques incroyables figurant des scènes de guerre, de mariage, ou de la vie quotidienne. La salle du dôme constitue en elle même une scène monumentale. Entre la lumière naturelle qui irradie à travers les persiennes qui la soutiennent et les lampes romantiques qui diffusent un éclairage tamisé sur le marbre en étoiles du sol, le visiteur est comme en apesanteur. Et dire qu’il n’en coûtait, en ce temps-là, que cinquante millions de roupies (ou 720 000 euros) pour construire ce Palais couleur camel. Une route de 8 km de long vous amène de Jodhpur à Mandore, la résidence légendaire de Mandodri, Reine de Ravana. C’est maintenant un jardin du souvenir pour les dirigeants Rathore. Les chatri en grès rouge, construits dans le style pyramidal, abondent – certains abritant des statues, d’autres présentant de complexes et délicats ornements sculptés – ; les chatri de Ajit Singh et Jaswant Singh émergent. Ek Thamba Maha, un ensemble de trois étages composé de motifs intrigants fait face au Bagh Zenana (jardin des dames) ; il fut construit pendant la période d’Ajit Singh de 1707 à 1724. Mandore était la capitale de Marwar jusqu’au milieu du XVe siècle et ramène en des temps légendaires où il était connu sous le nom de Mandavyapureand. Les Seigneurs musulmans, qui avaient alors au cœur ce feu et cette rage qui alimentaient leur soif de conquête, l’attaquèrent tous à un moment, qu’ils furent Mandor Iltutmish, Jalaluddin Khalji, Ferozeshah Tughlaq, Shershah Suri, et Aurangzeb. Telle était sa valeur, son importance stratégique ! Ironie de l’histoire, l’amour scella son sort : elle finit finalement aux mains des Rathore de Rao Chunda quand les Inda Padihar l’offrèrent comme cadeau de mariage. La nuit tombe. Les chameaux passent sereinement, leurs bosses montant et descendant au-dessus des sables implacables du désert. Foulant et marquant de leurs empreintes leur passage, ils s’en retournent vers les enclos de leurs maîtres. Dissipées les craintes d’une armée d’invasion, étouffés les bruits de la guerre, seule reste maintenant dans l’air la floraison douce mais obsédante d’une passion monumentale digne d’un ek-tara.n INDES Mars-Avril 2013 57