Profession : libérale Esprit : coopératif
Transcription
Profession : libérale Esprit : coopératif
Métiers Profession : libérale Esprit : coopératif Près de cinquante Scop exercent une activité libérale réglementée. Architectes, géomètres, chirurgiens ou infirmiers, les coopérateurs font preuve d’un esprit collectif peu répandu dans un univers professionnel très marqué par la responsabilité individuelle. Une différence qui n’est pas sans poser de problèmes juridiques. E ntre les professions libérales et les sociétés coopératives, l’union est toujours apparue difficile sur le papier. Car comment concilier l’activité libérale qui repose sur une responsabilité professionnelle individualisée justifiant l’interdiction du statut de société commerciale, et la Scop, par définition collective et commerciale ? Pourtant, la plus ancienne “Scop libérale“, toujours en exercice, est née dès 1946. Soit quarante ans avant qu’une loi autorise les géomètres-experts à exercer sous statut commercial. Autant dire que l’ATGT (Association de topographes géomètres et techniciens d’études) et les trois autres Scop du secteur (Technique Topo, Segc Topo et Cogerat) n’ont pas eu que de bons rapports avec leur ordre professionnel. Mais l’ATGT compte aujourd’hui parmi les plus importantes sociétés françaises de géomètres-experts avec 140 salariés et dix millions d’€ de chiffre d’affaires. En dehors des géomètres, une quarantaine de cabinets d’architectes a adopté le statut coopératif, ainsi qu’une clinique, un service de soins infirmiers et une entreprise d’aide opératoire aux chirurgiens spécialisés (assistants en chirurgie). Si ces derniers ne relèvent pas stricto sensu de l’exercice libéral (une activité individuelle et non salariée), leur démarche pionnière et leur logique de fonctionnement les rapprochent des professions libérales réglementées, qui répondent à la tutelle d’un ordre professionnel, à une obligation de diplôme, et dont l’activité est strictement encadrée. 26 • janvier / février 2004 Participer 603 Calme, dans les Alpes-Maritimes, est l’unique clinique en Scop. Première difficulté : la responsabilité individuelle. « Dans le cas des professions libérales, il y a comme une reconnaissance de “l’homme de l’art“ et de son indépendance, qui engage sa responsabilité personnelle », décrit Pierre Le Vey du service juridique de la CG Scop. Mais le choix du statut coopératif ne change pas la nature de cette responsabilité : salarié d’une Scop ou indépendant, « le géomètre-expert reste responsable en son nom s’il y a litige », rappelle Armel Bertin, PDG d’ATGT. Idem pour les architectes et les médecins. Des règles originales Deuxième difficulté : le statut commercial. Dans les secteurs réglementés, le statut de société commerciale a longtemps été purement et simplement interdit. Ce qui n’excluait pas la rentabilité de l’activité ! L’interdiction est levée avec la création, en 1990, de la Société d’exercice libéral (SEL). Un statut de SA ou de SARL qui verrouille l’achat de parts sociales et la répartition des droits de vote afin de laisser la propriété de la société aux professionnels membres de l’Ordre qui y travaillent. Le statut de société commerciale répond surtout aux défis contemporains d’une économie exigeant des moyens techniques de plus en plus onéreux. Chez les géomètres, « on voit des entreprises grossir via le rachat des cabinets. Il devient plus logique de se constituer en société afin de limiter les risques financiers qui grandissent avec le chiffre d’affaires », explique François Berger, de Technique Topo. Dans ce secteur, les Scop se défendent plutôt bien et deviennent des poids lourds aptes à peser sur le marché. Mais elles ont parfois à jouer les contorsionnistes afin de respec- Métiers « Je ne vois pas comment,ailleurs que dans une Scop, j’aurais pu m’associer à un cabinet,à moins d’avoir des parents derrière ! » Par ailleurs, la Scop est un ter les contraintes d’actionressort intéressant pour nariat des SEL en même démocratiser l’accès à l’entemps que les principes treprise libérale. François coopératifs. Car les règles Berger, actuel directeur d’association en SEL obligénéral de Technique Topo, gent notamment à ce que la raconte qu’il est devenu majorité du capital soit déteassocié en apport a n t nue par les membres de François Berger, Technique Topo 50000F (7 500 €) au capil’Ordre, à l’exclusion des tal. Montant à comparer autres salariés ! Et pourtant aux 150 000 € régulièrement demandés SEL et Scop relèvent a priori de la même dans les cabinets traditionnels. «Je ne vois motivation : garantir la maîtrise de l’outil pas comment, ailleurs que dans une Scop, de production par des professionnels. Pour j’aurais pu m’associer à un cabinet, à moins Pierre Le Vey, « il y a un parallèle à faire entre les deux formes juridiques » et peutd’avoir des parents derrière ! » être une nouvelle catégorie à créer pour La Scop apporte aussi des garanties quant les Scop libérales. Un chantier complexe à la déontologie de l’entreprise : « Nous n’avons pas créé une clinique pour nous qui n’a été qu’effleuré jusqu’à mainteenrichir, mais pour soigner les gens, rapnant. pelle Bruno Perez, et ce qui est sûr, c’est que Une différence culturelle le statut de Scop évite la prédominance du Mais au-delà des questions juridiques, pouvoir de l’argent. Mais attention, une c’est bien la notion même de coopération structure juridique ne change pas la natuqui est encore largement étrangère au secre humaine. » teur. Aucun avocat ni expert-comptable Déontologie n’est en Scop. et réalisme économique « Le libéral est quelqu’un d’autonome qui Cette déontologie, alliée au réalisme écoveut décider de ses actions. Pourtant, pour nomique d’une structure commerciale, soigner des alcooliques, il n’est pas penfait de la Scop une forme intéressante sable de travailler tout seul », explique le psychologue Bruno Perez, directeur pour nombre de prestations relevant du général de Calme, clinique de traitement champ libéral. Par exemple, les services de de l’alcoolisme située à Cabris, dans les soins infirmiers à domicile. Aujourd’hui Alpes-Maritimes (cf. encadré ci-après). presqu’exclusivement régis par des asso«Cela procure une énorme richesse de ciations, ils pourraient se révéler un bon trouver des solutions ensemble, mais cela terrain d’expérimentation pour les coopédemande aussi beaucoup de compromis », ratives. Se Pourta Ben, Scop créée à Cannes souligne-t-il. (Alpes-Maritimes) en 1998, est la première société commerciale à tenter l’expérience. « Il y a des opportunités énormes en terme de création d’emplois », explique Michel Ceva, le PDG, et la Scop peut apporter les moyens du développement. « En Italie, les services à domicile appartiennent au réseau coopératif via les coopératives sociales notamment », ajoute-t-il. Seulement, malgré les garanties apportées par le statut Scop, la Caisse d’allocations familiales (CAF), organisme qui finance les soins infirmiers à domicile, refuse de voir une entreprise redistribuer les bénéfices d’une activité intégralement subventionnée par des fonds publics. Que ce soit sous la forme de dividendes ou, à l’ensemble des salariés, sous Un géomètre de l’ATGTSM réalise un positionnement par GPS en Camargue. la forme d’un accord de participation ou « Autant de choix à contrecourant des cliniques privées » Le Calme (Centre d’action et de libération des malades ethyliques), unique clinique coopérative, est un fer de lance de l’alcoologie en France. La clinique a été créée en coopérative en 1981 par des médecins et psychologues qui développent la méthode dite “institutionnelle“. « Pour soigner un alcoolique,l’ensemble de la maison,de l’équipe,des outils thérapeutiques et médicaux se doit d’être cohérent.De la forme du bâtiment à l’absence de blouse blanche, en passant par la présence d’anciens malades parmi les salariés », explique Bruno Perez, psychologue et directeur général. Cela signifie aussi l’absence de télévision et de chambre individuelle afin de favoriser la sociabilité, et l’arrêt de la cure en cas de non-respect du contrat par le malade. Autant de choix à contre-courant de ce qui fait la rentabilité des cliniques privées, et cohérents avec l’esprit coopératif qui règne dans la clinique, symbolisé par l’échelle des rémunérations : l’écart de salaire ne dépasse pas un rapport de un à trois entre les trente salariés. Calme route de Spéracèdes - 06530 Cabris Tél. : 04 93 40 69 99 - www.calme.fr d’intéressement. Michel Ceva se retrouve donc en panne d’associés, ce qui n’est pas sans compromettre l’avenir de Se Pourta Ben et de ses 13 salariés. Quelque peu désespéré par ce blocage, le PDG implore: « Quand va-t-on arrêter de faire croire que l’association est la panacée en terme de participation et de démocratie ! » A l’image du fondateur de Se Pourta Ben aujourd’hui, des géomètres d’ATGT après-guerre, ou des psychologues du Calme, les coopérateurs libéraux ont toujours joué les pionniers. La “Scop libérale“ trouvera peut-être un jour sa reconnaissance en tant que garante de professions qui n’ont jamais voulu être assimilées à un simple acte de commerce. PHILIPPE JACQUOT Participer 603 janvier / février 2004 • 27