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FILETS ET ENQUÊTES DESCRIPTIFS Le Monde 25 octobre 2002 LA PROBLÉMATIQUE NEUTRALISATION DES TÉLÉPHONES MOBILES Comment appliquer l’article 26 de la loi du 17 juillet 2001 qui permet aux exploitants de cinéma, directeurs de théâtre, propriétaires de cabarets ou autres salles de spectacle d’installer des « brouilleurs » de téléphone mobile ? Telle est la question délicate sur laquelle l’Autorité de Régulation des Télécommunications (ART), après une consultation publique, a émis le 26 septembre des propositions à la Commission Consultative des Radiocommunications (CCR). Tout en soulignant les difficultés créées par la loi, l’Autorité met en avant deux conditions d’application : le respect du confinement et celui des niveaux de référence que ne doivent pas dépasser les champs électromagnétiques quand le public y est exposé. Sur le plan technique, cela conduit à définir les types de systèmes de blocage qui peuvent être employés. Il existe en effet plusieurs catégories de brouilleurs, que l’on peut classer en deux grandes familles. D’abord ceux qui agissent par brouillage des fréquences d’émission des mobiles en créant un niveau d’interférence tel que le réseau et le mobile ne peuvent plus initier ou maintenir une communication. Ensuite, ceux qui, par filtrage, sont par exemple capables d’agir sur les mobiles pour les faire changer d’état (utilisation restreinte), différencier les canaux, en modifier le contenu et interdire in fine les communications, par renvoi des appels entrants sur les messageries des abonnés. Difficultés techniques Au sein même de ces deux groupes génériques existent différentes variantes. Ainsi distingue-t-on les brouilleurs simples (qui émettent en permanence un signal qui crée des interférences sur les fréquences allouées au mobile), des brouilleurs « intelligents », qui n’émettent un signal parasite que lorsqu’ils détectent un mobile sur le point de communiquer. En effet, un mobile appelé ne sonne pas immédiatement. La station de base lance d’abord une sorte d’appel général (paging) afin de localiser précisément (à la cellule près) le portable auquel est destinée une communication. C’est au moment où celui-ci signale sa présence en réponse au paging que le brouilleur le détecte et déclenche le signal qui inhibe sonnerie et communication. Les systèmes opérant par filtrage, plus complexes à développer, relèvent quant à eux encore de la théorie. Plus « intrusifs », puisqu’ils sont capables de différencier les canaux au sein du signal (canaux de signalisation, canaux de données...), ils ne sauraient être installés sans une implication technique des opérateurs, qui, bien sûr, s’y refusent. Les industriels estiment que ces systèmes, qui ont fait l’objet de différents brevets, ne pourront, de toute façon, techniquement voir le jour avant deux à cinq ans. Par contre, simples ou intelligents, les brouilleurs qui se contentent de créer un signal d’interférence sont déjà disponibles en France, où ils demeurent illégaux, étant en théorie réservés aux applications de sécurité (forces de l’ordre, renseignement) ou militaires. À l’étranger (Israël, Japon, Corée du Sud, Chine...), dans des boutiques spécialisées ou sur Internet, le chaland trouvera des engins de brouillage de faible puissance (quelques mW) relevant du gadget « james bondesque », malicieusement dissimulés dans un boîtier de téléphone mobile (Nokia, Siemens) ou carrément des valises de forte puissance ((300 watts et plus) capables de brouiller la zone de couverture complète d’une station de base GSM ou autre, les prix variant de moins de 100 € à plusieurs milliers d’€. Risque de prolifération On comprend pourquoi l’ART et les opérateurs sont inquiets devant le risque de prolifération de ces systèmes qui, manipulés par des personnes mal intentionnées ou tout simplement mal informées, pourraient se révéler dangereux. Si, comme le souhaitent les propriétaires de salles de spectacle, l’ART parvient à un consensus entre eux-mêmes et les opérateurs sur un ensemble de règles (type de produits, création d’une base de données les recensant, information du public, contrôle), tout ne sera pas réglé pour autant. Le débat fait rage sur la faisabilité d’un confinement efficace dans les salles de spectacle telles que définies dans la loi, à savoir les lieux où sont diffusées et reproduites des oeuvres de l’esprit. Or cette définition est très large. Un chapiteau monté temporairement entre-t-il dans le cadre retenu ? Nul ne peut le confirmer ou l’infirmer. Question d’interprétation. Quid des halls d’accueil, du bar de l’entracte ? Pour Hortense de Labriffe, déléguée générale d’Uniciné, cela va sans dire, « seule la salle, et non les dépendances, est concernée ». Pour éviter la prolifération, cela irait mieux en le précisant dans la loi. Dans tous les cas, le confinement pose problème. Et, selon que l’on inclut ou non les dépendances, l’impact n’est pas le même en termes économiques pour les opérateurs. Les communications échangées pendant les spectacles ne sont pas en jeu, en revanche celles émises depuis les halls ne sont pas à négliger. Les propriétaires de salles de spectacle, habitués au règles drastiques applicables aux espaces recevant du public, ne voient d’ailleurs aucun inconvénient à respecter les contraintes qui excluraient les dépendances (halls, coulisses, bars) des emplacements brouillés (si tant est qu’on parvienne à mettre en oeuvre un confinement efficace). Se pose ensuite le problème des appels d’urgence. Car les brouilleurs ne sont pas capables de distinguer le bon grain (coup de fil anodin) de l’ivraie (alerte). Un médecin d’astreinte assistant à un opéra dans une salle équipée d’un brouilleur ne pourra recevoir ni appels ni messages texte (SMS) l’avertissant de la nécessité d’une intervention. De même, en cas de danger, le public ne pourra appeler le 112 (services d’urgence). « Faux problème, rétorque Hortense de Labriffe, le médecin concerné n’a qu’à nous avertir avant d’entrer dans la salle qu’il est susceptible d’être appelé. Il peut dès lors laisser son portable à l’accueil. Le cas échéant, les responsables de la salle le préviendront. De même, en présence d’un danger dans la salle (incendie, malaise), nous avons les moyens d’alerter les services de secours sans le recours des portables du public, comme nous l’avons toujours fait. » L’ART souligne néanmoins que « le cahier des charges des opérateurs les oblige à relayer gratuitement les appels d’urgence dans les zones a priori couvertes. Il faudra donc revoir ces obligations ». Un autre argument plaidant contre les brouilleurs est également avancé par l’ART : celui du respect des normes relatives aux puissances des champs électromagnétiques quand le public y est exposé, lesquelles ne doivent pas dépasser 41 Vxm-1 en 900 MHZ et 58 Vxm-1 en 1.800 MHZ. Or l’ajout d’un brouilleur peut contribuer à dépasser ces niveaux de référence. Cela reste néanmoins peu probable, compte tenu de la faible puissance des équipements déjà installés (illégalement), ou de ceux qui tentent les propriétaires de salles de spectacle. Enfin, au cas où la loi serait mise en application, y compris selon des règles strictes, les opérateurs auront beau jeu de revendiquer une baisse du tarif des redevances versées au titre de l’usage exclusif des fréquences GSM et UMTS, au prorata des zones d’ombre artificiellement créées. En attendant le décret d’application L’article 26 de la loi du 17 juillet 2001 ajoute à la liste des installations que l’on peut librement mettre en oeuvre au titre de l’article L33-3 du code des postes et télécommunications « les installations radioélectriques permettant de rendre inopérants dans les salles de spectacle, tant pour l’émission que pour la réception, les téléphones mobiles de tout type dans l’enceinte des salles de spectacle ». En attendant la publication d’un décret d’application, les systèmes de brouillage restent totalement prohibés. L’Autorité de Régulation des Télécommunications transmettra prochainement un avis à Bruxelles concernant les modalités d’application de ce texte. Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure d’information (de trois mois au maximum) que la loi pourra entrer en application.