Baptême du feu à Argentan : le premier - Mairie de Urou-et

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Baptême du feu à Argentan : le premier - Mairie de Urou-et
Bataille : La 80th Infantry Division à Argentan
Baptême du feu à Argentan :
le premier engagement de
18-19 août 1944
Les combats pour la prise d’Argentan, menés par les soldats de la 80th U.S. Infantry Division sont sans doute
l’un des rares épisodes de la Poche de Trun-Chambois à n’avoir jamais fait l’objet d’aucune étude rigoureuse
et précise. Pourtant, du 17 au 21 août 1944, cette unité fraîchement débarquée subit son baptême du feu :
c’est au prix de lourdes pertes que les GIs réussirent finalement à investir la ville.
« Argentan, comment pourrionsnous oublier, ce fut vraiment notre
premier bain de sang. L’expérience
face à l’ignorance ... » (1)
1st Lt. Ruyan, 314th F.A. Bn.
L’insigne de la 80th Division, qui fut adopté
en 1918. Les trois monts bleus symbolisent
le massif des Blue Ridge Moutains, qui
s’étend sur les trois états de Pennsylvanie,
Virginie et Virginie de l’Ouest, dont les
recrues de la division, lors de la Première
Guerre mondiale, étaient originaires. (Coll.
auteur.)
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Ci-contre à droite : cette photographie fut prise par un
soldat allemand à Argentan, dans la cour de l’institution
Jeanne-d’Arc. Les ruines sur lesquelles s’appuie ce soldat du Flak-Regiment 159 ont été causées par le terrible
bombardement aérien de la nuit du 6 juin. (Coll. privée.)
par Tristan Rondeau
la 80th Infantry Division (1)
En 1944, Argentan est une tranquille localité de l’Orne,
peuplée de 7 000 habitants. Dans la nuit du 5 au 6
juin, la ville bascule dans l’horreur de la guerre, lorsqu’elle est frappée par le premier bombardement
aérien d’une longue série meurtrière. Argentan est
atteinte par les troupes alliées dès le 13 août, mais
la 5th Armored Division et la 2e Division Blindée, après
avoir vainement tenté d’y pénétrer ce jour-là, reçoivent l’ordre de s’arrêter aux portes de la ville et ne
de pas se porter plus en avant. Une fois la 5th Armd.
Div. rappelée, le commandement américain décide
de dépêcher une autre unité pour s’emparer d’Argentan : la 80th Infantry Division.
Vétéran de la Première Guerre mondiale, cette division foule une nouvelle fois le sol français lors de son
débarquement à Utah Beach, le 3 août 1944. Elle fait
rapidement mouvement vers Avranches, puis en
direction de la Mayenne. Le 17 août, elle reçoit brusquement de nouveaux ordres : elle doit immédiatement gagner Argentan pour attaquer le lendemain.
Du fait de cette précipitation, un tiers des effectifs
de l’unité (dont le 319th Inf.Rgt.) ne peut quitter le
secteur d’Angers et ne participe pas aux combats
d’Argentan.
Objectifs : Argentan et la cote 213
Le 17 août donc, le 318th Infantry Regiment quitte
ses positions en Mayenne à 04h20 et atteint Mortrée,
à une dizaine de kilomètres au sud-est d’Argentan,
vers 09h45. Il y passe l’après-midi, à s’organiser et
à attendre les autres unités de la 80th Div. Puis à 18
heures, le régiment se porte sur Aunou-le-Faucon.
Deux heures plus tard, les troupes sont en position
autour du village, où le Colonel Harry D. McHugh,
commandant du régiment, a établi son poste de commandement. L’autre régiment d’infanterie de la division, le 317th Inf., de même que les unités restantes
de la division, arrivent dans le secteur d’Argentan
vers 22 heures. Quelques considérations sur le
champ de bataille : les tentatives d’attaques frontales
s’étant révélées vaines et coûteuses en vies humaines, le plan de bataille de la 80th Div. n’est pas
d’attaquer Argentan frontalement mais de l’envelopper par l’est pour ensuite la prendre à revers.
Le principal objectif de la division est de s’emparer
des hauteurs au nord de la ville, à la lisière de la forêt
51
Le Brigadier-General Horace L. McBride (18941962). Diplômé de l’académie militaire de West
Point et vétéran de la
Première Guerre mondiale, il commande la
80th Division à partir de
1943, et ce jusqu’à la fin
du conflit. Par la suite, il
continue de servir dans
l’US Army, jusqu’à sa
retraite en 1954. (NARA.)
En fond : une colonne
de fantassins du 318th
Inf.Rgt., dont des servants de mitrailleuses et
des infirmiers, pénètre
dans Argentan le 20
août, par le boulevard
Victor-Hugo. Un cadavre
allemand gît devant l’entrée de l’école maternelle, à droite. Le photographe s’est servi du
sempiternel symbole du
panneau pour matérialiser la prise de la ville.
(NARA.)
Ci-dessous : le même
lieu aujourd’hui. (Photo
auteur.)
Bataille : La 80th Infantry Division à Argentan
Ci-dessus : cette photo fut prise depuis la rive gauche de l’Ure, le 20 août, au sud
d’Urou ; la ferme «Vaugon» est visible à l’arrière-plan. On remarque que, devant le
cinéaste qui marche, une structure en dur a été installée par le Génie américain audessus du gué. Des soldats s’avancent pour traverser tandis que d’autres sont en
position autour d’un mortier. La souche au premier plan est le fait des hommes 305th
Eng. Bn. qui ont coupé des arbres et arraché les grilles de la ferme pour renforcer le
fond du gué le 18 août, après le passage des chars. (NARA.)
Ci-dessous : le gué et la ferme de nos jours. (Photo auteur.)
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de Gouffern et près de la route de Trun, en particulier les cotes 213 et 244 (Hill 213 et Hill 244), à proximité du village de Sévigny. D’une manière générale,
la 80th Div. veut s’assurer la possession de la lisière
méridionale de la forêt de Gouffern, qui domine le
futur champ de bataille. Une fois ces positions clés
entre leurs mains, les Américains prévoient de
prendre Argentan en tenaille pour finalement pénétrer
dans la ville, tout en poussant encore au nord (vers
Trun) et à l’ouest dans les bois. Les Allemands sont
solidement accrochés à la ville depuis une semaine
et en gardent les entrées, interdisant ainsi tout assaut
direct. Le G2 (service de renseignement) de la 80th
Div. estime qu’il y a juste avant le déclenchement
des hostilités, autour et dans Argentan, 2 500 soldats
allemands avec une vingtaine de chars en soutien
ainsi qu’un bon nombre de canons et d’armes automatiques disséminés sur les hauteurs le long de la
lisière de la forêt de Gouffern, en particulier des
canons de 88 mm, des Pak 40 de 75 mm et des
Sd.Kfz. 7/2 37mm FlaK 37 (2). La défense de la ‘Festung’ Argentan a en effet été confiée à la Kampfgruppe Scholz, principalement composée d’éléments des
9. et 116. Panzerdivisionen. Même si ces divisions
ont été amoindries par leurs précédents engagements, elles peuvent profiter de deux éléments
qui font cruellement défaut à la 80th Div. : une bonne
connaissance du terrain (d’autant qu’elles ont eu le
temps de fortifier leurs positions depuis plusieurs
jours) et une véritable expérience combattante.
Le Major-General Horace McBride, commandant de
la division, émet ses ordres dans la soirée : c’est au
318th Inf.Rgt. qu’échoit la responsabilité de débuter
l’attaque. Les hommes ont reçu l’ordre de progresser
suivant un axe nord-est, sécurisant d’abord la route
de Paris, la N24 bis, puis la route de Trun-Chambois,
et enfin les hauteurs qui surplombent Argentan. Le
317th Inf.Rgt. est gardé en réserve. Quant à l’artillerie,
elle profite elle aussi de la nuit pour se mettre en position au sud d’Argentan : vers 01h15 le 313th Field
Artillery Battalion s’installe près de Saint-Loyer-desChamps ; le 314th F.A. Bn. au carrefour de «La Maladrerie» et le 315th F.A. Bn. au nord de Vrigny. Outre
ses unités organiques, la 80th Div. s’est vue rattacher
un bataillon blindé, le 702nd Tank Bn. équipé de chars
Sherman, et un groupe antichar, le 610th Tank Destroyer Bn., équipé de canons M5 de 76mm.
18 août : l’assaut débute à l’aube
A 06h00, l’artillerie américaine commence son pilonnage sur les positions allemandes au-delà de la route
nationale (la N24 bis), vers Crennes et la forêt de
Gouffern. Dans le même temps, les fantassins du
318th Inf.Rgt. quittent leurs positions entre Aunoule-Faucon et Juvigny-sur-Orne, et marchent vers
Urou. Une demi-heure plus tard, ils sont à proximité
du village. Cependant, un premier obstacle se dresse
devant eux : l’Ure. Cet affluent de l’Orne avait été
repéré au préalable par une reconnaissance du 318th
Inf.Rgt. : l’Ure est franchissable partout à pied. Mais
si le cours d’eau est peu profond, il est très encaissé,
et ses berges abruptes forment un fossé antichar
naturel. Les Allemands ayant fait sauter tous les ponts
(3), il est impératif de trouver un gué pour faire passer les véhicules. Les Américains trouvent un passage, situé juste au sud du village d’Urou, près du
lieu-dit «Le Marais». Ce gué - qui existe toujours de
nos jours - est localement connu sous le nom de gué
«Vaugon».
Entre 07h30 et 08h00, les GI’s de la première vague
d’assaut franchissent l’Ure par ce gué, qui devient
le véritable point de passage des assauts américains.
Ils se déploient aussitôt dans les herbages et dans
le village d’Urou, qu’ils occupent sans rencontrer
beaucoup de résistance. Le 1st Battalion mène l’assaut : après la traversée de la rivière, l’unité vire à
l’est, vers le hameau de «Bordeaux», au nord de Sai.
A 09h05, des éléments du 1st Bn. l’ont atteint, mais
les tirs nourris des Allemands ralentissent l’attaque
américaine.
Urou et « Bordeaux »
aux mains des Américains
Le 1st Bn. résiste et parvient néanmoins à progresser
de quelques centaines de mètres au-delà de la N24
bis, vers le nord-ouest. C’est alors que les hommes
sont stoppés net par les tirs des chars et des
mitrailleuses allemandes. Leur flanc droit, puis leur
flanc gauche, sont successivement exposés à de
violents tirs d’artillerie, ce qui force le bataillon entier
à se replier sur «Bordeaux», afin de se regrouper. Il
en va de même à Urou, où le 2nd Bn a reçu pour
ordre de progresser en direction d’Argentan, vers
l’ouest, parallèlement à la route. Après avoir investi
le village vers 08h00, les soldats atteignent vite la
nationale, où ils sont cloués au sol dès qu’ils tentent
d’avancer. Les Allemands, en position dans des maisons et des corps de fermes proches de la route,
comme au «Clos-Fleuri» et au lieu-dit «Cayenne»,
offrent une résistance acharnée face aux GI’s. Dans
les rangs américains, les officiers comme la troupe
ne parviennent pas à repérer d’où viennent les tirs :
outre le choc terrible de cette première expérience
combattante, le traumatisme est aggravé chez les
GI’s par l’anonymat et le caractère mécanique de la
mort qui s’abat sur eux. Le 2nd Bn. est à son tour
forcé de se replier sur Urou pour se réorganiser.
Le Lt.-Col. Daniel J. Minahan, commandant du 314th
F.A. Bn., se souvient comment débuta cette première
journée de combat autour d’Argentan :
«Les choses ne se sont pas passées aussi parfaitement et aussi habilement que le laconique After Action
Report le laisse entendre. (...) Après que le 314th eut
effectué ses tirs de préparation (...), je suis allé voir
en avant comment l’attaque se passait. [...] Alors que
j’allais vers le front, je rencontrai des éléments du 2nd
Bn. 318th, près du village d’Urou. Ils avaient essayé
de franchir la route afin d’atteindre leur objectif. Les
pertes étaient lourdes, infligées par les mitrailleuses
et les canons anti-aériens mobiles de 40mm ennemis
qu’on ne pouvait localiser. Contrairement aux
manœuvres, il s’agissait là de véritables tués et blessés (...). Beaucoup étaient des commandants ou des
hommes nécessaires au bon fonctionnement des
compagnies. Partout, les chefs d’unité enrageaient,
car les radios ne fonctionnaient pas comme on l’aurait
voulu.» (4)
Ci-dessus : coque lourde de casque américain M1 retrouvée près du gué après la
bataille. (Collection privée.)
En fond : la cote 213 telle qu’elle s’offrait aux yeux des soldats du 318th Inf.Rgt. lorsqu’ils
lancèrent leurs assauts les 18 et 19 août. Depuis ces positions surélevées, les troupes
allemandes dominaient le champ de bataille. (Photo auteur.)
Ci-dessous : l’assaut du 318th Inf.Rgt. le 18 août. (carte F. Deprun/T. Rondeau.)
Quatre Sherman détruits à Urou
Depuis le P.C. avancé du 318th Inf.Rgt., établi dans
une ferme à Urou, le commandant de la division, le
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Bataille : La 80th Infantry Division à Argentan
En réalité, seuls quatre chars pénètrent dans le
champ : car le cinquième Sherman, commandé par
le Sergeant. Frank L. Ream, n’a pu participer à l’attaque. Les versions divergent quant à ce qui s’est
passé : selon certains rapports, le char se serait
embourbé alors qu’il essayait de passer l’Ure. Mais
d’après les souvenirs de Floyd Steward et Jack Weaver, respectivement copilote-mitrailleur et chargeur
de ce Sherman, alors que leur char roulait sur le chemin, Tom McCabe, le chauffeur de Stover, aurait
En haut : à la sortie occidentale du village d’Urou, devant la ferme
«Besnouin» - louée en
1944 à M. Lefeuvre - des
hommes du 318th Inf.
Rgt., lourdement équipés et chargés, se dirigent vers Argentan.
(NARA.)
Ci-dessus : les bâtiments sont demeurés
intacts jusqu’à aujourd’hui. Seul un portail a
été percé dans le mur
d’enceinte de la ferme, il
y a quelques années.
(Photo auteur.)
Ci-contre : Un canon de
88 mm allemand photographié en 1946 à côté
d’Argentan : il pourrait
s’agir de celui qui, depuis
le lieu-dit « Cayenne », a
détruit les quatre chars
Sherman. (Fonds Mémorial-Leclerc.)
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Major-General MacBride a assisté au double échec
des 1st et 2nd Battalions. Pour tenter d’y remédier,
il décide d’envoyer des chars. Leur rôle est de détruire les positions fortifiées des Allemands, pour qu’ensuite les fantassins puissent repartir à l’assaut. La B
Company du 702nd Tank Bn. est l’unité blindée de
soutien pour le 318th Inf.Rgt. Le Captain Richard E.
Stover, qui commande cette compagnie, décide d’envoyer la 3rd Platoon au combat. Ce Platoon, sous
les ordres du Lieutenant William B. Miller, surnommé
«Bull» par ses hommes, n’a pas connu le feu auparavant : l’inexpérience des tankistes va avoir de tragiques conséquences. MacBride commet l’erreur
d’envoyer les chars seuls, sans infanterie pour les
protéger. Vers 10h00, les cinq chars Sherman
s’ébranlent : depuis leur position à l’ouest de Sai, ils
coupent à travers champ et passent par le gué «Vaugon», que leurs lourdes chenilles transforment en
véritable mare de boue. Après l’avoir franchi, les blindés pénètrent dans la cour de la ferme et remontent
jusqu’à la route. Ils bifurquent ensuite à droite, roulent
vers l’est puis tournent immédiatement à gauche, et
pénètrent dans un champ via une ouverture pratiquée
dans la haie.
servants des pièces d’artillerie allemande de la présence de la section blindée (les épaves des chars
sont restées plusieurs années dans ce champ avant
d’être dégagées). Le General McBride (surnommé
ironiquement «Horace le chauve» par certains de ses
hommes) a assisté à la destruction des chars depuis
son poste de commandement avancé à Urou. Il décide alors de continuer l’attaque et ordonne au Captain
Stover d’envoyer un nouveau Platoon. Mais ce dernier
refuse d’exécuter l’ordre. Selon lui, envoyer de nouveaux chars sans la protection de l’infanterie, et de
surcroît totalement à découvert, équivaut à du suicide. Il préconise d’effectuer au préalable une reconnaissance, pour déterminer d’où sont venus les tirs
destructeurs. Cette mésintelligence a de sérieuses
conséquences : Stover s’obstine et, devant son refus
d’obéir, McBride le met aux arrêts. Stover est emmené par les MP (5). Le commandement de la B Company échoit au Lieutenant Harsen mais, avant que
celui-ci ait reçu le moindre ordre, McBride quitte
Urou, pour retourner à son Q.G. d’Almenêches. La
circonspection est désormais de mise quant à l’emploi des blindés.
Ci-contre : photographie prise en septembre
1944 du Captain Richard
Stover, commandant de
la B Company du 702nd
Tank Battalion. Suite à la
catastrophique destruction des quatre chars à
Urou, il refusa d’obéir à
McBride, ce qui lui valut
d’être traduit en cour
martiale. (Collection Terry Janes.)
L’artillerie vient à la rescousse
sauté sur le blindé et aurait indiqué au chef de char,
le Sergeant. Ream, une mauvaise direction qu’aurait
suivie le pilote. De fait, le char se serait ainsi trouvé
isolé du reste de la section.
Pendant ce temps, les quatre chars du 3rd Platoon
continuent de progresser : à travers champs, ils avancent perpendiculairement à la N24 bis, en direction
de celle-ci. Les quatre Sherman longent une haie
touffue sur leur gauche, qui les rend invisibles et protège leur flanc. Sans grande prudence, les quatre
blindés se dirigent vers un petit carrefour. Mais juste
avant de déboucher sur la nationale, leur flanc gauche
est à découvert, puisque la haie ne va pas jusqu’au
bout du champ. C’est alors qu’un - voire deux - canon
de 88 mm en position à «Cayenne», à quelques centaines de mètres à l’ouest des chars, ouvre le feu sur
la section. Tandis que le char de tête (celui du Lt.
Miller) est sur le point de déboucher sur la route, il
est atteint sur le flanc gauche par un obus. Le char
est immobilisé net. Puis le char qui ferme la marche,
celui du Sergeant Thomas est lui aussi détruit par
deux coups au but. Les deux autres chars sont ainsi
piégés et n’ont aucun moyen de s’en sortir : le deuxième Sherman (Sergeant William Royce) est touché
par deux fois, puis le troisième blindé (Sergeant Marriotti) est à son tour détruit. En quelques minutes, les
quatre chars ont été détruits et brûlent. Les équipages
s’échappent tant bien que mal des épaves en proie
aux flammes et aux explosions. Alors que les survivants courent pour échapper aux tirs allemands, le
Sergeant Royce réalise que son pilote, Sam Kellet,
est coincé dans la carcasse du blindé. Il retourne jusqu’au char, alors que les balles pleuvent littéralement
autour de lui, et extirpe Kellet hors du blindé. Royce
reçut la Bronze Star pour son acte de bravoure. L’attaque du 3rd Platoon a été catastrophique : trois
hommes sont tués ou disparus, douze autres blessés.
Un examen a posteriori des chars a montré que les
tirs étaient tous venus du flanc ouest et il semble que
les étoiles blanches peintes sur les flancs des blindés
- et qui n’avaient pas été camouflées - aient servi de
cibles pour les artilleurs allemands. De même, les
rapports signalent que les fanions accrochés aux
antennes des chars ont sans aucun doute averti les
Les échecs répétés durant la matinée pour progresser
au-delà de la N24 bis, qui ressemble de plus en plus
à un terrible no man’s land, forcent les officiers du
318th Inf.Rgt. à demander le soutien de l’artillerie.
Le Lt.-Col. Minahan, du 314th F.A.Bn., vient lui aussi
d’assister au fiasco des blindés et raconte ce qu’il
voit alors, depuis sa position à Urou :
«Au travers des vergers, je pouvais voir un grand château (sic) à l’est d’Argentan. Aucun tir n’en provenait,
mais cela devait être le poste d’observation ennemi,
servant à diriger le feu incessant sur le flanc gauche
du 318th. Je l’ai choisi pour ma première mission au
combat. Afin d’avoir une meilleure vue, je suis grimpé
dans le grenier d’une grange adjacente, j’ai ôté
quelques tuiles du toit et j’hurlais mes ordres de tirs
à Overstreet [son chauffeur, N.D.A.], resté en bas,
qui s’occupait de la radio dans la jeep. Lorsque j’eus
ajusté les tirs correctement, je demandai à l’artillerie
divisionnaire un Time On Target (6) qui réduisit le château en ruines. (Nous eûmes beaucoup de mal à
retrouver ce château lors de notre visite à Argentan
en 1984.)» (7)
Portait du Lieutenant
William Miller en 1943.
Surnommé par ses hommes « Bull », il est l’officier qui emmena la section blindée qui fut
décimée à Urou le 18
août. (Collection T. Janes.)
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Bataille : La 80th Infantry Division à Argentan
trouvent un observatoire très sûr en retirant les tuiles
sur le bâtiment voisin. Le fermier montre l’emplacement des trois pièces de D.C.A., (...) il désigne encore
le point de stationnement habituel du tank (...). Le
soldat ami est muni d’un poste émetteur et il transmet
aussitôt les renseignements qu’il vient de recueillir.»
(8)
Souvenirs de baptême du feu
Ci-dessus : cette photo
fut prise près de Sai, le
19 août. L’équipage du
cinquième char du 3rd
Platoon de la B Company du 702nd Tk. Bn. pose devant l’objectif. Il
s’agit de l’équipage du
char qui s’est embourbé
lors de l’assaut de la
veille. Au premier rang,
de gauche à droite : T/4.
John Licar, Pvt. Tony
Farber ; au second rang :
S/Sgt. Frank L. Ream, dit
« Pappy », Cpl. Floyd
Steward, Pfc. Jack Weaver. (Collection T. Janes.)
Ci-dessous : l’itinéraire
des quatre chars Sherman le 18 août. (carte F.
Deprun/T. Rondeau.)
56
En réalité, Minahan n’a pas fait feu sur un «château»,
mais sur le quartier Lescot, caserne des gendarmes
mobiles, et qui devait sans doute être une position
allemande pendant les combats (lors de travaux au
quartier Lescot en 2007, des vestiges de la bataille
ont été retrouvés).
Ce récit de Minahan est à rapprocher de celui qu’a
fait, en 1946, l’historien argentanais Xavier Rousseau,
en s’appuyant sur les souvenirs des habitants d’Urou
lors de la bataille :
«M. Lefeuvre, rentré à sa ferme [une ferme située à
la sortie est du village qu’il louait à la famille Besnouin,
N.D.A.], y voit des soldats en kaki. Un cinéaste lui
demande une échelle pour filmer, par-dessus un hangar de tôles, le terrain et le combat qui se poursuit.
Puis vient un autre soldat, parlant bien le français et
qui a pour mission de rechercher la pièce qui a détruit
les quatre engins. M. Lefeuvre monte avec lui mais
les balles sifflent aux oreilles ; ils redescendent et
L’attaque reprend en début d’après-midi : le 2nd Bn.,
depuis Urou, renouvelle ses assauts vers Argentan
mais recule devant l’importance des pertes subies.
Le 3rd Bn. quant à lui, jusque-là tenu en réserve,
connaît une certaine réussite. Il a été envoyé dans la
matinée sur Sai, c’est-à-dire sur la droite du dispositif
d’attaque américain, pour nettoyer le village, ce qu’il
parachève vers 15h30. Une fois cette première tâche
accomplie, il reçoit l’ordre de se porter sur «Bordeaux», pour relever les éléments du 1st Bn. et
reprendre l’attaque. Il est environ 17h00. Alors que
le 1st Bn. se replie sur Sai pour se réorganiser, le 3rd
Bn. tente vainement de franchir la nationale : la progression se fait péniblement sur quelques centaines
de mètres et les soldats atteignent à peine la route
reliant Argentan à Crennes, sans jamais réussir à s’y
maintenir. A découvert dans les champs, les GIs sont
à la merci des tirs allemands.
Le Sergeant Robert Murrell, à la tête d’une section
de mitrailleuses à refroidissement à eau dans la M
Company, participe à l’assaut du 3rd Bn. de l’aprèsmidi vers Crennes :
«Je me souviens très bien d’Argentan, car ce 18 août
fut notre baptême du feu. Devant nous s’étendait un
vaste champ qui descendait puis remontait vers une
zone boisée située sur une colline. Il y avait également
une route goudronnée qui venait de la gauche. J’ai
ordonné à un de mes sergents d’utiliser son lancegrenades sur un véhicule blindé qui approchait par
cette route. Nous avons eu de la chance que cela
suffise à détruire le char. Nous avons ensuite essayé
d’avancer. Je me suis alors retrouvé coincé dans du
fil barbelé et j’ai essayé de me défaire de là en utilisant ma pince coupante alors que la mitraille sifflait
au-dessus de ma tête. Je me rappelle avoir vu un
pied arraché voler en l’air et retomber à terre en faisant
«floc» après qu’un gars eut sauté sur une mine. Les
Allemands nous pilonnaient depuis les bois qui nous
dominaient ; ils avaient bien camouflé leurs armes,
ce qui nous empêchait de savoir d’où venaient les
tirs. Nous nous sommes déplacés jusqu’à une route
secondaire sur la gauche, où mes mitrailleuses se
sont mises en position sur le remblai et ont fait feu
sur la lisière de la forêt qui nous faisait face. Les mortiers du bataillon étaient en position dans la cour d’une
ferme derrière nous. Je me souviens particulièrement
de cette journée, car, Dieu sait pourquoi, je fus très
chanceux : une balle traversa mon casque sans m’atteindre et ma ceinture de munitions fut coupée par
le tir d’une mitrailleuse. Mais je ne fus pas blessé ;
tandis que, à quelques mètres de moi, j’ai vu trois
hommes mourir : le Lt. Stoddard, en partie d’origine
amérindienne et qui était le commandant du second
Platoon dont je dépendais ; et aussi le Sergeant
Vargo, qui venait de l’Indiana et qui était un joueur
de football professionnel. C’est lui qui a détruit ce
blindé avec son lance-grenades. Enfin et surtout, il y
eut Joe Pemberton, qui est venu vers moi ce jour-là
et m’a dit qu’il allait se rendre. J’ai essayé de lui parler
mais il est alors parti en direction des lignes ennemies,
les mains derrière la tête. Plus tard, j’ai appris qu’il
avait été abattu après avoir tenté de s’échapper ». (9)
Le Colonel John Snowden, commandant du 3rd Bn.
du 318th Inf.Rgt., a consigné par écrit ses impressions et ses souvenirs suite aux premiers combats
C’est par cette ouverture pratiquée dans une haie
que les quatre chars ont bifurqué, après avoir franchi
le gué. Les frondaisons sur la gauche leur fournirent
une couverture jusqu’à ce qu’ils débouchent du
champ sur la route nationale, où ils furent alors
détruits. (Photo auteur.)
pour Argentan, aidé par les témoignages des Captains Marion Chitwood (S-2) et John Bier (S-3) :
«Au moment où nous avons débuté l’attaque, la K
Company était sur la gauche et la L Company sur la
droite. Nous avions traversé une route et devant nous
s’étendait un immense champ de trèfles qui, sur 500
mètres, descendait puis sur 500 autres remontait vers
la lisière de la forêt. Lorsque nos troupes ont lancé
leur assaut vers la lisière, les Allemands ont ouvert le
feu avec tous ce qu’ils avaient : mortiers, artillerie,
mitrailleuses et fusils. Nous étions totalement à découvert, avec presque aucun moyen de nous dissimuler
(si ce n’est le foin) ; de fait, nous nous trouvions exposés aux tirs des Allemands depuis la hauteur en face
de nous. Les Allemands abattaient nos hommes, les
uns après les autres. Le Captain Chitwood était à
côté de son opérateur radio lorsque celui-ci fut très
rapidement touché, puis celui qui l’avait remplacé à
ce poste fut blessé quelques minutes plus tard. Alors,
nous entendîmes puis vîmes de nombreux chars
ennemis qui arrivaient depuis nos arrières, appuyés
par de l’infanterie. Cela se passait le long de la route
que nous avions traversée précédemment. Chitwood
rampa pour essayer de récupérer la radio mais une
rafale le manqua de peu, ce qui le fit retourner vers
l’arrière. Les chars se déplaçaient sur nos arrières et
l’infanterie remontait le champ, abattant ou capturant
nos hommes. Alors que Chitwood se repliait, deux
chars se trouvaient près de lui, et celui-ci qui était sur
sa gauche a commencé à faire pivoter sa tourelle
dans sa direction : il parvint à sortir de son champ de
tir, puisque la route décrivait une pente à cet endroitlà. Le souvenir de cette course folle était très fort chez
lui : alors qu’il se dirigeait vers l’arrière, il vit un GI qui
avait perdu ses deux jambes et qui implorait qu’on
l’abattît. Le Captain Chitwood alla trouver le Colonel
Snowden, qui l’informa que nos unités antichars
s’étaient embourbées et n’étaient donc pas en mesure de soutenir l’assaut. Il l’informa également que
John Bier, en compagnie du Captain Wilkerson,
s’étaient trouvés piégés dans un cratère d’obus,
entourés par des Allemands, et ce pendant des
heures : pour se défendre, ils avaient sans cesse fait
appel à des tirs d’artillerie sur leur position. [...] Cet
engagement fut notre première véritable bataille ; et
cela a changé nos vies à jamais. Plus de jeu, ni d’amusement, ni aucune rodomontade. Nous savions désormais ce qu’était la guerre.» (10)
Ci-dessus : une partie
de havresac américain,
retrouvé en 2012 à Urouet-Crennes. Comme l’indique le marquage présent sur l’objet, son
propriétaire était le
T/Sgt. Lynn D. Newcomb, de la F Company
du 318th Inf. Rgt. (Collection Frédérick Normand.)
Ci-dessous : un soldat
de la 80th Div. examine
une carte devant un Panther de la II./Pz.-Rgt. 33
de la 9. Pz.-Div., abandonné dans le centreville d’Argentan. Avec la
II./33, la I./Pz.-Rgt. 24
(116. Pz.-Div.), est l’autre
unité de chars Panther à
défendre Argentan. (NARA/
Tyler Alberts.)
57
Bataille : La 80th Infantry Division à Argentan
Avant leur baptême du feu à Argentan, quelques soldats de la 80th Division (l’insigne divisionnaire est clairement
visible sur la manche de l’un d’entre eux) se sont réunis autour d’un prêtre le temps d’un office. (NARA.)
Robert Murrell, de la M
Company du 318th Inf.
Rgt. lors des manœuvres
avant de partir pour l’Europe, en 1943. (Collection Robert Murrell.)
Un lourd bilan
Robert Murrell de nos
jours. Âgé aujourd’hui de
96 ans, il est né en le 19
mai 1916. Après la guerre, il travailla dans l’impression et prit sa retraite à 83 ans. Il a depuis
écrit des ouvrages historiques sur son ancienne
division. (80th Div. association.)
Ci-dessous : la ferme
Besnouin, au lieu-dit « Le
Marais », depuis laquelle
le Lt.-Col. Minahan repéra des cibles et déclencha son premier
Time On Target pour le
314th F.A. Bn. (Photo
auteur.)
58
Pour le 318th Inf.Rgt., cette première journée de combat fut rude : au maximum de leur progression, les
soldats ont difficilement gagné la route Argentan Crennes, toujours forcés de se replier ensuite au sud
de la route nationale. Les pertes sont sévères : rien
que pour le 1st Bn., 54 officiers et soldats sont hors
d’état de combattre à la fin de la journée. Parmi eux,
le Lt.-Col. Gustof A. Lindell, commandant du bataillon,
a été tué au combat, ainsi que le Major Norris, officier
S2, ce qui ne fait que participer un peu plus de la
confusion qui règne dans les rangs américains. Pour
cette journée du 18 août, la B Company du 315th
Medical Battalion, rattachée au 318th Inf.Rgt., dont
une antenne de secours provisoire avait été établie
près du gué «Vaugon», rapporte qu’elle s’est occupée
de 195 hommes blessés, dont trois seulement ont
pu repartir au combat, les autres devants être évacués vers l’arrière pour y être soignés. De nombreux
GI’s ont également été capturés (11). L’artillerie a
néanmoins fourni un support vital aux fantassins :
depuis ses positions de Saint-Loyer-des-Champs,
le 313th F.A. Bn. a été sollicité à quinze reprises pour
soutenir l’assaut et renforcer les tirs du 314th F.A.Bn.,
ce dernier ayant installé ses batteries à proximité du
village de Juvigny-sur-Orne vers 14h30 ; le poste de
commandement du bataillon se trouve dans un ver-
ger au sud de la localité. Les rapports des unités d’artillerie indiquent clairement qu’il leur est formellement
interdit de faire feu au-delà de la lisière septentrionale
de la forêt de Gouffern, afin d’éviter de faire feu sur
les Canadiens et Polonais, qui se font plus proches
chaque jour.
Dans la soirée, après que les assauts eurent cessé,
le 1st Bn. reprend ses positions à «Bordeaux», le 2nd
Bn. à Urou et le 3rd Bn. à Sai.
Peu avant, aux alentours de 16h00, des officiers américains ont fait savoir aux civils restés à Urou qu’il fallait mieux partir : ainsi, de nombreuses familles s’en
sont allées pour trouver refuge à l’arrière, notamment
à Juvigny. Le 317th Inf.Rgt. fut gardé en réserve toute
la journée. Le QG du régiment est établi vers 11h15
à Boissei-la-Lande. Durant la journée, l’unité n’a pas
participé aux combats, mais elle s’est limitée à effectuer quelques patrouilles en liaison avec des troupes
de la 2e D.B. près de Mauvaisville et du 318th Inf.Rgt.
près du « Port d’Aunou ».
Plus tard dans l’après-midi, des officiers du 317th,
en particulier les commandants de bataillons et de
compagnies, ont effectué une reconnaissance du
champ de bataille. Les officiers ont d’abord atteint
Sai, où ils rencontrèrent une compagnie du 318th
Inf.Rgt., laissée en réserve pour nettoyer définitivement le village, mais soumise à de terribles tirs des
canons allemands et des Nebelwerfer. Après avoir
poussé au-delà de Sai, les officiers découvrirent un
nouveau gué sur l’Ure à l’est du village ; puis ils revinrent à Urou, en passant par le gué «Vaugon». Ils rencontrèrent alors les restes du 2nd Bn. du 318th
Inf.Rgt. qui s’étaient repliés, désorganisés et démoralisés. Cette reconnaissance est capitale puisqu’elle
permet à ses officiers d’avoir une connaissance
approfondie du terrain sur lequel ils vont être amenés
à se battre. A 19h35, le 317th est mis en alerte et doit
se préparer à monter à l’assaut. Le 2nd Bn. reçoit
l’ordre de se porter sur le flanc arrière-droit du 318th
Inf.Rgt., près de la cote 171 (au sud-est d’Argentan).
Deuxième jour de bataille
Après une nuit relativement calme, marquée par
quelques tirs sporadiques d’artillerie, l’attaque va
reprendre. Le plan d’attaque a été légèrement modifié : le 2nd Bn., en premier, doit avancer plein ouest,
en direction de la ville, tandis que le 3rd Bn., depuis
«Bordeaux», devra se porter au nord, en direction de
Crennes, pour mieux approcher des hauteurs.
Cette attaque est précédée par une importante préparation d’artillerie matutinale, effectuée entre 4 et
6 heures par sept groupes : les 313th, 314th, 315th,
76th et 974th F.A. Bns., ainsi que les batteries du
404th F.A. Group. A l’aurore, le 318th Inf.Rgt. s’élance
de nouveau en direction de la cote 213. Le 2nd Bn.
attaque vers 06h45 : la E Company sur le flanc
gauche, la F sur le flanc droit et la G en réserve. La
H Company les appuie. Comme la veille, les troupes
américaines sont clouées au sol alors qu’elles n’ont
progressé que de quelques centaines de mètres
depuis Urou. Le 3rd Bn. lance son attaque à 07
heures précises : un véritable déluge de feu s’abat
sur lui. Depuis Sai, la progression est ardue. La puissance de feu allemande empêche toute avancée
notable et, vers 14h00 - 15h00, le bataillon se replie
sur «Bordeaux» afin de se réorganiser. Quant au 1st
Bn., eu égard aux pertes subies la veille, il reste en
réserve. L’assaut du 318th Inf.Rgt. est appuyé par
les canons antichars des A et B Companies, 610th
T.D. Bn. Dans la matinée, les canons éprouvent des
difficultés à franchir l’Ure au gué «Vaugon». Le commandant du bataillon, le Lt.-Col. William L. Herold,
quitte son PC avancé sur la cote 171 et se rend personnellement au gué pour organiser le passage de
ses troupes. C’est alors que l’endroit est pris pour
cible par l’artillerie ennemie : Herold et quatre autres
officiers et sous-officiers sont blessés et évacués.
Herold, amené à l’antenne de secours, décède des
suites de ses blessures le 20 août, à 01h30. Les
assauts du 318th Inf.Rgt. se soldent une nouvelle
fois par une progression limitée et un nombre grandissant de tués et blessés. Malgré ces résultats
désastreux, le General MacBride remet au Colonel
McHugh, commandant du 318th Inf.Rgt., la première
Silver Star de la division pour son commandement
devant Argentan, lors d’une cérémonie improvisée
près de Sai, en début d’après-midi.
Company du 610th T.D. Bn. resteraient en position
au nord de «Bordeaux» ainsi qu’à l’ouest et à l’est
d’Urou pour couvrir l’assaut du 317th Inf. Rgt.. Ces
canons seront appuyés par quelques chars M10 de
la A Company du 893rd T.D. Bn., en position au sudest de Sai, qui vient d’être rattachée à la division. Le
1st Bn. du 318th Inf.Rgt., depuis Urou, va également
fournir un tir de couverture au 317th Inf.Rgt. L’assaut
est prévu pour 15h00. En début d’après-midi, le Colonel Donald Cameron, commandant du 317th Inf.Rgt.
réunit ses officiers à son P.C. de Boissei-la-Lande
pour une ultime réunion. Cependant, des embouteillages ont lieu dans les chemins autour de Sai, ce
qui empêche les troupes de se mettre en place à
temps. L’attaque est repoussée à 16 heures. Les
fantassins franchissent l’Ure par un autre gué, situé
à 200 mètres environ à l’est de Sai. Il a été décidé
que les trois bataillons attaquent dans l’ordre suivant
: le 2nd Bn. doit mener l’assaut, soutenu par le 1st.
tandis que le 3rd reste en réserve. Le Lt.-Col. Russell
E. Murray, commandant du 2nd Bn., a reçu l’ordre
d’attaquer, en passant littéralement « au-travers »
des positions du 318th Inf.Rgt. L’officier détourne
cet ordre : d’abord parce qu’il sait que l’effet au moral
sera désastreux si ses hommes rencontrent les soldats harassés et découragés du 318th Inf.Rgt. qui
viennent de subir un nouveau revers, et surtout, parce
qu’il ne veut pas que son unité s’enfonce dans ce
couloir, entre Argentan et Crennes, à l’intérieur duquel
le 318th a subi tant de pertes, car trop exposé au feu
allemand. Murray décide d’envelopper le flanc est
du champ de bataille, en longeant la forêt.
A 16h00, l’assaut démarre : les F et G Companies
franchissent rapidement la légère crête qui s’étend
Portrait du Lt.-Col. William Herold, commandant du 610th T.D. Bn. Il
décède le 20 août, suite
à ses blessures reçues
au gué « Vaugon » la
veille. Le premier jour de
la bataille à Argentan, cet
ancien cadet de West
Point avait déclaré au
chirurgien de son unité :
«Doc’, je veux que vous
gardiez une trace de
ceux d’entre nous qui
mourront, car une fois la
guerre terminée, j’irai
personnellement rendre
visite à chaque famille
pour leur dire quel héros
était leur fils.» Il n’a malheureusement pas vécu
assez longtemps pour
réaliser son vœu. (West
Point archives.)
Attaque du 317th Inf. Rgt. le 19
août dans l'après-midi. (carte F.
Deprun/T. Rondeau.)
Le 317th Inf.Rgt. prend la relève
Devant l’incapacité du 318th à progresser, le 317th
Inf.Rgt. reçoit l’ordre de le remplacer et d’attaquer à
son tour. Mis en alerte la veille, le régiment s’était
déplacé pendant la nuit : le 2nd Bn. du 317th était
déjà, depuis 01h30, en position sur la cote 171, prêt
à s’élancer. Il fournit un tir d’appui au 3rd Bn. 318th
durant toute la matinée. Les officiers du 317th Inf.Rgt.
préparent pendant toute la journée l’assaut à venir :
il a d’abord été décidé que toute la puissance de feu
de l’artillerie serait utilisée pour soutenir l’assaut. Il
est aussi décidé que les canons antichars de la C
59
Bataille : La 80th Infantry Division à Argentan
1
1. Près d’Argentan, le General MacBride donne ses instructions à l’équipage d’un canon
antichar, qui pourrait très bien être un de ceux commandés par le Captain William Koob,
de la compagnie antichar du 317th. Inf. Rgt. : ce dernier a laissé un témoignage très
précis sur les combats de son régiment à Argentan. (NARA.)
2. Photographie prise à Argentan en 1945, au dépôt d’épaves près de la gare : le jeune
Jean Décourt pose avec un GI devant l’épave d’un Panzer IV, numéro 711, de la 7.
Kompanie du SS-Panzer-Regiment 1 de la 1. SS-Pz.-Div. Ce blindé allemand fut sans
doute abandonné près d’Argentan alors qu’il battait en retraite. (Collection Jean Décourt.)
3. La route Argentan-Crennes, avec le village de Crennes et la forêt en arrière-plan : le
19 août, c’est le long de cette voie que les hommes du 2nd Bn. du 317th Inf.Rgt. furent
stoppés par les tirs allemands. (Photo auteur.)
4. Photo actuelle du verger au sud de Crennes, dans lequel le Captain Koob mit en
positions ses canons de 57mm et les deux sections de Tank Destroyers M10 du 893rd
TD Bn. Durant la nuit du 19 au 20 août, quelques fantassins vinrent renforcer la position
dans ce verger, les Américains craignant des infiltrations des Allemands dans l’obscurité.
(Photo auteur.)
2
d’Urou à Crennes puis s’élancent vers le nord-est.
Un nouveau déluge de feu s’abat sur eux : en effet,
le retard d’une heure a réduit l’effet de surprise et,
surtout, la préparation d’artillerie n’a eu qu’un impact
limité. La progression rapide des compagnies est
stoppée le long de la route Argentan-Crennes. L’artillerie américaine effectue un nouveau tir de barrage
: mais celui-ci est trop court, et tombe en partie sur
les positions de la F Company, causant une vingtaine
de tués et blessés. C’est alors que le Medic Hoyt T.
Rowell a remporté la première Distinguished Service
Cross de la division : comme les tirs alliés tombent
trop près des lignes du 2nd Bn. du 317th Inf.Rgt., il
traverse à découvert l’espace qui le sépare de l’observateur avancé de l’artillerie et lui indique qu’il faut
rallonger les tirs. Puis il reprend sa place au front et
continue de soigner les blessés. Les tirs de l’artillerie
américaine sont donc allongés. Peu après, depuis
une position surélevée au nord-est de «Bordeaux»,
le long d’un chemin creux, la compagnie antichar du
317th Inf.Rgt. commandée par le Captain William
Koob, Jr., a rejoint des chars Sherman de la A Company du 702nd Tank Bn. et tous ouvrent le feu sur
les positions allemandes pour aider les fantassins du
2nd Bn. Après ce tir de soutien, l’artillerie allemande
prend pour cible les positions des troupes blindées
et antichars. Les chars se replient pour se réorganiser,
tandis que Koob décide de faire avancer ses canons.
Le verger près de Crennes
Koob parvient à gagner un verger, situé au sud de
Crennes, depuis lequel il a une bonne vue sur le
champ de bataille : c’est une position idéale pour
aider les fantassins. Trois autres canons M1 de 57mm
étaient déjà en position dans le verger lorsque Koob
arrive. Il est alors environ 20 heures : les fantassins
du 2nd Bn. du 317th Inf.Rgt. sont toujours bloqués
au niveau de la route Argentan-Crennes mais, malgré
les tirs de soutien, ils n’arrivent pas à enlever les positions allemandes, tandis que d’autres soldats ont
pris possession de Crennes. Vers 21h00, alors que
le soleil décline, que le sourd ébranlement des canons
et le sec crépitement de la fusillade s’estompent, les
hommes du 2nd Bn. du 317th sont en position le long
de la route Argentan-Crennes, au pied de la cote 213.
A Crennes, les positions sont tout aussi précaires :
quelques sections sont établies dans le village, tandis
qu’au verger, les hommes sous le commandement
de Koob renforcent leurs positions et sont aux aguets,
craignant des assauts nocturnes de la part des Allemands. Ces soldats s’apprêtent à passer une nuit
de court répit avant d’attaquer pour une troisième
fois, le lendemain à l’aube, afin de, espèrent-ils, porter
l’estocade finale aux défenses allemandes et prendre
enfin Argentan. Les engagements qui se déroulèrent
dans la nuit du 19 au 20 août, puis la libération de la
ville le lendemain et les sporadiques affrontements
jusqu’au 21 août feront l’objet du second volet de
notre étude, à paraître dans le prochain numéro. ■
(à suivre)
Remerciements : un grand merci à Robert Murrell,
vétéran de la M Company du 318th Infantry Regiment ;
merci également à Terry Janes (www.thetroubleshooters.com), Andy Adkins, M. Pegulu de Rovin (Mémorial Leclerc-Musée Moulin), M. Décourt, Mme
Lemaître, M. Renaudin (municipalité Urou-etCrennes), Adrien Besnouin, Frédérick Normand, Frédéric Deprun, Baptiste Flotté et Tyler Alberts.
60
3
Bibliographie et sources :
- Archives de la 80th Infantry Division.
- Collectif, La Bataille de Normandie au Pays d’Argentan, éditions du Pays d’Argentan, 1994, 63 p.
- Dean Dominique, The Attack Will Go On - The 317th
Infantry Regiment in WWII, Louisiana State University,
2003, 107 p.
- Koob William, The Operations of the Antitank Company, 317th Infantry in the Closing of the Falaise Gap,
Infantry School of Fort Benning, 1949, 32 p.
4
Notes :
(1) Collectif, The 314th FA Battalion in the ETO, 1988, p. 10.
(2) 80th Division G2 After Action Report, August 1944.
(3) D’après les souvenirs des civils, les ponts de «Fligny», route
d’Almenêches et route d’Argentan ont sauté dans la nuit du 14
au 15 août et le pont du «Moulin Vert», à Sai, dans celle du 15
au 16 août.
(4) The 314th FA ., op. cit. p. 11.
(5) Stover fut plus tard traduit en cour martiale et jugé coupable
d’avoir désobéi à un ordre direct d’un supérieur face à l’ennemi.
Cependant, le General Dwight Eisenhower réexamina son cas
et réduisit sa peine. Stover demeura ainsi dans la 80th Division jusqu’à la fin du conflit, sans toutefois exercer quelque commandement.
(6) Technique d’artillerie qui consiste à déclencher un tir court mais puissant, de tous les canons disponibles, en même temps sur une même cible.
(7)The 314th FA ., op. cit. p. 11-12.
(8) La Bataille de Normandie au Pays d’Argentan, 1994, p. 41-42.
(9) Correspondance particulière entre R. Murrell et l’auteur, avril-novembre 2012.
(10) Journal de J. Snowden, archives privées.
(11) Nous reviendrons sur le sort des prisonniers de la 80th Div. dans notre second article.
Cette vue aérienne, prise après la bataille, montre l’ampleur des destructions,
ainsi que l’état de délabrement dans lequel se trouvait Argentan à la fin des combats. Les incendies visibles sur la photographie ont été causés par le barrage
d’artillerie de la veille. (USAF.)
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