Les technologies en classe de français langue d

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Les technologies en classe de français langue d
Les technologies en classe de français langue d’enseignement au secondaire
québécois : trois exemples d’utilisation dans des situations d’enseignementapprentissage de l’écriture
Le développement constant de nouveaux modes de communication liés à l’évolution des
supports technologiques et l’engagement important d’une grande majorité des jeunes
enfants et des adolescents dans ces nouvelles formes de communication écrite médiée par
les technologies (CÉMT1) constituent des réalités que le monde éducatif en général et les
enseignants de français en particulier ne peuvent plus ignorer. Qu’ils se rangent
initialement parmi les « réTICents » ou les apôtres de l’usage des technologies comme
support des situations d’enseignement-apprentissage, les enseignants sont désormais de
plus en plus nombreux à s’engager dans l’expérimentation de nouvelles pratiques
d’enseignement intégrant les technologies en soutien au développement des différentes
compétences disciplinaires, et à évaluer « sur le terrain » la plus-value du recours à ces
nouveaux outils dans des contextes diversifiés. C’est dans ce cadre que nous avons mené
récemment, au Québec, une recherche-action-formation2 avec un groupe d’enseignants de
français au secondaire. La recherche visait à explorer le potentiel du recours aux ressources
1
Dezutter, O., Bleys, Françoise, Silva, H., Cansigno, Y., Eid, C. et Thonard, A. (2014) Les relations entre l’oral et l’écrit dans le contexte
d’utilisation des TIC : pratiques et représentations d’étudiantes universitaires en français langue étrangère ou seconde. dans L’oral et
l’écrit en didactique des langues romanes (J.M. Defays et D. Meunier, dir.). Montpellier : Éditions Cladole, 45-50.
2
Larose, F., Beaudry, M.-C., Bédard, J., Carignan, I., Grenon, V. et Dezutter, O. (2011-2014). Étude des représentations et des pratiques de
recours aux technologies numériques chez des élèves et des enseignants québécois du secondaire ainsi que de leurs impacts sur
l’apprentissage de l’écrit. Québec : FRQ-SC, Action concertée sur l’écriture (# 2011-AC-144353).
technologiques pour le développement de la compétence « Écrire des textes variés » telle
que présentée dans le programme ministériel officiel3.
Dans le cadre de cette recherche, des situations d’enseignement-apprentissage (SEA) de
l’écriture intégrant un support technologique ont été élaborées collectivement et mises en
pratique dans une dizaine de classes. À l’issue de celles-ci, les rétroactions des enseignants
et d’un nombre restreint d’élèves (pour chaque classe, 8 à 10 élèves étaient choisis
aléatoirement) ont été recueillies par l’intermédiaire de groupes de discussion. Ce sont ces
dernières données, constituées du discours des enseignants et des élèves, qui constituent la
source principale de cet article.
Pour ce qui relève de l’enseignement de la langue première ou d’enseignement, les
recherches les plus récentes soulignent l’impact positif de l’utilisation d’un ordinateur sur le
développement de la compétence des élèves à écrire. La grande majorité des élèves
estiment eux-mêmes qu’il est plus rapide et plus commode d’écrire son texte à l’ordinateur
que de façon manuscrite. Plusieurs pensent également que le traitement de texte
permettrait de faire moins d’erreurs et de se corriger plus efficacement4 (à l’aide, entre
autres, des correcteurs intégrés). Également, le traitement de texte faciliterait et
augmenterait les manipulations concernant la réécriture (par l’entremise de commande
simple comme couper/copier/coller). Mais au-delà de l’intérêt reconnu de l’écriture sur
clavier et de l’usage du traitement de texte, quelle place faire dans les cours de français aux
nouvelles formes de CÉMT et à divers supports technologiques ?
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2009). Programme de formation de l’école québécoise : Français, langue d’enseignement.
Québec : Gouvernement du Québec. / Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2011). Progression des apprentissages au
secondaire : Français, langue d’enseignement. Québec : Gouvernement du Québec.
4 Karsenti, T. et Collin, S. (2013). Avantages et défis inhérents à l’usage des ordinateurs portables au primaire et au secondaire. Éducation
et francophonie, 41(1), 94-122.
3
Sachant que le premier choix à faire par les enseignants qui s’engagent dans l’intégration
des technologies concerne précisément le support ou l’outil particulier à retenir au regard
des intentions d’apprentissage et des composantes de la compétence ciblée, nous avons
opté pour une présentation de trois outils différents retenus par les enseignants avec qui
nous avons travaillé : twitter, le blogue et un logiciel permettant de structurer une
présentation (dans le cas suivant le logiciel PowerPoint).
L’utilisation de Twitter et du blogue pour
l’écriture du texte argumentatif et du
commentaire critique
Un enseignant de quatrième secondaire (15-16 ans) et un de cinquième (16-17ans) ont
expérimenté le recours à Twitter dans le cadre de SEA centrées sur l’écriture du texte
argumentatif. Dans une autre classe de cinquième secondaire, c’est le blogue qui a été utilisé
pour la rédaction d’un commentaire critique. Les trois enseignants utilisaient ces formes de
CEMT pour une première fois dans le contexte scolaire.
Twitter a été considéré par les enseignants et les élèves comme un bon support
technologique. Il est simple d’utilisation (chaque élève se crée un compte), il permet de
laisser des traces (il est possible de relire les commentaires de tous), mais ne permet
toutefois pas un contrôle complet de ce qu’écrivent les élèves (l’enseignant voit ce que
l’élève a écrit seulement une fois l’information publiée).
Dans les deux SEA, Twitter a été utilisé comme plateforme pour un débat virtuel.
À la suite de l’écoute d’un film, guidés par des questions données par l’enseignant, les élèves
devaient partager par écrit divers arguments sur la thématique de l’impartialité de la
justice, et répondre aux commentaires des autres.
Etant donné la contrainte du nombre de caractères réduit pour les échanges, un des
avantages remarqué par les enseignants, comme par les élèves, est l’apprentissage concret
que font les élèves de leur capacité à synthétiser de même qu’à choisir le bon vocabulaire
pour se faire comprendre. Comme écrire un commentaire sur Twitter se fait assez
rapidement, les élèves doivent être efficaces et n’ont pas l’opportunité de perdre leur
temps. Puisqu’il s’agit d’un fil de discussions, les enseignants estiment que les élèves, tout
comme eux-mêmes, doivent suivre la conversation en direct afin de rester à l’affut des
nouveaux commentaires des élèves. Par ailleurs, comme Twitter fait partie des médias
sociaux, les enseignants estiment devoir faire preuve de vigilance, car les élèves ont accès
aux autres fils de discussions. Si les élèves ont déjà un compte Twitter, il est pertinent de
leur demander la création d’un nouveau compte, spécifique pour l’usage scolaire.
Il ressort de la mise en pratique de cette séquence que Twitter peut s’avérer utile dans une
phase de planification et de préécriture. Les échanges courts permettent la construction
progressive d’une opinion, la validation et la sélection de ses arguments à travers la
rétroaction des pairs. Un élève ayant de la difficulté à élaborer sa thèse peut être inspiré par
les commentaires des autres élèves. Une fois cette étape terminée, les élèves disposent
d’une banque d’arguments qu’ils peuvent intégrer dans l’écriture de leur texte
argumentatif.
L’utilisation en classe d’un blogue créé par l’enseignant ressemble en certains points à
l’utilisation de Twitter. Il permet d’émettre un commentaire sur une lecture et de rétorquer
aux commentaires des autres. Contrairement à Twitter, le blogue n’impose pas de limites de
mots pour les échanges. L’enseignant peut donc proposer aux élèves de publier leur texte
en entier sur le blogue ou seulement certaines parties de celui-ci. L’enseignant peut aussi
décider de créer différentes pages en fonction des sujets traités ou pour que les élèves
répondent à diverses questions. Il devient donc plus aisé de naviguer à travers le blogue et
de retrouver des informations précises. Dans ce cas-ci, les élèves devaient répondre à des
questions précises lancées par l’enseignante à la suite de la lecture d’un roman afin de
rédiger ensuite un commentaire critique. Ils devaient ensuite lire les commentaires des
comparses et y répondre, ce qui leur a permis d’élargir leur vision du sujet tout en ayant
accès à plus d’idées en vue de la rédaction. Petit bémol : une fois publié, il est impossible de
modifier son texte. Cela incite les élèves à bien écrire et à ne pas écrire des commentaires
puérils, car leur texte devient public, mais une fois le texte publié, il ne peut plus être
modifié par un travail de réécriture après publication. Dans le cas d’un texte entier à publier
sur le blogue, l’enseignant aurait donc avantage à conseiller aux élèves d’utiliser d’abord un
logiciel de traitement de texte pour l’écriture avant de publier leur texte sur le blogue, mais
cela alourdit la tâche.
La malléabilité du blogue est un avantage non négligeable du point de vue des enseignants.
Malgré le travail nécessaire au préalable, une fois le blogue modelé à leur goût, il peut
devenir un outil de travail intéressant et servir à diverses fins. Certains enseignants
envisagent d’utiliser le blogue comme plateforme principale de communication avec les
élèves et leurs parents.
Le PowerPoint pour l’écriture d’un texte narratif au premier cycle du secondaire
Cette SEA a été mise en place par quatre enseignantes de première secondaire (12-13 ans).
Celles-ci ont travaillé en collaboration avec le responsable en informatique qui a créé luimême, au préalable, un canevas de présentation sur PowerPoint afin qu’il soit uniforme
pour tous les élèves. L’objectif de la création du modèle était de limiter le temps utilisé pour
la compréhension du support technologique par rapport au sujet principal de la SEA :
l’écriture d’une histoire « dont vous êtes le héros ». Le travail d’écriture était réalisé par les
élèves en équipe de quatre.
Bien que souvent utilisé comme support visuel aux présentations orales, le PowerPoint
peut s’avérer très pertinent dans le cadre du travail d’écriture d’un texte narratif. Les élèves
ont eu pour consigne de rédiger tout d’abord une version complète de leur histoire à l’aide
d’un logiciel de traitement de texte (Microsoft Word). Par la suite, l’histoire a dû être
découpée en différentes parties correspondant aux différents scénarios possibles selon la
structure ouverte typiques des « livres dont vous êtes le héros ». Chaque segment est
présenté sous la forme d’une diapositive du diaporama. À cette étape, les élèves sont invités
à ajouter des images pour illustrer certaines diapositives. Les élèves se sont engagés dans
la tâche et ils ont investi beaucoup d’énergie dans la qualité de la présentation des
diapositives : choix des images, des polices, de la taille des caractères et des couleurs afin de
créer un véritable livre virtuel! Du point de vue d’une partie des élèves comme des
enseignants, le degré de motivation a été plus élevé que si la tâche avait consisté à rédiger
une version papier de leur texte narratif. Plusieurs élèves ont également mentionné que
malgré la complexité de la tâche (par exemple, s’assurer que tous les hyperliens
fonctionnent dans le diaporama) il s’agissait d’un travail enrichissant, original et nouveau.
Le fait de travailler en équipe a également été souligné comme un point positif du point de
vue des élèves, particulièrement pour le partage d’idées. Certains élèves ont aussi
mentionné avoir apprécié la lecture finale et la découverte des différents livres virtuels.
CONCLUSION
Dans les trois situations évoquées, le recours à twitter, à un blogue ou à un logiciel comme
PowerPoint ont éveillé l’intérêt des élèves qui ont apprécié en particulier les possibilités
d’interactions offertes par les deux premiers outils et l’ouverture à une forme de
communication multimodale combinant l’image et le texte dans le troisième cas. Les
enseignants ont perçu une certaine plus-value de l’usage de ces supports technologiques
pour le développement de la compétence scripturale, mais il apparaît que ceux-ci gagnent à
être utilisés en complémentarité avec un logiciel de base de traitement de texte. À ce sujet,
ils ont remarqué que même si la plupart de leurs élèves se sont pleinement approprié les
nouvelles formes de CÉMT à travers leurs expériences extrascolaires, ils ne maîtrisent
toutefois pas tous les fonctions de base d’un tel logiciel ou même les modalités pour créer
une adresse courriel. Il a donc fallu prévoir du temps pour enseigner certaines dimensions
non prévues de l’usage des technologies.
En prenant pour cadre les cinq phases du processus d’écriture identifiées par Bereiter et
Scardamalia, soulignons pour terminer que les supports utilisés dans le cadre de cette
recherche permettent de porter une attention spécifique aux phases initiale et finale du
processus, à savoir les phases de planification et d'édition.
Bibliographie
Bereiter, C. et Scardamalia, M. (1987). The Psychology of Written Composition. New Jersey :
Lawrence Erlbaum Associates.
Dezutter, O., Bleys, Françoise, Silva, H., Cansigno, Y., Eid, C. et Thonard, A. (2014). Les
relations entre l’oral et l’écrit dans le contexte d’utilisation des TIC : pratiques et
représentations d’étudiantes universitaires en français langue étrangère ou seconde. In
Defays J.M. et Meunier, D. (dir), L’oral et l’écrit en didactique des langues romanes (p. 45-50).
Montpellier : Éditions Cladole.
Karsenti, T. et Collin, S. (2013). Avantages et défis inhérents à l’usage des ordinateurs
portables au primaire et au secondaire. Éducation et francophonie, 41(1), 94-122.
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2011). Progression des apprentissages au
secondaire : Français, langue d’enseignement. Québec : Gouvernement du Québec.
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2009). Programme de formation de l’école
québécoise : Français, langue d’enseignement. Québec : Gouvernement du Québec.