Recours au local et performance globale

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Recours au local et performance globale
RECOURS AU LOCAL ET PERFORMANCE GLOBALE Caroline ALAZARD, Présidente de Greenext, pour le Comité scientifique du SOES du 24/03/11 L’intervention proposée et cette présente note portent sur la production de produits manufacturés. Nous y abordons la question de la performance globale en prenant en compte les trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale. Qu’est‐ce que le « local » ? Si la demande sociétale pour des produits « locaux » est bien réelle1, la définition de ce que peut être un produit « local » ne va pas sans poser des questions. En effet, quelle est l’échelle pertinente à retenir : urbaine, territoriale, régionale, nationale, européenne ? La question de l’origine a longtemps été le parent pauvre de la traçabilité, alors même que cet enjeu rentre tout à fait dans le cadre des exigences de développement durable. La question de l’origine des produits recoupe en effet des problématiques sanitaires ; elle apporte aussi des informations sur les conditions sociales et environnementales de la production, ainsi que sur l’impact environnemental du transport de ce produit (en particulier dans un contexte où les ressources énergétiques sont limitées). C’est à ce titre que les pouvoirs publics français ont lancé ces derniers mois des réflexions sur le recours au local dans l’optique de soutenir la croissance, favoriser l’emploi au coeur des territoires et préserver l’environnement : proposition d’un label « Made in France » par le Député Yves JEGO dans son rapport sur la mondialisation2 ; obligation d’affichage du contenu carbone des prestations de transport prévue dans la loi Grenelle 23 ; expérimentation de l’obligation d’affichage de l’impact environnemental des produits à partir de juillet 2011 ; réforme du cadre réglementaire de l’urbanisme commercial diminuant les obligations de déplacement4… Du côté des acteurs de la grande distribution, on constate des positions contrastées. Certains distributeurs se sont fortement engagés sur la question, en particulier Système U, qui a lancé en janvier 2011 une communication sur ses stratégies de choix de producteurs et met en avant trois atouts principaux de cette politique d’approvisionnement local : réduire notablement les coûts de transport et pouvoir mettre en rayon des articles de qualité à des prix très compétitifs ; affirmer l’ancrage des magasins U dans le tissu économique local et se différencier des grandes enseignes nationales ; contribuer à préserver l’environnement. Mais dans le même temps, on constate de la part de la grande distribution des appels d’offres qui ne tiennent pas compte de la dimension sociale et locale de la production, en n’intégrant pas la localisation de la production parmi leurs critères de choix. Recours au local et performance globale : un sujet plus complexe qu’il n’y parait Pour bien aborder la question de la performance globale, on a besoin de mesurer précisément tous les impacts d’un produit, afin de prendre des décisions éclairées et de sortir des lieux communs. 1
Selon le baromètre Ethicity sur « Les Français et la consommation responsable » (2010), pour 26 % des Français, un produit permettant de consommer de manière responsable doit être « fabriqué localement afin de favoriser le développement de l’emploi au niveau local ». Selon une enquête menée par LSA en mai 2010 : 71% des Français approuvent le projet de Label Made in France, ce dernier signifiant d’abord « protection des emplois » (56,6 % des sondés) (http://yvesjego.typepad.com/blog/2010/05/made‐in‐france‐71‐des‐
fran%C3%A7ais‐approuvent‐1.htm) 2 Yves JEGO, « En finir avec la mondialisation anonyme ‐ La traçabilité au service des consommateurs et de l’emploi », rapport remis à Monsieur le Président de la République, mai 2010 3
Avec la parution en janvier 2011 d’un avant‐projet de décret relatif à l’information sur la quantité de dioxyde de carbone émise par le ou les modes de transport utilisés pour réaliser une prestation de transport 4
Adoptée le 16 décembre 2010 par la Commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat Caroline Alazard pour le Comité scientifique du SOES du 24 mars 2011 Page 1 De nombreux acteurs estiment que réfléchir en termes uniquement économiques conduit à prendre des décisions coûteuses sur le plan social et environnemental, et donc globalement moins performantes. Par exemple, la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF)5 met régulièrement en avant l’importance pour les grandes surfaces de s’approvisionner localement, afin de maintenir et de densifier le tissus industriel français et de contribuer à créer de la valeur économique et du lien social dans les territoires. Prenant l’exemple de la Pologne, la FEEF montre comment une décision rationnelle a priori (choisir de s’approvisionner dans un pays où les charges salariales et donc les coûts sont moins élevés) conduit en fait à détruire des emplois et à mettre en danger l’outil industriel français. Dans un récent rapport6, le Centre d’Analyse Stratégique (CAS) note bien que « dans une optique de consommation durable, l’origine géographique des produits est une préoccupation majeure pour des motifs sanitaires, de traçabilité et d’impact social et environnemental du transport des biens et services. » Mais il note que pour autant, « la supériorité des produits labellisés ‘Made in France’ en termes d’objectifs de développement durable n’est pas assurée. Des produits locaux ou européens peuvent avoir un impact environnemental supérieur à celui des produits importés. » A titre d’exemple, le CAS cite l’étude de chercheurs allemands qui ont comparé la consommation d’énergie finale entre une viande d’agneau produite en élevage extensif sur pâturage en Nouvelle‐Zélande et une viande produite en Allemagne, où les bêtes passent cinq mois en stabulation. Au final, l’acheminement jusqu’aux rayons allemands d’agneau issu de la production domestique consomme en moyenne sept fois plus de carburant que celui de l’agneau importé de Nouvelle‐Zélande7. Le CAS préconise ainsi « d’associer des exigences environnementales à la garantie de fabrication locale en cas d’introduction d’un label ‘Made in France’ ». Une nécessaire convergence à encourager en matière de normes et règlements Les mesures envisagées et/ou mises en place par les pouvoirs publics ces dernières années témoignent de cette complexité. Certaines mesures semblent aller dans le bon sens, comme l’affichage du coût carbone des prestations de transport prévu dans la loi dite « Grenelle 2 ». Mais on ne se donne pas toujours les moyens d’avancer. Par exemple, la loi sur l’urbanisme commercial prévoit que pour les nouvelles implantations et les extensions, les collectivités territoriales devront prendre en compte des paramètres de développement durable. Comment mesurer ces « paramètres de développement durable » alors que dans les travaux sur l’affichage environnemental et les orientations de la plateforme AFNOR‐
ADEME, on hésite encore à distinguer les supply chain entre elles ? Ce qui reviendrait à ne pas faire de différence entre un produit venant d’une usine située à 10 km et un autre ayant voyagé 100 km avant d’arriver en rayon (projet de forfait « France » / forfait « zone géographique » pour l’étranger)… Or, on sait bien que les distributeurs ne s’empareront du sujet de l’affichage que s’il leur permet de se différencier en mettant en avant leurs choix vertueux en matière d’approvisionnement. Autre exemple, évoqué plus haut, celui du label « Made in France » proposé par Yves JEGO, qui entend remettre l’origine au cœur de la traçabilité, mais qui ne prend pas en compte la dimension environnementale, du moins dans sa configuration actuelle. Penser local, agir global Face à de tels enjeux, le rôle du politique n’est‐il pas de faire la synthèse entre ces « antagonismes complémentaires », selon la terminologie employée par le philosophe français Edgard MORIN8 ? 5
La Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF) rassemble plus de 600 entreprises indépendantes fournisseurs de la grande distribution. La FEEF a publié en mars 2010 un Livre Blanc sur « Les enjeux de l’affichage environnemental », téléchargeable sur son site www.feef.org 6
CAS, « Pour une consommation durable », Rapport de la mission présidée par Elisabeth LAVILLE, janvier 2011, téléchargeable à l’adresse suivante : http://www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=1342 7
Voir notamment Redlingshöfer B. (2006), « La consommation d’énergie finale de différents produits alimentaires : un essai de comparaison », Courrier de l’environnement de l’INRA, n° 53 8
Edgard MORIN, La Voie, éd. Fayard, 2011 Caroline Alazard pour le Comité scientifique du SOES du 24 mars 2011 Page 2 C’est‐à‐dire de trouver un optimum pour répondre à des préoccupations sociales et environnementales qui s’imposent. Le Comité de prospective du Comité 21 ne dit pas autre chose, lorsqu’il écrit dans son rapport9 : « A l'aune des enjeux de la crise et du développement durable, nous entendons plus précisément la régulation comme une fonction tendant à réaliser certains équilibres entre le principe de libre concurrence et d'autres impératifs d'intérêt général : protection de l'environnement, redistribution, équité, éthique. Il s'agit de veiller à des équilibres que le marché ne peut produire par lui‐même. Parler de régulation suppose donc que l'on se trouve dans le cadre d'une économie concurrentielle mais qu'il soit fait place, à côté de la concurrence, à des préoccupations sociales, environnementales ou autres, qui dessinent les contours d'un optimum qu'il s'agit d'atteindre, optimum dont la définition même et la réalisation relèvent par essence du politique, c'est‐à‐dire de la vie de la cité comme communauté politique. » Recours au local et performance globale S’interroger sur le recours au local et la performance globale nécessite donc de se demander plus globalement comment concilier libre concurrence et « solidarité spatiale ». Dans ce contexte, ne faudrait‐il pas :  Favoriser la transparence et la traçabilité des produits, tout en laissant le libre choix aux acteurs de s’engager, par le biais de démarches volontaires.  Faire converger les réglementations et autres initiatives menées par les pouvoirs publics pour des questions de cohérence, de lisibilité et d’appropriation par les acteurs privés.  Mettre en place des incitations financières (selon des modalités à déterminer) pour encourager les acteurs à s’engager. De nombreuses questions se posent, parmi lesquelles : ‐ Comment faire converger les différentes initiatives des pouvoirs publics et dispositifs réglementaires pour mettre en place une politique cohérente s’appuyant sur des indicateurs partagés en matière d’approvisionnement local ? ‐ Quelle gouvernance et quel dispositif interministériel mettre en œuvre sur ces questions ? ‐ Quels chantiers prioritaires sont à lancer ? A propos de Greenext (www.greenext.eu) Créée en 2007, Greenext propose aux industriels et aux distributeurs une solution de calcul et d’analyse de l’empreinte socio‐environnementale des produits de consommation dont l’innovation réside dans l’industrialisation de la production des Analyses de Cycle de Vie (ACV). Greenext dispose par ailleurs du profil environnemental des 500.000 produits de grande consommation distribués en France et a été retenue par de nombreuses entreprises participant à l’expérimentation nationale sur l’affichage environnemental lancée en 2011 par les pouvoirs publics. Déployée dans le respect des recommandations des normes et référentiels en vigueur (normes ISO ACV 14040 et 14044 et référentiel AFNOR‐ADEME en particulier), c’est la seule solution du marché faisant l’objet d’une évaluation annuelle par un tiers certificateur, ECOCERT Environnement, organisme de certification expert en environnement et filiale d’ECOCERT. Greenext est membre de la plateforme AFNOR‐ADEME. 9
« Temps de crise financière, économique, écologique, sociale : enjeux, contradictions, opportunités », Comité de prospective du Comité 21, juin 2009. Le rapport peut être téléchargé à l’adresse : http://www.comite21.org/docs/actualites‐comite‐21/2009/rapport‐de‐
prospective‐2009‐26062009.pdf Caroline Alazard pour le Comité scientifique du SOES du 24 mars 2011 Page 3