Développement pacifique et prédation

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Développement pacifique et prédation
 TOPIC Mars 2013 www.hec.fr/eurasia
Développement pacifique et prédation Bien loin du conclave convenu et secret du dix‐huitième congrès du Parti Communiste Chinois de l’automne dernier, et de ses déclarations lénifiantes sur la poursuite du « développement pacifique », une série de rapports récents de sources internationales jettent une lumière moins consensuelle et plus crue sur les voies et moyens de ce développement à marches forcées. En ce mois de mars 2013 où l’Union Européenne vient de mettre en place une réglementation draconienne sur les importations de bois de sources illégales, la Chine continue en toute opacité à se servir abondamment des ressources de la planète sans trop se préoccuper de bonne gouvernance. Une étude très fouillée de l’agence britannique sur l’environnement (Environmental Investigation Agency) dévoile les pratiques en cours sur le marché mondial du bois. Le bois attire moins l’attention que le marché mondial du pétrole ou du cuivre. Et pourtant… La Chine, comme on le sait, construit à tout va. On y coule chaque année autant de béton que le volume existant de bâtiments et d’infrastructures de toute l’Ile de France. Elle consomme en proportion des quantités ahurissantes de bois d’œuvre. Elle fabrique également des meubles pour ses nouveaux appartements et pour ses bureaux, et pas seulement de qualité standard. Les nouveaux riches chinois apprécient en effet les copies de meubles traditionnels d’essences rares, et la demande de bois de rose, par exemple, a explosé. Au surplus, la Chine est également le premier exportateur du monde de meubles, de lames de plancher ou de contreplaqués, que l’on trouve dans tous nos magasins à des prix défiant toute concurrence. Or la Chine n’a plus de bois, ou si peu. A la suite des terribles inondations de 1998, largement causées par le ruissellement dû à la déforestation massive en amont des grands fleuves, les autorités avaient banni la coupe des arbres sur 42 millions d’hectares, tout en lançant un programme massif de plantation de nouvelles espèces en y investissant 31 milliards de dollars. Mais on se doute que les résultats d’une telle politique ne peuvent se mesurer qu’en dizaines d’années. La Chine va donc se servir ailleurs dans le monde. En 2011, elle consommait 500 millions de mètres cubes de bois sous toutes ses formes, en progression moyenne de +8% par an, dont 200 étaient achetés à l’étranger. Depuis la déclaration de Bali de 2001, fondatrice d’un nouvel ordre forestier mondial, la communauté internationale a tenté de mettre de l’ordre dans ce marché foisonnant. Elle a recensé les pratiques et dressé une liste de 36 pays à hauts risques, où la suspicion de coupes sauvages était généralisée. On a mis depuis lors beaucoup de moyens pour en savoir plus. Interpol estime que 30% de la filière bois mondiale est douteuse et que 50 à 80% des coupes dans certains pays tropicaux sont illégales, pour des montants qui peuvent atteindre 100 milliards de dollars aux prix du marché, et qui privent lesdits pays de recettes fiscales de l’ordre de 20 milliards de dollars. Toutes les deux secondes, la surface d’un terrain de football disparaît. Sur une année, cela fait 5 millions d’hectares de forêts non renouvelables, car on n’y replante pas. De vastes enquêtes menées en Indonésie, en Birmanie, en Russie, au Laos, au Mozambique, à Madagascar, confirment ces évaluations. La Chine s’est jointe au mouvement général vertueux, mais sur le papier seulement. Elle a bien signé des papiers avec l’Indonésie en 2002 ou avec la Birmanie en 2006, mais seulement sous la forme de Memorandum Of Understanding peu contraignants. En réalité, la Chine est devenue de loin le principal utilisateur de bois mondial illégal. Les quantités, ahurissantes, seraient pour la seule année 2011 de 70 à 120 millions de mètres cubes, représentant entre deux cinquièmes et deux tiers des importations chinoises, estimées à 180 millions de mètres cubes. Parmi ces achats douteux, le bois provenant des 36 pays « à hauts risques » pourrait remplir six fois le volume du stade olympique de Pékin ! En millions de mètres cubes, les grumes illégalement acquises (billes de bois brut) proviendraient de Russie (5,6 M.m3), où le trafic nocturne de camions transfrontaliers fait rage, de Papouasie Nouvelle Guinée (2,5), des Iles Salomon (1,5), de Birmanie, du Congo, de Guinée Equatoriale, du Mozambique (~0,5 chacun) et autres. Pour le bois débité en planches ou en madriers, 6,7 millions de m3 proviendraient dans l’ordre de Russie, d’Indonésie, de Birmanie, du Pérou, de Thaïlande, de Malaisie. Le tout à l’avenant. Ces estimations proviennent de sources très sérieuses, mais évoluent bien entendu dans le monde flou de la prédation souterraine organisée et corrompue. Elles ne peuvent cependant pas être balayées d’un revers de la main. Ces pratiques frauduleuses sont‐elles le fait d’un foisonnement de trafiquants hors de contrôle ? Il n’en est rien. La moitié des achats chinois de bois illégal dans les pays tropicaux est réalisée par de grandes entreprises d’Etat – donc sous contrôle public ‐ pas au niveau de Pékin sans doute, mais en général dépendantes des provinces chinoises les plus consommatrices, au premier rang desquelles Shanghaï. La forme adoptée fait également l’objet d’une politique définie au niveau national. Le système de taxation mis en place privilégie en effet lourdement les achats de matière brute (grumes, madriers) de faible valeur, afin de créer de la valeur ajoutée en Chine pour mieux exporter des produits finis (contreplaqués, meubles…). On avait déjà assisté il y a vingt ans à une « guerre du contreplaqué » entre le Japon et l’Indonésie pour les mêmes raisons, qui avait mis des années à se résorber. Mais le poids de la Chine est tel que les pays les plus faibles ne peuvent tout simplement pas l’envisager, et leur liste s’allonge : Papouasie Nouvelle Guinée, Iles Salomon, Liberia, Tanzanie, Sierra Leone. Malgré l’interdiction officielle pure et simple d’exportation des bois douteux, comme au Mozambique, en Malaisie ou en Indonésie, il y a encore bien loin de la coupe aux lèvres. Le trafic de bois de rose, si demandé, a pris des proportions dramatiques aux portes même de la Chine : en Thaïlande, au Vietnam, en Birmanie, au Cambodge. La Chine et son bois
Consommation totale de bois
2011
500 Millions m3
Importation de bois (sous toutes
ses formes)
dont
2000
2011
46 Millions m3
200 Millions m3
Pâte à papier, copeaux pour agglomérés
2000
2011
37 Millions m3
98 Millons m3
Importations de grumes
2011
42 Millions m3
(billes de bois brut)
53% du total mondial
dont
Russie
Etats-Unis
Papouasie Nouvelle Guinée
Importations de bois sciés
14 Millions m3
4,8 Millions m3
2,7 Millions m3
2011
(planches bois d’œuvre)
39 Millions m3
dont
Canada
Russie
28 Millions m3 venant de
« high Risk Countries”
12,3 Millions m3
1,2 Milions m3
16 Millions m3 de « high Risk
Countries »
source : IEA, illegal logging Survey
Principales cibles américaines répertoriées
des cyber-intrusions chinoises d’envergure
Nombre de victimes
Source: Mandiant APT1, février 2013
Que faire ? Va‐t‐on assister pour le bois chinois au même déni que les pêcheurs de baleines japonais jettent année après année à la face de la communauté internationale ? Le problème ‐ et l’avantage ‐ du commerce international est qu’aucun pays ne peut se réfugier derrière « l’ingérence dans les affaires intérieures », car l’accumulation de preuves dans les nombreux pays producteurs rend la défense des intérêts particuliers ou « stratégiques » de plus en plus artificielle. Un ordre international du bois est en train cahin‐caha de se mettre en place. L’étau se resserre. Un autre rapport de février 2013, de source américaine celui là, est autrement plus explosif. Il dévoile en effet avec un luxe de détails techniques stupéfiants comment la Chine se livre à un cyber‐espionnage systématique pour accéder aux données sensibles occidentales en matière technologiques ou commerciales. Miracle de la transparence de l’information, cette étude intitulée « Advanced Persistent Threat » est disponible sans difficultés sur Internet (site « Mandiant ») afin de juger sur pièces. Et si l’on veut la photo et l’adresse exacte du centre névralgique où les décisions sont prises, il suffit de cliquer sur Google‐Map pour arriver dans la banlieue de Shanghaï à une unité spécialisée de l’Armée populaire de Libération. Le Ministère chinois de la Défense a bien sûr fustigé ce rapport comme «sans fondement». Mais cette fois, on ne joue plus. On n’est plus dans la prédation de matières premières, où sévissent les pratiques maffieuses du « pas vu, pas pris ». Un vif débat s’en est ensuivi au Sénat américain. Le chef du renseignement James Clapper a averti, en citant l’Iran, la Corée du Nord, Al Qaïda et la Chine : « Ces capacités mettent en danger tous les secteurs du pays, du gouvernement aux réseaux privés, en passant par les infrastructures cruciales ». L’affaire est si grave que le Président Obama lui‐même est monté au créneau à la télévision : « nous avons vu une nette augmentation des menaces sur notre sécurité informatique[…] Nous avons été très clairs avec les Chinois, en leur expliquant que nous attendions d’eux qu’ils respectent les conventions et les lois internationales ». Le surlendemain, une déclaration pateline du ministère des affaires étrangères chinois rectifiait le tir : « Ce qui est nécessaire dans le cyberespace, ce n’est pas la guerre, mais plutôt la règlementation et la coopération. » Le charme particulier d’internet est que l’on peut désormais, avec des techniques sophistiquées, tracer ces prédateurs d’une autre sorte. Tout finit par se savoir. Après la passe d’arme de mars, la Chine fait pour un moment profil bas. Mais elle devrait se méfier car internet est un outil corrosif : plus de 500 millions de Chinois surfent désormais sur le web et abordent tous les sujets, avec de moins en moins de tabous. Cette fois, c’est le pouvoir chinois qui peut être menacé par ses propres citoyens. Pas par des ennemis du bout du monde. D’un simple clic de souris. A noter sur vos agendas : Travailler avec les Chinois 25 avril & 6 juin 2013 HEC site Champerret Paris JG