Sois maigre et tais-toi
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Sois maigre et tais-toi
8 DÉCRYPTAGE MARDI 1er MARS 2016 32 « Ce qui se passe dans le milieu C’est la taille du mannequinat c’est de la dans laquelle maltraitance, de la nonil faut pouvoir rentrer assistance à personne en pour espérer défiler danger. »Victoire MAÇON DAUXERRE lors des Fashion Weeks. Fashion Weeks : elle témoigne de l’enfer de la mode Sois maigre et tais-toi Alors que la Fashion Week de Paris débute aujourd’hui, Victoire Maçon Dauxerre, ex-top model témoigne : pour devenir mannequin, elle a mis sa santé en danger. Fanny GUILLAUME « L’industrie de la mode pèse tellement lourd qu’elle prime sur les questions de santé. » autres, qu’elle a choisi d’exorci ser ce passage de sa vie dans un livre où elle témoigne de son an née passée à courir les castings et à s’astreindre à un régime qui la fera sombrer dans l’anorexie. « Il fallait que je transforme mon expérience en quelque chose de posi tif, expliquetelle de sa voix douce. Si j’avais lu ce livrelà, je n’aurais pas signé mon contrat. Et si mon livre peut sauver ne seraitce que dix jeunes filles, je saurai que ça n’a pas été vain. J’avais le devoir de le faire car pour moi ce qui se passe dans ce milieu c’est vraiment de la maltraitance et de la nonassistance à personne en danger. » À lire son témoignage, on ne comprend pas pourquoi si peu de mannequins témoignent, ni comment l’industrie de la mode compte autant de jeunes fem mes qui poursuivent le mé tier. « Il existe une réelle omerta dans le milieu. Si vous êtes toujours dans ce milieu, vous ne pouvez pas en parler. Si un mannequin qui bosse aujourd’hui en parle, elle sera virée, elle ne travaillera plus. Moi, j’ai cette libertélà parce que ça fait cinq ans que j’ai arrêté et je ne compte jamais y revenir. Ça fait de toute façon partie du contrat : être mannequin, c’est sois maigre et taistoi. Vous n’êtes même plus un être humain, vous êtes un cintre ! Vous n’avez pas le droit de penser, de parler, de poser des questions et encore moins de donner votre avis… Ce n’est pas votre rôle dans cette in dustrielà. » Victoire Maçon Dauxerre n’y va pas avec le dos de la cuillère lorsqu’elle dépeint le milieu de la mode et l’enfer des cas tings. Certains grands noms en prennent d’ailleurs pour leur grade. « Karl Lagerfeld et Miuccia Prada sont les pires. Considérés comme des dieux dans le métier, ils se permettent les pires atroci tés. Chez Lagerfeld c’est une vio lence psychologique, chez Prada, c’est carrément physique. » Victoire Maçon Dauxerre fi nira par prendre conscience par ellemême du mal qu’elle se fait et qu’il est temps d’arrêter les frais. « Je m’étais complètement iso lée. Mes parents ont découvert l’en vers du décor en lisant mon livre parce qu’évidemment, je ne leur di sais pas que je prenais des laxatifs ou que je me faisais des lave ments. Quand ma mère m’accom pagnait, elle me voyait entourée de jeunes filles aussi maigres que moi du coup ça n’était même plus cho quant. C’est ça qui est grave dans la mode : elle normalise la maigreur. » En pleine semaine de la mode L’exmannequin pointe le mi lieu de la mode, non pas comme cause de sa maladie mais comme facteur aggra vant. « L’image que la mode ren voie c’est que pour être belle, il faut être maigre, qu’il n’y a que comme ça qu’on va être heureux. Ça touche tout le monde, consciemment ou non et c’est pour ça qu’il faut con damner ces pratiques. » Alors que la Fashion Week de Paris débute aujourd’hui (après trois semaines folles à New York, Londres et Milan), le té Reporters/DPA Lagerfeld et Prada : les pires moignage de Victoire Maçon Dauxerre résonne avec encore plus de force. Mais les change ments ne sont pas pour demain tant l’industrie de la mode pèse lourd. Et tant pis pour la santé ou l’image de la femme. ■ Malgré les mesures prises en France notamment, les filles qui défilent aux Fashion Weeks présentent toujours les mêmes proportions exagérément maigres. > « Jamais assez maigre », Les Arènes. Légiférer : une question de santé E n Israël, les mannequins sont tenus de se présenter à une visite médicale tous les trois mois. En Espagne, l’État a signé un contrat avec de grandes enseignes, comme Mango et Zara, les obligeant à choisir des mannequins qui affichent au moins une taille 38. En France, une loi impose une visite médicale lors de l’entrée en agence des man nequins. Et chez nous ? Depuis plusieurs années, la députée fédérale Vanessa Matz (cdH) se bat pour faire imposer certaines règles, as sez semblables à celles prises par la France. Mais le chemin est long et semé d’embû ches. « J’avais été sidérée par une publicité pour Ralph Lau ren ou la tête du mannequin était plus grosse que sa taille. J’avais alors déposé un projet de loi par rapport aux images retouchées. » Mais, pré BELGA L orsqu’elle est décou verte par un chasseur de talent dans la rue, Vic toire Maçon Dauxerre a 17 ans et des rê ves plein la tête. Mais pour atteindre les po diums des Fashion Week, elle comprend bien vite que ses yeux magnifiques et sa sil houette filiforme ne suffiront pas : il lui faudra perdre du poids et atteindre une taille 32 pour espérer enfiler les tenues des couturiers. Une taille 32… Cela signifie que du haut de son mètre septante huit et avec ses 58 kg, la jeune femme va devoir perdre 11 kg et se soumettre à un régime strict : trois pommes par jour, pas plus ! Une discipline qui va la mener à l’anorexie mentale. L’expérience a été extrême ment douloureuse et a laissé des traces. C’est pour cela, entre Reporters/Ipa ● Depuis 2009, Vanessa Matz tente de faire voter une loi pour éviter les dérives. senté en commission écono mie, le texte se heurte aux di rectives européennes et le Conseil d’État renvoie la dé putée à sa copie. La puissance des lobbys Vanessa Matz opte alors pour la voie de la santé et élargit son texte. « Nous nous sommes alignés sur le texte français qui oblige les manne quins à passer une visite médi cale. Le texte a été présenté en commission santé qui a remis un avis favorable sur le principe de légiférer à ce sujet. Quant au Conseil d’État, on a rencontré l’ensemble de ses objections juri diques. C’est donc en bonne voie mais ça n’est pas encore ga gné. » Car, la députée le sait, il existe un lobby extrêmement fort au niveau des magazines, notamment. « Je tape dans la fourmilière depuis 2009 et je ne m’attendais pas à faire face à de tels lobbys. Ici encore, je me heurte à une opposition de la part de la Flandre car le marché de la presse magazine flamande est très étroit. Économiquement, ils pensent que ça serait une ca tastrophe. Mais j’agis là où se trouve ma compétence et je sais qu’il y aura encore d’autres cho ses à régler au niveau régional, notamment. » ■ F.G .