Henri IV et Chevalier [fr]

Transcription

Henri IV et Chevalier [fr]
Henri IV et l’opticien parisien Cheval(l)ier
Lors d’un récent séjour parisien, les soussignés ont été amenés à faire une découverte des plus
intéressante…
En 1993, le Musée recevait trois magnifiques et rares daguerréotypes pleine plaque (21,5 X 16,5 cm)
dont les sujets sont des vues de Paris. L’un d’entre eux représente la statue équestre d’Henri IV sur le
Pont Neuf, à l’extrémité ouest de l’Ile de la Cité, ou plus exactement sa copie, l’original ayant été
détruit à la Révolution… Cette image n’a pu être prise depuis la chaussée, mais bien à la hauteur de
la statue, par conséquent depuis une fenêtre à l’étage d’un l’immeuble d’en face. Nous avons par
ailleurs pu vérifier sur place que cette vue est bien inversée, le Louvre se situant sur la rive droite de la
Seine. Le daguerréotype fonctionne effectivement comme un miroir. (illustration no 1, inv. 4178)
Il se trouve que ce monument se dresse sur la place du Pont-Neuf où Noël Marie Paymal Lerebours
tenait la boutique d’optique fondée par son père. Celui-ci s’associa en 1845 à Marc Secretan, juriste,
mathématicien et physicien vaudois, qui en 1841-1842 réalisa diverses expériences autour de la
daguerréotypie au jardin du casino à Lausanne en compagnie de Friedrich von Martens et Samuel
Heer-Tschudi, autres pionniers de la photographie dans notre région.
Ce monument se situe également à proximité du Quai de l’Horloge, où se trouvait dès les années
1760 la boutique des opticiens Chevalier, Vincent (1770-1841), son fils Charles (1804-1859) puis son
petit-fils Arthur (1830-1872). Charles Chevalier proposait entre autres diverses variantes de la camera
obscura et comptait parmi sa clientèle fidèle Louis-Jacques-Mandé Daguerre, grand utilisateur de cet
instrument pour les besoins de son métier de peintre et de décorateur de théâtre. Louis Figuier, dans
« La photographie » paru en 1888 dans le troisième volume des Merveilles de la Science, nous
raconte comment Charles Chevalier mit en relation Daguerre avec Nicéphore Niépce en 1826,
rencontre décisive qui a abouti à l’avènement de la photographie en 1839… Dès les années 1840,
l’adresse de l’opticien est mentionnée « Charles-Chevalier , Palais-Royal no 158, Galerie de Valois,
ateliers cour des Fontaines no 1 bis, près le Palais-Royal (ci-devant quai de l’Horloge) ».
Lors de notre visite au Musée Carnavalet, le hasard nous fit découvrir une toile de Théophile Meunier
« Le Pont-Neuf et la pointe de la cité » placée dans le hall de réception de l’administration, tableau
entièrement repeint par l’artiste – vers 1860 ? – sur une représentation antérieure du même site (peutêtre la Vue de Paris exposée au Salon de 1848).
A notre grande surprise, les deux bâtiments qui dominent le Pont Neuf portent chacun une enseigne
sur leur façade : sur celui de gauche : LEREBOURS ET SECRETAN OPTICIENS, et sur celui de
droite : CHEVALIER OPTICIEN DU ROI. (illustration no 2, détail ). Or nous n’avions aucune
information sur la présence de locaux ayant appartenu à Charles Chevalier sur la place du Pont-Neuf !
Nos recherches nous ont alors fait découvrir l’existence d’un autre opticien contemporain de Vincent
Chevalier, Jean-Gabriel-Auguste (ou Augustin) Chevallier (1778-1848), ingénieur et « opticien du roi
et des princes », connu pour ses instruments d’astronomie et de marine ainsi que ses thermomètres.
Jean-Gabriel-Auguste Chevallier était établi « Tour de l’Horloge du Palais No 1, vis-à-vis le Marché
aux Fleurs » si l’on en croit sa plaque de fabricant apposée sur une camera lucida, instrument à
dessiner récemment mis en vente. Au moment du Directoire, il s’est installé place du Pont Neuf, d’où
la présence d’une enseigne au nom de « Chevalier » (les deux orthographes semblent alors en
usage) sur la toile de Théophile Meunier…
Interrogée sur cette question, notre consoeur Françoise Reynaud, conservatrice au Musée Carnavalet
et responsable du département Photographie, nous présenta la reproduction d’un autre daguerréotype
représentant la statue équestre d’Henri IV, publiée en 1989 dans le catalogue de l’exposition « Paris
et le daguerréotype ». Cette vue, plus plongeante que celle de l’objet de nos recherches, a été
réalisée par Lerebours, certainement depuis la grande baie vitrée aujourd’hui disparue qui est visible
dans le toit du bâtiment de gauche sur la toile de Théophile Meunier (illustration no 2, détail ).
En fait, il est impossible d’obtenir une vue surélevée de pleine face de cette statue car elle est située
dans l’axe de la rue qui sépare les deux bâtiments, légèrement décentrée sur le côté droit (illustration
no 3 ).
Or le point de vue du daguerréotype veveysan se situe au niveau du premier étage, légèrement
décalé du côté du bras levé de la statue (bras droit) et nous apercevons même la face latérale du
socle. Ce daguerréotype n’a donc pas été réalisé depuis l’immeuble occupé par Noël Peymal
Lerebours, car son point de vue correspond au bâtiment voisin, soit, si l’on en croit le tableau, depuis
une fenêtre de l’immeuble abritant l’officine de Jean-Gabriel-Auguste Chevallier …
Comme tous les pionniers, il a apprécié de s’installer en toute tranquillité à sa fenêtre… Il est vrai
qu’Henri IV s’avérait un sujet idéal… Dès lors, la tentation de faire de Jean-Gabriel-Auguste Chevallier
l’auteur éventuel de ce daguerréotype existe….
Les deux autres daguerréotypes pleine plaque représentant respectivement la façade principale de la
cathédrale Notre Dame et l’Arc de triomphe depuis l’avenue des Champs-Elysées pourraient-ils être
également l’œuvre de Chevallier ?
Quels étaient les liens éventuels entre la branche de Vincent Chevalier et Jean-Gabriel-Auguste
Chevallier ? Ont-ils à un moment donné collaboré ? Si l’on en croit les auteurs du catalogue Le
daguerréotype français. Un objet photographique publié en 2003 lors de l’exposition au Musée
d’Orsay (p. 243), aucune relation, ni familiale, ni professionnelle n’a réellement existé entre les
Chevalier et Chevallier,si ce n’est leur vif intérêt pour la photographie naissante…
Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin