États-Unis : Chuck Palahniuk La première règle du Fight Club est : il

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États-Unis : Chuck Palahniuk La première règle du Fight Club est : il
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
États-Unis : Chuck Palahniuk
La première règle du Fight Club est : il est interdit de parler du Fight Club.
La deuxième règle du Fight Club est : il est interdit de parler du Fight Club.
La première règle des romans de Palahniuk est : il est interdit de (trop) en parler.
La deuxième règle des romans de Palahniuk est : il est impératif de les lire.
Charles Michael "Chuck" Palahniuk est né le 21 février 1962 à Pasco (État de Washington, USA) d'une mère
française et d'un père russe, d'où son nom à consonance ukrainienne (palenik)
Il est sans doute l'auteur américain le plus inventif - et le plus prolixe - du moment : déjà une douzaine de
romans, pas mal de nouvelles et d'articles, biographiques et autres, tout cela en une quinzaine d'années car il
s'est mis à l'écriture sur le tard. Il a en effet dû attendre le succès de Fight Club (1996) - son premier roman et
un « roman-culte » pour certains - pour déclencher l'avalanche qui fait maintenant les délices de ses lecteurs.
Photo © Gallimard
Totalement atypique, sans équivalent dans la littérature américaine, Palahniuk est l'écrivain de la violence,
de la révolte, de l'anti-société, de la folie (souvent moins insensée qu'elle n'y paraît), de l'extravagant. Il est
souvent provoquant, révoltant, parfois... gerbant. Le mot qui revient le plus souvent dans les comptes rendus
de ses romans est « déjanté », mais c'est un « déjantage » qui ne manque pas de sens. Il pratique aussi
l'humour - à faire éclater de rire le lecteur -, l'autodérision, et le burlesque à grande échelle. En un mot, il
est fascinant.
L'anti-héros de Palahniuk se place en dehors de la société ; il la ridiculise en s'appropriant les mêmes fonctions
et les mêmes attitudes que celles des bien-pensants et les pousse à l'extrême du contraire, en les retournant
comme on retourne une chaussette ; la violence, la folie deviennent la norme. Palahniuk s'amuse follement
à démolir toutes les icônes de notre société avec verve et humour, que ce soit le sexe, toujours bestial, les
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thérapies de groupes (qui ne sont que défouloirs pour cinglés du sexe), la beauté (qui n'existe que dans la
laideur), les médias (qui amplifient et déforment tout), la consommation (toujours excessive).
Les critiques, et Palahniuk lui-même, ont appelé son style « minimaliste » en ce sens qu'il écrit simplement
comme s'il racontait une histoire oralement plutôt qu'il ne l'écrivait, le tout parsemé d'apartés à contenu
philosophique sur des sujet tels que l'existence de Dieu, la mort, la sexualité, etc. À cela s'ajoute la répétition
de phrases à intervalles plus ou moins réguliers qui donnent à sa prose une allure de mantra envoûtante (il
appelle ces phrases des « chœurs »).
Ne comptez sur une ligne droite ni dans le récit de Palahniuk ni dans l'« intrigue ». Il lui arrive de commencer
un roman par la fin (Fight Club), puis de repartir (ou faire semblant de repartir) du début chronologique et de
bousculer la chronologie au fil de l'écriture. Ainsi Survivant est numéroté à l'envers, les chapitres aussi ; ce
roman commence d'ailleurs par cette note : « Ce livre est un compte à rebours. Il est donc normal et voulu
par l'auteur qu'il commence au chapitre 47 et à la page 365 ». Chaque chapitre de À l'estomac est encadré
d'un poème et d'une nouvelle écrite par un des personnages, souvent sans rapport avec l'« intrigue ». Peste
est rédigé sous forme de biographie orale, ce qui consiste à interviewer une grande diversité de témoins
et à compiler leurs déclarations. Lorsqu'on interroge plusieurs personnes sur une même expérience, il est
inévitable que les témoignages se contredisent à l'occasion (avertissement de Palahniuk). Ce roman comporte
56 « narrateurs » dont les « témoignages » vont d'une ligne à quelques pages.
Le lecteur va donc de découverte en découverte, de surprise en surprise car les événements que Palahniuk
décrit, ou raconte, sont totalement imprévisibles ; le lecteur avance dans le noir au gré de l'imagination de
l'auteur et ne cesse de s'étonner ou de se délecter.
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Fight Club
Résumer les romans de Palahniuk reviendrait à remettre de l'ordre dans des récits à la narration désaxée,
ce qui serait sacrilège. Essayons tout de même de donner une idée de ce qui se passe dans Fight Club,
son roman le plus connu. Les autres romans sont du même tonneau avec toutes les variantes des thèmes
et des structures qu'est capable d'imaginer ce fou de l'écriture, et Palahniuk a une imagination franchement
débordante.
Comme les romans de Pynchon dans les années 70, Fight Club est à prendre au deuxième et même au
troisième degré. Les thèmes se superposent et ne cessent de mystifier le lecteur jusqu'aux dernières pages :
l'isolement dans lequel la société actuelle enfonce l'individu forme la trame principale avec pour conséquence
la lutte de cet individu pour sortir de sa solitude, démarche impossible par les moyens habituels ; il en faut
donc d'autres. La seule façon de devenir ami n'est plus de se comporter « normalement » mais est de fonder
un club où l'on se tape dessus jusqu'à en perdre connaissance ; c'est à son faciès défiguré qu'on reconnaît un
pote. Le Fight Club compte bientôt un nombre important de « membres » au point de se transformer en une
espèce de secte dont l'activité principale est de s'en prendre à la société au point de projeter de faire sauter
un gratte-ciel. C'est ici que commence le roman : cette secte a investi le gratte-ciel, le personnage principal
(qui n'a pas de nom, nous l'appellerons X) est juché au sommet du bâtiment avec son copain qui lui braque
un pistolet en bouche, le bâtiment commence à brûler, il reste trois minutes... qui, grand saut pendant lequel
naît et se développe le Fight Club, durent jusqu'à l'avant-dernier chapitre où le lecteur retrouve le bâtiment en
feu et X au même endroit, le pistolet toujours en bouche, le copain disparu car il n'était qu'un dédoublement
de X, lequel se tire une balle dans le crâne et, embarquant ses fantasmes avec lui, se retrouve au paradis
en train de discuter avec Dieu, à qui il déclare :
« Nous sommes, c'est tout.
Nous sommes, c'est tout, et ce qui arrive, arrive, c'est tout. »
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Mais Dieu lui répond :
« Non, ce n'est pas exact. »
Au delà de ses diatribes contre la société, et la société de consommation en particulier, le roman souligne les
difficultés qu'a l'individu dénué de tout, même d'un nom, à s'affirmer et à se reconnaître comme être humain
dans le monde d'aujourd'hui. Certains critiques y voient aussi l'impossibilité pour l'homme de s'affirmer comme
tel dans un monde dominé par les femmes, ou un grand désespoir et le vide.
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Ne dévoilons pas les « intrigues », toujours surprenantes, des autres romans. Recommandons simplement la
lecture de Le festival de la couille (recueil de nouvelles), de Fight Club, Peste, Survivant, et Choke.
Pierre Michel
Janvier 2010
Pierre Michel a enseigné la littérature américaine à l'Université de Liège, mais aussi aux universités
d'Illinois (Urbana), Kent (Ohio), et Miami (Floride), USA.
Œuvres traduites en français
Fight Club, trad. Freddy Michalski, Éd. Gallimard, 1999 / Folio, 2002
Survivant, trad. Freddy Michalski, Éd. Gallimard, 2001 / Folio, 2004
Choke, trad. Freddy Michalski, Éd. Denoël, 2002 / Folio, 2009
Monstres invisibles, trad. Freddy Michalski, Éd. Gallimard, 2003 / Folio, 2007
Berceuse, trad. Freddy Michalski, Éd. Gallimard, 2004 / Folio, 2006
Journal intime, trad. Freddy Michalski, Éd. Gallimard, 2005 / Folio, 2009
Le festival de la couille et autres histoires vraies, trad. Bernard Blanc, Éd. Denoël, 2005 / Folio, 2009
À l'estomac, trad. Bernard Blanc, Éd. Denoël, 2006 / Folio, 2008
Peste, trad. Alain Defossé, Éd. Denoël, 2008 / Folio, 2009
Site web de l'auteur
http://chuckpalahniuk.net
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