Le Liban un jour en paix ? Jihad et mémoire selon le Hezbollah
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Le Liban un jour en paix ? Jihad et mémoire selon le Hezbollah
« Le Liban un jour en paix ? Jihad et mémoire selon le Hezbollah » Didier LEROY I. Introduction : Le Liban et la guerre II. Le Hezbollah, principal acteur guerrier a. Doctrine martiale b. Evolution de la Résistance Islamique c. Le dilemme syrien ou le Hezbollah extra muros d. Le statut de l’arsenal et le Dialogue National III. Le Hezbollah et la paix a. Les préconditions nationales au « désarmement » b. Le poids de l’agenda régional c. Blacklisting : un pas en arrière pour la paix IV. Le Hezbollah et la mémoire a. Un auto-récit imprégné de résilience b. Visite guidée du complexe de Mlita V. Conclusion : Le Liban un jour en paix ? 1 I. Introduction : Le Liban et la guerre L’Histoire récente du Liban est particulièrement jalonnée par les épisodes guerriers. Au-delà de différents incidents sporadiques mais sanglants que l’on pourrait citer (Nahr el-Bared en 2008 par exemple), on peut distinguer trois sphères principales de conflictualité : une libano-libanaise, une libano-israélienne et une libano-syrienne. (1) De 1975 à 1990, le pays du cèdre a en effet traversé plusieurs conflits interconfessionnels et intraconfessionnels, habituellement désignés par l’appellation fourre-tout de « guerre civile » libanaise. (2) Depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948, le Liban a dû s’accommoder des vagues successives de réfugiés palestiniens qui se sont échelonnées au fil des épisodes du conflit israélo-arabe. Dans le cadre de ce dernier, le Liban a subi deux invasions israéliennes qui ont notamment mené à la création du Hezbollah. Pendant l’été 2006, l’état de guerre a culminé durant trente-quatre jours d’affrontements de haute intensité (la « guerre de juillet ») entre l’armée israélienne (Tsahal) et la branche armée du Hezbollah (la Résistance Islamique). (3) Enfin, depuis le début de la contestation en Syrie en mars 2011, le Liban a vu son échiquier politique – déjà très divisé – se bipolariser encore plus qu’auparavant entre un camp « anti-syrien » (Forces du 14 mars) et un camp « pro-syrien » (Forces du 8 mars) mené par le Hezbollah. En dépit de l’utopique « déclaration de Baabda » prônant la distanciation du Liban vis-à-vis de la crise syrienne, différents camps libanais – dont le Hezbollah – se battent aujourd’hui pour ou contre Bachar el-Assad, dans le cadre de ce qui est désormais appelé la « guerre civile » syrienne. Né dans le contexte du premier conflit, le Hezbollah tient incontestablement le rôle de protagoniste libanais dans les deux autres. Sa milice est une des seules à ne pas avoir déposé les armes suite à l’Accord de Taëf (1989) qui a mis un terme à la guerre civile libanaise. S’étant progressivement montré plus efficace que l’armée libanaise et ayant largement monopolisé la cause de la résistance au Sud-Liban, le Hezbollah est devenu depuis lors le fer de lance de la lutte armée face à Israël. Et c’est au nom de cette « résistance » que celui-ci se bat désormais sur le territoire syrien. A l’heure où le Hezbollah a de plus en plus de mal à maintenir le capital-légitimité de sa lutte, le moment semble opportun de s’interroger sur la nature du jihad de cette organisation nouvellement considérée comme « terroriste » par l’Union Européenne. II. Le Hezbollah, principal acteur guerrier a. Doctrine martiale Avant toute chose, il est crucial de rappeler que le « phénomène Hezbollah » constitue un fait social d’une ampleur et d’une hétérogénéité remarquables à l’échelle libanaise. Sur le plan démographique, son électorat regroupe surtout des musulmans chiites issus des trois grands « foyers » communautaires que sont la plaine de la Békaa septentrionale, le Sud-Liban et la banlieue méridionale de la capitale. Parti politique de poids possédant ses représentants à la fois au Sérail et au Parlement, le Hezbollah est à concevoir comme un vaste projet de société – une « société résistante » selon ses propres mots – qui s’est notamment matérialisé à travers un large éventail d’institutions sociales et caritatives couvrant les domaines de l’urbanisme, de l’éducation ou encore de la santé au Liban. S’y est greffé un appareil médiatique fort complet, comprenant un journal hebdomadaire (« Al-Intiqad »), des revues culturelles et religieuses (dont « Baqiyyat Allah »), une station de radio (« Al-Nour »), une chaîne télévisée (la fameuse « Al-Manar »), ainsi qu’une myriade de sites internet régulièrement piratés dans le contexte d’une guerre également informatique. La Résistance Islamique, la composante armée de cet intriguant organisme, ressort finalement de cet organigramme sans structure claire comme la facette à la fois la plus importante et la plus méconnue du Hezbollah. Avant d’en survoler le cheminement, il est indispensable d’en saisir la doctrine martiale intrinsèquement liée à l’idéologie religieuse du mouvement et orientée contre l’ennemi sioniste. L’idéologie religieuse du Hezbollah est constituée de trois éléments principaux : (1) le credo islamique chiite (succession apostolique, impeccabilité et pérennité de l’imamat), (2) la thèse de la « guidance du 2 théologien-juriste » (wilāyat al-faqīh) établie par l’Ayatollah Khomeïni, et (3) la doctrine du jihad, fortement influencée par la figure de l’Imam Husseïn et la commémoration annuelle de son martyre (Achoura). Cette idéologie se superpose évidemment aux « fondements de la foi » (uṣūl al-dīn), partagés par l’ensemble des musulmans, et aux pratiques de la « discrétion spirituelle » (al-taqiyya) et de la « mobilisation défensive » (al-ta‘bi’a), uniquement licites pour les musulmans chiites. Le jihad est considéré comme élément central de la foi islamique et prime théoriquement sur la famille comme sur les biens. L’usage et les modalités de celui-ci sont décidés par le faqīh (actuellement l’Ayatollah Khamenei) et sont donc en principe non-contestables par le Hezbollah. L’auto-sacrifice, destiné à donner l’avantage au faible sur le fort, est au centre de l’endoctrinement que pratique son système éducatif. Un « hezbollahi » doit ainsi préalablement s’imprégner du grand jihad (lutte contre soi), avant de pouvoir s’engager dans le petit jihad (lutte contre l’ennemi). Celui-ci prodigue deux récompenses : le martyre (de soi) et la victoire (de l’oumma). Le martyre est quant à lui subdivisé en quatre catégories : (1) le combattant se faisant exploser (alistishhādī al-mujāhid) -perçu comme l’altruiste ultime se sacrifiant pour la maṣlaḥa (« avantage ») de l’oumma-, (2) le combattant mort en combat régulier (al-shahīd al-mujāhid), (3) le civil musulman innocent tué hors du champ de bataille (al-shahīd), et (4) le non-musulman mort sur le champ de bataille (shahīd al-waṭan). La notion de « préférence » (iṭhār) fait ainsi primer l’au-delà sur la vie terrestre et l’oumma sur l’individu. La sanction du martyre, garantissant le paradis, est opposée à la condamnation du suicide, menant à la damnation éternelle. Le Hezbollah, qui assume en général publiquement ses opérations militaires, a ainsi toujours distingué doctrinalement les opérations-suicides – illicites – et les opérations-martyres – licites – (‘amaliyyāt istishhādiyya).1 Le parti a d’ailleurs fermement condamné les attaques d’Al-Qaïda au lendemain des attentats de New York, Madrid et Londres, qu’il qualifie lui-même d’actes terroristes. La Résistance Islamique du Hezbollah, au cours des douze opérations-martyres qu’elle a menées, prétend ainsi avoir toujours visé des cibles militaires ou de renseignement, sur le territoire libanais de surcroît (auto-défense invoquée), et en dernier recours uniquement. La figure de l’imam Husseïn et la commémoration annuelle de son martyre (Achoura) ont fortement influé sur la notion de jihad, faisant ressurgir un sentiment d’injustice mobilisateur envers les gouvernements oppresseurs. L’idéologie religieuse sur laquelle se base le Hezbollah distingue le grand jihad (ésotérique) du petit jihad (exotérique). Au sein de ce dernier, il est fait état d’un jihad offensif (interdit depuis la Grande Occultation et jusqu’au retour du douzième imam, le Mahdi), et d’un jihad défensif, militaire ou pas. b. Evolution de la Résistance Islamique La sinistre notoriété du Hezbollah provient, avant toute autre chose, du rôle que celui-ci aurait joué dans plusieurs attentats et prises d’otages tout au long des années 1980 et au début des années 1990, au Liban et ailleurs.2 Le « proto-Hezbollah » de ces années-là, encadré militairement par quelque 2.000 pasdaran (gardes révolutionnaires) iraniens, se constitua en réaction à la deuxième invasion israélienne du SudLiban en 1982. D’une manière générale, la littérature qualifiant le Hezbollah d’« organisation terroriste » justifiait encore récemment cet étiquetage en énumérant la liste de ces sinistres évènements -revendiqués par l’Organisation du Jihad Islamique ou anonymes- et en attribuant ceux-ci au Hezbollah, invoquant dans la plupart des cas une curieuse « polynymie ». En réalité, seule leur compatibilité idéologique relative a poussé les services de renseignements occidentaux à voir notamment le Jihad Islamique comme 1 ALAGHA, J., The Shifts in Hizbullah’s Ideology, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2006, pp. 108-109. SAAD-GHORAYEB, A., Hizbu’llah: Politics and Religion, Londres, Pluto Press, Coll. « Critical Studies on Islam », 2002, p. 1. 2 3 un ensemble de cellules clandestines commandées par des dirigeants militaires du Hezbollah, mais il est objectivement difficile de faire plus que spéculer sur la nature exacte de la relation unissant les deux organismes à l’époque. Le paysage de la résistance chiite était alors lui-même chaotique, le mouvement au sens large ayant initialement répondu aux appels à la mobilisation de Moussa Sadr sous l’égide de la milice Amal, aujourd’hui allié politique du Hezbollah. A partir de 1990, l’absence de lutte intra-libanaise permit au Hezbollah de concentrer son propre effort de lutte envers l’« entité sioniste » ; une nette professionnalisation des attaques anti-israéliennes s’en ressentit. Sous le leadership de Nasrallah, les opérations-martyres s’arrêtèrent, indiquant un changement tactique majeur. La Résistance Islamique se compartimenta davantage, chaque unité se spécialisant en fonction de certains types d’armes et d’opérations. Les mesures de récolte de renseignements s’améliorèrent fortement et une plus grande autonomie fut accordée aux commandants sur le terrain. La Résistance Islamique combina dorénavant techniques de guérilla et de guerre conventionnelle, alterna l’usage d’artillerie lourde et légère, et fit preuve d’une impressionnante mobilité (utilisant parfois des motos), ce qui lui assura plusieurs succès militaires et lui attira de plus en plus d’adhésion sur le plan national. Le déclenchement par Israël des opérations « Pour Solde de tout Compte » (1993) et « Les Raisins de la Colère » (1996), loin de « nettoyer » la région, eut plutôt pour effet de consacrer la légitimation nationale et internationale (surtout suite au premier massacre de Qana) de l’action armée du Hezbollah. L’évolution du taux d’attaques menées par la Résistance Islamique au fil des années 1990 constitue un indicateur net de sa constante professionnalisation : 19 en 1990, 187 en 1994, 300 par mois dans les derniers mois de 1999 et au début de l’année 2000… Peu avant le retrait israélien de mai 2000, le ratio de victimes respectives (libanaises et israéliennes) s’amenuisa sensiblement en faveur du Hezbollah, passant d’un rapport de 5 pour 1 à un rapport de 3 pour 1.3 Ehud Barak finit par ordonner le retrait unilatéral du Liban le 25 mai 2000. L’Etat d’Israël avait alors perdu plus de 1.000 soldats au Liban. A l’échelle historique, aucun gouvernement arabe n’était parvenu à repousser Israël par la force. Ce jour procura du coup au Hezbollah la sympathie d’une écrasante majorité au sein du monde arabe, et renforça auprès des jeunes palestiniens la conviction que la résistance armée était le meilleur moyen de venir à bout de l’occupation israélienne. Talonnant le repli de Tsahal, le Hezbollah déploya rapidement sa composante armée dans la zone libérée du Sud-Liban, et y installa tout un dispositif de tunnels (atteignant jusqu’à quarante mètres de profondeur), reliant environ six cent dépôts d’armes (dont des leurres), bunkers fortifiés (parfois climatisés), postes d’observations et positions de tir. Le retrait israélien, quasi-total, poussa le commandement militaire de la Résistance Islamique à repenser sa stratégie selon deux axes. (1) Dès le mois d’octobre 2000, le parti lança d’une part une campagne d’« opérations de rappel » (‘amaliyyāt tadhkīriyya) visant à libérer les hameaux de Chebaa et quelques autres parcelles moins connues. Ses combattants entamèrent ainsi une guerre d’usure -ou guerre de basse intensité- qui dura six ans. (2) La Résistance Islamique décida, d’autre part, d’augmenter son arsenal et d’allonger la portée de ses tirs (passant de 2 km avec les missiles « Sagger » et « Spigot » à plus de 200 km avec les missiles « Zelzal 2 »). La guerre de juillet 2006 a définitivement marqué l’entrée du Hezbollah dans la catégorie des poids lourds armés. Tant la littérature engendrée par cette sixième guerre israélo-arabe, que les conclusions de la Commission Winograd, ont en effet confirmé l’efficacité de la techno-guérilla du Hezbollah et la défaite de Tsahal dans le cadre de son opération « Punition adéquate ».4 L’efficacité de la composante armée du Hezbollah peut notamment s’expliquer par la modernisation systématique de son matériel militaire. Mais 3 NOE, N. (Ed.), Voice of Hezbollah: The Statements of Sayyed Hassan Nasrallah, Trad. Elen Khoury, Londres, Ed. Verso, 2007, pp. 7-8. 4 ACHCAR, G. & WARSCHAWSKI, M., La Guerre des 33 Jours : La Guerre d’Israël contre le Hezbollah au Liban et ses Conséquences, Paris, Ed. Textuel, Coll. « La Discorde », 2006. 4 pour parler d’une véritable puissance de feu il faudrait tenir compte de la quantité d’armes que représente l’arsenal existant, de son pouvoir de destruction et de sa capacité de reconstitution. En fait, en termes militaires, la puissance de feu du Hezbollah reste relativement dérisoire, mais elle a une fonction dissuasive. Elle est importante psychologiquement et donc in fine politiquement. Il convient de noter en outre que Tsahal a essuyé une défaite sur le plan militaire en 2006, sans que le Hezbollah n’ait eu pour autant recours à ses armes les plus modernes. La ville de Haïfa a été atteinte pour la première fois (depuis la première guerre du Golfe) ; Tel-Aviv a tout à craindre en cas de nouveau conflit. La victoire militaire (relative) du Hezbollah en 2006 s’explique plutôt par la qualité de ses ressources humaines. Tout d’abord, les troupes de la muqāwama (résistance) sont, pour beaucoup d’entre elles, dépositaires d’une expertise militaire double. Ses hommes bénéficièrent en effet dans un premier temps d’une véritable école de guerre à travers les camps d’entraînement de l’OLP au Liban ; à partir de 1982, ils furent encadrés par l’élite militaire iranienne, les pasdaran. Principalement issus des milieux populaires de la Bekaa et du Sud-Liban, ces combattants seraient aujourd’hui au nombre de 30.000 individus5, et potentiellement beaucoup plus nombreux en fonction du nombre d’unités territoriales activées à un moment donné. La plupart du temps autochtones, des liens personnels, localistes et familiaux contribuent à leur cohésion. L’opérationnalité au départ du domicile, les engagements menés par de petites unités, la pratique du secret (même au sein du cercle familial), et le recours à des ruses circonstancielles (usage d’uniformes israéliens notamment), sont autant d’éléments qui les rendent difficiles à détecter. Religieusement endoctrinés par rapport à la doctrine du « gouvernement du théologien-juriste » (wilāyat al-faqīh) de l’Ayatollah Khomeïni, politiquement engagés vis-à-vis de la cause de la résistance, et souvent socio-économiquement dépendants des institutions du parti, ce n’est pas au niveau de la motivation ou de la détermination que le point faible des hommes de la Résistance Islamique semble se situer, bien au contraire. Si l’échange de prisonniers de 2008 a marqué la fin du chapitre de la guerre de 2006 selon Hassan Nasrallah, le Hezbollah n’en estime pas moins que la décision israélienne de mener une nouvelle guerre contre le Liban a déjà été prise, et que le seul élément non connu est la date du début de l’affrontement réel, ce qui explique son empressement à reconstituer -et même à augmenter- son arsenal depuis la fin des hostilités. Lors du « rallye de la victoire » qui a réuni plus d’un million de personnes dans la banlieue sud de Beyrouth au lendemain de la guerre, Hassan Nasrallah a affirmé publiquement que la Résistance Islamique disposait de plus de 20.000 roquettes. Les estimations contemporaines tournent en général autour de 50.000 pièces. c. Le dilemme syrien ou le Hezbollah extra muros Lorsque les soulèvements du « printemps arabe » ont commencé à réellement changer le paysage politique de la région, le Hezbollah s’en est d’abord réjoui puisque ceux-ci faisaient chuter des régimes avant tout considérés comme alliés d’Israël. Certains cas, comme celui du Bahreïn, cumulant la revendication religieuse (chiite) aux revendications de justice sociale, ont même provoqué un engouement tout particulier au sein du leadership du mouvement. Mais le Hezbollah s’est retrouvé piégé par sa propre logique anti-oppression à partir de mars 2011, lorsque des étincelles de protestation se sont manifestées dans la région du Hauran syrien. La question s’est ainsi progressivement posée, au sein du Hezbollah, de savoir jusqu’où soutenir le régime de Damas. Le débat, bien qu’il se soit réellement posé en 2011, semble avoir été tranché vers mai 2012. A partir de cette époque, le parti s’est en effet vu contraint de multiplier les funérailles de jeunes miliciens morts « dans l’exercice de leur devoir de jihad ». Une frange de l’opposition syrienne a alors violemment réagi, en enlevant notamment plusieurs pèlerins chiites libanais qui rentraient en bus d’Iran via la Syrie. Depuis lors, l’implication du Hezbollah dans la crise syrienne n’est devenue que plus visible, avant de culminer lors de la « bataille de Qusayr » qui s’est déroulée entre 5 BARTHET, E., « Une manipulation du Hezbollah n’est pas à exclure », in Le Monde, 08/01/2009. 5 avril et juin 2013. Cette offensive, qui a marqué un regain de confiance et de force pour le régime syrien, a vu le Hezbollah envoyer approximativement 3.000 hommes – les estimations oscillent entre 1.500 et 5.000 individus – se battre dans la région se trouvant au sud-ouest de Homs, afin de protéger plusieurs villages chiites des factions jihadistes sunnites comme Jabhat Al-Nusra. Dans la mesure où les alentours de Qusayr constituent un continuum régional (liens communautaires, familiaux, commerciaux, etc) avec les villages se trouvant au nord-est de Hermel du côté libanais, la Résistance Islamique a pu s’y déployer tout en maintenant quelque part l’avantage habituel de se battre « sur son propre terrain ». Il est en effet notoire que les jeunes hommes originaires de la Bekaa septentrionale, région particulièrement pauvre, constituent la majorité des troupes du Hezbollah. Si l’épisode de Qusayr semble, à l’heure actuelle, avoir permis à Damas de reprendre le dessus du conflit sur le plan militaire, le Hezbollah a toutefois perdu plus d’une centaine de combattants et une partie non négligeable de son prestige post-2006 pour la cause. En effet, de plus en plus de voix libanaises – notamment chiites – se sont récemment élevées contre cette distorsion de la cause résistante, en principe exclusivement tournée vers le front sud. L’Etat hébreu, s’étant pour sa part « contenté » de bombarder très sporadiquement des convois d’armes destinés au Hezbollah sur le territoire syrien, reste vigilant et observe un Hezbollah en grand écart idéologique. d. Le statut de l’arsenal et le Dialogue National Le statut des armes du Hezbollah, tantôt présentées comme garantes de la liberté du peuple libanais vis-àvis des desseins sionistes et tantôt fustigées comme la source-même de tous les maux nationaux, est devenu la question qui divise le pays du cèdre par excellence. Pour le Hezbollah, ces armes ont permis la double libération d’une grande partie de la communauté chiite vis-à-vis des exactions (de l’OLP) et des occupations israéliennes ; elles symbolisent aussi le seul espoir de libérer un jour tout le Liban (notamment les fermes de Chebaa) et de contribuer à mettre un terme au conflit israélo-palestinien en « rééquilibrant la terreur ». En revanche, pour ses opposants, ces armes sont la preuve la plus flagrante d’un Etat fragilisé, bafoué et d’une nation tenue en otage au nom d’une cause pas nécessairement partagée ; elles trahissent un rapport de forces intercommunautaire de plus en plus déséquilibré, carrément menaçant. Jusqu’en 2005, l’arsenal pouvait être critiqué mais les quelque 20.000 soldats de l’armée syrienne présents sur le territoire libanais (depuis 1976) imposaient de fait un statu quo vis-à-vis de cet élément central de l’agenda de la résistance. Mais le retrait syrien initié suite à l’assassinat de Rafiq Hariri a notamment poussé le Liban à réaliser qu’il ne disposait pas de stratégie de défense nationale. Ce constat a alors encouragé les différentes forces politiques à lancer un « Dialogue National » autour de l’idée d’intégrer la Résistance Islamique à l’armée régulière. Restée inefficace à ce jour, cette initiative s’est rapidement transformée en une arène où les ténors du 14 mars tentent de désarmer un Hezbollah de plus en plus intransigeant vis-à-vis du maintien de son arsenal en marge du contrôle de l’Etat.6 La nature « hétérarchique » de la Résistance Islamique7, incompatible avec une hiérarchie militaire traditionnelle, rend de toute façon ce projet quelque peu illusoire. Tout le monde réalise en effet que la refonte de la Résistance Islamique au sein de l’armée rendrait cette force aussi vulnérable que les autres armées arabes de la région du Levant, tour à tour défaites par Tsahal. La stratégie nationale intégrée de Défense, bien qu’envisagée sur le plan théorique, semble donc loin d’être prête à se concrétiser, d’autant plus que les 6 7 Voir KHRAICHE, D., “Nasrallah: Alternative to dialogue is chaos”, in The Daily Star, 07/08/2012. Voir LEROY, D., Hezbollah, la résilience islamique au Liban, Paris, Ed. L’Harmattan, 2012. 6 Etats-Unis soutiennent de plus en plus matériellement l’armée libanaise dans le but de contrebalancer la puissance du Hezbollah8. III. Le Hezbollah et la paix a. Les préconditions nationales au « désarmement » Hassan Nasrallah a affirmé à plusieurs reprises que son parti déposerait les armes « après (1) la restitution de Chebaa, (2) la libération de tous les prisonniers libanais détenus en Israël, et (3) des garanties de la part de la communauté internationale qu’Israël n’attaquerait plus le Liban… en cessant l’agression, on cesse la résistance ».9 La « politique » de libération de Jérusalem semble ici être reléguée au plan de la propagande, les objectifs officiels ayant tous attrait à la souveraineté nationale du Liban.10 Cette rhétorique précisée a le mérite d’être claire au niveau des deux premières conditions qu’elle évoque, mais pose un problème d’ambiguïté interprétative évident au niveau de la troisième, dans la mesure où aucun acteur ne peut prétendre fournir de telles garanties.11 Le paradoxe de la Résistance Islamique réside dans le fait qu’elle soit devenue un mouvement de guérilla extrêmement fort, tout en ayant vu sa raison d’être progressivement érodée. Si celle-ci est ressortie de la guerre de 2006 fraîchement accréditée, elle a payé le prix fort puisqu’elle a perdu son autonomie militaire au Sud du fleuve Litani, où se sont déployées l’armée libanaise et la FINUL renforcée. Le mandat de cette dernière consiste notamment à vérifier l’absence d’armes dans sa zone d’opération, ce qui a contraint le Hezbollah à reconfigurer la sienne. Un nouveau « front » a ainsi été aménagé au départ de la rive septentrionale du Litani, subtilement relié aux zones d’influence du parti dans la Békaa. La création de ce deuxième front, si elle a suscité des plaintes d’ordre immobilier notamment, n’a toutefois pas provoqué de vraie contestation libanaise, dans la mesure où ce front restait orienté vers le sud et vers l’ennemi israélien. Les choses se sont en revanche compliquées lorsque la Résistance Islamique a commencé à opérer en territoire syrien et à combattre d’autres musulmans. b. Le poids de l’agenda régional L’agenda du Hezbollah, aussi national soit-t-il la plupart du temps, est inextricablement lié aux alliés régionaux du mouvement – le fameux « axe du refus » – et aux combats que ceux-ci traînent dans leur sillage. Tout d’abord, le Hezbollah est directement concerné par le conflit israélo-palestinien. Sa base électorale, largement constituée de chiites du Sud-Liban, est en effet la tranche de la population libanaise qui a le plus fait les frais des vagues de réfugiés palestiniens depuis 1948, des opérations militantes de l’OLP et des campagnes militaires israéliennes. Le mouvement a largement construit son discours autour de la cause palestinienne et gère aujourd’hui un vaste réseau de relations avec les différentes sensibilités politiques présentes dans les douze camps de réfugiés établis au Liban. Même si le contentieux israélo- 8 Voir la presse libanaise du 30/06/2010. Voir ALAGHA, J., « Hizballah after the syrian Withdrawal », op. cit., p. 37. 10 Voir TARRAF, S. « Les Fermes de Chebaa », in MERMIER, F. & PICARD, E. et alii, op. cit., p. 166. 11 Voir « Hizbollah and the Lebanese Crisis », International Crisis Group (ICG), Middle East Report N°69, Beirut/Brussels, October 2007, p. 3. 9 7 libanais parvenait à être résolu, le Hezbollah pourrait très difficilement se désengager vis-à-vis de ce dossier régional plus large. Cette communauté chiite qui vote massivement pour le Hezbollah est aussi historiquement, économiquement et doctrinalement liée à ses coreligionnaires de la République Islamique d’Iran.12 La ligne farouchement anti-israélienne des années Ahmadinejad a conforté le Hezbollah dans sa lecture dichotomique du monde (oppresseurs vs opprimés), et le dossier sans fin du nucléaire ne semble pas présager de changement pour bientôt. Ici encore, l’éclairage régional assombrit la toile nationale en termes de perspectives de paix. Enfin, il ne faut pas oublier que le mouvement a fait son apparition dans un Liban marqué par une présence militaire syrienne conséquente, et qu’après quelques années de violentes confrontations avec le mouvement Amal (alors soutenu par Damas), le Hezbollah a été contraint faire liste commune avec celuici et a pu poursuivre son développement uniquement grâce à l’assentiment du régime baathiste en Syrie. Ceci permet de comprendre mieux pourquoi Hassan Nasrallah a fait le choix de rester lié politiquement et stratégiquement à la personne de Bachar el-Assad. Le poids de ces différentes allégeances idéologiques ou stratégiques constitue un fardeau particulièrement lourd pour un Hezbollah somme toute relativement « modeste », une fois considéré à l’échelle régionale. C’est bel et bien dans sa dimension régionale que l’agenda de la résistance révèle sa complexité, parfois son incohérence, et donc finalement sa vulnérabilité. c. Blacklisting : un pas en arrière pour la paix La perception de l’arsenal du Hezbollah a fortement évolué au fil du temps, sur les plans national et international. A l’échelle libanaise, les victoires remportées sur l’ennemi sioniste ont lentement abouti à un consensus national sous les gouvernements de Rafiq Al-Hariri, affirmant la légitimité de la Résistance Islamique. Mis à mal durant la crise politique qu’a traversée le Liban à partir de décembre 2006 et par la « prise de Beyrouth » en mai 2008, ce consensus a tant bien que mal été réaffirmé politiquement au travers de la déclaration ministérielle du mois d’août 2008, suite à l’accord de Doha. Notons au passage que la présidence de la république libanaise a en outre toujours soutenu les activités militaires du Hezbollah.13 A l’échelle internationale pourtant, la Résistance Islamique est la raison souvent invoquée pour continuer à considérer le Hezbollah d’aujourd’hui comme une organisation terroriste. C’est notamment la position d’Israël, des Etats-Unis, du Canada et de l’Australie. Depuis juillet 2013, l’Union Européenne a partiellement rejoint cette opinion en ajoutant la branche armée du Hezbollah à sa propre « black list ». Si Bruxelles a officiellement argumenté sa décision en invoquant une implication dans l’attentat de Burgas (Bulgarie) en 2012 et des activités d’espionnage sur le territoire chypriote, bon nombre d’observateurs se rejoignent pour avancer que c’est plutôt le rôle joué par le Hezbollah dans la crise syrienne qui a mené à cette décision. Quoi qu’il en soit, celle-ci — aussi symbolique soit-elle – aura inévitablement un impact sur le Hezbollah. Les répercussions se feront dans tous les cas ressentir dans sa relation avec l’UE (et 12 Voir CHEHABI, H. E. (Ed.), Distant Relations: Iran and Lebanon in the last 500 Years, Londres, IB Tauris Publishers, Center for Lebanese Studies, 2006. 13 Voir PICARD, E., « Le Hezbollah, milice islamiste et acteur communautaire pragmatique », in MERMIER, F. et PICARD, E. et alii, op. cit., pp. 84-94, p. 88. 8 notamment avec les contingents européens de la FIINUL déployée au Sud-Liban) et dans son rapport au peace-building (cet alignement de l’UE avec les USA et Israël notamment renforçant encore davantage la lecture dichotomique du monde que propose le Hezbollah). IV. Le Hezbollah et la mémoire a. Un auto-récit imprégné de résilience Il est important de noter que le Hezbollah œuvre déjà depuis de nombreuses années à écrire et à transmettre sa version de l’Histoire libanaise par différents biais. Ce discours, plus islamisant par-ci et plus nationaliste par-là, relayé par un support tantôt traditionnel et tantôt très « hi-tech », à la fois proche de sa base électorale et accessible par la « diaspora » internationale, se module en fonction de l’âge, du niveau social, des aspirations politiques et de la situation géographique de son public. Entretenant l’« atmosphère Hezbollah » vers l’intérieur ou défendant sa cause vis-à-vis de l’extérieur, le message résistant y est le dénominateur commun, omniprésent. Cette notion de résistance (muqāwama), exploitée avec une intensité inhabituelle dans le lexique du Hezbollah, véhicule un concept plus fort que la « résistance » de la langue française. Notre recherche doctorale a permis de révéler que le Hezbollah mobilise en fait davantage le concept de « résilience » (capacité de résister ET de se développer en dépit de l’adversité), à travers son idéologie et tout particulièrement dans son auto-récit.14 En effet, l’auto-récit du Hezbollah présente d’une part très clairement la séquence tripartite que pose la théorie de la résilience telle que l’a élaborée la psychologie. (1) Une phase de désolation, dont l’initialisation est historiquement assimilée à la création de l’Etat d’Israël en 1948, atteint l’horreur traumatique en 1982, année de la seconde invasion israélienne du Liban. (2) S’ensuit une phase de lente réparation, longue de dix-neuf années et symbolisée par la progressive récupération du territoire national par le biais de la résistance armée (jihad). (3) Enfin, une phase de triomphe voit le jour suite au retrait de Tsahal en 2000, et est réaffirmée avec force suite à la « victoire divine » de 2006. D’autre part, les textes « historiques » du Hezbollah – ceux qui lui ont donné l’occasion de se retourner sur sa propre histoire – présentent quant à eux les caractéristiques de la résilience telle que la science politique l’a théorisée dans le cadre des « resilience-based policies » : (1) ils mettent les forces -et non pas les faiblesses- en emphase, (2) ils visent à créer un environnement propice aux familles résilientes, (3) ils incorporent les facteurs de protection de la communauté qu’ils visent, (4) ils s’adressent à l’ensemble de la population, et ne se limitent pas aux plus vulnérables, (5) ils sont flexibles et prennent en considération les différents types de familles, les cultures et les normes, et (6) ils s’efforcent de créer des évènements qui favorisent la résilience. Ce que l’« idéologie résiliente » du Hezbollah nous enseigne surtout, c’est que la pièce en trois actes (dévastation – reconstruction – triomphe) à laquelle elle donne lieu suggère en principe un aboutissement à la lutte, aboutissement qui ne peut être que réalistement national et pacifique vu le poids régional modeste du mouvement. Le Proche-Orient reste un océan sunnite sur le plan démographique. b. Visite guidée du complexe de Mlita 14 Voir LEROY, D., Hezbollah, la résilience islamique au Liban, Paris, Ed. L’Harmattan, 2012. 9 Le Hezbollah s’est attaché, depuis sa création, à développer une vaste stratégie communicationnelle afin de diffuser cette « idéologie résiliente ». Au-delà des relais médiatiques traditionnels (presse, radio, télévision, etc), il a ainsi investi la sphère cybernétique avec de nombreux sites web et même des jeux vidéos. Ne se contentant pas d’exploiter les technologies modernes, le Hezbollah a fait preuve d’une imagination assez surprenante pour continuer à « se raconter » par le biais de supports diversifiés. La dernière entreprise en date du mouvement n’est rien de moins qu’une ancienne base de la Résistance Islamique transformée en musée à ciel ouvert du Hezbollah, située dans la localité de Mlita au sud-est de Saïda. Erigé sur une colline qui a été patiemment creusée de tunnels pendant la guerre civile et qui offre un panorama sur la région, le complexe s’étend sur 60.000m² de jardins, comprend 4.500m² de surface bâtie et 2.000 places de parking, en attendant l’ouverture d’un hôtel et d’un restaurant attenants. Inauguré à l’occasion des 10 ans de la libération du Sud-Liban en mai 2010, le lieu propose une certaine lecture de l’Histoire du pays et tente surtout d’accueillir la jeunesse libanaise vivant plus au nord du pays et qui n’a bien souvent jamais été en contact avec le vécu de cet « autre Liban ». Après un mot de bienvenue audiovisuel adressé par Hassan Nasrallah en personne dans le cinéma local, la visite des lieux (et des armes exposées) se propose d’être guidée par un membre de la Résistance Islamique, avant de se clôturer par un moment de recueillement devant une stèle érigée à la gloire des martyrs. Toute l’ambiguïté de cette vaste entreprise réside bien entendu dans le fait qu’elle glorifie un type bien précis de combattant et pas le citoyen libanais avec un grand « C », qu’elle prône une cause résistante avant tout teintée de religion musulmane chiite même si le drapeau national est également brandi, bref qu’elle ne livre qu’une seule facette d’un pays-mosaïque. V. Conclusion : Le Liban un jour en paix ? Malgré ses nombreuses disparités, la société libanaise est traversée par un consensus assez net vis-à-vis de la guerre civile et semble vouloir tourner définitivement la page de ce conflit qui a déchiré le pays entre 1975 et 1990. Ce triste épisode a néanmoins laissé des cicatrices très profondes, notamment en ayant opéré un repli communautaire et un cloisonnement géographique encore présents. Si l’état officiel de guerre avec Israël constitue une autre ligne de force de l’identité nationale, il convient de noter que les détracteurs du Hezbollah reprochent régulièrement à celui-ci de maintenir le pays du cèdre dans un climat d’insécurité au nom d’une résistance qui n’est plus perçue comme légitime. Force est de constater que si les succès militaires de la Résistance Islamique lui ont progressivement permis de faire l’objet d’un soutien populaire croissant au Liban, son idéologie religieuse l’empêche de véritablement « parler » à une grande partie de la population non-chiite. L’idéologie politique du parti, centrée autour de la notion de résistance, a quant à elle fait les frais du « printemps arabe » qui a relégué cette cause au second plan, après celle de la révolution.15 Il convient en outre de noter que la crise syrienne, ayant vu l’émergence d’une mouvance salafiste jihadiste difficilement quantifiable mais importante, a sensiblement fragilisé le Hezbollah à travers un risque accru de fitna (discorde intramusulmane) au Levant. Si une paix reste techniquement et idéologiquement atteignable entre Israël et le Liban – plus particulièrement entre Israël et le Hezbollah –, les allégeances de ce dernier vis-à-vis de ses alliés régionaux risquent de l’empêcher à terme de réellement pouvoir prôner une paix durable au Proche 15 Voir POILLARD, N., « Résistance et/où révolution : un dilemme libanais face à la crise syrienne », Carnets de l'IFPO - La recherche en train de se faire à l'Institut français du Proche-Orient, 11 janvier 2012, http://ifpo.hypotheses.org/2833. 10 Orient. Par ailleurs, les signaux occidentaux à l’égard de la Résistance Islamique – dont le blacklisting européen – n’aident pas à tirer un bilan plus optimiste pour l’avenir. Au-delà de ces considérations, il reste à établir si et comment le Hezbollah peut parvenir – ou ne pas parvenir – à opérer un jour sa propre pacification des mémoires, à la fois vis-à-vis de son voisin israélien et vis-à-vis des Libanais qui ne partagent pas sa vision des choses. Actuellement, le musée de la résistance à Mlita est sans doute l’endroit le plus propice pour s’interroger à ce sujet. La « muséohistoire » du Hezbollah reste encore à être étudiée davantage, mais je peux néanmoins déjà vous relater que la découverte des lieux dont il est ici question, au-delà de la stupéfaction qu’elle provoque instantanément, laisse le visiteur doublement dubitatif. D’une part, le sentiment inquiétant qui y exprimé vis-à-vis de l’ennemi ne laisse présager aucun règlement facile du contentieux transfrontalier, et n’annonce en tout cas pas encore de phase de « devoir d’oubli » en vue d’une réconciliation ultérieure. Le Hezbollah rejoint ici parfaitement l’adage latin « Si vis pacem, para bellum » en prônant un Liban militairement fort, dissuasif (ce qui reflète tout à fait la doctrine israélienne par ailleurs). D’autre part, le site illustre une pénultième fois le principal défi du Liban : réunir la multiplicité communautaire sous un récit historique commun, seul garant d’une paix durable. Mlita est à ce stade-ci un lieu de mémoire qui illustre le roman militaro-national que le Hezbollah s’efforce d’écrire. Ce même lieu pourrait peut-être un jour se voir remodelé en lieu de pacification des mémoires. Pour l’instant, il n’est susceptible d’en pacifier que certaines. 11