Diambars : à l`école modèle du football africain
Transcription
Diambars : à l`école modèle du football africain
société • • • française qui allie la pratique du sport de haut niveau et la scolarité au sein même des structures professionnelles a montré son utilité. Son avenir n’est pas sans nuage. Longtemps une incertitude a pesé sur les centres de formation : théoriquement, les jeunes joueurs étaient tenus de signer leur premier contrat professionnel dans leur club formateur. Respecté en France, ce dispositif permettait dans les faits aux clubs européens de repérer les meilleurs éléments et de les attirer sans indemniser le centre de formation. Ce risque est circonscrit : une enquête (un terme préféré à celui de « coachs »), puis collation ; 10 h 15-13 heures : cours, déjeuner, sieste (obligatoire); 15 h 15-18 heures : cours, suivis de rattrapage pour certains, 21 h 30 coucher, sauf les jours de retransmission de matches. Anglais pour tous et interdiction de parler wolof. Aucun argent ne circule. Pas de baladeurs ni de jeux électroniques : « ce sera 67 baladeurs ou rien », a proclamé Saer Seck, un des deux créateurs de l’école, soucieux d’imposer un principe d’égalité entre les jeunes. Un régime strict et en cohérence avec l’objectif poursuivi : donner à l’école la priorité sur le sport, même si, dans les têtes, le football surclasse toutes les autres préoccupations. soumis à des lois économiques impitoyables, l’efficacité doit être immédiate. Or, il est rare qu’un jeune joueur puisse être immédiatement intégré dans l’équipe première. Il doit s’aguerrir mais le temps est compté : supporters et présidents de club demandent des résultats immédiats. Metz, club formateur, descend en 2e division. Sochaux et Nantes, réputés pour leur formation, ont des saisons très inégales depuis quelques années. Le TFC, après sa remontée surprise, stagne. Il a même flirté cette année avec les dernières places… Eric Mombaerts se « Il faut veiller à ne pas brider l’imagination de nos jeunes. Après cinquante ans de football, je suis toujours incapable de donner des recettes. Une situation de match ne se répète jamais à l’identique. La réflexion est en tout cas indispensable. » prend à douter : « Depuis la fin des années 1980, les clubs de 1re division ont l’obligation de faire de la formation. Cela pourrait bien disparaître. On pourrait concevoir que la formation devienne le domaine de la 2e division où il est plus facile d’intégrer les jeunes dans l’équipe 1. Il faut être réaliste, c’est déjà ce qui se passe aujourd’hui. » Dans un sport – le plus populaire de la planète – de plus en plus gangréné par le culte du résultat et les enjeux financiers, les centres de formation à la française restent le terrain privilégié des éducateurs et des pédagogues. Jusqu’à quand ? Christian Bonrepaux A la fois un rêve et une révolte Photos : Pierre-Emmanuel Urdun disposition européenne prévoit le versement de 50000euros au club formateur par année passée au centre. Mais d’autres menaces se font jour. Les centres de formation sont accusés par leurs détracteurs de former des joueurs stéréotypés, coulés dans le même moule. Pour Daniel Jeandupeux, le risque existe. « Il faut veiller à ne pas brider l’imagination de nos jeunes. Après cinquante ans de football, je suis toujours incapable de donner des recettes. Une situation de match ne se répète jamais à l’identique. Peut-être, dans notre souci de formation, bridons-nous certaines qualités. La réflexion est en tout cas indispensable. » Plus grave, dans un monde Des locaux flambant neufs, à peine une dizaine d’élèves par classe : l’école Diambars, à Sali, offre des conditions privilégiées de formation aux jeunes footballeurs sénégalais. Diambars: à l’école modèle du football africain Au Sénégal, d’anciens footballeurs et un homme d’affaires se sont associés pour ouvrir une école-centre de formation au football. Dans des conditions privilégiées, des jeunes de tous les milieux y préparent désormais leur avenir de sportif professionnel … ou de salarié. 50 «D iambars, tu l’as connu comment ? – Ma mère a entendu parler d’un test à la radio. – Tu as des frères et sœurs ? – J’ai une grande sœur de 19 ans qui travaille et une petite de 7 ans. – Et ton père, que fait-il ? – Mon père, il est en Italie. Il va et il vient. – Dans quelle ville, en Italie ? (Les yeux riboulants s’éclairent.) – Juventus ! » A l’école Diambars (« les guerriers » en langue wolof), les villes portent le nom des clubs de foot, Turin, c’est la Juve, et les 67 «pensionnaires» sont tous habillés en Adidas (le sponsor principal), bleu ou blanc selon les jours, tous rasés (chaleur oblige). Ces champions en herbe sont âgés de 13 à 17 ans. Ils viennent de toutes les régions du Sénégal, dont une assez forte proportion de Dakar. Comme Mor, dont le père «va et vient» entre l’Italie et le Sénégal, ils ont «entendu parler» de «l’institut» à la radio ou à la télé. Comme Alij Sileymane Ny, 16ans, même regard mobile et intelligent, qui raconte une histoire devenue l’emblème de l’école. Celle d’un enfant talibé, qui fréquentait l’école coranique depuis l’âge de 7ans. Un jour qu’il mendiait, il remarque à la télévision «une publicité» sur Diambars. Après force débrouillardises, il réussit à se présenter aux tests autrement qu’en guenilles. «Le marabout ne voulait pas me laisser partir », Juin 2006 ■ Le Monde de l’éducation Le Monde de l’éducation ■ Juin 2006 raconte-t-il. Il a fallu parlementer et Alij est là maintenant dans toute la vitalité de ses 16ans. Lui qui ne savait ni lire ni écrire, qui ne parlait que le wolof, comprend et s’exprime en français, a attaqué l’anglais sans complexes, soigné sa peau d’enfant des rues… Ce n’est pas le passé de la majorité des pensionnaires, mais nombreux sont ceux qui, avant de rejoindre Diambars, «ont connu un seul repas par jour et retrouvent ce régime pendant les vacances, quand ils retournent dans leurs familles», assure Iba (Ibrahima Diagne), surveillant général qui fait office de confident auprès de ces jeunes. Tous suivent le même programme rigoureux concocté par les fondateurs : 7 heures9heures, entraînement par les «éducateurs» Avant de devenir le premier centre de formation africain reposant sur un projet scolaire, Diambars concrétise un rêve et une révolte partagés par Jimmy Adjovi-Boco, béninois d’origine, français de nationalité, très attaché au Nord en tant qu’ancien joueur de l’équipe de Lens (Pas-de-Calais), Bernard Lama, ancien gardien de but de l’équipe de France et jeune retraité en Guyane, son « pays » d’origine, et Saer Seck, un homme d’affaires sénégalais qui a connu une brève carrière footballistique dans son pays. Si Jimmy Adjovi-Boco et Bernard Lama en sont les âmes, Saer Seck, alias « Présid », surnom respectueux dont l’affuble l’équipe, incarne l’autorité. Lama n’a pas fait d’études mais les deux autres sont diplômés de l’enseignement supérieur – Jimmy Adjovi-Boco est un ancien de Sup de co-Lille. Tous ont le foot en partage. Cherchent par-dessus tout à «faire quelque chose» sur le continent noir. Sont écœurés par la triche généralisée sur l’âge des joueurs (des minimes se faisant passer pour des juniors, c’est courant), attristés par l’exil des jeunes talents, peinés par ces jeunes devenus errants quelque part en Europe quand ils échouent à réaliser une carrière internationale. Sachant que l’Afrique pâtit au moins autant de la fuite des cerveaux que de la fuite des joueurs, ils associent d’emblée sport et éducation. Diambars est à la fois un club qui licencie et une école. Car les promoteurs de ce foot éthique savent bien que, « au mieux, 20 % à 30 % d’entre eux seulement, si on a bien travaillé, parviendront à faire carrière dans le foot, les autres doivent pouvoir accéder à un métier qualifié, ici en Afrique », espère Jimmy AdjoviBoco. Diambars s’engage donc à garder les jeunes pendant cinq ans de scolarité • • • 51 société enquête Jimmy AdjoviBoco, ancien joueur de Lens, est l’un des membres fondateurs de Diambars. ils prévoient la création d’une structure «pour commercialiser nos infrastructures ». Un des bâtiments sera consacré à des activités, du type séminaires d’entreprise ou conférences, qui mettront à contribution les parrains célèbres de l’école tels que Patrick Viera et Bernard Lama. Le milieu de terrain de la Juventus et l’ancien gardien du PSG ont investi leurs deniers dans l’école. Ils ont couvé le projet dès son démarrage et sensibilisé le milieu: Thierry Henry, Emmanuel Petit ou Marcel Dessailly connaissent bien Diambars. Mais au plan financier, Diambars doit aussi beaucoup à la région Nord-Pas-de-Calais (700000euros) et au gouvernement français via le ministère de la coopération (400000euros). Un vrai projet éducatif • • • puis à les suivre dans les cinq premières années après leur sortie en leur offrant une formation professionnelle. Contre-modèle absolu, brandi par les éducateurs, les professeurs et les directeurs réunis : le joueur sénégalais El Hadj Diouf, qui pèse « des centaines de milliers de francs CFA» mais peine «à aligner quelques phrases devant un micro », raconte Iba, fort de son expérience d’ancien journaliste radio. Des premières palabres sur une plage de Dakar à l’installation de l’école sur son «terrain» et dans ses murs, il va s’écouler quatre ans. Diambars s’installe à une bonne heure de Dakar, à Saly, sur la petite côte, plus connue pour ses hôtels tout compris et sa triste réputation (avérée) de prostitution juvénile, que pour ses exploits sportifs. Ce choix n’est pas anodin puisque Diambars commence à être fréquenté par la crème du foot mondial, en tournée ou en vacances, toujours en quête de sang neuf: Daniel Jeandupeux, directeur spor- 52 tif de l’équipe du Mans, a fait le détour, suivi de près par l’ancien entraîneur de Strasbourg, Jacky Duguépéroux… Mais il est assumé par les créateurs de Diambars qui veulent montrer un autre visage de l’Afrique. En 2005, cinq bâtiments flambant neufs sortent de terre: réfectoire, chambres à deux, cuisine et réfrigérateur ouverts à toute heure, D’ores et déjà, Diambars a tout d’une grande école… de foot. L’école, la vraie, celle des gommes, des crayons et des écrans, présente dès le départ dans le slogan en forme de programme –«Faire du foot passion un moteur pour l’éducation», est bien inscrite dans l’emploi du temps et a commencé à donner des résultats. Mais le projet éducatif proprement dit n’a pris vraiment corps qu’avec l’arrivée de Jean-Luc Murraciole il y a quatre mois. Professeur de philosophie, créateur du lycée Plus à Reims (Marne) –une sorte d’enclave pédagogique destinée à des élèves en grande difficulté–, éditeur (Little Big Man), concepteur de logiciels éducatifs, rien n’effraie ce touche-à-tout pédagogique de talent. Alors qu’il assure une présentation de manuels scolaires chez Microsoft, il rencontre Bernard Lama. L’affaire se noue en deux temps et trois dribbles et Jean-Luc Murraciole est promu directeur pédagogique de Diambars, seul Blanc de l’équipe. Là, tout s’enchaîne : les Nations unies repèrent Diambars, les responsables onusiens, séduits par l’alliance, porteuse dans le monde, entre l’école et le foot, décident de lui octroyer leur aide financière et leur label. Traduction : il devrait pousser des Diambars dans plusieurs endroits du globe. Sans attendre cette échéance, l’école a commencé à essaimer (voir encadré). En très peu de temps, il s’agit donc de prouver à l’Afrique et au monde que le projet tient la route. Or, dans le domaine scolaire, tout est encore à faire. Mais Jean-Luc Murraciole ne manque ni d’idées ni de projets. Le principal d’entre eux est celui de faire Juin 2006 ■ Le Monde de l’éducation Le Monde de l’éducation ■ Juin 2006 d’être recrutés. Mais les responsables fédéraux africains, qui devraient se bousculer au portillon, ne se manifestent pas. La galaxie Diambars Avant même que de profiter de l’élan des Nations unies et de son label (voir ci-contre), Diambars a commencé à essaimer. Au Sénégal d’abord. En multipliant de petits clubs dans le pays. Ces clubs n’ont pas vocation à devenir des structures d’élite, mais plutôt d’organiser, à terme, le football sénégalais sur des bases plus saines. Dans le monde ensuite, les satellites sont d’ores et déjà créés. Diambars UK a organisé des galas de charité grâce à Patrick Vieira lorsqu’il jouait à l’Arsenal ; Diambars Norway a levé des fonds pour la tournée que l’école-club organise chaque été en Europe (Espagne-NorvègeFrance) avec, au programme, matches et rencontres avec des familles, dans le Nord-Pas-de-Calais. Diambars Ghana doit mettre, grâce au joueur Anthony Baffoe, « l’Afrique anglophone dans le coup » ; Diambars South Africa et Lucas Radebé s’inscrivent dans la perspective de la Coupe du monde de 2010 dans ce pays. Quand le Sénégal deviendra, paraît-il, un passage obligé pour les recruteurs, sélectionneurs, entraîneurs en tout genre… B. P. Des conditions idéales Féroce sur le foot, la sélection –pour une promotion de 18 élèves, on compte plus de 3000candidats– est, par définition, inexistante sur le scolaire. Sana Diba, 17ans, élève de 3e, avant-centre, se souvient avoir été «le seul qui a été pris sur 60 », et ce dans la deuxième partie des tests, qui durent une semaine entière. Ce jeune Casamançais fréquentait l’école mais s’arrêtait en chemin pour taper dans le ballon. Un peu moins peut-être que Pape Alassane Ndiaye, arrière gauche, 15ans, et inscrit en 6e : «Je disais à mon père que j’allais à l’école, mais en fait j’allais au foot.» Rien à voir avec Maïssa Diop qui, au même âge, est inscrit en 2de après avoir fréquenté un collège privé et se voit bien «gestionnaire» à défaut de footballeur professionnel. Si le niveau est globalement mauvais, les conditions de travail, elles, permettent aux enseignants de rattraper ces retards. Affectés chacun pour une poignée d’heures à Diambars, ils bénéficient d’effectifs de rêve: avec 12élèves, la classe de 4e est la plus chargée ! Hétérogènes en âges, leurs élèves sont regroupés par niveau, de F1 pour ceux qui ne savent ni lire ni écrire, à la classe de 2de. Avec Dans deux ans déjà, les premiers joueurs professionnels sont susceptibles suivi médical et diététique digne de joueurs professionnels. L’ensemble a été dessiné par une architecte africaine, Ramatoulaye Diagne Sall Sao, et représente un terrain de football. Un dôme central en forme de ballon (non encore construit) qui sera utilisé comme salle de conférences. Car Jimmy Adjovi-Boco et Saer Seck entendent faire de Diambars une entreprise rentable à moyen terme. Pour cela, travailler les élèves et les professeurs sur Internet, grâce à un site entièrement conçu pour les besoins de l’école. Le site privilégie une approche totalement interdisciplinaire en partant des préoccupations des jeunes. Une révolution pédagogique qui risque d’ébranler les 17professeurs (vacataires pour la plupart) affectés à Saly. Car si l’entraînement footballistique est pensé dans ses moindres détails par une équipe franco-sénégalaise soudée d’une quinzaine de «coachs», Diambars n’a pas cassé les rigidités traditionnelles de l’école africaine: théorisation excessive, travail en petits groupes inexistant, suivi du programme à la lettre et exigence de tout «parcœuriser» selon le mot d’Abdoulaye, un élève de 5e, le tout sous la houlette d’un surveillant général appelé «le préfet». A la décharge des professeurs, le niveau des élèves n’est pas fameux. « Nous héritons d’élèves en rupture de scolarité. Ne faut-il pas faire quelque chose sur les conditions d’accès?», s’interroge Sylla Cheikou. Ce professeur de SVT s’est concerté avec une quinzaine de ses collègues, un dimanche, pour réfléchir à l’avenir, à la demande de Jean-Luc Murraciole. Recrutés sur le foot, ces jeunes représentent comme un défi pour les profs : celui de « donner à boire à des ânes qui n’ont pas soif », comme le résume Ousmane Diane Nbour, professeur d’anglais. ses projets pédagogiques décoiffants (tutorat entre élèves, travail transversal sur les disciplines, appui d’un outil informatique performant, mise en œuvre d’un potager façon Freinet, etc.), Jean-Luc Murraciole veut mettre les bouchées doubles en décuplant les forces des professeurs. Son premier acte, à Saly, a été d’organiser une initiation à l’anglais pour les employés. Fatou la lingère, Kiné affectée à la cuisine, le chauffeur, le gardien, plusieurs dames chargées du nettoyage: cinq femmes et deux hommes attaquent ce vendredi leur cinquième cours d’anglais dans la bonne humeur après leur journée de labeur. Rien de démagogique à cela, mais juste l’idée simple que ces personnes seront elles aussi au contact des activités économiques de Diambars. Dans deux ans déjà, les premiers joueurs professionnels sont susceptibles d’être recrutés. Mais les responsables fédéraux africains, qui devraient se bousculer au portillon, ne se manifestent pas. Les dirigeants de Diam- bars feignent, pour l’instant, de s’en moquer. « Ils nous snobent », dit l’un. « On parle de choses qui fâchent, comme la triche », dit l’autre. Pour montrer sa détermination, l’école est allée jusqu’à exclure un jeune garçon qui avait menti sur son âge. Alors, trop riche Diambars ? Trop donneurs de leçons ses dirigeants ? Trop gâtés ces jeunes joueurs ? C’est vrai que les locaux ont de quoi faire pâlir d’envie les enseignants du nouveau collège de Saly, installés, eux, dans un bâtiment gris, sans âme, planté au milieu d’un terrain vague. Rien de misérable certes, mais quel contraste avec Diambars ! Le principal, «Monsieur Pour Sene», est d’ailleurs venu en délégation pour évoquer « les collaborations possibles » entre les deux établissements. De l’éclat et de la richesse de Diambars, il espère bien ramasser ne serait-ce que quelques miettes. De notre envoyée spéciale à Saly, Brigitte Perucca 53