Jacques Prévert est un pacifiste. En témoigne le merveilleux poème

Transcription

Jacques Prévert est un pacifiste. En témoigne le merveilleux poème
Jacques Prévert est un pacifiste. En témoigne le merveilleux poème « Quartier Libre » :
J’ai mis mon képi dans la cage
Et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête
Alors
on ne salue plus
a demandé le commandant
Non
on ne salue plus
a répondu l’oiseau
Ah bon
excusez-moi je croyais qu’on saluait
a dit le commandant
Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper
a dit l’oiseau
Dans Barbara, poème extrait lui aussi du recueil Paroles, Jacques Prévert a choisi d’exprimer ce
message pacifiste autrement, non plus par l’humour, mais par un lyrisme discret, se déployant en
spirale, un peu par plans cinématographiques, jusqu’à l’explosion finale de tristesse contenue qui
submerge le lecteur comme une douce révolte
D’abord, le poète pose son décor, la ville de Brest sous la pluie, et invoque ce prénom lumineux
comme un mantra, celui du bonheur
On croit un instant à une histoire d’amour dans la Vie du poète, mais il nous détrompe très vite, en
fait si le poète aime, c’est la Vie elle-même, ce sont les autres gens, c’est le Bonheur, l’Amour luimême, qui sont pour lui le complément d’objet du verbe Aimer :
Je dis tu à tous ceux que j’aime
Même si je ne les ai vus qu’une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s’aiment
Même si je ne les connais pas
En réalité, Barbara est simplement une jeune femme dont il a croisé furtivement le regard en
échangeant un sourire, mais ce sourire est la Vérité ultime du poète, il résume à lui tout seul un pan
de sa Vie, qui va bientôt s’écrouler sous un déluge de fer et de feu.
Barbara, c’est d’abord une sonorité claire et vibrante, sonorité que le poète reprend en échos, dans
de subtiles assonnances qui semblent décliner à l’infini ce sentiment de bonheur simple mis en
lumière par l’apparition de la jeune femme :
Et tu marchais souriante
Epanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
La pluie devient dès lors un personnage à part entière du récit poétique, et le poète semble prendre
à témoin cette apparition féminine, pour dire avec lui :
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Dans l’échange des regards, s’est construit furtivement comme une sorte de connivence, et Prévert
souligne à l’envi ces hasards qui pour lui ne sont pas des hasards, mais des révélateurs de la texture
de la Vie, de la petite et de la grande histoire
Toujours, dans cette première partie du poème, revient comme une litanie l’air du bonheur simple,
les mêmes qualificatifs reviennent en boomerang :
Ruisselante ravie épanouie
La pluie qui ruisselle sur les visages, c’est aussi le bonheur qui inonde cette ville encore préservée de
la guerre et de ses horreurs
Les plans visuels se succèdent, la jeune femme sous un porche dans une étreinte avec son amant,
l’arsenal, les bateaux au port ; la géographie de la ville est évoquée par petites touches, et tout à
coup voilà que tout bascule :
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Et la pluie soudain change de nature :
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Tout se déroule très vite, et dès que le bombardement a cessé, c’est à nouveau la pluie qui reprend
ses droits, mais cette fois elle ne ruisselle pas sur des visages heureux entrevus, d’ailleurs on ne sait
ce que sont devenus ces inconnus qui avaient pris corps et relief sous le regard d’amitié amusée que
leur portait le poète, il y a à peine quelques instants
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Cette ville aimée du poète avec toute la Vie qu’elle abrite en son sein se noie désormais dans une
grisaille de désolation ; les nuages s’étirent au loin comme pour fuir le désastre, ils ressemblent pour
le poète à des chiens errants qui rasent les murs, et là où ils vont, la ville n’est plus, d’ailleurs, cette
ville, il n’en reste presque rien.
En quelques tableaux, le poème met en scène le contraste entre l’humanité profonde et les
absurdités de la guerre ; les derniers vers s’étranglent presque dans la gorge d’une émotion
poignante de regret et d’indignation mêlées.