financer les pme par la titrisation : eldorado ou mirage

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financer les pme par la titrisation : eldorado ou mirage
DOSSIER
Financement des PME : trouver sa voie
auteur
Financer les PME par la titrisation : eldorado ou mirage ?
Financer les PME par
la titrisation :
eldorado ou mirage ?
l
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Richard Weiss
Étant essentiellement d’origine bancaire, le
financement des PME est aujourd’hui menacé
par les contraintes de sécurité imposées progressivement aux banques. Afin de compenser
le retrait des banques, beaucoup en appellent à
la titrisation, transformée en quelques mois de
poison en antidote et plusieurs initiatives ont vu
le jour. Mais une analyse précise révèle qu’en
réalité, malgré les louables souhaits des autorités ou les incantations rituelles, ces initiatives
pérennisent le secteur bancaire comme seul
prêteur aux PME avec le risque d’attrition que
cela comporte. De vraies réformes de structure
s’imposent.
La situation est bien connue.
L’incertitude sur le financement
des PME et le risque induit sur
l’économie relèvent d’un constat
très simple : (i) les PME sont à
l’origine de 80 % des créations
d’emploi, (ii) elles sont financées
à près de 95 % par le système
bancaire, (iii) le système bancaire, objet de régulation et de
contraintes croissantes, pourra
difficilement continuer d’assurer
ce rôle.
Alors que le système intermédié
traditionnel peinait à assurer le
financement de l’économie, les
modes alternatifs d’intermédiation, et tout particulièrement la
titrisation, étaient mis à mal par
les régulateurs qui voyaient là
la cause de la crise et voulaient
donc replacer sous leur coupe
toute activité financière. Sans
s’interroger objectivement sur
l’origine de la crise ni ses causes
profondes, et peut-être moins
encore sur les effets de la régulation, les régulateurs (de tous
poils, toutes industries, tous
niveaux), sans oublier les économistes et autres commentateurs,
ont placé la titrisation au ban de
la société financière respectable.
Face au foisonnement de nouvelles contraintes réglementaires et bloquantes, quelques
voix s’élevaient, il y a quelques
années déjà (comme celles de
Michel Aglietta, André LevyLa n g ou Jacques de Larosière), pour appeler à plus de
réflexion et de circonspection
avant d’asphyxier la titrisation.
Aujourd’hui, coup de barre en
arrière toutes, “on” était peutêtre allé trop loin.
De nombreuses
initiatives ont vu
le jour…
Acteurs financiers, régulateurs
et politiques accordent donc
depuis quelques mois un regard
bienveillant sur la titrisation.
Tous y voient le remède miracle
pour suppléer au retrait des
banques et ainsi financer les
PME pour assurer la croissance.
Quelques illustrations utiles :
• le fonds Novo, création d’un
fonds commun de titrisation,
arrangé sous l’égide de la CDC.
Avec un passif d’un milliard
d’euros, souscrit par plusieurs
sociétés d’assurance, le fonds
vise à investir en une trentaine
d’obligations émises par des
“PME/ETI” ;
• la modification du code des
assurances : le décret 2013 -717
définit les « Fonds de prêts à
l’économie » incluant notamment les organismes de titrisation, dont l’actif et la structure
doivent respecter de nombreux
critères et que les sociétés d’assurance peuvent comptabiliser
en représentation de leurs engagements réglementés ;
• plusieurs partenariats annoncés entre un établissement bancaire qui met en place un crédit,
et un assureur qui le finance,
reposent sur des fonds communs
de titrisation (Société GénéraleAxa, Crédit Agricole-Predica).
• sous l’égide de la Banque de
France : cinq banques françaises ont créé, en avril 2014,
une société de titrisation « afin
de refinancer des prêts à des
PME/ETI » ;
• même la Commission euro-
juillet aout septembre 2014 analyse financière n° 52
Richard Weiss a
débuté sa carrière
chez Mc Kinsey à Paris
puis à New York, avant
de se spécialiser
dans le domaine de la
titrisation.
Richard Weiss a fondé le groupe
GTI qui, depuis sa création
en 1989, se développe en
introduisant des innovations
dans le monde de la titrisation,
destinées exclusivement à financer
l’économie.
Il a importé en France la mise en
œuvre de la titrisation (autorisée
seulement en 1988), en réalisant
les premières opérations portant
sur des prêts immobiliers (Crédit
Foncier, Crédit Lyonnais).
Richard Weiss a débuté sa carrière
chez Mc Kinsey à Paris puis à
New York. En 1982, chez Lepercq,
de Neuflize, il réalise à New York
les premières opérations de
titrisation de prêts immobiliers
non garantis par une agence
fédérale. Puis il développe les
opérations d’arbitrage au sein de
Smith Barney (New York) avant de
prendre la présidence de Financial
Product and Services (opérations
de titrisation privées).
Il est diplômé de l’École
Polytechnique et de la Sloan
School of Management (au MIT) où
il a enseigné l’économie au côté
de Franco Modigliani.
péenne (Michel Barnier) qui a
été parmi les plus virulents et les
plus agressifs pour éliminer toute
activité financière non bancaire a
récemment appelé à «... réhabiliter la titrisation… ».
Au-delà de la titrisation, il faut
citer l’ordonnance sur le financement participatif qui apporte
un cadre innovant à cette autre
forme différenciante d’intermédiation et qui introduit une E
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E microfissure dans le monopole
du crédit1.
En apparence, la voie semble
claire, la croissance de l’économie et toutes les PME seraient
aisément financées par des
voies complémentaires à l’intermédiation bancaire et, tout
particulièrement, par la titrisation. Malheureusement, un
examen attentif montre que ces
initiatives maintiennent une
intermédiation par le système
bancaire et qu’elles profitent
essentiellement aux ETI, alors
que celles-ci ont de nombreuses
autres sources de financement ;
à l’inverse, les PME sont laissées
au bord du chemin, tributaires
du monopole bancaire, pourtant
bien vieillissant mais qui reste
maître du jeu les concernant.
… mais qui restent
dominées par la
banque et ciblent
les ETI
Toutes ces initiatives et ces évolutions, pour méritantes qu’elles
soient, partagent quasi universellement deux points communs : le maintien d’une intermédiation bancaire et un ciblage
au profit des ETI.
Les coopérations banque-assurance con fortent, bien sûr
l’intermédiation bancaire. Le
peu d’information disponible
laisse croire que les entreprises
bénéficiant de ces coopérations
seraient plutôt des ETI ou des
grosses PME de fort bonne qualité. Cela serait d’ailleurs logique,
car, dès lors qu’une étude de crédit individualisée est réalisée,
le montant du financement doit
être suffisant pour justifier le
temps d’étude nécessaire.
Le fonds Novo, malgré tout son
immense mérite et en dépit de
la publicité qui l’entoure (« un
fonds pour financer PME et
ETI ») est destiné exclusivement
aux ETI : un milliard et trente
lignes correspondent à une taille
moyenne de 30 millions, bien audelà d’un besoin de PME.
Les fonds de prêts à l’économie
(FPE) sont un progrès majeur
pour les assureurs mais de
nombreuses caractéristiques en
amoindrissent significativement
la portée :
• seuls certains prêts à certains
types de sociétés sont éligibles.
Les prêts aux personnes physiques restent l’apanage des
banques, limitation particulièrement surprenante, ces prêts
étant plus faciles à évaluer et
d’un comportement très prévisible. Par exemple, les prêts
immobiliers aux personnes physiques, formeraient un actif idéal
pour les engagements longs des
assureurs-vie ;
• les créances de moins de deux
ans sont exclues, alors que les
PME manquent de crédit de trésorerie. Les créances commerciales ne financeraient donc pas
l’économie ?
• les opérations tranchées ne
sont pas éligibles, quelle que
soit la tranche de la structure
envisagée. Autrement dit, un
assureur peut acquérir des titres
représentatifs d’un portefeuille
de qualité moyenne, mais il ne
peut pas acquérir des titres
représentant la partie la plus
sûre de ce même portefeuille.
[...] Pour
que tous les
acteurs économiques, y
compris les
PME créatrices
d’emplois,
aient une
chance
raisonnable
d’obtenir
un financement, il faut
des avancées
réellement
novatrices,
d’abord pour
le portage
des crédits,
mais aussi et
surtout pour
leur mise en
place comme
dans l’utilisation des outils
publics.
Cette contrainte rend difficile
le financement de PME par des
assureurs. En effet, les prêts
PME peuvent faire défaut ; c’est
normal et seul le tranchage permet de protéger l’investisseur
contre ces défauts.
Le tranchage permet aussi de
segmenter les maturités et de
créer des durations sur mesure
pour un meilleur adossement
aux engagements. Mais les assu-
juillet aout septembre 2014 analyse financière n° 52
reurs ne peuvent en profiter2 ;
• l’initiative de place est emblématique à plusieurs titres. Après
trois ans d’efforts, cinq banques
françaises créent une société de
titrisation initialement destinée
à rendre éligibles au refinancement BCE des prêts aux PME ne
respectant pas le critère de taille
minimale.
De prime abord, cet objectif
d’éligibilité n’est pas encore
atteint. Mais pour que cette
société puisse émettre des
titres de créances négociables
(TCN), un décret (N° 2014-561)
a été adopté afin de modifier les
conditions d’émission des TCN,
en supprimant l’obligation de
notation. Mais alors que les ETI,
rarement notées, demandaient
depuis longtemps cette suppression pour pouvoir émettre des
TCN, la suppression ne vaut que
pour l’opération des banques et
les ETI – non notées – restent
encore exclues de ce marché. Et
en contrepartie de cet assouplissement, les banques n’ont aucune
obligation de réinvestissement.
Par ailleurs, pour une opération
censée relancer la titrisation en
toute transparence, on connaît
bien peu de choses : notation,
durée, et caractéristiques des
prêts sous-jacents, comptabilisation par les banques participantes, etc.
En outre, l’ordonnance sur
le financement participatif
témoigne d’une avancée notable
dans la diffusion du crédit en
autorisant les personnes physiques à mettre en place des
prêts ; voilà une microfissure au
monopole bancaire. Mais pour-
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Richard Weiss
quoi diable interdire cela aux
personnes morales ?
Des réformes
novatrices de
structure s’imposent
Pour que l’économie nationale
puisse être irriguée en permanence, pour que tous les acteurs
économiques, y compris les PME
créatrices d’emplois, aient une
chance raisonnable d’obtenir un
financement, il faut des avancées
Financing French
SME’s through
securitisation:
real hope or mere
illusion?
French SME’s are financed
by banks (to the tune of 95%)
[distribution and trading of credits
is a bank monopoly in France] and
increased regulatory constraints
on the banking system have raised
concerns about banks’ ability
to finance future growth. Once
faulted as the cause of the crisis,
securitisation is now believed to
provide a promising alternative
solution; several initiatives and
regulatory changes are reviewed
by the author who concludes that
actual beneficiaries are larger
corporations, and the banking
system whose monopolistic
position is enhanced.
To foster a real development
of alternative financing
mechanisms, the author
suggests that securitisation –
reasonably controlled – should
be rehabilitated, that actors other
than credit institutions should be
authorized to grant loans, and that
the public bank (Bpi France) should
be given a mandate to facilitate
non-bank intermediation.
Richard Weiss,
Groupe GTI
www.groupegti.com
www.revueanalysefinanciere.com
réellement novatrices d’abord
pour le portage des crédits
(réhabiliter la titrisation), mais
aussi et surtout pour leur mise
en place (libérer les canaux de
distribution) comme dans l’utilisation des outils publics.
Réhabiliter la titrisation
La titr isation n’est qu’u ne
technique et elle n’échappe
pas au principe de Lavoisier ;
les informations sur les actifs
sous-jacents (les actifs titrisés) doivent être disponibles et
un investisseur ne devrait pas
investir si ces informations ne
lui sont pas fournies et régulièrement mises à jour ou s’il n’a pas
la compétence requise.
Mais il est plus facile d’incriminer le marteau que sa propre
maladresse et l’ouverture réglementaire s’est avérée réduite
au bénéfice du seul secteur de
l’assurance et très restreinte
en multipliant les contraintes
(champ réduit, absence de tranchage, obligation de rétention,
etc.). Pourquoi ne pas faire résolument évoluer le mode de portage du crédit en incluant dans
le code monétaire et financier un
concept élargi de financement
de l’économie, par titrisation,
avec tranchage et obligation de
transparence ?
Libérer les canaux
de distribution
La distribution de crédit en
France reste le monopole des
établissements de crédit et cinq
d’entre eux contrôlent près
de 90 % du financement. D’où
une homogénéité d’analyse des
entreprises irrémédiablement
scindées en deux groupes : celles
qui ont un financement (très bon
marché) et celles qui n’ont pas
de financement (quel qu’en soit
le coût).
Dans de nombreux pays la distribution du crédit n’est pas réservée à un secteur dominant. En
effet, quel risque fait-on courir et
à qui en réalisant un prêt dès lors
qu’on ne collecte pas de dépôts ?
Il est devenu nécessaire de
diversifier les acteurs autorisés à
prêter afin qu’une entreprise ou
un particulier à qui un crédit est
refusé puisse chercher un autre
prêteur ayant une approche
radicalement différente. C’est
une condition essentielle au
développement des nouvelles
formes d’intermédiation, gage
d’un meilleur financement des
PME en particulier.
Il importe aussi de réorienter
certains moyens publics
La Banque publique d’investissement (BPI) a été créée pour
coordonner les actions de l’État
dans le financement de l’économie. Mais aucune position claire
n’a encore été affichée en faveur
d’une diversification des circuits
de financement. Au contraire,
les interventions de BPI France
accompagnent trop systématiquement les banques, renforçant
ainsi leur mainmise sur le financement de l’économie ou d’un
segment de l’économie.
L’État via BPI France devrait
enfin décider de contribuer,
comme cela se fait avec succès
dans d’autres pays, (par exemple
le progra m me Bu sin ess
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Finance Partnership de la British Business Bank qui apporte
des fonds aux intermédiaires
non bancaires) au développement réel d’autres modes d’intermédiation. D’autant plus que ces
modes alternatifs permettraient
souvent de démultiplier l’efficacité des sommes qu’il consacre
à la BPI.
***
Un examen attentif des évolutions récentes, malgré tout leur
intérêt et leur mérite, montre
qu’elles profitent plutôt aux
ETI qu’aux PME et qu’elles
confortent le monopole des
banques.
Pour que l’économie française
soit irriguée de façon stable et
diversifiée, et pour que le développement de modes alternatifs
d’intermédiation ne reste pas
un mirage, il faut réhabiliter la
titrisation en mode sécurisé,
libérer les modes de distribution
du crédit et canaliser dans cette
direction un peu de ressources
de la Banque publique d’investissement.
Au-delà des incantations en
faveur des PME, seules de telles
mesures fortes permettront de
transformer le mirage actuel en
un eldorado du financement de
l’économie, soutenant enfin réellement la création d’emplois dont
notre pays a tant besoin. n
(1) Voir à ce sujet les deux articles publiés
dans Analyse financière n° 50 et n° 51 :
“Financement participatif. L’argent de la
foule peut-il devenir de l’argent intelligent ?” et “L’année 2014 sera-t-elle l’année du Crowdinvesting ?”
(2) Il est vrai que Solvabilité II crée une
contrainte particulière. Mais même les
réflexions en cours associent tranchage à
« mauvaise » titrisation.