La fin du Beaubourg itinérant : du Centre Pompidou mobile

Transcription

La fin du Beaubourg itinérant : du Centre Pompidou mobile
Point de vue
La fin du Beaubourg
itinérant : du Centre
Pompidou mobile au Centre
Pompidou provisoire
Le Centre Pompidou mobile au Havre. Le Troisième Pôle, agence de projets culturels, a remis
à la mairie du Havre un document décrivant
la fréquentation du Centre Pompidou mobile
installé dans la ville du 5 au 17 mars 2013 :
10 515 personnes (8 636 visiteurs individuels
et 1 909 visiteurs en groupe) ont fréquenté le
musée mobile chargé d’exposer sur tout le territoire, de manière itinérante, des œuvres d’art
contemporain appartenant aux collections permanentes de Beaubourg. Taux de remplissage : 68%, soit davantage que
lors de l’installation du musée à Chaumont puis à Boulogne-sur-Mer, et un
peu moins qu’à Libourne (78%) ou Cambrai (81%).
Quoi qu’il en soit de ces différences de performances, toutes sont extrêmement positives puisque le total de fréquentation de l’ensemble des
“stations” du musée itinérant s’élève à 186 338 visites et ce pour de l’art
contemporain, non du cirque ou du cinéma.
Le document du Havre note que, bien que le musée mobile n’ait pas été
installé en centre-ville mais dans un quartier excentré et défavorisé, « sa
fréquentation le week-end est très bonne ». A Boulogne-sur-Mer, où le
musée a été installé dans l’ancienne gare maritime désaffectée, la directrice
des affaires culturelles de la ville se félicite aussi : « On a réussi à faire
vivre un quartier délaissé et à créer une habitude de manifestations. » Par
ailleurs, malgré les fortes intempéries de ce mois de mars, le Troisième
Pôle souligne qu’au Havre, « de nombreux enfants sont venus à plusieurs
reprises afin de faire découvrir le lieu à leurs amis, frères et sœurs ainsi qu’à
leurs parents », les enfants devenant ainsi « de vrais relais de la médiation
proposée au Centre Pompidou mobile par les médiateurs et comédiens ».
Enfin, ces quelques lignes extraites du Livre d’or : « Un superbe monument
culturel et de partage », « Quelle formidable initiative ! », « Revenez plus
souvent avec tableaux et sculptures », « Ces genres d’expositions devraient
être plus nombreux », « Superbe première découverte de l’art par ma fille ».
Enfin, ce commentaire de Chantal Ernoult, maire adjointe à la culture du
Havre, interrogée par le Monde (9/10 juin) : « Plein d’enfants sont venus
plusieurs fois. Une fillette de 9 ans m’a dit : “Je pensais que c’était réservé
à des gens intelligents !” C’est une très grande réussite. Je suis sûre qu’il y
aura une suite. »
Mais, après Aubagne – sa sixième étape –, le Centre Pompidou mobile sera
soit vendu, soit détruit, malgré de nombreuses demandes.
Des limites de la démocratisation culturelle. On assiste ainsi à la fin d’une
opération typiquement marquée par l’idéal de la démocratisation culturelle,
La Lettre d’Echanges n°108 - mi juin 2013
ce principe dont on dit couramment qu’il a
échoué. Ce qui peut éveiller cette réflexion
parfois entendue : pour véritablement réaliser
la démocratisation, il faudrait multiplier les
équipements et accroître considérablement les
budgets de la culture. Or, en l’état actuel, il est
absolument hors de portée de créer les conditions pour que “le plus grand nombre” aille
régulièrement dans les lieux de culture, par
exemple au musée Beaubourg.
Quand on sait ce que coûte à l’Etat une place
d’opéra ou aux collectivités une heure d’enseignement artistique spécialisé, on ne peut que
se féliciter que tout le monde n’en veuille pas.
Conclusion : réserver la culture à petit nombre
relève d’un choix politique et financier empreint
d’un sage pragmatisme. Car si le Centre Pompidou mobile a terminé ses voyages, c’est faute
d’argent.
Chaque étape coûtait en effet 600 000€. Au
départ, l’Etat a versé 1,5M€. Un apport désormais tari. Au départ aussi, le Centre Pompidou avait 7,5% de personnel en plus ; il peine
aujourd’hui à assumer la charge de travail que
représente le musée mobile. Au départ encore,
les deux tiers du budget total provenaient de
quatre mécènes : GDF Suez, la Fondation d’entreprise Total, La Parisienne Assurances et le
Groupe Galeries Lafayette ont ainsi apporté
2,5M€ depuis le lancement du musée mobile.
Ils ne poursuivent pas. Sans compter l’implication des collectivités, que ce soit la ville du
Havre ou, pour Cambrai, la Région. Là encore
l’argent se fait plus rare.
Culture et rentabilité. Aujourd’hui, un autre
principe tend à remplacer celui de la démocratisation, avec un avantage certain : selon ce
principe – celui de la contribution de la culture
au développement territorial et économique –,
les arts peuvent rapporter de l’argent. Au lieu
de démocratiser la culture, on travaille donc à
la rentabiliser.
De ce point de vue, l’épilogue du Beaubourg
mobile est cruel mais lisible. L’itinérance du
musée se poursuivra sous une autre forme. Au
lieu d’être “mobile”, il sera “provisoire”, selon
le principe suivant : la vente d’une installation
pendant plusieurs mois d’une trentaine d’œuvres du musée dans des « lieux significatifs »,
à l’étranger, selon les termes du président de
Beaubourg. Par exemple au Centro cultural
Banco do Brasil, à Rio Janeiro. Selon le Monde,
ce type d’opérations pourrait rapporter plus de
3M€ par an. On comprend aisément l’attrait
moindre que représente “l’accès du plus grand
nombre” et donc la préférence pour l’implantation dans de prestigieuses et riches villes lointaines plutôt que dans des banlieues de nos villes aux budgets de plus en plus limités.
Des limites du recours au mécénat. Enfin, la fin
d’une des opérations de démocratisation culturelle les plus réussies apporte une confirmation
d’importance. Alors même qu’après le Louvre,
Beaubourg est l’un des plus prestigieux musées
de France, les mécènes se sont retirés. « On est
allés au bout de notre mécénat », admet la chargée du mécénat des Galeries Lafayette. Les politiques culturelles, elles, n’ont pas de “bout”…
Pourquoi ce retrait ? Parce qu’il s’agit d’art
contemporain ? On sait en effet que les entreprises sont plus sensibles au patrimoine qu’à
la création. Est-ce la crise économique ? Sans
doute le contexte n’aide pas. Mais il est à craindre que la raison soit plus structurelle : le mécénat n’est-il pas fondamentalement une “opération”, c’est-à-dire provisoire, et ce d’autant plus
qu’il se construit en partenariat entre plusieurs
entreprises ? Même s’il semble que la Fondation
Total ait été prête à continuer, le retrait de quelques-uns aura été fatal. Ce qui n’est par ailleurs
pas véritablement étonnant, l’intérêt général en
matière de culture relèvant d’une volonté politique et non d’une stratégie d’entreprise privée.
Aussi précieux que soit l’apport des mécènes, il
ne peut remplacer l’engagement public.
Vincent Rouillon
FNCC

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