Comprendre un con

Transcription

Comprendre un con
Comprendre un con prendre conscience qu'on le conspue
Un roman
À propos, ce livre est un ramassis de [---] délire verbale gratuit. L'écriture de ce livre s'est étalée sur dix
ans, longueur qui ne reflète pas selon l'auteur lui-même le peu d'effort investi. Ce livre fut un exutoire en
même temps qu'une self-therapy. L'auteur a simplement mis des mots sur ses tourments, il a tenté de les
surmonter en les analysant jusqu'à l'absurde ; partant de la souffrance [---], de la difficulté solitaire de
gravir l'échelle sociale de la campagne à la Lufthansa business class, de sa propre hébétude devant le vide
de sens des journaux télévisés dont il gava les meilleures années de sa vie : voulant toujours en savoir
plus sur le pêché de domination, la guerre et le [---]. Ce livre [---] est pour vous gratuit.
L'auteur, Eric Vansteenberghe, a lui-même banni certains passages. Cet exercice marqué de repères [***]
devrait éviter toute retombé de la diffusion de ce livre. Si quelconque passage vous offense n'hésitez pas à
contacter l'auteur, le passage sera immédiatement retiré.
Dans cette version l'auteur a également considéré bon supprimer quelques passages osés, suppression
marquée par les repères [---], la version non auto-censurée pourrait bientôt sortir...
La contrée Orange
Il était six heures du matin, un onze septembre. Le soleil laisserait bientôt bomber son ventre, tandis que
la lumière n'avait toujours pas été officiellement faite sur la chute des tours. Corona del Mar sortait de son
sommeil forcé et pouvait être une nouvelle fois foulée jusqu'à dix heures le soir même. Ici la nature
comme des démolitions ailleurs, étaient contrôlées. Piet' Von Driem et Pedro D'la Ducasse avaient
parcouru ce petit joyau de bord de mer avant de remonter la falaise, non par l'escalier publique mais à la
main, à l'escalade. Ils avaient contemplé une dernière fois, ils le savaient, ce tableau, surplombant
l'Amérique d'en haut. Devant eux s'offrait la péninsule de Balboa et le port de plaisance de Newport
Beach. Piet' et Pedro avaient passé une semaine dans ce petit coin de paradis. Ils avaient découvert le
contact facile, une Amérique riche, accueillante et souriante. Tout leur avait paru d'autant plus aisé qu'ils
étaient jeunes et charmeurs. Ils s'étaient senti comme des pêcheurs au harpon qui rentraient bredouilles de
la pêche dans les eaux troubles de [***] mais qui, tout à coup, changeaient de milieux et perçaient du
poisson à tout va dans les eaux claires de Californie du sud. Ils s'étaient même surpris à commencer à
rêver de cette société, de l'importer en Europe. Une société protégée par sa puissance économique mêlée à
sa peur où chaque famille peut vivre sa petite vie paisible. Une population vraisemblablement divisé entre
ceux cherchant à comprendre les vraies motivations de leurs dirigeants et ceux confiant et fière du destin
de leur patrie. Cette Amérique tant haït de l'extérieur semblait un havre de paix vécue de l'intérieur. Les
leurs en Europe et leur Visa sur le point d'expirer les avaient mis rapidement de nouveau face au vrai
visage de ce pays en guerre contre un extérieur ici nommé le mal depuis bientôt plus de dix ans. Les
nombreuses discussions à repeindre l'échiquier mondial revenait avec force dans l'esprit de Pedro. Piet'
annonca :
« T'as qu'à voir ! »
Pedro secoué de ses rêveries comme un chasseur rappelé à l'attention par l'aboiement de son chien
rechargea son vingt-deux long rifle :
« Ca n'est pas le moment de bayer aux corneilles. »
Ils laissèrent la plage derrière eux, en souvenir, et franchirent le pont de Goldenrod. Ce petit pont était
comme à l'accoutumée généreusement fleuri. Ce pont était un raccourci bien apprécié des locaux pour
accéder au rivage. Si tôt le matin Piet' ne pouvait discerner la couleur de ses fleurs qu'il avait pourtant
appris à connaître en traversant ce pont chaque après-midi pour aller intégrer des équipes de beach-volley
improvisées. Il laissa traîner sa main comme il l'avait fait tant de fois dans les couloirs de son école
maternelle pour tromper l'ennui et l'angoisse de retrouver ses camarades de classes au français si parfait et
sa maîtresse qui derrière son nom de parfum n'avait jamais su l'encenser. Sa paume frôlait les pétales et se
heurtait parfois aux pots municipaux produisant un son qui lui rappelait le craquement net qu'avaient émit
ses dents. Ce bruit accompagné de douleur lorsque ses racines avaient lâché prise. A l'age de dix ans, avec
la pince de bricolage de son père, il s'était édenté pour que la petite souris qui visitait sa sœur s'occupe
aussi un peu de lui. Il n'avait reçu l'attention que d'un hôpital. A mesure que la terre cuite des pots
municipaux s'accumulait sous ses ongles, il pensa rieur qu'il aurait peut-être mieux fait de s'investir en
politique pour en profiter de ses pots. N'écoutant que sa rage adolescente et les accordéons d'utopistes il
s'était engagé dans la politique des petits bars. Piet' ne traversait plus ce pont, il y rejouait son enfance. Il
la rejouait ici, loin de chez lui, sans aucun lien, sur ce Goldenrod qui lui rappelait vaguement le nom d'une
fleur mais que le pont n'arborait pas. Dans ce bref moment d'égarement, il regarda le dos et la nuque bien
droite de Pedro. Sur ce pont la droiture de Pedro était pour lui l'incarnation de la conviction. Goldenrod
était le point symbolique de non-retour, ils le savaient. Ensuite leurs routes se sépareraient dans le temps
mais accompliraient un même dessein, un adieu sans se le dire. Tout était maintenant digne d'eux-mêmes
et de leur aspiration. Ils vivraient jusqu'au bout un rêve d'enfance. Ils avaient franchi le pont et marchaient
maintenant sur le trottoir, le long des voitures européennes de luxe. Encore une ironie du rétrécissement
de la planète pensa-t-il, il lui avait fallu venir jusqu'ici pour en voir tant. Il avait découvert cette théorie
dans un article du Noufaux Scientiste, selon lequel le rétrécissement de la calotte glacière ne serait qu'une
illusion, qu'en fait ça serait plutôt la terre qui rétrécirait. Cette théorie plus que plausible expliquait bien
pourquoi il y avait des Chinois partout, le rétrécissement n'étant pas également réparti, la Chine souffrait
particulièrement de ce phénomène et avait poussé de nombreux Chinois à quitter leurs terres devenues
trop petites. Cette théorie expliquait aussi très bien pourquoi tous les produits s'exportaient de plus en plus
et partout, elle expliquait aussi parfaitement pourquoi il y avait de moins en moins de pétrole. Les
hypothèses avancées pour expliquait ce phénomène étaient alarmante. La population mondiale ne cessait
de s'accroître et donc la pression exerçait sur la sphère terre ne cessait d'augmenter. On assistait ainsi à
une implosion de la planète avec un scénario infernal : il y avait de plus en plus de monde et de moins en
moins de place. Après quelques croisements la ruelle déboucha sur la grande avenue. Pedro observa cette
avenue comme un colon à la recherche d'un abri et y trouva bientôt ce qu'il cherchait. La dernière ligne
de bus qu'ils prendraient serait la ligne numéro un, le bus longeant la mythique Pacific Coast Highway. Ils
l'avaient appris en baragouinant quelques mots français qui sonnaient international à leurs oreilles, cette
avenue était appelée ici la PCH, la route qui longe la côte californienne au sud de la ville des Anges. Ils
prendraient chacun un bus différent, l'un après l'autre, tous les deux dans la même direction, le sud, le
Mexique. Piet' et Pedro se plantèrent chacun devant un poteau, chacun de son côté de cette avenue. Ils
s'en étaient convenu, il n'y aurait pas de grande phrase telle « Vive les enfants de Jean-Bart » ou « A nost
kee » ni aucune mention de l'expiration de leur visa, de leurs idées, de leurs passés ou du futur, tout cela
était bien ridicule. Ils ne savaient qu'une chose : que bientôt ils feraient la une du Daily Pilot, au moins.
Enfin, Piet' se rappela ce que lui avait appris son professeur de Français, nous ne pouvons être certain que
d'une chose, c'est que nous allons mourir.
L'Orange sanguine
Avant que le soleil n'ait eu le temps de se coucher sur la Californie, déjà la majorité des radios et des
journaux télévisés américains relayaient la nouvelle. Sur ces terres orange une révolution semblait se
profiler, une aube où déjà les couleurs orangées envoyées par le soleil viraient au rouge du crépuscule.
Rien n'était encore bien précis, mais l'Agence France Presse elle-même décrivait la nouvelle comme un
événement majeur dans l'histoire du terrorisme aux Etats-Unis : « Selon le Los Angeles Times, deux
terroristes indépendantistes appartenant au groupe séparatiste du 'Lion Flamand ' auraient détourné deux
autobus. L'entreprise publique de transport OCTA confirme avoir perdu deux de ses véhicules aux
alentours de Newport Beach en Californie du Sud. Le groupe du 'Lion Flamand' a revendiqué les attentats
en réclamant l'indépendance de la Flandre Maritime Française et avance l'idée de guider par ces actions
leur contrée hors du joug américains. Les terroristes auraient tour à tour assommé deux chauffeurs de bus
et auraient par la suite perdu le contrôle des bus qui seraient venus percuter un bar-restaurant de Corona
del Mar et une galerie d'art de Laguna Beach. Aucun des passagers ne semble avoir survécu ou aurait eu
la chance de descendre à un arrêt avant l'accident. Le gérant du bar 'the Quiet Woman' interrogé par nos
agents sur place demande une investigation approfondi de l'attentat et considère l'éventualité d'un coup
politique du ministère de l'intérieur. La population locale se dit sous le choc. Selon nos dernières
informations sur le terrain les deux accidents seraient volontaires. ». Aucun homme politique n'avait
voulu s'exprimer publiquement sur ce drame le jour même. Les rédactions des journaux américains
avaient pour la plupart des difficultés à s'accorder sur la gravité à accorder à l'évènement. Peu de journaux
jugèrent approprié de consacrer une première de couverture et les articles sur le sujet se firent assez
succincts. Il apparut même rapidement que les milieux autorisés californiens minimisaient les faits et ne
leur accordaient que peu d'importance dans leur agendas. Les sujets de discussion avec les journalistes ne
s'attardaient jamais sur cet évènement. La Californie jouissait d'un mois de septembre ensoleillé et chacun
avait bien plus à faire sur le sable que de s'alarmer d'un attentat perpétré par un couple de dérangés.
Seulement quelques rares Américains qui avaient rencontré les deux touristes français avant qu'ils ne
commettent leur attentat se livrèrent aux journalistes. Les témoignages divergeaient entre de la haine
ouverte à ces touristes jouant de leur nationalité et les décrivaient parfois comme deux homosexuels en
recherche d'aventures hétérosexuelles. On s'accordait à dire que les deux individus devaient avoir perdu la
raison après tant de débauche. Le 'Lion Flamand' n'avait jamais été mentionné dans les annales des
services américains et même les services français s'avouaient ignorant d'un tel mouvement. Le devoir de
réponse et d'enquêter sur cette affaire avait donc été rapidement reporté par les politiques locaux sur des
psychiatres et psychologues. Les services secrets français présentèrent bientôt après enquête le 'Lion
Flamand' comme un club pacifique du Nord de la France qui avait été utilisé par les terroriste de façon
absurde et sans lien avec le groupe locale. Les services secrets américains sur place ne voulurent jamais
confirmer cette hypothèse. La France resterait ainsi un responsable et bouc-émissaire potentiel pour cet
attentat. Le milieu décisionnel américain décida de ne pas dépenser plus d'effort sur le sujet. Il semblait
de toute façon impensable et contraire au bon sens de prendre des mesures drastiques pour protéger les
bus. L'Amérique tout entière convint qu'elle ne pouvait imaginer et endurer une fouille avant l'entrée de
chaque voyageur dans un bus. L'ambiance tacite immédiate fut bientôt de minimiser l'affaire et de fermer
les yeux sur les victimes. Cette réaction sembla la plus naturelle et trouva bon écho auprès de la
population locale les jours suivants. [---]Les quelques familles des victimes se rassemblèrent et
protestèrent. Ces familles modestes n'eurent que peu de moyens de se faire entendre. Les habitants de la
contré orange n'hésitèrent bientôt plus à se plaindre des nuisances sonores nocturnes des manifestations
organisées par les familles des victimes. Personne ne semblait de toute façon vouloir investir le moindre
sou dans le réseau de bus américain ou ouvrir un nouveau deuil national. Les avis s'accordèrent
rapidement. Les terroristes avaient maintenant pris le nom de Français débauchés et dérangés et auraient
assommé les chauffeurs de bus pour mettre fin à leur vie. Malheureusement aucune mesure simple et
gratuite ne semblait pouvoir empêcher qu'un tel acte ne se reproduise. Les débats conclurent souvent que
rien ne pourraient empêcher que deux [---] malades mentaux commettent des actes de folies
imprévisibles. De tels actes ne pouvaient en rien justifier des mesures drastiques de protection nationales
ou d'acte patriotique. [---] Il semble ici donc dans un premier temps que l'action des séparatistes du Lion
Flamand ait fait long feu.
Les haines du 'ord de la Fra'ce
Je suis la controverse incarnée, une sorte de chercheur de mort, je suis du genre à me présenter au
pèlerinage annuel de la Mecque avec un tee-shirt sur lequel un œil musulman ahuri pourrait voir
représenté [***], fumant un gros cigare, en pleine rue [***] une femme non [***] qui est au volant d’une
voiture Kraft-Durch-Freude en mangeant une croustillante côte de [***] et buvant du [***] de datte
artisanal, en plein jour, tandis qu'un calendrier lunaire sur le tableau de bord indique un jour de [***].
Si jamais un jour quelqu’un s’amuse à prendre ce texte pour mes pensées, mon œuvre il deviendrait mon
arrêt de mort, voire mon testament, j’aimerai être claire d’entrée de jeu. Je pose des questions, je mets
mon doigt partout, je suis dans le fond resté un enfant. Comme tout enfant curieux et entreprenant, je
touche à pleine main les barrières, les clôtures qui entoure mon quotidien, pour sentir si elles sont
électrifiées. Et qu'advienne un malheur, les causes de mon décès seraient malheureuses et extérieures. En
effet, mes malheurs n'ont jamais été qu'extérieurs quand tiré de mes jeux dans la boue de ma campagne
j'ai été traîné dans le bitume. J'ai dû rapidement faire mon choix entre me stériliser à épandre des phytos
ou faire quelque années d'apnée le temps d'apprendre à nager avec les requins. [---] Qu’on m’enterre pour
mieux me piétiner et laisser les chiens lever leur pattes arrières sur moi, qu’on me brûle avec des jeux de
lumière et de mauvais goût sur mon mauvais esprit, qu’on me pende sur la place publique pour servir de
repaire aux passants malveillants, qu’on m’égorge pour m’arracher mon dernier mot, que jusqu’au bout je
râle, sans me mettre au courant qu'on m’électrocute tandis que je m’allonge dans une chaise longue,
qu’on me poignarde dans le dos d’une tape amicale, peu m’importe finalement, la seule chose que je
demanderai, c’est de finir nu, pour partir comme je suis venu, léger et hurlant à la vie comme à la mort. [--]
Plank Kims sentait le bas de son dos coller au cuir sur lequel il s'adossait, il écrivait maintenant sans
réfléchir aux conséquences, sans penser vraiment dans quel genre de livre ou recueil il pourrait publier
son texte. Il oubliait son réveil et son travail du lendemain. Il imaginait des visages de lecteurs à venir se
couvrir d'un incarnat, qu'il considérait comme le seul feu vert d'une littérature réussie. Il lui semblait déjà
entendre des insultes à son égard et c'est ainsi qu'il expiait ses fautes et pourrait enfin trouver le sommeil.
Il continuait, ne sachant plus s'il rêvait ces paroles ou s'il les alignait sur une feuille. Il savait que le
lendemain il se relirait et serait déçu, se prendrait lui-même pour un anarchiste idiot des soirées perdues à
la solitude. Le pauvre type à ne pas plaindre qui joue de trois de ses mauvaises idées, y mélange tout le
mal du monde et prétend lutter contre eux, ce système organisé d'oppression et il appelait à la lutte tandis
qu'il irait se coucher pour être en forme le lendemain. Comme se verre de trop qu'on boit quand même
parce qu'on a déjà bu tous les autres avant, il continua.
Je ne milite pas spécialement pour la protection de la planète ou de l’environnement, mais le message est
clair, comme un soir d’orage. Le monde dépend, plus que jamais, de la guerre qui est d'ailleurs au centre
de nos média mais la grande absente de nos débats politiques. Il ne semble y avoir aucun échange entre
les partisans et ses détracteurs. [---] Nous avons eu cette imbécile tendance imprégnée de remord à
brocarder les godillots de nos ancêtres.
Maintenant Plank jubilait, il relisait cette phrase et la soulignait. Il ne pensait déjà plus aux autres qui à
une telle heure devaient déjà dormir et déclama narquois « brocarder les godillots de nos ancêtres ». La
mise en bouche de ce genre de phrases mêlées de fierté et de mépris nationale que seul un Français
pouvait écrire lui étaient plus succulentes que des sucettes à l'anis. Il écrivait encore. Nous sommes
culottés de prétendre être de sympathiques descendants des sans-culottes. Il se ravisa et entama un
nouveau paragraphe où il l'avait décidé, tout le monde y passerait. Il s'inventait en même temps des
justifications de transfuge qui allait tout plastiquer avant de partir.
On pourra se divertir par un autre exercice mental, bien plus tordu cette fois. La population mondiale en
pleine croissance pèse beaucoup trop lourd dans nos assiettes. Pour résumer, chacun veut le meilleur
hamburger mais veut qu'il ne lui coûte pas trop cher pour pouvoir voyager et goûter le hamburger de ses
voisins. Voilà que bientôt le militant qui sommeille en chacun se réveille et se bat pour un concept bien
attractif, le pouvoir d'achat ! Ce militant qui sommeille a malheureusement dormi pendant quelques
leçons de l'Histoire bien intéressantes. Son combat pour le pouvoir d'achat l'amènera à écraser les
producteurs et travailleurs pour une baisse de prix qui lui permettra d'acheter des lecteurs de musique et
de voyager. Pendant ce temps le reste, le fond du panier, travaillera à lui fournir à son retour de vacance
des produits pour rien.
Ayant retrouvé sa forme après être parti en vacance, voilà nos amés et féaux citoyens ordinaires qui
aborderont par l'entremise des média d'autres problèmes : Pour qui paye-t-on nos loyers, serait-ce pour la
concurrence ? Dans la confusion et la vassalité des esprits le nouveau crime sera d'exister. Chacun sera
laissé à lui-même pour en tirer les conclusions sur les choix à faire, ou plutôt la seule action salvatrice qui
puisse être entreprise. Que chacun aille s'endormir calmement sur le billot et rêve, s'évade à en perdre la
tête. Si personne n'accepte cette démarche, il faudra alors entamer quelques pourparlers et s'accorder
d'une alternative. Avant tout débat ou jugement, chacun devra d'abord accepter son égoïsme. C'est une
étape essentielle avant toute thérapie, pour que le débat ne soit pas qu'un prétexte, justement, pour parler.
Il s'agit d'avouer, au grand jour et d'en prendre conscience : « Je suis égoïste et avec vous qui le
reconnaissez aussi, nous allons essayer de vivre ensemble. Que nos renoncements cumulés nous apportent
plus que notre seul égoïsme. » On ne peut vivre mieux avec un vice comme l'alcoolisme qu'une fois qu'on
l'a reconnu et que l'on décide, avec l'aide de son entourage, de le combattre pour le restant de ses jours.
Des beaux messages ou des affiches publicitaires grandeur chutes du Niagara n'y changeront rien, la prise
de conscience doit d'abord être personnelle pour ensuite pouvoir être travaillée collectivement. Pour
conclure je vous invite à un simple exercice, face à tous ceux qui se disent contre la violence, le
capitalisme et autres axes du mal modernes, demandez-leur s'ils sont égoïstes, ensuite vous pourrez aviser
de leurs aptitudes à construire quoi que ce soit d'utile pour notre future. Mon discours est fou à vous
redonner de la tête, c’est une froide analyse de la situation actuelle. Je prône le combat au nom de
personne et accepte d’y jouer ma vie, mais c’est peut-être à ce prix que ceux restant vivront la leur. Qu’il
serait bon d’y voir plus clair, nous avons besoin d’air.
Plank inspira profondément et déclama sa conclusion. Il jugea que sa chambre avait effectivement besoin
d'air. Il ouvrit sa fenêtre prêt à crier au monde sa joie d'avoir écrit, une odeur de Kebab sembla constituer
le seul commentaire de sa soirée. Il s'enferma bien vite et s'immisça dans son sac de couchage, son dégoût
pour les tâches simples de la vie donnait un air précaire à l'installation de son appartement qu'il occupait
depuis des années.
Les Cougars rôdent
Timothy avait perdu toute fois en la femme. Il se sentait presque trompé par sa petite amie qui venait de le
laisser sur le bord du chemin amoureux, sans raison. Il se sentait jeté dans le caniveau et abandonné là à
aucun destin manifeste, pendant que les autres continuaient sur le chemin du bonheur. Il lui semblait
maintenant avoir perdu conscience, laisser sa bouche s'ouvrir et l'eau y rentrer. Les eaux usées lui
apportaient maintenant un goût écœurant en bouche. Le ressac entre son gosier et ses dents fini par
pénétrer sa glotte. L'estomac trop rempli, comme ballonné, il se levait péniblement, la main sur le trottoir,
sa copine en passant lui écrasait les doigts. Il n'eut pas tout de suite la force de s'asseoir sur le trottoir et
laissant son postérieur amerrir dans le petit ruisseau, reprenant doucement contact avec le monde civilisé
et l’Escherichia coli. Tim releva tout doucement la tête, dans la rue passait devant lui un groupe d'AfroAméricains qui chantaient l'air complètement détachés des petites improvisations misogynes. Tim y
reconnut l'archétype dominant les ondes américaines du mâle frustré qui s'aperçoit que le culte de la
réussite sociale à mieux réussi au sexe opposé. Ils laissaient exploser leur jalousie sous ses oreilles en
slammant du « Toi et tes copines je vous déballe dès la sortie d'usine : [---]» Tim n'avait pas eu la force de
s'écarter et devait s'avouer avoir écouté ce débits incessant d'opprobres avec une coupable curiosité. Ils
avaient déclamé la haine que son statut de classe aisé ne lui permettait pas d'exprimer avec tant de
violence. Tim avait maintenant la tête qui tournait, il repassait étourdi en revue les femmes de sa vie. La
'blonde californienne' se comportait en princesse et n'était qu'exigence. Au fil de ses pensées Tim se
faisait une idée de plus en plus dégradante et méprisable de celles qu'il avait jusqu'alors porté sur son
piédestal. L'amoureux en était devenu un produit de consommation qui, pour un produit de consommation
américain, présentait l'avantage de ne rien coûter et de faire maigrir. La vraie particularité était aussi qu'il
fallait lui mettre l'emballage pour le consommer. L'amoureux devenait simple séducteur qui allongeait
l'argent pour allonger la femme. Seulement l'offre et la demande s'appliquait d'une façon bien particulière.
La pression de sélection comme aimait à l'appeler son ami biologiste était pipée. Tim remarquait qu'en
général, sauf cas exceptionnel, seuls les hommes violaient et violaient le plus souvent des femmes. Bien
plus d'hommes sont prêt à payer pour avoir une relation sexuelle avec une femme. Tim sortant hébété du
caniveau avait un flot de fausses bonnes idées, de fausses vérités éclatante qui lui abasourdissait l'esprit. Il
poussait la réflexion plus loin. Les hommes ont tué leur marché du sexe, ils sont tellement avides d'offrir
leur service qu'il leur est impossible de le monnayer. Pour s'en convaincre, Tim imaginait une simple
expérimentation, un homme jeune au physique moyen se promènerait dans la rue et demanderait à toutes
les femmes qu'il croiserait si elles voudraient le rejoindre pour une partie de jambes en l'air, il aurait
toutes les chances de rentrer seul chez lui. Maintenant si une femme jeune au physique moyen se
promènerait dans la rue et demanderait à tous les hommes qu'elle rencontrerait s’ils voudraient la
rejoindre pour une partie de jambes en l'air, Tim voulait bien s'imaginer que la plupart des hommes
regarderaient autour d'eux pour juger s'il s'agissait d'une caméra caché ou d'un traquenard et cette jeune
femme rentrerait probablement chez elle main dans la main avec un homme au pantalon déjà gonflé.
Cette dure loi de l'offre et de la demande rendait le jeu bien injuste pour Tim. Tim se déformait petit à
petit la vision de son Etat. C'est ainsi qu'une femme âgée n'avait besoin que d'un peu de maquillage et de
sport pour rentrer chez elle accompagnée d'un jeune surfer californien. La situation était bien souvent la
même. Elle avait été ou parfois était encore mariée à un riche homme qui travaillait trop pour lui donner
l'affection dont elle avait besoin. Autour de trente-cinq ans, son mari un peu plus âgé qu'elle rentrait
chaque soir épuisé d'un travail qui était pour lui un challenge quotidien. Pour mener le train de vie que
son couple menait il devait être le meilleur et surtout accepter toujours plus de travail afin de ne pas
perdre sa place. Il n'était donc plus apte à lutter une fois de retour chez lui. Bientôt il n'arrivait plus à
suivre le rythme de sortie de sa femme, elle n'en pouvait plus d'attendre accoudée au parapet à regarder la
ville tel un félin prêt à sauter le grillage et le riche travailleur moderne préférait la laisser sortir sans lui
pour trouver enfin le repos dont il avait besoin pour assurer ses lendemains. Elle trouvait alors sans souci
les bras d'un jeune qui n'avait pas encore les moyens d'inviter les filles à dîner et qui en attendant son tour
s'en remettait dans les bras d'une plus âgé. Ces femmes-là avaient d'ailleurs un nom en Californie, les
Cougars. Tim assemblait dans sa tête les pièces d'un puzzle sociale tandis que les lambeaux de son
cerveau en semblaient plus pouvoir se raccommoder.
Pamela, la tête et la poitrine haute, avait depuis bien longtemps accepté son statut. Elle avait des
enfants qu'elle chérissait mais un mari qui ne pouvait plus la courtiser comme avant et elle n'avait pas su
renoncer à son piédestal, elle ne pouvait accepter une telle dégringolade face à son estime qui la
contemplait à chaque heure du jour. Elle avait assez tôt subi certains doutes sur elle-même et avait
ressenti le besoin d'être désirée. Désir qu'elle ne lisait plus dans les yeux affaiblis et fatigués de son mari.
Comme si le canon de l'écran de son vieil ordinateur de bureau l'avait mitraillé toute la journée comme un
Viet-cong acharné. Laissant son mari pour mort au champ d'honneur, elle allait donc parfois conquérir les
bras d'un jeune homme. Ce soir-là, son bar de choix pour cet exercice n'était plus, 'the Quiet Woman'
avait été l'objet d'un attentat. Elle jeta son dévolu sur un autre bar, mais elle ne s'y senti pas à son aise et
sembla y repérer une de ses semblables. Aucun jeune garçon n'accrochait ce soir-là. Les deux anciennes
habituées du 'Quiet Woman' en vinrent à se sentir seules et se rapprochèrent pour discuter. La discussion
tourna rapidement autour de l'attentat et du peu d'attention qu'il pouvait attirer. Le même genre de
discours étaient tenu par les artistes de Laguna Beach. Un forum fut bientôt créé pour rassembler ces voix
non écoutées. Une idée folle mais efficace naquit au cours de certaines discussion de comptoir, une idée
qu'il fallait appliquer sans en parler ouvertement. Les Cougars allaient prendre d'assaut les politiques pour
qu'enfin leur voix soit entendue sur le drame de ce qu'il fallait appeler un onze septembre californien. Le
corps bien entretenu des Cougars serait le pétrole irakien du onze septembre.
Petit à petit, Pamela avait pris la tête du mouvement pour faire tourner les têtes du gouvernement
californien et les inviter lascivement à se tourner vers une plus grande considération du récent attentat.
Pamela guidait ces amazones modernes qui allaient percer les cœurs des dirigeants de leurs flèches
empruntées à Cupidon. Cette armé de Cougars aussi avait fait sacrifice de leurs seins, à la différence des
amazones d'antan elles n'avaient pas coupé un de leurs seins, des chirurgiens avaient incisé la paire pour y
ajouter une petite poche pour gonfler leur égos et les boxers. Ces guerrières américaines étaient 'silicone
plastiquées', voire 'silicone bombé' et comptaient faire exploser l'opinion politique.
L'art du porc
Plank Kims quitta son bureau, marchant à pas décidé la tête penché tout en montrant
ostensiblement d'un bras levé son badge Abribus. Le gardien ouvrit la porte automatique sans lui dire un
mot, sans pensée pour lui, sans intérêt. Il passait son temps dans les transports en commun à attendre avec
impatience que des collègues qu'il ne connaissait pas descendent, il n'extorquait de ces trajets quotidiens
qu'une petite lueur lorsqu'une femme montait. Son seul loisir était de laisser son attention se balader de
strapontins transformés pour l'occasion en tremplin de piscine olympique, de balustrades transformées en
vitrine du quartier rouge d'Amsterdam, de barre d'aluminium devenues podium pour danseuse sans bonne
étoile, sans classe et sans pudeur. Là où la tristesse aurait dû remplir ses yeux de larmes, un bien triste
quotidien remplissait son regard de temps gâché. Après un peu plus d'une heure dans les transports,
Plank était enfin arrivé à bon port et se sentait d'humeur à défoncer sa porte cochère. Il serait enfin le
héros d'un western qui n'aurait de spaghetti que l'allure vacillante des jambes de ses adversaires effrayés.
Il se contint et n'ouvrir que la petite portière pour entre, c'était bien à l'image de toute sa vie : des
ambitions d'ouvrir grand toutes les possibilités et finalement avoir à se faufiler par la petite porte et veiller
à ne pas trébucher en entrant. Il s'empressa comme chaque fois de dénouer sa cravate, de la faire glisser à
en faire brûler son col, de libérer ses poignets de sa chemise, d'enlever ses marteaux en guise de
chaussures et son pantalon qui le serrait trop. Son célibat l'en avait convaincu, il restait chic surtout
lorsqu'il s'habillait en tenue décontractait car il s'imaginait bien qu'une visite charmante pouvait toujours
arriver à l'improviste mais comme chaque soir il se sentait plutôt le roi des solistes et il n'avait pour seul
orchestre que son lave vaisselle, son lave-et-sèche linge, sa chaudière au gaz russe pas vraiment en
promotion comme l'avait fait rêver son nom, l'évacuation des non-digérés de leurs voisins par d'énormes
tuyaux qu'il avait - avant de s'installer dans cet appartement - pris pour une poutre porteuse en plein
milieu de son salon et en bruit de fond le ventilateur de son ordinateur constamment allumé pour
télécharger toute la musique qui pouvait bien circuler sur la toile mondiale. Il était bien content que le
confort moderne lui ait permis de vivre seul sans le reste de sa famille et donc sans leurs bruits incessant
et dérangeant. Il avait maintenant emmagasiné sur ses quatre disques durs externes de la musique à
écouter pendant plus de cinq an selon une estimation minorante qu'il mettait à jour régulièrement, sa
petite fierté. Il se sentait un vrai homme du monde, il avait la culture du monde entier à porter de clic, il
était une vrai citoyen du monde. Il l'avait brillamment illustré l'unique fois qu'il fut convié à un apéritif
dinatoire chez son voisin : « J'ai transcendé ma condition de pauvre ignorant des campagnes flamandes au
paysages bien trop vulgaires et aux gens bien trop plats. Maintenant, en quelque tour de compteur
électrique, je peux écouter de la musique de Ruskoff, de Mouloud, de Schleus, de Mafioso romantiques,
de camés protestant contre rien, de mangeur de kangourou, de Négros au blues qui a dérapé toujours pas
remis de leur traite, ces fous jaunes qui tuent leurs filles nous envahissent déjà assez comme ça alors
j'avoue limité leur présence sonore, ... » Plank avait continué pendant bien longtemps l'étalage
impressionnant de sa collection, il avait joué son va-tout pour tenter de ramener chez lui une petite
curieuse. Il dut se rendre à l'évidence du manque de curiosité culturelle des invités et rentra seule, bien
dépité car il avait compté que seuls dix huit pas séparer les deux appartements. Il décida de se concentrer
sur les dernières nouveautés musicales populaires en vogue pour attirer plus efficacement la prochaine
fois et lança de nouveaux téléchargements. Une fois son ordinateur lancé, il s'installa comme à
l'accoutumé à son bureau pour lire. Il avait tant lu.
Tiens, moi, j’écrirai bien une petite pièce de théâtre, moi ! Avec un actant intelligent et un autre,
heureux mais béotien… Non, un autre actant heureux mais inculte ; ça veut presque dire la même chose,
mais après tout, je ne suis pas un spécialiste du langage et pourtant, je peux parier que la moitié de mes
lecteurs ne comprendraient pas ce mot, peut importe lequel, de mot d'ailleurs. Encore qu'il soit d'ici,
encore heureux. Les gens se sont rendu stupides, se prennent pour des johnnies mais ne retiennent plus
que la nuit, leurs petits gadgets électrique ont pris la relève de leurs mémoires. Pour beaucoup, la devise
un pour tous, tous pour un a laissé place à une autre devise, l’argent, avec l’idée suivante, chacun pour
soi, tous devant le téléviseur. Encore faudrait-il qu’il y ait des lecteurs ! Non, pas de disque, mais je parle
bien de moi, de mes lecteurs, que dis-je, je parle bien de moi, mes admirateurs le feront bientôt mieux. Je
suis vraiment le meilleur, pour me faire rire. De toute façon, je ne serai jamais quelqu’un de référence
comme je l’ai toujours rêvé. J’ai pourtant toujours étudié dur, et je n’en suis que là, pas bien loin. Je n’ai
jamais voulu prendre de risque, j’ai toujours placé la barre bien haute mais dans mes domaines de
compétence, je n’ai que peu voyagé. Je suis un peu ce grand champion potentiel de saut en hauteur qui a
commencé avec la barre au sol pour se rassurer et qui est maintenant essoufflé alors que la barre n'est
encore qu'à son genoux. Encore plus têtu qu'innovateur, je n'ai jamais pensé à contourner la barre et le
tapis pour aller de l'avant. Quant bien même aurais-je entrepris d'aller de l'avant, je me serait retourner
vers le saut en longueur, pour courir et sauter après les autres mais pour finalement n'être encore qu'au
stade du bac à sable, un stade sans spectateur. En somme je n’ai jamais fait que les mêmes choses jusqu’à
maintenant. Quand je postule pour un emploi, on ne me propose que des postes où j’ai déjà une
compétence, donc développer d’autres compétences ne semble pas au goût du jour ou alors laissé à la
chance, au hasard des missions. J'ai commencé trop bas, pensant consolider de bonnes bases pour mieux
sauter, mais je me suis enliser dans la boue et essayer de sauter ne fait que d'éclabousser mes collègues et
moi-même et je me retrouve bientôt pris à partir et flanqué de coup de pied. Je suis une plante sur le bord
de la route que seul les conducteurs abreuvent le samedi soir de leurs urines houblonnées.
J’ai toujours aimé choquer, cracher sur les choses que l’on n’ose pas toucher, disposer des tas de
fanges pour que le voile des mariées s’y frotte avant de rejoindre l’autel où jadis on sacrifiait. Encore
qu’aujourd’hui le sacrifice de la chair a laissé place à un sacrifice bien plus douloureux, celui de toute une
vie. J’attends tout le monde au tournant, je grossis les traits, j’accentue les propos, je pousse à la faute. Il
faut se figurer que pour moi, mon utopie, mes vacances de rêve ne sont pas à Djerba, en Sardaigne non
plus, mais trop loin, j’aime lorsqu’on me dit, après tant d’efforts et d’économie, que je suis allé trop loin.
C’est mon lieu de villégiature préféré. Même au travail je peux y faire quelques excursions, à la journée.
Je me suis contenté de cet humour un temps, je me suis moi-même endormi dans cet état. Aujourd’hui je
n’en peux plus, je veux sortir de mes gonds, je veux surtout quitter mon quotidien, trop ordinaire. J’ai
déjà trop le sentiment que toutes mes qualités passées s’effritent, mes jeux de mots sentent la friture et les
égouts désormais, comme un bar de Malo par vent d'est. Je démissionne, je quitte toutes mes missions et
émission d'idées que personne n'affectionne. J’en perds mon vocabulaire, je ne trouve plus mes mots et
n’ai plus d’autre choix que de les réutiliser, dans la même phrase parfois, et donc d’en user le sens. Je ne
peux pas tomber plus bas que je ne suis déjà, comme baigné dans un vomit de rat je ne peux plus tomber,
je flotte tel un carré de carotte qui dégouline le long d'un trottoir de la City au pied d'un trader fêtant son
demi million de bonus un soir de semaine. Je ne parle que le Français, je bégaie lamentablement quelques
autres langues. Autrefois, c’était attendrissant, comme un nouveau né qui apprend, qui va progresser,
mais maintenant, ça fait mal au cœur, on s’aperçoit bien que la situation n’évolue plus, que la sclérose
s’installe. [---] Les hommes en règle générale sont déçus, après avoir été, pendant leur jeunesse, plein
d’espoir de changement, de défis à relever et de champs en friche à apprivoiser. La vérité est bien plus
plate, peu subtile et bien moins intéressante. Une fois au chômage, ce serait l’occasion d’accorder son
temps à des choses un peu moins utiles au monde, mais un peu plus utiles à soi-même. Comme par
exemple écrire une pièce de théâtre en y mettant tout son savoir, tout ce que l’on a pu glaner au fil de sa
vie et que personne ne semble écouter, personne ne semble pouvoir ni vouloir en profiter. Il fallait
dénoncer la médiocrité, il fallait prévenir les jeunes des illusions scolaires. On nous forme à des métiers
qui semblent intéressants, mais la réalité du monde du travail est bien moins aguicheuse et l’employé a
vite fait de sombrer dans une somnolence quotidienne devant son travail intellectuellement creux qui ne
fait avancer personne. Alors pour oublier qu’il n’a aucun rôle important, qu’il n’est même pas une fourmi
car une fourmi fait partie d’un ensemble cohérent, et le système industriel mondiale est bien tout sauf un
ensemble cohérent, ce petit employé endort son cerveau, il l’anesthésie. Le petit employé est face à un
gigantesque monstre plein de protubérances aberrantes, de moignons, une plante qui déploie ses branches
et sur lesquelles s’installent certains. Mais certaines de ces branches sont en réalité déjà mortes, on tente
de les faire tenir car il n’y a déjà plus de place sur les autres. Mais un jour il n’y a plus le choix, soit la
branche morte tombe pour laisser vivre la plante, soit la plante tout entière ploie et manque de se
déraciner. Alors on remercie cette chère personne pour tout l’intérêt quelle a pu porter à l’entreprise mais
le tuteur est devenu plus chère que la branche elle-même, alors il va falloir fermer monsieur. Mais ces
comparaisons sont encore bien trop simplistes, bien trop bucoliques. Bref, mon histoire est bien trop belle
et je suis bien trop laid. La réalité ne se raconte pas avec autant de plaisir et c'est pourtant là mon seul
plaisir de la raconter.
J'aimerai préciser ici aussi que la théorie du complot n’a pas lieu d’être et j'ajouterai même qu'elle
n’existe peut-être que pour rassurer certains. Pauvres petits mortels ! En pensant que certains hommes
haut placés tiendraient les rennes du monde et ne dévoileraient pas leurs stratégies, leurs grandes visions
pour un monde sous leur contrôle absolu, on peut dormir presque tranquille en s’imaginant que ce club
d'auto-élus peut tout faire changer, que le destin du monde est maîtrisé, donc maîtrisable. On n'est
personne, on est naïf, on sonne creux, on dissimule une multitude que rien ne justifie de regrouper sous un
même terme. Bande informe et non organisée d'idiots, il suffirait alors juste de donner ce pouvoir de tout
changer aux bons, aux gentils pour que les cigales nous bercent à nouveau. Le blaireau européen de base
peut rester dans son terrier entouré de son clan, le bien, le prix Nobel de la paix dirige le monde. En
vérité, personne ne peut prétendre maîtriser quoique ce soit, chacun tente juste de tirer son épingle du jeu
et bien sûr a tendance à forcer un peu la chance en préparant le terrain pour que les choses tournent à son
avantage. Le concept de superpuissance est une immense supercherie destinée à alimenter les cours de
géopolitique ou les débats entre anti et pro atlantistes. Mais hormis dans leurs films où tout est facile,
même les Américains ne sauraient sauver le monde. Il siérait mieux de parler de surpuissance de
l'absurde. Dès lors que ce trait fondamental de notre environnement est bien compris, nous avons deux
options : s’endormir le cerveau ou trouver un disjoncteur. C'est bien là notre drame, celui de comprendre
trop bien la situation, dès lors qu'on saisit que notre destin et la barque de notre monde est insaisissable,
notre esprit ne semble plus pouvoir connaître le repos. Aussi suis-je saisi de jour comme de nuit
d'angoisse encore plus absurde que mon monde. La religion aurait pu canaliser tout mon désarroi et me
permettre de rester dans le troupeau en priant l’agneau, j’ai également essayé le manque de sommeil ou
l'affut de la dépravation qui aurait pu faire des miracles psychosomatiques. Quand trop faible nos sens ne
répondent plus et notre cerveau déraille. Ma vie n'étant qu'une blague je pouvais à volonté ruiner mon
corps par mon propre bon vouloir. Hélas j'ai rapidement pressenti que mes rares moments euphoriques ne
seraient que de plus en plus rares. Faible de volonté je me suis remis à dormir de façon un peu plus
commune. La seule issue pour moi semble donc être le disjoncteur, je n’arrive pas, comme beaucoup
d’autres de mes pairs, à être un imbécile heureux. Ma conscience me rappelle bien trop souvent à l’ordre,
je veux alors agir et je me heurte en premier lieu à l’impossibilité et en second lieu à mon écœurement.
Mes disjoncteurs ont toujours été mes passions. J’ai quasiment toujours su trouver l’équilibre. Mais hélas,
le transport de joie des premiers instants passe et laisse un boulevard aux camions poubelles du sentiment
de répétition. Ce n’est pas le même problème qu’en électricité, lorsqu’un fusible saute, le système ne
s’arrête pas, dans mon cas, il s’emballe. Il faut alors remplacer le fusible au plus vite. Ces dernier temps,
il m’a fait défaut, c’est pourquoi je plaque tout. Je veux écrire, n'importe quoi, n'importe comment et sur
n'importe qui ; qu'en générale tout le monde y prenne pour son grade, une pièce de théâtre ferait l'affaire.
Plank avait pris cette décision sur un coup de tête. Des coups sur la tête, le destin lui en avait déjà
bien donnée, sa vie avait été assommante. Il lui semblait parfois qu'une police secrète d'insécurité de son
état, indigne d'une Stasi, l'attendait à chaque nouvelle porte franchie pour apporter un nouveau design à sa
boîte crânienne. Le ciel lui avait pourtant départi un bel esprit mais avait fini par l’étriller. Il n’avait
finalement pas su encaisser les coups de massue à répétition de l’échec. Il n’imaginait même plus ce mot,
échec, au pluriel. Il était devenu pour lui un indénombrable, un tout, une entité dont on ne peut même plus
différencier une partie du tout. L’échec était devenu pour lui un mode de vie, un adjectif de ses faits et
gestes, une interjection pour donner du rythme à ses phrases, un surnom pour appeler ses connaissances et
pour se reconnaître dans une foule. Il se retrouvait devant tout ce savoir, ces bibliothèques insurmontables
où il pourrait passer sa vie entière à ne lire que le catalogue, tous ces sujets qui ne dîneraient jamais avec
son entendement, ces courants politiques qu'il ne pouvait observer ni comprendre depuis la surface, ces
sciences dont il ne calculerait jamais rien, toutes ces références culturelles qui devenaient lors de
discussion entre amis une grenade dégoupillée qu'il fallait forcer dans la main de son voisin ou la jeter au
oubliettes. Ce que Plank aimait, ses vrais amis, les seules dont il osait prononcer le nom ou composer le
numéro une fois le soleil couché, c'était bien les mots. Ils l'avaient toujours protégé : en bouclier, en
labyrinthe ou nuage de notions fumeuses. Il avaient nourri les mots et s'en était nourri. Il voulait
maintenant recracher ce qu'il avait ingurgité sans amour. C'est dans cet état d'esprit jaloux du savoir des
autres et prêt à montrer ses monstruosités mentales improvisées dans le cirque vide de son salon qu'il
rédigea dix pages puissantes, puis cent, puisant dans les affres du temps de sa jeunesse galvaudée. Enfin
tout nous semble toujours facile dans les histoires, dans les films qui ne peuvent durer que le temps d'un
match de football, mais pour ce pauvre garçon qui s'auto-traumatisait, ces cent pages lui avaient demandé
beaucoup de sa personne, il avait du donner de sa santé, encore une fois, comme si vivre et penser ce qu'il
racontait n'avait pas suffit. Il avait du donner de sa disponibilité et bien souvent il avait voulu tout effacer,
d’une rage sans commune mesure, dans ces moments où tout son corps tremblait, toute son âme doutait.
Si tant est alors qu’il avait encore une âme. Il donnait en pâture à quiconque passerait sa tête au-dessus de
ses épaules ses mots les plus chers. Ces derniers ne laissant plus supposer qu’il ait eu un jour une âme. Il
avait personnifié ses mots, sa création et se sentait dématérialisé. Il s'amusa alors même à remonter plus
loin dans la folie humaine et se demanda si l’homme avait jamais eu une âme, si ce mot n’était tout
simplement pas l’expression d’une volonté de transcendance, de refus du médiocre quotidien, de la
volonté de prolonger ces instants de volupté que l’on peut ressentir, certains soirs, au coin d’un feu, dans
la pénombre, ou dans un coin sombre où l’on parle et se sent en osmose avec tout son milieu. La sobriété
alors nous suffit, on contemple activement tout ce qui nous entoure, on devient conscient que tout n’est
pas perdu, juste là. Alors on ne fait que de deviner son interlocuteur et puisqu'il faut deviner, alors
pourquoi ne pas deviner tout le reste et le voir comme on aimerait le voir, raconter les choses telles qu'on
aimerait les deviner. Mais tout s’écoule entre nos doigts et le lendemain matin la douleur nous rejoint, une
conscience, mauvaise et trop crue, nous assaille. On s’exécute alors aux tâches les plus basses et tous nos
rêves aériens s’écrasent. Peut-être est-ce tout simplement ça, ce mot : l'âme, la volonté de prolonger cet
instant d’infini. Prenons ici bien sûr le terme d’infini dans le sens du non achevé. Il pensait qu’il ne fallait
pas laisser cette réflexion aux exégètes qui n’allaient de toute façon pas scier la branche sur laquelle ils
asseyaient leurs croyances et défendraient toujours l’existence de l’âme. On ne passe pas sa vie a
rechercher un possible remède au virus du Sida pour dire qu’il n’en existe pas de possible, ou alors
l'éthique de voisin de bureau nous invite à la décence d’attendre que ses pairs aient jouit de toutes les
subventions pour l'annoncer.
Beaucoup de passages de ce livre se révélèrent médiocre à ses yeux. Si un bébé paraît laid à son
père, ses amis ne vont pas en faire grand cas se déplu-t-il à penser. Son nouveau-né ne criait que sa haine
d’exister, sa honte d’avoir été couché sur le papier, se plaignait de cette couche sale qu'il fallait changer.
Ses poumons ne s’emplissaient pas d’air, mais de purin fertile aux moqueries même de son créateur. En
Pygmalion déçut, il observait son œuvre et n’avait plus la force de la sculpter à nouveau. Il allait donc tel
un Frankenstein moderne laisser son monstre aller et se préparer un thé avant de s'installer devant le
journal télédiffusé de minuit. Son livre de chevet était achevé, il devait bien peser deux livres pensa-t-il
grinçant, lui qui avait pourtant le jeu de mot facile. Comme tout œuvre d'art, pensa-t-il, il devait
maintenant la faire connaître tout en maintenant vivante l’idée qu’il avait fait naître pour délivrer son
esprit d’idées qui le torturaient. Le lecteur peut bien voir ici tout le mal de notre société de
communication, où même le plus ignoble plagiat se veut être connu, pour ceux qui ne sont qu'une pension
pour leur père divorcé, qu'un numéro d'employé dépassé par leur travail, ou pire qu'un compte bidon sur
un lieu virtuel de rencontre. Un individu lambda, plutôt inintéressant que lambda d’ailleurs, voit dans la
notoriété le meilleur moyen d’accomplir sa vie, de laisser un petit quelque chose de lui, derrière lui qui
l'assure qu'il a bien, un jour, été lui. Cette bande en débandade qui a des centaines de contacts à porté de
clavier mais qui mangent seuls le midi, le soir et s'endorme en rêvant de devenir bientôt quelqu'un. Ceux
pour qui le succès d'une soirée se mesure au taux de participation, au niveau vocale sonore moyen, aux
nouveaux contacts ajoutés et aux nombre de ceux déçus de ne pas avoir pu être des leurs. Plank avait
toujours cette phrase en tête qu'il avait élaboré en guise d'introduction : le personnage passe au premier
plan, devant même la personne, et c’est alors que le tableau s’effondre devant tant de couleurs et de
formes disgracieuses qui obnubilent l’observateur et obstruent toute la profondeur de chacun, devant le
vide de nous tous. Seul nos pâles avatars son mis en avant, comme des bâtards de mass media, un
croisement entre information et spectacle. Lors d'une rencontre, on ne se présente plus, on se vend. Plank
était devenu le maquereau de sa propre popularité. Il filtrait toute l'information à son sujet et avait réécrit
la pyramide des besoins de Maslow, Plank ne voulait plus être le meilleur qu'il puisse être, il voulait être
le meilleur qu'il puisse paraître et le faire savoir. L'information, le jeu vidéo du sciècle. Mais
l’information est morte depuis bien longtemps, cette notion a cédé la place à la publicité. Il ne s’agit plus
de négocier ni de penser une réforme, mais de nous la vendre, avec en cadeau bonus une petite séquence
au contenu explicite. Aujourd’hui, le rêve informationnel serait un scandale pornographique avec de
l’argent sale et des cadavres. Pour le coup, même l'Église catholique est passé pas loin de rentrer dans
cette catégorie et faire rêver les journalistes du monde occidental. Pour devenir célébrissime en somme, il
ne vous reste plus qu’à étouffer des gens, jeunes de préférence, avec ce que vous avez de plus phallique
en vous torchant le postérieur avec des dollars, eh oui, l’Amérique fait encore rêver. Je ne saurai trop vous
conseiller d’écrire d’avance, en les faisant relire à votre maman, si vous ne l’avez pas traînée en justice
auparavant pour défrayer la chronique, les phrases que vous pourrez ensuite placer lors de vos rencontres
avec la presse pour passer à la postérité. Sachez cependant qu’au regard du grand public, traîner des
proches devant la justice n’est pas très bien vu. En effet, personne de dort jamais vraiment tranquille,
entre un chewing-gum craché sur la voie publique et des nuits qu'on a mémoire d'oublier, chacun se sent
la prochaine victime. Ne négligez pas non plus l’aspect financier de votre petite opération juteuse et
pensez à écrire un livre sur tout ce que vous n’aurez jamais révélé, ni à la police, ni à la presse. Un de vos
amis aura eu le bon goût de réaliser un tournage amateur avec tout ce ramassis de gloire moderne pour
que vous puissiez ressortir ces images au cours d’une émission nostalgique qui retrace les grands
évènements de ce siècle. N’oubliez pas ce mot, image. Il est bien plus que le nom d’un groupe démodé de
musique, il est ce à quoi vous devez faire attention si vous voulez être le bruissement que l’on distingue
dans le brouhaha médiatique. Pensez à votre image, à l’impact que vous pouvez et donc que vous devez
avoir sur un homme moyen. Aujourd’hui, l’image est le tout, l’ensemble qui justifie et pardonne à
chacun, le grand maître à qui rien ne peut être refusé. Notre époque est celle de la volonté de voir, croire
étant dépassé. Or cette demande est insatiable, il s’agit donc d’en profiter. J'ai déjà tellement vu d'images
qu'il m'en faudrait bien plus encore pour me faire rêver. Croyez moi, si un jour j’ai l’occasion de diffuser
mon image, je garderai en tête la loi du rêve informationnel pour percer. Il s’agit uniquement de se faire
connaître, c’est désormais une fin en soi. C’est une fin pour moi, pensa Plank, je sens en tout cas
quotidiennement cette faim en moi. Il venait ainsi d'ajouter ces remerciements à cette société absurde à
laquelle il devait son livre.
Les cougars s'exportent
Bientôt toute la Californie se plaçait derrière son gouverneur et les discours sur le second onze septembre
s'accentuaient. Bientôt toute l'Amérique s'indignait. Les toiles des artistes de Laguna Beach décrivaient un
second onze septembre plus atroce qu'un Guernica de Picasso mais bien moins inspiré. Ces toiles
s'arrachaient dans l'Amérique entière et finançait un fond dit de lutte contre les attaques Européennes, un
humoriste français parlait grassement de masturbation de la peur et nommait ces dernières toiles de jute
qui intéressaient plus aux bourses américaines qu'à la fibre romantique. Ces fonds furent bientôt dédiés à
remplir des portefeuilles d'hommes politiques chargés de 'régler la question des agressivités européennes'.
Les différents partis politiques étaient copieusement arrosé de Dollars pour réveiller le sentiment national
et protéger la côte atlantique américaine. Bientôt les États-Unis saisirent l'opinion internationale afin de
faire pression sur l'Europe, chaque nouveau sommet, chaque rencontre devenait le lieu d'un racolage
américain aux dépens de l'Europe. L'agriculture européenne se vit peu à peu, et à l'insu des politiques trop
préoccupé à redorer leurs blasons, contrainte d'utiliser des semences américaine à usage unique. Cette
manipulation douce faisait partie d'un grand plan américain pour mieux contrôler l'Europe et pouvoir
modeler en temps voulu son comportement. L'astuce toute simple avait été de mettre au point des
semences productives qu'une seule fois et de les avoir brevetées par des firmes américaines implantées en
Europe et investissant largement pour diffuser leurs produits. Ce plan baptisé « New Rope » était
représenté sous le manteau par une caricature voyant oncle Sam tenant John Bull en laisse tournant au
nœud coulant. Il étaient présenté comme un véritable rempart aux agressions européennes qui comme
l'avait montré le second onze septembre pouvait coûter la vie de citoyens américains innocents. L'Europe
en punition se voyait contrainte de manger dans la main des États-Unis qui pourraient ainsi décider à leur
gré de fermer cette main si l'enfant se montrait trop terrible. Tout projet de positionnement par satellite
européen fut réduit à néant par pression militaire américaine. Enfin, pour prévenir tout dérapage, ltoute
entreprises majeures de l'aérospatial, de la défense et de l'énergie furent rachetées par des fonds
souverains américains ou par d'obscures fonds manipulé de main ferme mais discrète par l'état américain
pour la protection internationale. Il fut jugé trop dangereux de laisser une telle force aux mains des
Européens, force qui se verrait transformer en arme de destruction massive en cas de détournement d'une
fusée, d'un avion ou d'une centrale nucléaire par des indépendantistes de la Flandre Maritime. Le terme
arme de destruction massive ayant fait son temps et perdu de son impact sur l'électorat, les discours
alarmistes s'étaient vu saupoudrer de moyen européen de génocide masqué. Beaucoup d'intellectuels
européens eurent vite fait de tourner en dérision ce terme. Cette dérision fut tout de suite filtré comme une
attaque ce qui envenima le débat et justifia la dureté du discours américain. Le gouvernement américain
exigea que réseau 'Lion Flamand' soit d'abord démantelé avant que l'Europe puisse être traité en égale. La
France se voyait humiliée, et bientôt l'Europe, dans l'amalgame, se voyait aussi réduite à subir les
décisions américaines. Décrétant l'urgence de la situation Washington exclu l'Europe de toute discussion
à l'ONU. Bientôt les entreprises aéronautiques européennes se virent racheté d'office par l'état américain
avec le support de l'ONU afin d'éviter une opération de la Flandre Maritime similaire au premier onze
septembre. En toile de fond, bien plus discrètement mais tout aussi efficacement le marché de l'énergie et
des communication fut englouti comme un sandwich sans goût. Cette politique avait été appliquée avec la
diligence d'un jeune homme avide de relation charnelle, et en effet, bien que l'action des cougars ne firent
couler que peu d'encre, ignoré du grand publique, elles firent couler une chose bien plus agréable aux
hommes politiques. Les larmes d'étudiants et autres expatriés européens tondus, dépouillés et parfois
violés ne coulèrent qu'à l'ombre des cargos de rapatriement non couvert par l'assurance. Un casus belli de
plus en plus évident se mettait en place. La force de la politique américaine fut de recourir à l'OTAN et de
laisser l'Europe s'y exprimer tout en exigeant de contenir les pays Européen les uns après les autres. Le
premier rôle fut de semer la panique en réclamant une présence de l'OTAN en Flandre Maritime, dans le
Nord de la France.
La France entière et bientôt toute l'Europe s'indigna. Personne ne pouvait comprendre la
revendication de la Flandre Maritime, ses habitants n'y parlaient que le Français et n'avaient qu'un accent
et quelques mots particuliers emprunté d'un Flamand occidental oublié. Les diplomates français
soutenaient, très certainement à juste titre, que l'organisation du 'Lion Flamand' n'était qu'un groupe sans
envergure et qu'il s'agissait d'une fausse cause, d'un prétexte pour commettre une sorte de suicide, d'acte
absurde. Mais quand les États-Unis se firent menaçants, la France toute entière réagit et se tenait prête à
soutenir le département du Nord. Des indépendantistes corses, basques et bretons parlaient de Van David
contre the Goliath, chacun demandant aux Flamands de tenir bon que bientôt eux aussi les suivraient dans
ce combat pour la liberté et l'indépendance. Les autorités françaises se voyaient désemparées et ne
comprenait plus comment maîtriser ce délire, tout circulant par internet, par « posts », par commentaires
et téléphone, maîtriser la télévision ne changeait rien et la rendait obsolète, seule la toile donnait quelques
informations croustillantes. Aucune politique bien définie ne put être établie à l'Élysée et un statu quo fut
réclamé avant les réponses d'enquêtes sur le terrain avant de pouvoir déclarer ou non son soutien à la
Flandre française. La Belgique n'y pensait pas et désirait rester neutre, ayant déjà des difficulté à ce que
cohabitent chez elle les Flamands et les Wallons. Bientôt les journaux d'extrême gauche comparaient
cette démarche lâche à la neutralité de la Belgique pendant la seconde guerre mondiale et déclaraient y
voir un comportement bien européen qui vouait chaque région d'Europe à sa perte d'identité culturelle, la
partie n'étant jamais défendue par le tout : une sorte de synecdoque fatale à l'union. L'administration
américaine décida d'utiliser les ch'tis comme gurkhas, armant et motivant les personnes du Nord aux
racines ch'tis à combattre la Flandre Maritime sur le terrain. Les spécialistes américains parlaient déjà
d'envoyer les « biloutes » contre les « veint'che ». L'extrême droite française joua immédiatement sur
l'identité nationale, jouant finement et n'admettant jamais soutenir les Ch'tis ou les Flamands dans leurs
luttes mais fournissait des armes et s'épaula d'experts des deux cultures locales pour populariser des
chants de guerre en dialectes locaux. Des émeutes acharnées, sans vainqueurs, sans noms, l'insécurité
comme fond de commerce de l'extrême droite, pourrirent le Nord tandis que les boucliers se levaient dans
le reste de la France et chercherait refuge auprès d'un dirigeant à la main de fer. Bientôt une véritable
guerre civile éclata, les armes improvisées foisonnaient : la mort semblait attendre le Français à chaque
coin de rue et la France, honteuse, fut contrainte d'accepter la présence de troupes de l'OTAN sur son
territoire et toutes les actions américaines se virent soudain justifiées. L'extrême droite n'ayant jamais dit
son dernier mot publia : « La Flandres est américaine, pour l'heure ! »
Le discours officiel américain était bien différent de la situation sur le terrain et justifiait toute
action de l'administration américaine, la version des faits présentée jusqu'ici était celles des historiens et
analyste de la géopolitique, désormais habitués à se plier aux stratégies expansionnistes de l'état
américain pour garder leurs postes. On pouvait ainsi lire que cette période climatérique serait
certainement considéré à l'avenir comme le retour de la domination américaine et l'entrée de l'Europe
dans une situation identique à l'époque postcoloniale. Bref, l'Amérique écrasait l'Europe avec les
honneurs de l'arbitre.
Qu'a fait l'écrivain ?
Plank voulait obtenir quelques retours critiques sur son manuscrit, aimant trop son nouveau né il
avait peur de ne pas se rendre compte qu'il était roux et avait des bras trop courts qui ne lui permettraient
jamais de mettre les mains dans ses poches ou d'attraper le fromage à l'autre bout d'une table. Première
méthode de promotion sans motion voté ni notion casée : un café. Un café bien noir de préférence, surtout
pour les formes, et bien corsé, donc, pour qu’on puisse profiter de ces formes. Il s’installa en terrasse,
étala son livre et interpella des passants sans raison pour faire appel à leur jugement. C'était très important
pour Plank de recevoir les commentaires d'un homme commun, voire fade ; peut-être même que son livre
lui changerait la vie. Il imaginait déjà les blagues ignobles à l'encontre de son enfant : « Bras trop courts
moins de chocolat ! ». La plupart des passants daignaient lui sourire mais ne s'imaginaient pas un seul
instant s'arrêter et hâtaient le pas. Le Pas-de-Calais pensa-t-il, l'esprit s'égarant dans cette terrasse
nordique, voie de garage de l'artiste. Certain passants abandonnèrent même l'idée de s'installer à ce café
de peur d'être pris à parti ou de se voir refuser leur intimité. Le patron ne semblait pas ravi de ce larron,
mais Plank eu finalement une envolée de chance lors de sa dernière tentative, le passant interpellé
semblait intéressé voire terrassé par son œuvre neuve, preuve qu'il abreuve l'esprit :
« Fedeme, eul ivre y é pas mal du tout !
- Merci, vous me semblez être un lecteur perspicace !
- C’est claire, y casse eul bouquin. Mais, euh, comment que j'vais dire ça moi, il est rien compliqué,
les mots j'veux dire !
- …
- Comment qu’tu t’appelles ?
- Ah j'entends bien vos propos. Mon essai n’est pas clérical du tout ! Le côté irascible de Plank
faisait maintenant entrave à toute acceptation des propos de son interlocuteur, il se refuserait
désormais au moindre effort pour comprendre l'inutile inconnu.
- …
- Enfin peut-être y avez-vous vu un double sens. Je ne ricane pas du tout face à vos propos si
déconcertant tant que je peux voir chez vous un intérêt pour mes écrits.
- Je ne comprends pas tout les mots là, vous êtes ricain ? Ça vous sert à quoi vous d'employer tous
ses mots ?
- C’est exact, je ricane devant les idiots. Et voyez-vous, je suis au bord des larmes. Sa soif de
sarcasme était inextinguible. Tandis qu’ailleurs tant de drames nous oppressent, si vous voyez la
référence musicale…
- Bon bein ça a été un plaisir, c’est sû’, mais bon bein on s’comprend comme pas bien à mon avis
alo’. Vot’ nom ?
- Vous croyez vraiment avoir un avis ? Sincèrement ! Plank sembla alors s’adresser à toute la
terrasse du café qui ne sembla pas vraiment enchanté de l’entendre s’exprimer ainsi comme un fou
infatué et bruyant. Vous savez cher concitoyen, les idiots votent non comme ils votent oui. Eh oui,
je rebondi sur chacune de vos phrases, je suis tel un caillou plat qui ricoche sur chacune de vos
répliques, caillou plat donc mais qui ne manque pas de relief, qui transcende la platitude de vos
contrés.
- Eh ben, soit j’ai capté queud, soit y é long le nom d’auteur !
- Ils n’ont pas d’opinion ni d’avis ni de vie ni d’ami, foi d’auteur ! Certains commençaient
maintenant à quitter la terrasse, gênés pas tout le foin que pouvait faire les forfanteries de cet âne
que savait être Plank.
- C’est vot’ prénom ça si ça se trouve ? Non mais faudrait vous entendre !
-
Pardon, je ne vous suis pas, vous désirez certainement connaître mon nom ?
Ah, on va n’en voire eul bout ?
Je m’appelle Plank Kims. Puis-je avoir l’honneur de faire votre connaissance ?
Vos phrases sont drôlement longues !
Votre nom ?
Wing, Harness Wing.
Enchanté !
Moi 'si.
Ah bon, vous avez un nom composé : Harness-Wing Moisi ?
Bon, y fait tard. Salut ti ! On n’doit pas avoir le même humour et chui bien content d'avoir pas
donné mon vrai nom, des fois que t'as envie de faire eul zouave. Pi tu parles comme t’écris
j’trouve. Et pas l’inverse hein !
Au plaisir ! »
Quel drôle de langage ! Et quelle dégaine ! Il n’aurait certainement pas compris le mot béotien. Il
fallait se débarrasser de cette espèce de chapon à la salle d’aisance, comme on le ferait d’un ascaride
pensa-t-il ! Les enfants délinquant du village avaient peut-être coupé la tête à ce chapon depuis bien
longtemps et le regardaient encore courir en rond dans la cour. La tête défalquée, il faisait bien rire tout le
monde. S’il en existait des personnages ainsi élevés vers le bas.
Et Plank rit à mort de son oxymore. A défaut d’avoir à travailler ce jour là, à défaut d’être utile, il
oubliait son désœuvrement constant par son humour personnel. C’était une longue suite de ricanements
intérieurs. Son humour n’était pas destiné à se prostituer aux autres, aux passants, aux auditeurs de
passage et de bas étage. Il fallait connaître toute sa vie, pour rire à la moindre de ses remarques,
comprendre l'accumulation. Car chacune de ses interventions, prise à part, semblait sans saveur mais
lorsqu’on mettait la totalité de ses inventions bout à bout, le vase débordait, le latex craquait ou - cela
aboutit presque au même résultat finalement - le bouton explosait et le pue se répandait pour engendrer la
vermine. Mais pour lui, même face à la mort, le rire nous fait oublier que l’on n’a plus rien à perdre car
tout est perdu et noyé dans l’absurde du comique. C'est un peu une drôle de technique de survie en haute
mer qui, plutôt que d'apprendre à nager parmi les cons, constitue à se forcer à boire la tasse pour s'enlever
l'envie de se noyer. Plank laissait ainsi les imbéciles s'ébattre dans les eaux frelatées à se laisser emporter
par les courants de pensé modernes tandis qu'il renâclait et prétendait nager avec les requins. Il aperçut
après que presque tout les monde ait quitté la terrasse un homme comme penché sur sa table, il tenait un
stylo en main. Certainement un écrivain, pensa benoîtement Plank, un artiste qui avait su apprécier mes
tirades. Il s’approcha prudemment, tel un chat.
« Bonjour, puis-je m’introduire ?
- Non merci vous savez, toutes les expériences sexuelles que j’ai pu avoir m’ont dégoûtées.
- Non, je désirais simplement me présenter.
- Mais bien sûr, dis l'homme en riant, je vous ai pris au mot…sexuel.
- Je suis Plank Kims.
- Et moi, je suis à la terrasse d’un café et je vois arriver un « homme au » … sexe masculin qui
s’introduit. Voyez-vous la chose ! Il croisa ses bras sur son ventre trop gros et remuait sa bouche
comme pour donner vie à sa barbe et la transformer en forêt sous-marine malmenée par les lames
de fond.
- Je suis écrivain.
- D’écrits vains ?
- Puis-je vous faire partager mes écrits.
- Tant que ce n’est pas vos cris… Vous parliez bien fort. L'homme observa un moment de silence,
s'attendant à voir Plank rire, ou sourire. Plank ne semblait pas vouloir changer le moindre trait de
-
son visage sérieux, l'homme continua. Bien sûr, donnez m’en la moitié, on partage 50-50. Au
lecteur de recoller les morceaux et de deviner la suite.
Non, tenez, je vous procure l’ensemble. Vous pouvez le lire à loisir, j’aimerai juste savoir l’effet
que je peux avoir sur un lecteur, à chaud.
Merci, et maintenant, allez-vous en, laissez-moi un peu d'air et d'espace, j’aime lire seul !
Mais…
Ta fort. »
L’homme lut la nouvelle (allitération en « l » pensa-t-il bien sûr tout de suite) de monsieur Kims
d’une traite. Plank eut de son côté tout le loisir de commander une tasse de café cependant il ne voulait à
aucun prix commander un deuxième café ; il prit donc bien le temps de siroter son premier café bien qu'il
fut maintenant froid et qu'il lui semblait avoir vu certain postillons du Dunkerquois y atterrir lors de leur
entretien de sourds. Il appliqua ses lèvres au liquide noirâtre en pensant à l’époque coloniale. Il s’y voyait
presque, cela lui était venu tout de suite après avoir commandé son café, son petit noir. Il avait un grand
sourire aux lèvres. Bien sûr comme tout bon royaliste pro-colonialiste et un petit peu révisionniste de fin
de soirée, il ne s’imaginait pas un seul instant à la place des serfs, mais bien à la place du petit noble de
province qui jouirait de son domaine et des femmes qui y travaillent, avec son nom précédé d’un délicat
« de », comme une ancre qui le rattache à son domaine et nous le rappelle, de la même manière que
l’adjectif merdeux devrait le rappeler à l’ordre. Une multitude d'expériences et d'écrits nous éclairent sur
la noblesse et on entend bien que pour lui en vérité, la particule est un petit peu déplacée, trop à gauche du
nom. Dans son temps libre, chacun peut même souvent penser que cette particule est un petit peu
déplacée chez bien d’autres personnes : de ou deux ? De mais de quoi, pour qui ? De mes deux ? [---] Son
sourire disparut bien vite lorsque son voisin le dérangea en ces termes :
« J’aimerai savoir de quoi cet ouvrage traite ? De rage ? On se demande si vous serez jamais à court de
vinaigre. Je n’ai pas encore tout lu mais bon… Je ne sais pas quoi dire, que nous reste-t-il à nous dire
après ça ?
- Non, on peut dire que mes écrits traitent des idiots qui pourrissent la société.
- En fait je pense que votre ouvrage ne traite pas vraiment d’untel ou d’un autre, il traite tout court.
Vous me semblez bien peu indulgent envers les gens !
- Soyons honnête, ce sont des carcans pour la société !
- Mais soyons raisonnable, la société est composée de ces gens sinon elle n'est pas. Vraiment, quand
on écoute bien, chacun peut nous distraire voire nous subjuguer ! Il s’agit simplement de rester un
peu attentif aux autres.
- Sinon elle n'est pas dites vous, mais ce sont peut-être certains qui ne devraient pas naître ! Qui êtes
vous pour dire de telles choses.
- Oullah ! Vaste question, que celle là, qui suis-je ? Je n’en sais trop rien, c’est une question bien
métaphysique et trop personnelle pour que je l’aborde maladroitement sans préparation, ici, et
encore moins avec vous. Nous pourrons dire, ça n’engage qu’à peu de chose, que je suis un poète !
J’ajouterai même pouette pouette !
- Ça n’a aucun sens, vous ne me lancez que de vieux monologues, veuillez décliner votre identité !
- Rima Rima Rimam Rimae Rimae Rima. La voulez-vous à la troisième déclinaison, j’ai fait un
peu de latin jadis ? Décontractez-vous enfin !
- Vous êtes aussi un comique…ça vous arrive de faire rire des passants ? Restez assis là, je
tournerai une fausse caméra cachée.
- Vous m’attaquez bien bas, vous êtes odieux !
- Oui, je suis aux dieux ce que vous êtes aux fosses septiques, leurs images.
- Pas du tout, enfin je veux dire peu importe, j’aime la vie et accepte tout le monde. Je me passe
volontiers de tous vos mots savants qui s’imposent comme une barrière pour le lecteur. Je suis
même ouvert à continuer le dialogue avec vous et vous pardonner votre incartade.
- Admettons… Quel est votre nom ?
-
-
-
-
Vous daignez enfin vous exprimer simplement ! Je suis Somer Sault. Mais je signe plus volontiers
Rimsz. C’est un pseudonyme un peu plus compliqué qu’il n’en a l’air. Pour faire court, j’aime la
rime. On peut aussi y voir…enfin peu importe, je ne pense pas que cela vous importe. Quand à
vous, vous pourriez signer Hain, car vous aimez la haine me semble-t-il.
Non, je signe Imbecil, car j’aime dialoguer avec les imbéciles. Sinon que ferais-je à la terrasse
d’un café à entendre vos propos débonnaires, les gens en général n’osent jamais exposer avec
force leur point de vue ? Alors on tend la main à n'importe qui on sympathise avec sa bêtise on
félicite l'instinct grégaire !
Vous progressez nettement, vous aimez enfin les dialogues avec Monsieur Quidam, certes un petit
pas pour l’homme, mais c’est déjà un grand pas pour l’humilité !
Vous êtes un bien petit homme ! Voyez-vous donc que rien n’est vraiment sorti de notre
discussion, vous parlez sans doute de la même manière que vous écrivez, pour la postérité, pour
une lecture posthume lorsque votre cœur sera pesé sur la balance céleste et que l’on vous
reprochera votre passivité, épouse de tous vos vices. Vous tenterez alors certainement de les
amadouer en leur tendant vos écrits, d’un bras qui tremblera, j’entends déjà les feuilles bruire
d’ici. Mais l’œil divin percera mieux que quiconque vos secrets, il vous percera de toute part. Tout
sera alors enfin fini pour vous. Vous êtes un bien petit homme !
Et vous, un petit esprit. Voilà comment je pourrai peut-être vous qualifier. Vous êtes un coriace
des lettres, quelqu’un qui fait cavalier seul, vous talonnez votre cheval sauvagement et vous vous
perdez dans les plaines arides des digressions. Je ne peux certes que m’incliner devant votre prose
et vous appeler le grand Robert, uniquement pour faire référence à votre cadet.»
Somer eut soudainement une envie primaire, bestiale, de cracher par terre pour ponctuer son
monologue. Sa respiration s’était un peu accélérée, il aimait ces moments, où il se sentait vraiment vivre.
D’aucuns recherchent la vitesse, les hauteurs ou l’interdit pour se sentir vivre. Il ne fallait à Somer qu’une
altercation verbale pour sentir que sa journée avait valu la peine d’être menée jusqu’au bout. Plank quant
à lui arrêta la conversation à ce point, pourquoi continuer à s’embourber avec un homme à l’esprit
boueux, voire bouseux pensa-t-il, que faire avec le gros Robert ? La société se dépravait-elle tant ? Il
fallait prouver le contraire essayait-il de s’encourager pour ne pas baisser les bras. Il se moquait pas mal
de la prétendue victoire que pourrait penser avoir remportée…comment s’appelait déjà ce monsieur, enfin
s’il fallait encore lui donner le titre de seigneur. Comment s'appelait déjà ce « mon », ce monticule de
produits dépravés toxiques ?
The governator is back
La Californie se voyait en pleine crise, les écrans en était plein, en live, en flux continu, lorsque
survint ce que les discours politiques décidèrent d'appeler à la volée 'the second nine eleven'. Le moindre
arriviste se référait à cette phrase choc à volonté dans les discours publiques, le vide des idées avait créé
cet appel d’air et bientôt toutes les salles de réunions empestaient une crainte aveugle, personne n’avait la
moindre idée de l’ampleur de l’évènement mais tout le monde commentait. Chaque journaliste cherchait
la phrase choc qui resterait dans l’histoire du journalisme, chaque chaîne se déchaînait pour avoir son
appellation incontrôlée tel « arme de destruction massive », « guerre pour la paix », « guerre contre le
terrorisme », « jour le plus sombre de l’histoire américaine ». Tout le monde ayant la moindre
connaissance vivant en Californie se rua sur son téléphone, sa boîte e-mail et chacun ému d’avoir été
appelé en profitait pour ne pas trop rassuré son interlocuteur, décrivait comment il se sentait, comment il
avait survécu le choc et comment il fallait bien que la vie suive son court qu’on ne pouvait pas tout arrêter
pour quelques religieux fadas et que le gouvernement américain ferait son boulot pour les protéger, les
venger et produire des films digne de péplum sur leurs drames. Bientôt aussi apparut la théorie du
complot, le laisser-faire du Pearl Harbour et le World Trade Center n'avaient pas suffit, « ils » avaient
encore laisser faire... L'argument majeur en était le suivant : entre les deux crashs de bus, il s'était écoulé
plus d'une demi-heure, hors la police américaine, la plus efficace du monde, n'était pas intervenu pour
mobiliser le deuxième bus qui certes roulait selon les témoins oculaires à une vive allure. Les
complotistes n'en démordaient pas, un bus ne pouvait pas rouler si vite, plus vite que la voiture de Starsky
et Hutch ! En plus ces nouveaux chevaliers n'avaient peur de rien et étaient censé toujours gagner à la fin.
Le gouvernement californien était donc soupçonné par certain illuminés d'avoir laissé faire, laissé le
drame se produire, et les industriels du transport, les media étaient du gâteau pour avoir leur part de la
mèche. La famille du président elle-même devait avoir des liens ou tout du moins des intérêts communs
avec les terroristes. Certains experts s'exprimaient publiquement sur le sujet, tous les thèmes étaient
abordés, de la physique la plus élémentaire pouvant s’appliquer au déplacement d’un bus à l’aspect
géopolitique de l’origine des terroristes. Bien peu de monde discutait du fond du problème américain
d’alors, la vraie question, le vrai enjeux était de discuter non pas du comment cela était arrivé, mais plutôt
comment l'Amérique en était arrivé à en faire un tel usage politique, utilisant deux accidents ayant causé
la mort d'une poignée de personne pour entrer en conflit avec l'Europe. Encore une fois personne
n'écoutait Arunghati Roy et chaque camp comparait ses morts plutôt qu'ils ne les additionner. Peu de
monde se rendaient compte que depuis Novembre 2001, les Etats-Unis étaient un pays officiellement en
guerre contre le terrorisme, un pays que chaque ambassade aurait dû scruter avec plus d’attention avant
d’y laisser partir ses ressortissants. L’Europe aurait pu se souvenir de sa riche histoire et savoir qu'un pays
en état de guerre peut se justifier de prendre des décisions extrêmes. Alors une statue de liberté dans un
pays en guerre aurait dû attendre avant de revoir des touristes européens. Cet état de crise et cet état de
fait semblait se banaliser et pouvoir continuer au bon vouloir des hommes politiques. Le colonel Khadafi,
« tyran sur son peuple », faisait maintenant figure de débutant sans envergure. Un pays de saintesnitouches en guerre que les générations futures décrieront comme une politique d’hyper control extérieurs
dans un monde post-industriel rendu possible par une institutionnalisation et une autoprotection des élites
dans le modèle démocratique américain et une Europe neurasthénique plombée par une Allemagne dont
la fierté ne sorti jamais de sa gueule de bois, une Angleterre n’œuvrant qu’à son intérêt propre et suivant
coûte que coûte l’Amérique, d’une France vivant au-dessus de ses moyens, une Europe de l’Est rêvant
d’une protection américaine contre un voisin russe trop proche et une Europe du Sud ayant perdu le Nord
et la croissance. Bref, un concept bien lointain et compliqué que seul quelques thésards discuteront
pendant que le reste du monde dit « en développement » et qui aurait pu se développer ne s’expliquera
jamais où est passé sa jeunesse et ses matières premières.
De retour dans le nombril du monde, à force de discours, le gouverneur de Californie avait gagné les
faveurs populaires américaines et bientôt une armée fut levée et prête à intervenir avec ferveur en Flandre
Maritime. Des spots publicitaire dressant les portraits de soldats américains parti sauver le monde sur
fond de piano soldé par une monté en puissance de guitare saturé emballait les cœurs des ennuyés du
dimanche après-midi. L’industrie américaine et les spéculateurs financiers ne disaient pas mieux,
n'avaient pas mieux en stock pour faire monter leur options. L'ancien acteur de blockbuster américain
avait vu dans cette crise une grande opportunité de faire oublier les problèmes économiques et sociaux de
son état, les feux de forêt parfois mal anticipés ainsi que son manque de compréhension des crises. Le
gouverneur gagna bientôt le soutien Autrichien. Lorsque par un coup de théâtre inattendu l'Allemagne, en
réparation aux torts causés pendant la seconde guerre mondiale, se joignit à l'Autriche, la communauté
internationale tout entière fut en émoi. Le scénario ressemblait à un scénario inversé trop bien connut des
années quarante. Et bientôt de Bray-Dunes à Bonifacio des slogans antinazis et plus simplement
antigermaniques refirent surface. C’est ainsi que bientôt dans bon nombre de pays chaque bouteille de vin
fut bu sous les rires confirmant que les Allemand ne l’auraient pas. Les médias nationaux gardait un cap
politiquement correct. Internet et ses réseaux d'anti-sociaux avait pour la première fois dans l'histoire pris
le premier plan de l'endoctrinement du citoyen européen moyen devenu soldat en devenir. Les révolutions
et les guerres ne se passaient plus à la télévision mais s'organisait sur les réseaux sociaux. Le discours
publique, refusant d’attaquer la dérive populaire sur le réseau en perdit tout son crédit et bientôt les
décisions politiques inter-européennes se jouèrent sur le net.
Contre toutes attentes, à l'inverse de toutes les anciennes stratégies d'attaque américaines récentes, le
gouverneur californien décida d'une attaque au sol, d'un nouveau débarquement. L'impensable se
produisit, un personnage de film d'action ne meurt pourtant jamais de façon idiote, surtout pour un film à
si gros budget ! Des centaines d'hélicoptères suivaient l'action de près et les images étaient retravaillées et
l'action retransmise au peuple américain vibrant devant cette nouvelle émission de télé-réalité. Hélas
l'acteur vu sa carrière se terminer au fond de la manche, au large de Dunkerque. Au cours d'une
impensable bataille navale et aérienne, avant même que le moindre Américain eut débarqué en Flandre, le
bateau du gouverneur sombra après avoir essuyé une salve de charges lourdes. De simples films pris en
riant avec des téléphones portables prouvèrent au monde que de simples adolescents flamands avaient
descendu l’icône américaine. L'Amérique fut sous le choque, un mythe du cinéma Hollywoodien ainsi
que le mythe de la guerre avec perte zéro avait sombré avec la moitié de la flotte envoyé vers les plages
de sable fin et d'eau glauque. Les experts étaient préoccupé et s'essayaient à comprendre comment une
énorme erreur stratégique avait pu surprendre l'Amérique. Le président mexicain, incrédule, voyait
revenir certain de ses « dos mouillés » qui croyaient la Californie déjà perdue. Le gouverneur-acteur en
mauvais scénariste de péplum avait voulu vivre une bataille comme seul l'avant nucléaire avait pu en
fournir, avec de grands mouvements tactiques et des actes massifs et héroïques de soldats. Bientôt
remplacé par un véritable chef de guerre américain formé et doué pour l'emploi des forces modernes et
technologiques de frappe américaines, la Flandre Maritime succomba en trois jours. L'attaque fut
tellement foudroyante que peu de bâtiments eurent à être détruits. Ce que l'histoire doit aussi raconter par
soucis d’y ajouter la pointe humoristique est l'attaque germanique. Pour la troisième fois de son histoire,
la France avait décidé de se préparer à l'attaque de l'Est en se protégeant derrière une ligne longeant la
frontière du Luxembourg à la Suisse, les historiens l'appellent aujourd'hui la ligne Marginal. Comme
d'habitude, pour la troisième fois de l'Histoire l'armée allemande décida de contourner cette ligne
défensive en traversant la Belgique, pourtant restée neutre. Cette manœuvre tactique surprise fut le coup
de grâce qui vit la France se défaire de sa Flandre Maritime. Dunkerque venait de tomber sous le joug de
l'envahisseur titrait la Voix du Nord. Pour calmer la population des tanks américains sillonnaient la
Flandre Martime avec des hauts parleurs exhortant en Flamand la population locale à garder le calme. La
population, ne parlant plus le Flamand, était terrorisée et s'imaginait le pire quant à son avenir et aux
intentions de son envahisseur.
Le devenir de cette région parut, l'espace de quelques négociations, bien incertain. Les Nations Unies
décidèrent de laisser la France, l'Autriche-Allemagne et les Etats-Unis régler la situation et la presse
internationale parlait déjà d'accord de paix. L'Eglise de Scientologie, influente à Hollywood, avait
pourtant obtenu du gouverneur de Californie avant sa mort que la Flandre Maritime serait leur terre
promise, conformément aux écritures scientologues. L'Amérique chrétienne y vit bientôt une condition
requise pour la deuxième venue du messie et supporta de tout cœur cette demande. La Flandre Maritime
fut ainsi donnée et devint propriété de l'Eglise de Scientologie après vingt ans de négociation. Tous les
Français de Flandre Maritime se virent depuis ce jour contraint de se convertir ou de fuir cette région.
C’est depuis cette diaspora que chaque février partout en Europe le son des fifres et des tambours
résonnent, que toute nourriture semble se figer dans la gelée, que la population féminine se décuple et que
tant de nouveaux nés voient le jour en Octobre. Les Etats-Unis, comme en Irak, eurent une faible
connaissance préalable de la Flandre Française et y imposèrent trois langues officielles, le Flamand,
l’Anglais et l’Allemand. C’est ainsi que l’Amérique sorti cette région de sa torpeur et y développa le
fleuron du commerce et de la communication Européenne.
Les évènements qui suivent se déroulent au début de cette crise, où plusieurs intrigues, plusieurs luttes
qui ne disent pas leurs noms se mettent en place. L’étudiant d’histoire se concentrera sur les activités des
services secrets, pour la première fois révélées dans cet essai. L'auteur s'efforce ci-après de les retracer le
plus fidèlement possible.
Une promotion qui coûte cher
Plank ne se le cachait plus, son œuvre devait avoir du cachet mais personne n’avait encore pu s’en
apercevoir. Eh oui Monsieur ! Pour comprendre l’art il faut un peu d’éducation ; si je soude une roue de
vélo sur une chaise, eul gars y pense que c’est rien qu’une roue soudée sur une chaise tandis que l’homme
éduqué y comprend toutes les références à la mythologie et y voit une belle représentation de son destin,
eul gars. Et tel feu le grand Pierre Desproges il se voyait discourir de simples choses avec un riche
éventail de vocabulaire pour une audience des plus hétérogènes. Pour toucher un public plus large, il
faudrait fréquenter des lieux de rencontre, des lieux sociaux, et dans certains cas peut-être de culture, un
travail assommant de cultivateur semeur l'attendait, rue du Docteur Louis L. à Dunkerque. Ainsi tel un
Pierre érudit il pourrait s’adresser aux plus simples comme aux plus érudits. Sacré Louis pensa Plank, il
avait su faire son trou et devenir une référence dans le monde médical local. Il pensa tout de suite que
pour avoir réussi il devait être de la franc-maçonnerie et sitôt son admiration disparue pour être remplacé
par un doute sournois. Suspicieux il se jura de demander autour de lui si il n’avait pas trempé dans le
scandale du sang contaminé et avait été de mèche dès le début avec tous ces salauds. Parce que vous
savez ma bonne dame, pour en être où il est, il a dû en faire…
Dans cet espace culture et multimédia, et aussi par le « chat », ce bain de foule me permettra de
dialoguer avec des artistes, pensa Plank. Il lui faudrait bien sûr sélectionner les gens de bon commerce,
avec qui s’entretenir relève d’un art qui ravie à chaque progression de l’esprit. Il se leva donc, sans payer
son café, son petit noir, c’est une forme d’esclavage moderne pensa-t-il le sourire moqueur aux lèvres. Il
fit clignoter les phares de sa voiture, c’était le signal qui confirmait l’ouverture de toutes les portes. Il
aimait bien ce feed-back, Plank dû se rendre à l’évidence qu’il constituait l’unique raison pour laquelle il
avait choisi cette voiture. Encore un signe patent de ses faiblesses, l’échec en somme, tout l’y ramenait. A
l’échec, pas en Sommes pensa-t-il pour se consoler. « Amien » d’avoir analyser la voiture à son insu. Il
retrouva progressivement le sourire. Il s’installait dans sa petite Française comme on s’installe dans sa
salle de bain pour se laisser baigner par la musique tandis que notre corps vogue au grès du savon. Somer
l’avait rattrapé :
« Hé, monsieur Kims, le café, c’est pour moi, cadeau.
- Merci.
- Ah quand même, une réponse positive de votre part.
- C’est un mot qui ne coûte pas bien cher et qui m’a rapporté gros, vous en êtes une nouvelle preuve
vivante. Eh !
- Bonne route… »
Somer laissa se relâcher tout doucement la tension de ses épaules qui semblèrent tomber. Plank eut un
moment de faiblesse et hésita à ouvrir sa portière, il voulait que cet homme s’en aille. Somer sentit bien
vite cet agacement.
« Au fait, Rimsz vient d’une formule que j’apprécie. « Ris même sans cause ». J’essaye de prendre ou
de rendre certains moments perdus hilarants, notre situation présente en est un bon exemple. Je dois
avouer qu’avec vous, j’ai du mal. Il n’y a pourtant pas de raison selon mon adage, je compte y remédier.
On va rire un bon coup ! Bonne route Plank. »
Somer tourna aussitôt les talons, satisfait de son intervention, il lui semblait s’en tirer avec les
honneurs. Il réussirait quand même à extraire du positif de cette rencontre, on ne rencontre pas tous les
jours un tel personnage. Car pensa-t-il, ce Plank Kims jouait sans nul doute un rôle, il vivait un style de
vie qu’il s’était confectionné, comme un déguisement, tout au long de ses jeunes années, mais il ne jouait
aucun rôle positif pour notre club des vivants heureux.
« Bonjour, madame Mej., puis-je me connecter au réseau mondial ?
- Bien sûr monsieur.
- Plank, je m’appelle Plank.
- Et ton m’tit frère, intervint un Dunkerquois aguerri.
- Je pense que vous n’êtes pas concerné par la conversation.
- Et moi j’pense que vous êtes un con cerné par son amour propre.
- Mais monsieur est comique, au train où vont les choses, je serai bientôt nulle part. Gare à la
gare…
- Le rire est le propre du raï ! »
Et il se mit à feindre une danse du ventre sur son de darbouka et d’aoud. Plank fit mine de ne rien
entendre, prétendit ne pas avoir entendu ce jeu de mot sans intérêt et continua les démarches qu’il avait
entreprises. Il s’acquitta avec mépris de toutes les formalités administratives.
Plank s’installa devant un ordinateur connecté à l’Internet, le monde, le vrai, enfin ! Il ne maîtrisait
pas tout à fait les subtilités des recherches sur la toile mondiale aussi perdit-il une heure sans trouver quoi
que ce fut d’intéressant. Il ne consulta en tout et pour tout que de la publicité, des annonces faussement
alléchantes et des invitations payantes (qui n’en sont plus vraiment d’ailleurs remarqua-t-il).
« Toi t’as b’zin d’un coup d’main.
- Oui, demain, demain ! On vous fera signe le singe, pour l’instant, veuillez circuler, il n’y a rien à
faire ici. Du vent, du balai et redevenez poussière car en vérité je vous le dis bienheureux les
absents, ils ont certes tort ces tordus mais au moins aux mains d’ailleurs bailleurs pour d’autres
apôtres ils ne s’ennuient pas de vos inepties.
- Oula pffuit ! Et vaniteux en plus, bravo ! Je voulais juste aider mais si vous préférez partir au
galop sur vos grands chevaux de bois…
- Je me suis laissé emporter. Ça arrive non ? Vous venez comme ça… Ne pouvons-nous pas
chercher à trouver un consensus ?
- Laissez-moi réfléchir… Que penseriez-vous de fomenter une démystification anthropomorphique
qui éluciderait vos élucubrations devant une tâche si simple car je suis plus émérite que vous ne
l’êtes. »
Plank fut choqué : un Dunkerquois du carnaval, de pure souche, qui savait parler correctement ! Il
avait voulu le disqualifier en utilisant des mots quelque peu subtils, tel consensus, et il obtenait le
contraire de ce qu’il cherchait. Une sorte de retour de flamme, une phrase complexe mais sensée, une
belle formule à lui faire froncer les sourcils et demandant un peu plus de concentration. Il fallait lui faire
confiance, il le méritait pensa-t-il soudain. Il ouvrir d’un geste magnanime le zip de son anorak, geste
qu’il voulait évocateur d’une ouverture vers son interlocuteur, un signe de confiance, il retirait ainsi sa
carapace. Peut-être n’était-il pas si inconcevable de trouver des sources pures dans certains marais, il
fallait s’y fier. Mais Plank accepta l’aide de cet individu plus par nécessité que par considération pour ce
personnage au nez certainement rougis par la bière et autres dérives locales :
« Je recherche un Chat pour dialoguer avec des écrivains.
- Prenez donc la souris ! »
Plank émit un son qui évoquait un rire lointain, il voulait flatter ce rustre pour en finir au plus vite :
« Eh bien, c’est très simple, vous pianotez dans cette zone de texte du moteur de recherche les mots
écrivains et chat !
- Et la souris ?
- C’est elle qui vous permet d’activer la zone de texte avant de taper votre requête. Il n’est
cependant pas impossible que vous ayez à affiner un peu votre recherche, ce n’est pas comme le
fromage, il ne s’agit pas juste de le laisser moisir, il faut se creuser l’esprit pour trouver d’autre
mots à ajouter à la liste pour augmenterez ainsi les chances de tomber sur un site qui vous
intéresse. Vous me suivez ? … Bon, essayons déjà ça. »
L’ordinateur émit plusieurs bruits suspects évoquant un brainstorming selon le Dunkerquois. Un site
clignotant de partout s’afficha, Plank avait trouvé la réponse ad hoc, truculent pensa-t-il tout haut !
« Merci capitaine, au revoir.
- Au revoir monsieur Plank Kims.
- Bonne journée. »
Plank se mis aussitôt à la tâche, soudain, dans un de ses rares moments de lucidité, une question lui
vint : Comment cet homme avait-il découvert son nom ? Etait-il déjà célèbre dans la région ?
Décidément, ce Dunkerquois de première était étonnant ! Il n’avait pourtant pas encore la célébrité. Enfin
pas aux dernières nouvelles, et son roman n’était pas encore publié. Peut-être un ami de lycée ou de
collège, Dunkerque c’est un petit village en somme (dans le Nord, pour ce qui concerne le département
pensa-t-il avec un léger sourire, fière de son comique de répétition). Il n’était malheureusement pas très
physionomiste et quand il se tordit le dos pour le cherche du regard, il ne sembla plus en mesure de
l’apercevoir de nouveau, il guigna une documentaliste.
Plank dialogua longtemps et échangea son adresse émail (et non pas céramique pensa-t-il avec une
agitation neurologique qui devait trahir un rire intérieur) avec plusieurs internautes. Il s’aperçut
rapidement que pour son étude, cette démarche n’était pas assez représentative de la région. Plank voulait
d’abord faire goûter ce produit en bocal (il rit encore une fois fière de sa paronymie). Il fallait choisir un
endroit plus retiré…Téteghem se présenta à son esprit comme l’endroit idéal. Il voulait en effet tester son
roman d’abord en local, pour mesurer, avancer tout doucement, à tâtons presque, pour ne pas trop être la
risée des critiques en cas d’échec. Mais comment nouer un contact ? La maison des associations ? Une
simple boulangerie ? Aucun lieu commun ne semblait s’avérer propice à une discussion longue et
approfondie, que ce fut au sens propre ou figuré. Le café parut le moyen le plus efficace, ou plutôt le
moyen par défaut, le dernier d’une longue liste, comme une liste de course revient avec trop peu de
rayures en temps d’embargo. Il y faudrait alors s’adresser à des buveurs entêtés donc avec des idées
d’autant plus arrêtées pensa-t-il !
Le café était rempli à ras bord, il allait le réveiller, Plank s’amusa intérieurement de sa prétendue
hypallage, le jour tirait à sa fin et il en perdait son style :
« Bonjour tout le monde.
- …
- Il y a quelqu’un ?
- …»
Sa technique ne se révéla pas extraordinaire, cette situation irrita ses nerfs. Il commanda une bière,
bien qu’il détesta cette boisson, il fallait faire comme les gens du pays s’était-il mis en tête.
« Eh bien, vous buvez de l’alcool monsieur Plank ? »
C’était encore le même Dunkerquois ! Il avait décidément une longueur d’avance sur lui. Où avait-il
appris à s’exprimer correctement ?
« Monsieur n’est pas un imbécile à ce que j’entrevois !
- Monsieur n’est pas très aimable à ce que je remarque !
- Monsieur s’amuse à copier mon langage !
- Ce seigneur s’amuse à jouer l’écrivain sorti tout droit d’hypo…crâne ? d’hypotension ? tame ?
B’enfin, vous me comprenez !
- Vous êtes un saigneur ! Vous égorgez mon talent sur la place publique, et avec joie en plus,
comme on tue le mouton en période festive.
- Vous imaginez-vous tel Abraham prêt à égorger votre bébé, votre œuvre, avant que l’on arrête
dans votre élan pour vous porter à la postérité ? Non monsieur, vous n’avez pas de talent ni
d’amour. Vous êtes un homme seul, érudit mais seul, intolérant donc seul et vaniteux donc encore
plus seul.
- Oui, mais je suis heureux.
- Ah bon ! »
Plank dut s’asseoir un instant, il était décontenancé. Son regard s’égara, sa bouche s’entrouvrit le temps
d’une faiblesse inavouable, il doutait. Rapidement sa prétention reprit le dessus, il décida d’y réfléchir
plus tard, de ne pas déballer son linge sale ici, il laverait et trierait tout ça chez lui.
« Enfin, je suis heureux avec les gens de mon espèce !
- Et vous êtes nombreux ?
- Bah, j’en ai trouvé sur l’Internet figurez-vous ! Et malgré votre air moqueur, je ne vais pas me
départir de mon sentiment de réussite.
-
Franchement, vous y croyez, vous ? Allons arrêtez un peu de délirer. C’est un bonheur
informatique, donc forcément un peu bogué ! Un peu virt…
On dit bug en anglais !
Et dans ces circonstances, on dit aussi “Here is a one way ticket to Hell!”, bonne journée. « And
last night a God saved the Queen and DJ saved my life or maybe it was my finger, it was too dark
to see. I thought I was knocking on heaven’s fascist regime. » »
Et le Dunkerquois s’en alla en lui laissant une bouteille de Houlle, Genièvre de Flandre encore vierge.
Triste bonhomme pensa Plank. Tous les consommateurs le regardaient. Il leur sourit en pensant au « ;-) »
du chat. Et il s’imagina être comme Charles Baudelaire, le génie incompris et encore exécré par bon
nombre de lecteurs tellement l’intelligence développée dans l’œuvre était inaccessible au grand public et
rendait l’ouvrage trop hermétique. La société moderne n’était pas encore prête. Il avala sa bière, symbole
d’une fausse virilité et d’une fausse joie, boisson qui lui rappelait à chaque fois, par sa couleur et peut-être
un peu son goût, l’urine féline. Il ouvrit ensuite la bouteille de Genièvre, garanti pur grain par une société
coopérative agricole du coin. Il n’eut aucune autre occupation que celle de lire les remarques de
l’étiquette de la bouteille : « La qualité supérieure de ce genièvre vieilli sous bois est le résultat d’une
fabrication artisanale en alambic à base de grains produits par les adhérents de la coopérative SCA « La
Flandre » ». Il pensa immédiatement que ces mots ne pourraient jamais trouver leur place dans son œuvre,
de toute façon, la marque était déposée, au fond d’une wateringue sans doute pensa-t-il. Ses idées
prenaient l’eau et il n’arrivait plus à suivre leur cours aussi déciderait-il bientôt peut-être de rejoindre son
lit, après avoir achevé sa mission…
Le soleil se levait et comme chaque matin à Dunkerque, il ne faisait pas très beau. Plank s’attrista de
la platitude de sa remarque. N’importe qui, mal informé, habitant loin, peut penser ce genre de chose,
mais lui, un Dunkerquois, comment pouvait-il encore penser des niaiseries pareilles. Il
faux…failli…fallait avroir des disquescourts ditiralambiqués. Mais qu’est-ce donc que ce mal parler. Où
était que donc passé son beau langue ? Beau langage !?! Onomatapelàmonfrère…tap pouap plap pap bip
dou da di. Nom d’un stylo qui fuit parce qu’on l’a posé sur une plaque chauffante, que lui arrivait-il ? Il
était nul, comme un pull. Son langage « jazzait ». Il était plat et rayé, comme une truelle qui a un peu trop
été utilisée par un maçon enclin à la procrastination, ce qui l’a amené à égaliser la surface du ciment alors
qu’il était déjà un peu trop sec. Etait-ce cette maudite bière de Belgique qui lui avait troué la mémoire du
beau langagez-vous dans l’armée qu’ils disaient. On lui volait (tourné parce qu’on l’a laissé trop
longtemps dehors sans le consommer) son intelligence… Et ses blagues de lait tournées de rock’n roll,
comme une soirée ISEN à Lille… Il n’avait sans doute pas encore évacué tout ce qu’il avait bu, la veille,
il lui fallait attendre que ses reins agissent pouvait-on encore espérer. C’est à ce moment précis qu’il
déplora avoir passé quelques jours dans un parc d’attraction près de Paris où on l’avait endormi à son insu
pour le soulager d’un de ses reins. Il ne pouvait s’empêcher de penser sans pourtant trop sourire que sa
chance avait été plutôt mini.
Renflouer la Flandre Maritime
Le Nord de la France avait depuis bien longtemps placé à sa gouverne des élus de gauche. L'enjeu
pour ces élus avait toujours été de lutter contre le chômage. Bien sûr les intérêts de chacun avaient
toujours eu le dessus, mais pas dans leurs discours. L'accent avait été mis sur deux choses, la création
d'entreprise et l'attraction de grandes entreprises dans le Nord. A grand coup de copinages, de frères
bricoleurs la ville signait des contrats en rinçant les élus, les grands patrons et prolongeait la vie
industrielle de cette région moribonde. C'est ainsi qu'Abribus, le plus gros constructeur européen
d'aubettes, avait implanté son site majeur dans la zone industrielle du dunkerquois. Ce choix avait nourrit
l'espoir et la fierté locale. Déjà certaines chansons locales reprenaient en chœur la gloire de cette industrie
à grand renfort de jeux de mots. L'enjeu était de taille puisque le rôle de ce site était l'assemblage final des
aubettes avec des pièces à la pointe de la technologie en provenance des autres sites d'Abribus en Europe.
Abribus était le concurrent direct de Boing Boing, le constructeur américain d'abris bus.
Par un jour typique, Psipsi Thai, une asiatique installée dans le Nord, avec un léger accent
d'anglophone suave des centres d’appels téléphoniques internationaux délocalisés, s'afférait aux
différentes tâches qui lui étaient confiées, bien souvent il s'agissait d'une pile de données à trier pour
tracer quelques graphiques et en tirer les conclusions que certains ingénieurs lui avaient demandé
d'obtenir. Son labeur se résumait ainsi, un collègue supérieur hiérarchique avait une idée, elle œuvrait à
valider cette théorie et à en montrer le brio en placardant les couloirs de l’entreprise de graphiques haut en
couleurs. Elle s'accommodait assez bien de cette tâche et semblait surtout aimer les relations avec
plusieurs employés Abribus que ce rôle impliquait. Psipsi aimait se savoir vue comme une femme du
monde, une bonne compagnie.
Comme à l'accoûtumé, Ylkur Jordi entra dans le bureau 403 sans un bonjour. Il se dirigea directement
vers son ordinateur pour l'allumer. Il ne prenait jamais la peine de serrer la moindre main ni de baiser la
moindre joue. Paradoxalement, il se sentait délaissé et semblait en vouloir à la société entière. Il se
trouvait maintenant dans ce cercle vicieux, tout le monde avait maintenant un avis arrêté sur sa personne,
un antisociale qui n’aimait que son travail. Il ne pouvait plus sortir de cette image et essayer de dire
bonjour choquerait et rendrait cette manœuvre incongrue, désagréable à tous. Il avait pourtant étudié avec
assiduité pour obtenir son emploi et aucune fille ne semblait le congratuler par un sourire ou un semblant
d'intérêt pour sa personne, il avait même fait l’effort d’acheter une bruyante voiture allemande qu’il
utilisait même pour faire les cinq cent mètres de son bâtiment à la cantine d’entreprise. Mais ses efforts se
perdait comme un son sourd dans l’entropie d’un monde qui va trop vite, peu de femmes ne le côtoyaient
au quotidien, c’était là son plus gros handicap pensait-il, les femmes du dehors ne savaient pas qu’il était
quelqu’un de bien, il n’était qu’un étranger pour elles, tout autant qu’elles pouvaient être. Lorsqu'il vit
entrer sa collègue de travail Sophie du Belly, il lui envoya un sourire. Un sourire comme la dernière
riposte d’un mourant qui abat son assassin, un homme qui ne peut supporter que la vie puisse continuer
sans lui, après lui. Sophie du Belly, femme marié bedonnante, lui renvoya son sourire avec désinvolture.
Sophie avait sa petite situation, un emploi stable, un mari stable ainsi que trois enfants que chaque
dimanche elle et son mari se faisaient un plaisir d'emmener à la messe. Le dimanche était leur jour en
famille, il était son équilibre à elle. Elle pouvait tout endurer pendant la semaine au bureau car elle savait
qu'une bonne journée, facile et prévisible l'attendait le dimanche. Elle pouvait voir cette journée venir de
loin, elle préparait même la lecture en avance, elle avait une liturgie d’avance aimait-elle à penser. [---]
Une chose intriguait parfois Sophie, Ylkur Jordi, son collègue de travail, pourtant jeune ingénieur
semblait parfois lui faire la cour. Sophie était la seule personne à qui Ylkur semblait s'adresser avec
chaleur. Elle avait cru y voir au début une sympathie pour son caractère de chrétienne classique, mais
s'était très vite rendu compte qu'avec ses origines turques, Ylkur était musulman. Elle avait cependant cru
comprendre qu'il était d'une mère espagnole mais n'avait jamais voulu lui poser la question de sa religion.
Elle avait bien trop peur que la question se retourne contre elle et qu’elle eut à expliquer sa foi ou ses
pratiques, elle ne pouvait se voir sous l’inquisition ou la remise en cause d’un barbare sans foi prêt à
déclencher une guerre de religion au sein d’Abribus. Elle avait juste imaginé que le cœur d’Ylkur devait
balancer entre les deux religions. Elle n'avait pour seule indice qu'une fatigue prononcée qu'elle avait pu
observer chez Ylkur, cette fatigue avait correspondu avec le mois religieux du Ramadan. Elle n'avait
cependant pas été en mesure de déterminer si Ylkur pratiquait lui-même le Ramadan ou si c'était sa
famille qui le pratiquait et l'entraînait chaque soir dans le tourbillon de la rupture du jeun. Ou bien même
encore s’il vivait dans un immeuble de cas sociaux plein de musulmans qui l’empêchaient de vivre la
nuit… C’est fort possible pensait-elle, avec tout ce qu’on sait et ce qu’on voit à la télé de nos jours ! En
effet, elle ne le connaissait pas très bien, dans son bureau personne ne mangeait ensemble. Ylkur
mangeait souvent devant son écran, Psipsi ne manquait aucune occasion pour se faire inviter à manger par
un employé d'Abribus et Sophie se retrouvait donc souvent avec une autre mère le midi et échangeait des
propos bien rangés sur la famille, l'éducation et parfois elles se risquaient à la politique et épluchaient la
politique d’une Boutin ou d’une Marine bien nationale.
Une seule chose l'avait choquée de la part de ses collègues d’Abribus, tandis qu'elle était partie en
vacance pour trois semaines, elle avait reçu un message d'Ylkur. Sophie avait soupçonné son collègue
d’avoir ajouté à ce message un sens caché mais n'avait jamais su le trouver, lire entre les lignes, le
déchiffrer. Elle n'avait pas non plus osé montrer le message à son mari de peur de déclencher un doute
chez lui. Elle n’avait jamais su quoi répondre et dans un sens plus large, comment réagir. En cette fin
d'après-midi, elle avait achevé toutes ses tâches importantes, toute chose était à sa place, la semaine était
toute tracée, elle se laissa aller à relire se message ambigu à ses yeux :
« En fait je pense que le temps est exécrable partout en France.
Jean-Thomas ne va pas beaucoup mieux, il périclite au risque de tomber.
Je te souhaite de passer de bonnes vacances.
Sinon, à Abribus je m'éclate, tout m'étonnes, tout m'enjoue, feu le stage. Avec le temps va j'inscris ma
petite empreinte au sein de l'entreprise. Je continue à régler les surfaces d’aubette que j'adule, terre
inconnue pour moi finalement.
Avec moi-même je suis en paix : ni ce que pensent les uns, ni ce que m'invitent à croire les autres ne
m'apitoie. Et j'accuse le coup de rien n'y pouvoir.
Dans mes études, les modestes petites aubettes tel l'Abri’K ou l’Abri’Z cohabitent au cultissime énorme
abri, le Brib’80. Aucun test ridicule ne vient contredire mes résultats car reste finalement la science. Une
question subsiste : "Me trompais-je ?".
Acculer par tous ces doutes, je serai le dernier bastion face au reliquat d'un immobilisme militant bien
connu au sein de nos industries de pointe, qui n'ont cesse de nous forcer à un va-et-vient éreintant entre
avancées technologiques et démarches bureaucratiques. Je voudrais être le sursaut dominé par la
recherche mécanique voire transcendantale.
Face à des milieux réticents aux changements, il faut parfois imposer sa conception, ses visions de
structures nouvelles, à l'instar de monsieur Eiffel : à son actif on peut noter un militantisme architectural
face aux sarcasmes des pontes de l'époque. Qu'il en soit de même pour mes projets futurs, pour les arrêts,
pour les abris, pour les bus. Que mes concepts soient nouveaux et perturbant dans une large mesure ! »
Sophie ne fut toujours pas capable de lire entre les lignes, elle se gratta les mammaires et éteint son
poste de travail et s'en retourna chez elle, sans se retourner sur Ylkur ni Psipsi. Elle avait toujours méprisé
Psipsi Tai, une Franco-américano-asiatique qui fricotait avec le tout Abribus, une femme débridée en
quelque sorte. Elle évoluait dans un monde majoritairement masculin et semblait en profiter, une reine
fourmi que chaque apôtre venait lécher à longueur de journée. Sophie la soupçonnait même
intérieurement de faire un certain commerce de ses charmes. Chaque matin Psipsi venait au bureau dans
la même tenue qu'une femme célibataire à la recherche d'un homme aurait adopté pour une soirée
décontractée ou un jeu de table tournante à la manière du moderne speed-dating. Elle avait repéré chez sa
voisine de bureau un manège bien rôdé qui en avait fait tomber plus d'un à Abribus. Psipsi créait même
parfois d'énormes tensions entre des salariés d'Abribus et avait causé le départ de certains dinosaures qui
avaient pourtant été à l'origine du groupe, en plus imagé des dinosaures qui s’était coincé leurs queues
aux portes de temples maoïstes. Sophie n'avait jamais vraiment sympathisé avec Psipsi et s'en méfiait
comme d'une grippe aviaire, une poulette qui plumait du jeune coq au doyen, y passaient même les
chapons les moins alertes. Pour elle Psipsi menait les hommes par le bout rouge, une sorte de baguette de
magie jaune et les menait à leurs pertes. Chaque matin, Sophie tartinait son pain de fiel raciste, antiasiatique, elle en « riz ».
Alors, on a trop bu, la vieille
Que faire, se cogner la tête contre un mur pour tout remettre en place de parking ? manger du bois
pour toucher du doigt ? prendre le sac dans la main pour violer les lois du silence de garder le droit ?
voler des ailes propres pour être libre à max ? ou vivre heureux en attendant d’être mieux pour être stoned
comme dilapider par les Iraniens ?
Plank ne comprenait même plus ses expressions, il réinventait un langage nouveau, déjà désuet et
incompris, sa recherche du mot juste l’avait lavé, il ne savait plus s’exprimer simplement, tout était à
refaire, il avait tout perdu en une nuit, était-ce l’alcool, était-ce la réflexion du Dunkerquois qui l’avait
tourmenté ou nuit, était-il un magicien noir, un roi mage siamois, un envouteur, un nain vouté ? Certes ce
bonhomme était blanc, mais il voulait dire par là que cet homme était mal intentionné, sans connotation
raciste, ce n’est pas parce que sa peau n’aurait pas été blanche que cet homme aurait eu le fond mauvais,
c’est juste que le champ de la magie noire recouvre les recours à la magie pour causer du tort à autrui…
Non mais ! Boaf, c’est pénible à la fin d’avoir toujours à se justifier de ses propos pour ne pas se prendre
une douche fraîche devant les médias français, la tribune des journaux et les tribunaux que diraient-ils.
Pour chaque parole rigolarde se faire exclure de son parti politique en étant accusé de propos incitant à la
haine raciale, une soupape oppressante pour couvrir le manque de second degré d’une majorité abrutie.
Ce même parti politique quant à lui peut se permettre, en ne risquant que quelques remous qui seront
masqués par un tsunami d’autres conclusions hâtives, de placer sur un piédestal la justice chinoise qui est
rapide et pour conserver cette vitesse d’avance sur la nôtre n’hésite pas à tuer sommairement les
empêcheurs de tourner en rond dans le style de Plank. Plank se sentait envahit par un contestataire en lui
qu’il ne connaissait pas, un réactionnaire. Il lui fallut également retirer l’image du tsunami concernant ce
qui peut émerger de ce genre de parti politique. En effet affirmait sa contestation, un tsunami est le
résultat d’un travail de profondeur, il faut qu’en profondeur des plaques, à l’instar des idées, subissent une
confrontation. Ce n’est sûrement pas le cas présentement, pour les partis politiques de cet acabit. Par le
même enchaînement d’idées, Plank s’apprit qu’on ne pouvait même pas parler de partie émergée de
l’iceberg car ces pauvres partis, de mépris, n’ont aucune profondeur. Plank du s’assoire, il n’y comprenait
plus rien. Il était absent alors qu'il avait émargé à sa propre feuille de route le matin même.
Il faut que je garde mon calme, pensa Plank. Il ne faut pas que je m’énerve ou que je perde mon
calme, s’ajouta-t-il à lui-même. Plank, naguère luttant contre les redondances maladroites du langage en
réalisait maintenant plus d’une, maintenant ! Consternant, le concernant ! Il ne se souvenait même plus de
l’existence du mot redondance qu’il aurait confondu avec une danse africaine où les danseurs secouent
leurs formes en marchant l’un derrière l’autre, en ronde. Il entendait presque, en pensant à ce mot, les
djembés, les darboukas et autre percussions du continent africain. Il avait chaud.
Piet’ Van Driem et Pedro D’la Ducasse, deux amis d’école privée vinrent lui rendre visite comme
à l’accoutumé. « Bein qu’est-ça dit Plank ?
- Heu, les garçons, pardon vous…
- Plank, ça va ? T’es tout drôle !
- Heu, j’ai un souci à la mémoire, le cerveau, les mots, la tête, ça ne va pas du tout, du tout !
- Bon, nous on a lu le début de ton livre, il envoie les Watts ! Tu as dû avoir fini dans les temps
comme prévu non, tu peux nous passer la fin ? Ils en prennent pour leur grade ces Ricains, on
pensait vu qu’on va tous les trois en Californie…
- Heu… la Californie ?
- Bein oui. Tu n’viens plus ? Ne nous dis pas que tu veux finir ton roman à la place ! Tu as quatre
semaines de vacances devant toi là ! On va tout défoncer en Californie, on va mettre un peu en
pratique les idées dans ton livre, c’est choc, c’est chouette non ?
- Vous deux, j’ai besoin de temps pour miser les choses en place Jean-Bart, je n’attrape plus le sens
de rien !
- T’es dans un délire artistique, c’est créatif là ? »
Plank vacillait, il ouvrit grand sa porte et se réfugia sous son porche. « Bein qu’est-ça dit Plank ? » roulait
comme un petit vélo des quatre jours de Dunkerque dans sa tête, il n’y comprenait rien. Il voulait se
débarrassait au plus vite de ces deux intrus et de leur Californie.
« Messieurs, je ne peux vous recevoir, on se voit chez vous à l’avenir » dit Plank sans flancher avec tout
l’aplomb qu’il avait su réunir.
Piet et Pedro connaissaient bien Plank et savaient pertinemment qu’il avait des sautes d’humeur et
qu’il pouvait couper court à une conversation, à une soirée même d’une façon très académique et
s’excuser rapidement, à l’anglaise. Ils ne bronchèrent pas, sourire à leur ami en sortant et décidèrent de ne
pas tuer la soirée et de se faire une digue arrosée de bière.
Plank se retrouva seul, enfin. Cette altercation lui avait paru une éternité. Etait-ce un gage de sa
recherche impertinente du langage, une retombée de ses recherches toujours plus poussées sur sa façon de
parler ? Un peu à la manière de retombées radioactives que s’infligent les scientifiques lors qu’ils ont
poussé leur art un peu au-delà de leurs compétences ? Partant même du constat qu’ils ne sont pas les seuls
tributaires de leurs erreurs, on pourrait simplement ne dire « qu’infligent » dans la remarque précédente…
Plank ne se comprenait plus, il tenait des raisonnements qui dépassaient son propre entendement. Il
s’impressionnait à penser, il s’observait réfléchir. C’était un peu comme si son savoir avait eu honte de
lui-même après de nombreuses réflexions calomnieuses et avait préféré migrer de sa conscience à son
inconscient. En quelque sorte, il écoutait maintenant parler son « ça » et essayait de ne pas en perdre le fil.
Plank se changea, d’habits et les idées, il ne fut même pas conscient qu’il réalisait ainsi un zeugma
et d’ailleurs cela n’aurait rien changé à son problème présent. Avant de reprendre goût au langage subtil,
il lui faudrait d’abord réorganiser toute sa tête et s’armer de patience pour reconquérir tout le vocabulaire
qu’il avait pris tant de plaisir à collecter et qui maintenant le harcelait par l’intermédiaire de la moindre de
ses pensées. Il sillonna les rues de Dunkerque depuis la place Jean Bart jusqu’à la place…Jean Bart, il
tournait en rond, comme ses idées qui échappaient à son propre entendement et roulait dans sa tête
comme roulait une touffe d’algue avant de s’échouer, seule et incomprise sur un banc de sable. Son
cerveau semblait impropre à l’usage, il était HS, non pas Hors Série donc inhabituel, comme il aimait à le
faire voir, entendre et valoir avant, mais bien Hors Service. Il n’était plus qu’un « beau » dont on se sert
uniquement pour l’abattoir. Ici beau n’était plus pour lui un adjectif qualifiant son paraître, mais un mot
synthèse, la concaténation d’un bœuf et d’un veau, il n’était plus, en effet, qu’un bovin sans âge, ou plutôt
des deux âges. A son regard bovin, on pouvait comprendre qu’il vivait en lui-même un choc
intergénérationnel, il était le veau en pleine crise d’adolescence contre un bœuf, cet autre lui-même qui
semblait morigéner à longueur de journée. Le nouveau lui ne comprenait pas le vieux. Les propos
n’avaient certainement rien d’acerbe, mais Plank les ressentaient comme tel. Un peu de la même manière
que les apparences pouvaient être trompeuses lorsqu’on écoute deux Magrhébins s’entretenir observa-t-il
de l’autre côté du trottoir, un Français sans bagages sur cette culture pourrait parfois penser qu’ils allaient
en venir aux poings alors qu’en réalité l’échange était tout ce qu’il y avait de plus cordial. Il ne
comprenait plus ses propres références et les trouvait déplacées, sans rapport. Comme si son esprit mettait
sur le tapis, amenait dans le débat des éléments forts mais non pertinents. Un peu comme un magazine
aux images chocs, un journaliste aux phrases éclatantes mais qui n’informeraient pas, qui ne produirait
aucun sens, aucune vraie plus-value pour le lecteur.
Il sortit ses mains de ses poches et dehors. Un zeugma de plus pensa-t-il sans même se
comprendre. Il entra de nouveau chez lui, il sorti de nouveau. Avait-il fait un nouveau zeugma ? Il n’eut
bien entendu aucune réponse, ses pensées lui venaient à l’esprit selon leur bon vouloir mais ne semblaient
pas enclines à répondre à ses questions, il voulut se frapper la tête, toquer à la porte de ses songes,
défoncer au bélier les portes de ses pensées. Il retourna place Jean Bart, il s’approcha d’un magasin qui
vendait des feuilles collées en un de leurs bords pour former un pavé. Certains mots semblaient lui
manquer parfois, il les aurait bien fait revenir, il les pleurait maintenant, comme on pleure une fille que
l’on n’a pas su retenir avant qu’elle n’enterre ses sentiments. Sa jeunesse lui avait échappé, le sablier
s’était vidé et il ne savait comment le retourner, comment tout retourner, comment y retourner. Il regarda
de bas en haut et de gauche à droite, ce magasin était minuscule, malgré son nom ! Il décida de rentrer
chez lui.
Il percevait tout différemment, il lui semblait nettement qu’il découvrait de multiples choses à
chaque instant. Il n’était même plus en capacité de se sentir idiot, c’est vous dire s’il l’était. Il avait perdu
cette capacité de recul sur lui-même et il ne percevait plus les nuances subtiles de ce mot qu’il croyait
destiné aux animaux, ayant entendu dire dans « une boîte noire qui parle toute seule » d’un chien qu’il
était idiot, con pour être plus précis.
Plank ne se doutait presque plus de son existence antérieure, de ses passions, ni de sa culture et de
son savoir. Il en percevait quelques bribes mais tout cela ne l’émerveillait plus, il se sentait plutôt menacé
et seul devant tant de signes incompréhensibles. Il avait ce même sentiment chez lui dans son propre
habitat, il n’osait déranger les choses et se sentait comme un squatteur. Il était au plus bas de la pyramide
de Maslow et il ne trouvait plus l’escalier.
Le refuge chez Abribus
« Chers Amis travailleurs,
En premier lieu, j’aimerai vous dire « Merci » pour tout l’intérêt que vous avez pu porter à l’entreprise
Abribus.
Je continuerai ensuite à parler intérêt puisque l’avenir de notre société en Bourse est en jeu. Il est
impératif, pour faire face à nos concurrents américains, d’attirer les capitaux tant français qu’étrangers.
Vous savez bien qu’outre Atlantique est en cours de développement un abri de bus bien plus performant
et plus ambitieux que le nôtre. Cet abri de bus menace nos parts de marché. Il nous faut donc innover
toujours plus pour s'attirer les faveurs des clients, convaincre et vendre. Cette innovation passera bien
entendu par un investissement massif dans la recherche et les technologies de pointe. Je désire que chacun
ait en tête de rivaliser avec le nouvel abri de bus de Boing Boing qui utilise une technologie à peine
maîtrisée en Europe, un abri de bus monté sur ressorts.
Pour permettre à notre entreprise Abribus membre du groupe européen C1T (Com’1 Transport) d’obtenir
à l’avenir des fonds pour investir dans la recherche, il nous faut, à tous, faire des efforts. Pour permettre à
Abribus de respirer, nous allons effectuer des coupes sombres dans ses effectifs. En clair nous allons
remercier certains salariés sélectionnés.
Afin de nous aider à réaliser cette sélection, je vous invite dès aujourd’hui à remplir les formulaires en
ligne sur le réseau de l’entreprise « Abribus Popaul ». Il vous y sera demandé de nous y décrire votre rôle
au sein de votre département ainsi que le rôle de ceux qui travaillent avec vous. Tous les commentaires
relatifs à la productivité seront les bienvenus.
Nous pouvons bien sûr tous compter les uns sur les autres, nous avons déjà réalisé de belles choses, de
belles aubettes, ensemble. Nous avons un carnet de commande bien rempli, de cent cinquante-trois abris
bus. Nous dépassons même notre concurrent principal en ce qui concerne la vente de petits abris bus
citadins car nous y avons une part de marché de soixante-trois pour cent.
Nous devons voir plus loin et plus grand. Il nous faut aujourd’hui continuer à finaliser notre projet
d’abribus géant baptisé le briB’80 qui pourra contenir jusqu’à quatre-vingt personnes en attente d’un bus.
Notre équipe d’ingénieurs a même fait preuve d’ingéniosité en proposant à certaines communes une
version GC pour « grande capacité » qui n’aura pas de banc et pourra alors contenir cent personnes. Cette
version est destinée à l’Asie où les périodes de mousson rendent nécessaire de grands abris bus. Le brevet
est d’ailleurs en cours de validation à l’EPO à La Haye.
Je ne vous cache pas que les mois à venir seront durs, ils seront cependant nécessaires pour qu’Abribus
puisse continuer à prospérer ainsi et trouver toujours plus d’actionnaires et donc de fonds en les
satisfaisant.
Je vous salue bien cordialement. »
Ce message de Bouis Galeu était attendu depuis des mois par les salariés d’Abribus. Depuis
longtemps déjà, les tracts syndicaux distribués à la sortie du restaurant d’entreprise faisaient vent d’un
changement majeur qui se tramait dans les hautes sphères patronales du pouvoir. Certains préparaient
même à l’aube du grand soir et appelaient au rassemblement, à l’action rapide et collective pour conserver
les acquis et les postes.
Le message de Bouis Galeu avait été émis sur les postes radios de l’entreprise dès le matin. Ce
choix avait été déconseillé par un proche de Bouis Galeu qui craignait une baisse de productivité de
l’ensemble des salariés pour la journée entière. Cette crainte ne fut pas sans fondement et bientôt tous les
bureaux s’agitèrent comme si un bélier enragé en rut avait été balancé dans l’open-space. Aucun
compartiment ne fut épargné, tout au long de la journée.
Au compartiment 404 du bureau d’étude, on pouvait lire à l’entrée : « erreur 404, compart’ not
found ». Cet espace ne faisait aucune exception à l’agitation. El Bochote, l’ancien du compartiment,
philosophait vaguement sur les mots du président :
« Mais non, Gé la Gauvinette, ne stresse pas comme ça, je pense que tu ne seras pas le premier sur la liste
de ceux qui devront nous quitter. Par contre, je ne sais pas trop si on peut en dire autant pour rassurer Hal
Ezerzouz, parce que, tu sais, tu es…différent.
- Ha, enfoiré, j’étais sûr quand tu as commencé la phrase me concernant que j’allais en prendre un
coup. Tu t’es cru un fils de lutte spirituelle de Marc-Edouard Nabe ?
- Non mais sérieusement, les gars. »
La Gauvinette ne terminait que rarement ses phrases mais toute la gravité de son propos pouvait être
comprise. De Collision, la seule femme du compartiment remplissait déjà le formulaire. Elle avait souvent
été la première à clôturer les formalités administratives, ce qui lui avait permis de profiter jusque-là de
beaucoup d’opportunités. Elle s’empressa donc de fournir toutes les informations réclamées par
l’administration en espérant que ses propos auraient ainsi un poids plus important. Elle commentait sur
chacun de ses compagnons du bloc 404 et les regardait furtivement pour s’assurer qu’ils ne pouvaient lire
ses propos qui allait faire exploser le bloc 404, la Bérézina locale pensa-t-elle.
El Bochote observait De Collision depuis un moment lorsqu’il déclara :
« Tout ça c’est encore un bon coup de Gallouz pour s’en mettre plein les fouilles.
- Non, mais si tu veux, Abribus a tout simplement cédé devant la pression des actionnaires, tu sais,
nos actions, c’est un truc détenu par les fonds de pension américains et des fonds souverains du
Golf Persique. Eux, ils se moquent pas mal qu’il y ait du chômage chez nous, il faudrait que l’état
intervienne là, mais vu qu’avec des gens comme Ezerzouz ont a un gouvernement libéral à fond,
on n’aboutit à rien, l’état c’est : « Je prône le libéral, donc je me désengage là où il y a des risques,
débrouillez-vous donc ! ».
- Oula, la Gauvinette, faut pas s’enflammer comme ça, faut que tu te trouves une femme, ça va te
permettre de relâcher un peu la pression, par giclées si tu vois ce que je veux dire…
- T’es nul, je parlais sérieusement là, parce que bon. Je crois de plus en plus à ce que disait un de
mes professeurs : les femmes belles mais sans esprit ne sont que du papier de verre pour la queue.
De toute façon les gars.
- Ce que j'en pense est simple. On nage en plein délire ici. Et Plank avait bien raison, la France est
un vaste poulailler : on a les pieds dans notre merde et surtout celle des autres, on nous vole nos
œufs et on y dort debout.
- Mouais, mais tu penses que c'est encore pire, outre-Atlantique, à outrance ! Un porteur du prix
Nobel de la paix autorisant la CIA à utiliser des drones pour des frappes aériennes, un robot qui
tire sur des cibles réelles, avec certainement des civils de l’autre côté… du mauvais côté de
l’Atlantique ! T'imagines un peu leur discours d'excuse, 'So sorry for the tens of thousand victims,
on avait mal programmé le jouet'. Regarde, à l'époque de la guerre en Irak, 100 milles mort du
côté irakien et moins de 5 milles du côté américain, la prochaine guerre du pétrole, ça sera des
milliers de mort du côté des pauvres, et quelques drones de détruit du côté américain. Enfin les
chiffres, on en sera jamais trop, les media ne jouent pas trop le jeu du Compte est Bon si vous
suivez un peu ce que j’en pense. Du coup pour l'Américain de base, il s'en fout lui, du moment
qu'aucun GI ne meurt il sera toujours d'accords pour qu'un 'prix nobeliste' envoie tuer toute nation
qu'il puisse y avoir entre le pétrole et l'Amérique ! Tu verras, ils feront des jeux vidéo-réalité ou le
petit Americain choisira son drone et pilotera un drone réel pour buter du méchant pas
démocratique qu'il faut libérer en explosant sa maison...
- Il est où d’ailleurs Plank, c’était où ses vacances ?
- Boag, je crois qu’il parait avec Piet et Pedro, le trio usuel.»
De Collision avait déjà envoyé son formulaire quand un mégaphone dispensa dans tout l’open-space :
« Nous ne cèderons pas, ne remplissez pas ces fichus formulaires à la va-vite, n’écoutons pas ces propos
de fasciste, de stakhanoviste et tout ce qui rime avec le kyste du patronat. Il faut nous indigner et pour
cela cesser le travail, l’avis de grève était déjà prêt ! Travailleurs, levez-vous, travailleurs unissonsnous ! »
La Gauvinette sauta sur sa chaise :
« Ca y est les gars, on va enfin pouvoir dire ce que l’on pense de nos conditions de travail, on va enfin se
libérer du joug des dirigeants ! Et si on y pense.
- Mais enfin Gé, je te rappelle que tu n’es qu’un simple stagiaire, tu n’as même pas de CDD, ton
contrat vaut moins que ça. Tu ferais mieux de te calmer ! Tu peux soit m’écouter, soit tu vas
passer de CDD a DCD, destruction de contrat définitive, liste rouge si tu préfères ! Eh il ne te
restera plus qu’à aller te vendre dans l’Amsterdam rouge… allez déconne pas vieux !»
El Bochote avait freiné net l’enthousiasme de Gé la Gauvinette qui n’eut d’autre choix que de se
rasseoir. Au passage, comme il aimait souvent à le rappeler lors des appels, Gé se prononçait « djé ». Et
cette fois, il fut agréablement surpris qu'El Bochote, dans la précipitation avait quand même bien
prononcé son nom. Il se révolta :
« Ils ont vraiment tout en main et je suis prêt à parier ! »
Tout le compartiment 403 vint rendre visite au compartiment 404, pour recueillir quelques
nouvelles. El Bochote fit mine à Gé de se calmer et marmonna quelques mots sans grand intérêt. Ylkur
fut le premier à quitter la discussion pour se remettre à son travail. Sophie le suivit peu après, après
quelques mots pour organiser le repas avec De Collision. Seule Psipsi était restée et elle en demandait
toujours plus à El Bochote. Son insistance fit sourire les deux autres garçons du compartiment, Psipsi s'en
aperçut et s'éclipsa. En fait elle s'arrêta une fois derrière la cloison pour écouter les retombées de leur
venue. Ce fut Hal Ezerzouz qui engagea les commentaires :
« Hey, c'est que le Bochote aurait du succès !
 Alors là garçon, je t'arrête tout de suite. C'est d'ailleurs toi-même qui parlais du papier de verre... Tu
connais la rumeur et tu peux la croire en vérifiant par toi-même. Cette fille facile s'est faite une liste
d'ingénieurs Abribus plus longue que celle de Schindler. Tu me diras qu'ils n'ont pas eu le même
sort... encore que, certains sont partis en fumée ou fumer ailleurs leurs cigares. J'ai même à ajouter
que Psipsi serait porteuse saine de la mononucléose. Eh oui, tous ces cas de mononucléose qui se sont
déclarés. Bien souvent on veut contacter quelqu'un ici, et il est en congé maladie, une maladie que
personne n'avoue, la mononucléose. On les voit tous revenir tout penaud, ne voulant rien dire. On
entend seulement des 'Je n'étais comme pas bien'. Mais la vérité est là, il faut qu'on ouvre les yeux bon
sang. Enfin, sur le mauvais sang de l’autre !
 Hey oh, bon tu vas loin, surtout qu'en y réfléchissant. Tu ne cherches vraiment que la controverse, tu
es le roi du carambouillage et cette fois je n'achèterai pas. »
El Bochote voulu surenchérir mais dans le couloir, Gé la Gauvinette vit passer Hal Jacobs qu'il
n'avait pas vu depuis la remise des diplômes à l'ISISEN, l'Institut Supérieur des Ingénieurs Supérieurs à
l'Echelon National. Déjà Gé la Gauvinette n'écoutait plus l'intervention d'El Bochote et interpellait Hal
Jacobs. Il remarqua d'emblée un détail peu courant chez Hal Jacobs, il avait le teint hâlé. Il le héla:
« Eh, Hal Jacobs, qu'est-ça dit? Non, parce que depuis la remise des diplômes, bon, on m'avait dit que.
Mais tu en es où ?
 Hey ! Gé la Go, comment va ?
 Non, c'est djé mec comme quand tu dis djé, celui qui est aux platines, qui joue la musique qui plqît
aux femmes… prononce comme le 'j' à l'anglaise et pas le 'j' à la française.
 Ah oui c'est vrai, s'cuse. Je suis content de te revoir, figure toi que j'avais pris une année sabbatique là
pour aller faire de l'humanitaire.
 Tu es allé chez les petits noirs ? Demanda El Bochote. La figure de Gé s'assombrit l'espace d'un
instant, il sentit que la conversation qu'il voulait avoir avec son ancien compagnon de promo allait
vite être escroquée par El Bochote. C’est marrant, une année sabbatique, et si tu fais un an de régime,
c’est une année ramadanique, et si tu part dresser et rendre docile les enfants des pays pauvres, c’est
une année catéchèsique ? Non mais Oh ! Vous voulez nous faire croire quoi ?
 Oui, enfin je suis allé en Afrique quoi, une superbe expérience. Tu t'imagines...
 Là, garçon, je t'arrête tout de suite, l'interrompit El Bochote, les collègues savent déjà ce que j'en
pense, mais tu peux te garder ton récit d'aventures pour toi. Je vois déjà tes sales petits yeux briller,
ton caleçon en est encore tout retourné et je suis même certain que ton portefeuille en est plus lourd.
Tu voulais peut-être nous montrer les photos de l’une et de l’autre que tu as ‘rencontrées’ et rigoler en
disant que tu as aussi un peu travaillé les langues ! J'ai même pas envie de savoir dans quel pays tu as
été, quels rebelles tu as fréquentés, quelle maison, quelle infirmerie, quelle école tu les as aidé à
construire pour mettre des maçons au chômage ou alors quelle taille de préservatif tu leur as amené et
distribué gratuitement et de plus, je n'ai pas envie de savoir les noms des médicaments périmés que tu
leurs a princièrement offert pour que la pharmacie du coin puisse fermer boutique. C'est un peu la
traite des noirs moderne ce système, avec nos traitements antibiotiques et autres médocs que les
groupes pharmaceutiques européens et américains sont bien content de liquider à moindre frais dans
le sang des noirs au lieu d'avoir à suivre tous des démarches contraignantes et respectueuses de
l'environnement pour s'en débarrasser. Rien n'est gratuit mon ami. L’Afrique en usine de traitement
des déchets, après l’Afrique en point d’approvisionnement de toutes nos matières premières, une
blague totale ! La boucle est bouclé, le système est parfait, on refourgue à celui à qui on avait tout
pris, du coup la balance en poids de matière semble équilibrée… Dis-moi garçon, quelle est
l’entreprise française qui dégage le plus de bénéfices, et sur le dos noir et courbé de qui ? De toute
façon l'histoire ne fait que de se répéter, dès le XV° siècle on leur a voulu du bien à ces petits noirs.
Sous couvert d'une noble cause, vu qu'Evangélisation Sans Frontière ou autre nom intouchable
n'existaient pas à l'époque, on a embarqué des religieux sur les bateaux en partance pour la
colonisation des noirs pour avancer l'idée d'une évangélisation de l'Afrique, ce qui faisait quand même
plus classe que de dire qu'on allait parquer des noirs comme du bétail dans un bateau pour traverser
l'Atlantique et les vendre comme esclaves en Amérique ou aux Antilles. Enfin pour être honnête, dans
ce temps là quand même, nous les riches blancs dirigeants et manipulateurs, nous étions plus sincères
qu'aujourd'hui, la traite des nègres eu vite fait d'être officielle et on en parlait ouvertement dans les
milieux autorisés, un peu sur le même ton avec lequel on parle des joueurs de football de l'équipe de
France, ou bien, plus ressemblant encore, des transferts de joueurs entre les équipes du PSG, de Lens,
ou quelle autre équipe de foot dont pleins d'imbéciles parlent me vient à l'esprit, ah oui… Marseille !
 Eh ! Oh ! El Bochote, ne va pas trop loin et arrête un peu ton char péremptoire veux-tu !
 Tu es Maseillais ? ironisa Hal Ezerzouz dédaigneux.
 Attend, je n’ai pas fini. Il faut sarcler un peu dans vos esprits en friche et en proie aux mauvaises
herbes. A l’époque on ne discutait pas du sexe des anges, mais de la présence, ou non de l’âme chez
les Noirs ! On les a colonisés, on les a vidés de leurs forces vives comme aujourd'hui on leur vole tous
leurs cerveaux (mais pour le coup, là on est responsable mais pas coupable, ils viennent de leur plein
gré les imbéciles malheureux), de leur ressources naturelles, on a créé des pays de toute pièce, sans
volonté nationale et on a placé des gouvernements fantoches, terreau de la corruption qui maintenant
nous mettent à l'abri d'une concurrence africaine sur le marché industriel mondial. On les a croulés
sous les dettes, les ricains en premiers, avec leur FMI et Banque Mondiale, tout ça, c’est une
anagramme pour Famine Abominable. Comme on dit, ils sont en voie de développement, mais
comme on dit surtout à Dunkerque, ils 'ne savent plus en voie', de développement ou pas. Si t'as pas
compris cette phrase, c'est que tu ne lis pas trop la Voix du Nord, mais ça c'est un autre débat. Mais
bon aujourd'hui, après avoir sodomisé les noirs pendant des siècles, maintenant on envoie nos jeunes
Européens trousser leurs femmes. Parce j'en ai discuté, avec des gentils petits blancs entrepreneurs qui
sont parti là-bas, ils ne m'ont jamais parlé d'idéal d'aider son prochain, mais plutôt d'expérience
enrichissante, c'est plutôt sympa de vivre chez des pauvres l'espace d'une année, de retourner aux
sources et d’ailleurs de boire à la source, de tout boire, de les entendre dire j'ai faim dans leurs langues
maternelles, et en plus c'est une très bonne ligne sur le CV. Bref, un blanc européen ou américain làbas, c'est un portefeuille sur pattes à leurs yeux, c'est un visa, une nouvelle vie peut-être. Là-bas, les
blancs troussent à tire larigot je vous dis, les négresses leurs tombent dans les bras comme un Jésus
qui multiplierait les pains au chocolat…
 Tu vas trop loin, et de toute façon moi je n'aurai jamais couché avec une noire, trop de chance qu'elle
ait le Sida. Tu sais que pour ça moi j'ai jamais la baraka. Donc je pense que ce que tu dis sur les
blancs qui vont là-bas et couchent avec des noires, c'est un peu sortit de ton imagination. Tu nous
empoisonnes avec tes forfanteries, tu crois tout connaitre et regardes un peu. Crois-tu vraiment te







mettre en valeur, penses-tu à nous autres, à la République et tout ce qu’on a pu mettre en place làbas ?
Eh alors mon gars ! Au moi je ne suis pas le barbiturique qu'est La Malouse j'essaye d'être facétieux,
d'améliorer notre ordinaire, je prends le relais de Plank qui n'est pas là aujourd'hui. Tu n'as rien
compris à la conception européenne de profiter de la vie. Plus personne n'a envie d'attendre la retraite
pour profiter des joies de la vie. Travail, famille, papi, c'est fini. La France maintenant, c'est racaille,
partir en vrille, cuni et si possible cul nue d’ailleurs. Le plus dur, c'est la première fois, mais une fois
que tu l'as le Sida, plus de problème, tu n'as même plus besoin de te protéger. C'est un peu comme
dans le sport, on dit qu'il faut savoir mouiller le maillot, et bien là-bas, si tu veux vivre l'expérience à
fond, il faut savoir tremper... Fin bref. C'est un autre débat ça à la limite. Mais même. Dit moi un peu
garçon, que s'est-il passé en 1789 en France ?
Bein, la révolution française. Tu ne vas pas nous refaire tout le cours d’histoire en repassant par 1905,
la laïcité et 2001 le retour et renfort des communautarismes !
Ok, pour une fois tu semble arrêter d'ergoter. Et qu'est-ce qui a rendu cette révolution possible, quels
sont les éléments de fond, qu'est-ce qui a embrasé les foules, qui a embrassé les poules, qui a
embarrassé les moules ? Bon, pour l’avant-dernière, c’est Casanova et c’est la même époque mais je
suis moins certain du lien. Il faut quelque chose pour alimenter un feu, il faut une lame de fond pour
alimenter une révolution, c'est quoi.
Ah oui, si, c'est l'histoire des années de famine qui ont poussé les gens dans la rue.
Exact, la république telle qu'on la connaît, c'est un peu parce qu'on a pris les choses en main, je veux
dire, le peuple français, le Français de base c'est dit: 'Punaise, j'ai même plus de quoi bouffer, je vois
mes enfants crever devant moi, je n'ai plus assez de suc' dan' l' sang pour régler son affaire à ma
compagnonne. Je n'ai plus rien à perdre, je vais lui enfoncer son château à ce roi qui vit comme un
prince, engoncé dans ses privilèges. ' Il n'en avait plus rien à faire des boulets de canon, des fusils ni
des baïonnettes, il y est allé ce con, mue par des yeux aveuglés par l'estomac. Comme un peu quand
nous, quand on est rond comme des queues de pelles, on est mue par les yeux aveuglés par notre
barreau de chaise et qu'on s'aventure dans des endroits où on ne se serait jamais aventuré de plein
gré... Or nous, on assiste depuis toujours les pays africains, histoire qu'ils soient juste serein pour
survivre, mais pas assez au bout du rouleau pour qu'une prise de conscience ait lieu. Là bas on est
juste des ravaudeurs, mais même si tu manies bien l'aiguille, au bout du compte ils auront toujours les
même habits pourris. Et s’il y a des guerres, on s’assure que ce soit entre eux, nous on fournit juste un
peu les armes contre le pétrole… En somme, ce n’est pas la religion, mais la nourriture qui est l'opium
du peuple là-bas. Et la corruption s'installe, et on ne construit rien, au mieux on rafistole. C'est ça mon
idée, ça peut choquer.
T'es en train de nous dire que pour leur bien il faut les laisser crever de faim ! s'indigna Hal Jacobs.
Voilà la réaction du petit blanc derrière son écran de télévision qui voit un petit noir au ventre rond
qui cri famine, ou plutôt 'hungry !', et là le petit blanc prend son téléphone pour lui envoyer dix Euros.
Le petit blanc est alors fier et heureux, serein avec lui même, il pense avoir sauvé le petit noir à la télé.
Non, non et non sort ces idées de ta caboche. Tu connais un peu l’histoire du Biafra, le mensonge du
pétrole sous l’idée d’un génocide ? Et pareil, on fait du dumping, on noie l'économie locale avec tous
nos produits d'humanitaires. Comment veux-tu ouvrir un commerce, monter une boîte d'agroalimentaire et lutter contre du riz gratuit balancé par avion ? D'accord, j'exagère les traits, je le vois à
vos figures, mais bon, c'est pour bien illustrer l'idée. C'est comme pour tout, quand on veut développer
une compétence, pour soi par exemple, si son voisin et plus doué que soi, en est plus loin dans
l'apprentissage que soi-même, on ne va rien apprendre s'il essaye de nous amener directement au
même niveau que lui en nous expliquant des concepts trop avancés pour nous, on risque de construire
des compétences sans bases réelles et le château de carte s'écroule un jour. Le bon processus, c'est de
ne pas brûler les étapes, de donner de sa personne, d'apprendre au fur et à mesure et certes, on peut
poser des questions à son voisin qui est plus expérimenté pour être sûr qu'on est dans la bonne voie.
En somme, c'est intéressant d'être guidé mais pas d'être assisté pour rejoindre coûte que coûte le
même niveau que son voisin. Pour moi, ils doivent régler eux-mêmes leur conflits, leurs problèmes,
c'est la seule solution pour qu'ils puissent construire quelque chose de durable, ensemble, pour eux,
chez eux et par eux.
 Tu n'as rien compris à l'humanitaire Ducon Lajoie. Ca ne ressemble à rien tes propos bibliques au
milieu de tes injures, 'par lui, avec lui et en lui'. C'est du plagia de renégat. J'ai un Master en
développement durable moi. Moi je leur ai appris à construire des pompes artisanales.
 Pff, ils ne savent pas construire leurs pompes eux-mêmes ? Et en plus là-bas il fait chaud, ils
pourraient marcher pieds nus non. A ces mots il laissa s'écouler son rire et devient une fontaine à
laquelle tout le bureau sembla s'abreuver, le rire fut général. Les intégristes Afghan aussi ont vécu le
même sort, les ricains leurs ont appris à construire des bombes artisanales. Hal Ezerzouze cessa de
rire sur le champ. Non, mais juste pour finir, on ne me la fait pas, j'ai assisté à une présentation,
pendant mon année Erasmus à Crapfield, d'Ingénieur Sans Portière et les étudiants qui avaient passé
six mois ont eu l'honnêteté de conclure la présentation de leur mission humanitaire par: 'Bon, on
voulait améliorer un moteur et en fait on ne pense pas avoir fait mieux que ce que les étudiants de
l'université locale auraient pu faire, mais ça reste une expérience très enrichissante', et ils te montrent
la maison typique où ils ont vécu, la nourriture locale qu'ils ont eu la chance de manger, et les filles du
quartier qu'ils... Et le pire c'est que sur ce coup là, je n'invente rien, c'était la conclusion de la
présentation (j'extrapole un peu peut-être avec les filles du quartier, ça n’était pas dans la présentation,
on en a parlé juste le soir, ils sont resté pour une soirée au bar du campus). Bref, ça résume bien
l’humanitaire en Afrique, c’est l’Europe qui va violer son voisin du dessous en amenant directement
l’infirmière avec pour soigner sa victime. M’enfin, on va me faire un procès pour diffamation sur mon
procès d’intention, alors je ne dis rien, ça reste entre nous mais je n’en pense pas moins.
 Ouai ouai. Bon, on en rediscutera de toute façon. En parlant d'Erasmus, si tu le prononce un peut à la
latine, 'Erasmous', ça porte bien son nom vu toutes les soirées pintes que les étudiants se font,
sponsorisés par l'Europe en plous... Allez, je file j'ai un entretien avec ma RH.
 Allez, tcho Hal Jacobs. Avec ta RH ?! Très mousse... »
Ils regardèrent tous s'éloigner Hal Jacobs, le sourire aux lèvres, sauf De Collision qui, en entendant le mot
RH, pensait à ce qu'elle aurait à dire pour une future promotion et pour quitter ce bureau minable. Gé la
Gauvinette repris un petit air sérieux et fixa El Bochote :
« Bon, sympa ton discours, mais résultat des courses, je n'ai aucune idée de ce qu'il est devenu, pour une
fois que je le croisais et qu'il m'accordait du temps pour parler un peu. Tu t’imagine.

Je te rappelle qu'ici c'est un lieu de travail, on n'est pas là pour palabrer ! rectifia El Bochote le sourire
en coin.

Il y a vraiment des fois où franchement ça me donne envie de...tu changeras jamais et même. »
L'espace d'un instant, le bureau 404 avait oublié la crise Abribus. Mais autour d'eux, le tumulte semblait
se poursuivre. El Bochote s'ingénia, tel un singe sans génie, ou un macaque sans gène, à mimer l'acte
sexuel sur sa chaise, une incartade signe que la crise Abribus avait repris le contrôle de ses esprits. Toute
sa frustration s’exprimait alors et elle l’inspirait même :
« Non ! C’est vrai que je suis plus Didier Super qu’un Patrick qui te chante de regarder un peu vers
l’Afrique tandis qu’il paraît plus préoccuper à jouer au poker ou à te bassiner d’Israël. Bon, je ne dirai
rien sur Israël, non ! Je ne dis pas qu’il faille tous les atomiser, mais si on pouvait un peu tout athéisé dans
la région, ça n’irait pas mieux que d’attiser… Bref, c’est un autre débat ça encore. Mais écoutez un peu la
chanson que j’ai écrite
- Non, tu nous la feras ce soir si tu veux, mais ici ça n’est pas l’endroit enfin ! Salaud, tu nous
ressortiras l’infâme et stupide Protocoles des Sages de Sion sous les nébuleuses mélodies
d’Ashkénazes ! On en reparlera plus ouvertement ce soir, chez moi !
- OK, OK ! »
Tout Abribus était en émoi, seul l’approche de l’heure du repas permis d’éviter un attroupement
autour du mégaphone. Le chef du bureau d’étude, La Malouse, vint en personne pour s’adresser à son
personnel. Les ordres d’en haut étaient formels, il fallait instaurer un dialogue, éviter toute relation
conflictuelle avec le personnel et éviter la défection des cerveaux. Il s’agissait d’aller parler à tous, de
rassurer, de leur dire que même La Malouse, pourtant leur chef, ne connaissait pas les tenants et
aboutissants de cette annonce, qu’il fallait surtout discuter. La Malouse n’hésita pas une seule seconde
devant l’épreuve du bain de foule, pour l’occasion, il avait demandé au personnel du restaurant
d’entreprise d’aménager les tables afin qu’il puisse se restaurer au milieu de ses collègues et qu’il puisse
discuter avec le plus grand nombre. Le repas lui paru tellement long, il lui semblait être sur une autoroute
voyant arriver poids lourds après poids lourd et devait les éviter par de savantes galipettes verbales. Son
sourire, sa fausse naïveté et ouverture ne tiendrai pas longtemps aussi commanda-t-il quelques bouteilles
de vin et insista qu’on passe outre le règlement intérieur sur l’alcool pour ce jour. Il redirigea alors
rapidement la conversation sur les grands vins, un sujet qu’il connaissait bien et sur lequel il savait
toujours épater la galerie. En début d’après-midi, devant l’ampleur des inquiétudes de l’ensemble des
employés du bureau d’étude, La Malouse décida de mettre en place des groupes de discussion et de
réflexion sur l’avenir d’Abribus en promettant à chaque groupe de passer pour relever chacune de leurs
remarques. Cette idée venait d’en haut et devait permettre de congédier tous les employés le soir venu
l’esprit serein et de pouvoir préparer la riposte du patronat dans les jours à venir.
Le compartiment 404 ne se mélangea pas avec les autres, à l’exception de De Collision qui pu
intégrer le groupe de discussion réservé au personnel déclaré haut providentiel. De Collision avait
bénéficié des vingt pourcent de places destinées aux femmes pour accéder au statu de « haut
providentiel ». Ce statu de salarié repéré par les ressources inhumaines à pousser vers le haut permettait,
entre autre, une meilleure évolution et garantissait de nombreux avantages en nature pour peu que la
personne soit attirée par l’international. En plus de cela, partant l’air magnanime, De Collision semblait
s’être entichée depuis peu d’une nouvelle mode qui trouvait son signe distinctif dans l’érotisme stéréotypé
du petit bourrelet entre le pantalon de tailleur et la chemise, accoutrement qui semblait chercher la
reptation du regard masculin autour de la taille féminine. Elle espérait sans doute ainsi briller lors de ses
interventions au sein du groupe de « hauts providentiels », faire tourner les têtes aux sons des étendards se
dressant et se cognant sous les tables de salle de réunion.
L’après-midi se passa dans le calme et même Gé La Gauvinette n’osa pas exposer tous ses points
de vue face à La Malouse. La Malouse prit scrupuleusement note de tout ce qu’avait à rapporter le groupe
puis les congédia. Il ajouta juste cette question :
« Juste avant de vous laisser, Plank n’est toujours pas revenu ?
- Eh bien on ne sait pas trop, je vais essayer de l’appeler ce soir, El Bochote va nous faire un petit
concert.
- C’était juste une question, pour savoir s’il ne lui était rien arrivé. Sacré Plank, avec toutes ses
idées sur les religions, la catholique en prenait un coup ! »
La Malouse en conservateur convaincu se réjouissait de savoir Plank et ses idées loin de son lieu de
travail. Il s'empressa d'aller rejoindre les ressources humaines pour savoir ce qu'il en était de Plank, allaitil enfin prendre la porte.
Après le départ de La Malouse, Gé se retourna vers El Bochote :
« Tu as entendu ce que j'ai entendu ? Il veut dire que De Collision, Plank se l'ait faite ?
- Non, t'es bête, il fallait entendre la religion catholique. Tu sais, cette religion où tu dois aimer ton
prochain comme toi même ou aller faire la guerre contre les Musulmans en Irak ou...
- Eh oh, l'interrompit Al Ezerzouz, Plank n'est pas là alors ne joue pas les remplaçant et laisse les
religions tranquille aujourd'hui !
- Laisser tranquille... tiens, ça m'évoque quelque chose de bien surréel, surenchérit El Bochote, et tu
as bien raison, quand va-t-on nous laisser tranquille avec tout ça. Il faut entendre ces fanatiques
américains de la parousie, qui parle en transe dans des stades de baseball, rempli à en faire craquer
les murs, de la seconde venue glorieuse de Jésus-Christ. La foule ne fait qu'acclamer, les marines
ne font qu'obéir et tuer au front, la main sur leurs fronts fières, un bel affront aux valeurs
chrétiennes. La question se pose à nous spectateurs incrédules, est-ce que Jésus va revenir, au
moins pour autoriser le mariage des prêtres pour laisser les petits enfants tranquilles. Nous restons
modeste, si le royaume de Dieu sur terre c'est trop demander, si les enfants pouvaient enfin avoir
la paix...
- Bon, bonne continuation à vous. Bonne journée. »
Gé n'en pouvait plus, il lui fallait s'éclipser pour éviter d'éclater de rire et surenchérir sous le regard
courroucé d'Al Ezerzouz. Être dehors de si bonne heure fut l’occasion pour La Gauvinette de profiter du
temps venteux et oublier ces tracas en s’adonnant au kitesurf avant de recevoir El Bochote chez lui pour
un concert privé avec peut-être la participation de Plank Kims. Il salua ses pairs et posa presque aussitôt
son casque de vélo sur la tête, direction Leffrinckouke. Hal Ezerzouz avait déjà appelé son amie pour lui
annoncer qu’il rentrerait plus tôt et lui préparerait un repas spécial couscous. El Bochote n’eut rien à
ajouter, la messe lui semblait dite, il esquissa presque un signe de croix, oubliant qu’il n’était pas à
l’église.
El Bochote était quelconque, seule une calvitie de plus en plus entreprenante commençait à le
distinguer de la masse uniforme des ingénieurs. Avec ses yeux bleus et ses cheveux blonds, il aimait à rire
en disant qu’il avait tout du bon « à rien ». Sa côte de popularité en entreprise avait, en dépit de toutes ses
idées anarchistes et contestataires, toujours été bonne, il maîtrisait l’art de bien présenter son travail et
donc de valoriser le moindre de ses efforts. Il ne posait jamais une question simplement, il présentait
d’abord tout le cheminement, tout le travail qui l’avait amené à poser telle ou telle question, une sorte de
publicité personnelle masquée. Il passait ainsi beaucoup mieux devant ses employeurs que la plupart de
ses collègues qui parfois donnaient bien plus de leur personne et de leur temps mais restaient sobre en
paroles sur leurs efforts. Il aimait les blagues qui se ponctuaient par l’apposition de son index et de son
majeur sous le nez tandis que l’autre bras était tendu comme pour poser sa main sur l’épaule d’un ami qui
serait assis ou en position de chaise romaine. C’était selon lui l’une des dernières choses qui était encore
et plus que jamais tabou en France, étant donné qu’il estimait que le sexe avait perdu ses mystères et se
placardait sur tous les murs. El Bochote faisait partie d’une sorte de réseau d’influence à Dunkerque, il
côtoyait du beau monde comme certains le colportaient. Il pouvait ainsi placer son argent de façon
avantageuse dans certaines entreprises locales, il dînait avec les personnages politiques, les artistes et les
sportifs du moment. En réalité, c’était son futur beau père qui l’intronisait partout. Même s’il n’aimait pas
entendre la Gauvinette le dire, il avait trouvé là un bon parti qui lui assurerait une fin de vie paisible, des
rencontres intéressantes et de bon placement. El Bochote n’aimait pas vendre les Bisounours avant de les
avoir dessinés et rappelait sans cesse que le mariage n’était pas encore fait. Il n'avait aucune croyance
mais beaucoup de convictions, il aimait à se décrire en citant les dires de Plank Kims dont il attendait
avec impatience les écrits :
«Je suis la controverse incarnée, [---]»
Il faisait partie de cette génération de l'Europe de l'ouest qui n'avait connu aucune guerre, avait vu
tous les tabous tomber avant leur accession à l'âge de la contradiction et de la rébellion nécessaire à la
formation de l’homme, leur adolescence. Ils n'avaient pas su pour quoi se battre et avaient cherché de
nouveaux repères. Beaucoup s'étaient égaré. Le troupeau de rebelles sans cause, de non-révoltés frustrés,
de nantis qui auraient voulu se battre comme leurs pères. El Bochote avait compris bien avant tous ses
pairs une chose très importante, une chose qu'il n'avait notée que dans son carnet personnel qu'il pensait
publier un jour, après son départ en retraite sous le titre : « De l’implication mais sans engagement pour la
réussite ». Il avait déjà rédigé son brouillon :
« Exemple chez un constructeur automobile où tout le monde se défenestre : du travailleur qui n’est pas
fan de voiture et celui qui est fan des voitures du constructeur, lequel évoluera le plus vite et lequel
accédera aux augmentations ? L'un réalise son rêve, faudrait pas non plus qu’on le paye ! pensera tout
représentant ressource inhumaine compétant ! Seul le désinvolte pourra réclamer son dû, s'engouffrer
dans les opportunités. Exemple de l’agriculture, comment on peut se faire écraser par le système, article
« the nation » of June 08 sur Food crisis, ou comment en Inde, certains, de plus en plus nombreux, en
viennent à se suicider parce qu’ils ne peuvent plus remplir leur rôle d’agriculteur, oppressé par un
dumping venu des productions occidentales subventionnées. Cas du Mexique et Philippines, comment les
agriculteurs se retrouvent bloquées sous des accords FMI et Banque Mondiale, où le gouvernement doit
rembourser ses dettes, ne peut plus subventionner son agriculture et chaque petit paysan en pâtit et crève
de faim. Le problème, ici, c’est l’engagement, le manque de flexibilité, malheureusement, ils n’ont pas
forcément dans ce cas beaucoup de choix. Ils sont trop engagés, engagés jusqu'au coup, comme dans la
m* (chercher dans dico pour autre mot). La seule solution au Mexique semble de migrer illégalement aux
US pour servir de cheap labor… Ironie du sort. Appliqué à notre cas, il s’agit de s’impliquer, tel un
requin, pour réussir, mais sans engagement, pour pouvoir être flexible et changer d’industrie au besoin.
Etre spécialise en ingénierie d’abris bus, mauvaise idée pour vivre une vie professionnelle palpitante et
qui évolue. Le plus général le diplôme, le mieux. Parallèle avec Mystery Method, si on est needy, pas
d’attraction, on est membre de la masse. Si on Demonstrate Higher Value et non needy, prêt a partir, les
RInhum seront plus enclin à nous augmenter et ouvrir des nouvelles possibilités de carrières, souvent bien
plus intéressantes… » Le reste n'était que schémas et annotations, la conclusion n'était qu'une diatribe
sans intérêt qu'il avait déjà barrée.
La base de voile de la Licorne était quasiment déserte, le soleil ne se faisait pas sentir tellement le
vent de secteur Nord-Est semblait imposer sa température. La Gauvinette prépara rapidement son aile à
caissons fermés, du bon matos pensait-il, de l’allemand, il y avait cependant un peu trop de suspentes à
son goût et le risque d’emmêler le tout était un peu trop présent à chaque session, une vraie usine à gaz,
normal c’est allemand ria-t-il intérieurement. Il enfila sa combinaison, accrocha son harnais et parti,
planche à la main rejoindre son aile. Il décolla sans encombre et passa une bonne fin de journée. Il ne
rentra chez lui que très tard, en célibataire qui se résout peu à peu à sa condition et tente d’en voir les bons
côtés. Il pensait souvent, en effet, que le marché du couple n’était pas très favorable en ce moment aux
ingénieurs français. Ils étaient en effet parqués dans des Grandes Ecoles qui n’ont de grandes que leurs
noms, sur des campus isolés qui ne favorisent pas franchement les rencontres extérieures. Cette situation
faisait que tout ingénieur avait faim et était perçu par la gent féminine comme un loup affamé, il n’était
certes plus assoiffé après les litres de bières qu’il avait pu ingurgiter à chaque soirée à la limite du
vomissement. C’est avec désolation qu’il avait vu se résigner certains de ses amis ingénieurs. Lui ne se
sentait coupable de rien et ne voulait pas s’avilir, il attendait donc en quelque sorte une princesse
charmante, qu’il voyait en blouse blanche. Il avait même été jusqu’à imaginer suivre en candidat libre les
cours de médecine pour rencontrer l’âme sœur. Il oublia ce projet et personne ne lui donna jamais de
piqûre de rappel. Il se remettait souvent en question, pensant être à l’origine de son échec. Cette situation
commençait à le traumatiser malgré les parole rassurantes d’El Bochote : « Tu sais, si moi j’ai trouvé, tu
trouveras ». La Gauvinette avait rapidement sombré dans une consommation délirante d'antidépresseurs.
Plank n'avait su que lui envoyer un mot publié et visible par tous ses contacts sur un site internet de
réseau social qui pourtant avait eu l'effet escompté :
« Ma Gauvinette, revient au bureau, revient sur terre !
Je n'ai hélas pas fait d'étude d'assistance sociale donc je n'ai pas les outils de communication
adaptés pour m'adresser à un public de drogués. Mais je vais quand même essayer.
Tout d'abord, il suffit de regarder un peu autour de soi, de prendre le temps, le temps d'aimer son
environnement et son entourage. Toute notre vie n'est qu'une répétition, certes, mais la plus belle
répétition qui soit, avec ses cycles, il est parfois un peu dure de planter, de travailler le terrain et de passer
ses jours voir ses nuits à déraciner les mauvaises herbes, surtout lorsqu'en homme de la campagne on sait
que certaines de ces mauvaises herbes ont de toutes façon déjà lâché leur graines et aussi que les
mauvaises herbes du champs voisin, et même un peu plus loin, viendront contaminer, à la prochaine
saison, notre récolte. On peut donc apprendre deux choses de cette métaphore, l'une est qu'il faut soigner
son champ, prendre son temps et enlever le plus de mauvaises herbes possible car chaque mauvaise herbe
donnera au cycle suivant une myriade d'autres, l'autre est qu'il faut aider son voisin, à prendre lui aussi le
courage d'enlever ensemble ses mauvaises herbes, et son entourage, quasiment chaque personne qu'on est
amenée à côtoyer, pour le bien même de notre champ pour le prochain cycle, mérite qu'on l'aide à
travailler son terrain pour y enlever le plus d'indésirables que l'on peut. Et tout bon agriculteur vous le
dira, il n'y a pas de produit chimique miracle, il n'y a pas de produit chimique qui ne démolissent, par
effet secondaire, le terrain ou le sous-sol et l’environnement dans un sens plus général. Le travail manuel,
l'attention quotidienne pour son champ est la seule vraie solution durable. Il en est de même pour nous.
Je t'invite donc pour cette période à venir à y réfléchir, simplement, à toutes nos mauvaises herbes
que sont nos mauvais penchants. En ne te focalisant non pas uniquement sur ton petit périmètre, mais en
apportant ton attention aux champs alentours.
Je terminerai juste en disant que je ne donne aucune leçon ici, il me semble que certaines saisons
je ne suis moi-même qu'une jachère.
Amicalement,
Plank Kims”
Gé n’attendait plus qu’El Bochote qui viendrait peut-être accompagné de Plank Kims. Il s’affala sur
son canapé au doux son d’Yael Naim qui lui faisait rêver de Paris. Il se rappela alors de cette Israélienne
qu’il avait invitée à un concert étudiant de piano, avec son pauvre Anglais. Il n’oubliera jamais son regard
pensa-t-il, un mélange de messages, d’invitation mêlé à un sentiment d’impossible, un oiseau de passage.
L’interphone l’interpella, El Bochote devait être arrivé.
« Oui Allo ?
- C’est moi, El Bochote.
- Tu es avec Plank ?
- Non, mais j’ai amené ma guitare… je peux monter quand même ?
- Oui ohff, allez, monte ! »
El Bochote ne se fit pas prier pour rouler un petit joint de bienvenu.
« Alors, et Plank ?
- Je suis passé chez lui, il a l’air complètement perdu, il ne sait plus trop ce qu’il dit je pense,
bizarre.
- Ah oui ? Raconte.
- Boaff, trop rien tu sais. T’as du pain ? Je nous ai amené un peu de Bergues.
- Oui, bouge pas.
- Pendant que je suis installé, coupe ta musique, je vais te jouer comme promis ma chanson
politkincorrek’ sur la Palestine. Je l’ai appelé : ‘Ah non ! Pas les Staliniens !’ Bon, comme c’est
français et que je n’ai pas fait les beaux-arts, il faut se concentrer sur les paroles.
- Le conservatoire tu voulais dire ?
- Yes. Ça me rappel un peu la triste histoire de l'incomprehension du rock franco-britannique, en
1996 Noel Gallagher chantonnait à ces demoiselles de ne pas livrer leurs vies aux mains des
rockeurs et d'aucunes se sont laissées bercées par cette voix si suave et convaincante, Marie
Trintignan quant à elle nous a laissée, j'en ai fait une cantate. Mais bon, passons... Revenons à nos
Palestiniens.
- Mouai, voyons voir comment ça sonne.
- C'est bien tout là le problème de la chanson français, c'est un délicat mélange entre le texte et la
musique, l'un ne peut suffire sans l'autre. Mais mon problème c'est la voix, la mélodie m'échappe,
un peu comme les graines grillées qui garnissent un pain, tu les perds presque toutes en t'en
coupant une tranche. Mes chansons sont faîtes d'insaisissables notes.
- Il en faut bien un peu pour les oiseaux.
- Pour qu'ils se nourrissent du fruit de notre travail et se la roucoule douce... Bref, ça n'aide pas les
Palestiniennes qui se font harceler sexuellement aux check-points israéliens. Chantons !»
El Bochot accorda rapidement sa guitare. Le pétou au bec il entama sans se racler la gorge :
« Bon, c’est simple, ça n’a rien à voir avec les cocos au fait, c’est à grand coup de renfort d’accord de
Lam, Do et Fa, le fond musical qui sonne à la Goldman quoi, mais les paroles, c’est de moi :
Tu vois, tu dois t’imaginer un peu un groupe de gonzesses bien gaulées qui chantent le leitmotiv’ pas
d’bol, pas d’bol d’une voix super suave tu entends ? Les gonzesses, je les vois bien Libanaises, [---] mais
ça je verrai plus tard avec mon futur producteur pour le clip. Tu t'imagine un peu le fond avec un peu de
Hezbollah à gauche, Ahmadinejad à droite, [---]. Le reste, tu verras, ça n’est que moi et ma guitare !
Depuis tout petit tu pleures, tu jettes des cailloux contre des chars, tu couines,
Quelle idée de naître en Palestine !
Tu aimerais apprendre un métier… mais ton école n’est plus qu’une ruine,
pas d’bol, pas d’bol
Tu suces des cailloux pour avoir des vitamines,
pas d’bol, pas d’bol
Tu rêverais d’emmener au restaurant ta copine,
Mais au menu, il n’y a rien d’autre que la famine,
Quelle idée de naître en Palestine !
Plutôt que de naître ici t’aurais mieux fait d’avoir piscine,
Ca fait tellement longtemps que tu n’as plus vu d’aliment… que tu ne sais plus comment faire la cuisine,
Ton pays s’est engouffré dans une guerre intestine,
Quelle idée de naître en Palestine !
T’aurais mieux fait de partir en vacance en Argentine…
C’est peut-être quand même mieux que la Chine,
pas d’bol, pas d’bol
Dans ton quartier c’est un peu comme si tout le monde s’assassine,
T’as l’impression d’avoir la tête dans la bassine,
Quelle idée de naître en Palestine !
Au son des bombes ta mère et tes sœurs courent comme des lapines,
Je lis tes malheurs en lisant le journal, avec un café et une chocolatine,
Ras l’bol, ras l’bol !
Au son des bulldozers tu entends à la radio chanter des Américaines blondes platines,
Ras l’bol, ras l’bol ![---]
Sur les marchés dans la rue tu vends ta gastro en terrine,
Quelle idée de naître en Palestine !
Je ne sais même pas s’il vaudrait pas mieux attraper la scarlatine,
Pas d’bol, pas d’bol,
De ton flanc le sang dégouline,
Quelle idée de naître en Palestine ! »
Les tympans de Gé vibraient encore, ils n’en pouvaient plus. Il avait enfin trouvé le moyen de faire taire
El Bochote, il voulait filmer cette chanson et s’en servir contre celui qui lui faisait de l’ombre au bureau.
« Génial ! Vraiment ! Attend, je sors un coup la caméra, faut que j’en garde un souvenir !
- Non, c’est éphémère ça, ça ne s’enregistre pas, on me foutrait des procès au cul ! Tiens, le joint.
- Tien hop, c’est en place, allez la star, rejoue !
- Non et non mec, c’est une chanson sur l’instant mais je ne vais pas aller mettre en péril ma
carrière chez Abribus, tu sais que je pourrai passer vendeur et peut-être relations publiques dans
un futur proche !
- Mouais, Gé savait qu’il ne gagnerait pas cette bataille, en tout cas pas ce soir-là, il décida
d’exprimer ce qu’il avait sur le cœur. C’est vraiment un truc de Français ce que tu nous fais là !
Genre tu t’engages sur des terrains de la discorde avec tout le monde, tu prends position et défends
celui que tu crois le plus juste. Tu vas encore me ressortir ton combat anti communautariste à la
Dieudonné, tu voudrais créer une église athée, c’est ça. Tu rejoues les victimes sous représenté et
tu te mets dans le même sac ? Va te faire baptiser chez les Grecs et te faire parrainer chez les
extrémistes va !
- Mais tu n’as rien compris, oui je suis un peu artiste-humoriste engagé, mais si je m’exprime, c’est
parce que j’en éprouve le besoin, je ne me sens pas bien ici, ça ne tourne pas rond pour moi. Tu
vois, c’est un peu comme si j’avais une bombasse métissée afro-népalaise dans mon lit et que
j’étais impuissant, que je ne pouvais faire qu’observer parce que ce n’est pas mon combat me
dirait-on. Bein là c’est pareil, je lis les journaux ou je les écoutes, ou pire je les regarde et je vois
la misère. Je suis humain, je compatis, je comprendre la douleur, alors je ne sais quoi faire,
j’emmagasine tout et un jour, ça explose d’une façon ou d’une autre, moi c’est la chanson.
- Roooh, c’est beau ce que tu dis. Mais on ne t’écouterait jamais assez longtemps pour que tu
puisses te justifier, le mieux que tu as à faire c’est d’arrêter un peu d’aborder ce genre de sujet au
boulot.
-
Mais je n’y peux rien, il faut que ça sorte, je n’en peux plus, je ne peux pas manger sereinement
mes clémentines importées de là-bas sans broncher !
- Mais fait de l’humanitaire alors !
- Non, tu sais ce que j’en pense.
- Engage-toi dans l’armé !
- Pas avec les politiques qu’on a. C’est ça mon problème, et je ne vais pas changer la politique, pas
maintenant, pas avec mon diplôme ni mon petit réseau. On est cuit ! Arrêtez-tout je veux
descendre c’est trop tard, on aurait plutôt du prendre un ticket pour monter, à la fac ! Et c'est fini
le racisme, c'est du passé tout ça, maintenant c'est le protectionnisme. C'est encore pire, on forme
des petits clans et on défend ses privilèges. Tout le monde a une peur continue d'être envahit, de
ne pouvoir résister à la compétition. On veut défendre son petit jardin pour que nos enfants
puissent y jouer sans se soucier du reste du monde. Même moi, de Dunkerque, quand je suis allé
m'installer à Toulouse, ils ont tous eu peur que je m'installe pour du long terme et qu'ensuite
j'invite tous les Nordistes à me rejoindre et envahir le Sud et leur prendre leur soleil. Ils
s'imaginaient déjà voir débarquer gare Matabiau tous nos consanguins, chômeur et pédophiles... »
La discussion s’éternisa et, le cannabis aidant, s’essouffla et se diffusa dans le salon et les deux collègues
se réveillèrent le lendemain matin, à courir partout pour se préparer pour aller travailler.
Ingénieurs, de nouveaux sans abri
Le compartiment 404 comptait maintenant depuis plusieurs semaines un poste vide, celui de
Plank. Plank semblait avoir déserté les lieux, il ne répondait plus au téléphone et personne n’avait obtenu
de réponse en allant frapper à sa porte. Les rumeurs qui avaient couru un temps sur des raisons de son
départ qui seraient liées au discours de Bouis Galeu étaient sans fondement car il n’avait plus donné signe
de vie à sa direction deux jours avant, et encore, sans compter le week-end qui avait précédé. Ses
collègues le couvraient et parlaient de vacance impromptue, et parlait même de vacance tout court à leur
chef. Comme la Gauvinette, Plank vivait seul, il fut donc difficile d’en savoir plus sur les raisons de son
absence et la virée d’El Bochote chez lui ne fut guère concluante. Il savait pertinemment, comme Gé, que
Plank était dans le coin mais ils ne filtrèrent pas l’information. L’entreprise avait eu de toute façon bien
d’autres centres d’intérêt, depuis trois mois de nombreuses tensions avaient eu à être relâchées pour
permettre à Abribus d’avancer et de livrer ses clients à temps. Le point culminant de cette agitation avait
bien sûr été le discours de Bouis Galeu. Peu à peu, toute l’entreprise avait retrouvé un rythme de travail
normal. La filiale allemande avait enfin voulu se conformer à la méthode de travail française et les efforts
des deux entités d’Abribus avaient pu être combinés après de longues négociations et de consultants
interposés.
La liste des employés du bureau d’étude sur la sellette avait été publiée, El Bochote en faisait
partie. Les petites blagues de ses collègues lui firent grincer des dents. Il ne retrouva le sourire que
quelques jours plus tard.
« Ce n’est qu’une liste de potentiel, rien n’est joué, en plus tu es plutôt bien vu là-haut !
- L’avis de Dieu ne compte pas.
- Non, je voulais dire…
- Oui, je sais, je voulais faire de l’humour. Bon allez, je vais faire une vidange les gars. »
El Bochote ne se rendit en fait pas jusqu’aux toilettes, il avait juste besoin de se retrouver seul, pour
justement retrouver ses esprits. Sa copine l’avait quitté, parce qu’il l’avait trompée, il ne pouvait s’en
vouloir qu’à lui, certes. Tout son réseau s’effondrait, c’était surtout ça le point noir de cette histoire. Il ne
croyait pas en l’amour, mais il allait vite se rendre compte que pourtant l’amour le rattraperait, dès ce
jour. El Bochote vacilla lorsqu’il cru voir passer La Malouse devant lui. Il s’isola pour téléphoner à son
amie. Il n’entendit que le son de sa voix par le biais de l’enregistrement de sa messagerie vocale.
Lorsqu’il rejoignit son bureau, tous ses collègues étaient absorbés par leur écran d’ordinateur,
seule De Collision lisait des fiches d’Allemand. Elle avait expliqué qu’elle assisterait sous peu à un
séminaire sur le marché de l’Europe de l’est et qu'elle comptait bien en profiter pour montrer qu’elle avait
des ressources et parlait Allemand. El Bochote décida de s’oublier dans son travail.
A l’heure du déjeuner, De Collision les laissa car elle avait reçu une invitation de la part d’un de
ses anciens camarades de Grande Ecole pour aller au restaurant « La Meunerie ».
« Tu vois, ça c’est tout de la pollution inutile, en plus ce gars là, il vient te chercher d’assez loin. Imagine
si tout le monde faisait comme toi !
- Ca fait vraiment longtemps que je ne l’ai pas vu, en plus.
- Oui non, si tu veux on nous dit toujours ça, « j’ai pas le choix, tout ça tout ça » mais en vérité
franchement. »
Elle estima que la conversation n’avait déjà que trop durée et s’éclipsa en leur envoyant son fameux
sourire renversé. De Collision n’avait que cette particularité là, un sourire renversé. C’était une sorte de
marque de fabrique qui devait certainement indiquer le désaccord entre son faciès et ce qu’elle pensait des
gens. L’hypocrisie qu’elle avait cultivée toute sa jeunesse avait fini par lui travailler le visage.
El Bochote, Gé la Gauvinette et Hal Ezerzouz, ayant travaillé studieusement sans les débats oisifs
habituels décidèrent de compenser en passant le repas ensemble à la cantine. Le repas fut sans relief et El
Bochote ne parvint pas à leur annoncer sa rupture. Il nourrissait peut être l’espoir de renouer avec son
amie.
Cette après-midi là, un vent de folie semblait souffler sur le compartiment 404. De Collision n’était
pas revenu et les trois ingénieurs s’étaient emparés de son cas. La discussion avait bien vite dérivé sur
tous les sujets, chacun jouant une panoplie de personnages différents. Tous leurs propos se parasitaient
d’une espèce de grincement de dent, ce son strident et rauque à la fois, venu du fond de la gorge et du
plus profond de leurs démesures, de leurs frustrations :
« La Malouse, Hiiii, je suis caché sous le bureau, je veux une augmentation. »
[---]
« Punaise, les gars, on enchaîne les motifs de licenciement aujourd’hui. »
Lors de la réunion de service, les menaces de licenciement se firent encore un peu plus pesantes,
El Bochote n’en menait pas large, il ne dormait plus que très peu et se déconnectait un peu trop souvent
de la réalité. Des tics lui était récemment venu et lui torturaient le visage, il en développait maintenant des
rides.
De Collision n’était revenue que pour assister à la réunion du service. Elle retourna comme les
autres à son bureau. Elle nota immédiatement le grain de folie qui s’abattait dans le compartiment 404.
Elle n’en tint pas compte et se plongea dans ses lectures.
La journée s'acheva mollement et le lendemain matin El Bochote était absent et ne se présenta au
bureau qu'après la traditionnelle pose café du matin.
El Bochote revenait d'une séance en tête à tête avec Psipsi, ils avaient été boire un café en ville. El
Bochote avait une fois de plus essuyé les sarcasmes de ses collègues mais avait rétorqué qu'il ne s'agirait
que d'une simple conversation. Gé la Gauvinette remarqua immédiatement un détail choquant, El Bochote
en revenant avait les yeux injectés de sang et s'exclama :
« Punaise, les gars, faut que ça sorte, ma copine m’a laissée. Je suis complètement à la rue en ce
moment. »
Il entendait déjà les théories modératrices de la Gauvinette revenir sur le tapis. Et il décida de
changer de sujet en allant toujours plus loin dans l’impertinence verbale. Hal Ezerzouz suivait avec bon
cœur les élucubrations d’El Bochote et la Gauvinette se sentait entraîné comme une algue dans le courant,
il gesticulait presque autant que l’aurait fait cette algue mêlée à l’écume. Les esprits s’échauffaient dans
cette bande d’ingénieurs pourtant sans histoire. El Bochote se sentait complètement désinhibé, il ne se
sentait plus chez Abribus. Dans un moment de décadence ultime, [---]
La Gauvinette aurait voulu à ce moment précis calmer El Bochote et s’interposer mais il senti ses
membres se raidir, il ne savait plus vraiment si ses pieds touchaient terre. Hal Ezerzouz se gardait bien
d’intervenir. Il était de ceux qui trouvaient la vie parfois trop monotone et n’attendait que l’imprévisible.
Tout petit déjà, il se réjouissait lorsque son immeuble s’animait, lors d’une descente de police par
exemple. Il n’avait jamais osé appeler directement la police ou déclencher lui-même un évènement qui
sortait de l’ordinaire. Il ne voulait pas être à la source de l’incident qui égayerait sa journée sinon il avait
le sentiment d’avoir triché. Il faisait cependant bien attention à permettre à tout incident, même mineur de
pouvoir se produire, que l’inattendu, le dangereux s’exprime, c’est pourquoi il lui arrivait parfois
d’entretenir certains climats tendus, d’envenimer certaines relations. Il était l’huile sur le feu et il remuait
également les braises pour qu’il reparte de plus belle. A l’époque où il fréquentait les bancs de l’école, il
aimait par-dessus tout les jours où un de ses professeurs était malade. Tous les élèves se retrouvaient alors
comme perdu, chacun y allait de son grain de sel et le directeur des études avait alors du mal à canaliser
cette agitation. Plus tard, il avait été de toutes les manifestations étudiantes et avait toujours été celui qui,
au fond de la foule et prêt à s’échapper, jette la première pierre au CRS pour voir ce qu’ils ont dans le
ventre pour se sauver lors de la charge des forces de l’ordre. Il apprenait de toute façon toujours les
lendemains dans la presse comment la manifestation avait tourné et était le premier à s’en lamenter et à
rappeler tout le monde à la lutte pour que les frères déjà tombés ne soient pas tombés en vain. Il cultivait
tous les incidents qui permettaient de sortir de la rengaine quotidienne et avait ainsi déjà vu mourir
quelques personnes devant ses propres yeux, dont son frère. Lors d’un orage, l’électricité avait fait défaut
à toute sa famille, les bougies avaient alors été sorties. Pour des raisons d’économies, toute la famille se
regroupait dans la cuisine autour de deux bougies, Hal garda un très bon souvenir de cette atmosphère. Le
froid rendit cependant nécessaire le chauffage électrique et son père invita ses deux fils à le suivre pour
essayer de voir si la panne venait de leur boîte EDF personnelle. Son frère, qui rêvait d’intégrer à
l’époque la Grande Ecole française supérieure d’électricité et de célibataires aux cul de boc de bières
alsacienne, voulu mettre la main à la pâte, il n’eut plus jamais l’occasion de le faire de nouveau. Hal
n’avait pas vraiment pleuré son frère, il n’avait pu s’empêcher intérieurement de se réjouir de la tournure
peu ordinaire que prenaient les évènements. C’était une des rares occasions dans sa vie où il ne vivait pas
des évènements extraordinaire à travers le poste de télévision, il vivait enfin quelques évènements
extraordinaire à domicile, dans sa propre cuisine. Et il pouvait interagir avec tous les acteurs, il
comprenait mieux leurs sentiments et pouvait vivre lui-même ces sentiments, il exultait et remerciait à
chaque fois le ciel pour ce moment de magie, pour cet instant de vie vraie. Il aimait en somme les tueurs
de routine et El Bochot allait en devenir un, il l’avait toujours senti, ce garçon sans repère ou aux repères
ajoutés, factices était prêt à sombrer et à en emporter plusieurs avec lui. Le spectacle ne faisait que de
commencer pour Hal Ezerzouz et il ne voulait pas en manquer le moindre épisode.
[---]
La Gauvinette ne sut quoi faire, il suivit le groupe [---].
El Bochote ouvrit la porte du bureau de La Malouse sans frapper. Son chef était au téléphone, la
discussion paraissait des plus sérieuses. El Bochote appuya de son index et son majeur sur le téléphone
pour couper la communication :
« Il rappellera ! »
Il avait toujours voulu faire ça, être dans l’urgence et avoir à interrompre une discussion
importante car il avait une nouvelle à annoncer qui primait sur tout le reste. Il se sentait agir et penser à la
manière un peu musclée de certains détectives de séries télévisuelles américaines qui ont recours à la
violence pour obtenir les informations dont ils ont besoin pour faire avancer leur enquête. Il l’avait, son
moment, là où au nom de la justice américaine il pourrait torturer des présumés coupables, violer toutes
les lois, boire et prendre un accent roque de celui qui a beaucoup vécu. La Malouse ne su que dire et
écarquilla les yeux. El Bochote, enfermé dans son personnage, prit son chef au collet et voulu le plaquer
contre le mur en balançant une phrase dans le style :
« Tu vas parler oui ! »
Il n’eut pas le temps de placer cette phrase, il n’avait pas fait attention à la grande fenêtre,
privilège des hauts placés pour leur permettre de profiter de la lumière du soleil pendant leurs travails.
Les ingénieurs, pour ceux qui n’étaient pas repéré hauts providentiels, étaient bien souvent obligés
d’allumer les lumières de leurs bureaux même en plein jour. Cette fenêtre était grande ouverte, La
Malouse avait hésité jadis à devenir ornithologue et il aimait encore à écouter le chant des oiseaux en
devinant leurs âges. Son personnage de série américaine devint à cet instant une vrai camisole de force et
El Bochote ne su doser sa force et La Malouse lui échappa des mains, ce dernier vint s’écraser deux
étages plus bas, son cou ne tint pas le coup. Hal Ezerzouz, qui avait couru pour observer la scène, exultait.
El Bochote se retourna, Gé se joignit à Hal, il baissa les yeux et fit un signe de croix, geste qu’il ne
s’expliquerait jamais, une sorte de réminiscence de pratiques barbares et ancestrales de ses ancêtres.
« Euh, en fait faut que je te dise, El Bochote, sincèrement, tu vois.
- C’est bon la Gauv’, ne te fatigue pas, j’ai compris un peu l’ampleur de la situation, de toute façon,
je me tire. Il a juste été victime d’un surmenage, c’est une chose assez fréquente ces derniers
temps chez les ingénieurs… Tu as vu ma gueule, comment je me métamorphose en vieux, en
citron qu’on a oublié sur un rebord de fenêtre ! Allez, je pense que l’on ne se reverra pas
demain. »
El Bochote resta un moment interdit, il se pencha sur le bureau de son ancien chef et y lit
rapidement la note manuscrite qui s’y trouvait, ce serait peut-être avec chance un argument qui pèserait
dans la balance du côté de la thèse du suicide :
« Tu m’as déçu, pire, tu m’as blessé. Tu étais celui à qui j’avais cru bon de livrer une part de moi-même,
de donner à voir autre chose qu’une fade façade où tout semble parfait et abstrait. Dans un moment de
faiblesse, sans doute, j’ai dévoilé mes arcanes, je t’ai vendu mes brevets. Dès lors que le tour est
expliqué, le magicien n’intéresse plus. Ayant pris connaissance des fondements d’un édifice, on est le plus
à même de le dynamiter. Tu es de ceux qui me font paraître ma solitude plus grande et plus nécessaire. Je
retrouve bien là tout ce que j’avais eu tout le loisir de haïr dans un triste internat. Barricadé derrière une
ouverture d’esprit et une propension à aider son prochain, on humilie ce dernier sur la place publique,
pour son bien. Pour réveiller son âme on vient, à plusieurs, le sermonner. On le force à se justifier pour
qu’il paraisse morveux, même à ses propres yeux. Il s’agit de faire mouche en lui faisant comprendre que
tout est trop tard comme un ami imbécile vous informe qu’hier vous ne lui avez pas souhaité son
anniversaire, comme une personne au bout du fil à neuf heures de vous vous fait comprendre que vous
avez saisi son message, enfin, mais trop tard, comme un ami d’enfance, désabusé, vous raconte comment
comme vous il n’est pas plus et peut-être même moins avancé que jadis, et vous annonce par ondes
interposées qu’il n’aura pas l’occasion de vous revoir avant qu’il parte pour deux ans sans interruption
sur les zones à risque en Afrique noire. Malgré tout je reste. Comme je me le suis laissé dire : « Tant que
des gens cherchent à te causer du tort, c’est que ta vie en vaut la chandelle. » Reste le même fumier, c’est
ainsi que je fleurirai. Pense aussi aux fleurs sur ma tombe et n'oublie pas de venir pisser dessus !
La Malouse »
C’est à ce moment qu’El Bochote regretta l’absence de tampon de regard dans ce bureau, il
n’aimait plus marcher à l’air libre après cet évènement, sous le regard des gens qu’il pouvait croiser. Il se
serait plutôt vu marcher sous terre, dans les bas-fonds qui sentent les défections humaines pour oublier ce
qu'il ressentait au plus profond par l'accusation des regards. Il voulait rejoindre le flux des déchets de
tous, de la ville, il voulait s’engouffrer dans les égouts.
De Collision expliqua aux collègues [---] qu’elle partait de toute façon bientôt pour la Chine où un
concurrent se développait. Ce concurrent était friand du savoir des ingénieurs occidentaux [---]. Tout
semblait changer, Sophie pria le plus fort qu’elle put.
A la découverte du monde
« Ah, la découverte du monde, en solitaire, que c’est bon, dur, implacable, mais enrichissant… » Plank
coupa la « boîte noire qui parle toute seule ». Il décida d’ouvrir une fenêtre pour sortir de cette enceinte
comme il avait vu faire un homme tout de noir vêtu dans la « boîte noire ». C'était vraiment un étrange
objet que cette boîte ou tout semblait se passer. Il flâna de nouveau autour de la place Jean Bart. Après
avoir effectué peut-être deux cent fois le tour de la statue du légendaire corsaire, il estima s’être assez
oxygéné.
Plank s’assit sur un banc d’abri bus. Il s’était soudainement senti une familiarité avec ce genre
d’endroit. Il se trouva seul mais bien décidé à ne pas rester inactif. Il entama une discussion sur sa vie,
comme il l’avait vu faire dans la «boîte noire» :
«Nous revoici sur le plateau du Moulon pour le rendez-vous habituel avec au sommaire une exécution.
Aujourd’hui, il fait beau. Allo ? Vous êtes l'inspecteur d'Eric, oh vous savez je suis blanche comme une
colombe. Allez donc vous baigner à la plage de Malo, l’eau de mer y est belle et agréable. C'est ainsi que
vivent les moines des strapontins depuis plusieurs millénaires. On s'y retrouve tout de suite après cette
pause publicitaire. Veuillez vous enduire de crème pour parer aux agressions du soleil. Cette crème à
l'aloe vera non véritable et garantie satisfait ou dépucelé. Vous pourrez peut-être admirer les ailes des
personnes s’adonnant au cerf-vol de traction. D'ailleurs sur le site cévésau de notre chaîne nous vous en
proposons pour la merdique somme du masque de Zorro. Eole, partenaire officiel de la compagnie créole,
n’est pourtant pas très agressif aujourd’hui et les cerf-volistes ne risquent pas de vous impressionner par
leurs sauts en bimbo des bacs à sable. Il vous faudra attendre d’autres jours plus venteux. Tout de suite les
prévisions hétéros sponsorisées par des gros blacks à l'équerre. Nous pouvons estimer que le vent demain
sera… », Plank parla ainsi quelques minutes. Finalement, quelqu’un vint le prier de se taire, ce qu’il fit :
jamais la « boîte noire » n’avait émis un son alors qu’il ne le désirait pas... sauf celle de son voisin ! Son
immeuble boulevard Sainte Barbe faisait forcément partie des reconstructions d’après guerre. Une pensée
qu’il ne comprit pas vraiment lui vint : ceux que l’on avait soi-disant invité en France pour reconstruire le
pays l’avaient fait à grand coup de matériaux bon marché, et c’est bien la seule chose qu’ils avaient de
bon d’ailleurs. Lorsqu’il parlait ainsi, ce n’était pas le Plank conscient qui s’exprimait, il s’écoutait parler,
au pied de la lettre, et tentait en observant le sens global de son discours de percer le mystère de certains
mots qui lui échappaient. Tout son discours était comme une pensée furtive et maladive qui échappe à son
auteur et que ce dernier n’est même plus capable de reformuler correctement ensuite. Même lorsque les
phrases qui émanaient de lui étaient simples, il n’en comprenait pas les références ni les connotations.
C’est à peu près le même sentiment de celui qui se trouvent devant une fresque, au musée, et qui déplore
de ne pas avoir pris l’option latin au collège, ou pire alors, s’il l’avait prise, d’avoir préféré résoudre les
exercices de mathématiques qu'il aurait dû préparer à la maison pour l’heure d’après.
Plank choisit donc un autre endroit pour continuer son discours après en avoir élidé une bonne
partie. En effet, en fin observateur, il avait remarqué que la personne s’exprimant dans le carde - ou bien
cachée on ne sait où et montrant d’autres lieux dans la boîte noire - continuait à parler même lorsqu’on ne
l’entendait plus, il laissa ainsi donc couler le flux de son discours silencieusement. Il en avait fait les frais
bien souvent de ce phénomène. En effet, tandis qu’un discours l’intéressait, il avait eu à interrompre ce
discours en éteignant la boîte noire. Il ne s’était éclipsé qu’un court instant mais lorsqu’il revenait, il
s’apercevait que pour que l’ensemble du discours ait du sens, il manquait certaines phrases. Il s’était
trouvé bête à ce moment, la personne vivait et n’allait certainement pas attendre sagement son retour, un
peu comme si vous entamiez la discussion avec quelqu’un, qu’il s’en allait effectuer une année Erasmus
en Pologne pour étudier l’ancienne bourgeoisie qui s’exprimait en Français à l’époque et que vous ayez à
attendre près d’un an pour finir la phrase par laquelle vous lui demandiez quels étaient ses projets pour
l’année à venir.
Il emprunta une rue qui débouchait sur la digue de Malo. Il s’assit, de même, sur un banc d’aubette
puis continua alors son discours à voix haute.
« …ainsi peut-on considérer que la crise aux Etats-Unis est à l’origine de la seconde guerre mondiale, je
trouve donc normal que ce soient les Américains eux-mêmes qui nous aient sorti de ce pétrin… » son
discours s’allongeait de plus en plus, à n’en plus finir. Il parlait de personnages, de lieux, de romans les
plus divers. Parfois certaines personnes qui étaient assises à côté de lui à attendre le bus ne sortaient ni
leurs écouteurs ni les quotidiens gratuits qu’ils avaient récupérés le matin pour se distraire plus
simplement, en l’écoutant. D’habitude, ce genre de personnage que l’on croise dans le métro ou le RER
parisien sont assez dérangeants, ils se plaignent d’un proche disparu, d’un monde fou, non pas que la
rame soit bondé, mais bien que le monde dans lequel on vit n’aurait plus de sens commun. Tout voyageur
se sent assez gêné, il n’a pas vraiment le temps ni l’envie pour l’aider, et il se demande même s’il est
encore temps de l’aider. Il est impossible de se figurer depuis combien de temps cette personne fréquente
les lieux publics pour parler à la cantonade, on se dit que cet individu doit être en stade psychologique
terminal. Ce serait un peu le grand saut de lui parler, de troubler sa quiétude de marginal et on ne sait pas
très bien quelle serait la violence de sa réaction. Il y a aussi les discours tout fait de la pauvreté qui
s’exhibe et vous fait porter le chapeau d’une imaginaire machinerie qui l’a laissé sur l’accotement et que
vous pourriez être le passant pusillanime qui profite de l’apoplexie momentanée de ce malheureux pour le
pousser sournoisement dans le fossé et parfaire sa déchéance. C’est bien souvent alors qu’il force une
parisienne qui faisait mine de ne pas écouter ses belles paroles à danser avec lui la décadanse de
Gainsbourg, sous le regard fatigué des voyageurs qui restent passifs. Il faut croire que la pauvreté dans le
métro parisien donne du vocabulaire et un certain goût musical. La vraie pauvreté, elle, ne s’exhibe pas,
elle lutte. Il pourrait être plaisant qu’un jour, pour noyer ses discours, tout un chacun se lance à dévoiler
au grand public sous terrain ses tracas, ses questions existentielles qui lui grignotent son bonheur. En ce
qui concernait Plank, tout le monde était rapide à remarquer qu’il avait quelque chose en plus que ces
clichés et surtout leurs défauts en moins. Ce personnage était souvent l’objet d’une fascination, une sorte
de génie présent chez un simple homme ou qui en jouait tout du moins le rôle. Cette ambiguïté fut la
raison d’un bon nombre de retours tardifs chez soi et de beaucoup de bus manqués car, justement, il
manquait la fin de l’histoire.
Plank réussit ainsi, au fil des jours, à ameuter un grand nombre de badauds autour de lui, sous
l’abri bus. Cela lui donna toujours plus de courage pour continuer son discours. Certains lui demandèrent
même de se placer dorénavant sous l’abri bus briB’80 prototype car il pouvait contenir bien plus de
monde. C’était le tout nouvel abri bus de la société Abribus qui avait servi à effectuer tous les essais sur la
structure. C’était d'ailleurs pendant ces essais qu’un problème de coopération entre les filiales française et
allemandes du groupe était apparu. Les responsables du projet de part et d’autre du Rhin n’avaient pas su
se mettre d’accord sur les conventions et les poteaux destinés à soutenir l’abri bus et notamment les vitres
conçues en France n’étaient pas compatibles. Ce problème avait engendré des délais dans les livraisons
aux clients ce qui avait permis au concurrent américain de prendre quelques parts de marché et par effet
boule de neige de rendre nécessaire l’intervention de Boui Galeu pour mettre l’entrepris à l’abri d’une
crise plus grave. La foule qui écoutait Plank devint énorme, Plank était réellement intriguant, qui était-il
pour parler ainsi ? quel était son but ? Ce phénomène prenait une ampleur dont certaines conséquences
furent cocasses. Si par malheur quelqu’un venait s'asseoir aux côtés de Plank, les gens alors affluaient et
bientôt il n’avait plus la possibilité de voir son bus arriver et assez de temps pour écarter tout le monde
pour prendre son bus. Certains effectuaient même un crochet dans leur trajet pour passer au Benkies
Milles, lieu pourtant d’habitude peu fréquenté, et écouter un peu « eul blindé » comme on l’appelait
maintenant affectueusement. C’était pourtant à cause de sa faible fréquentation que l’endroit avait été
choisi, en concertation avec la mairie de Warhem, pour le prototype du briB’80. En cas d’incidents non
prévus en bureau d’étude, les conséquences seraient alors moins lourdes et surtout plus faciles à
camoufler aux autorités en soudoyant les familles des victimes qui n’iraient pas, en bon pauvre de la
campagne sans les mauvais penchant de ceux de la capitale, exposer leurs malheurs aux média. Sous la
demande, la communauté urbaine de Dunkerque eut à étoffer rapidement son réseau de transport en
commun vers cette destination. Les élus avaient pensé que la ferme qui venait de proposer nouvellement à
chacun de venir cueillir soi-même les légumes qu’il voulait acheter était à l’origine de cet afflux. Dans
certaines histoires du coin, on raconte même encore que cet épisode a amené certains à ne plus rentrer
chez eux le soir et aurait provoqué des demandes de divorce. En tout cas, la ferme profitait de cet
attroupement et choya Plank qui pu ainsi passer beaucoup de temps dans sa nouvelle activité. Les portes
de la ferme étaient toujours ouvertes pour Plank, il y mangeait à l'oeil, y dormait et pouvait amener avec
lui n'importe quelle admiratrice.
Au bout d’un moment, un responsable de télévision locale se présenta à lui. Il lui proposa de faire
un essai, une heure d’antenne afin de tester un peu le public et de permettre à tout le monde de rentrer
chez eux. Plank refusa, il aimait bien plus passer du bon temps à la ferme et se faire plaisir avec des
choses simples, enfin. Ce responsable peu télégénique revint plusieurs fois à la charge, en faisant à Plank
des propositions de plus en plus indécentes. Il finit par venir le voir en lui promettant une heure d’antenne
où il serait libre de dire ce qu’il voulait, chaque jour. Il pourrait inviter à sa guise, il n’y aurait pas de
censure, il était prêt à prendre ce risque pour ne passer laisser couler sa chaîne, cette chaîne qui le ligotait
et lui donnait cet air triste et engoncé, cette chaîne au bout de laquelle devait se trouver un boulet qui
l’entraînait toujours un peu plus au fond et le noyait.
« Je me présente, Monsieur Von Driem, responsable Télé Dk, pour faire honneur à mon nom, je vends du
rêve sur la région. »
Il faisait hélas partir de la masse de gens noyés sous le flot continu d’information, sauf que pour
combler son désastre, il était le responsable de ce flot. Plank ne céda pas à ses propositions.
Chacun avait pris ses petites habitudes. Certains venaient tous les jours, d’autres seulement avant
le week-end, d’autres encore pour se changer les idées, certains curieux venaient à l’occasion parce qu’un
de leur collègue de bureau leur en avait parlé. L’hiver vint et contre tout attente, l’abri bus ne
désemplissait pas. Les gens prenaient plus de place avec leurs gros manteaux, il en résultait que certains
avaient à attendre parfois sous la neige pour entendre leur part de bonheur. Tout ce raffut devait
forcément tomber à l’oreille d’un des membres du compartiment 404 d’Abribus. Ce fut Hal Ezerzouze
qui entendit parler de ce phénomène autour de son ancien collègue qui avait été licencié, Plank Kims !
Hal il n’avait pas trop su ce qui était arrivé à son ami et il aurait aimé aussi venir lui raconter les
évènements qui avaient eu lieu depuis son départ, s’il n’en avait pas déjà entendu parler et comprendre
pourquoi Plank avait décidé de ne plus venir au bureau, ce bon vieux bureau 404. Hal Ezerzouze, aussitôt
qu’il eut appris la nouvelle, ne prit pas le temps de passer au bureau et pris le premier bus pour rejoindre
la ligne qui menait au Benkies Milles. Il neigeait ce jour là et Hal Ezerzouze espérait qu’il n’y aurait pas
trop de monde, qu’il pourrait parler tranquillement à son ancien collègue. Ils avaient beaucoup de choses
à se dire, pensait-il. Il sorti du bus et fut pincé par le froid. Il eut aussi un pincement au cœur en voyant
toute cette foule mais ne se démonta pas, il était décidé à se frayer un chemin jusqu’à Plank.
« Bonjour, excusez moi.
- Eh oh, faites la queue, je sais qu’on n’entend pas bien d’ici mais bon.
- Je connais monsieur Kims !
- Bein oui, ici tout le monde le connaît le phénomène, bien sûr.
- Non, vous ne me comprenez pas, je suis un collègue de boulot.
- Bon ça va avec vos raisons à la mord moi l’nœud pour passer d’vant, j’écoute moi. »
Hal fut pris d’un moment de folie et poussa son interlocuteur pour accéder à son collègue.
« Eh ! Oh ! T’as cru que c’était chahut ou quoi toi ? »
Hal n’entendait plus rien, il suivait son chemin pour rejoindre Plank, seul son but importait
maintenant. Il fut à l’origine d’une grande cohue mais il continuait. Il poussait tout, des cris, son voisin,
les enfants qui lui barraient le chemin. Il ne comprenait pas comment un abri bus briB’80 pouvait être
plein à craquer. C’est alors que justement, tout le monde poussant tout le monde, même les parois de
l’abribus furent chahutées. Hal fut pris en sandwich, ou plutôt en kebab, pensa-t-il amèrement. Il parvint à
s’extirper et poussa devant lui de plus bel. C’est alors qu’il entendit un bruit. Ce bruit lui rappelait un
instant, un jour. Il ne se souvenait plus bien. Ses souvenirs se mirent rapidement en ordre, ce souvenir
auditif lui venait d’un jour où il avait visité le laboratoire de structure. Ce jour-là des tests de résistance
des matériaux étaient effectués. Son souvenir devint plus précis, c’était le jour d’un tour de visite de tous
les postes du bureau d’étude qui jouaient un rôle pour la réalisation du briB’80 et les visiteurs avaient eu
de la chance ce jour là car l’essai avait été jusqu’à la rupture. La suite se devine facilement, Hal hurle en
priant tout le monde de ne plus bouger. Un bref silence s’installe, Hal regard en l’air comme beaucoup
d’autres, c’est ce geste qui les a perdu. Plank qui était resté assis, passif, fut un des rares survivants. Les
ambulances ne purent sauver que quelques vies. Près de quatre-vingt corps gisaient sous les décombres.
Un responsable incident briB’80 fut dépêché sur les lieux et était en contact permanent avec Boui Galeu.
Au bout d’une heure le constat était consternant, il était impossible de camoufler un tel évènement,
Abribus allait connaître une nouvelle période difficile.
Dans ce tragique accident était mort l’agriculteur qui chérissait tant Plank. Ce dernier se retrouva
soudain comme sans abri, il retourna chez lui et s’y mura. Seul monsieur Von Driem vint le déranger.
« Monsieur Kims, quel plaisir de vous voir, j’espère qu’il est partagé. J’ai entendu que vous aviez de
nouvelles disponibilités. »
Le plus triste dans cette affaire fut peut-être que Plank n’eut pas la force de refuser. Il était encore
en état de choc.
Lors de l’enregistrement de ses discours en studio, le jour même, seule une espèce de boîte noire
avec une personne derrière le regardait, son enthousiasme s’estompa. Von Driem le congédia pour la
semaine avec le sourire :
« Reposez-vous, ne pensez plus aux horreurs que vous avez pu voir ça et là il y a quelques jours. Dites
vous que ceux n’étaient que des blessures, vous verrez, ça calme. Vous êtes encore sous le choc.
Contactez-moi quand vous serez remis de vos émotions, il ne faut pas se laisser aller comme ça, vous
voulez un gin-tonic ? »
Plank décida alors de supprimer toutes les « boîtes mortes qui parlent toutes seules » de sa vie, il
n’en serait que plus heureux. Il balbutia quelques timides mots pour prendre congé de ce personnage qui
commençait sérieusement à l’importuner. Il dévala les rues jonchées de névés. Il croisa une personne âgée
qui glissa sur une plaque de glace et manqua d’y laisser son coccyx. Plank s’empressa de relever cette
personne :
« Tout va bien ? Rien de cassé ?
- Oh oui, merci, vous savez, j’ai encore les os durs. Bonne journée. »
Il regarda ensuite ce vieux monsieur partir avec empressement, presque honteux qu’on ait eu à
s’occuper de lui. Il disparut à une bifurcation. Plank ne savait plus trop que penser, il rentra chez lui.
Abribus pourrait partir en fumé
Hal Jacobs vint rejoindre son supérieur hiérarchique, Boui Galeu. Hal Jacobs s'était rendu sur le lieu du
drame dès qu'il avait appris que son collègue et ami Hal Ezerzouz avait péri. Il avait traversé les champs,
les ruisseaux, les rivières, sauté n'importe quel mur, haie, n'importe comment. Ses habits était souillés, sa
figue était lacérée, ses mains attiraient les chiens, Hal avait l'air catastrophé :
« Chef, on a tué Hal Ezerzouze, je pense qu’on aura tout les gens, les journalistes et le civiles et les
autres de son type sur le dos, sa famille. Notre expert envoyé sur le terrain pense à un attentat mais rien
n'est sûr et ça sent la controverse de présenter l'accident comme un attentat.
- Sa race ! Qui est-ce qui l'a tué ? C'était un juif ou un reubeu ? C'est toi ? Je vois tout ça d'ici à
Bergues. On va avoir tous les prêcheries des radins sur le dos.
- Des radins vous voulez dire des rabbins ?
- Bah, ils sont juifs non ? »
Et il ri d’un rire un peu gauche, chose étonnante pour des propos de l’autre extrême.
« En fait non chef, il était plutôt dans le genre musulman lui. Il ne venait jamais à la synagogue.
- A la synagogue… »
Boui Galeu comprit enfin pourquoi sont collègue avait toujours refusé d’assister aux sauteries à deux
mâles que sa femme lui réclamait, ce n’était pas par timidité, mais par circoncision interposée. Sa femme
était ensuite entrée dans une phase de dépression suite à ce refus catégorique, ne se sentant plus attiré par
les hommes. Même le collègue, sous les ordres de son mari, collègue pourtant laid comme un poux,
n'avait pas voulu d'elle, elle s'était imaginé être repoussante.
« Ah, c’est pour ça, toutes ces manières. Je n’ai peut-être pas assez bien suivit les cours d’Allemand au
lycée pour lire du boche, mais je vais te fumer ! Toi et ta famille je vous épandrai dans mon petit jardin,
une sorte de compost posthume… »
Mais déjà une odeur d’essence lui parvenez aux narines, son collègue avait sorti un bidon totalement plein
de son bureau et commençait déjà à l’asperger.
« Ca me fait rire chef ce qui vous arrive, avec votre surnom d’asperge, vous savez, j’ai toujours aimé les
jeux de mots un peu nul dans ce style. Ca sera en tout cas le dernier que vous entendrez alors profitez de
ce trait d’esprit envoyé à brûle-pourpoint. Et sachez que contrairement à ce que vous pouvez penser de
mon nez, vous et moi n’avons plus d’atomes crochus. »
A ces mots il lui lança un mouchoir en papier enflammé. Et tandis que sa victime se ruait vers la sortie, se
cognait et perdait vie, Hal Jacobs lui lança :
« Alors, ça gaze ? »
Toujours plus à l’Est
Le lendemain matin, El Bochote su que son avenir n’était plus garanti comme avant, il voulu
partir. Il décida de tout laisser en plan. Il lui fallait une idée simple qui ne tiendrait que sur un petit bout
de papier, un plan. Son objectif était simple : aller vers l’Est, toujours plus à l’Est. De cette manière, en
quittant Dunkerque, il visiterai la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Pologne et peut-être même plus
si on ne l’arrêtait pas en chemin. El Bochote fini de compléter son sac, un point très important pour le bon
déroulement de son voyage : une polaire, un tee-shirt, une chemise beige, deux paires de chaussettes de
marche, deux slips, un pantalon blanc et un short beige, un chapeau anti-UV (l’un des accessoires les
plus utiles étant donné qu’à certains moments les températures pouvaient grimper et qu'il serait souvent
en plein soleil et parfois en difficulté pour trouver de l’eau potable pensa-t-il en ce début d'été), une paire
de lacet de rechange, une tente qui avait déjà vécu les féria du Sud-ouest (c’est très important d’emmener
une tente que l’on maîtrise bien car pour le camping sauvage il faut souvent attendre la nuit noire pour la
monter, pour sa part, il l’avait déjà montée de nuit après une féria bien arrosée donc il se sentait prêt), un
duvet d’été, une montre, un traducteur électronique, une boussole qu'il garderait tout le temps autour du
coup, un crayon et cinq feuilles blanches A4, un plan de l’Europe de l’ouest (de la France jusqu’à
l’Autriche et la partie ouest de la Pologne), un plan du sud des Pays-bas acheté ce jour là, des bouchons
auditifs (primordial pour s’empêcher de s’imaginer trop de choses avec les bruits que l’on entend la nuit
lorsque l’on fait du camping sauvage), des lunettes de soleil, un rasoir jetable pour avoir une allure
correcte, de quoi se laver les dents, trois petits savons, un tube de gel de lessive manuelle, une couverture
de survie qui réfléchit quatre-vingt dix pour cent du rayonnement thermique en cas de coup dur (c’est
stratégique pour le moral dans certaines situations ou un logis se fait difficile à trouver), une gourde, une
paire de tongues légères pour s’aérer les pieds, un coupe ongle, sa carte d’identité. Pour ce voyage il ne
prit que cent euros avec lui. Il improviserait sur place, se trouverait peut-être du travail. Il ne voulait pas
utiliser sa carte bleue afin d'éviter à tout prix d'être pistable par la police.
El Bochote avait aussi choisi le chiffre cent pour sa connotation d’implication, d’engagement et de
victoire, Ségolène Royale, pour la campagne présidentielle 2007 n’avait-t-elle pas choisi comme slogan :
100 propositions… Dans ce tournant de sa vie, ce tourment, ce moment de crise, il lui fallait encore rire
pour aller de l'avant. Il lui semblait ensuite que derrière le chiffre cent se cachait une notion de voyage,
d’accueil et de bras tendu vers l’inconnu, ne parlait-t-on pas des cent papiers ? Il y avait peut être aussi
une certaine notion d’extravagance dans ce chiffre car chaque euro qu’il dépenserait serait un des cent.
C’était aussi pour lui un appel à la chance, au talent, il recherchait là le don du cent. Sur ces pensées il se
mit en route. Le sourire, les yeux et la boussole pointés vers les promesses de l'Est.
Le drame d'un ingénieur sur le marché de l'amour
Comme chaque matin, Ylkur prenait la ligne 18 du réseau DkBus pour se rendre à son travail. Il
avait alors devant lui une demi-heure de lecture. Cette fois, il avait troqué ses guides du programmeur
pour un livre commandé directement sur internet. Il s'agissait d'une méthode mystérieuse, un guide pas à
pas pour amener dans son lit n'importe quelle femme que le lecteur pouvait convoiter. Ylkur lisait ce livre
avec une attention soutenue. Le schéma présenté était clair et simple. L'auteur assurait un succès au
lecteur qui appliquerait à la lettre les indications. Arrivé dans son bureau, Ylkur dissimula son livre mais
avait pris une décision et aller laisser parler ses ambitions masculines. Sophie du Belly, malgré ses airs de
femme bien rangée finirait dans son lit telle une rombière, son lit à lui, un lit qu'aucune femme n'avait
encore visité. Tout devait changer pour Ylkur. Sa main se glissait déjà sous son pull et ses yeux se
baladaient le long des rondeurs féminines.
Ylkur avait bien sûr eu quelques aventures sur le net, sur des sites de chat. Sur un site payant il
avait passé plusieurs mois à discuter avec une américaine, il y avait vu une double porte d'entrée, la
deuxième porte étant la nationalité américaine pour s'en aller vivre là-bas. Après un coûteux vol, il s'était
aperçut dans la chambre d'hôtel que l'élue de ses rêves n'était pas une femme mais plus tout à fait un
homme. Il s'était senti contraint de rentabiliser son voyage mais était resté honteux et mal à l'aise avec
cette personne. Sa souffrance physique et morale lui imposèrent de ne pas continuer dans cette voie et il
mis rapidement fin à la relation. Il avait donc pris la décision de prendre un vol de retour plus tôt et avait
du dépenser toujours plus d'argent pour cette histoire idiote. Il avait perdu en quelque sorte une certaine
partie de sa virginité ainsi qu'une opportunité d'obtenir la nationalité américaine. A chaque fois qu'il
pensait à cette histoire, notamment lorsqu'une femme lui posait la question des « ex's », il replaçait
nerveusement ses lunettes au plus haut de son nez et changeait la conversation sur le besoin imminent
qu'il avait à changer ses lunettes. A ne rien dire, chacun s'imaginait toujours le pire. Il avait toujours le
même problème de ces hommes esseulés dont les profils pourrissent sur des sites de rencontre, contenant
des descriptions bien trop imprécises et laissant trop à lire entre les lignes pour que quiconque ne veuillent
se risquer à un premier rendez-vous de peur d'avoir à jouer les assistante sociale.
Ylkur avait bien compris la nouvelle méthode, il en était à la première étape : faire rire la
personne. Il s'attela à sa tâche jour et nuit et appris un nombre incalculable d'histoires drôles. Il comprit au
fur et à mesure les goût de Sophie et pouvait alors orienter ses interventions pour la faire rire. Au bout
d'un bon mois d'efforts Ylkur avait atteint son but, chacune de ses interventions pouvaient faire rire
Sophie s'il le désirait, il pouvait passer à la deuxième étape du livre. Il lui fallait montrer qu'il avait plus
de valeur qu'elle, qu'il serait la valeur ajoutée du couple. Cela ne faisait pas l'ombre d'un doute à ses yeux
et il passa donc à l'étape suivante, la troisième étape. Il s'agissait de franchir les obstacles, de supprimer
les obstacles au couple. Ylkur y avait travaillé jours et nuits pendant une longue période, il avait la tête
dans le guidon et bientôt le vélo dans le mur.
Ylkur avait déjà visité la maison de Sophie du Belly, une maison bien rangée, bien propre avec des
photos de famille à tous les coins de chaque pièce où tout le monde souriait. Une sorte de clinique de
chirurgie esthétique familiale. Ce jour là, il savait pertinemment que Sophie allait donner un cours de
catéchèse biblique symbolique à l'école de ses enfants. Il choisi ce moment pour sonner à la porte et le
mari de Sophie vint lui ouvrit.
« Tiens bonjour Ylkur, si vous cherchez Sophie sachez qu'elle n'est pas là, elle reviendra sur les coups de
vingt heure.

En fait c'est vous que je voulais voir. Puis-je entrer ?

Bien sûr, faites donc ! Alors dites moi mon ami, quel bon vent vous amène ?Comme on dit là bas
au Proche Orient, evenou shalom alerhem ! C'est vrai que je m'en sens proche, de cet Orient vous
savez. Bref, suivez-moi.»
Ylkur fut invité par son obstacle à s'asseoir à ses côté sur le canapé.
« Vous prendrez du café, du thé ? J'ai du thé sahraoui, je n'en connais pas bien tout le cérémonial, mais il
goûte tout aussi bon vous savez !
 Merci.
Je voulais simplement que vous me montriez comment vous cuisinez votre potchevleesch,
Sophie m'a dit que vous étiez une vrai ceinture noire.
 Un cordon bleu. Bien sûr, peut-être vous me montrerez un jour comment faire des Loukoum !
 Peut-être. »
Ylkur suivit son obstacle dans la cuisine, il sorti divers légumes et de la viande, sa planche en bois
et son gros couteau de cuisine. Ylkur s'illuminait à mesure que le mari de Sophie du Belly sortait ses
instruments.
« Bon alors d'abord je coupe les légumes.
 Je peux prendre les légumes en charge et les couper, donnez-moi donc le couteau et occuper vous à
laver la vaisselle dans l'évier.
 Nous avons un lave vaisselle, et sinon Sophie s'en charge très bien, ah ah.
 Très bien, vous pouvez mettre tout ça dans le lave vaisselle pendant que je coupe les légumes. Faites
couler un peu d'eau que je lave les légumes.
 Entendu. »
Ylkur commença à découper une carotte en fines lamelles, lorsqu'il entendit l'eau du robinet
couler, qu'il vit l'obstacle penché sur l'évier, il se retourna et lui planta à plusieurs reprise le couteau dans
le bas du dos. L'obstacle hurlait, il se retourna et reçu un coup de couteau fatal, certainement en plein
coeur. A ce moment précis Ylkur jugea qu'il avait franchi la troisième étape du livre. La drague était pour
lui finalement aussi simple que la programmation informatique. Il quitta rapidement le domicile de
Sophie du Belly.
L'est, n'y est pas qui veut
El Bochot décida de marcher, tout simplement, de mettre un pied devant l'autre avant de
recommencer, la tente au fond du sac. Il ne pris ni le train ni l’avion. Il se souvenait d’une pub pour une
compagnie aérienne bon marché qui avait pour slogan : « L’argent, gardez-le pour là-bas », il suivait leur
conseil et ne prenait pas l'avion pour économiser. Comme quoi, la publicité, ça marchait ! Au train où
allaient les choses, si longtemps après le peak oil, El Bochot s'imaginait que beaucoup le rejoindraient sur
la route. Il se sentait visionnaire, il serait l'empereur qui ouvrirait la marche à de futures disciples
endimanchés sur la route, choisissant n'importe quel embranchement ! L'équipée était mal emmanchée.
Alors El Bochot s'en irait seul, le vent en croupe, levant des lièvres en chemin, revendant des bouchons de
lièges de seconde main pour aller au bout du chemin. Il laissa derrière lui Dunkerque comme un SaintJacques de Compostelle s'en allant vers le pays des fumeurs de Jean-Jacques et des fréquenteurs de
bordels.
« Hebt u water, alstublift ? » fut la phrase bricolé avec son dictionnaire électronique dont El
Bochot se servi lors de ce périlleux pélerinage, lorsqu'il demandait de l’eau aux habitations sur son
chemin. Chaque fois, les Hollandais le dévisageaient et il s'imaginait reconnu, repéré et pensait qu'on
allait l'empoisonner. La soif était toujours la plus forte et il bu tout ce qu'on pu lui donner. Les Pays-Bas
du sud furent très agréables, la région était pleine de verdure avec beaucoup de pistes cyclables. La vie
des cyclistes y était préservée avec une bande de terre intelligemment laissée entre la route et la piste
cyclable ce qui rendait de surcroît toute balade à vélo très agréable. Il trouva beaucoup de charme au vélo
typique hollandais. C’était très amusant de voir tout le monde se déplacer à vélo, du père de famille, de la
jeune demoiselle au reggae man et même au groupe de jeunes rebelles. Tous se déplaçaient avec leurs
vélos hollandais. Il regrettait de ne pouvoir s’organiser un petit séjour à vélo et de flâner en roue libre. Au
détour d'un sentier El Bochot fut arraché à ses rêveries par un groupe de jeunes Anglais tatoués sur leurs
fixy bikes se rendant à un concert de reggae, le joint en bouche et laissant derrière eux un arrière goût de
skunk. Il se demandait encore comment ce peuple avait pu dominer le monde et imposer sa langue.
Imposer sa langue ? Il lui vint une métaphore sexuelle, ils avaient dû trouver le point G de la civilisation,
peut être à travers une société divisée en classes. L'Angleterre avait su imposer ce modèle de société : en
couches superposées où la pression pour le reste du monde était presque intolérable avec tant de
profondeur entre la bonne société londonienne qui flottait en surface et eux.
Le quatrième jour depuis son arrivée en auto-stop aux Pays-Bas, El Bochote passait la frontière
Allemande pour se retrouver à Goch. Aux Pays-Bas, il n'avait fait que marcher et camper sous tente à
l'improviste, n'ayant jamais été inquiété, il s'imaginait que la police Française n'avait peut-être pas encore
envoyé son signalement en Allemagne et que peut-être les Allemands n'y auraient pas fait attention. Il
choisit de continuer son voyage en auto-stop. Il leva le pouce vers le ciel, en signe d'appel et en signe
positif pour le présent et l'avenir, pouce vers le haut !
El Bochote avait déjà été prévenu et cela se confirmait, les Allemands étaient réticents à prendre les autostoppeurs. Il fini en persévérant à trouver un Anglais qui le déposa à Xanter, ensuite un Sri-Lankais le
déposa à Essen. A Essen il fit une halte et trouva quelques Français et pu enfin parler un peu. Il s'emporta
lors de la discussion, presque sorti de nulle part il s'engagea :
« J'ai bien compris l'idée, vous avez un grand coeur, mais écoutez un peu ça. On dit qu’il est éthique de
soigner le malade du Sida en Afrique même s’ils n’en ont pas les moyens… Vous me dites qu'il faut
envoyer de l'aide. Mais bon, est-ce vraiment leur rendre service, parce qu’on ne guérit pas du Sida, on vit
juste plus longtemps… Plus longtemps pour violer les femmes Huttues, plus longtemps pour contaminer
les demoiselles qu’on courtise. C'est l'essence de ma philosophie, il faut penser en dehors de la boîte
comme disent les Américains, pensons en dehors de la boîte de préservatif et pensons plus à la boîte en
bois, le cercueil ! Il faut explorer des façons de penser que personne n'ose cautionner. Ah mais je vois, tu
penses que coûte que coûte il faut aider à lutter contre la souffrance, que ça pourrait être nous... Mais bon,
imagine tu as le Sida, tu te fais soigner, une jolie fille te plaît, tu lui plaît, elle t’invite a monter dans sa
chambre un soir, tu n’as pas de préservatif sur toi, que fais-tu… sincèrement, et même si tu as un
préservatif, que fais tu… tu vois, moi je suis anxieux et quand je suis stressé je me ronge la peau des
doigts, c’est con mais c’est comme ça, et donc je saigne un peu parfois des doigts… or qu’est-ce qu’on
fait de ses doigts pendant les préliminaires, on les garde en poche ? Pour traduire en africain, si je
massacre de la tribu voisine le jour, mais mains seront un peu écorchées… Mais là je mélange tout. »
El Bochote compris qu'il ne se contrôlait plus, il attirait l'attention. Il coupait les conversation à la
machette chinoise vendue sur les marchés en Afrique. Se faire remarquer était pourtant aux antipodes de
la stratégie la plus logique à adopter dans son cas. Il se calma et mit fin rapidement à la conversation. Il
sillonna Essen à la recherche d'un endroit propice pour l'auto-stop.
Après un moment d'attente, un Allemand de l’ancienne Allemagne de l’Est le conduisit jusqu’à
Eisenach. Ce chauffer dû y faire une pose au regard de la loi et le laissa là, en plan, sur une aire de repos.
Pour la petite histoire, le conducteur était un ancien footballeur de l’Allemagne de l’Est, assez connu
paraît-il. Il lui raconta un peu son parcours. S’il travaillait aujourd’hui c’est parce que sous le régime
communiste, même un très bon joueur de football ne gagnait pas tant que ça. Bon, ça permettait à
l'époque d'être célèbre, d'être aduler et d'avoir l'embarras du choix pour les femmes, mais ça ne payait pas.
Sur l'aire de repos El Bochote en profita pour se nourrir de son dernier fruit, une banane. A côté de lui
mangeaient aussi deux Polonais. A peine eut-il le temps de finir de manger qu'il leur lança trois mots
d'Allemand et ils étaient parti en direction de la Pologne, pour une destination au-delà de la carte de
l'Europe de l'ouest qu'il avait… Il allait enfin quitter le terrain où peut-être la police française le chassait
déjà.
Un semblant de consécration
Plank ne su laisser passer que quelques jours avant de sentir de nouveau le besoin de parler. Il
devait ressentir cette sorte de nécessité à parler comme certains poètes ou certains romanciers sont pour
ainsi dire parfois mues par un sentiment d’urgence d’écriture. A l’instar de ces écrivains, s’exprimer lui
permettait de s’exorciser, de faire parler ses démons pour mieux les réduire au silence. S'il tirait le diable
par la queue, il la lui tirait jusqu'à l'arracher, il en faisait ensuite une corde pour étrangler Belzébuth et le
traînait sur les chemins publiques. Ecrire était aussi pour lui sa psychothérapie personnelle, il laissait
s’exprimer son « ça » sans sourdine et attendait qu’il s’essouffle. Ce n’était qu’à l'épuisement de ce « ça »
qu’il se sentait hors de danger mental et pouvait reprendre pleinement les rênes de son quotidien. Parfois,
avant de se coucher, il se documentait sur un des sujets qu’avait pu traiter, voire maltraiter, son autre luimême afin d’essayer le lendemain de nuancer son propos, de revenir sur certaines idées qui lui
paraissaient plus qu’improbables. Telle Pénélope tissant sa tapisserie, il démontait la nuit ses idéologies
du jour. Il avait bien souvent l’impression que son discours n’était qu’une caricature folle de toutes les
expériences que pouvait vivre un homme, un humour constant et déjanté qui faisait voir les faits sous une
autre lumière, celle des projecteurs d’une odieuse comédie sans entracte. Un entrelacs de mauvaise fois et
de dédain dévastateur. Il avait cependant besoin de parler, encore et toujours. Plank ne savait plus
vraiment où se placer pour parler, partout où il allait les regards le suivaient, l'histoire de l'abri avait fait
grand' bruit. Il fut bien heureux de se voir proposer un local, une heure par jour, par la radio locale Radio
Rencontre. Une personne, bien avenante au demeurant, était venu le réveiller de sa sieste. Après un long
discours ayant atteint le point Godwin elle s'était décider à lui un poste stable, une vitrine ou plutôt une
tribune. Au premier temps de la valse, la rémunération proposée fut acceptée avec étonnement et
soulagement par Plank chez qui les réserves de nourriture avaient atteint un seuil critique. Plank du signer
le contrat, on lui demanda au deuxième temps de la valse une pièce d’identité. Il ne su trop où trouver une
telle chose et fut même embarrassé quand on lui demanda un nom. Un chroniqueur vint à son secours et
par la même occasion l’empêcha une certaine prise de conscience de son désarroi personnel.
« Mais enfin, c’est « eul blindé » quoi, bon, je suis certain qu’on va retrouver sa carte dans un de ses
tiroirs. Regardez, moi je pari sur celui-ci, je peux me permettre de fouillez ?
- Oui, oui. Vous savez, je n’y mets moi-même plus les mains depuis que je suis revenu ici.
- Revenu ? Ah oui, j’ai appris, on m’a dit que vous reveniez de loin.
- C’est à peu près ça l’idée, j’avais du aller loin avant, un petit peu fort loin. C’est assez fatiguant
pour moi de revenir. J’ai l’impression de courir dans un sentier que j’ai déjà parcouru pour tenter
de me rejoindre mais j’ai l’impression d’être déjà parti. »
Au troisième temps de la valse, tous les membres de Radio Rencontre se regardèrent dans les
yeux, ce genre de coup d’œil qui voulait dire : « Ouaw ! Là je pense qu’on en tient un bon, il rebondi sur
le moindre petit trait d’esprit. »
« Bon, les voilà vos papiers. Bon, je prépare le contrat, je vous laisse le lire et vous me l’amener demain
signé et on pourra commencer.
- Très bien, si je comprends bien, pour être certain qu’il n’y est pas de mal entendu, vous me
demandez de continuer de parler.
- Exact.
- Soyons clair monsieur, je parlerai avec la même verve que je le faisais au Benkies Milles ?
- Entendu monsieur Kims.
- Pardon ?
- Non, rien, je veux dire oui, vous avez juste à parler. Soit dit en passant, certains auditeurs ont déjà
réservé leur place pour venir écouter l’émission en directe.
- C’est une bonne chose, la présence de curieux à tendance à me motiver.
- Eh oui, c'est l'interactivité, on vient à peine d'annoncer ça à l'antenne que le téléphone vibre déjà.
Si tous les téléphones qu'on a étaient des derrières de danseuses brésilienne, ça serait une bonne
samba carnavalesque !
- Oh, vous savez je suis vieille France, du genre Claude François moderne 'ça samba et ça revient,
c'est fait de tous petits chiens qui se mangent dans les resto de la Chine populaire.'»
Toute l’équipe, sourire aux lèvres, conclu l’affaire et invita Plank sans succès à boire un pot de départ,
d’ouverture d’émission. Les membres de l'équipe de radiophonie se félicitaient sur la route, un des
membres objecta :
« Tiens, on n’a même pas pensé à un nom pour l’émission, je la lance comment moi demain ?
-
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Eh, oh ! Tu ne vas pas nous faire le coup du « je suis perdu » encore une fois alors que tu seras en
plein direct non ? Je ne sais pas, profite, tu aurais pu être celui qui, demain en pleine fureur du
moment, serait l’auteur du nom de l’émission de monsieur. Monsieur comment déjà ?
Kims, et son prénom c’est Plank. T'en pense quoi de l'idée « Des bons plan kim vont » ?
…
Bon, d’accord, je trouverai un truc, j’y réfléchirai peut-être cette nuit.
Ca ne vaut peut-être pas le coup non plus d’y passer une nuit blanche, la meilleure idée est bien
souvent la plus simple, il faut que les gens puissent se rendre compte rapidement que c’est lui, si
on veut conserver ses auditeurs rescapés. On peut appeler ça tout simplement « eul blindé ».
Je pourrais aussi, en cette période de renouveau gaulliste en France, lancé l’émission par un : « Et
maintenant, voici l’émission des chars Leclerc, présenté par Eul Blindé ».
Euh oui, mais en fait où as-tu entendu qu’il y avait un quelconque renouveau gaulliste en France ?
Et puis ça fait trop pub supermarché, sinon pour s'assurer un bon départ, on pourrait faire une
minute de silence pour les morts du Binche Meulen ? Ça nous garantirait au moins l'audience des
familles des victimes. Parce que je ne vois pas trop l'espoir du côté gaulliste.
Bein non, il n’y en a pas, mais on est les media, on a le pouvoir de créer l’évènement, de la même
manière qu’un journaliste en quatre-vingt neuf avait monté de toutes pièces un génocide en
Roumanie, à Timisoara je crois. Tu vois, on ne se souvient peut-être plus du nom du journal ni du
nom du journaliste, mais l’idée, elle, reste. Je me bas pour les idées moi. Genre moi je me bas
pour l'idée d'une majorité sexuelle inversée. L'idée c'est qu'après quarante ans, tu n'aurai plus le
droit légalement de baiser. Du coup on niquerait tous beaucoup plus avant pour compenser. Bien
sûr, quand je m'approcherai de la quarantaine, je changerai la loi en bon Cavaliere del Lavoro à la
française. Tu vois, c'est ça le monde des idées, j'arrange la théorie pour bien vivre libre avec mes
pratiques !
C’est tout un monde…
Et il y a d’autres exemples plus récents encore. Tiens, prenons une des campagnes présidentielles
françaises. Un journal est de mèche avec un parti, il fallait lui assurer le pouvoir. Ce journal a eu
l’idée du siècle, monter de toute pièce un engouement dans le parti adverse pour un candidat sans
talent, pour qui aucun Français, même s’il penchait avant pour ce parti, ne pourrait se résoudre à
voter pour ce candidat sans avoir le sentiment de trahir la grandeur de son pays.
Comment, c’est quoi ce délire encore ?
Alors ce journal prend une personne un peu au hasard, enfin non, pas au hasard, elle tient le bon
créneau, elle est proche d’un éléphant et elle est aussi peu intéressante à écouter qu’une vache à
regarder. Et c’est là que c’est génial, alors que ce journal est contre ce parti, il titre : « Et si c’était
elle ? » en mettant sa photo en gros sur sa première de couverture. Ce qui est triste, c’est que la
supercherie prend, en cette période un peu creuse, ça devait être à peu près un an et demi avant les
élections, les journaux n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent. Un premier journal tombe
dans le panneau et publie un article sur ce prétendu phénomène. Il s’ensuit une réaction en chaîne
et le phénomène se crée de toute pièce. Pour entériner la supercherie, le magasine initial consacre
à ce candidat monté de toute pièce, cette bulle qui explosera peu avant les élections pour laisser le
champ libre au candidat que le journal soutient réellement, un numéro spécial avec des entrevus,
des photos montrant cette personnes sous son meilleur jour, elle devient l’issue, la solution pour
échapper aux autres prétendants du parti, dangereux pour les élections, qui sont présentés comme
d’arrière garde et peu encourageants pour la jeunesse. La mayonnaise prend, la bulle éclate
comme prévu avant les élections et le journal a réussi son coup. C'est de la cuisine journaliste
journalistique avec une cuisson parfaite.
Houla ! Il y a des fois, tu me fais peur, je me demande si on ne devrait pas essayer de te mettre aux
côtés de Kims pour voir ce que ça donne ? Je te le dis pour toi, à la radio, c’est drôle ce genre de
réflexion, mais dans la vie courante…enfin bon, tu vis ta vie, hein !
Mouaich.
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Toujours est il quand même que ce mec des fois m’inquiète un peu, enfin pour lui je veux dire
bien sûr. Je me fait presque du soucis pour lui quand il explique que ce n’est pas vraiment lui qui
parle, on le croit presque possédé. Tu vois, un peu comme quelqu'un qui se bat contre lui-même,
et rien à voir avec le vieux Kramer contre Kramer, rien à voir.
Mais non, tu n’y es pas, c’est là que son idée est géniale, il joue ce jeux là pour se permettre de
tout dire. J’étais allé l’écouter ce mec là, et c’était de la folie ! En prétendant que c’est cet autre
qui parle, il peut se permettre de tout dire. Et là où c’est très fin c’est qu’à regarder sa figure, on le
croit sincère, à entendre parfois ses excuses, on a envie de tout lui pardonner. Il pourrait se rire du
suicide de ta mère et je peux t’assurer qu’avec cette méthode tu lui pardonnerais, tu en rirais
presque.
Tu es sûr que ce n’est pas toi qui lui souffles tout à l’oreille.
Non, je l’apprécie trop pour lui refiler une otite… »
Ils se mirent tous à rire avant de se séparer, ils étaient tous bien détendus ce soir là, ils leur
semblait unanimement avoir trouvé un bon partenaire pour que leurs ondes rayonnent toujours un peu
plus. Comme des producteurs qui auraient découvert une jeune Madonna vierge prêt à se dévêtir ils
avaient trouvé le bon poulain.
El Bochote, un voyageur rôdé
El Bochote avait ainsi longement discuté avec Lucas et Thomas, deux Polonais bien sympathiques
qui avaient presque la trentaine et travaillaient à leur compte dans la réparation de voiture. Ils avaient fait
le déplacement en Allemagne pour acheter certaines pièces qui y étaient vendu moins cher. L’un parlait
uniquement Allemand tandis que l’autre parlait uniquement l’Anglais, chacun maîtrisant très bien la
langue. Il eut donc pendant tout le trajet à parler alternativement l’Allemand ou l’Anglais suivant qu'il
voulait s’adresser à l’un ou à l’autre. Ils se parlaient bien sûr en Polonais et El Bochote réfléchissait bien
évidemment en Français… Encore quelques autres langues de pays européens et ça sera comme au
parlement européen, on ne va plus savoir se mettre d'accord où aller. L’un des aspects excellents de
l’auto-stop s'avisa El Bochote c’est que l’on découvre le pays avant même d’y mettre les pieds, dans leur
camionnette, il se sentait déjà en Pologne lorsqu’ils lui en parlaient. Il avait ainsi pu apprendre quelques
mots et autres aspects de leur culture. Ainsi il apprit à dire salut, pardon, s’il vous plaît, bière et merci
avant même de passer la frontière. Autre point important pour la transmission du savoir et du patrimoine,
il avait aussi pu goûter à leurs bières avant d’être en Pologne. En fait, sa gourde était vide et avant de
monter dans leur camionnette il leur avait demandé si ça ne les dérangeait pas qu'il aille remplir sa
gourde. Ils lui avaient dis qu’ils avaient de la bonne bière polonaise pour se rafraîchir et la moindre des
choses quand on est auto-stoppeur s'était imposé El Bochote, c’était d’être poli, alors ils étaient tous
monté directement. Le petit Français se retrouva encadré par les deux hôtes de l'est tous deux en tenue
estivale les jambes et les bras à l'air, ses sens furent aux aguets tout au long du trajet. Le voyage avait été
très sympathique, ils avaient beaucoup discuté et il s'était assez rapidement senti en confiance avec ces
deux grands blonds aux yeux bleus. Tous trois avaient franchi la frontière à Jedrzychowice et s'étaient
arrêtés peu après pour manger un poulet rôti dans un endroit sur-réel, le genre d'endroit qui n'existait que
par le hasard des routes et des frontières, pour lequel les répercussions d'un pic pétrolier démontrerait
bientôt l'absurdité. Pris de court, sans aucun hôtel alentour, El Bochote n'avait pas eu d'autre choix que de
partager sa couche avec ces deux gaillards. Ils avaient donc tous dormi à l'arrière de la camionnette près
du restaurant après avoir déplacé des pneus et autres pièces automobile. Ils s'étaient ensuite dirigé
toujours plus à l'est, vers Jelenia Gora où vivaient les parents d’un des Polonais. Ce fut pour le petit
Français très intéressant car local, authentique, le genre de choses qui lui firent vraiment plaisir au cours
d'un tel voyage de fuite en avant, qui lui procurait un ersatz de chez soi. Cette fuite prenait des allures de
vacances bien plus exquises que toutes celles qu'il avait pu passer au club Ped, sous le soleil et les torses
bronzés. El Bochote, après avoir laissé les deux Polonais à leur travail n'eut aucun mal à tomber sur des
vacanciers en partance pour Cracovie. Il s'arrogea même le luxe de visiter la ville et en fin de journée, il
essaya de trouver des personnes se rendant à Oswiecim (Auschwitz). Il tomba sur quatre Français qui se
rendaient en Ukraine avec leur camionnette Peugeot aménagée. Ils lui proposèrent de l’emmener, El
Bochot n'hésita pas un seul instant. C’est un peu ça aussi, l’auto-stop, on ne va pas forcément où l’on veut
aller alors il faut prendre les opportunités quand elles passent : il prit la camionnette en marche.
La stratégie du vautour
Sophie du Belly était telle une proie morte étalée sur le sol, les membres comme également
répartis telle une étoile de mer. Ses pleurs ne semblaient cesser que lors de son sommeil. Pendant qu'elle
dormait pourtant portant l'important deuil, il lui semblait rêver qu'elle pleurait encore. Ylkur avait été là
dès les premiers jours pour la soutenir. Ylkur avait perdu un frère en Turquie et il avait beaucoup souffert,
il était l'un des rares qui arrivaient à trouver les mots pour réconforter Sophie. Un soir il invita Sophie à
dîner en tête à tête avec pour objectif de lui changer les idées. Sophie avait fini par accepter, poussée
notamment par son guide spirituel qui y voyait une opportunité pour elle de goûter à nouveau aux joies
simples de la vie. A l'un fin d'un repas bien arrosé concocté par Ylkur, il proposa à Sophie de venir
terminer la glace dans le canapé. D'une manière aussi rapide que délicate ils se retrouvèrent enlacés.
Hélas, et Ylkur le comprit seulement plus tard en lisant la suite de son livre, Sophie fut la première à le
repousser :
« Nous faisons n'importe quoi, j'ai des enfants, nous sommes collègues de bureau. Je suis juste un peu
déboussolée, j'espère que tu me pardonneras, je vais y aller. »
Ylkur n'avait pas insisté. Il lut plus tard dans son livre qu'il fallait toujours être le premier à arrêter
tout contact physique avant que la fille puisse réagir et d'être celui qui joue le choqué. Il congédia Sophie.
Ylkur comprit bien rapidement qu'il n'y avait que peu d'espoir pour lui d'amener Sophie dans son lit sans
la contraindre. Il appliqua donc les astuces suivantes de son livre. Il s'agissait de ne pas paraître
nécessiteux auprès de la fille, les filles préférant toujours les hommes en couple car ils ont déjà été
sélectionnés et doivent donc valoir le coup, une sorte d'effet Tupperware. Chaque femme à conquérir
n'était qu'une cible et pour atteindre sa cible, le paradoxe était qu'il fallait en avoir plusieurs. Ylkur se mit
donc à plein temps à flirter et bientôt la méthode porta ses fruits si bien qu'il en oublia Sophie son objectif
premier et même Psipsi qui avait été son deuxième objectif. Ylkur se retrouva bientôt croulant sous les
messages téléphoniques aux contenus promettant des nuits éreintantes. Il renversa l'effet Tupperware à
son avantage et en profiter pour conserver hermétiquement et mettre de côté l'amour des conquêtes pour
ouvrir le couvercle lors de certaines soirées trop solitaires.
Rencontres
« …Ce sera tout pour aujourd’hui avec moi chers auditeurs, je laisse maintenant l’antenne et le champ
libre à celui que vous nous aviez réclamé, celui que certains cherchaient partout dans les rues de
Dunkerque depuis ce que la presse locale a appelé l’épisode du tragiB’80. Radio Rencontre l’a presque
extirpé des décombres, le public ici en studio l’applaudit déjà avant même son entré et son entré en
matière, nous avons l'exclusivité du plat principal en tout cas. Je vous rappelle que si vous voulez
participer en directe à l’émission, vous pouvez appeler notre standard au 0…3 un euro trente la minute, je
vous rappelle que la place est gratuite mais que le nombre de places est limité, je vois déjà d’ici la
standardiste se laisser dépasser par les appels. Bon, je m’éclipse, voici pour sa première apparition à
Radio Rencontre : « Eul Blindé ». Et pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, ça n'est pas lui, mais
l'autre ! »
Le poste de radio de Gé la Gauvinette grésilla d’applaudissement pendant cinq bonnes minutes. Il
hésita à éteindre son poste mais il avait vraiment envie d’entendre celui que l’on appelait le nouveau
phénomène. La radio avait fait fort puisqu’elle avait diffusé des messages de promotion de cette émission
sur de nombreuses autres fréquences, une sorte d'opération coup de poing dans tes oreilles à t'en user les
tympans avant l'âge.
« Bonjour chères auditrices et bonjour chers auditeurs. Merci beaucoup pour votre accueil. Je me vois mal
être à la hauteur d’un tel enthousiasme alors j’ai déjà réfléchi à des choses hier. Enfin vous savez bien,
pour ceux qui me connaissent, que quand je dis : « j’ai réfléchi », c’est un peu l’autre qui l’a fait. Vous
écoutez ici ma première émission et l’idée, pour cette première, sera de remonter un peu aux origines,
j’ouvrirai d’abord mon propos sur un petit texte à mis chemin entre la poésie et la poubelle. La note que
j'ai amenée aujourd'hui, c'est comme un papier qu'on voulait lancer à la corbeille et qui se retrouva sur le
trottoir et fut l'oreiller de suppôts de Bacchus, des écolos plein de bonnes intentions l'eurent recyclé et
voilà encore un fois comment nos décharges se retrouvent dans nos média nationaux. Jadis les dictatures
brûlaient les livres, notre imbécillité collective nous garde loin des livres et nous gavent de pourriture,
alors en voici encore un peu plus :
Au début, il n’y avait rien,
Pas de bas ni de haut,
Pas de soif ni de faim,
Simplement le chaos.
Puis l’on parle d’une explosion
Mais les avis ne sont pas nets
Sur l’étrange apparition
De notre planète
Je me permets d'en rajouter et d'improviser sur l'instant:
Puis l’on parle d’une explosion
Mais les avis ne sont pas nets
Sur l’étrange apparition
De notre planète
Bien plus qu'une éjaculation
En surfant sur l'internet.
D’une sorte de transpiration vint l’atmosphère,
La flore et la faune prospérèrent,
Partout s’installa le vert
A vous d’y voir le paradis ou l’enfer.
Petit à petit le singe change
Tandis que la vie est paisible.
La vie rêvée des anges
Semble alors possible.
Ensuite, l’homme apprivoise l’animal
Sans même songer lui faire le moindre mal
Ils s’affirment bientôt propriétaires
Et commencent à se partager la Terre.
Jusqu’ici aucune catastrophe,
Profitons en pour faire une pause à cette strophe.
Car pour la suite, c’est avec grand’ peine
Que je vous annonce que tout s’enchaîne.
L’homme s’affaira tel une fourmi
Et bientôt mit ses pairs au four
Bâtit d’immenses tours
Pour s’y condenser avec ses amis.
L’homme devient plus que commerçant
Il expérimente à grande échelle
Les catastrophes industrielles
Et fait couler un peu de son sang.
On voit qu’enfin la modernité
Vient tout dynamiter
Il croit alors manger les fruits d’un business
Qui le dévore tel un monstre du Loch Ness.
Certains pensent trouver refuge
A la campagne, dans les champs,
Mais là aussi est le déluge,
On se tue au produit de traitement.
Pour lui l’écureuil
N’est plus que le logo d’une banque
Et il vit un continu deuil
En devinant, dans le lointain, les tanks.
Cette idée sera ma dernière,
Prenons la vie du bon côté :
Prenons la par derrière,
Au moins c’est elle qui sera sodomisée. »
Le style n’était pas aussi éclatant que ce que ses collègues de bureau avaient pu lui raconter. Gé
appréciait cependant ce petit moment de détente. A Abribus, la grève se faisait de plus en plus menaçante
et il aimait se reposer ainsi, penser à autre chose avant de se replonger dans cette misère quotidienne et
rédiger d’autres tracts. Il avait laissé couler un peu de musique classique et se lavait les mains de son
travail. La Gauvinette était devenu une tête de file de la protestation. Sa plume et sa verve oratoire
l’avaient catapulté devant la foule d’employés en colère. Seule ses fins de phrase tronquées, que
maintenant tout le monde appelait des gauvinettes, faisait perdre un peu de crédit à son propos. Se
concentrant un peu plus sur l'émission de radio, le style d’expression du chroniqueur aux insultes
chroniques lui semblait familier, cette voix aussi. Il lui semblait avoir déjà beaucoup entendu ce genre
d'intonations et d'idées. Il en vint à se demander si ce phénomène était si nouveau qu’on le prétendait et si
« Eul blindé » n’avait pas été sournoisement importé d’une radio nationale, comme parfois certains
hommes politiques sont parachutés par le national sur le milieu dunkerquois pour y remporter des
élections, sans alors que la personne n’ait une réelle attache pour le lieu. Elle ne devient alors plus qu’une
simple présence à toutes les manifestations joviales ou solennelles. Gé La Gauvinette coupa son poste et
se plongea dans ses tracts, il voulait détraquer son entreprise, une bonne fois pour toute.
Au bureau d’étude, peu d’ordinateur furent allumés ce jour là, un grain de révolte, venu du large,
des ambitions les plus extravagantes de La Gauvinette, grondait dans le loin et semblait s’approcher de
leur rivage prêt à tout ravager. Les syndicats avaient beaucoup de mal à calmer les ardeurs de chacun. Un
délégué s’approcha de Gé :
« Hey, La Gauvinette, c’est quoi ton petit jeu là ?
- Pardon ?
- Tu crois que tu peux prendre notre rôle comme ça toi ? Nous ce qu’on fait, c’est légal. Toi tu
distribues tes tracts à l’arrache, tu t’adresses à tous comme ça, sur un coup de tête. Tu t’es cru
dans Germinal ou quoi ? Je te préviens tout de suite que tu n’es pas Renaud et qu’on va t’abattre
comme Depardieu si tu continu ! Comme à Renaud on va t'inculper de tout ce qu'on peut, tiens,
qu'est-ce t'en pense d'espionnage dégénérationel ?
- Attendez, ne nous emportons pas, j’essaye juste d’exprimer certaines idées qui ne sont pas assez
représentées à mon goût. N’y voyait aucune volonté de saper vos actions ni de contourner votre
autorité. Le fait même que vous soyez venu me voir relève d’une sorte de victoire de nos idées,
vous nous avez entendu. Nous avez-vous compris ?
- Tu crois parler pour qui là ? »
La Gauvinette fut pris à parti par un autre groupe et n’eut pas le temps de s’excuser auprès du
représentant syndical. Il n’avait pas froid aux yeux et était prêt à faire chauffer les oreilles là-haut, c’est
ainsi qu’il avait conquis son public. Le nouveau venu, remplaçant La Malouse n’avait pas eu le temps de
s’imposer, d’ailleurs personne ne connaissait son nom. Dans certains compartiments la radio répandait la
suite de l'intervention de Plank qui échauffait aussi les esprits :
« Je suis une onde, mon existence se propage, je ne marque pas la matière, je la secoue seulement
et lui donne vie. Je compresse et décompresse, je stresse tout et tout me réponde, résonne. Je suis
l'observateur omniscient, je sais tout de votre personnage et je connais votre rôle, surtout le dénouement.
Je suis l'énergie renouvelable qui vous transporte de joie sans émission. Ne cherche nul abris j'y suis déjà.
Je suis le kärcher qui nettoie la presse de votre quartier, celle qui vous écrase de sa calomnie. Je suis
l'éternel temps libre qui s'ennuie de vous mais qui vous attend, conscient de tout ce qui est permis. Je suis
la mélodie que vous n'aurez jamais à acheter. Je suis le feu de bois maîtrisé mais sans contrôle qui crépite
auprès des guitares, je suis un souffle régulier qui vous porte au large et vous ramène toujours au rivage.
Je suis l'ami intéressant désintéressé à volonté, toujours partant et qui reste. Je suis le contrat qui ne vous
court-circuite qu'alternativement, à votre demande qu'il écoute en continu. Je suis l'aimé inaccessible qui
partage votre quotidien pour une lecture. Je suis l'idée couchée sur le papier qu'aucun lecteur ne travesti,
qu'aucun journaliste ne viole et qui ne se prostitue pas pour la politique. Je suis la nature qui reprend ses
droits pour effacer nos industriels travers. Je suis le repos possible, je suis le repas paisible. »
Ce message était comme diffusé pour la circonstance et fit tache d'huile qui s'enflamma bientôt à
Abribus :
« Allez, on va le voir ce chef, ils ne vont pas licencier tous les ingénieurs français alors que nous avons pu
montrer que c’est à cause des Allemands que le prototype abriB’80 s’est effondré !
- Ouaip, dehors les schleus !
- Nazis, Bosch, suceurs de bratwurst, garagistes et gros fûts à bière !
- Baveux de bavières ! On va brûler vos voitures comme un nouvel an !»
Un groupe suivit Gé vers le bureau de feu La Malouse. La Gauvinette était au comble de son excitation, il
voyait enfin venu le jour où il se sentait guider le prolétariat vers la liberté, enfin, enfin, enfin pensait-il.
Eugène Delacroix l'inspirait et il déchira sa chemise à moitié jusqu'à son troisième téton et n'hésiterait pas
à marcher sur quelques corps gisant au sol. Il n’était pas difficile de remarquer que l’homme assis derrière
l'ancien bureau de La Malouse, petit et fragile, n’avait encore rien fait de sa journée, il semblait attendre,
résigné, que quelque chose se passe enfin et qu’il puisse y jouer un rôle quelconque. Il leva les yeux vers
Gé La Gauvinette, croisa son regard et déjà, comprit qu’il avait perdu. Il fut d’autant plus impressionné
que de nombreux ingénieurs s’agglutinaient derrière lui.
« Ca y est, vous êtes venu pour me jeter comme l’autre, je comprends pourquoi je n’ai eu aucun mal à
obtenir mon poste. Je suis sûr que ce n’était pas un suicide. On lui a montré le chemin, on l’a pris par la
main comme on prend un enfant par la main pour l’emmener vers demain, pour lui donner la confiance…
à voler à travers la fenêtre... »
Il s’était levé d’un bloc, avait rapidement contourné son bureau et se trouvait maintenant face à
face avec La Gauvinette. Gé ouvrit la bouche mais avant que le moindre son puisse en sortir son patron,
dans un accès de folie l’empala avec le balai de service qu’il avait passé toute la matinée à aiguiser. Il
avait eu la réaction d’un animal aux abois, c’était l’hallali et il sautait au coup d’un des chiens qui
l’entourait sans réel espoir de s’en sortir. Son instinct le plus bestial se refusait à céder aussi facilement
avant de laisser son corps en pâture à ces prédateurs. La Gauvinette saisi le balai et le retira. Cet ancien
zélateur, cette pauvre teigne, s’effondra avant même d’avoir eu la bonne idée de prononcer une phrase
choc, un apophtegme qui aurait pu le faire passer à la postérité. Gé n’eu pas la décence de léguer une
dernière pensée pertinente à ses pairs. Au lieu de ça, le chef pris son combiné et demanda tout simplement
qu’une dame de service vienne passer la serpillière : « Martine, j'ai besoin d'un coup de wassingue. ».
Tous les ingénieurs restèrent interdits. En fait, La Gauvinette avait quand même eu un dernier mot,
« Aïe », un onomatopée tout bête qui fit presque honte à tous ceux qui l’avaient suivi jusque là. Il avait
passé tant de temps à rédiger des tracts pour terminer sur un son idiot, en total décalage avec le sérieux de
sa situation. La pièce de vida rapidement, dans un léger murmure de désapprobation. Avec le recul, cette
situation fait encore saigner le cœur de ses proches, comme s’ils subissaient un continuel opprobre sous
un jet d’objets contondants choisis pour leurs faibles valeurs mais d’un certain poids, ce choix est le pire
car il ne tue pas sa victime mais la laisse vivre pour souffrir. Le nom de famille de la Gauvinette serait
désormais associé par tous à l’avanie, l'incomplétude. L’ambulance et la police n’arrivèrent sur les lieux
que deux heures plus tard, après que la dame de service eut passé la serpillière et sentit que la police avait
un rôle à jouer dans ce bureau. Ce drame fut une sorte de moratoire à la grève, plus personne n’osa la
mentionner de peur d’invoquer le fantôme de Gé La Gauvinette que l’imaginaire collectif avait
maintenant discrédité comme carambouilleur. Un stagiaire qui se croyait déjà délégué du personnel en
somme, alors que tout ça se passait dans le Nord, bon sang ! Un délégué à distance dont il fallait se
distancer.
El Bochote s’échine à voyager
El Bochote avait quitté la France depuis bien longtemps. Il avait fait de l’auto-stop pour s’éloigner
toujours un peu plus de ce pays en déliquescence qu’était pour lui la France. Sa maîtrise de l’Anglais
avait été salutaire mais ses bases et son goût pour l’Espagnol lui avaient aussi ouvert certaines portières. Il
n’avait pas eu beaucoup de mal à atteindre la Russie, contre toute attente. Il avait attendu le dernier
moment pour utiliser sa carte bleue. Il savait pertinemment que sa carte bleue permettrait aux services de
police français de remonter jusqu'à lui. Il avait utilisé cette argent pour soudoyer les douaniers pour
accélérer son passage sans qu'ils ne vérifient quoi que ce soit. El Bochote n'était qu'un passager. Les
douaniers récupéraient son argent et ne l'avaient jamais vu. Il avait bien conscience que la communication
moderne allait bientôt empêcher tout ça, bientôt dès qu'on serait fiché l'information pourrait circuler
instantanément à toutes les douanes et pays du monde. Il se félicitait de se trouver dans le plus grand état
du monde. A force de lutter, il parvint à traverser la Russie en long et se rendit jusqu’en Chine, à
Shanghai, la ville qui était à son esprit le premier centre industriel de Chine et qui serait son salut pour se
réinsérer. Sur place, presque sans le sou, presque éteint de fatigue, il se rapprocha de la communauté
française des expatriés en espérant y trouver de l’aide pour obtenir un emploi dans une société dont il ne
connaissait quasiment rien. Il allait bientôt retrouver une ancienne connaissance, De Collision.
Tandis qu’il essayait de faire valoir son expérience acquise chez Abribus pour trouver un poste
chez le concurrent chinois récemment mis sur pied, El Bochote subissait une batterie d’entretien. [---]
Où l'on retourne sous le soleil exactement
JP et JR, ce sont les seuls noms que tout le monde leur connaît, ces deux séides américains, nageaient nus
un peu au large de Laguna Beach.
« Bon, procédure de rapport classique.
 Procédure classique. Tout semble en ordre.
 Bon JP, comment réagissent les têtes pensantes de Boing Boing ?
 Très bien, ψ2 reste incognito, continu de répandre son 'truc'. Du coup elle neutralise des cerveaux du
concurrent, presque les uns après les autres. Elle a aussi testé la boisson surénergisante et l'effet est
impressionnant.
 Je peux savoir ce que c'est ?
 Bien sûr, c'est un additif de boisson concocté par Monsanta, nos chefs peuvent s'en procurer à la
demande. Dans le cas présent la cible a été jusqu'à tuer un collègue de bureau.
 Ah oui, il sont fort Monsanta, d'ailleurs c'est aussi d'eux que vient le produit chimique qui fait oublier
là.
 Oui, alors là ça marche un peu moins bien, la cible aurait des tendances schizophrénique et semble
recouvrir peut à peu ses capacités. B2 devrait lui faire une offre d'embauche qu'elle ne devrait pas










refuser et mon opération est terminée. Et toi, l'action auprès du gouvernement. Parce qu'à vrai dire,
mes actions ce ne sont un peu que du temporaire, le coup de grâce devrait venir de toi, qu'en est-il ?
Tout c'est passé comme prévu, tu as vu les journaux comme tout le monde et ces deux abrutis de
Français ont tout fait comme prévu. Le truc c'est qu'on avait été prévenu par les services spéciaux
français que ces deux allaient agir, mais on le savait déjà. Du coup on a juste rassuré les services
français et on a laissé faire. Après coup on a licencié deux employés fantômes de nos services en
prétendant qu'ils n'avaient pas relayé l'information correctement. Là, on a appliqué la même démarche
au sein du service que celle qu'on avait eu pour Pearl Harbor et nine eleven, le lobbying de la peur de
castration. Ça a commencé par un mouvement de cougars et d'artistes, ça m'a bien fait marré ça. Mais
comme tu as dû le lire aussi dans la presse nous sommes arrivés à nos fins, les discours deviennent de
plus en plus agressifs. Du coup le Nord de la France, où se trouve l'usine concurrente devrait être
l'objet d'une attaque prochaine. L'opinion publique est prête.
Ça c'est de l'explication inutile, je me doutait des grandes lignes, c'est un peu notre stratégie typique,
faudrait qu'on change un jour. Quoique ça marche bien et met d'accord tout le monde... Encore une
question JR, là je ne sais pas trop si c'est de ton ressort ou du mien, pour le concurrent chinois, B2 a
demandé qu'on fasse quelque chose.
Alors là en fait j'ai déjà commencé un peu. On a un El Bochote qui est arrivé de France avec un savoir
impressionnant, du coup il a fait exploser la productivité chez le concurrent chinois. Pour le coup
l'histoire est entre le triste et le rigolo : On avait eu l'idée d’une mineure pour le séduire… Un grand
classique pour nos actions au particulier en Asie. On a envoyé un agent américain d'origine asiatique,
le mec de première génération, indécelable. Il s'est fait passé pour un donneur d'ordre. En expliquant
une prétendue tradition juste avant un mariage. Eh oui, parce qu'El Bochote se mariait avec une
Chinoise. L'agent prétend que le grand patron va lui faire une surprise, une dernière escapade. Notre
Américain donne à c'te petite Chinoise un petit quelque chose à mettre dans son entre jambe pour
éviter, soit disant, les MST. Là on voit que la petite a été bien choisie, bien naïve, je crois qu'ils sont
allés en campagne profonde pour la trouver celle-là. Il s’agissait en fait d’une mine qui explose lors
d’un rapport sexuel. T'imagine un peu le délire, je croyait que c'était un nouveau concept, mais tu
serait étonné, pas du tout.
Incroyable, on ne m'avait pas enseigné ces pratiques au camp, et toi ?
Non, non plus. L’histoire raconte que ce dispositif ne tua pas El Bochote mais le père et le petit frère
de cette jeune chinoise. Là on a mal géré, son père et son frère n'avaient pas voulu la laisser partir
seule alors on les avait flanqués à trois dans un hôtel et la veille du contact avec la cible, ça a fait
boom. C'est un cas d'école !
Alors comment vous avez couvert l'affaire ?
Les média américains si tu as suivit ont parlé d’une nouvelle forme de Harakiri, alors que bon, ça n'a
trop rien à voir. En fait j'ai même les détails. Le père était dernière la jeune chinoise, certainement en
train de l’empêcher de partir et le jeune frère était, semble-t-il initié à la virilité… Enfin un truc
d'asiatique quoi. On n'a rien eu à couvrir, les médias ont fantasmé tous seuls. Je vois que tu te marres,
ça fait partie des points particuliers de notre métier, on est les seuls à savoir ce qui se passe vraiment
d'en ce genre d'embrouille boueuse. La suite n'est pas mal non plus, la société américaine qui fabrique
ce dispositif a surfé sur cet évènement et l’intérêt de certaines asiatiques parfois maltraitées. La
société américaine a érigé cette jeune Chinoise en martyre qui devait servir d'exemple, et ça marche !
Ils exportent leur produit qui devient un succès et un moyen pour certaines femmes asiatique de se
protéger contre des agressions sexuelles récurrentes. Ces femmes qui avant se suicidaient suite à des
agressions sexuelles répétées maintenant décide d’être l’instrument de perte de leur agresseur.
T'imagine un peu, le truc de dingue, avec cette histoire on a inventé l'arme contre le viol. Maintenant
les violeurs là-bas psychotent, ils s'imaginent voire des bombes humaines dans chacune de leur
potentielles victimes, du coup ça les freine. On en revient toujours à la peur de castration !
Punaise mec, ça c'est une histoire de fou. Mon filleule me dit souvent que je n'ai pas beaucoup
d'histoires à lui raconter, mais ce qu'il ne sait pas c'est qu'en vérité je ne peux pas les lui raconter.
Bon, fin de la rencontre... Ah juste une chose, du coup on ne travaille qu'au court terme en Chine,
tueur à gage, classique.
Entendu, fin de la rencontre. »
JP et JR nagèrent chacun de leur côté, le soleil était maintenant un peu plus haut dans le ciel et
quelques personnes commençaient à se prélasser sur le sable insouciants et heureux.
[---]
Retrouvailles
Plank se laissa choir dans une chaise à la terrasse d’un café. Peu après, un serveur vint à sa
rencontre. Le style de ce serveur était une mixture entre un personnage de manga nippon avec ses
cheveux en coupe agressive et son pantalon typique, et un métrosexuel parisien avec sa ceinture criarde
chipée chez leurs petites sœurs et le tee-shirt ultra moulant piqué cette fois-ci à leur petit frère. On pouvait
aussi deviner son passé de rockeur par son blouson en cuir qui semblait avoir vécu plusieurs concerts :
« Que prendrez-vous ?
- Comment ?
- Quelle boisson désirez-vous ?
- Non, merci de m’inviter à boire, mais je n’ai pas soif. Je voulais juste prendre une petite pause.
- Vous êtes dans un café monsieur, il faut consommer ou vous en aller ; et puis le sage a dit : boivez
un coup si vous sachez joindre les deux bouts.
- Parce que même quand vous m’invitez à boire de l’eau, c’est payant ici ?
- Vous pouvez commander autre chose !
- Non merci. »
Plank choqua le serveur. Un homme intervint :
« Non, laissez Gérard, je lui paie une limonade. »
Le serveur, ahuri, fit un signe de tête en diagonale, entre le oui et le non, entre le rejet de Plank et
le respect du client. Le serveur ahuri s’en alla le menton haut.
« Qu’est-ce qui vous a pris, s’enquit Plank.
- Commin ?! Je vous paie un coup et tu t’lain !?
- Vous avez donné raison à un impertinent pareille ! Je ne voulais que m'asseoir sur cette chaise, je
ne gênais personne et voilà que monsieur vient à ma rencontre pour me forcer la main.
- Bach, non seulement vous êtes un écrivain fat mais en plus, vous êtes avare comme une tuile !
- Moi, écrivain ?!? Non, vous ne me reconnaissez pas mais c’est parce que je passe à la radio, je
suis « eul blindé ».
- Avec votre bouquin qui pue la haine ! Vous pouvez être qui vous voulez, vous resterez toujours
l’écrivain pour moi.
- Bon, je vous invite à boire de l’eau chez moi, ce sera gratuit et on en aura tant que l’on voudra.
- Hep, GéGé, annule la conso tu veux ! J’espère que tu m’excuseras, on a affaire ici à un sacré
godelureau.
- Si c’est un ordre… »
Le duo quitta le bar, et le patron fut soulagé de voir ce client dédaigneux partir. Mais Plank
reviendrait certainement pour se justifier et affirmer sa bonne foi.
« Lors comme ci thé venu pou’ ton bouquin ? », questionna le Dunkerquois.
Plank ne saisissait pas tous les termes de son interlocuteur, il choisit de ne jamais le contrarier par
l’astuce de la réponse vague. C’était une astuce qu’il avait mis au point depuis qu’il avait perdu une
bonne partie de son vocabulaire.
« Ce n’est pas impossible après tout !
- Cor que t’emm…bête le monde !
- Il ne faut pas exclure cette possibilité de notre imaginaire intérieur d'extroverti. D'ailleurs qu'en
penses-tu toi-même ?
- A stheure, tout Kequerdun cherche à t’émolir ! T'as dit tellement de mal sur tou' ces gens là toi.
- Il faut en effet prendre en compte votre point de vue à ce sujet. Mais comment peux-tu en être
certain ?
- Ah, je comprends, MOOsieur veut du beau langage pour parler ?
- Je suis tout ouïe.
- Où en est votre livre ?
- De quoi parlez vous ?
- N’aviez-vous pas écrit un livre ?
- Pas à ma connaissance. Sinon pourquoi froncerai-je les sourcils ?
- Je pense percer votre conviction intime : vous préférez feindre de ne jamais avoir écrit ces
horreurs, « comprendre un con » ! Quel nom ignoble !
- Je veux bien vous croire.
- A la bonne heure !
- Je vous l’accorde. »
Déjà Plank désirait prendre congé de cet individu qui lui parlait de choses dont il n’avait jamais ouïe
dire ! Un livre, un con, une heure, une bête du monde ? Que d’incompréhensions régnaient dans son
esprit, tout frais sortit d’un sommeil qui l’avait transformé. Voilà plusieurs mois maintenant qu’il vivait
une nouvelle vie depuis ce matin étrange où il avait vécu comme une scission interne et pourtant il ne lui
semblait pas avoir fait tant de progrès que ça.
« Bon, ce n’est pas de tout ça, mais je dois Zot’che ma fire, elle part à l'étranger. Encore un coup
d'Erasmus, l'éloge de la folie encore ! N'allez pas croire que j'en recevrai plus de lettres pour autant.
- Je ne peux être plus d’accord avec vous.
- Comme le dit la chanson : Mon pit faut pas leuler, Quelle histoire… »
Et le Dunkerquois, heureux, s’en alla en chantant des chansons du Carnaval de Dunkerque. Plank
n’appréciait que très peu ces chansons où tous les mots semblaient en snot, comme on dit à Dunkerque. Il
était déjà en difficulté avec le Français courant qu’il se trouvait complètement perdu lorsque quelqu’un
s’aventurait à lui parler en avec certains mots typique et un accent à couper au couteau.
Ron Malone
« L'important a toujours été d'en avoir. Cette envie a nourri mon espoir. Toutes les prévisions n'ont été
que des promesses, toujours précises, bien trop précise pour le résultat obtenu. Oui j'en voulais ! Mon
espoir s'est nourri de publicité mensongère et a sans cesse entretenu mes élans. Chaque déception a fait
partie intégrante du jeu. Une absence, un manque, une promesse non tenu n'ont fait qu'accroître le
sentiment de plénitude lorsque, enfin, tout y est. Je ne peux pas accepter de demi-mesure : soit le compte
est bon et j'exulte soit tout me semble manquer et j'enrage. Certes j'enrage, mais surgissent alors à mon
esprit tous les instants de bonheur qui ne sont alors plus qu'un nouvel appel, un nouveau décompte. Je ne
puis en avoir sans cesse et je ne puis choisir d'en avoir. C'est alors que toute autre chose est reléguée au
second plan. Je parle de second plan mais on ne peut s'imaginer la chose que comme un tableau d'ancien
style avec un premier plan qui contient l'intégralité du message et un second plan qui n'existe qu'afin de
finir un simple remplissage de tableau. Il n'y a pas à proprement parler de perspective. »
Ron Malone, pourtant installé de longue date à Dunkerque sur ordre américain ne comprenait pas
bien les mot qui sortaient du poste de radio lorsque Eul Blindé prenait la parole. Afin de se lier un peu
plus à la population il n'avait cesse de poursuivre avec assiduité l'effort de répondre à l'appel d'Eul Blindé,
un sujet de conversation aussi fédérateur à Dunkerque qu'un Tatort chez leurs voisins fédéralistes.
Ron Malone était issue d'une famille californienne aisée et avait vécu une enfance des plus faciles
et normales. Il passait le plus clair de son temps devant le poste de télévision. Encore aujourd'hui il avait
conservé ce vice. Il n'avait que peu d'ambition et très peu de condition physique. Il avait décidé de vivre
un métier palpitant et en était venu, presque naturellement, à faire jouer ses relations et à travailler dans la
veille technologique, une couverture pour être tueur à gage. La réalité de son quotidien était bien moins
drôle et palpitante qu'il n'avait pu l'espérer étant jeune actif. Tuer pour Ron était devenu, presque depuis le
début, un cliché, un acte ennuyeux qui n'avait plus grand chose d'exceptionnel. Tuer dans la clandestinité
n'était pas si glamour qu'il avait voulu se l'imaginer, ses actes impunis mais inconnus l'ennuyaient.
Chaque nouvelle victime était comme un après-midi ensoleillé passé devant un écran à regarder un vieux
feuilleton américain où un groupe de police résout un meurtre dont le téléspectateur n a que faire, mais
reste finalement scotché à l’écran comme un âne, et lorsqu’il réalise qu’il perd son temps, il attend quand
même la fin de l’épisode, et l’après-midi est déjà croqués, gâchés, et il ne lui reste plus qu’à regarder un
autre feuilleton stupide pour attendre l’heure du souper. Sa vie de tireur d'élite avait pris la même
tournure, le même style. Comme demandé, il se rendit en Chine, sans aucune volonté ni le temps d'y
découvrir la culture locale. Il tua El Bochote sans passion aucune, un vrai cliché. Il ne connaissait rien de
la vraie vie du commanditaire, il ne connaissait que son identité mais ne l'avait jamais rencontré
personnellement et n'y comptait pas, il n'était qu'un simple prestataire discret. Discret, un mot qui sonnait
tellement vrai mais tellement moins aguicheur que secret. Ron s'introduisit chez El Bochote au petit matin
et l'abattit avant de terminer son boulot en décimant le reste de la famille Bochote pour éviter un appel
prématuré de la police. Une procédure devenue classique pour lui qui avait pour simple et seul objectif de
lui laisser le temps de quitter les lieux et le pays avant toute réaction des forces de police. Les voisins ou
les collègues ne s'inquiétaient en général qu'au delà de vingt-quatre heure, le temps pour Ron de visiter un
musée en faux-vrai touriste. Il prenait toujours la peine de préparer une visite de musée avec un réel
intérêt intellectuel et culturel. Il parcourrut ainsi NAMOC, le n'Amok chinois ou folie destructrice de l'art
par la propagande. Il quitta la Chine, écoeuré non par ce qu'il venait d'accomplir mais par son manque de
passion dans ce qu'il faisait, son métier. Le plus grad musée du monde n'avait pas su combler son
manque, lui faire oublier son dépit, la propagande chinoise ne pouvait réellement toucher un Européen
pensa-t-il. Ron Malone, dans son avion volant pour la Californie, en vint à se rêver un rôle pour la
postérité, un assassinat énigmatique où il agirait seul mais où tout le monde penserait que l'assassinat
serait commandité par un organisme secret dont personne ne comprendrait les rouages ni l'ambition. Une
personnalité chinoise aurait pu faire l'affaire mais il ne connaissait pas bien le pays, il lui fallait une
personnalité à laquelle il pouvait se référer, une personnalité dont il comprenait l'importance. C'est ainsi
qu'il en vint à se décider à tuer le patron de Boing boing, le commanditaire sans intermédiaire de toutes
ses actions, la seule personnalité dont il comprenait vraiment l'impact sur les marchés et la société. Il pris
sa décision un peu trop rapidement et tua le dirigeant de Boing boing lors de son entretient personnel avec
le président américain. Les agents secrets américains, déjà sur place, n'eurent aucune peine à en déduire
que Ron Malone était le responsable, les preuves étaient sous leurs yeux. Tandis que la presse menait sa
propre enquête et n'aboutissait pas, Boing boing fut contacté discrètement par les services secrets
américains et mis au courant de l'affaire en expliquant que Ron Malone avait tout simplement disjoncté.
Boing boing resta fidèle à sa politique de silence et Ron Malone fut suicidé hors territoire américain par
un agent des services secrets américains, pratique commune et respectable pour les forces de sécurités
américaines de toujours défendre les intérêts économiques des grandes entreprises américaines. L'affaire
fut rapidement classée par les services secrets américains mais bientôt l'opinion publique américaine se
vit récupérée opportunément par les dirigeants de Boing boing : un nouvel endoctrinement. L'opinion
publique, adroitement guidée et éclairée par les dirigeants de Boing boing, était maintenant persuadée que
Chinabus était derrière l'assassina d'un de leurs dirigeants les plus influents et bientôt les Etats-Unis
appelèrent au boycott des produits Chinabus. La communauté internationale fut elle aussi rapidement
conquise à grand renfort d'un film hollywoodiens tragique relatant l'évènement avec le titre « Octobre
orange ». Déjà les journaux français jouait sur les mots nashi, nazi, sans espoir chinoise... Ce que l'on
appela à l'époque l'affaire Chinabus devint un leitmotiv des discours de dirigeants politiques américains
pour soutenir activement leurs industries face à toute forme de concurrence venue de la Chine. Les
discours présidentiels parlaient d'un dragon tri-dimensionnel débridé devenu pyromane et qui crachait
maintenant du feu à tout va en extase extrême. Il fallait donc lui administrer une douche froide.
Lire un livre
Plank se décida à ranger son logis, où logiquement le lecteur avait deviné, il ne reconnaissait rien. En
fait de rangement, il ne fit que de mettre sa maison à sac, il n’avait aucune notion de géométrie de
l’espace, il était incapable de placer deux objets de façon harmonieuse. Il avançait à tâton dans tous les
domaines de sa vie : l'espace, le langage, les relations humaines. Il avait vécu chez lui depuis son réveil
douloureux sans toucher au moindre objet, se sentant étranger chez lui. Le seul livre qu'il avait vraiment
compris d'ailleurs était d'Albert, le premier. Il s'était alors senti roi des Belges et un air de flûte d'après
guerre lui rappelait le temps des crises, à l'amer goût de poire d'empoigne. Il éprouvait de la difficulté à
prendre possession de son propre lieu, de ses propres mots et référence. Tel un héros de l'autre Albert, qui
à bu, il ne comprenait aucun sentiment, il ne pouvait déchiffrer ce que lui inspirait l'environnement et en
restait bloqué aux faits, tel un simple observateur de sa propre vie. Sauf que pour lui, il observait sa vie à
travers un kaléidoscope et personne n'était là pour lui expliquer sa métaphysique en tube, il semblait voir
de la lumière au bout du tunnel mais il ne savait si ce n'était qu'une reflexion.
Tout en fouillant et souillant ses affaires, il découvrit un ensemble de feuilles numérotées. La
première feuille, qui était rigide portait l’inscription : « Comprendre un con ». Il se souvint aussitôt de la
réflexion ambiguë du Dunkerquois, paroles troublantes qui l'avait fait suer, mouillait comme un flamant
rose qu'on pousse dans la Deule. Il le tenait enfin un livre son dans ses mains ou plutôt son livre pensa-til. Comment pouvait-il être à lui alors qu’il ne le connaissait pas ? Que pouvait-il bien raconter ? Sa tête
tournait comme un manège de ducasse. Tel un beau gosse d'Ulysse sur son trente-et-un qui décide de
raccrocher le téléphone pour affronté la machine en sirotant un café Néo, Plank sortit un Duvel de l'enfer
et saisit le livre.
Plank entama la lecture de ce livre libre. Des le premier regard, il se sentit comme irradié de la carte,
tel Hiroshima, Fukishima et tu sers bienvenu chi-moi. Il tourna la tête, regarda derrière lui, mais qui donc
lui soufflait ces mots, ces phrases, non ! Ces idées. Il dût rapidement se munir d’un dictionnaire car
comme l’avait prévenu la préface, beaucoup de mots lui semblaient sibyllins…tiens, d’où venait cette
expression qu’il ne comprenait pas. « Sibyllin : mystérieux, hermétique m’indique le dictionnaire. Je suis
sidéré, frappé de stupeur (du latin siderari) ! ». Ainsi de mots en définitions et de définition en mots sauta
d'une page à l'autre si bien qu'il se senti vidé, fatigué comme ayant sauté le coq et l'âne. Il leva les yeux
vers le ciel, rencontra le plafond, mais d'où venait donc toutes ces histoires ?
La lecture se montra très laborieuse pour Plank, il désirait cependant finir à tout prix cet ensemble de
phrases formant un sens global qu’il avait, pour l’instant et comme l’indiquait toujours la préface, du mal
à appréhender…en voilà un mot étrange, il semblerait même qu’il possède de nombreuses significations
selon le livre à mots compliqués. Dictionnaire ! Un repère à pirate ce livre, Barberousse et compagnie
semblaient débarquer dans son salon dans une opération de force et le faisait esclave de leurs mots.
L’auteur du livre se vit contraint de lire trois fois son œuvre avant de la percevoir dans tous ses
détails. Deux jours lui furent nécessaires pour achever la lecture. Cette tâche le plongea dans un long
sommeil.
Au réveil, il ne lui restait plus qu’un vaste souvenir de haine, de moquerie et de raillerie, rien à voir
avec l’image qu’il se faisait du monde, l’écrivain de se livre devait avoir de sérieux problèmes conclut-il.
Cet auteur était un certain Plank Kims. Ce personnage imbu de lui-même avait même réalisé une
autobiographie dithyrambique !!
« Dithyrambique : qui est très élogieux, un adjectif selon ce dictionnaire, je suis toujours stupéfait de
mon propre langage, que c’est agréable de se surprendre soi-même ! Comme de s'en prendre à soi-même,
dépasser la relation à l'autre en la déplaçant sur soi, entre soi. Mais si seulement je me comprenais enfin.
Je n’arrive pas encore à raisonner correctement : des mots complexes viennent entraver la progression de
ma réflexion ! Mais je progresse. »
Plank, qui comme vous l’avez vu ne se souvenait plus de son nom, se rappela d’une maison éditice
spécialisée dans la critique de la société moderne, les pamphlet. Une adresse bien choisi pour commencer
à chercher à mettre au grand jour la haine de l'ombre. Cette sorte de racisme, d'égoïsme qui se nourrit
partout en Europe des coins délaissés et sombres où le soleil ne pose plus son regard et rien ne sèche.
Dans ses souterrains de nos sociétés pourrit alors lentement le linge, les matelas s'alourdissent de la sueur
de nuits tourmentées à l'odeur de la poussière ambiante. Des relents de vieux morceaux de latex
rappellent les menus plaisirs de la veille à racler la vermine inculte qui ose toujours espérer une richesse
quelconque, ne cultivant pourtant aucunement la plus importante, intérieure. Tout le monde feint l'intérêt
et l'amour, pour le propre, l'amour propre. Mais l'eau coule réticente sur notre désolation dans de petites
cabines sans fenêtre et sans air, mêlant l'odeur de moisi et de ce que notre corps à heureusement réussi à
cracher de toutes les saletés ingurgitées. Rejets qui restent comme bloqué à mi-chemin de la canalisation
et que l'odeur des shampoing premier prix ne parviendra jamais à faire oublier. Revient alors en mémoire
un petit plaisir simple, une douche en plein air, sur Belle-île, avec le soleil matinal qui caresse la peau, la
mer qui appel le lecteur, le marcheur et le marin. Les trois ne sont qu'un seul homme heureux qui ne
jaugera son bonheur qu'à son abrutissement quotidien tandis que la machine infernale de la famille à
sustenter le poussera tous les jours vers le pire des travaux. La peur du chômage et l'idée de voir sa
compagne se retourner vers la prostitution lui fera chérir sa prison et il priera même ses supérieurs pour y
passer plus de temps, heures sup' pour personnes inférieures.
Plank se ressaisit et se concentra sur l'instant et ses envies. Il désirait faire paraître ce ridicule
pamphlet qui compromettrait son auteur et l’amènerait à se repentir et le rendrait amène. Le salut du
salaud qui allait chausser des sabots de moine. Il le ferait ainsi sortir de son trou, le réveillerait de sa
tombe s'il le fallait.
Il obtint un rendez-vous avec l’éditeur. Après deux lectures minutieuses et consécutives, l’éditeur prit
la parole en ces termes :
« C’est très acerbe ! »
Plank, qui avait attendu patiemment et avait laissé son esprit encore une fois vagabonder, ne saisit
pas tout le propos mais se rappela du problème Serbe dont la « boîte noire qui parle toute seule » avait fait
écho. Il s'aventura comme Lino prêt à flinguer intellectuellement son interlocuteur :
« Oui, c’est une terrible guerre, sans merci ni pardon. Une nouvelle annus horribilis.
- Anus syphilis ? Dit il en lâchant un clin d'œil coquin à Plank. Ah pardon ! Effectivement, l’auteur
ne mâche pas ses mots et n’hésite pas à avoir recours à la digression dans nombre d’apartés.
- En effet, que d’agressions et de maux dans un appartement, tout cela pour de la religion.
- Vous y voyez un rapport à la religion, ah bon ! Mais je crains qu’il ne se donne qu’un genre docte
et que cet éclat ne soit que lavage de son propre cerveau intense. Un tant soi peu...
- En effet, c’est impardonnable de parler d’épuration lorsqu’il s’agit d’innocents. Il faudrait plus de
docteurs pour soigner les malades.
- Vous me semblez faire diversion, n’est-il pas. D'abord le clin d'œil !
- Je suis ouvert à votre propos.
- Dans un premier temps, je propose de faire paraître cette nouvelle pièce de théâtre dans un
journal.
- Je vous accorde toute ma considération.
- Dites moi vos prétention, vous voulez toucher une part des bénéfices, alors ? Parlons business !
- Mon seul désir est de faire connaître ces écrits pour imposer cette weltanschauung. Plank avait
préparé la veille plusieurs phrases de ce style afin d’impressionner son interlocuteur. Il ne pouvait
tenir de vraie conversation et avait toujours recours à des phrases d’acquiescement toutes faites ou
à des idées forces pour donner l’illusion d’un dialogue.
- Je comprends, désirs d'artiste. Affaire conclue, on fait comme on a dit, vous verrez pour les détails
administratifs plus tard, avec ma secrétaire.
- Mais je ne suis pas un malade ! Ce n’est pas moi l’auteur de ce truc !
- Qui est-il alors ?
- Plank Kims !
-
-
C’est lui qui vous envoie ? Peu importe, vous nous l’avez apporté, si l’auteur réclame quoi que se
soit, nous aviserons. Essayez de voir ça avec l’auteur. J'ai des responsabilités limitées vous savez,
lança-t-il en riant, je suis un peu start-me-up californienne dans l'âme, je fais et ensuite on discute
sur la route de tribunale.
Je ne le connais pas vraiment l'auteur, et personne n’a su me dire où il était parti. Un disparition.
Et après tout, vous pouvez vous faire passer pour l’auteur de cette pièce de théâtre si vous voulez.
Enfin faîtes comme bon vous semblera. Avec ça vous avez les moyens de vous faire un peu
connaître, vous pourriez au moins passez à la télé, Ruquiez ça vous tente ?
Au quai, le bateau restera. C’était une de ses formes d’acquiescement préférée.
OK. Bon, passez tout de suite aux formalités administratives. Vous savez, avec le téléchargement
les droits d'auteur même moi je n'y crois plus. Alors publions, publions, pourvu que ça vende du
papier ! Il faut bien que les enfants en Amazonie vivent de quelque chose, même si c'est de nos
conneries, hein ! Vive la littérature française moderne.»
La secrétaire qui le reçut fut étonnée, en consultant les papiers d’identité de Plank, qu’il prétendait ne
pas être monsieur Kims. Elle avait déjà vu passer pas mal de spécimens dans son bureau et joua le jeu
comme à son habitude afin de ne pas troubler l’artiste et de s’en tirer à bon compte lors des négociations.
Plank était heureux, étonné de la convivialité de l’éditeur et heureux de son coup, il allait enfin faire
éclater la vérité : des personnes osaient se moquer ouvertement de gens normaux parce qu’ils se croyaient
supérieurs. Ce comportement le révoltait, supérieur mais supérieurs en quoi, comment et selon quels
critères, la bêtise ? Ils avaient tort comme une carotte rongée pensa-t-il sans persuasion de sa métaphore.
La pièce de théâtre parut en trois parties dans le journal. Plank se réjouissait de sa performance : faire
paraître une œuvre qui n’avait pas le droit d’être. Le courrier des lecteurs du journal se remplit
d’indignations pendant plusieurs mois, si bien que l’éditeur contacta Plank pour lui annoncer qu’il
renonçait à la publier en un seul volume.
L’aventure du dur livre laid sans vent de gaieté « Comprendre un con » semblait s’arrêter là poétisa
maladroitement Plank. Mais la devanture d’un magasin spécialisé dans la revente de livre de brocante ou
de livres faits artisanalement s’empara de cette pièce de théâtre et après l’avoir contacté en remontant
jusqu’à lui grâce à l’éditeur la distribua dans toute la région Nord Pas-de-Calais. Plank pensa que cet
auteur, Plank Kims serait connu malgré lui ! Il ne chercha plus à contacter ce triste bonhomme qui ne
pensait qu’à ridiculiser l’homme, son confrère qu’il prenait pour un con. Il lui semblait presque que
l'auteur se dissimulait, parfois pourtant il le sentait familier.
Kims ne rime à rien
Kims prit l’habitude de se promener sur la digue du port de Dunkerque jusqu’à Bray Dune. Il
aimait observer les passants. Il réussissait bien souvent, rien qu’en observant la démarche des gens, à
deviner leur personnalité : celui-là semblait bien nerveux, celle-ci paraissait bien anxieuse mais désireuse
du regard de l'autre, ceux-là devaient-être bien timides…
Parfois, il continuait son périple jusqu’en Belgique. Il fut alors surpris de voir les Belges si astucieux,
les blagues ne disaient donc pas vrai ? Ou bien était-il possible que tout évolue, ces Belges avaient-ils
changé ? Impossible : des comiques continuaient à les railler. C’était donc un mensonge, juste pour que
les Français se rassurent et s’endorment dans leur impression (superstition ?) de supériorité. Et la France
lui semblait comme une vaste locomotive : difficile à mettre en marche, on ne l’arrêtait pas facilement où
qu’elle aille, dans la bonne direction ou…la pire. Les rails nationaux la malmenaient sur décisions
gouvernementale et locales, un sinueux parcours.
Il prit alors plaisir pendant ses balades à se reposer cinq minutes (chronomètre en main) pour méditer
en scrutant l’Angleterre qu’il devinait là-bas au loin. Tout sujet lui convenait pour réfléchir : la poule a-telle des droits, le chat est-il sadique, l’homme est-il un animal, peut-on affirmer qu’on ne peut rien
affirmer…
Il s’étonna ainsi de suivre l’exemple des philosophes : poser des questions aux autres tout en sachant
pertinemment que l’on va chercher la réponse soi-même et la donner à ses auditeurs. Un jeu de ping-pong
où l'ami qu'on avait invité ne se retrouve plus qu'en spectateur tandis qu'on pli la table en deux, en mode
jeu personnel, sous le regard frustré de l'autre.
Kims contacta à nouveau le producteur pour « boîte noire qui parle bêtement et toute seule » en lui
affirmant son désir de discourir. Il essaya de jouer sur l’expérience qu’il avait acquise à Radio Rencontre.
Il voulait maintenant avoir deux casquettes et sans plus attendre jouer aussi de son corps pour s’exprimer
avec toujours plus d’expressivité. Il lui envoya un des ses textes les plus récents. Plank et son autre lui
semblaient tous deux se calmer et trouver tout doucement un terrain d'entente :
« Si vous aviez à échanger votre vie avec celle d'un autre, choisiriez-vous la mienne ? Aujourd'hui,
j'avais une journée à perdre, à attendre, ou plutôt à ne rien attendre de ma journée. Ce jour, je l'ai passé
dans les transports en commun et je n'ai rien fait d'autre que penser, je n'ai rien fait : commun !
Je me suis d'abord amusé à essayer de deviner la vie des gens. Beaucoup de monde arrive à deviner
mon profil d'ingénieur si mal caché mais tout craché. J'ai eu peu de succès : une femme que je pensais
consultante, lisant un magazine d'enjeu économique était en fait responsable logistique dans une usine
d'isolant sonore qui se placent dans les portières et le haillon des véhicules. Tout cela ne s'invente pas. Je
n'ai pas osé lui demander si elle avait un compagnon. En tout cas elle n'avait pas d'alliance et était plutôt
jolie - venant d'un ingénieur, c'est le plus poli que vous puissiez entendre - j'en ai donc conclu qu'elle
devait savoir qui retrouver une fois le soleil couché. J'étais presque jaloux de lui. Je me suis ensuite
demandé si, plutôt que de toujours vouloir la personne, j'aurais pu vouloir être cette personne et non plus
vouloir l'être. J'ai ainsi agrémenté ma journée qui s'est plutôt bien terminée, enfin la réflexion finale tout
du moins : je reste moi-même par choix. Je n'ai quand même pas lutté jusqu'ici pour tout donner au
premier venu ! Pour qui se prennent donc tous ces gens ? Ils sont d'un sans gène ! Quelque lettres pour
conclure : je désire l'être mais je ne veux plus l'être. »
Le producteur le redirigea vers un patron de café qui désirait établir un podium sur lequel
s’expliqueraient des orateurs sur leurs convictions philosophiques. C’était sa façon de redorer le blason de
son établissement où bon nombre de choses malsaines avaient eu lieu. Ce patron qui avait rêvait du café
Guerbois avait une rude impression d'être tombé dans du matériau à Baudelaire non poétique.
Plank fut rapidement accepté. Il avait des avis sur tout, même sur les punaises qui risquaient de
disparaître avec la « multifonctionnalité » des ustensiles actuels. Il fut même encouragé par le gérant à
improviser des histoires poussant à la dérision nos mœurs récentes ou passées pour faire durer un peu le
plaisir et surtout garder les consommateurs le plus longtemps possible dans le bar.
« Je vais vous parler aujourd’hui, ne remettons pas à demain ce que l’on pourrait faire jeudi (aucun
rire), de la particularité dunkerquoise. Je voudrai surtout souligner l’étrangeté de l’air que nous respirons
et de l’air que prennent nos poumons avec cet…air qui nous tape sur les nerfs (rires de bourgeois se
forçant pour s’assurer les faveurs du roi Louis XIV). Je vais parler, vous l’avez compris de l’effet de Ser
(attention redoublée dans la foule) ; non pas l’effet de serre pour lequel tous les médiats nous assènent à
chaque journal un grand coup sur le moral, mais de l’effet de Ser, entendez bien S E R (choc dans
l’assemblée). Pour l’étymologie, si j’ose l’appeler ainsi, de cette expression, j’évoquerai une anecdote.
Elle s’est d’ailleurs, hélas déroulée ici, dans les Hauts de France comme dirait mon voisin de palier allier,
fou à lier (sourires, rires et rires saouls chez les intellectuels de comptoir).
Un groupe de chanteurs, dont je ne citerai pas le nom : vous comprendrez pourquoi, avait pour idole :
Gainsbourg, ils l’imitaient à merveille, sauf que chacun d’eux fumaient beaucoup plus que celui-là. Ils
acquirent une certaine renommée, ce qui leur valut de se voir confier la grande salle des bals du carnaval
pour y mener un concert.
Le jour du concert, il y eut un sérieux problème de ventilation, or les chanteurs fumaient comme des
chahuts en plein mois de février, seuls les Dunkerquois pratiquant le carnaval comprendront, et ils
empestèrent la salle.
Bilan : Deux asphyxiés, cinquante non-fumeurs cancéreux du poumon et plus d’une centaine de
personnes non-fumeuses désormais dépendantes de la cigarette.
C’est de là que nous vient l’expression effet de Ser, ce qu'il fallait savoir ! de l’abréviation de
l’effet de Ser...ge Gainsbourg. (éclats de rire dans l’amas informe de rieurs toussant sur leurs voisins et
touchant la moindre épaule) »
Le gérant du café fut ravi de l’effet et des gains apportés par son idée : il avait réussi à réunir tous
les gens à peu près cultivés du coin qui se considéraient avant comme incapables de pouvoir se souiller au
bar, le bar devenait le repère des intellectuels de la région, sa renommée allait de mieux en mieux depuis
que Kims intervenait. Ses discours ne présentaient en réalité aucun humour décapant comme on avait pu
le prétendre, le gérant avait bien dû l’avouer plusieurs fois. Il s’agissait juste d’un effet de groupe. Dans
un premier temps, c’était toujours le personnage qui intriguait tandis que l’on ne s’intéressait que peu à
son discours. Ensuite tout le monde parlait de ses interventions et il devenait de bon ton d’apprécier les
idées qu'il pouvait avancer quitte à faire marche arrière sur toutes leurs convictions passées.
Plank improvisait à merveille :
« Mesdames et vos dames et mac à dames, je voudrai revenir sur un fait bien particulier, (Plank avait l’art
de faire sourire d’entrée de jeu et d’interpeller n’importe quel passant, tels les petits revendeurs de canabis
qui ont toujours le bon mot pour s'acoquiner avec le premier passant venu) en effet, alors que je regardais
la boîte noir faisant du bruit, un homme tronc nous annonça que ce qui suivrait serait de la "bombe". Et
j’eus droit à un clip de techno.
C’est assez étrange que cet homme ait présenté la chose ainsi. Et pour cause, ce morceau de
techno ne fut pas de la bombe mais plusieurs bombes, une salve dirai-je même.
Je m’explique : j’ai recensé plus de deux cent bombes… avec trois sortes d’explosions : "boum", "bam" et
"bioum". Ah ne soupçonnez donc vous pas mon étonnement ? Tant de bombes qui explosèrent et des
gens, sautant de peur d’être touché par l’une d’elles certainement, pour que le présentateur annonce cette
guerre musicale comme étant "une seule bombe".
Enfin bref, je tiens à dire bravo à celui qui a réussi à synchroniser toutes ces explosions pour en
faire un rythme. Dommage que la boîte à images ne nous ait pas montré ces explosifs. Et la techno parade
n’est plus alors qu’un champ de bataille et le final, un nouveau champignon de Paris. De quoi faire
exploser le vieux concept de famille nucléaire que rentre en scène le polyamour.
Ce ne doit pas être simple de faire exploser une bombe au moment voulu pour mettre en place un
rythme sans faire tout sauter. C’est pour cela que je suis contre la technologie, c’est trop dangereux de
faire exploser cet amas de bombe chez soi, dans son logis, no à la techno au logis ! Si le musicien (doit-on
encore l’appeler ainsi) habite un immeuble et fait tout sauter, l’immeuble s’effondre, imaginez le triste
bilan (rires dans l’assemblée). Ce n’est pas beau de rire du malheur qui pourrait d'ailleurs arriver à chacun
d'entre vous, peut-être à votre insu un prétendu musicien de techno fait ses débuts, on pourrait dire fait ses
armes, dans une des caves de votre immeuble et pourrait bien un jour faire tout sauter (redoublement des
rires). Alors pour peu qu'il soit un peu musulman et qu'il tente d'improviser dans Kaboul !
Je vous avoue que je soupçonne même un musicien d’avoir déclenché Tchernobyl pour obtenir
une apothéose de sa musique (rire général) on ne doit plus parler de tectonique des plaques mais dire « la
techno nique les plaques… » »
Plank récoltait toujours plus d’argent en cumulant son émission de radio et ses représentations. Il
fut en mesure de s’acheter une campagne pour promouvoir le livre de l’imbécile qu’il voulait dénoncer :
Comprendre un con.
La campagne se déroula à merveille.
Plank apprit à conduire une voiture avec un passant qui avait bien voulu le prendre en stop. Il ne
se doutait pas qu’une conduite nécessitait un permis de conduire en France et s’acheta une voiture qui
sentait bon la voiture volée. Un beau jour, un peu trop pressé pour rejoindre le studio de Radio Rencontre,
il ne respecta pas une priorité à droite et démolit une voiture :
« Triple hybride aussi étrange qu’une mouche dans une chambre à air dans un hôtel trois étoiles, qu’avezvous fait !
- Pourquoi m’avez-vous barré le chemin ?
- J’avais la priorité à droite.
- Nous ne devons pas supprimer cette constatation de l’inconscient collectif…
- Tiens, à propos de constatation, nous allons établir un constat.
- Vous avez le mot juste, aussi vrai que la nature du bois.
- Votre nom ?
- Je suis « eul blindé ».
- Ah, c’est vous, mais au fait, c’est quoi vote vrai nom ?
- Eh bien, oui… »
Plank Kims s’aperçut rapidement que quelque chose ne fonctionnait pas, il ne connaissait pas son
nom ! Était-ce courant ? Pourquoi tout le monde connaissait son prénom ainsi que son nom de famille
alors que lui l’ignorait ? A toujours se faire appeler eul blindé il n'avait pas régler ce problème ni élucidé
le mystère de son nom. Il décida alors d’emprunter un nom : l’auteur du fameux livre qu’il dénonçait.
« Je m’appelle Plank Kims »
Tout retomberait ainsi sur cet ignoble individu aux pensées sectaires. Il riait intérieurement car il avait
même les pièces d’identité de cet individu chez lui, il alla les chercher, et s’ingénia à imaginer quelle
pourrait être la signature d’un tel personnage, il se mit dans la peau de cet écrivain dédaigneux et signa
avec mépris.
Une semaine plus tard, il fut surpris de constater que la police le prit pour Plank Kims lui annonçant
qu’il n’avait plus de points sur son permis de conduire ou plutôt qu’il ne l’avait jamais eu.
« Je dois vous avouer que je ne suis pas ce Plank Kims ! Bon certes, je ne savais pas qu’il fallait ce papier
rose dont vous me parlez, mais bon on ne va tout de même pas s’emballer pour ce qui me fait plus penser
à un morceau de papier toilette…
- Et qui êtes-vous donc alors ? s’exclama le policier.
- Son producteur, dirons nous. »
Le policier confronta la photo de la carte d’identité de Plank Kims avec Plank Kims ainsi que le
registre, aucun doute, cet homme était Plank Kims et lui mentait :
« Voici votre carte d’identité et une photo de vous, vous êtes Plank Kims ! Voulez-vous que je contacte
nos services de psychatrie ou savez-vous qui vous êtes ? Finis de rire là ! Et vous ne nous faîtes pas tant
rire que ça avec vos histoires de papier toilette. On va devoir vous embarquer. Non mais sans blague,
vous me refiler vos papiers tout en prétendant que ça n'est pas vous, c'est un peu faible comme stratégie
d'évitement. »
Kims dut se rendre à l’évidence, il était Plank Kims ! Il était cet inconnu aux pensées étranges et
malsaines. Comment cela avait-il pu échappé à sa compréhension, bien sûr son autre lui, un ancien lui !
L’horrible livre était son œuvre, cette idée était sienne, il avait enfanté cette ignominie béante.
Plank se plante
Kims s’était lui-même blessé depuis le début, il avait retrouvé sa méchanceté en face de lui. Il stoppa
immédiatement la publicité pour le livre Comprendre un con, son livre.
Après avoir régler ses déboires avec la police, il erra de jour comme de nuit dans les rues de
l’agglomération dunkerquoise. Il finit par déjeuner à un restaurant à la rencontre des routes menant à
Uxem, Warhem et Téteghem. Des noms locaux qui lui reviendrait peut-être en mémoire s'il se forçait. Le
repas, délicieux, lui semblait fade et âcre, comme sa vie.
Un homme vint à sa table. La tête de ce Dunkerquois lui rappelait quelque chose, il se rappela alors
d’un café où il l’avait rencontré. Le Dunkerquois annonça en Français correct et intelligible :
« Alors, votre méchanceté vous a-t-elle plu ?
 Je suis désolé, je ne me souviens plus de vous, j'ai perdu quelques unes de mes compétences, si vous
daignez m'excuser.
 Eh bien, tout change, bon, je repasserai chez vous, j'ai une offre, une nouvelle vie pour vous, tout ira
mieux. »
Et cet homme s’en alla. Plank n'avait pas tout saisi.
Plank décida finalement de prendre le dessus des choses, il passa une petite annonce dans le journal :
CHERCHE L’ŒUVRE "COMPRENDRE UN CON" POUR COLLECTION, PROPOSE
FACILEMENT DEUX FOIS LE PRIX D’ORIGINE.
Il put finalement racheter bon nombre de ses livres et fit un énorme feu de joie dans un fossé, hélas
pour lui, tous ses bénéfices s’en étaient allés avec cette action de dernier recours. Et son œuvre ne serait
jamais totalement effacée, il y aurait toujours des yeux pour comprendre ses anciennes idées et les
dénoncer. Un tel ouvrage d'outrage ne se dissiperait pas sans effort, il payait la rançon de son action
passée pas assez pesée. Il n’existe bien souvent aucune échappatoire pour renflouer un amateur de
dérision en état de déréliction profonde, pensa-t-il... Sa passion du langage lui revint rapidement.
Depuis ces événements, il décida de rire et de n’écrire que pour contrecarrer les sbires scabreux de la
haine, source de nombreuses peines.
Votre méchanceté vous a-t-elle plu ?
La maison de Plank avait résonné, il ouvrit la porte. Sur le seuil se trouvait cette personne. Lui,
pensa-t-il.
« Alors, Plank, tout rentre dans l’ordre ?
- Pas tout à fait, mais en fait il m’a semblé te connaître mais je ne retrouve que petit à petit mes
esprits.
- Oui, nous nous connaissons bien. Enfin je te connais bien tandis que tu ne m’as jamais vraiment
regardé. Je suis le petit, l’homme simple, j’incarne en quelque sorte tous ceux que tu as pu
dénigrer.
- Comment nous connaissons-nous ?
- Je suis Somer Sault. »
Plank eut un mouvement de recul, tout semblait s’éclairer maintenant.
« C’est moi-même que vous avez croisé à la terrasse d’un café, vous m’avez fait lire votre pièce de
théâtre et je vous ai enfin compris. Je dis enfin car en fait je vous connaissais de longue date. Nous avons
travaillé trois ans à deux pas l’un de l’autre. J’étais dans le compartiment 403 du bureau d’étude Abribus.
Ca vous revient ?
- Abribus, je me suis toujours senti attiré à m'y asseoir, comme si je les connaissais par cœur.
- Mais vous les connaissiez tous par cœur, vous étiez le meilleur élément du bureau, avec pourtant
si peu d’expérience. Seulement, vous étiez inaccessible donc peu efficace pour faire avancer
l’entreprise. J’étais à deux pas de votre bureau et vous ne m’avez jamais salué, vous arriviez
toujours dix minutes après moi, j’avais terminé mon tour du bureau pour saluer tout le monde.
Vous étiez considéré comme « le » génie de la conception d'aubette, mais un génie détesté. C’est
moi qui vous ai offert cette fameuse bouteille de genièvre.
- [---]
- Je n'y connais plus grand'chose et ici tout le monde me détestera toujours, je me suis moi-même
définitivement perdu.
- C'était une réponse à prévoir et je l'ai prévu. J'ai un autre plan, plus compliqué mais j'assure
toujours mes arrières. J'abandonne mon poste Abribus demain et nous partons tous les deux
demains pour la Californie, nous travaillerons dans le même secteur, je vous expliquerai. Vous
pourrez commencer une nouvelle vie, remise des compteurs à zéro. Comme ces Messier ou ces
autres disgraciés de Wikileaks. Personne ne vous connaîtra là-bas et vous pourrez être à nouveau
aimé, pour vos compétences.
- Eh bien...
- Je vous laisse la nuit pour y réfléchir, je viendrai vous voir demain et vous me direz ce que vous
décidez.
- Entendu.»
Après un signe bref de la main pour lui souhaiter un bon retour, Plank le vit s'éloigner rapidement.
Arrivés à l'aéroport international de Los Angeles, Somer et Plank furent tous deux reçu par Psipsi. Dans
la voiture, la radio expliquait le début d'une intervention armé des Etats-Unis dans la Flandre Maritime.
Les trois nouveaux collègues de travail avait déjà un logement de fonction, une voiture de fonction ainsi
que toutes les formalités administratives comme miraculeusement réglées.
Plank n’eut aucune raison de refuser cette nouvelle vie, ce nouveau départ presque inespéré. Il
reprit ainsi à partir de ce jour le chemin du bureau d’étude mais cette fois-ci en Californie, chez Boing
boing. La seule leçon qu’il pensa pouvoir tirer de cette histoire dont il avait pu recoller petit à petit les
morceaux était qu’il n’était pas bon pour un ingénieur de se rêver écrivain. Il cessa donc d’écrire et
rouvrit ses feuilles de calcul.

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