l`immobilier. Mais Laurent Derote aura exercé cent métiers dans un se
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l`immobilier. Mais Laurent Derote aura exercé cent métiers dans un se
LA VIE des acteurs Portrait Laurent Derote Un chasseur sachant chasser… l est LE chasseur de têtes de l’immobilier. L’un des plus capés du secteur, l’un des plus ouverts par la couverture d’un panel important de métiers, le plus stakhanoviste certainement. Quelle structure n’a pas eu recours, un jour ou l’autre, à ses services ? Laurent Derote est l’un de ces rares professionnels qui semble toujours avoir fait partie de la famille… depuis ses origines. Une sorte de mémoire vivante de l’industrie immobilière qui entend bien encore accompagner ses clients pour quelques cycles supplémentaires. Par Gaël Thomas - Photo Philippe Caron i Il n’aura connu qu’un seul secteur d’activité : l’immobilier. Mais Laurent Derote aura exercé cent métiers dans un secteur professionnel aussi atomisé. Car avant de devenir le chasseur de têtes que l’on connait, il aura travaillé pendant une douzaine d’années dans le monde de la maison individuelle. Lors de son stage de 3ème année à Audencia, la « Business School » de Nantes en 1975, il réalise, pour Maison Phénix Pays-deLoire, une étude de marché sur les maisons individuelles en Mayenne. La greffe prend immédiatement et le jeune professionnel fait ses premières armes auprès d’un directeur commercial particulièrement dynamique, Jean Py. En négociation une première fois, après deux ans et demi d’activité, avec Guy Parisot le DRH de la SCIC, filiale de la Caisse des dépôts, il refuse un poste parisien de responsable financier d’opérations pour rejoindre Maison Bouygues Pays-de-Loire où il suit son premier mentor pour lancer la quatrième filiale régionale du « challenger » de la maison individuelle. Cette nouvelle aventure de trois ans et demi lui permet de grimper tous les 64 échelons. Il y fait la connaissance de Nicolas Bouygues, premier président, revenu d’Iran, puis de Martin, d’abord directeur commercial aux côtés de son frère avant de devenir président de Maison Bouygues, futur héritier du groupe. Et s’y forge déjà une opinion sur ces deux chefs d’entreprises, qu’il relate avec une extraordinaire précision 30 ans après. Pour l’heure, Laurent Derote affirme ses ambitions au grand jour. Avec le départ de Jean Py puis de celui qui lui a succédé, il aspire, à 29 ans, à la direction générale de Maison Bouygues Pays-de-Loire. Le DRH du groupe s’y oppose, le trouvant trop jeune. Qu’à cela ne tienne, il se fait débaucher par Yvan BrunoPetit , n°3 de la maison individuelle. Toujours dans la même région, il propose de relancer la filiale locale ex-nihilo. « A la méthode Bouygues », rappelle-t-il aujourd’hui. « Beaucoup de moyens lors du lancement pour impacter le marché, et un retour sur investissement sur trois ans ». Laurent Derote travaille notamment avec un jeune dirigeant, de trois ans son aîné, directeur marketing du groupe et président de la filiale de lotissement France Terre : Guy Portmann. La période – de 1983 à 1985 – n’est guère propice aux affaires et la tâche n’est pas facilitée par des initiatives internes qu’il ne partage pas toujours. Laurent Derote s’accroche une première fois avec Yvan Bruno-Petit quand ce dernier décide unilatéralement de confier à Jacques Séguéla le lancement d’une campagne de publicité sur les Pays-de-Loire qu’il juge inadaptée dans une région très traditionnelle. La campagne fait un flop, les tensions s’accroissent avec le président et précipitent le départ de Laurent Derote malgré les 130 ventes et 90 chantiers réalisés ex nihilo dès la seconde année. Il rebondit immédiatement chez… Maisons Phénix et redécouvre la Capitale, son port d’attache initial. Dans un contexte de changement de gouvernance du groupe, sous la présidence de Gilbert Simonet, Laurent Derote prend la direction clientèle de Maison Phénix Ile-de-France - Normandie, première société du groupe, qui réalise 1 500 maisons par an. Il gère 2 000 dossiers clients, 500 MF de rentrées de fonds et manage pour cela 60 collaborateurs. « Pendant deux ans, je m’efforce d’apporter rigueur et méthode dans une société qui se distinguait surtout par sa dynamique commerciale », se souvient-il. Mais la vie de Laurent Derote ne saurait être un long fleuve tranquille. L’ensemble du comité directeur de Maison Phéwww.businessimmo.com - #71 - Mai 2011 LA VIE des acteurs Stratégie d’entreprise - Portrait - People Mai 2011 - #71 - www.businessimmo.com 65 LA VIE des acteurs Portrait Laurent Derote nix Ile-de-France Normandie saute à la suite d’une réorganisation imposée par son principal actionnaire, la Compagnie Générale des Eaux, lors de la création de la Compagnie Immobilière Phénix avec un certain Jean-Marc Oury. Le virage décisif A 34 ans, Laurent Derote aborde un tournant dans sa carrière de 11 ans. « Début 1987, voyant ce qui se passait chez Maison Phénix, je prends des contacts par prudence. Un cabinet de conseil en recrutement me propose un poste de consultant… chez lui, spécialisé sur l’immobilier. Je le rejoins le lendemain de mon départ effectif, en juillet 1987. Trois mois plus tard, je suis contacté par mon ancien employeur, Maison Bouygues, pour prendre la direction générale du Centre Interrégional d’Informations, la plateforme de vente du groupe. Mais j’opte finalement pour maintenir ma décision initiale, la nouveauté », relate-t-il aujourd’hui. Laurent Derote prend donc ses nouvelles fonctions dès l’été 1987 chez ce « chasseur de têtes » bien connu à l’époque. Les débuts sont idylliques. Spécialisé sur le logement, il traite missions sur missions, sans oublier l’un de ses dadas préférés, aller chercher le client. La période est faste, mais la gestion du cabinet se transforme et devient plus exotique. Lassé de la « stratégie divinatoire » de son patron, Laurent Derote change de boutique pour un cabinet généraliste : Daniel Porte Consultants. En novembre 1988, il rejoint une équipe créée et animée par deux quadragénaires sortis tous deux d’HEC, Daniel Porte et Jean-François Drouot-l’Hermine, pour monter de toutes pièces un département Immobilier et Construction. Mais Laurent Derote commence par goûter une autre fonction, peu connue par le secteur, celle de directeur immobilier. Souhait impérieux du président, il a en effet la tâche difficile de réunir, sur un même plateau de style « big five », les consultants du cabinet - dont certains affichent un fort ego - auparavant éclatés sur trois sites haussmanniens. Rationalisation déjà, qui fera migrer toute l’équipe des quartiers cossus de la Madeleine et de la rue d’Anjou, à la tour Winterthur à La Défense. Côté business, c’est pour l’heure l’ex- 66 pansion. Sur un budget prévisionnel de 1,8 MF en 1989, Laurent Derote va signer pour 7 MF de missions la première année de création de son pôle. Dans le même temps, il constitue son équipe, dont deux l’accompagnent toujours aujourd’hui : Sophie Vatté et Caroline Schütz . Pragmatique, Laurent Derote va chercher ses premiers clients chez… ses anciens employeurs. Il y signe ses premières missions de recrutement dans le secteur de la maison individuelle, mais étend rapidement son champ d’activité à la promotion en travaillant notamment pour l’un des plus grands groupes de la place : Sari - Seeri. C’est Charles Salphati, président de Sari - Seeri Régions, avec lequel il va nouer une relation de confiance et d’amitié, qui lui met le pied à l’étrier avant d’aborder l’Ile-de-France puis le groupe en recrutant son directeur de la communication. Entre 1989 et 1992, Laurent Derote n’effectuera pas moins d’une quarantaine de recrutements pour le groupe de Christian Pellerin, en travaillant notamment avec celui qui était présenté alors comme le dauphin, Frédéric Nyst . Olivier Wigniolle, par exemple, rejoindra ce dernier pour prendre la direction générale de Sari Conseil, venant d’Auguste Thouard, par son intermédiaire. Durant cette période faste, il travaille aussi pour Paul Raingold lorsque ce dernier conduit les débuts de l’opération « Cœur Défense », avec le groupe Pelège qui crée sa filiale loisirs. Ainsi va-t-il débaucher de la filiale Maisons Individuelles du groupe Ferinel Habitat (Maisons Ferret-Savinel) Gérard Ezavin , pour le placer comme « numéro 2 » de Pelège Loisirs, indisposant Alain Dinin qui venait de le recruter. Laurent Derote prend alors l’initiative de contacter directement ce dernier et se voit finalement confier la mission de recruter le remplaçant de celui qu’il vient de débaucher. Gracieusement pour ce premier galop d’essai. Les missions s’enchaîneront ensuite pour la filiale immobilière du groupe de Bernard Arnault , qui deviendra « George V ». Laurent Derote sera notamment chargé de trouver un successeur à Alain Béchade à la tête de Ferinel Industries et ira chercher un certain Daniel Valoatto, alors chez Kaufman & Broad. Au passage, il pratique aussi le rapprochement d’entreprises en intervenant dans la vente de promoteurs : Park Promotion à Kaufman & Broad, Get SA à France Terre… La grande crise La grande crise immobilière des années 90 vient brutalement gommer ces années fastes, notamment dans la promotion. L’heure est à la restructuration, financière dans un premier temps, avec la création de structures de défaisance. Et Laurent Derote identifie rapidement les besoins nouveaux issus de la nécessité de gérer les actifs sous-jacents des créances immobilières. C’est ainsi que le métier d’asset manager balbutie en France. Les premières équipes qui se forment sont constituées d’anciens chargés d’affaires financement promoteurs et marchands de biens, qui vont s’attaquer à la restructuration des créances douteuses, et de développeurs en promotion pour achever les programmes immobiliers récupérés et les vendre dans les meilleures conditions possibles. Il organise aussi le transfert des commercialisateurs, en mal de transaction, chez les investisseurs institutionnels, avec pour mission de remplir des bureaux désespérément vides. Et ils sont légion à l’époque. Laurent Derote tâte également de l’immobilier de commerce, en contact avec le président du CNCC, participant notamment au recrutement d’un nouveau délégué général, travaillant pour les grandes enseignes commerciales, pour Unibail lors de la reconfiguration de l’organisation « Cap 97 », auprès d’Olivier Lecomte et Michel Dessolain , pour le groupe Tréma au sein duquel il réalisera une bonne vingtaine de recrutements en deux ans pour le tandem Maurice Bansay - Roger Flament , en France et en Europe. Enfin, il participe à la constitution des premières équipes des fonds d’investissement anglo-saxons venus en 1995 pour ramasser des paquets de créances douteuses. Il est mandaté par le premier d’entre eux, Miles d’Arcy Irvine et son fidèle lieutenant Philippe Camus, afin d’étoffer les premières équipes de « Gestion d’Actifs Haussmann », futur Archon. Il y recrutera notamment Pascal Duhamel. Il placera également durant cette époque Lahlou Khélifi chez Goldman Sachs, plus tard, Adrien Blanc www.businessimmo.com - #71 - Mai 2011 LA VIE des acteurs Stratégie d’entreprise - Portrait - People chez Morgan Stanley et multipliera les missions chez les grands promoteurs de la place. Il se souvient notamment d’ Howard Ronson, ou encore du « triumvirat » de la Sorif (Pierre Grange, Nicolas Gence, Olivier de la Roussière), devenu Vinci Immobilier, pour lequel il a constitué une très grande partie des équipes d’opérations. Il réussira même à convaincre Inès Reinmann de prendre la tête d’une structure laissée en jachère par la Caisse des dépôts depuis la crise : Tertiaire SA, dont elle réussira à faire naître et à développer un des premiers promoteurs en immobilier d’entreprise : Icade – Tertial. On citera aussi, dans ce « tableau de chasse », Christophe Clamageran ou encore Jean-Claude Szaleniec pour le promoteur Meunier, alors co-dirigé par le tandem Jean-Paul Bertheau / Philippe Zivkovic . Les grands utilisateurs et les institutionnels ne manquent pas non plus à ce tableau, avec Claire Lesort et son équipe pour EDF-H4 aux côtés de Barthélémy Raynaud , Jean-Louis Brunet et Philippe Prouillac pour la constitution de la première équipe immobilière de France Télécom, Philippe Brion chez Generali, Guillaume Valarcher chez Groupama… Les conseils avec Laurent Castellani chez Keops et Thierry Laroue-Pont chez Atisreal devenu BNP Paribas Real Estate. L’aménagement public avec les équipes de l’Epad au début des années 1990. Le logement social notamment pour l’Opac de Paris lors de l’arrivée d’ Yves Laffoucrière. La volatilité inévitable La crise économique, Laurent Derote la vit également de l’intérieur. En 1993, Daniel Porte Consultants dépose le bilan et se redresse en quatre ans. « Dès mon arrivée en 1988, Daniel Porte m’avait confié sa volonté de vendre son entreprise. La crise ne s’y prêtait pas mais dès 1997, je lui ai proposé de filialiser le département Immobilier & Construction », relate-t-il. Les discussions débutent et s’éternisent. Entre-temps, avec plusieurs associés et en accord avec Daniel Porte , il fait une offre de rachat. Peine perdue, les deux parties ne sont pas d’accord sur le prix. D’autant qu’en 1998, Daniel Porte trouve un autre acquéreur, plus généreux, le groupe TMP Worldwide, à l’origine l’équivalent des Mai 2011 - #71 - www.businessimmo.com Pages Jaunes aux Etats-Unis, coté au Nasdaq et en quête de diversification dans le conseil en recrutement avec une stratégie de croissance externe mondiale financée par la forte croissance du titre après le rachat du portail Internet Monster. Qu’à cela ne tienne, Laurent Derote s’engage avec enthousiasme et pragmatisme dans cette nouvelle aventure. « J’ai le souvenir d’une convention hallucinante au Méridien Montparnasse où étaient réunis les 400 premiers cadres du groupe, avec un show à l’américaine nous expliquant le modèle de l’entreprise. Objectif premier : alimenter et valoriser, par tous les canaux possibles, le portail internet Monster, base de la valeur du titre. Les partners internationaux « executive search » de l’ex-TASA, racheté par TMP, dont les niveaux d’honoraires minimum par mission étaient à l’époque de 300 000 F regardaient médusés le CFO du groupe, assisté d’un analyste de Goldman Sachs, faire l’apologie de Monster, qui permettait de recruter à moins de 7 000 F par poste », se rappelle-t-il. Le développement effaçait toutes les contradictions. Pas pour longtemps ! Nous sommes fin 2000, à la veille de l’explosion de la bulle Internet d’abord masquée en France par le 11 septembre, qui va entraîner un effondrement de la valeur du titre TMP en Bourse. Le groupe opère un recentrage sur le recrutement et le conseil en ressources humaines sous la bannière Hudson, fort de 4 000 collaborateurs pour un volume d’activité annuel de 1,5 Md$ à l’époque. Autant dire qu’il faut avoir les nerfs solidement accrochés pour encaisser autant de va-et-vient qui viennent s’ajouter à l’incroyable volatilité de l’activité de chasseur de tête, en particulier dans l’immobilier. La dernière crise en est tout un symbole. « Nous avons connu les premiers signes d’une rupture de l’activité dès la rentrée 2007 dans la promotion résidentielle, puis lors du Mipim 2008 dans la promotion en immobilier d’entreprise. En septembre 2008, dans la foulée de la faillite de Lehman Brothers, l’ensemble des lignes de métiers est entré en profonde dépression », se souvient-il. D’une quinzaine de missions de recrutement par mois en 2007, l’activité passe à douze par mois en 2008 de janvier à juillet, puis elle tombe à deux ou trois postes mensuels. En 2009, son département réalise un volume d’affaires de 1 M€, contre plus de 3,5 M€ dans les années fastes ! L’ambition conservée Pour autant, Laurent Derote semble surfer sur les cycles avec aisance. Son « track record » plaide en sa faveur. Plus de 1 000 professionnels immobiliers ont été recrutés par ses soins en un peu plus de 20 ans d’activité. « Pour un chiffre d’affaires cumulé de 23 M€, avec une rentabilité moyenne supérieure à 12 % », précise-t-il avec une certaine fierté. Laurent Derote a su trouver sa voie, chasseur d’un côté et manager de l’autre. Parmi les qualités qui lui ont permis de durer dans ce métier volatile, il cite volontiers l’opiniâtreté, la capacité d’écoute, de compréhension, de synthèse et de conseil, le sens du service; un bon jugement et la perception de la psychologie d’autrui ; l’honnêteté et la déontologie. L’humilité aussi. « On peut être adulé un jour et honni le lendemain pour des raisons parfois obscures, totalement irrationnelles ou tout simplement sans jamais savoir pourquoi », reconnaît-il. « La chasse de tête est un métier qui dérange et le moment le plus dangereux est souvent celui ou on s’y attend le moins, lorsque tout semble vous réussir au sein d’un groupe client. Ceci dit, l’inverse est vrai aussi et il arrive qu’on revienne vers vous, là encore quand vous vous y attendez le moins ». Les contrats se jouent à peu de choses… Impulsif - il le reconnaît volontiers – Laurent Derote n’en est pas moins un travailleur infatigable – pas moins de 80 heures par semaine, week-end compris. A peine le temps de rejouer ses classiques au piano, Chopin et Liszt en premier lieu, d’écouter ses morceaux de jazz préférés et ses enregistrements vintage des années 1973/1976 lorsqu’ étudiant, il était disc-jockey pour animer les soirées nantaises. Ses nouveaux défis ne vont guère lui laisser plus de temps pour son épouse et ses deux grands fils, dont l’aîné est ingénieur SSII auprès d’Orange et le cadet, centralien, s’exerce chez Morgan Stanley à Londres. Qu’on se le dise, notre chasseur est toujours à l’affût. 67