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PRIX DE L’EQUERRE D’ARGENT 2016 – 21 novembre 2016
Discours d’ouverture de Catherine JACQUOT, présidente du Conseil national de l’Ordre
Excellence ou exception ?
Nous sommes là aujourd’hui pour célébrer
l’excellence. Une fois par an est distingué un
projet qui rend visible le travail d’architecture :
l’insertion dans un site, le symbole d’une fonction,
la poésie de la lumière sur la surface sensible des
matériaux, la pertinence de la conception pour
l’usage auquel il est destiné, la sobriété et
l’économie de son fonctionnement. C’est un acte
important, croisement entre une pratique, une
œuvre et un exercice critique de la pensée.
Au fil du temps les prix de l’Equerre d’argent sont
la trace d’une histoire de l’architecture qui révèle
l’actualité d’une société qui façonne son cadre de
vie : l’architecture et la ville sont la mémoire bâtie
d’un mode de vie à travers l’histoire.
Le prix de « l’Equerre d’argent » du Moniteur et
d’AMC salue une démarche, un processus dont les
ramifications s’enfoncent loin dans le tissu social
par les savoir-faire professionnels qu’elle met en
valeur et par la signification que le bâtiment
prendra dans sa fréquentation par le public, dans son usage ordinaire par l’habitant.
Alors le prix prend un sens qui place l’œuvre non pas, seulement comme une exception mais comme
une réponse architecturale et urbaine aux exigences contemporaines de la société.
Mais pour que l’excellence ne soit pas l’exception, pour qu’elle se ramifie sur tout le territoire, il faut
créer un cadre propice à sa réalisation.
La compétence est au service d’une architecture de la transformation.
En effet, la lente prise de conscience de la crise climatique qui menace notre planète, nous incite à
transformer nos modes de vie et à concevoir différemment l’aménagement des territoires et la
construction de nos bâtiments. La ville du XXème siècle est un modèle obsolète. Il nous faut
aujourd’hui un projet urbain qui rénove bourgs et friches, reconstruit sur des territoires déjà urbanisés
en ménageant les terres naturelles dans l’urgence de la sobriété énergétique et de la décarbonation
de la planète.
Nous avons besoin que les conditions économiques et structurelles permettent de développer la
recherche et l’innovation dans la conception des bâtiments, des quartiers et des bourgs menée par les
Ecoles d’architecture, leurs laboratoires de recherche et les agences d’architecture en partenariat avec
tous ceux qui participent à l’élaboration du cadre bâti.
L’excellence ne sera pas une exception si nous ne restons pas une discipline isolée dont les missions se
réduiraient au design de l’enveloppe, mais si nous prenons en compte ce double enjeu de l’excellence
de l’ enseignement, de la recherche et de l’ancrage dans une réalité la plus proche des exigences
sociales, économiques et environnementales de la société.
C’est par le croisement et la complémentarité de l’expérience locale et de la compétence des
professionnels , ingénieurs , architectes, paysagistes.. que nous pourrons obtenir finesse et pertinence
du projet de réhabilitation, de construction ou d’aménagement.
L’architecture contemporaine entre en résonnance avec son environnement, s’intègre dans un
écosystème où l’histoire et la géographie sont embrassées dans un cycle de vie, une contre utopie qui
délaisse le modèle mais transforment l’existant.
Un cadre législatif et réglementaire qui place l’excellence dans l’architecture du quotidien est
nécessaire.
C’est à partir du constat de la médiocrité de l’aménagement de certains territoires en périphérie des
villes et des bourgs, de la pauvreté des documents d’urbanisme qui conduit au zonage et au mitage
des terres agricoles, de l’insuffisance du recours à l’architecte mettant en péril la qualité architecturale
dans notre pays que Le député Patrick Bloche a rédigé un rapport sur la création architecturale.
Pour que ce rapport et celui de Vincent Feltesse consacré à l’enseignement de l’architecture ne restent
pas lettres mortes, le ministère de la Culture, avec la direction générale des patrimoines (DGP), met en
place une Stratégie Nationale pour l’Architecture qui dégage trente propositions sur les thèmes de la
sensibilisation, du patrimoine architectural contemporain, de la formation et de la recherche, de
l’expérimentation et de la valeur économique de l’architecture.
Suite à la SNA et quarante ans après la loi sur l’architecture de 1977, la loi relative à la liberté de
création, à l’architecture et au patrimoine, dite loi LCAP, votée le 7 juillet 2016, est une avancée
significative pour la qualité architecturale dans des territoires qui n’y avait pas accès.
Elle étend le champ d’intervention de l’architecte dans le champ de la construction et de
l’aménagement souvent sans qualité des zones résidentielles d’activités ou de commerces qui
constituent l’essentiel des périphéries urbaines et qui ont tant contribué à la désertification des bourgs
ruraux.
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En abaissant le seuil de recours à l’architecte à 150m² de surface de plancher d’une maison
individuelle.
- En autorisant à réduire les déliais d’instruction du permis de construire lorsqu’ un architecte
dépose un permis sous le seuil de recours obligatoire de 150 m².
- Enfin et surtout en imposant le recours à l’architecte dans les permis d’aménager les
lotissements.
Le recours à l’architecte pour l’établissement du projet architectural paysager et environnemental des
permis d’aménager les lotissements est une avancée majeure de la loi an faveur de la qualité
architecturale et urbaine en France. Cependant ce recours est assorti d’un seuil.
La loi LCAP en unissant plus étroitement patrimoine architectural et architecture contemporaine réduit
la césure entre patrimoine et architecture contemporaine. Celle-ci est très dommageable alors qu’une
conception et une construction durable exigent que nous réhabilitions les bâtiments et recyclions
matériaux et éléments de construction. Ainsi les sites patrimoniaux remarquables réuniront les
compétences de tous les architectes. Le patrimoine de moins de 100 ans souvent menacé par la
méconnaissance du public bénéficiera d’un label qui éveillera l’intérêt des élus et des particuliers.
La loi sécurise les modes de dévolution de la commande publique en consacrant la procédure du
concours et en imposant une maitrise d’œuvre identifiée pour la conception et le suivi des travaux
dans les contrats globaux.
Elle ouvre l’architecture et l’urbanisme à l’innovation et à la recherche appliquée avec le « permis de
faire» pour les équipements publics, les logements sociaux et les opérations d’intérêt national (OIN).
Ainsi un cadre de dérogations au code de la construction , au code de l’urbanisme notamment va être
fixé pour substituer à une imposition de moyens par la norme, une réalisation d’objectifs avec la mise
en place de dispositifs novateurs.
Les décrets de la lois sont en train d’être rédigés et les mêmes intérêts qui se sont opposés au vote de
la loi se font virulents pour la vider de sa substance.
Le recours à des compétences pluridisciplinaires dont celles de l’architecte dans le permis d’aménager
suscite beaucoup d’opposition, Avec le ministère de la culture nous nous efforçons de montrer
combien il est important que le seuil de recours soit le plus bas possible pour que l’esprit de la loi soit
respecté et qu’une réelle transformation de l’aménagement des territoires passent dans les actes.
Nous avons fixé le seuil d’un commun accord avec les aménageurs lotisseurs, avec les paysagistes et
les urbanistes à 2000m2 (soit quatre lots de maisons individuelles). Nous sommes tous conscients de
l’enjeu que cela représente pour que la qualité de l’aménagement des territoires urbains et ruraux,
pour que la revitalisation des centres bourgs soit mise en œuvre.
La diffusion de la culture architecturale est l’autre face d’une architecture démocratisée.
La loi est déterminante pour imposer l’intérêt public de l’architecture dans une arène où se disputent
des intérêts économiques défendus par des partenaires puissants.
Nous savons qu’un projet de qualité est le résultat d’un processus vertueux où chaque acteur est partie
prenante, de l’élu à la maitrise d’ouvrage privée et publique, à la maitrise d’œuvre et aux entreprises
mais rien ne se fera si nous n’emportons pas l’adhésion du public.
Dans notre pays riche d’art et d’histoire, la culture architecturale n’a pas l’audience qu’elle devrait
avoir.
Tant que la culture architecturale et urbaine sera réservée à une minorité, nous architectes
manquerons cruellement d’une critique socialement étayée. Nous avons besoin d’une maitrise d’usage
exigeante qui demanderait toujours plus d’architecture , de qualité pour les lieux de travail , les
logements , les espaces publics. Nous avons besoin que les citoyens soient sévères avec ceux qui
menacent l’harmonie de leur cadre de vie, qui veulent séparer au lieu d’unir, qui veulent contrôler au
lieu de susciter le débat.
Dans la chaine des savoirs et de l’expérience qui constitue le processus de fabrication du bâtiment
dans son environnement, nous saluons aujourd’hui avec les prix de l’Equerre d’Argent, le sens aigu de
la responsabilité de l’architecte qui, par son imagination créatrice, met la beauté de l’ouvrage au
service d’une responsabilité sociale, économique et environnementale.
Catherine Jacquot