la professionnalisation de l`armee polonaise
Transcription
la professionnalisation de l`armee polonaise
LA PROFESSIONNALISATION DE L’ARMEE POLONAISE Par Dorota RICHARD Docteur en sciences politiques et relations internationales, spécialiste de l'Europe Centrale et Orientale, enseignante à l'Institut d'Etudes Politiques d’Aix-en-Provence Le 6 décembre 2008, l’armée polonaise a procédé à la dernière conscription. En 2010, elle est intégralement professionnelle. Il s’agit de l’aboutissement d’un long processus de transformation initié dans les années 90, accéléré par l’adhésion à l’OTAN en 1999 et la participation à de nombreuses missions internationales. En particulier, l’expérience acquise lors de la mission en Irak a donné l’impulsion décisive au passage à l’armée professionnelle. Toutefois, cette professionnalisation et la modernisation technique qui doit l’accompagner, exigent un effort budgétaire considérable. L’aggravation du déficit public suite à la crise financière et économique mondiale a eu pour conséquence des coupes dans les dépenses militaires en 2009 et la révision à la baisse des effectifs et des programmes de modernisation jugés trop ambitieux. Les conséquences de l’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne L’appartenance à l’OTAN et à l’Union européenne est un facteur essentiel qui façonne l’environnement de sécurité de la Pologne.1 Il est dans son intérêt, en tant que pays frontalier des deux organisations, de contribuer au renforcement du potentiel et des capacités de défense de l’OTAN et de l’UE. Cette contribution exige une modernisation du système de défense permettant de s’approcher des standards des autres pays membres de l’OTAN et de l’UE. De ce point de vue, au cours des années 1999-2009, l’OTAN a stimulé les changements dans l’armée polonaise. Le processus de transformation de l’armée a commencé dès la dissolution du Pacte de Varsovie. La période précédant l’adhésion à l’Alliance atlantique, manquant de vision claire du modèle d’armée recherché, a été caractérisée avant tout par la réduction drastique des effectifs. Jusque-là, les problèmes qui s’accumulaient au fil des années, ne trouvaient que des solutions partielles, à court terme et en général de nature organisationnelle. Faute de moyens, aucune politique rationnelle d’achat d’armes n’avait été élaborée. En conséquence, la capacité de combat n’avait cessé de baisser, tout comme d’ailleurs le niveau d’entraînement des troupes. Les réformes de 1997 et de 1998 avaient fixé les grands axes de restructuration et de modernisation, mais avaient cruellement manqué de financement. Après l’adhésion à l’OTAN, l’armée polonaise, peu mobile et tournée essentiellement vers la défense territoriale, a dû changer de caractère afin de remplir la gamme complète des missions de l’Alliance.2 Ce processus s’est avéré d’autant plus complexe que l’OTAN était elle1 2 La Pologne a adhéré à l’OTAN en 1999 et à l’Union européenne en 2004. Voir l’article du général F. Gagor, chef de l’Etat-major dans Bellona 4/09. 1 même en pleine transformation, notamment avec le lancement de l’engagement capacitaire de Prague et la création de la Force de réaction de l’OTAN (NRF). Il en résulta l’accélération des réformes et de la modernisation technique de l’armée polonaise. La loi du 25 mai 2001, en fixant les dépenses de défense au minimum à 1,95% du PIB, a fourni, pour la première fois, un cadre stable de financement de l’armée. Au moins 20% du budget militaire devait être destiné à la modernisation technique. Ce type de dépenses a suivi une évolution croissante pour atteindre 20% en 2006. Ainsi, au cours de la décennie qui a suivi l’adhésion à l’OTAN, l’armée a pu bénéficier de la forte croissance du PIB. Cela a facilité le financement de sa modernisation. Concernant les effectifs, la réduction massive des années 90 (400 000 en 1989 et près de 200 000 en 1999) a été poursuivie après l`adhésion à l`OTAN. En parallèle, l`armée a continué progressivement sa professionnalisation. Année Total des effectifs 1990 260 900 1995 218 260 1999 194 480 2002 161 811 2005 137 803 Conscrits 169 150 129 660 118 000 81 310 59 900 Effectifs 91 750 88 600 82 280 80 501 77 903 professionnels Taux de 35,2% 40,6% 42,3% 49,8% 56,5% professionnalisation Sources : Statistiques du Ministère polonais de la défense nationale 2008 132 362 51 710 80 652 61% 2010 100 000 0 100 000 100% Ces deux processus, la réduction des effectifs et la professionnalisation progressive, ont été accompagnés d’un changement structurel de l’armée. A partir de 2004, la structure intérieure des forces armées a été modifiée par l’augmentation systématique de la part des forces professionnelles. Les effectifs dans le corps des officiers, pléthoriques dans les années 90, ont été fortement réduits au profit du corps de sous-officiers. Par ailleurs, le niveau des soldats de métier a été créé. Le fait marquant est le changement de génération. La majeure partie des militaires ont commencé leur carrière après 1999. L`adhésion à l’OTAN a également provoqué des modifications dans les programmes de formation et d`entraînement ainsi que dans les programmes des établissements d`enseignement militaire. Par ailleurs, plus de 2 500 officiers ont suivi des formations à l’étranger, essentiellement aux Etats-Unis, mais aussi en Grande-Bretagne, France, Allemagne, Canada et Pays Bas. Le principe de la modernisation du système de défense est inscrit dans la Stratégie de Sécurité Nationale de 2007. Elle souligne la nécessité de moderniser les forces armées et de développer leurs capacités à coopérer avec les forces armées alliées. Il s’agit de la sécurité du pays, mais également de sa crédibilité en tant qu’allié non seulement du point de vue politique mais aussi stratégique et opérationnel. Le rôle important que la Pologne ambitionne de jouer au sein de l’OTAN, de l’UE et sur la scène internationale en dépend. D’autant plus que l’adhésion à ces deux organisations a élargi ses engagements internationaux. La Stratégie annonce le maintien par les forces armées de leurs capacités à participer aux opérations extérieures multinationales de l’OTAN, de l’UE ou des coalitions « ad hoc » en accord avec le droit international. La transformation de l’armée annoncée dans la Stratégie prévoit la modernisation de l’armement et de l’équipement (le remplacement nécessaire du matériel obsolète) ainsi que 2 la poursuite de la réorganisation des structures améliorant la mobilité de l’armée. Y est également inscrite la poursuite du processus de professionnalisation. A côté des forces opérationnelles, la Stratégie annonce la création des Forces nationales de réserve. Il s’agit de forces de défense territoriale modernes et bien équipées, permettant le cas échéant d’augmenter le potentiel de défense du pays. Dans un contexte de menaces asymétriques, la Stratégie souligne l’importance des Forces spéciales, mieux préparées aux opérations menées contre ce type de menaces. S’adapter pour participer aux opérations extérieures La participation des contingents militaires polonais aux missions internationales a mis en évidence la nécessité de passer d’un modèle d’armée mixte à une armée intégralement professionnelle. Entre 1953 et 1999, les militaires polonais ont pris part à une cinquantaine de missions de maintien de la paix et missions humanitaires mandatées par l’ONU. Dès juin 1999, la Pologne, en tant que nouveau membre de l’OTAN, a envoyé un contingent au Kosovo. Toutefois, c’est la participation à la « coalition des volontaires » en Irak qui a donné la plus forte impulsion à la transformation de l’armée polonaise. C’était la mission la plus importante effectuée depuis la seconde guerre mondiale. Plus de 15 000 militaires y ont participé entre 2003 et 2008 (10 rotations). Cette mission a mis en évidence que seules des forces professionnelles pouvaient disposer de capacités nécessaires de projection, d’une compatibilité réelle du matériel et d’une interopérabilité suffisante avec les autres forces alliées. Dans le cadre de cette mission, la Pologne a assumé le commandement de la Division Multinationale Centre-Sud. L’expérience acquise en Irak a largement influencé les changements structurels de commandement, les choix dans le domaine de la modernisation de l’armement et du matériel ainsi que et dans les programmes d’entraînement. Cette expérience de commandement d’un groupement tactique multinational (au début de la mission, les contingents de 24 pays ont été placés sous commandement polonais) d’après les procédures de l’OTAN s’est traduite notamment par la restructuration des institutions centrales de l’armée polonaise. La structure de l’Etat-major a même été modifiée afin d’améliorer l’interopérabilité avec les structures de l’OTAN. Ainsi le Commandement Opérationnel Intégré des forces armées a été créé. Il est désormais responsable de toutes les opérations extérieures et de tous les contingents militaires qui y sont engagés. Dans le domaine de la logistique, la mise en place de l’Inspectorat de renforcement des forces armées permet la gestion logistique des forces armées sur le territoire national et à l’étranger. Dans ce cadre, deux brigades logistiques autonomes ont été créées. Enfin, les forces spéciales qui jouent un rôle particulièrement important dans les opérations de crise, ont obtenu le statut de « quatrième type des forces armées ». L’armée de terre a sensiblement évolué depuis 2003. Des progrès importants ont été accomplis dans l’utilisation des procédures permettant une meilleure interopérabilité avec les alliés et dans l’utilisation de l’anglais. Sur la base de l’expérience en Irak et en Afghanistan, de nouvelles méthodes plus efficaces de mise en condition opérationnelle ont été élaborées. Le cycle de préparation a été allongé de 6 à 12 mois pour les opérations extérieures. La mission en Irak exigeait de nouveaux types d’armement et du matériel militaire. Il en résulta l’accélération 3 de la modernisation technique des forces armées. La poursuite de ce processus est inscrite dans les programmes de modernisation de l’armée polonaise pour les prochaines décennies. « La vision des Forces Armées de la République de Pologne – 2030 » Au mois de mai 2008, le Ministère de la défense nationale a présenté ses principes de transformation des forces armées dans un document intitulé : « La vision des Forces Armées de la République de Pologne – 2030 ». Ce document prend en compte les analyses des principales tendances déterminant l’environnement géostratégique et les menaces, le progrès technologique et l’innovation, les tendances dans les armées d’autres pays, l’analyse des documents de l’OTAN et de l’UE. Les intérêts nationaux sont définis dans le contexte d’appartenance à ces deux organisations. Ainsi les forces armées polonaises doivent défendre l’indépendance du pays et l’inviolabilité des frontières de l’UE et de l’espace euroatlantique. Pour cela, la Pologne doit accroitre son engagement dans le renforcement des capacités de défense de ces deux organisations, ainsi que la participation de ses forces armées aux initiatives contribuant à stabiliser l’environnement international.3 Dans les 20-25 prochaines années, les forces armées polonaises seront essentiellement engagées dans des opérations hors du territoire national – dans le cadre d’opérations de réaction aux crises de l’UE, de l’OTAN ou de coalitions des Etats. Ces opérations seront réalisées essentiellement au sein des forces multinationales. Pour que les forces armées puissent remplir le rôle qui résulte de l’analyse des intérêts nationaux et du contexte international, leur professionnalisation est nécessaire. Cela permettra d’atteindre un haut niveau de capacité de combat, une capacité de projection stratégique immédiate (par voies aérienne et maritime), un niveau technologiquement avancé d’équipement et d’armement. Les forces professionnelles auront des structures intégrées de commandement, de reconnaissance, de renforcement et de logistique. Les missions des forces armées polonaises, au vue de la faible probabilité des menaces militaires directes pour la sécurité nationale, engloberont essentiellement les opérations de réaction aux crises, les missions de stabilisation, les opérations antiterroristes, les opérations internationales de protection des infrastructures d’extraction et de transport des ressources énergétiques. Pour mener ses futures missions, les forces armées doivent avoir des capacités opérationnelles adéquates : une capacité de reconnaissance efficace pour récolter les informations concernant l’adversaire et l’environnement opérationnel, indépendamment des conditions atmosphériques, de jour comme de nuit, un haut degré de mobilité avec une capacité de transport stratégique, une capacité à poursuivre durablement toute opération engagée, ce qui implique le développement des capacités logistiques. La réduction des effectifs doit s’accompagner de l’augmentation des capacités de combat grâce aux systèmes d’armement et au matériel militaire technologiquement avancés. « La vision des Forces Armées de la République de Pologne – 2030 » Ministère de la Défense Nationale, page 11. 3 4 L’organisation des forces armées devant être en adéquation avec ses missions, on privilégiera le « jointness4 ». Le système intégré de commandement des forces armées se caractérisera par une structure moins verticale, donc une chaine de décision plus courte. Par ailleurs, un changement important consistera à séparer clairement les fonctions de planification, de commandement, de renforcement et de logistique. Les forces armées seront composées de : L’armée de terre : hautement mécanisée, de grande mobilité et dotée d’une capacité de manœuvre proche des forces aéromobiles, L’armée de l’air : les forces les plus intégrées avec les forces de l’OTAN et l’UE, Les Forces spéciales, caractérisées par le plus haut degré de capacité de combat et d’entraînement, joueront un rôle de plus en plus important en raison du caractère des nouvelles menaces, Les forces d’information : rempliront les missions de reconnaissance et de guerre électronique, La gendarmerie militaire constituera, en dehors des missions internes dans les forces armées, un élément important des forces de stabilisation réalisant des opérations à l’étranger (mission de police), Les Forces de réaction : disposent du plus grand potentiel de feu. Les effectifs seront composés de trois corps de militaires professionnels et de volontaires contractuels. A l’horizon 2030, le corps des militaires du rang (essentiellement contractuels) constituera 55-60% des effectifs des forces armées, le corps des sous-officiers 30% et le corps des officiers 10-15%. Afin de mener à bien le processus de professionnalisation, le document prévoit la mise en place d’un système de motivation. L’armée deviendra un acteur du marché du travail, où elle sera en concurrence avec les employeurs civils. L’ouverture du marché européen aux travailleurs polonais depuis l’adhésion à l’UE, la dynamique de la croissance intérieure et à plus long terme la baisse démographique peuvent provoquer des tensions sur le marché du travail. Il faudra donc prendre des mesures pour rendre l’armée plus attrayante, notamment en augmentant les salaires, en améliorant les plans de carrière ainsi que le système de formation professionnelle pour améliorer les qualifications, sans oublier les conditions sociales, comme par exemple l’hébergement. Le document souligne la nécessité d’améliorer les capacités opérationnelles des forces armées polonaises grâce à la modernisation technique, ce qui se traduira par l’introduction de systèmes modernes d’armement et de matériel. Terme qui désigne aux USA la coopération à tous les niveaux des processus militaires, de la recherche aux opérations sur le terrain en passant par l’approvisionnement. L’objectif est d’augmenter l’efficacité tout en faisant des économies. 4 5 La professionnalisation : une nécessité plus qu’un choix Le 5 août 2008, le gouvernement de centre droit de Donald Tusk a adopté le « Programme de professionnalisation de l’armée pour les années 2008-2010 ». L’accélération de ce processus et la réforme des structures de commandement figuraient dans le programme électoral de la Plateforme Civique pour les élections législatives d’octobre 2007. La réforme annoncée concerne trois domaines : la professionnalisation des effectifs, la modernisation technique et la formation. Ceci s’est déroulé dans un contexte international tendu avec l’éclatement du conflit entre la Géorgie et la Russie qui a rappelé la nécessité de devoir faire face à un conflit armé de faible intensité tout en étant en mesure d’accueillir et de coopérer avec les forces de renforcement de l’OTAN. Le modèle mixte de l’armée en vigueur, combinant des conscrits et des effectifs professionnels, était le résultat de plusieurs réformes antérieures. La part des effectifs professionnels continuait à progresser en dépassant 60% en 2008. Une nette accélération du processus a eu lieu après 2003, l’année de l’engagement de la Pologne en Irak. A la même époque commença le débat sur le passage à une armée intégralement professionnelle. Le modèle mixte faisait coexister au sein de l’armée polonaise deux catégories de forces armées : les unités de réaction rapide, relativement bien armées, avec un niveau de capacité de combat élevé, les unités de seconde ligne d’une faible capacité de combat, caractérisées par un armement et des équipements dépassés, un cycle d’entraînement plus court et une faible motivation. Du point de vue des objectifs et des ambitions déclarés, le modèle mixte ne pouvait pas être maintenu. Les changements dans l’environnement de sécurité après la guerre froide et l’apparition de nouvelles menaces, les nouvelles opérations extérieures et la nécessaire projection des forces ainsi que les programmes de modernisation technologique dans les armées alliées exigeaient des adaptations. Les forces préparées pour la défense territoriale ne correspondaient ni à ces nouvelles tendances ni aux nouveaux défis de sécurité. De plus dans ce modèle mixte, une part importante des jeunes hommes concernés évitaient la conscription. Les conscrits provenaient principalement des petites villes et des campagnes, souvent des milieux peu favorisés. Les étudiants étaient exemptés de service militaire. Le cycle d’entraînement de 9 mois ne permettait de préparer que les forces de réserve, inadaptées aux besoins opérationnels. Le maintien de la conscription était donc en contradiction avec les priorités de l’OTAN et l’UE. Cependant, le milieu militaire était, pour plusieurs raisons, réticent à l’’abandon de la conscription. L’augmentation importante du budget de défense en cas de professionnalisation des armées était également un argument important en faveur du statu quo. Par ailleurs, la Pologne, pays frontalier de l’OTAN et de l’UE, devait disposer de forces territoriales (une réserve) pour défendre sa frontière orientale. Enfin, le service national était considéré comme le principal devoir du citoyen. Cela était conforme à l’image de l’armée ancrée dans la tradition polonaise – une armée de patriotes défendant les intérêts nationaux. L’armée professionnelle aux effectifs réduits ne correspondait pas à ce modèle cher à des générations de Polonais. 6 Le processus de professionnalisation intégrale des forces armées englobant la transformation qualitative et quantitative des effectifs et du matériel, les changements seront menés progressivement, de manière à ce que les forces armées continuent à remplir leurs engagements. Deux conditions doivent être remplies pour mener à bien le processus. La première concerne le processus législatif et la deuxième, la mise en place d’un système de motivation, qui permettra de susciter un nombre suffisant de vocations. Le programme de professionnalisation adopté par le gouvernement polonais en août 2008 prévoit qu’à la fin 2010, les effectifs ne dépasseront pas les 120 000 hommes (soldats et réservistes). Le chiffre de 120 000 a été retenu comme un compromis raisonnable entre les besoins dans le domaine de défense et les capacités de financement de l’Etat polonais. Le problème de financement est en effet crucial. La différence des dépenses entre la Pologne et les membres européens de l’OTAN, mesurée en dépense par soldat, est très importante : la Pologne dépense 3 fois moins. On estime qu’en 2009 seulement 10% de soldats suivaient une formation respectant intégralement les standards de l’OTAN. L’accentuation des contraintes financières suite à la crise de 2008. A l’automne 2008, la crise financière mondiale commence à toucher la Pologne. Les prévisions économiques à la base du budget 2009 se révélèrent trop optimistes. La fuite des capitaux étrangers provoqua une dépréciation considérable de la monnaie polonaise. Dans cette situation, le gouvernement de Donald Tusk décida de mener une politique budgétaire restrictive afin de limiter l’augmentation du déficit des dépenses publiques. Ainsi, au mois de février 2009, il a été demandé à tous les ministres de réviser à la baisse leurs budgets. Au total, les coupes budgétaires ont représenté 19,7 milliards de zlotys. Les économies du ministère de la défense, les plus importantes, se sont élevées à 1,947 milliard de zlotys. Cela représentait 7,9 % du budget initial du ministère de la défense pour 2009, fixé à 24,497 milliards. Le premier ministre a même évoqué « une nécessité de modifications législatives »5 de la loi sur la modernisation des forces armées qui imposait des dépenses de défense à hauteur de 1,95% du PIB et des dépenses d’investissement à 20% du budget de la défense au minimum. En 2009, le budget d’investissement du Ministère de la Défense devait s’élever à 5,2 milliard de zlotys et devait être le plus élevé depuis la disparition du Pacte de Varsovie. Cependant, les coupes budgétaires ont entraîné des diminutions de dépenses d’investissement et donc un ralentissement de la modernisation technique, un des piliers de la professionnalisation. Pour y remédier, l’Etat-major a préparé le « Plan de modernisation technique des Forces armées 2009-2010 » adaptant les dépenses militaires en fonction des nouvelles contraintes budgétaires.6 Ce document n’a pas été rendu public, seules ses grandes lignes ont été rapportées par les médias. Ainsi, les dépenses seront concentrées sur trois priorités : la professionnalisation des forces armées, la mission du contingent polonais en Afghanistan, et l’appui à l’industrie de défense polonaise. La part du budget prévue pour la professionnalisation a été préservée. Conformément au plan de professionnalisation du mois d’août 2008, le processus doit être réalisé à la fin 2010. La question essentielle qu’il fallait trancher concernait les effectifs. Après des hésitations, la réalité 5 6 « Kryzys rozbroi armie » /La crise va désarmer l’armée/ Gazeta Wyborcza 29/01/09. Le ministre de la défense nationale a signé ce plan rectificatif le 2 mars 2009. 7 des finances publiques a prévalu. L’armée professionnelle aura un effectif de 100 000 hommes, avec l’ambition d’atteindre 120 000 en 2012 grâce à la constitution des Forces nationales de réserve (20 000 hommes).7 La priorité absolue a été donnée à la mission en Afghanistan. Après quelques hésitations, le contingent polonais de 1 600 militaires (basé dans la province de Ghazni) a été renforcé par 400 militaires supplémentaires. Une réserve stratégique de 200 militaires a été constituée. A la mi-mars 2009, 70 spécialistes de l’aviation ont rejoint le groupe multinational qui assume le fonctionnement de l’aéroport international de Kaboul. Par ailleurs, le ministre de la Défense nationale a pris la décision d’augmenter les capacités de combat du contingent en augmentant sa composante de combat au détriment des unités de soutien. Afin d’améliorer la sécurité des militaires, le contingent bénéficiera de nouveaux matériels militaires, armements et équipements individuels. Le groupe pour les opérations spéciales basé à Kandahar a été transféré dans la province de Ghazni. L’augmentation des capacités opérationnelles était nécessaire en prévision des attaques accrues des rebelles au printemps et en été 2009.8 Cela est lié à l’élection présidentielle en Afghanistan au mois d’août et à l’intensification des actions des talibans dans les provinces voisines de Ghazni. Malgré l’effort accru en faveur de la mission en Afghanistan, les opérations extérieures n’ont pas échappé aux économies. Notamment le gouvernement a pris la décision concernant le retrait des contingents polonais du Tchad, du Liban et de la Syrie9. En dehors des restrictions budgétaires, cette décision résultait aussi de la nouvelle stratégie du gouvernement polonais dans le domaine des opérations extérieures : la priorité donnée aux missions de l’OTAN et de l’UE. La raison politique évoquée était le renforcement de la position de la Pologne dans ces deux organisations. Toutefois, ce retrait résulte avant tout des capacités limitées de financement et de l’insuffisance des effectifs. Dès 2008, plusieurs programmes de modernisation essentiels pour les forces armées ont accusé des retards, faute de budget : systèmes de défense antiaérienne et antimissile, hélicoptères, navires pour la Marine. La réalisation de ces programmes exigerait un programme de financement gouvernemental semblable au programme F-16. Les économies concernaient en premier lieu les importations. Malgré la priorité donnée à l’industrie d’armement polonaise, la renégociation de nombreux contrats pluriannuels a commencé immédiatement après la signature de « Plan de modernisation 2009-2010» par le ministre. La renégociation portait soit sur la diminution des commandes soit sur l’allongement de la durée de financement aux années suivantes. Ainsi, environ 160 contrats doivent être renégociés. La priorité a été donnée aux contrats les plus menacés, tout en évitant de mettre les producteurs nationaux en faillite. En revanche, les commandes pour les opérations extérieures ne seront pas diminuées. « Krotka koldra MON » /La couverture trop courte du Ministère de la Défense/ interview du ministre de la défense nationale, B. Klich. Newsweek Polska 09/03/2009. 8 « MON : wiecej smiglowcow do Afganistanu » /Ministère de la défense : plus d’hélicoptères pour l’Afghanistan/ Rzeczpospolita 05/03/2009. 9 Le retrait de trois contingents était effectif en décembre 2009. 7 8 Le budget 2010 La mort d’un officier polonais en Afghanistan en août 2009 a suscité une vague des critiques concernant les coupes dans le budget de la défense. Les insuffisances dans l’armement, l’équipement et l’entraînement du contingent polonais ont été mises en cause au sein de l’armée elle-même. Les critiques concernant les procédures bureaucratiques et les lenteurs de l’administration responsable des achats d’armement émises par le Commandant de l’Armée de Terre ont provoqué la démission de ce dernier.10 Face à la polémique, le gouvernement a réagi en simplifiant les procédures d’achat d’armements et des équipements pour les opérations extérieures, notamment en levant l’obligation des accords de compensation pour ce type d’achat.11 Le plan spécifique d’achat du matériel pour la mission en Afghanistan dans les années 2009-2010 a été présenté par le gouvernement à la fin du mois d’août 2009.12 Ce « paquet afghan », d’un montant de 1,3 milliard de zlotys, prévoit entre autres l’acquisition de drones de reconnaissance, d’hélicoptères Mi-24 et Mi-17, de véhicules blindés, de robots de déminage et de pièces d’équipement individuel pour les combattants. Malgré la crise et la poursuite des coupes budgétaires dans d’autres ministères, le budget de défense pour l’année 2010 est en hausse de presque 4% par rapport à 2009. Le financement de la défense à hauteur de 1,95 de PIB a été maintenu. Les dépenses pour la modernisation technique s’élèvent à 22% du budget de la défense, au-dessus du minimum garanti par la loi. La professionnalisation des forces armées et l’achat des équipements militaires pour le contingent en Afghanistan restent prioritaires. Toutefois, les restrictions budgétaires de la période 20082009, ont ralenti voir modifié certains aspects de la professionnalisation. En particulier, le ralentissement de la modernisation technique en sera une conséquence majeure. Déjà en 2009, les plans d’acquisition du nouveau matériel n’ont pas été intégralement réalisés. Des hésitations et plusieurs reports concernant l’adoption du programme décennal de la modernisation technique confirment les difficultés d’opérer les choix dans le contexte des restrictions budgétaires. Le 19 octobre 2009, le ministre de la défense, Bogdan Klich a finalement accepté le programme de modernisation technique de l’armée polonaise à l’horizon 2018. Elaborés par l’Etat-major sur la base de prévisions des besoins opérationnels de l’armée polonaise et des capacités de financement au cours de la décennie prochaine, ce programme de 10 ans, conformément aux tendances dans l’OTAN, constitue une feuille de route de modernisation technique des forces armées. En définissant 14 programmes prioritaires, il indique où iront les principaux flux d’investissement. Les 14 programmes sont divisés en deux groupes. Le premier comprend cinq programmes principaux : systèmes de défense aérienne et antiaérienne, hélicoptères d’appui au feu, modernisation de la Marine de guerre, systèmes intégrés de commandement, drones de reconnaissances et d’attaque. Le second est constitué de neuf programmes opérationnels : l’équipement individuel et l’armement du combattant, les simulateurs, l’avion d’entraînement, l’avion de transport M-28, les lances fusées, les lances missiles, les véhicules de transport blindés, les obus antichars téléguidés. Le coût global de réalisation de ces 14 programmes 10 Le général W. Skrzypczak, Commandant de l’Armée de Terre, a présenté sa démission le 20 août 11 « Inwestycja w bezpieczenstwo »/”l’investissement dans la sûreté” B.Klich Polska Zbrojna 2009. 1/2010. « Jak wojsko bedzie kupowac sprzet do Afganistanu »/”Comment l’armée va acheter du matériel pour l’Afghanistan” Gazeta Wyborcza 30/08/2009. 12 9 jusqu’à 2018 est estimé à environ 30 milliards de zlotys, ce qui constitue 11% de dépenses de défense pour les années 2009-2018. Toutefois, si les coûts dérapent, l’insuffisance de financement parait évidente. Pour autant, la réalisation de ces programmes est essentielle à la modernisation du matériel, dont une grande partie n’est pas conforme aux standards de l’OTAN. Au cours de cette décennie, plusieurs types d’armement arriveront en fin d’exploitation : navires, systèmes de défense aérienne, véhicule blindé de combat d’infanterie, chars et d’autres. Les arbitrages budgétaires seront d’autant plus difficiles. En revanche, la crise a, d’une certaine manière, accéléré les changements au niveau des effectifs. Ainsi, pour réaliser quelques économies, la dernière conscription a été écourtée de deux mois et les derniers conscrits ont quitté les casernes en août 2009. La campagne de recrutement, le chômage en augmentation aidant, s’est déroulée mieux que prévu. Environ 20 000 volontaires ont signé leurs contrats d’engagement. Depuis janvier 2010, l’armée polonaise, avec un effectif de 100 000 soldats, est intégralement professionnelle. L’étape suivante, la formation des Forces Nationales de Réserve, doit être réalisée en deux ans. Ces forces doivent atteindre 10 000 hommes en 2010 et 20 000 en 2011. Au cours des deux prochaines années, la structure de l’armée doit évoluer. A l’heure actuelle, les unités de combat ne constituent que 47% des effectifs, les 53% restant étant des unités de soutien et de logistique. Cette proportion doit changer en faveur des unités de combat. En 2012, ces dernières doivent constituer 62% du total de l’armée polonaise. Par ailleurs, dans une armée aux effectifs limités à 100 000 hommes, il sera nécessaire de rééquilibrer sa structure en diminuant le nombre d’officiers et de sous-officiers au profit du corps des militaires du rang. La répartition des unités dans des bases au grand potentiel d’entraînement, proches des champs de manœuvre, nécessaire du point de vue de l’efficacité d’entraînement et de la rationalisation des dépenses, est en cours de réalisation. L’objectif fixé est la diminution du nombre des garnisons de 126 à 103. En décembre 2009, elles étaient encore 112. Le 1er janvier 2010 est entré en vigueur le nouveau « Modèle d’entraînement des Forces Armées » adapté aux exigences de l’armée professionnelle. Son efficacité a été vérifiée au cours de l’année 2009 lors de la préparation des soldats des rotations successives pour les opérations extérieurs. Dans ce nouveau modèle, la durée de l’entraînement est passée à 3 ans contre 18 mois auparavant pour les unités professionnelles, et 9 mois pour les conscrits. Cependant, la rigueur budgétaire ne permettra pas de donner un même niveau de formation à toutes les unités. Seules des unités préparant les militaires à la Force de Réaction de l’OTAN, aux groupes de combat de l’UE et à la mission en Afghanistan, bénéficieront de la formation complète. La professionnalisation de l’armée polonaise a coïncidé avec la crise financière, dont les conséquences négatives sur le budget de défense retarderont sa réalisation. La modernisation technique, absolument nécessaire, en pâtira mais aussi le niveau d’entrainement, la modification du système de mobilisation, la préparation des effectifs des Forces Nationales de Réserve. L’inévitable rigueur budgétaire risque de prolonger cette situation dans les années à venir. 10